Les discours prononcés par plusieurs responsables politiques allemands à la Conférence de Munich sur la sécurité ont mis l’accent, début 2014, sur le fait que l’Allemagne doit être prête à un engagement international plus important, et sans exclure a priori les instruments militaires. Si plusieurs éléments semblent indiquer une prise de conscience croissante de la nécessité d’une évolution, la nature des contributions – notamment en Afrique - montre le chemin qu’il reste à parcourir. Il persiste visiblement une contradiction fondamentale entre, d’une part, l’hypothèse du gouvernement selon laquelle l’Allemagne devra participer à des opérations internationales et, d’autre part, la limitation politique de ses contributions aux domaines de la formation, du conseil et de la logistique. Outre le soutien politique au plus haut niveau, le renforcement des responsabilités passe aussi par le soutien de l’opinion publique qui se montre encore peu enthousiaste à l’égard de ce qu’elle perçoit souvent comme du militarisme. De même, la politique d’exportation de défense allemande est tiraillée entre la volonté du gouvernement de soutenir l’industrie par les exportations et l’opinion négative de la population sur ces exportations.
Un changement va se produire en raison d’évolutions extérieures, en lien avec l’OTAN ou l’industrie de la défense, mais ces impulsions doivent être reprises par le débat national. Il reste à voir si la direction prise sera conforme à celle annoncée à Munich. À cela s’ajoute la crise en Ukraine, qui pourrait avoir un effet catalyseur, augmentant la visibilité et l’engagement de Berlin au sein de l’OTAN. Au travers de cette crise, l’Allemagne va être appelée à s’engager davantage.
Original Title
La politique de défense allemande en 2014 et au-delà : un changement est-il possible ?
Les discours prononcés par plusieurs responsables politiques allemands à la Conférence de Munich sur la sécurité ont mis l’accent, début 2014, sur le fait que l’Allemagne doit être prête à un engagement international plus important, et sans exclure a priori les instruments militaires. Si plusieurs éléments semblent indiquer une prise de conscience croissante de la nécessité d’une évolution, la nature des contributions – notamment en Afrique - montre le chemin qu’il reste à parcourir. Il persiste visiblement une contradiction fondamentale entre, d’une part, l’hypothèse du gouvernement selon laquelle l’Allemagne devra participer à des opérations internationales et, d’autre part, la limitation politique de ses contributions aux domaines de la formation, du conseil et de la logistique. Outre le soutien politique au plus haut niveau, le renforcement des responsabilités passe aussi par le soutien de l’opinion publique qui se montre encore peu enthousiaste à l’égard de ce qu’elle perçoit souvent comme du militarisme. De même, la politique d’exportation de défense allemande est tiraillée entre la volonté du gouvernement de soutenir l’industrie par les exportations et l’opinion négative de la population sur ces exportations.
Un changement va se produire en raison d’évolutions extérieures, en lien avec l’OTAN ou l’industrie de la défense, mais ces impulsions doivent être reprises par le débat national. Il reste à voir si la direction prise sera conforme à celle annoncée à Munich. À cela s’ajoute la crise en Ukraine, qui pourrait avoir un effet catalyseur, augmentant la visibilité et l’engagement de Berlin au sein de l’OTAN. Au travers de cette crise, l’Allemagne va être appelée à s’engager davantage.
Les discours prononcés par plusieurs responsables politiques allemands à la Conférence de Munich sur la sécurité ont mis l’accent, début 2014, sur le fait que l’Allemagne doit être prête à un engagement international plus important, et sans exclure a priori les instruments militaires. Si plusieurs éléments semblent indiquer une prise de conscience croissante de la nécessité d’une évolution, la nature des contributions – notamment en Afrique - montre le chemin qu’il reste à parcourir. Il persiste visiblement une contradiction fondamentale entre, d’une part, l’hypothèse du gouvernement selon laquelle l’Allemagne devra participer à des opérations internationales et, d’autre part, la limitation politique de ses contributions aux domaines de la formation, du conseil et de la logistique. Outre le soutien politique au plus haut niveau, le renforcement des responsabilités passe aussi par le soutien de l’opinion publique qui se montre encore peu enthousiaste à l’égard de ce qu’elle perçoit souvent comme du militarisme. De même, la politique d’exportation de défense allemande est tiraillée entre la volonté du gouvernement de soutenir l’industrie par les exportations et l’opinion négative de la population sur ces exportations.
Un changement va se produire en raison d’évolutions extérieures, en lien avec l’OTAN ou l’industrie de la défense, mais ces impulsions doivent être reprises par le débat national. Il reste à voir si la direction prise sera conforme à celle annoncée à Munich. À cela s’ajoute la crise en Ukraine, qui pourrait avoir un effet catalyseur, augmentant la visibilité et l’engagement de Berlin au sein de l’OTAN. Au travers de cette crise, l’Allemagne va être appelée à s’engager davantage.
en 2014 et au-del : un changement est-il possible ? ________________________________________________________
Claudia Major
Christian Mlling
Juin 2014
N N o o t t e e d d u u C C e e r r f f a a 1 1 1 1 3 3
Comit dtudes des relations franco-allemandes
LIfri est, en France, le principal centre indpendant de recherche, dinformation et de dbat sur les grandes questions internationales. Cr en 1979 par Thierry de Montbrial, lIfri est une association reconnue dutilit publique (loi de 1901). Il nest soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits et publie rgulirement ses travaux. LIfri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarche interdisciplinaire, dcideurs politiques et experts lchelle internationale. Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri simpose comme un des rares think tanks franais se positionner au cur mme du dbat europen.
Les opinions exprimes dans ce texte nengagent que la responsabilit des auteurs.
Les activits de recherche, de secrtariat de rdaction et de publication du Cerfa bnficient du soutien du Centre danalyse, de prvision et de stratgie du ministre des Affaires trangres et du Dveloppement international et du Frankreich-Referat de lAuswrtiges Amt.
Directeurs de collection : Yann-Sven Rittelmeyer, Hans Stark
Traduction : AroTraduction
ISBN : 978-2-36567-294-8 Ifri 2014 Tous droits rservs
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1 Ifri Auteurs Claudia Major est directrice adjointe du groupe de recherche Politique de scurit internationale la Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP). Titulaire dun double diplme de Sciences Po Paris et de lUniversit libre de Berlin, elle a obtenu son doctorat luniversit de Birmingham. Elle est charge denseignement Sciences Po Paris. Depuis 2010, elle est galement membre du Conseil pour la prvention civile des crises auprs du ministre fdral des Affaires trangres. Ses domaines de recherche sont notamment la politique de scurit et de dfense en Europe, aussi bien dans le cadre de lUnion europenne (Politique de scurit et de dfense commune, PSDC) que de lOrganisation du trait de lAtlantique nord (OTAN), les capacits militaires et les capacits civiles ainsi que les comprehensive approaches dans la gestion de crises. De plus, elle sintresse aux politiques de scurit et de dfense allemande, franaise et britannique.
Christian Mlling est chercheur au sein du groupe de recherche Politique de scurit internationale la SWP. Il a auparavant men des recherches dans divers think tanks ou institutions tels que la Fondation pour la recherche stratgique (FRS), la Reprsentation permanente de lAllemagne auprs de lUnion europenne, lInstitut dtudes de scurit de lUnion europenne (EUISS) ou lInstitut de recherche sur la paix et la politique de scurit de l'universit de Hambourg (IFSH). Il est docteur en science politique de luniversit Ludwig Maximilian de Munich (LMU). Ses domaines de recherche portent sur les industries de dfense allemande et europennes, la coopration europenne dans la dfense, ou encore les politiques de dfense des tats europens.
2 Ifri Rsum Les discours prononcs par plusieurs responsables politiques allemands la Confrence de Munich sur la scurit ont mis laccent, dbut 2014, sur le fait que lAllemagne doit tre prte un engagement international plus important, et sans exclure a priori les instruments militaires. Si plusieurs lments semblent indiquer une prise de conscience croissante de la ncessit dune volution, la nature des contributions notamment en Afrique - montre le chemin quil reste parcourir. Il persiste visiblement une contradiction fondamentale entre, dune part, lhypothse du gouvernement selon laquelle lAllemagne devra participer des oprations internationales et, dautre part, la limitation politique de ses contributions aux domaines de la formation, du conseil et de la logistique. Outre le soutien politique au plus haut niveau, le renforcement des responsabilits passe aussi par le soutien de lopinion publique qui se montre encore peu enthousiaste lgard de ce quelle peroit souvent comme du militarisme. De mme, la politique dexportation de dfense allemande est tiraille entre la volont du gouvernement de soutenir lindustrie par les exportations et lopinion ngative de la population sur ces exportations. Un changement va se produire en raison dvolutions extrieures, en lien avec lOTAN ou lindustrie de la dfense, mais ces impulsions doivent tre reprises par le dbat national. Il reste voir si la direction prise sera conforme celle annonce Munich. cela sajoute la crise en Ukraine, qui pourrait avoir un effet catalyseur, augmentant la visibilit et lengagement de Berlin au sein de lOTAN. Au travers de cette crise, lAllemagne va tre appele sengager davantage.
