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Quatrième approche thématique :

LES DISPOSITIFS D’ECOUTE ET LA COMMUNICATION


AUTOUR DU SUICIDE EN BRETAGNE

En Bretagne, le suicide n’est pas une fatalité

CONFERENCE DE CONSENSUS :
Comprendre ensemble pour agir
Première partie : Débats de la séance publique

Au-delà des dispositifs de prévention existants qui auront pu être approchés lors des
débats précédents, la question de l’écoute individuelle des populations confrontées au
risque suicidaire, mais également celle de l’information et de la sensibilisation de la
population bretonne dans son ensemble constituent un élément central de la politique de
prévention du suicide en Bretagne.

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1 INTERVENTION DE MONSIEUR MICHEL ABSIL, PSYCHOTHERAPEUTE AU
CENTRE DE PREVENTION DU SUICIDE A BRUXELLES

Questions posées par le comité de pilotage :

 Quelle est la pertinence des dispositifs d’écoute téléphonique dans le cadre de la


prévention du suicide ?
 Quelles sont les conditions associées à l’efficacité des dispositifs d’écoute ?
(organisation du réseau, formation à l’écoute)
 Quelles sont les prises en charge après le repérage d’un risque de suicide avéré ?
 Quelles sont les limites actuelles des dispositifs d’écoute ? Comment les améliorer ?
 Quels acteurs mobiliser dans le cadre du repérage du risque suicidaire ?
 Jusqu’où aller en matière de repérage et d’écoute ?

1.1 A PROPOS DE LA POSITION D’EXPERT

On peut connaître une série de choses sur le suicide qui laisserait penser que l’on possède une
certaine expertise sur le sujet. Mais cette éventuelle expertise ne nous sera d’aucune utilité
pour résoudre les problèmes d’une personne qui appelle.

Les bénévoles qui répondent au Centre de prévention du suicide ne sont donc pas investis
d’un pouvoir ou d’un savoir sur l’autre. La personne en souffrance n’est pas sans capacités.
Elle est compétente pour son problème et peut être active pour le résoudre. Les répondants
sont là pour soutenir cette capacité chez les appelants. Il ne s’agira donc pas de donner des
conseils ou des directives, ou encore d’essayer de résoudre les problèmes des appelants. Il ne
s’agira pas non plus d’adopter une position pédagogique qui dispenserait l’appelant de penser
par lui-même et de faire ses choix propres.

Bien souvent, le conseil est infantilisant ou condescendant et fait généralement plus de bien à
celui qui le donne qu’à celui qui le reçoit. Orienter, guider, encourager, raisonner sont des
attitudes qui maintiennent l’appelant dans une position de dépendance, voire de soumission.
Considérer l’appelant comme quelqu’un à convaincre à coups d’arguments (par exemple que
la vie vaut d’être vécue), c’est faire l’impasse sur ce qu’il est en train de vivre et c’est surtout
ne pas pouvoir écouter sa souffrance.

L’important, c’est l’expérience relationnelle qui sera vécue par l’appelant au téléphone et
donc la qualité du contact que celui-ci trouvera. L’important dans ce contact sera de
reconnaître le vécu de l’appelant, de l’écouter là ou il est, en l’accompagnant dans son
cheminement, sans vouloir le bombarder avec nos idées, nos valeurs ou nos « bons
conseils ».En se sentant entendue et reconnue, la personne suicidaire peut entrer en contact
avec ce qu’elle ressent. Ce qui peut parfois permettre qu’un projet de changement s’amorce.
L’objectif étant que cette relation téléphonique ponctuelle laisse une trace chez l’appelant.

1.2 ROLES ET LIMITES DE L’AIDE PAR TELEPHONE

Le suicide est un phénomène complexe et l’aide par téléphone est un élément parmi d’autres
dans la prévention du suicide.

Par exemple, très peu de jeunes et peu de personnes âgées appellent le Centre de prévention
du suicide. Celui-ci semble donc s’adresser surtout à la population active (20 – 60 ans). Les
différentes études qui ont tenté d’évaluer l’influence des Centres d’aide par téléphone sur la
mortalité par suicide ne permettent pas de montrer, de manière certaine, un effet positif de
leur action. Il serait donc nécessaire de réfléchir aux dispositifs de prévention du suicide à

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mettre en place pour les enfants et adolescents d’une part et pour les personnes âgées d’autre
part. Nous constatons également que la tranche d’âge des appelants correspond grosso modo
à la tranche d’âge des répondants.
Ce que l’on constate néanmoins, c’est que des personnes qui appellent le CPS et qui ont fait
une tentative de suicide peuvent parfois changer d’avis. Ou encore, des personnes en crise au
moment d’appeler semblent aller mieux après un appel. L’impact d’un appel au CPS est donc
favorable pour certaines personnes, mais difficile à évaluer. Il est d’autant plus difficile à
mesurer que nous ne pouvons pas considérer la satisfaction d’un appelant comme un critère
fiable de réussite d’un appel. Aider quelqu’un ne signifie pas le satisfaire ou répondre à toutes
ses demandes. Si tel était le cas, le risque serait grand de voir le répondant adopter des
attitudes séductrices ou conniventes qui lui feraient perdre toute distance. En ne satisfaisant
pas les demandes de l’appelant, en refusant la place qu’il veut nous assigner, on peut remettre
du mouvement là où, bien souvent, il n’y en a plus depuis très longtemps.

