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« Ce n'est pas à l'habit qu'il porte qu'on reconnaît

l'homme sage, mais à ses œuvres. »[i]


Préparé par Hugues Mercusot
ENAP - ENP7505 - Principes et Enjeux de l’Administration Publique
Cours du lundi Soir – Session hiver 2009
Blogue n°2

Une hirondelle ne fait pas le printemps


Avec le retour proche du printemps, viendra également le retour en
masse des oiseaux migrateurs. Et avec ces derniers va de nouveau
s’installer la psychose médiatique liée à la « grippe aviaire ».
D'ailleurs, le quotidien gratuit Metro a commencé à y faire référence
dans sa publication du 26 février 2009 en comptabilisant déjà la
deuxième victime humaine de 2009[ii].

Du même coup, croisant de temps en temps du personnel hospitalier


dans les transports en commun portant leur tenue d’infirmier ou
d’infirmière, je me demande pourquoi il n’existe pas de règlementation
à ce sujet au Québec.

Des évènements récents comme les infections nosocomiales liées à la


Clostridium difficile ou le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère)
nous rappellent pourtant que malgré notre connaissance technologique
avancée, nous restons des êtres fragiles, et ce d’autant plus que les
moyens de transport modernes semblent avoir réduit les distances et
la taille de notre planète… Que serait de nos jours l’équivalent de la
grippe de Hong-Kong de 1968?[iii] Cette troisième pandémie grippale
du XXe siècle avait fait environ un million de morts, dont 50 000 aux
États-Unis, en trois mois!
Prises de position
L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) est bien sûr au
fait de ceci et « dans un souci de protéger le public et de promouvoir
une image conciliable avec l’exercice de la profession d’infirmière » il a
publié une prise de position sur la tenue vestimentaire des
infirmières[iv]. L’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du
Québec (OIIAQ) a fait la même chose la même année[v]. En s'appuyant
sur les résultats d'un comité de travail[vi] ces documents préconisent
tous les deux de façon très claire que l’uniforme ou le sarrau ne doit
être porté que pendant les heures de travail et à l’endroit d’exercice.
De plus, les deux Ordres comptent sur la collaboration des
établissements de santé et d’enseignement afin d’élaborer des
directives ou politiques internes concernant la tenue vestimentaire
appropriée à l’intention de leurs professionnels. L’OIIQ allant même
jusqu’à recommander également la mise en œuvre de mécanismes de
contrôle du respect de ces éventuels règlements internes.

Toutefois, même si des scientifiques comme Geneviève Marchand


ayant participé au comité de travail s'inquiètent « de savoir que des
bactéries pathogènes transmissibles à l'être humain peuvent se
retrouver dans une épicerie ou dans une garderie »[vii]; on comprend
bien vite que ces initiatives font plus appel à un processus de
recommandation déontologique de l’exercice d’une profession qu’elles
n’ont de réelles valeurs règlementaires. Il faut rappeler que la
principale fonction de l’OIIQ est d’assurer la protection du public par la
surveillance de l’exercice de la profession infirmière. Elle a également
pour mandat de promouvoir une pratique infirmière de qualité et de
contribuer au maintien des compétences des infirmières.
Et en administration publique on sait également qu’une loi ou un
règlement n’a réellement de valeur dans les faits qu’à partir du
moment où est mis en place un processus de vérification de son
application. Alors là que nous ne parlons que de recommandations ou
de prises de position, nous en sommes très loin. C’est là que l’on
comprend que la loi et l’éthique demeurent distinctes.

Pourtant, certains établissements hospitaliers jouent le jeu[viii] (comme


l’Hôtel Dieu de Montréal qui fournit les uniformes à son personnel et
les lave), mais cela reste à l’initiative des établissements. Visiblement
il n'y a toujours aucune volonté politique ministérielle d’imposer ce qui
semble reconnu par tous les professionnels de la santé comme un
élément de base à la dispensation de soins de qualité en toute sécurité
pour les patients. Voire même que l’on pourrait déceler une
incompréhension (volontaire ?) lorsque l’on se voit répondre, en 2007,
par une porte-parole du ministre de la Santé, Geneviève Villemure-
Denispar un laconique : «Le code vestimentaire appartient aux
établissements de santé. On n'interviendra pas»[ix]. Il ne s’agit pas là
du simple « code vestimentaire » comme on parlerait d’un uniforme
scolaire. Plus alarmant est même la négation de l’avis des spécialistes
de l’Ordre (que l’on pourrait assimiler pour l’heure, et sans être
péjoratif, aux technocrates de l’administration publique pour ce sujet)
lorsque cette même porte parole rajoute : «Le vêtement n'est pas un
vecteur de bactéries» [x] !