3 Ifri Executive Summary The speeches made by several German leaders at the Munich Security Conference in early 2014, emphasized that Germany needs to be ready for greater international commitment, and without a priori excluding military instruments. While several elements seem to indicate growing awareness that change is needed, the nature of German contributions especially in Africa shows the long road ahead. A basic contradiction persists between the governments rhetoric that Germany should participate in international operations and the political limitation on its contributions toward training, advisory functions and logistical support. Apart from political support at the highest level, increased responsibility needs also to be supported by public opinion, which still lacks enthusiasm for what it often perceives as militarism. Similarly, German defence export policy is torn between the governments willingness to support industry in exporting and the negative feedback about these exports from the public. Change may occur as a result of external developments, linked to NATO or the defence industry, but these impulses need to be taken up by national debate. It remains to be seen whether or not the direction taken will coincide with that outlined in Munich. The crisis in Ukraine must also be taken into account : it could have a catalytic effect, increasing Germanys visibility and engagement in NATO. Through this crisis, Germany is under pressure to intensify its engagement.
4 Ifri Sommaire INTRODUCTION ................................................................................... 5 EXISTE-T-IL UNE NOUVELLE POLITIQUE DE DEFENSE ALLEMANDE ? ....... 6 Munich, ou la conception dune nouvelle politique ................. 6 Dpasser une politique peu concluante ................................... 8 Une faible identit de dfense ................................................... 9 LOTAN ET LUE, CADRES DACTIONS ET DOPERATIONS ................... 12 PSDC : un train de retard dans la mise en uvre .................. 12 LOTAN entre lAfghanistan et lUkraine ................................. 14 Des oprations suivront-elles ? ............................................... 16 CAPACITES ET COOPERATION ............................................................ 19 Lactuelle rforme de la dfense : faire passer les capacits avant la durabilit ......................... 19 Coopration internationale : le concept de nation-cadre et les partenaires stratgiques .. 21 Limpact de la crise en Ukraine ............................................... 23 Les options pour un changement ........................................... 24 INDUSTRIE DE LA DEFENSE ET POLITIQUE DARMEMENT ....................... 25 Ltat de lindustrie de la dfense allemande ......................... 25 Le foss entre industrie et politique impose le changement ......................................... 26 Lexamen du processus dacquisition ................................... 27 Les exportations de dfense ................................................ 28 LA POLITIQUE DE DEFENSE ALLEMANDE : UN CHANGEMENT DURABLE ? ............................................................ 30
5 Ifri Introduction La politique trangre allemande a longtemps t lexpression mme de la continuit : quel que soit le parti au pouvoir, les rgles du jeu ne changeaient gure. Mais depuis la fin 2013, un certain nombre de changements ont t introduits qui pourraient savrer durables. La politique trangre allemande semble jouer une nouvelle partition, dont les principales notes sont les appels un plus grand engagement de lAllemagne, effectus la Confrence de Munich sur la scurit en janvier 2014. Les dcisions et les mesures que prendra le gouvernement allemand dans les trois prochaines annes (avant dentrer en priode lectorale) permettront de voir si ces annonces se traduisent par un changement concret et plus ou moins important. Faire de ce changement la base dune politique durable est un dfi majeur pour lAllemagne. ce stade, il est trop tt pour juger le gouvernement sur les rsultats, puisque celui-ci nest en place que depuis quelques mois. Cet article portera donc sur les changements actuels et ventuels. Il sera ax sur la politique de dfense, un aspect essentiel de la politique trangre qui pourrait tre particulirement concern par le changement annonc. Dans ce domaine, cinq thmes seront abords : les cadres institutionnels, les oprations, les capacits, la coopration et lindustrie de la dfense. Lanalyse les situera dans le contexte international et national, dfinira les possibilits dvolution et la porte de ces changements, ainsi que les opportunits pour les acteurs extrieurs dy apporter leur soutien pour un plus fort engagement de lAllemagne.
6 Ifri Existe-t-il une nouvelle politique de dfense allemande ? Le nouveau gouvernement qui a pris ses fonctions la fin 2013 a fait renatre de nombreux espoirs dun changement majeur dans la politique de scurit et de dfense. Lespoir sest transform en engouement mdiatique ldition 2014 de la Confrence de Munich sur la scurit, lorsque le prsident fdral allemand Joachim Gauck, ainsi que les ministres des Affaires trangres et de la Dfense, ont prsent des visions de la politique allemande de scurit et de dfense trs diffrentes de celle laquelle les partenaires de lAllemagne taient habitus. Munich, ou la conception dune nouvelle politique Les trois discours du prsident, de la ministre de la Dfense Ursula von der Leyen et du ministre des Affaires trangres Frank-Walter Steinmeier figurent aujourdhui comme les tapes officielles dun changement, tout au moins formel, dans la politique allemande des affaires trangres, de la scurit et de la dfense 1 .
1 Germanys role in the world: Reflections on responsibility, norms and alliances (Le rle de lAllemagne dans le monde : rflexions sur les responsabilits, les normes et les alliances), discours du prsident allemand Joachim Gauck louverture de la 50 me Confrence de Munich sur la scurit, le 31 janvier 2014, <http://www.bundespraesident.de/SharedDocs/Downloads/DE/Reden/2014/01/14013 1-Muenchner-Sicherheitskonferenz-Englisch.pdf?__blob=publicationFile >; discours de la ministre allemande de la Dfense, Ursula von der Leyen, loccasion de la 50 me Confrence de Munich sur la scurit, le 31 janvier 2014, <http://www.bmvg.de/portal/a/bmvg/!ut/p/c4/NYyxCsJAEAX_aPeusNDOEASxszDGR ja5Iz7I3YV1Exs_3qTwDUwz8PjBK1kWDGIoWUa- c9vj0H2oS8tAaR4NKQYIyRxQRPsXFgqIz4SMt0VF5mZ7CZH6kqNttpgNqwcVK0pT URu3MquuhRC4db6unHf_-e_-dKsvjfO7-lxdeUrp-AMcw_TS/> ; discours du ministre allemand des Affaires trangres, Frank-Walter Steinmeier, la 50 me Confrence de Munich sur la scurit, le 1er fvrier 2014, <www.auswaertiges- amt.de/EN/Infoservice/Presse/Reden/2014/140201-BM_M%C3%BCSiKo.html>. C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
7 Ifri Le principal message porte sur le fait que lAllemagne doit tre prte un engagement plus rapide, plus ferme et plus important, et que si sa traditionnelle retenue sur le plan militaire reste dactualit, elle ne doit pas tre une excuse pour rester sur la touche. Le prsident et les ministres ont galement soulign que lAllemagne est en de nombreux points, la puissance centrale en Europe, et un pays en relation troite avec les rseaux internationaux. Elle doit donc galement tre prte en faire davantage pour garantir la scurit que les autres pays lui ont assure pendant plusieurs dcennies. Mme si, en toute probabilit, elle ne soutiendra jamais une solution purement militaire, elle ne doit pourtant pas dire non par principe, ni dire oui sans rflchir, si cette solution de dernier recours devait tre dbattue. Limpulsion de Munich a t prcde dune part, par des commentaires de M. Gauck, de M. Steinmeier 2 et de Mme von der Leyen, et dautre part par des initiatives allemandes en matire de scurit et de dfense : le concept de nation-cadre de 2013, lanc dans le cadre de lOTAN, qui offre un nouveau modle pour dvelopper des partenariats axs sur le renforcement des capacits au sein de lAlliance, et linitiative E2I Enhance and Enable (renforcement et mise en capacit), lance en 2011, qui inscrit lengagement allemand en Afrique dans un cadre qui met laccent sur une nouvelle responsabilit pour des partenaires rgionaux. Par ailleurs, le nouveau gouvernement a cr la Commission Rhe (du nom de son prsident, lancien ministre de la Dfense Volker Rhe). Celle-ci est charge de mener un examen politique et juridique pour dterminer si la loi sur la participation parlementaire, qui autorise les dploiements militaires, doit tre adapte, et quelle serait lampleur dune modification de ses mcanismes 3 . Enfin, le ministre des Affaires trangres a lanc un examen de la politique trangre. La confrence inaugurale de mai 2014 sera
