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MICROFINANCE
La classe d’actifs
anti-pauvreté!
Genève accueillera les 1er et 2 octobre prochains, un important symposium international
dédié à la microfinance. Intitulée «Building Fair Financial Markets for All», cette rencontre
regroupera quelques-uns des acteurs les plus en vue du secteur avec, en vedette,
Muhammad Yunus, Prix Nobel de la paix pour ses activités de pionnier en matière de micro-
finance. Banque & Finance a rencontré les organisateurs de ce symposium, Jean Zwahlen et
Melchior de Muralt, respectivement président et trésorier du World Microfinance Forum
Geneva. Interview.
thèses. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas Prix Nobel 2006 a été accordé à Muhammad
manquer d’observer la demande mondiale. Yunus, fondateur de la Grameen Bank, pro-
Il y a environ 1,5 milliard de personnes qui moteur et théoricien de la microfinance.
ont des besoins de capitaux pour lancer Nous aurons d’ailleurs le privilège de l’ac-
leur micro-activité. Sur ces 1,5 milliard, cueillir à Genève en octobre prochain lors
environ 150 millions seulement sont servis de notre symposium. Il s’exprimera notam-
par la microfinance, soit 10% du marché. Il ment sur le futur de la microfinance.
ne faut pas se leurrer, il n’y aura jamais M.D.M.: Le développement de la microfi-
assez de fonds publics et d’organisations nance a un autre intérêt. Elle touche une
caritatives pour servir cette demande. La population qui n’a pas toujours une exis-
question n’est donc pas tant de savoir si la tence administrative très élaborée. La
microfinance est néolibérale ou pas. La microfinance parvient à pénétrer ce monde
question est de savoir comment on peut informel et elle peut faire office de canaux
faire travailler ensemble les acteurs publics de distribution pour d’autres produits:
et privés pour donner un accès, notamment santé, éducation, etc.
aux financements, à tous ceux qui en ont
besoin. La Banque Mondiale est tout à fait B&F: On reproche à la microfinance des
«Evitons les querelles de
dans cette ligne. Les fonds publics peuvent taux d’intérêts pas toujours très éthiques. chapelles entre la microfi-
être destinés à prendre en charge une partie Quel est leur niveau moyen?
du risque pour permettre aux fonds de M.D.M.: Impossible de le dire tant les taux
nance à vocation charitable
pension, aux fonds de placement ou fonds varient en fonction des pays et des régions. et une microfinance plus
souverains de s’engager avec un risque Ils sont effectivement plus élevés que ceux
moindre. Cette question sur la façon de tra- pratiqués dans les pays développés mais
financière. L’objectif de
vailler ensemble est un des axes du forum. sans commune mesure avec ceux pratiqués chacun, avec des moyens
J.Z.: Il ne faut pas faire de querelles de cha- par les usuriers locaux. J’ai entendu parler
pelles entre la microfinance traditionnelle, de taux pouvant aller jusqu’à 1000% chez
différents, est d’arriver à
plutôt locale et à vocation charitable et une eux. Dans les institutions commerciales, il une réduction de la
microfinance plus financière. Au final, l’ob- faut bien comprendre que les taux prati-
jectif de chacun, avec des moyens diffé- qués sont fonction des coûts. Plus une insti-
pauvreté»
rents, est d’arriver à une réduction de la tution descend dans les zones rurales, plus JEAN ZWAHLEN
pauvreté. les coûts, donc les taux, vont être élevés. Le
fait que les institutions de microfinance
B&F: Et ça marche? soient peu nombreuses ne favorise pas la
J.Z.: Les retours d’expérience montrent que baisse des taux. Avec le développement des ne faut pas oublier qu’initialement les frais
ce sont les femmes qui sont les principales nouvelles technologies et la concurrence, de fonctionnement de ces institutions sont
bénéficiaires des prêts accordés par les ins- les taux vont baisser. C’est déjà le cas dans élevés.
titutions de microfinance. Tous les profes- des Pays comme l’Inde ou la Bolivie.
sionnels peuvent vous raconter les success J.Z.: Il faut aussi préciser que les taux B&F: La crise financière actuelle est née
stories locales nées de l’obtention d’un peuvent baisser en fonction de l’emprun- suite à des prêts octroyés à des personnes
microcrédit. N’oublions pas enfin que le teur à l’occasion d’un deuxième prêt mais il peu solvables, y a-t-il un risque type sub-
primes avec le microcrédit?