Et ailleurs ?
Des pays européens ont déjà légiféré sur l’utilisation de l’uniforme des
personnels de santé afin justement de limiter la propagation éventuelle
de bactéries ou autres souches non seulement à l’intérieur des
institutions de santé entre des patients déjà affaiblis, mais surtout
depuis l’intérieur des établissements vers le monde extérieur. En
France « La tenue professionnelle est portée exclusivement dans
l'enceinte de l'établissement par toute personne effectuant ou
observant des soins [...] en Belgique l'employeur est tenu de fournir
gratuitement un vêtement de travail à ses travailleurs et il est interdit
d'emporter le vêtement de travail au domicile. » [xi]

Ne peut-on pas considérer que la santé publique, qui est de la


responsabilité provinciale dans notre pays, mérite que l’État, premier
palier gouvernemental, doive s’intéresser à la question? Il serait le plus
à même de mettre en œuvre une politique homogène ainsi que la
structure administrative nécessaire à son respect.

Les enjeux
La Charte des droits et libertés étant enchâssée dans la Constitution
canadienne, il serait difficilement acceptable de continuer plus loin
dans la façon d’imposer aux personnes ce qu’elles doivent ou ne
doivent pas faire avec un uniforme qu’elles ont payé de leurs propres
deniers. C’est pourquoi un décret imposant que ces uniformes soient
fournis par les établissements permettrait de transformer une prise de
position déontologique d’un Ordre en quelque chose d’applicable dans
les faits.

Il est évident qu’une telle règlementation aurait un impact certain sur


les établissements en termes, pas seulement de gestion des
vêtements, mais aussi en termes de locaux. En effet, il faut avoir autre
chose que des vestiaires souvent vétustes en sous-sol pour que les
professionnels n’aient pas l’impression de sacrifier le respect et la
reconnaissance, qui leurs sont tout juste reconnus par exemple au
travers de la loi 90, sur l’autel de la déontologie professionnelle. Il y
aurait également un impact sur les conventions collectives et
l’aménagement du temps de travail (cela peut prendre du temps de se
rendre au vestiaire et de se changer).

Néanmoins, la mise en œuvre d’une telle règlementation permettrait


au système législatif d’être pour partie en accord avec le Code de
déontologie de l’association des infirmières et infirmiers du Canada
(AIIC) et aiderait les infirmièr(e)s à mieux veiller à l’éthique de leur
pratique[xii].

La création de deux méga hôpitaux sur Montréal n’est-elle pas le


moment opportun pour discuter d’une règlementation associée au port
de l’uniforme pour le personnel de santé en contact avec les usagers ?
On ancrerait encore plus l’image ultramoderne que l’on veut donner du
Québec au travers de ces deux projets en lui associant également une
règlementation provinciale qui lui allierait le principe de précaution
auquel on s'attend de tout État responsable en termes de santé
publique?

Et que l’on ne vienne pas me dire que les casiers ou vestiaires vont
être manquants. Pour avoir participé (modestement[xiii]) à
l’élaboration du Programme fonctionnel et technique du CUSM en
2006, je peux vous assurer qu’il y en a un nombre incroyable!

[i] Proverbe malinké


[ii]Metro Montréal - Deuxième victime de la grippe aviaire en un mois au Vietnam -26
/02/2009 -http://www.journalmetro.com/Monde/article/188425
[iii]Influenza-H5N1.org - C'était hier, l'épidémie de grippe dite de Hong Kong de 1968
-9 décembre 2005 - : http://www.influenza-h5n1.org/article-1361349.html...
[iv]Ordre des infirmières et infirmiers du Québec – 2006 - Prise de position sur la
tenue vestimentaire des infirmières -
http://www.oiiq.org/uploads/publications/autres_publicati...
[v]Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec – 2006 – Tenue
vestimentaire des infirmières et infirmiers auxiliaires -
http://www.oiiaq.org/publication/tenu-vestimentaire/Multi...
[vi] Le Journal de Montréal –«Les bactéries peuvent survivre sur les vêtements » -
Geneviève Marchand, microbiologiste – Michel Larose - 03/07/2007 :
http://www.canoe.com/infos/quebeccanada/archives/2007/07/...
[vii]Ibid
[viii]Le Devoir - Infirmières - Recrutement réussi – Réginald Harvey – 11 et 12
novembre 2006 - http://www.ledevoir.com/2006/11/11/122406.html
[ix]Le Journal de Montréal – Que les uniformes restent à l'hôpital - Michel Larose -
03/07/2007 : http://www.canoe.com/infos/quebeccanada/archives/2007/07/...
[x] Ibid
[xi]Le Journal de Montréal – Dans les hôpitaux français, on prend l'hygiène au sérieux
– Michel Larose - 03/07/2007 :
http://www.canoe.com/infos/quebeccanada/archives/2007/07/...
[xii]Code déontologique des infirmières et infirmiers – Association des infirmières et
infirmiers du Canada – 2008 – p. 4 - http://www.cna-
aiic.ca/CNA/documents/pdf/publications/Cod...
[xiii]PROJET DE REDÉPLOIEMENT DU CUSM – PFT – Vol. 1 – Mise en situation – page 9 -
http://www.muhc.ca/files/construction/Vol1_1_mise_en_situ...

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clostridium, sras, oiiq

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