2 Voir notamment : Discours du prsident fdral allemand Joachim Gauck pour clbrer le Jour de lunit allemande Stuttgart, le 3 octobre 2013, <http://www.bundespraesident.de/SharedDocs/Downloads/DE/Reden/2013/10/13100 3-Tag-Deutsche-Einheit-englische-Uebersetzung.pdf?__blob=publicationFile>. 3 Kommission zur berprfung und Sicherung der Parlamentsrechte bei der Mandatierung von Auslandseinstzen der Bundeswehr, <www.bundestag.de/dokumente/textarchiv/2014/50513432_kw15_konstituierung_ko mmissions_auslandseinsaetze_bw/216896>. C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
8 Ifri suivie dun cycle de confrences pour associer la population aux questions de politique trangre 4 . Dpasser une politique peu concluante Si les annonces de Munich ont pu en surprendre plus dun lchelle nationale et internationale, le message circulait depuis quelque temps dans les milieux berlinois o se rencontrent les lus, les responsables politiques, les think tanks et les journalistes 5 . En effet, lAllemagne ne sest jamais oppose lide dexercer un rle de leader dans la politique europenne (ce qui na dailleurs pas toujours plu) - souvenez-vous de leuro notamment -, mais elle sest toujours abstenue de le faire en matire de scurit et de dfense. Or, ces rseaux informels ont pris de plus en plus conscience quune retenue excessive et labsence dune politique de scurit lavaient desservie ces dernires annes. Cest essentiellement son abstention au Conseil de scurit des Nations unies sur la Libye en 2011, qui a pouss lAllemagne repenser sa politique de scurit et de dfense. Ce vote a rvl le cot politique court et long terme dune telle position. Aussitt aprs avoir compris lisolement dans lequel elle stait place, lAllemagne a frntiquement tent de rectifier le tir : la dcision du gouvernement et du Parlement de ne pas dployer les capacits AWACS en Afghanistan (pour des raisons de principe) a t annule. Ainsi cherchait-elle autant compenser sa non-participation dans les oprations de lOTAN, qu redorer son blason auprs de lAlliance aprs stre aligne sur des pays comme la Chine au sein du Conseil de scurit. Avec labstention au sujet de la Libye, la politique de dfense de lAllemagne a atteint son point le plus bas de la dernire dcennie. Berlin a perdu de nombreuses occasions de favoriser ses objectifs politiques dclars et de soutenir ses allis de lUE et de lOTAN en prenant des mesures concrtes (Tchad 2008, Cte dIvoire 2011). Et de manire plus gnrale, lAllemagne semble avoir cr une
4 Voir Review 2014 A Fresh Look at German Foreign Policy (Examen 2014 : un nouveau regard sur la politique trangre allemande), <http://www.review2014.de/en/topics.html> 5 Voir notamment New Power New Responsibility (Nouveau pouvoir, nouvelle responsabilit), <www.swp-berlin.org/en/projects/new-power-new-responsibility/the- project.html>. C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
9 Ifri dissension en termes de responsabilits, en ignorant les relations avec le contexte dans laquelle elle se situe et en renonant ainsi la possibilit et au devoir dtre matre de son destin. Cet lment a t mis en vidence, parmi de nombreux exemples, par un sondage de 2013 dans lequel environ 55 % des Allemands se dclaraient en faveur dune action militaire soutenue par lONU en Syrie. Or, un nombre semblable dAllemands staient opposs toute participation de lAllemagne une telle mission. Enfin, si Berlin a insist sur son attachement lUE et aux Nations unies, son engagement montre un dcalage entre son ambition et ses rsultats. Aprs avoir lanc linitiative de Gand qui a tabli les bases dune mutualisation et dun partage au sein de lUE, la Rpublique fdrale a t finalement aussi peu active que les autres pays dans sa mise en uvre. Une faible identit de dfense Faire du changement le fondement dune politique durable est un dfi majeur. Le gouvernement est conscient que sa marge de manuvre pour redfinir la politique de dfense dpend largement du soutien quil obtiendra auprs de la population. Le changement ne peut se faire que de lintrieur et doit tre introduit prudemment. Trois difficults doivent tre rsolues pour crer des conditions favorables : Surmonter la faiblesse de lidentit de dfense allemande. Lintrt pour la dfense est limit parmi les responsables politiques et dans la socit civile. Les Allemands prfrent ne pas savoir ce qui se passe en Afghanistan ou sur dautres thtres dopration, et tendent mme ne pas faire grand cas des soldats qui y ont t envoys. Grer le pacifisme : les opposants un changement peuvent facilement recourir au discours pacifiste, en rappelant largument profondment ancr, et dailleurs fond, selon lequel les moyens militaires ont t inutiles et seuls les instruments diplomatiques et la prvention sont efficaces, ou bien invoquer une certaine forme de pacifisme, ou qui se prend pour tel, encourag par une attitude de dsintrt qui lude la question de la responsabilit et des diffrents moyens de lexercer. C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
10 Ifri Combler le foss entre le politique et le militaire : de nombreux Allemands considrent encore que le militaire est un instrument particulier, qui ne fait certainement pas partie de la bote outils ordinaire du gouvernement. Les politiques sont l pour contrler les forces armes, pas pour les utiliser. Un sondage command par le ministre des Affaires trangres dans le cadre de son processus dexamen et publi en mai 2014 montre ces difficults : si la politique trangre suscite un grand intrt, le renforcement de lengagement linternational soulve peu denthousiasme 6 . Tout changement dans lidentit de dfense de lAllemagne ne se produira et ne sera soutenu que si les responsables politiques parviennent expliquer la ncessit dun engagement international plus important et montrer lutilit dune politique de dfense lopinion publique. Actuellement, il existe trois moyens susceptibles daider la ralisation de cet objectif : Lexamen actuel de la politique trangre peut, dans une certaine mesure, sensibiliser le grand public. Cette initiative apportera aux dcideurs des indications prcieuses, mais une communication plus systmatique et plus soutenue entre la population et les politiques restera ncessaire. La crise en Ukraine offre une occasion unique dexpliquer pourquoi le recours appropri des moyens militaires peut parfois aider crer les conditions dune bonne utilisation des moyens non- militaires, tels que laction diplomatique ou laide au dveloppement. La Commission Rhe offrira des informations utiles concernant lvolution de lopinion allemande sur un lment essentiel de la politique de scurit et de dfense. Elle porte essentiellement sur les procdures. Cependant, mme dans un dbat sur les procdures, il faudra apporter des arguments de fond sur les
6 <www.koerberstiftung.de/fileadmin/user_upload/internationale_politik/sonderthemen/ umfrage_aussenpolitik/Koerber- Stiftung_Umfrage_Aussenpolitik_Broschuere_EN.pdf.> C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
11 Ifri changements dans le contexte international et sur la ncessit dun engagement commun plus profond. Les auditions publiques et les comptes rendus rguliers de runions de la commission peuvent tre un moyen dobtenir la ncessaire sensibilisation du public.