On peut donc dire que l’existence de centres d’aide par téléphone pour la prévention du
suicide est pertinente mais pas suffisante et certainement pas à même de tout résoudre.
Les appels reçus lors des permanences téléphoniques peuvent être classés en différents
types :
- Les appels de crise (il s’agit de personnes angoissées, bouleversées, que ce soit pour
des raisons extérieures : rupture, deuil ou pour des raisons intérieures : angoisse,
mal-être) qui sont la principale raison d’être de la ligne téléphonique représentent
environ 20% des appels.
- Il y a 25% d’appels que l’on peut qualifier d’appels de compagnie ou de soutien. Ces
appels sont souvent le fait d’appelants dits « chroniques ».
- 5% des appels sont des appels pour un tiers (par exemple un homme qui s’inquiète
des idées suicidaires de sa femme et qui ne sait pas comment réagir).
- 2% des appels sont le fait de personnes en tentative de suicide (un passage à l’acte a
donc été posé). C’est le seul cas de figure où le répondant demandera les coordonnées
de la personne pour lui envoyer de l’aide. L’appelant choisira de donner ou pas ses
coordonnées. S’il les donne, le Centre va lui envoyer un médecin ou une ambulance.
S’il refuse, nous respecterons son choix mais nous ne l’accompagnerons pas dans son
passage à l’acte suicidaire. Le répondant mettra alors fin à l’appel après quelques
minutes.
- Les autres appels sont hélas le lot des numéros gratuits, c’est à dire des blagues, des
appels d’ordre sexuel, ou encore des appels muets.

Dans tous les cas, le bénévole reste anonyme et respecte l’anonymat de l’appelant (sauf en cas
de tentative de suicide en cours). Il n’y a donc pas de prise en charge à long terme, pas de
suivi, pas de relations privilégiées entre un répondant et un appelant. Cette façon de travailler
implique également que l’on refuse de repérer le numéro de téléphone de l’appelant (nous
avons donc opté pour des appareils téléphoniques qui cachent cette information). Si on
repérait l’origine des appels, nous serions alors obligés d’intervenir en cas de tentative de
suicide en cours en envoyant un médecin ou une ambulance, même si l’appelant ne le
souhaite pas. Nous ne souhaitons clairement pas intervenir à l’insu des appelants ou contre
leur volonté. Il nous paraît capital de respecter les choix des appelants (même si le choix
énoncé est le suicide) et donc de garantir l’anonymat et la confidentialité en toutes
circonstances.

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1.3 PROCESSUS ET CONTENU

Nous demandons aux répondants de se centrer sur ce qui se passe « ici et maintenant » dans
la relation téléphonique. Cela signifie qu’il s’agira de ne pas se centrer seulement sur le
contenu amené par l’appelant mais aussi et surtout sur le processus relationnel en jeu.
Certes, il est nécessaire de laisser l’appelant raconter son « histoire », de parler de sa
souffrance, de confier éventuellement ses idées suicidaires. Mais, à se centrer exclusivement
sur le contenu, on prend le risque de se retrouver submergé par une avalanche de faits dont
on ne saura bien souvent rien faire.

Si un appelant a un rapport au monde qui dysfonctionne, sa relation avec le répondant du


CPS va dysfonctionner également. Un appelant ne va pas fonctionner différemment parce
qu’il appelle un centre d’aide par téléphone. Il va donc rejouer au téléphone sa manière
habituelle de rentrer en relation. On insistera donc beaucoup dans la formation des bénévoles
sur l’importance de réfléchir sur le processus relationnel. En essayant de réfléchir à la
relation entre le répondant et l’appelant, on peut permettre à l’appelant de réfléchir sur sa
façon d’entrer en relation. Dans ce contexte, la qualité de la réponse téléphonique dépendra
plus de la capacité du répondant à comprendre et à utiliser ce qui se passe dans la relation
que d’une technique apprise quelle qu’elle soit. Pour exprimer les choses autrement, on
pourrait comparer le contenu d’un appel aux paroles d’une chanson et le processus à la
musique.

Prenons l’exemple d’un appelant qui commencerait l’appel en disant :

« Je vous appelle parce que je n’en peux plus, ma vie n’est que souffrance mais je sais que
rien ni personne ne pourra rien y changer ».

S’en tenir au contenu de l’appel et ne pas travailler le fait que d’emblée l’appelant nous
communique que l’on ne pourra pas l’aider, aurait comme effet de confirmer l’appelant dans
sa conviction qu’effectivement toutes ses démarches sont vaines. Sensibiliser les répondants
au processus de l’appel n’est pas une chose facile. Le travail de supervision sera souvent
consacré à la réflexion sur le processus relationnel. Bien souvent, les répondants imaginent
que leur tâche sera d’écouter patiemment et passivement et de se mettre en retrait. Le fait
qu’ils vont devoir utiliser ce qu’ils ressentent dans la relation téléphonique est parfois vécu
comme anxiogène et insécurisant par les répondants. C’est d’autant plus difficile pour les
répondants qu’eux-mêmes ont souvent un vécu par rapport au suicide (que cela les concerne
personnellement ou que cela concerne un proche). Ils risquent donc de se retrouver
confrontés au téléphone avec des personnes qui rencontrent des difficultés qu’ils ont peut-
être eux-mêmes rencontrées dans un passé plus ou moins lointain. Leur démarche au CPS a
d’ailleurs parfois comme motivation de mieux comprendre ce qu’ils ont vécu dans leur vie
personnelle.