M.D.M.: C’est déjà arrivé. La Bolivie a connu
Jean Zwahlen, l’expérience une crise de surendettement à la fin des
années 90, notamment suite à l’arrivée de
Après une première partie de carrière diplomatique bien
remplie couronnée par une nomination au poste d’Ambas- sociétés de leasing qui ont repris des
sadeur de Suisse auprès de l’OCDE à Paris, Jean Zwahlen fichiers de microfinance.
intègre le directoire de la Banque nationale suisse en 1987 J.Z.: C’est la raison pour laquelle, il va
pour y conduire la politique monétaire, les devises et le trafic falloir envisager de mettre en place des
des paiements. A l’heure où l’on prend sa retraite, Jean organes de supervision. Le type de supervi-
Zwahlen entame une nouvelle carrière en intégrant l’Union sion n’est pas encore défini mais les idées
Bancaire Privée en tant que vice-président, un poste qu’il a commencent à émerger. Peut-être peut-on
assuré jusqu’à son 75e anniversaire en 2006. Toujours en activité dans la banque genevoise, il s’inspirer des 25 principes du Comité de
est aujourd’hui encore Senior Advisor pour l’Asie. Au cours de sa carrière, il a été également Bâle mais dans une version très allégée car
vice-président de BNP Paribas (Suisse) SA, membre du Conseil d’administration de la Lavoro
ce serait trop cher et trop lourd à gérer
Bank AG (Zurich) ou encore président de la Fondation Louis-Jeantet de Médecine. Il a récem-
administrativement. Il faut un type de sur-
ment accepté de mettre sa grande expérience bancaire et diplomatique au service du World
Microfinance Forum Geneva dont il a été nommé président. ■ veillance adapté aux métiers de la microfi-
nance, peut-être gradué en fonction du
B&F: Vous parlez pourtant de pénurie M.D.M.: De mon point de vue d’investisseur,
d’offre en microfinance à l’échelle mondiale, je suis convaincu que le phénomène de la
comment y faire face? microfinance, qui connaît des taux de crois-
M.D.M.: Il est nécessaire d’attirer des capi- sance importants actuellement, marque les
taux supplémentaires dans cette activité. prémices d’énormes réseaux de retail
Les grands fonds de pensions européens banking dans les pays concernés. Nous
notamment commencent à s’intéresser à la assistons à la naissance d’institutions un
microfinance. D’ailleurs, quelques-uns des peu à l’image des Raiffeisen en Suisse ou du
plus importants d’entre eux seront présents Crédit Agricole en France. Il va y avoir des
à notre symposium. A terme, je rêve de voir entrées en Bourse. Il y en a déjà eu et elles
arriver les fonds souverains sur le marché. vont se multiplier. Il faut suivre cela avec
Techniquement, il y a un certain nombre de des yeux d’investisseur.
solutions et d’outils qui peuvent permettre
de répondre à cette demande mondiale B&F: Vos yeux d’investisseurs portent quel
comme, par exemple, la finance structurée regard sur les fonds de microfinance?
avec différentes classes de risque avec les M.D.M.: La microfinance reste un petit
plus gros risques pris par les banques de marché avec une cinquantaine de fonds
«Il est nécessaire d’attirer développement. Il y a plusieurs expériences environ dans le monde. La plupart font de la
de ce type qui ont été initiées en Suisse avec dette à court terme en dollar. C’est une fron-
des capitaux supplémen- BlueOrchard et Symbiotics où les tranches tière que l’industrie devra franchir, beau-
taires dans la microfinance à risques sont prises par les banques de coup s’y emploient. Sinon, les rendements
développement; ce qui est un très judicieux sont de l’ordre de Libor + 150 à 250 en
pour répondre aux besoins emploi de l’argent du contribuable. moyenne. Il existe aussi la possibilité d’in-
des populations qui en J.Z.: Ce qui est très intéressant avec tout vestir dans de la dette subordonnée qui a
cela, c’est que le métier se développe. Le des rendements plus importants. Certains
ont besoin» nombre de produits proposés aux popula- fonds de private equity viennent de se
MELCHIOR DE MURALT tions demandeuses s’accroît. Certaines ins- monter. Le grand enjeu, c’est la monnaie
titutions locales mènent des activités de locale. Blue Orchard a, par exemple, l’ambi-
dépôt et deviennent quasiment des tion de s’installer sur des marchés locaux
banques. Ces activités de dépôts débou- pour toucher de l’épargne locale. C’est, à
risque encouru. On n’y échappera pas. Si les chent logiquement sur l’assurance. Le mon sens, l’un des principaux enjeux. Ce
métiers se développent dans les perspec- champ de la microfinance est en train de forum est un luxe pour les fonds de pension
tives que nous évoquions tout à l’heure, il s’élargir considérablement. Il faut saisir qui pourront, sur deux jours, se faire une
est évident que l’on doit mettre à l’abri les cette opportunité d’une manière non-idéo- idée précise de l’offre en matière de microfi-
épargnants et les emprunteurs. Car en cas logique. C’est ce que nous essayerons de nance et d’opportunités d’investissement
de problème, les populations n’ont pas de faire à l’occasion du forum. dans ce domaine. ■
moyens de se retourner et leur situation O.V.
deviendrait encore bien pire. Nous devons B&F: Nous assistons donc à l’émergence
avancer rapidement dans la régulation de la d’un nouveau pôle important de l’industrie
microfinance pour éviter une crise type sub- financière…
primes.