12 Ifri LOTAN et lUE, cadres dactions et doprations Les concepts de la politique de scurit allemande sont souvent dfinis en fonction des institutions auxquelles ils sappliquent. Il nexiste pas une politique allemande de scurit et de dfense unitaire, mais plutt une pour lOTAN et une autre pour lUE et sa PSDC (Politique de Scurit et de Dfense Commune). Cette situation est lie la volont traditionnelle dutiliser les institutions pour intgrer fermement lAllemagne louest. LAllemagne a labor des approches politiques diffrentes pour ces deux cadres, o lOTAN joue un rle de dfense classique, tandis que les objectifs de la PSDC sont axs sur la gestion de crise et lutilisation de moyens civils. Cette ambivalence prend aujourdhui une nouvelle dimension, alors que lAllemagne se demande comment exercer le rle plus important quelle a reu (et qui lui a t donn) au sein de lOTAN et de lUE. Cette incertitude est renforce, dune part, par le fait que Berlin nest pas entirement convaincu de lefficacit des nouveaux instruments quil est pouss adopter, et dautre part, par les fondements idologiques peu solides sur lesquels sappuie actuellement la politique de dfense allemande. Compte tenu, par ailleurs, des transitions en cours dans la direction de lOTAN et de lUE, la politique allemande est actuellement plus passive quactive face au changement. PSDC : un train de retard dans la mise en uvre La PSDC a t longtemps un lment important de la politique de dfense allemande, mais sa place sest rcemment rduite. Lassociation des effets de la crise budgtaire (qui a dplac lattention sur dautres questions) et du faible impact de la PSDC a remis en question lintrt de cette politique aux yeux de Berlin. Pour des raisons idologiques, le prcdent gouvernement na pas soutenu la dimension militaire de la PSDC. Cependant, sa prfrence pour la PSDC civile et son extraordinaire engagement en faveur de la C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
13 Ifri formation et de la mise disposition dexperts civils ne se sont gure traduits par un leadership allemand dans ce domaine. Et pourtant, loccasion de redynamiser la PSDC va bientt se prsenter : la rforme des institutions europennes, le renouvelle- ment de la Commission europenne, la dsignation du Haut Repr- sentant et du prsident du Conseil europen, ainsi que lamlioration des perspectives conomiques de lUnion sont autant dlments qui peuvent crer les conditions dun nouveau pacte pour la PSDC. Cependant, au lieu de dresser lagenda de la PSDC 2014+, Berlin se centre sur la mise en uvre des tches de 2013 dfinies au sommet europen de la dfense. LAllemagne prfre cette approche graduelle car elle na actuellement pas de vision politique sur lavenir de la PSDC et le rle de lUE en matire de scurit. En effet, elle a mis en place un triple systme de blocage qui len empche : les avances de la PSDC ne doivent pas compromettre la souverainet, ni exiger de nouvelles ressources, ni impliquer un engagement militaire. Linitiative de mutualisation et de partage ( Pooling and Sharing ) a montr les problmes que peut crer une telle approche. Alors que le Parlement et le gouvernement ont appel une volution, ce triple systme de blocage a rendu impossible tout engagement allemand srieux et risque dempcher lAllemagne de se mettre daccord avec ses partenaires sur les priorits de la PSDC, puisque les propositions conjointes porteraient sur au moins une de ces trois interdictions. Puisque le gouvernement ne se sent pas prt prendre linitiative dune volution, cette tche pourrait revenir aux parlemen- taires allemands. Les sociaux-dmocrates sont traditionnellement beaucoup plus favorables la PSDC que leurs collgues conser- vateurs. Pourtant, la contribution la plus importante de ces dernires annes vient de deux parlementaires conservateurs, auteurs de larticle Schockenhoff-Kiesewetter . 7 Leurs suggestions ont influ sur la dcision de cration de la Commission Rhe et du concept de nation-cadre. Les deux abordent la question du triple systme de blocage. La seule initiative concrte de lAllemagne au sein de la PSDC est linitiative E2I Enhance and Enable . Celle-ci vise amliorer lapproche globale de lUE qui ne fonctionne pas parfaitement,
7 A. Schockenhoff et R. Kiesewetter, Impulse fr Europas Sicherheitspolitik , Internationale Politik, septembre-octobre 2012, pp. 88-97. C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
14 Ifri mais porte aussi sur le secteur de la scurit et les problmes de capacit des acteurs africains rgionaux et nationaux. Cependant, elle manque de clart et fait double emploi avec une initiative europenne similaire, Former et quiper ( Train and Equip ). Bien que lAllemagne ait dfendu le concept au niveau europen, elle ne sinvestit pas dans sa mise en uvre, que ce soit sur le plan politique ou financier. Des rsultats sont nanmoins attendus : le ministre des Affaires trangres a t pri dy travailler, notamment parce que linitiative E2I a reu le soutien de la chancelire. Cela alimente les soupons selon lesquels lobjectif serait plus li aux exportations darmement quau renforcement des capacits. De manire gnrale, ce sont les ambitions politiques qui, ce stade, semblent le plus faire dfaut. De grands espoirs sont placs dans un nouveau Haut Reprsentant (dont la dsignation aura lieu en 2014), qui pourrait inciter lAllemagne exercer un rle plus important en termes dengagement politique, matriel et oprationnel. LOTAN entre lAfghanistan et lUkraine Deux principes de la politique de dfense allemande demeurent gnralement constants. Dabord, lOTAN est le cadre daction prfr, notamment pour le ministre de la Dfense. Ensuite, au sein de lAlliance, lAllemagne est une puissance oriente vers le statu quo dont les priorits sont restes stables tout au long de ses diffrents gouvernements. Seuls quelques changements modestes pourraient donc tre observs. Les principaux objectifs de Berlin sont les suivants : Ancrage louest : lAllemagne considre lOTAN comme le principal cadre des consultations politiques dans le monde occidental et apprcie le pouvoir de ses dcisions, qui lient vingt-huit des plus puissants pays du monde. Scurit cooprative et commune : la priorit essentielle, particulirement soutenue par le ministre des Affaires trangres, est dassurer des relations constructives entre lAlliance et la Russie. La scurit en Europe nest possible quavec et non sans la Russie. Les tats membres de lOTAN ont toujours rpondu cette affirmation de manire neutre ou avec mfiance. C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
15 Ifri Larticle 5, en tant que fil conducteur stratgique : lAllemagne na accept quen hsitant lorientation de lOTAN vers la gestion de crise et le contre-terrorisme. Elle a adopt une position critique sur les ides qui font de lAlliance un acteur plus global en termes de gographie et de fonctions. Les rgions cls pour lengagement allemand dans lOTAN sont lEurope centrale et orientale (y compris la Gorgie). Toutefois, lAllemagne a insist sur la ncessit de ne pas accrotre la prsence militaire en Europe centrale et orientale, de ralentir llargissement de nouveaux membres comme la Gorgie, et de renforcer plutt la coopration et linteroprabilit avec ces pays. Un changement dans la politique allemande lgard de lOTAN sera plus probablement favoris par des facteurs extrieurs que par un engagement sur le plan intrieur. Il reste encore voir sil en sera de mme ou non pour le concept de nation-cadre (voir page 21). Le gouvernement se flicite davoir lanc avec succs cette initiative au sein de lOTAN et considre que celle-ci contribue concrtement renforcer le rle de lEurope dans lAlliance. Des pressions en faveur dun changement se sont fait sentir avec la crise en Ukraine, qui touche toutes les priorits allemandes dans lOTAN. Pour linstant, lAllemagne a apport sa part de mesures de rassurance 8 , mais a adopt une position dfensive lgard de propositions comme le stationnement permanent de forces et laccroissement des dpenses de dfense. En outre, concernant le sommet de lOTAN en septembre 2014, elle souhaite avancer sur certains des dossiers inscrits lordre du jour initial. Cependant, lvolution de cette crise ninfluera pas seulement sur le sommet de lOTAN. En effet, elle soulve la question de lobjectif stratgique et des moyens qui y sont lis. Mme si lAllemagne tentait de calmer les dbats actuels, elle devra en dfinitive grer les questions essentielles qui ont refait rcemment surface, savoir comment dfinir et instaurer une politique de
8 LAllemagne participe quatre des dix-huit mesures de rassurance, avec plusieurs engagements comme lenvoi de personnel supplmentaire destin au SHAPE et la mise disposition dun maximum de six Eurofighter pour la mission de police du ciel des pays baltes ( Baltic Air Policing ). C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