Contrairement à beaucoup d’autres activités, écouter des personnes suicidaires nous rappelle
constamment que nous allons nous-mêmes mourir. Nous accordons donc beaucoup
d’importance à la formation et à la supervision régulière de leur activité pour les aider et les
soutenir dans un bénévolat particulièrement difficile.

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2 INTERVENTION DE SYLVIE GALARDON, ANCIENNE PRESIDENTE DE SOS AMITIES
FRANCE ET COORDINATRICE DU COLLECTIF ENSEMBLE PREVENONS LE
SUICIDE D’ILLE ET VILAINE :

Questions posées par le comité de pilotage :

 Quelle connaissance a le grand public du risque suicidaire et des dispositifs de


prévention existants ?
 Quelles leçons tirer des expériences acquises dans la France entière à travers ces
collectifs et l'UNPS ?
 Comment apprécier et renforcer les moyens d'information et d'action primaire quant
au suicide et à sa prévention en Bretagne ?

Dans un premier temps, il me paraît essentiel de dire que je ne me reconnais pas comme
« expert » et que les propos que je vais être amenée à soutenir seront l’expression d’un regard
subjectif, basé sur l’expérience plus que sur des recherches scientifiques validées.

2.1 LA CONNAISSANCE PAR LE GRAND PUBLIC DES DISPOSITIFS D’ECOUTE


ET DE PREVENTION

En contact depuis plus de quinze ans maintenant avec un public concerné par le suicide et sa
prévention le constat est net : malgré des progrès évidents, ce qui concerne le risque
suicidaire et les lieux ressources est encore mal connu du grand public. Ce n’est pas encore
une information intégrée comme cela peut l’être pour d’autres thématiques qui ont donné
lieu à de grandes campagnes d’information (par exemple les conduites addictives ou le Sida).
Malgré des avancées significatives, la population générale est encore souvent démunie. De
même que nombre de professionnels de santé, du social, de l’enseignement etc. qui n’ont
bénéficié d’aucune formation et doivent se colleter au thème avec leurs propres
représentations et implications individuelles.

A la décharge des personnes et structures qui travaillent depuis des années à rendre visibles
l’existant et à diffuser une information adaptée, il apparaît que celle-ci est, dans la plupart
des cas, recherchée dans l’urgence. Cela complique la diffusion, et entache l’objectivité du
regard sur la facilité (ou difficulté) à la trouver. Des documents simples et abordables comme
les « vrais / faux » (canadiens à l’origine, réadaptés ensuite par l’Union Nationale pour la
Prévention du Suicide, entre autres) devraient être diffusés de manière large et systématique.

L’information autour du risque suicidaire ne sera jamais une information « comme une
autre » en terme de santé car cela aborde directement le rapport de chacun à la mort, sujet lui
aussi bien occulté par notre société. Il est donc compréhensible que de peu de personnes s’y
intéressent avant d’être directement concernées.

Depuis une dizaine d’années l’avancée est perceptible, mais la marche est encore longue
avant d’arriver à un niveau satisfaisant de connaissances utiles.

Les demandes d’information touchent :


- la connaissance de la dépression (cette attente devrait être en partie comblée par la
campagne prévue par l’iNPES à l’automne, avec flashes télévisés, radios et document
de 40 pages adressé directement à tous les médecins généralistes et à toute personne
qui en fera la demande.)

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- la connaissance des autres pathologies mentales, surtout pour une meilleure
compréhension et détection des maladies qui apparaissent à l’adolescence.
- les ressources locales dans le champ psychiatrique, mais aussi (et surtout ?)
alternatives, de suivi, d’aide à l’entourage.
- les lieux d’écoute : selon des études SOFRES 2000 « les Français et la prévention du
suicide » et l’étude CREDOC pour Sida info service en 2002 «Connaissance des
lignes de téléphonie de santé » 57 à 63 % des personnes (France entière) connaissent
spontanément S.O.S Amitié (connaissance « brute » qui chute à une dizaine de %
pour les autres lignes). Les lieux d’écoute semblent toujours « insuffisants » en
nombre ou en proximité, alors que dans le même temps on constate que les
personnes les plus concernées ont parfois du mal à accomplir la démarche de s’y
rendre, souvent par crainte d’une stigmatisation… D’autres lieux sont, par contre,
investis d’une fonction d’écoute qui n’était pas la leur …

Un constat : les chiffres de S.O.S Amitié France sont en constante progression depuis 10 ans
500 000 appels en 1992, 600 000 en 2000, plus de 720 000 appels en 2006, alors d’autres
lignes « spécialisées » sont en stagnation ou perte de vitesse. Quelques éléments d’analyse
peuvent peut-être orienter les choix à faire :
- Il semblerait que grâce à la « non spécialisation affichée » les personnes se sentent
entendues dans leur « globalité » et non par rapport à une problématique qui,
d’emblée, oriente l’entretien,
- il apparaît qu’appeler en cas de crise est nettement facilité quand il y a eu une
expérience d’écoute ANTERIEURE.

L’idée même de prévention est encore peu envisagée, c’est a posteriori qu’elle est évoquée. La
prévention - promotion de la santé paraît lointaine au public concerné. Les attentes seraient
plutôt du côté de la prévention primaire spécifique.

