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Salon du Livre de l’Abitibi-Témiscamingue à Val-d’Or

A : la vie commence par le grand cri de la première voyelle et elle finit dans
l’expiration d’un tout petit : o. Entre l’alpha et l’oméga, entre le cri et le silence, il y a
toute l’histoire de ce monde que l’on peut raconter avec les vingt-six lettres de
l’alphabet.

La mémoire du monde naît avec l’écriture. Pour être dans l’histoire et avoir une
histoire aux yeux de l’humanité, la première chose qu’un peuple doit conquérir et
protéger, c’est sa langue. La langue est le premier signe distinctif d’un peuple, la
véritable signature de son identité, de sa culture. Depuis la Conquête, la lutte pour la
langue française au Québec se confond avec la survivance de son histoire. On ne
connaît bien son histoire que parce qu’on la lit. Et comme l’a écrit Pierre
Vadeboncoeur : « Toute cohésion politique d’une population ou d’un pays tient à un
sens identitaire. » et Fernand Dumont, l’un de nos plus illustres penseurs de
renchérir : « Pour être un citoyen, deux savoirs sont indispensables : la langue et
l’histoire ».

Pas d’histoire sans culture. Pas de culture sans écritures. Pas d’écriture sans
alphabet. Pas d’écritures sans lecture. Sans littérature vivante pas de démocratie.
Avant l’invention de l’alphabet, il n’y avait pas de démocratie. Comme la moitié de
l’humanité n’est pas alphabétisée, la moitié du monde ne vit pas en démocratie. Le
mot démocratie ne deviendra une réalité que le jour où sept milliards d’humains
pourront le lire et l’écrire. Sans littérature imputable, une nation saine ne peut
évaluer les richesses de sa culture. Le statut de liberté d’un individu, c’est sa faculté
de décliner toutes lettres de son alphabet.

Enfant, ma mère me disait : Mon petit Raôul, si tu veux devenir un poète, mange ta
soupe à l’alphabet.

Lorsque Richard Marcoux, président du comité organisateur du Salon du livre de


l’Abitibi-Témiscamingue m’a proposé d’occuper la présidence d’honneur de la trente-
quatrième édition du Salon du livre, j’ ai éprouvé un grand sentiment de fierté car
c’est dans ma ville natale qu’il se tiendra cette année. Je n’oublierai jamais que c’est
dans l’Écho abitibien qu’ont paru mes premiers écrits.

Je suis également fier et honoré qu’à l’occasion du 75ième anniversaire de la Ville


de Val-d’Or, Jean Dénommé, directeur général de la Commission scolaire de l’Or et
des Bois m’ait invité à rédiger la grande dictée de la francophonie qui se tiendra
dans les régionales de la France et au Québec.

Si j’ai accepté la présidence d’honneur du Salon du Livre de l’Abitibi-


Témiscamingue, c’est d’abord parce que le Québec est un ilôt francophone noyé
dans un océan anglophone et qu’il me semble impérieux d’en protéger l’unicité et
d’en défendre l’identité. C’est aussi parce que j’exprime tout ce que je sens, tout ce
que je ressens, tout ce que je pense et tout ce que je pressens grâce à la langue
française. Je lis, je parle, j’écris, je chante, je crie pour donner de l’oxygène à ma
langue française que j’aime tant.

La langue est le logiciel qui fait fonctionner la psychologie humaine. Elle est l’écho
de la pensée et des émotions, des réalités et des rêves véhiculés par des citoyens
appartenant à une culture spécifique. C’est pourquoi on ne se sent vraiment lié au
sort d’un peuple qu’en fréquentant ses auteurs.

Selon Derrick de Kirshkove, le disciple de McLuhan, « Le patrimoine culturel et


technologique de l’Occident n’a qu’une seule source : l’alphabet…Repris et peaufiné
pendant 5,000 ans, l’alphabet est devenu le plus important concept à avoir jamais
occupé l’esprit, l’âme et le corps de toutes les cultures humaines jusqu’à la
découverte de l’électricité…L’alphabet grec a été le premier transporteur public de
l’information en Occident.