16 Ifri dissuasion et de rassurance au XXI e sicle, mais aussi quel doit tre le rle de lOTAN en matire de dfense collective, de gestion des crises et de scurit cooprative (les trois tches de lAlliance dfinies dans le concept stratgique de 2010), et comment ces trois missions peuvent se traduire sur le plan politique et militaire. Le ministre des Affaires trangres, M. Steinmeier, a amorc un lger repositionnement vis--vis de la Russie, exprimant ses critiques de manire plus ouverte. Toutefois, Berlin pourrait rester trop comprhensive lgard de la Russie aux yeux de certains Europens. ce stade, lAllemagne cherche encore sauvegarder les relations avec la Russie et maintenir le contact, car elle ne veut pas dune Russie affaiblie dont lEurope pourrait craindre la vengeance ou la fragilit. En rsum, la crise en Ukraine pourrait avoir un effet catalyseur, augmentant la visibilit et lengagement de lAllemagne au sein de lOTAN. Les initiatives proposes, comme le concept de nation-cadre, mais aussi lintention de sauvegarder les relations avec la Russie exigent une autre politique que lattitude traditionnellement attentiste. Des oprations suivront-elles ? Cest sa mise en uvre qui fait la force dune dclaration politique. Les contributions allemandes aux oprations, que ce soit sous les couleurs de lUE, de lOTAN, de lONU ou de lOSCE, permettront de mesurer les changements. Plusieurs lments semblent indiquer une prise de conscience croissante quune volution est la fois ncessaire et en cours. En mai 2014, le gouvernement a adopt ses nouvelles Lignes directrices de la politique en Afrique 9 . Axe sur lAfrique, lE2I vise inscrire lengagement allemand dans le cadre de lUE. Si un engagement plus important ne signifie pas automatique- ment un dploiement militaire, les dclarations de Munich ont t suivies de plusieurs dcisions dans ce domaine. En premier lieu, Berlin a dcid daugmenter le nombre dinstructeurs militaires pour la mission de lUE au Mali, passant de 180 250. Si cette contribution reste modeste par rapport aux 1 400 soldats franais et aux 6 000 soldats africains, elle est considrable compte tenu des
9 Afrikapolitische Leitlinien der Bundesregierung, Berlin, 21 mai 2014. C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
17 Ifri rticences initiales un quelconque dploiement en Afrique. En deuxime lieu, lAllemagne a soutenu la mission de lUE en Rpublique centrafricaine avec des capacits de transport. Bien que ces soutiens restent limits, ils ont t offerts plus rapidement et beaucoup plus facilement qu dautres occasions. Cependant, la nature de ces contributions montre le maintien des prfrences et des lignes rouges, et souligne que le changement semble encore lointain : aucune force de combat na t engage, et seuls des formateurs et un soutien logistique comme le ravitaillement en vol, lvacuation sanitaire et des capacits de transport ont t mis disposition. Dans le cas de la Centrafrique, ces dernires nont mme pas t assures par les forces armes allemandes, mais par une entreprise prive paye par lAllemagne. Mme si la contribution allemande a t essentielle pour le lancement de la mission, elle tmoigne du refus constant de partager les risques de ces oprations et du souci pos par la proposition de ressources financires importantes pour se soustraire aux demandes de contributions directes. Deux lments structurels sopposent ce que lAllemagne joue un rle plus important, notamment en Afrique. Le premier est le tabou historique. Un exemple clbre est le rejet par M. Rhe, en 1994, de la proposition franaise de dploiement de lEurocorps en Afrique, au motif quil ne sagissait pas dun corps africain (le mot utilis en allemand, Afrika Korps , est vite associ aux units allemandes commandes par le gnral Rommel pendant la Seconde Guerre mondiale en Afrique) 10 . Ce tabou tabli est renforc par le fait que llite politique a eu du mal dterminer si lAllemagne avait des intrts en Afrique, et quels seraient ces intrts. Le gouvernement a donc jusqu prsent limit son engagement des actions humanitaires ou base de moyens civils . Le deuxime lment est la concurrence entre le ministre de la Dfense et le ministre de la Coopration conomique concernant leurs comptences dans la dfinition de la politique allemande en Afrique. Le tabou existant oblige le ministre de la Dfense prendre une position dfensive, tout en essayant de rester dans le jeu. Berlin devrait soutenir de futures missions, mais ne suggrera probablement pas de les lancer. tant donn que lAfrique reste le
10 Kein Triumphgeheul , Focus, 18/07/1994, <www.focus.de/politik/deutschland/deutschland-kein- triumphgeheul_aid_147817.html>. C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
18 Ifri principal thtre de la gestion de crise, cest sur ce continent que les futures oprations auront sans doute lieu. Comme lAllemagne na pas publiquement dfini ni fait connatre ses intrts sur le continent 11 , il lui est trs difficile de lgitimer ces oprations. Berlin risque donc de continuer affirmer quil participe aux oprations pour soutenir Paris et les relations franco-allemandes, au lieu de donner des raisons lies la politique de scurit. Les engagements sur le terrain devraient trs probablement sinscrire dans le cadre de lUE, et non de lOTAN ou de lONU.
11 A lexception des quelques lments contenus dans les rcentes Lignes directrices de la politique africaine de lAllemagne.
19 Ifri Capacits et coopration Sur le plan militaire, deux faits nouveaux symbolisent le changement qui sopre actuellement dans les forces armes allemandes. En premier lieu, la mission en Afghanistan a transform des forces armes hrites de la Guerre froide, cest--dire axes sur la menace et prpares au pire (art. 5 du trait de lOTAN), en une force de combat exprimente et reconnue sur le plan international. En deuxime lieu, lactuelle rforme de la dfense adaptera la structure des forces nationales en fonction des expriences rcentes et des rles futurs que lAllemagne envisage. Cette conception encourage la coopration avec les partenaires de lOTAN et de lUE. Cependant, ces volutions nont pas t accompagnes de changements au niveau politique : le discours sur la dfense, cest-- dire le pourquoi et le comment de lexistence et de lutilisation de forces armes, nest pas encore pass de limage dune menace llaboration dun discours. En consquence, si les forces armes allemandes ont depuis longtemps tourn la page de la Guerre froide, les raisons politiques justifiant leur entretien et leur utilisation restent floues. La crise en Ukraine introduit une difficult extrieure suppl- mentaire dans le processus de changement politique et militaire. Lactuelle rforme de la dfense : faire passer les capacits avant la durabilit En 2010, lAllemagne a lanc sans doute la plus importante rforme de la dfense depuis la cration de la Bundeswehr. Cette rforme, dont la mise en uvre devrait sachever en 2017, doit rpondre aux bouleversements qui se sont produits dans le contexte stratgique, cest--dire la crise budgtaire et aux mesures prises par les partenaires de lAllemagne, notamment la rduction sensible des capacits. La Bundeswehr est elle-mme touche par les coupes budgtaires et sattend dautres restrictions. Cest pourquoi le ministre de la Dfense de lpoque, Karl-Theodor zu Guttenberg, avait propos un virage 180 degrs dans la planification de la dfense : lapproche design to cost (conception cot objectif). C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
20 Ifri La rforme conduira la Bundeswehr se centrer sur les missions les plus probables de prvention des conflits et de gestion des crises linternational , cest--dire les oprations de stabili- sation. Elle privilgie la capacit de lAllemagne jouer un rle de partenaire important auprs de ses allis 12 . En consquence, lAllemagne sattachera maintenir ses capacits actuelles, mais acceptera de rduire leur durabilit, cest--dire le temps pendant lequel elle peut maintenir le personnel et les capacits dune force dploye. Ce principe essentiel se reflte dans le leitmotiv de la rforme : faire passer les capacits avant la durabilit ( Breite vor Tiefe ). Lexamen envisage une rduction du niveau dambition. En 2013, lobjectif national prvoyait 14 000 soldats dployables en permanence sur 245 000. La Bundeswehr vise maintenant lenvoi de 10 000 soldats en permanence sur 185 000, en plus de ses principales contributions (tournantes) aux forces dintervention de lOTAN, aux groupements tactiques de lUE et lONU. LAllemagne souhaite galement se prparer prendre la direction de deux thtres doprations en tant que nation-cadre 13 . La rforme a aussi considrablement rduit lquipement. Cependant, proccup par les obligations contractuelles en vigueur et les effets lis lannulation des commandes passes auprs de lindustrie de la dfense allemande, le ministre de la Dfense a maintenu les processus dachat de lavion de transport A400M, de lhlicoptre NH-90 et de lEurofighter. Il a nanmoins lintention de rduire le nombre dunits produire et dtendre les contrats sur des dures plus longues. Dans ce contexte, les sociaux-dmocrates ont rclam une rforme de la rforme , exprimant le souhait de rvaluer le concept mme de la rforme et de rouvrir les ngociations sur les contrats existants avec lindustrie de la dfense 14 . Reste savoir si et o ces forces bien quipes et entranes seront utilises. Il semble exister une contradiction fondamentale entre dune part, lhypothse du gouvernement selon laquelle