2.2 LES LEÇONS A TIRER DES EXPERIENCES MENEES EN BRETAGNE (VOIRE


EN FRANCE)

Les associations de bénévoles ou professionnels travaillent depuis les années soixante à lever
le silence sur le suicide et son impact sur l’entourage. Pour mémoire, c’est en 1960 que S.O.S
Amitié a été créé, suivi en 1969 par le GEPS (Groupement d’Etudes et de Prévention du
Suicide). Les Journées Nationales pour la Prévention du Suicide ont un peu plus de dix ans
comme les Programme régionaux de santé spécifiques. Tous ont permis de faire cheminer les
acteurs de santé et du social sur leur possible implication dans la prévention du suicide.
De manière plus générale, les personnes concernées ont le sentiment que l’on parle ENFIN
de ce thème. Mais selon les territoires (ville, milieu rural..), les milieux, les tranches d’âge, la
disparité est encore grande.

La prise en compte de la répercussion sur les familles commence à exister mais de manière
peu structurée, souvent au bon vouloir des professionnels, qui ne travaillent pas tous dans
des structures organisées pour cela ou avec des méthodes le permettant. Il faut aussi se
rappeler que nombre de tentatives de suicide échappent encore à l’hospitalisation, et
qu’autour des décès par suicide, au-delà de l’annonce (et il y a là encore beaucoup de marge
d’amélioration...) bien peu de choses sont proposées. Alors que les membres des familles
endeuillées par suicide et non accompagnées dans cette épreuve par un travail de parole,
font, cela est bien connu, parties des personnes exposées.

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2.3 EXPERIENCE NATIONALE (JOURNEE NATIONALE POUR LE PREVENTION
DU SUICIDE)

Les occasions de débattre en public ont permis de commencer à faire tomber une partie du
sentiment d’isolement et de honte des familles touchées. C’est leur grande utilité. Mais cette
information grand public, indispensable, est à manier avec précaution. S’il y a des
intervenants de qualité, d’autres font preuve de maladresse dans l’expression, avec des
propos culpabilisants, trop techniques, inadaptés au public, ou avec un refus d’écoute tel,
que cela fait violence aux personnes concernées.

De même, les « théâtre forum » ou « théâtre interactifs » peuvent être la meilleure ou la pire
des formules : comment prendre la mesure de l’impact sur les personnes (en particulier le
public adolescent) dans une salle de 300 personnes ? Comment les paroles, témoignages,
questionnements personnels amenés en public sont-ils pris en compte et accompagnés ? Il y
a des conditions à mettre en place pour que les temps d’information et de débat public sur ce
thème ne soient pas des occasions de raviver la douleur ou la culpabilité mais des
temps d’élaboration collective (cf. rencontre citoyenne point 2).

2.4 EXPERIENCE NATIONALE (AUPRES DES FAMILLES ENDEUILLEES)

Une mutuelle contacte tous ses adhérents endeuillés par le suicide en leur proposant
d’appeler un numéro « vert » dédié. Des écoutants bénévoles d’associations, ayant reçu une
formation spécifique supplémentaire, les accueillent au téléphone et leur proposent, si besoin
apparent de contacter un psychologue pour quelques séances d’entretiens, elles aussi prises
en charge par la mutuelle.

Après l’avancée importante dans l’accompagnement individuel (suivis psychologique et


psychiatrique, écoute etc.) il y a une nouvelle dimension de la prévention à approfondir.
Durkheim l’a fait mesurer il y a bien longtemps, au-delà de la problématique individuelle, de
la souffrance et de l’histoire personnelle, le suicide s’inscrit dans un environnement social.
S’il peut être qualifié de « suicidogène », il est important de penser qu’il peut aussi être
préventif, sous des formes qui restent pour une grande part à inventer.

2.5 DEPASSER L’APPROCHE INDIVIDUELLE : DEUX EXPERIENCES


BRETONNES

- Réseaux et collectifs de prévention du suicide :

Des associations, des institutions, des structures s’emparent de la problématique pour


élaborer des actions dans le champ social complémentaire au médical : une évaluation est en
cours. Les résultats seront publiés le 13 novembre 2007 lors de la première Journée
régionale des réseaux et collectifs de prévention du suicide en Bretagne. D’ores et déjà il a été
mesuré que si ces réseaux et collectifs avaient une histoire, des objets, une inscription dans
des espaces territoriaux différents (territoire, ville, département, inter départements..), ils
répondaient tous à une attente : le besoin d’échanger sur les pratiques (professionnelles et
associatives) pour les faire évoluer, de construire des représentations communes, de rendre
visible l’existence de relais et les actionner effectivement. Cela permet de dépasser le
sentiment d’impuissance pour pouvoir proposer des actions concrètes adaptées à la réalité
locale. Se pose la question de la pérennisation. Faut-il contractualiser et comment ? Les
réseaux ne perdurent que s’il y a une coordination. Qui peut l’assurer et avec quels moyens ?
Sur la prévention du suicide en particulier, il est impératif de coupler la volonté
institutionnelle de travailler la thématique et la possibilité individuelle de s’impliquer.

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- Rencontres citoyennes, méthodologie CoEPS 35 (Collectif Ensemble Prévenons le
Suicide Ille-et-Vilaine) « d’une parole taboue au débat public » :

Une occasion unique de faire de son expérience individuelle autour du suicide un outil de
compréhension et de prévention pour d’autres. La parole de personnes concernées est
élaborée en un savoir expert partageable.