Dans Le Prométhée, le poète et dramaturge Eschyle écrit : « Pour eux, j’ai inventé
les nombres, la première des sciences, mais j’ai aussi montré aux hommes
comment combiner les lettres, cette mémoire de toutes choses, cette mère de tous
les arts. »

Aujourd’hui, les cultures qui ne sont pas numérisées sont dans la marge du monde,
à côté de la mappemonde. Car, nous vivons dans un monde de chiffres, monde où
le pouvoir se chiffre souvent selon son avoir. Tout le monde le sait, la langue
universelle, c’est l’argent et cette langue s’exprime par le code binaire qui, en
général, se lit en anglais. Partout, on assiste à l’effacement des choses et des
humains derrière les chiffres qui les signifient.

Les chiffres sont le reflet de ce monde. Les lettres en sont la réflexion. Les gens de
lettres ont un autre pouvoir : celui de nous apprendre à lire les réalités et les rêves
de ce monde en nous faisant réfléchir sur le sens de la vie.

Contre l’ignorance, la lecture est l’arme la plus puissante. Plus une personne sait et
mieux elle sent ce qui se passe dans le monde et mieux elle peut cerner son propre
monde. Si la connaissance est le moteur de la démocratie, son carburant est la
liberté de pensée, la liberté de dire, la liberté d’écrire. On sait combien les peuples
analphabètes sont sacrifiés sur l’autel du libéralisme mercantile et de la
globalisation du commerce.

Au Maghreb, près de 13 millions de gens parlent couramment le berbère. Cette


langue n’étant pas reconnue officiellement, les parents envoient leurs enfants à des
écoles de langue arabe, française ou anglaise. Résultat : le berbère est en voie de
disparition. Dans 100 ans, il est écrit que la moitié des 6,000 langues et dialectes
parlés sur cette Terre aura disparu. Une langue meurt tous les 15 jours. Et bien que
87% du Québec soit francophone, dans quelques années les francophones de
Montréal seront minoritaires. Pour préserver, protéger et perpétuer la langue
française, le Québec doit se franciser de plus en plus et imposer le français comme
langue de travail et comme langue d’usage public. Il faut se lever debout et
confronter la Cour suprême du Canada qui veut nous passer le sapin sec de la Loi
104 laquelle infirme dangereusement notre Loi 101. La loi 104 ce n’est pas un sapin
de Noël pour la survivance de la langue française au Québec. Un seul point d’appui
nous suffit pour soulever le Québec au rang des pays libres et entrer chez-nous par
la grande porte. Ce point d’appui, c’est chacune et chacun de nous : c’est notre
parole souverainement francophone.

Combien d’heures, combien de jours, de semaines et de mois et parfois combien


d’années, avant que ne mûrissent les émotions, les pensées et les visions
contenues dans les milliers de mots que contiennent les livres? Combien de temps
faut-il pour créer dans l’esprit de celles et ceux qui nous lisent, cet espace mental
émergeant du choc ou de la fusion des idées, des images, des rythmes? Combien
de temps faut-il pour mettre au monde d’autres mondes sortis de l’imaginaire?
Combien de temps faut-il attendre avant de cueillir la première pomme de
l’automne?

C’est pourquoi, quand vient la récolte des fruits de l’esprit, je me réjouis, car je vais
partager de nouvelles richesses, impérissables et sans prix : les livres.

Dans un monde où dominent les chiffres, la culture est en danger de superficialité.


Ce dont nous avons besoin, c’est de profondeur; c’est d’élargir les horizons de notre
pensée et de notre imaginaire. Le véritable pouvoir de la lecture, c’est de nous
apprendre à apprendre de plus en plus et de mieux en mieux. Apprendre à nous
connaître pour mieux comprendre la vie.

Combien de livres ai-je dû lire avant de savoir écrire. C’est en lisant qu’on apprend à
écrire. C’est en écrivant qu’on prend le temps de lire pour s’approcher de plus en
plus et de mieux en mieux de l’essence de son être. Plus l’on sait, mieux l’on peut
sentir vibrer la vie. C’est pourquoi j’ai accepté d’être président d’honneur du Salon
du Livre de l’Abitibi-Témiscamingue à Val-d’Or.

Pour moi, le monde du livre est un éden, un paradis, une nourriture essentielle pour
l’esprit. Autant j’ai pris beaucoup de temps à écrire mon dernier livre, autant je me
réjouirai de prendre le temps d’en découvrir un grand nombre d’autres, en votre
compagnie.

Au plaisir de découvrir avec vous les fruits de la nouvelle récolte.


Bienvenue au Salon du livre de l’Abitibi-Témiscamingue à Val-d’Or.

Raôul Duguay

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