12 BMVg, Defence Policy Guidelines 2011 (Lignes directrices de la politique de dfense 2011), p.14. 13 BMVg, Defence Policy Guidelines 2011 (Lignes directrices de la politique de dfense 2011), p. 20-22. 14 Arbeitsgruppe "Sicherheits- und Verteidigungspolitik der SPD-Bundestagsfraktion: Positionspapiere zum Nachsteuerungsbedarf der Bundeswehrreform, Nachsteuerung der Stationierungsentscheidungen, 11 avril 2014, Berlin. C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
21 Ifri lAllemagne devra participer des oprations internationales et dautre part, la limitation politique de ses contributions aux domaines de la formation, du conseil et de la logistique, qui ne relvent pas du combat. Ce refus du risque a t appliqu dans toutes les missions auxquelles lAllemagne a particip depuis 2006, y compris lors du soutien rcent au Mali et en Centrafrique. Or, ces priorits ne sont justifies ni par la taille actuelle ni par la structure de la Bundeswehr. En consquence, le foss slargit entre des forces militaires aux capacits accrues et un gouvernement redoublant dhsitation utiliser cet instrument comme le font ses partenaires. Coopration internationale : le concept de nation-cadre et les partenaires stratgiques Le succs de la rforme intrieure dpend aussi fortement des changements linternational. De fait, le concept de nation-cadre reflte le modle faire passer les capacits avant la durabilit . Un pas important dans cette direction a t fait avec ladoption du concept par lOTAN en tant que ligne directrice gnrale. Le concept de nation-cadre vise accrotre la durabilit dans les cadres multinationaux et maintenir les capacits cls en amliorant la coordination et la planification conjointe de la dfense. Lide centrale est de mettre en place des groupes dtats de petite et grande taille qui coordonneront lengagement des principaux quipements et forces. La nation-cadre assurera la structure militaire dans laquelle les petits pays intgreront leurs contributions nationales spcifiques. Les partenaires potentiels pour lAllemagne se trouvent dans le groupe de Visegrad (Rpublique tchque, Hongrie, Pologne, Slovaquie), la Coopration nordique de dfense (Danemark, Finlande, Norvge, Sude) et le Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg). ce stade, la coopration au sein du Triangle de Weimar (Pologne, Allemagne, France) pour crer un groupe de ce type semble moins probable. Si Weimar reste un format de choix pour une coopration politique, comme le montre lengagement conjoint en Ukraine, il est moins attractif pour une coopration militaire. Un tel groupe pourrait offrir des capacits importantes, mais ne rpondrait pas aux prfrences individuelles de lAllemagne et de la France. Les bureaucraties militaires de ces deux pays ont russi, ces dernires annes, noyer les efforts politiques et neutraliser des initiatives de renouvellement de la coopration multilatrale, comme celle porte dans le cadre du 50 e anniversaire du trait de llyse. Les exemples C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
22 Ifri comme le groupement tactique de Weimar restent des exceptions. De manire gnrale, les formats bilatraux, tels que les relations franco-polonaises ou germano-polonaises, ou des formats multilat- raux comme Visegrad, obtiennent les meilleurs rsultats. Si le concept de nation-cadre constitue, sur le plan militaire, une tentative de rsolution des problmes structurels que rencontrent le million et demi de soldats europens sorganiser et squiper, il soulve, sur le plan politique, la question qui est au cur de ces problmes : quelle dpendance ces pays, et notamment lAllemagne, sont prts accepter pour assurer linteroprabilit, accrotre la durabilit et garantir laccs mutuel aux capacits cls ? Cependant, le concept de nation-cadre ne peut arrter la rduction actuelle des effectifs et organiser la spcialisation des forces armes europennes en raison de la crise budgtaire, que sil est appliqu rapidement et nergiquement. Pour linstant, alors que les armes europennes semblent engages dans une voie sans issue, lAllemagne na pris que quelques mesures prudentes pour le mettre en uvre. De fait, le ministre de la Dfense ne pche pas par ambition : il considre que le concept de nation-cadre est mis en uvre lorsquau moins trois pays cooprent et quune capacit est mise disposition. En outre, bien que le concept implique la cration de cadres multilatraux avec une approche clairement top-down, les plans de mise en uvre actuels ne sont bass que sur une association dcevante dapproches bilatrales et bottom-up : pour montrer la pertinence du projet, lAllemagne souhaite capitaliser sur la coop- ration bilatrale existante, comme lintgration de la brigade aro- mobile nerlandaise dans la structure de commandement allemande. Ni la dfinition de la russite, ni la mise en uvre actuelle nont encore dmontr la faisabilit du concept de nation-cadre en matire de coopration ou de prservation des capacits. Enfin, les rsultats de lAllemagne en matire de coopration de dfense limitent les perspectives dun changement profond. Mme si lAllemagne est rgulirement favorable des plans de coopration universels et inclusifs, elle rencle les mettre en application et les utiliser dans des oprations. Cette rticence est mise en vidence par la longue priode envisage pour la mise en uvre du concept de nation-cadre et par ltat de linitiative europenne de mutualisation et de partage de dcembre 2010 (cadre de Gand), lance dans un C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
23 Ifri document de rflexion de lAllemagne et de la Sude 15 . Ainsi, les engagements refltent trop souvent une prfrence pour des structures institutionnelles, reprsentant lintgration multilatrale, mais ne sont pas soutenus par une volont de mener en donnant lexemple. Limpact de la crise en Ukraine Il nest pas hasardeux de dire que la crise en Ukraine influe sur le processus ou la tentative de changement. Sil est trop tt pour analy- ser limportance des effets de la crise sur la scurit europenne, il est trs probable que lEurope connatra une dcennie de plus grande incertitude en matire de politique de scurit. Les tats-Unis ne pourront pas compenser cette incertitude (par exemple en reloca- lisant leurs forces en Europe). Des mesures visant rassurer les partenaires leur sont rclames dans le monde entier, en raison de limpact global de la crise en Ukraine. Les Europens devront donc se charger eux-mmes dapporter ces garanties pour leur continent. Il sera alors demand lAllemagne den faire plus, non seulement parce quelle est lun des allis les plus puissants, mais aussi parce quelle est encore rpute pour son arme de terre et quelle entretient de bonnes relations avec les pays dEurope orientale. La crise en Ukraine pourrait donc donner un rle pour lAllemagne, dans la prochaine dcennie, que les partenaires de cette dernire soutiendraient certainement : tre la nation-cadre pour lEurope du Nord et de lEst. Cela pourrait conduire un rinves- tissement et un rquilibrage des capacits terrestres concernes et une offre de capacits de soutien et daide plus importantes. Ce rle pourrait galement tre plus acceptable pour lopinion publique allemande : il concernerait des missions de dfense plus classiques, qui rappelleraient davantage lancien narratif de la menace que ne le font les oprations expditionnaires dcries par de nombreux Allemands. Mais il ignorerait probablement les risques existant dans dautres rgions, comme lAfrique.
15 Pooling and Sharing , German-Swedish initiative Food for thought, novembre 2010. C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
24 Ifri Les options pour un changement Le changement pourrait venir de deux axes. En premier lieu, le gouvernement pourrait donner un nouveau tournant la rforme de la dfense lance en 2010, afin dobtenir le soutien rhtorique nces- saire un engagement plus important de lAllemagne au niveau mondial. Ceci en raison malheureusement des difficults actuelles, poses par la crise budgtaire, et des nouvelles incertitudes pour la dfense europenne lies la crise en Ukraine. Labsence dune orientation claire pour aborder ces problmes pourrait crer les conditions dune plus grande incertitude et entraner des volutions plus chaotiques en Europe, que lAllemagne pourrait avoir intrt empcher. Par ailleurs, les sociaux-dmocrates du gouvernement de coalition appellent des changements concernant le stationnement et les acquisitions. En deuxime lieu, la coopration avec les partenaires a dj bnfici dune nouvelle dynamique grce au concept de nation- cadre qui, sil tait mis en uvre, contribuerait sensiblement au partage des tches transatlantiques et reprsenterait pour Berlin une prise de responsabilit en Europe et pour ses partenaires. Mais un changement de cap ne sera durable que sil existe une volont politique den dfinir la nature. La politique actuelle noffre pas de perspectives claires. Cela ne contribue pas donner limpression que lAllemagne est un partenaire fiable pour une coopration long terme. Certains expriment mme leurs craintes que lAllemagne ne prenne la tte du nombre croissant de pays qui ne veulent et ne peuvent offrir leur coopration ( unwilling and unable ).