Cette méthodologie a permis à 17 reprises depuis 2000 d’organiser des rencontres publiques
sous forme de deux tables rondes successives et de temps d’échange et de débat avec le
public, inscrites dans des temps de préparation et de bilans d’une durée de dix-huit mois.
Des « porte-parole », des personnes concernées volontaires, suicidaires, suicidantes,
membres de l’entourage familial, amical ou professionnel de personnes suicidaires ou
suicidées, préparent sur deux semaines et une vingtaine d’heures ce qu’elles veulent
collectivement apporter en public de la somme de leurs expériences. Elles élaborent une
parole qui sera présentée lors d’une première table ronde. La deuxième table ronde est
composée de « consultants », des personnes impliquées (associatifs ou professionnels) qui
réagissent aux propos tenus, apportent leur propre expérience et décrivent l’existant des
aides et accompagnements possibles. Le public intervient en trois temps : après chaque table
ronde et sur le temps informel qui prolonge la rencontre et permet à chacun une expression
individuelle auprès des intervenants précédents, des membres du collectif ou des partenaires
locaux ayant travaillé à la préparation de la rencontre citoyenne.

Les regards croisés, la force des propos, sont opérants. Les évaluations, questionnaires
publics (immédiats mais aussi à distance pour des personnes ayant participé à plusieurs
Rencontres échelonnées dans le temps) et études d’organismes externes ont confirmé que la
rencontre citoyenne était utile à tous les participants quelle que soit leur place et leur
investissement, apportant une modification :
- des regards sur la problématique,
- des comportements habituels, individuels et professionnels
et donnant envie de s’impliquer.

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Extraits du bilan de 10 ans d’action du collectif (Catalys conseil)

 Regards sur les Rencontres citoyennes des Consultants :


- ils y trouvent un regard différent, une approche « autre que théorique » des
personnes suicidaires/suicidantes, une « découverte » du mal-être de la
famille,
- sont marqués et bouleversés par le témoignage des proches et par le besoin de
parler des familles
- sont confortés dans le fait qu’il faut écouter
- cela permet la création de liens, réseaux et passerelles, une meilleure
connaissance des structures en dehors des « prospectus ».
- plus de facilité à parler du suicide.

 Partenaires locaux :
- sentiment d’êtres plus concernés, sensibilisés sur des aspects particuliers, d’être
mieux éclairés,
- pouvoir en parler sans tabou, sans jugement, sans problème de conscience,
libre et serein. Comprendre qu’il n’y a pas toujours de pourquoi.
- capacité à en parler et à écouter, respect de la parole de l’autre.
- sentiment d’être moins isolés, rencontre d’un réseau, possibilité de se faire
connaître.

 Porte-parole :
- sentiment d’être moins isolé, d’être « normal(e)», d’être compris,
- sentiment d’avoir pu dire des choses qu’on ne dit pas ailleurs, d’avoir osé lever
le tabou, d’avoir moins honte aussi, même si cela « n’enlève pas toujours la
culpabilité »
- cela permet de « décanter », de partager des choses émouvantes,
- sentiment parfois d’apaisement, parfois de libération mais aussi de
questionnements qui restent,
- entendre les autres permet de se sentir plus rassuré, moins seul, permet de voir
et de comprendre que cela existe (pour d’autres), de mieux comprendre.
- cela donne plus de facilité et de liberté pour en parler après,
- sentiment d’une prise de conscience ou de pouvoir prendre du recul
- créations de liens profonds entre les porte-parole.

Il y aurait, c’est vrai, besoin de moyens supplémentaires pour mieux faire partager la
richesse apportée par les personnes concernées : écrits, recherche… Mais il faut aussi
accepter qu’il y ait des connaissances que le savoir intellectuel, la littérature, ne pourront
jamais combler car il faut les vivre et les partager. Envisager l’action collective comme moyen
de prévention permet de retrouver la place et le sens du lien social.

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Qu’est-ce qui a produit ces effets et peut, peut-être, être systématiquement introduit ou
vérifié dans la mise en place d’actions de prévention ?
- respect inconditionnel des personnes
- position d’écoute
- non jugement
- pas d’a priori sur la question
- confiance dans la capacité des personnes à construire et trouver elles mêmes des
réponses et des solutions
- groupe soutenant et sécurisé
- confidentialité des propos et liberté totale des participants quant à leur
participation à une phase publique
- accueil respectueux de l’expression de chacun
- accueil et raccompagnement individuel de toutes les personnes du public
(mobilisation forte des organisateurs)
- ancrage dans un territoire, ou chez des partenaires appropriés à une thématique
particulière
- vigilance et engagement de chacun pour ne pas « ajouter de la souffrance à la
souffrance »
- temps de convivialité, indispensables respirations
- travail d’élaboration faisant passer de l’expérience individuelle à une portée
universelle partageable

Au-delà des suivis individuels –indispensables- il est temps de répondre aussi au besoin de
prendre en compte de manière collective les souffrances et les difficultés à vivre. Envisager
l’action collective comme moyen de prévention permet de retrouver la place et le sens du lien
social.

Nous avons en Bretagne une volonté institutionnelle affichée et des volontés individuelles
fortes, une mobilisation qui ne se dément pas… Souhaitons que les moyens de continuer les
travaux, les expériences validées et / ou innovantes soient accordés, afin de cesser dans un
avenir le plus proche possible d’être les lanternes rouges du décès par suicide en France.

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3 INTERVENTION DU DOCTEUR FLORENCE TUAL, MEDECIN INSPECTEUR
DEPARTEMENTAL A LA DIRECTION DEPARTEMENTALE DES AFFAIRES
SANITAIRES ET SOCIALE DU MORBIHAN.

Le comité de pilotage s’est aussi interrogé sur les deux points suivants :

 Comment les institutions participent-elles ou pourraient participer à


l’information et à la sensibilisation des publics en matière de prévention du
suicide ?
 Comment améliorer la communication en ce domaine ?

L’importance de la communication a été soulignée dans la charte d’Ottawa en 1986 et reprise


à Bangkok en 2005 par l’OMS. En France, la loi du 9 aout 2004, dite loi de santé publique,
précise que « la politique de santé publique concerne […] l’information et l’éducation à la
santé de la population et l’organisation de débats publics sur les questions de santé… ».
L’information, la sensibilisation font donc partie intégrante de la politique de santé.

Le premier « PRS souffrance psychique et phénomène suicidaire », comportait un


objectif spécifique 1-3 : « informer et sensibiliser le grand public ». Le bilan qui en a été
réalisé montre que cet objectif a fortement mobilisé les partenaires : 98 des 235 actions
réalisées relèvent de cet objectif. Il s’agit en majorité de groupes de discussion, puis de
conférences, et de façon très minoritaire d’élaboration d’outils ou de plaquettes. Le public
concerné est le plus souvent les jeunes, et ensuite les professionnels. Ce premier PRS a
permis de lever le tabou du suicide pour les professionnels, à travers les nombreux débats
publics et actions de sensibilisations entreprises.

Le deuxième programme régional « Prévenir le suicide en Bretagne, 2004-


2008 » prévoit de développer l’information en direction des décideurs et en direction des
acteurs, afin de mieux connaître la question à partir de données validées, et de mieux
connaître l’offre de formation ou de soin, en élaborant et diffusant les informations dans
chaque département. Ce deuxième programme s’appuie sur une stratégie de chaine de soin :
prévention / repérage / soins / postvention. Des guides de bonnes pratiques sur l’information
et la sensibilisation des publics sont prévus. Des débats publics seront organisés sur le suicide
des personnes âgées.

Voici pour illustrer mon propos, quelques exemples d’actions d’information -


sensibilisation développés dans le Morbihan depuis 1996.
Le Morbihan s’est investi dans la prévention du suicide dès 1996. Dès cette date, et tout au
long de ces 10 années, l’information et la sensibilisation des publics ont été une des
préoccupations de l’ensemble des partenaires.
Le programme « prévention du suicide en Bretagne » est co-piloté par la DDASS et la CPAM.
Ensemble, nous animons un comité technique de prévention. Un groupe spécifique a été
missionné sur ce point, témoignant ainsi de notre volonté de développer ce travail. Pour l’un
des projets, nous avons fait appel à un journaliste professionnel.
Le partenariat qui s’est instauré sur ce programme de façon durable nous a permis petit à
petit d’élaborer une culture commune sur cette question complexe, d’élaborer un langage
commun et une véritable stratégie, inscrite dans le temps et cohérente avec les autres actions
concernant la communication, l’information et la sensibilisation des différents publics. Le co-
pilotage avec l’Assurance Maladie a donné une grande légitimité aux actions.

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Voici des exemples d’actions que nous avons menées :
- 1997 : Journée de sensibilisation des infirmières à la prévention du suicide,
pour leur permettre de mieux comprendre cette question, mieux repérer les
personnes, les accompagner vers le soin, et aussi prendre en compte la souffrance
des soignants confrontés à des situations très douloureuses.
- 1999 : 10 soirées débat à partir d’une pièce de théâtre « Laure et Théo » écrite par
un animateur de la CPAM et destinée au grand public. Parmi les 2100
spectateurs, 95% ont exprimé leur satisfaction, 85% identifient les signes, 90%
estiment que la pièce suscite la réflexion. L’évaluation a mis en évidence le besoin
d’information des familles et le besoin de connaître les « spécialistes », les
professionnels.
- 2000 : Un bilan de tous les documents et plaquettes de sensibilisation disponibles
sur ce thème a été réalisé, ainsi que la mise à jour des adresses et la diffusion
auprès des parents via les lieux de soin et d’écoute, auprès des jeunes via les
institutions et associations accueillant des jeunes, auprès des personnes
travaillant en direction des personnes âgées. Le groupe a défini des lieux de
production de ces outils, pour assurer un suivi de leur diffusion. Aujourd’hui ce
travail serait à reprendre car des documents ne sont plus adaptés après plusieurs
années : des adresses ont changé, de nouveaux services se sont ouverts, l’aspect
même des plaquettes doit être modernisé, en particulier pour les jeunes, car le
besoin de nouveauté est très important.
- 2001-2002 : Des spots radio ont été créés et diffusés sur Skyrock, pendant 6 mois,
à destination des jeunes. L’évaluation a montré que la quasi-totalité des jeunes
écoutait cette station, plus de la moitié se souvenaient du spot, sa forme et son
contenu. Les jeunes avaient une bonne compréhension du message, mais le spot
était jugé trop « jeune et ludique ».
- 2003 : Nous avons organisé une journée d’information-sensibilisation et
d’échanges pour les professionnels et bénévoles à Pontivy, précédée la veille
d’une soirée débat grand public à partir de la lecture d’une nouvelle d’Hervé
Jaouen. L’objectif était double : informer et sensibiliser les participants et
recueillir leurs préoccupations et besoins, ce qui nous a permis d’ajuster notre
programme d’actions. Parmi les 100 personnes présentes à la soirée grand public :
90% habitaient à moins de 20 kilomètres du lieu de la conférence, un tiers venait
chercher des informations, presque la moitié avait été touchée de près ou de loin
par le suicide ; 79% étaient des femmes, la lecture d’une nouvelle avait été très
appréciée ; 45% des personnes avaient eu une réponse à leurs interrogations, mais
35% n’avaient pas d’avis à ce sujet. La journée pour les professionnels a concerné
328 personnes. Pour plus de 90% d’entre eux, la journée aura été utile à leur
pratique professionnelle : en particulier mieux repérer les personnes à risque et
connaître la prise en charge. 70% estiment que le travail en réseau aura été
facilité. Une des propositions d’amélioration était de décentraliser ce type de
projet à une échelle plus locale. La question de l’impact à moyen terme a été posée
par les organisateurs.
- 2002-2006 : Un vaste programme de sensibilisation a été mené en direction des
équipes éducatives de tous les établissements scolaires (collèges et lycées)
publics et privés. Sur 4 années scolaires, 313 professionnels de 73 établissements
scolaires ont été sensibilisés. Une première évaluation a montré le grand intérêt
de tous les professionnels, une meilleure connaissance du sujet et des conduites à
tenir et, pour certains établissements, une dynamique de prévention a pu suivre la
sensibilisation mais la nécessité de faire suivre cette phase de sensibilisation par
une autre phase d’accompagnement sur une certaine durée a été repérée. Une
évaluation approfondie de ce projet est en cours cette année, et nous permettra de
dire si cette sensibilisation a modifié non seulement la compréhension et la