25 Ifri Industrie de la dfense et politique darmement Ltat de lindustrie de la dfense allemande Sur le plan conomique, lindustrie de la dfense allemande nest pas un acteur majeur. Elle ne gnre que 1 % du PIB, et 20 000 person- nes seulement travaillent dans ce quil est convenu dappeler lindus- trie de la dfense classique (systmes darmes, armes et armes lgres, canons, munitions). Emplois indirects compris, le secteur de la scurit et de la dfense emploie environ 230 000 personnes. La comparaison avec lindustrie automobile, qui gnre 7 % du PIB et emploie 740 000 personnes, montre le vritable impact de lindustrie de la dfense. Par ailleurs, lindustrie de la dfense allemande bnficie dune excellente rputation. Ses points forts sont les systmes darmes terrestres, les navires de combat en zone littorale, les sous-marins et les composants spcialiss, tels que les capteurs, les systmes de contrle de tir, les moteurs et les munitions. La politique industrielle de dfense officielle vise assurer la scurit dapprovisionnement des forces armes en soutenant les entreprises allemandes, tout en encourageant aussi lintgration europenne, ainsi que les changes et les projets transatlantiques. Toutefois, la ralit est lgrement diffrente : lAllemagne est confronte une baisse croissante de la scurit dapprovi- sionnement et ne bnficie pas de laccs des fournisseurs nationaux ou internationaux pouvant grer une architecture de systme de systmes, capable dintgrer et dexploiter plusieurs plateformes et capteurs de services de scurit pour obtenir une vision et une efficacit densemble. Cette situation critique est due au fait que la politique industrielle de dfense allemande fonctionne de facto comme une plateforme de soutien des entreprises indivi- duelles, et nassure pas lexistence dune architecture industrielle qui permettrait Berlin de jouer un vrai rle en matire de dfense internationale. Limportance politique de lindustrie sillustre par le nombre demplois quelle gnre au niveau local et rgional, et la conviction C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
26 Ifri que le secteur contribue par son savoir-faire de pointe lensemble de lconomie. Or, en dehors des personnes qui en bnficient directement, lindustrie de la dfense se heurte la mfiance de la population ; ses activits dexportation font rgulirement scandale dans les mdias. Si les milieux politiques et industriels saccordent dire que plus dEurope serait en principe souhaitable dans lindustrie de la dfense, lAllemagne sest abstenue, comme tous les autres tats membres de lUnion, utiliser les instruments de lUE disponibles, notamment ceux qui permettraient une plus grande concurrence transfrontalire en Europe, avec ses effets positifs : une meilleure qualit ou des prix plus bas. Le foss entre industrie et politique impose le changement Les dfis actuels sont lis llargissement du foss entre, dune part, la globalisation croissante de lindustrie de dfense et des marchs, sur lesquels les entreprises allemandes sont de plus en plus prsentes, et dautre part, une politique intrieure qui dirige et soutient lindustrie nationale pour des raisons industrielles et structu- relles. Dans un contexte o lindustrie doit se prparer un ventuel changement majeur, la dgradation des perspectives commerciales en Europe obligera les entreprises se tourner vers dautres territoires ou vers les marchs civils. Le gouvernement nest pas prt rpondre au risque croissant que ces volutions entranent pour ses fournisseurs. Mme si les partis de la coalition ont introduit le terme de capacits industrielles cls dans leur accord gouvernemental, ils nont pas une dfinition prcise de ces capacits et nont pas non plus une ide claire des capacits industrielles qui sont aujourdhui disponibles et qui le seront dans vingt ans, compte tenu des volutions en cours. Au lieu de lancer un dbat sur la question, lindustrie et le gouvernement travaillent au maintien du statu quo. Tandis que le gouvernement ne semble pas press de traiter le problme de lcart croissant et coteux entre les souhaits politiques et la ralit industrielle, il est de plus en plus contraint de rsoudre les dysfonctionnements qui en rsultent dans les acquisi- tions et les exportations. Ces deux champs daction ont t utiliss, dans les dernires dcennies, par les gouvernements allemands pour compenser les multiples dfaillances dune industrie de la dfense rsolument nationale. Une pratique dont ils ont aujourdhui subir les consquences. C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
27 Ifri Lexamen du processus dacquisition Depuis le printemps 2014, le gouvernement a repris lexamen des quinze principaux projets dacquisition que ses prdcesseurs avaient lancs (Eurofighter, A400M). En effet, pendant des annes, le ministre de la Dfense a systmatiquement sous-estim les risques financiers et la complexit de ces projets. Les changements succes- sifs dans les procdures dacquisition, dont le dernier a t adopt en 2011, nont pas permis au ministre de contrler efficacement ses projets ou de bien conseiller ses ministres et de les protger contre des consquences potentiellement nfastes. Le fiasco de lacquisition du drone de surveillance stratgique EuroHawk en 2013 nest que lexemple le plus marquant de ces problmes, qui ont failli contraindre le ministre de la Dfense de lpoque, Thomas de Maizire, dmissionner. Cest ce que U. von der Leyen cherche viter avec lexamen actuel, galement destin dfinir les risques financiers et politiques relatifs aux projets en cours. Les rsultats devraient tre remis dici la fin 2014. Mais ils sont faciles imaginer : les quinze projets sont mal grs, avec des contrats mal ngocis, dont les dlais et les budgets sont dj dpasss, et ne sont pas la hauteur des attentes en termes de capacit. Sur le long terme, les consquences qui pourraient dcouler de ces rsultats seront intressantes observer. Elles sorientent dans deux directions. Une premire solution, purement technique, consisterait pour la ministre accrotre lindpendance de lagence dacquisition (Bundesamt fr Ausrstung, Informationstechnik und Nutzung der Bundeswehr). Cette dmarche lui permettrait de prendre ses distances par rapport cet organisme (et ses difficults), tout en rduisant lingrence de la politique dans les processus dachat, considre comme la source des problmes en la matire. Cependant, une solution purement nationale serait par dfinition limite et partielle, tant donn que les projets dacquisition ont, dans la majorit des cas, une dimension internationale. Une deuxime solution consisterait donc organiser et coordonner les changements aux niveaux national et international pour effectuer une remise plat des conditions rgissant la coopration et lacquisition linternational. Mais cette solution napporte pas les effets court terme (que le ministre pourrait rechercher), notamment parce quil existe trs peu de projets en cours sur lesquels les nouvelles rgles pourraient montrer leur efficacit. En outre, le risque dchec reste lev, car les autres gouvernements confronts des problmes similaires prfreront C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
28 Ifri peut-tre ne pas sengager sur ces questions pineuses. Le changement pourrait donc tre limit des dtails techniques et serait alors inefficace. Les exportations de dfense Lindustrie de la dfense allemande enregistre actuellement 70 % de son chiffre daffaires ltranger et dpend donc fortement des exportations pour sa survie. Si les destinataires traditionnels en Europe reprsentent encore la moiti de ces ventes, les exportations suivent lorientation gnrale vers les marchs non europens. Cependant, les entreprises allemandes sont en retard par rapport leurs concurrentes europennes, qui exportent dj la majorit de leur quipement en dehors de lUE. La politique dexportation de dfense allemande est tiraille entre la volont du gouvernement de soutenir lindustrie par les exportations et lopinion ngative de la population sur ces exportations. Ce phnomne se reflte dans les pratiques actuelles : les Directives politiques sur les exportations de dfense de 2000, contraignantes sur le plan politique, mais non sur le plan juridique, limitent fortement les exportations darmement en avanant des arguments normatifs solides. Or, depuis le dbut des annes 2000, la pratique est toujours alle dans le sens contraire : le gouvernement a donn un soutien informel et a rgulirement utilis la possibilit dune autorisation exceptionnelle pour soutenir les exportations, mme vers des clients douteux. Cependant, avec lorientation des exportations allemandes vers des destinataires plus douteux (Arabie saoudite, Algrie, Indonsie, pour nen citer que quelques-uns), la politique permissive du gouvernement en matire dexportations fait lobjet de critiques de plus en plus nombreuses de la part de lopinion publique. Les possibilits de changement dans ce domaine seront dtermines par la tension entre les positions du ministre de lconomie, charg des autorisations dexportation, et la chancellerie fdrale, qui de facto a toujours le dernier mot. Angela Merkel a ragi en redfinissant les exportations comme un lment essentiel pour soutenir les partenaires stratgi- ques de lAllemagne, ce qui, par consquent, contribue leur lgitimation. Ces ides sont inscrites dans linitiative Enhance and Enable (voir plus haut), qui dfinit notamment la fourniture dquipements comme un moyen de renforcer la capacit des partenaires rgionaux assurer leur propre scurit. Cependant, les premires dcisions que le membre du nouveau gouvernement C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
29 Ifri charg de ce dossier, le ministre de lconomie, Sigmar Gabriel, alli SPD de Mme Merkel au sein du gouvernement de coalition, semble annoncer un changement : il a suspendu de nombreuses exporta- tions et exprim le souhait de poursuivre ce changement de politique. Le fait quil ait galement mis un coup darrt lexportation de technologies de scurit pourrait tre le signe dun rel changement de politique. En effet, ces exportations nont pas fait lobjet dun dbat public, alors quelles constituaient une vritable menace pour les valeurs portes par les Directives politiques sur les exportations de dfense , tablies en lan 2000.
30 Ifri La politique de dfense allemande : un changement durable ? Il est actuellement trop tt pour juger le gouvernement et dterminer si le changement de politique annonc Munich a t effectivement mis en uvre. Toutefois, une analyse de la politique de dfense allemande ne doit pas ignorer les dbuts timides, mais encoura- geants, qui peuvent dj tre observs. Certains membres cls du gouvernement ont appel un engagement plus important dans la politique internationale. Sils ont clairement annonc une rupture par rapport lapproche traditionnelle de retenue sur le plan militaire, ils doivent nanmoins prciser ce quun engagement plus important suppose dans les diffrents champs de laction publique. Ce mes- sage doit se traduire par une politique concrte. Cela commence tre le cas dans des domaines comme les capacits (avec le concept de nation-cadre), mais il nexiste pas encore dintgration cohrente dans les autres domaines. En tout tat de cause, un changement va se produire la suite dvolutions extrieures, lies notamment lOTAN ou lindustrie de la dfense. La question est de savoir si le gouvernement souhaite lorienter dans la direction annonce Munich. Les changements ne soprent pas du jour au lendemain. LAllemagne ne prendra pas, en un seul cycle lectoral, un rle de leader dans la politique de dfense. Nanmoins, les conditions dun changement sont bien prsentes. Concrtement, pour agir sur ces conditions, il faudra une volont politique de prendre des positions ventuellement inconfortables, qui pourraient tre contestes lintrieur, mais aussi dlaborer de nouveaux concepts, de lancer des initiatives et de les mettre en uvre. Soutenir ce processus sera un vritable challenge pour les partenaires de lAllemagne. Berlin doit aujourdhui transformer ce changement timide en une politique durable. Cela dpendra de linteraction de quatre facteurs. Le premier sera le soutien du niveau politique le plus lev en Allemagne, cest--dire de la chancelire. Jusqu prsent, A. Merkel ne sest pas ouvertement prononce, et na pas explicitement donn son aval cette nouvelle approche, mme sil est clair quaucun de ses ministres naurait prsent une nouvelle C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
31 Ifri politique contraire ses ides. Sa faon habituelle de laisser se drouler le dbat sans intervenir lui permet de voir comment volue la situation et dannoncer sa position si elle se droule mal (pour prendre ses distances) ou bien (pour sen attribuer le mrite). Le deuxime facteur sera le soutien ncessaire de lopinion publique, notamment en Allemagne, o un renforcement des respon- sabilits est souvent interprt tort comme du militarisme, portant ainsi la polmique au cur des proccupations allemandes. Un plus grand engagement augmenterait la vulnrabilit du gouvernement, car il pourrait impliquer des dcisions inconfortables. Ce dernier devra justifier ses dcisions en matire de politique de scurit, et expliquer clairement pourquoi les questions de dfense sont impor- tantes et quelles consquences elles peuvent avoir sur la population. Troisime facteur, les ractions des partenaires de lAllemagne notamment au sein de lUE et de lOTAN seront dtermi- nantes. La nouvelle approche de Berlin rpond partiellement aux appels un plus grand rle de lAllemagne, adresss par ses parte- naires ces dernires annes. Si le gouvernement et les citoyens allemands avaient le sentiment que lengagement de leur pays est apprci, il leur serait plus facile daccepter des efforts supplmen- taires. Le rle de M. Steinmeier dans la crise en Ukraine, qui peut tre considr comme un exemple des nouvelles responsabilits de Berlin, lui a valu jusqu prsent un plus grand respect en Allemagne et linternational. Toutefois, ce rle a t essentiellement diploma- tique. Les ractions aux sanctions de lUE lencontre de la Russie ont donn des indications intressantes sur lopinion publique allemande. Celle-ci a exprim son dsaccord avec lutilisation de sanctions pour dfendre les valeurs de la politique trangre allemande, en partie en raison des craintes de reprsailles. Cette position a contribu largir le foss entre les attentes des partenaires de lAllemagne en termes dengagement (cest--dire un engagement fort) et les souhaits des citoyens allemands en termes de soutien (cest--dire un soutien beaucoup plus faible). Elle a ainsi limit la marge de manuvre du gouvernement. Quatrime et dernier facteur, lvolution de la crise en Ukraine influera sur le soutien de la population et donc sur la volont du gouvernement dentreprendre un changement. La crise est un test grandeur nature pour cette nouvelle politique trangre. Berlin peut contribuer sensiblement un rglement pacifique, et si lopinion publique apprcie sa juste valeur lapproche du gouvernement et le rle de lAllemagne, les conditions pourraient tre runies pour une attitude plus favorable un engagement global plus important. Mais nous en sommes encore loin : il existe actuellement un cart C. Major, C. Mlling / La politique de dfense allemande
32 Ifri considrable entre la position plutt critique du gouvernement vis-- vis de la Russie et la position plutt comprhensive dune majorit de la population lgard de la politique russe. Ces dissensions internes risquent de renforcer lide que les lites politiques ont perdu le contact avec les citoyens. Il est trop tt pour dire quel type de politique trangre et de scurit la Grande coalition pourra mettre en uvre pendant son mandat. Mais il est vident quune occasion soffre lAllemagne de jouer un plus grand rle sur la scne internationale.
33 Ifri Notes du Cerfa Publie depuis 2003 un rythme mensuel, cette collection est consacre lanalyse de lvolution politique, conomique et sociale de lAllemagne contemporaine : politique trangre, politique int- rieure, politique conomique et questions de socit. Les Notes du Cerfa sont des textes concis, caractre scientifique et de nature policy oriented. linstar des Visions franco-allemandes , les Notes du Cerfa sont accessibles sur le site Internet du Cerfa, o elles peuvent tre consultes et tlcharges gratuitement. Dernires publications du Cerfa Ren Lasserre, La formation professionnelle en Allemagne. Dynamiques socio-conomiques et capacits dadaptation dun systme, Note du Cerfa , n 112, mai 2014. Christoph Partsch, Les relations germano-algriennes. Une relance par la coopration nergtique ?, Note du Cerfa , n 111, avril 2014. Marwan Abou-Taam, Le salafisme en Allemagne : Un dfi pour la dmocratie, Note du Cerfa , n 110, mars 2014. Dominik Tolksdorf, UE, Russie et Partenariat oriental : quelles dynamiques sous le nouveau gouvernement allemand ?, Note du Cerfa , n 109, fvrier 2014. Patrick Allard, De lAllemagne et de son conomie, Note du Cerfa , n 108, janvier 2014.
34 Ifri Le Cerfa Le Comit dtudes des relations franco-allemandes (Cerfa) a t cr en 1954 par un accord gouvernemental entre la Rpublique fdrale dAllemagne et la France. Le Cerfa bnficie dun finance- ment paritaire assur par le ministre des Affaires trangres et euro- pennes et lAuswrtiges Amt ; son conseil de direction est constitu dun nombre gal de personnalits franaises et allemandes. Le Cerfa a pour mission danalyser les principes, les conditions et ltat des relations franco-allemandes sur le plan politi- que, conomique et international ; de mettre en lumire les questions et les problmes concrets que posent ces relations lchelle gouver- nementale ; de trouver et de prsenter des propositions et des sug- gestions pratiques pour approfondir et harmoniser les relations entre les deux pays. Cette mission se traduit par lorganisation rgulire de rencontres et de sminaires runissant hauts fonctionnaires, experts et journalistes, ainsi que par des travaux de recherche mens dans des domaines dintrt commun. Hans Stark assure le secrtariat gnral du Cerfa depuis 1991. Yann-Sven Rittelmeyer est chercheur au Cerfa et responsable de la publication des Notes du Cerfa et des Visions franco- allemandes . Nele Wissmann est charge de mission dans le cadre du projet Dialogue davenir . Lea Metke est coordinatrice de projets au sein du Cerfa.
Le Trafic de Faux Médicaments en Afrique de L'ouest: Filières D'approvisionnement Et Réseaux de Distribution (Nigeria, Bénin, Togo, Ghana) - Par Camille Niaufre.