13
connaissance du suicide dans la durée pour les personnes présentes, mais a
entraîné de nouveaux comportements des équipes, soit au niveau individuel (ceux
qui ont participé), soit au niveau de l’établissement.
- 2002-2006 : De très nombreux professionnels on été formés au repérage de la
crise suicidaire (travailleurs sociaux, hôpitaux, prisons…).
- 2004-2006 : Elaboration de fiches techniques « Bien-être et équilibre psychique
des jeunes / personnes âgées » : outils de sensibilisation pour les
professionnels, l’une des fiches concerne les jeunes, l’autre les personnes âgées.
Nous n’avons pas d’éléments permettant de dire si ces outils ont eu un impact.
- 2006-2007 : Pour sensibiliser au risque de suicide par arme à feu, nous avons
élaboré une plaquette spécifique avec la fédération des chasseurs, écrit des
articles dans de nombreuses revues spécialisées et rencontré les personnes
passant le permis de chasse. Dans l’immédiat, on peut retenir que la
sensibilisation des responsables de la fédération des chasseurs a été fructueuse.
- 1998-2006 : De nombreuses actions d’information et de sensibilisation se sont
déroulées à travers une mobilisation des médias à l’occasion en particulier des
JNPS, Journées Nationales de Prévention du Suicide : chaque année, une
conférence de presse était organisée et un programme d’interview était élaboré et
proposé aux médias du département, permettant d’éclairer le public sur
différents aspects du suicide (prévention, prise en charge, soutien de l’entourage,
suicide des jeunes, des adultes, des personnes âgées..) et sur les lieux de prise en
charge. La distorsion entre un travail d’élaboration important, le résultat en terme
d’articles, la forte progression des articles dans la presse nationale et les
questionnements sur l’impact de ces campagnes nous ont amenés à
redimensionner cette action en 2007.
- 2004-2007 : Enfin, les partenaires ont souhaité élaborer un journal « Réseau de
vie » destiné à tenir informé les professionnels, associations, et
institutions de l’avancée du programme, des études ou initiatives nouvelles sur
ce thème. Le journal comportait également une fiche séparée à conserver et
comportant des outils utiles dans leur pratique (par exemple : outil de repérage du
risque suicidaire, adresses des lieux de soins, associations d’entraide et lieux
d’écoute..). 7 numéros ont été diffusés à 3500 exemplaires.
- La sensibilisation des médecins libéraux a été abordée à travers des articles
courts et concrets dans la revue du Conseil de l’Ordre des médecins, et la diffusion
du journal « Réseau de vie ». Notre projet de sensibilisation au cabinet par des
« visiteurs de prévention » n’a pas pu être concrétisé.
- Des soirées d’information et de débat pour les professionnels sur les ressources
existantes sur le territoire de Pontivy-Locminé, expositions pédagogiques sur la
souffrance psychique au sein de la mission locale pour les jeunes et les adultes
encadrants, soirée-débat à partir de court métrage pour le grand public, dans
le cadre du réseau de veille et de vigilance : toutes ces initiatives visent à
construire sur un territoire donné, une meilleure compréhension du suicide, des
possibilités d’en parler, une visibilité des rôles possibles de chaque professionnel
vis-à-vis de personnes en difficulté psychique, et une potentialisation de leur
action. Les soirées « grand public » attirent toujours beaucoup de personnes, elles
rencontrent surtout des femmes (70% : donc comment toucher les hommes, plus
nombreux à se suicider ?), et des professionnels (30%). Comme pour Pontivy,
l’introduction du sujet par un film est validée ; le public apprécie l’apport
d’informations utiles sur les ressources locales, la compréhension de certains
comportements, et également l’évocation de situations vécues par le public.
De nombreuses actions de sensibilisation sont également une des étapes indispensables pour
d’autres projets, par exemple un collège du Morbihan s’est engagé dans une démarche

14
expérimentale de prévention primaire du suicide. Le premier temps de cette démarche a été
de sensibiliser les membres de la communauté éducative, les parents, et les élèves à la
question du suicide et de la santé mentale.
Actuellement, nous évoluons vers un modèle différent de sensibilisation de proximité, inscrit
dans un projet global, adapté aux besoins des partenaires locaux : élus, professionnels,
population…

Les constats sur les 4 départements et la Région:

De très nombreuses actions concernent l’information sensibilisation. Depuis le début du


programme, le public s’est diversifié : à partir d’actions quasi exclusivement orientées vers la
prévention du suicide des adolescents, on a évolué vers la prise en compte de l’entourage, du
suicide des personnes âgées, des détenus, des institutions. La question du suicide des adultes,
et en particulier le milieu du travail reste absent des projets développés.
Il faut noter l’impact moteur des JNPS sur ces actions, en particulier en direction du grand
public. Par contre, la très grande proximité avec la semaine d’information sur la santé
mentale a été source de confusion.
La demande d’information reste soutenue, il existe une très forte demande des élus pour des
actions de proximité. Le travail sur les outils de sensibilisation devra être réactualisé, les
plaquettes à destination des jeunes sont obsolètes. Il faut souligner le grand nombre de
plaquettes élaborées, sans réel échange sur le contenu, la forme, les objectifs, les modes de
diffusion. Il apparaît nécessaire de réfléchir à une information plus disponible, plus
accessible. Enfin, les actions d’information - sensibilisation doivent être intégrées dans une
démarche de projet. La difficulté des campagnes nationales est leur manque d’articulation
avec les dynamiques locales.

Plusieurs propositions ont été formulées :


- Prévoir un travail avec les médias,
- Proposer une communication partagée à travers, par exemple, l’élaboration d’une
charte régionale de santé publique, à partager peut-être aussi un logo, des slogans
ou des pictogrammes,
- Etudier l’opportunité d’une mise à disposition des documents sur un site Internet
permettant une mise à jour plus facile,
- Organiser des temps forts communs pluri institutionnels.

La Conférence Régionale de Santé, lors de son avis sur le Plan Régional de Santé
Publique en avril 2006, a souhaité qu’une attention particulière soit portée à la qualité et au
caractère professionnel des actions de communication à développer autour de la politique
régional de santé publique.

Qui informer ? Sur quoi ?

Les besoins d’information sont différents selon les publics :


Les institutions concernées par les questions de santé publique ont besoin d’être informées
de l’importance du problème, ses répercussions, des actions développées.
Les élus sont de plus en plus impliqués sur les questions de santé.

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Les professionnels souhaitent être informés des nouvelles connaissances des problèmes, être
sensibilisés aux outils de repérage, aux modes et lieux de prise en charge des personnes
concernées, et souhaitent pouvoir échanger sur leurs pratiques et expériences. Les
professionnels libéraux sont difficiles à sensibiliser, compte tenu de leur mode d’exercice, et
de la relativement faible place du suicide dans leur activité quotidienne, au regard d’autres
questions.
La population doit être informée des ressources (lieux d’écoute, lieux de soin, associations de
soutien…). Elle souhaite mieux comprendre la question du suicide et être acteur des projets
concernant la santé. L’intérêt des « usagers » vis-à-vis des questions de santé a très fortement
augmenté ces dernières années. L’information et la sensibilisation du public pourraient être
un temps préalable à l’action, pour recueillir les préoccupations de la population. En réalité, il
y a une grande ambivalence à ce sujet, car la participation de la population à l’élaboration de
projet la concernant est affichée partout mais en réalité assez peu pratiquée (selon une
enquête menée dans la région Nord-Pas-de-Calais, seuls 7.3% des actions destinées à la
population s’appuie sur une demande des citoyens et aucune n’est bâtie sur le recueil des
attentes ou sur l’implication des bénéficiaires, enfin, la satisfaction des usagers n’est jamais
recherchée).

Les outils doivent être adaptés aux publics :


Dans les exemples que je vous ai rapportés, de nombreux outils ont été utilisés : théâtre,
cinéma, lecture de nouvelles, débat avec des experts, conférences de presse, articles dans des
revues plus ciblées, participation à un site internet d’information des jeunes, spots radio,
plaquettes pour un public précis…
Les actions concernant les jeunes et celles concernant les adultes, les personnes âgées ou
encore l’entourage font appel à des outils différents : par exemple, la sensibilisation des
jeunes doit tenir compte des valeurs auxquelles ils sont attachés (objectivité, sérieux,
authenticité, humour...). Le langage utilisé doit leur être familier et la forme faire preuve de
créativité, mais doit éviter le « jeunisme ». Les médias classiques sont moins adaptés que
d’autres : certaines radios, Internet, les infos dans les espaces culturels ou sportifs qu’ils
fréquentent…

Difficultés

L’information en santé publique est toujours difficile en raison de la multiplicité des acteurs
et des structures. S’agissant du suicide s’ajoutent les difficultés liées au fait que l’on touche un
domaine resté tabou. Par ailleurs, la question du suicide est très complexe, les passages à
l’acte sont plurifactoriels, les acteurs concernés multiples.

Trop d’infos ?
Selon le Ministère de la Santé, environ 1000 articles de presse sont consacrés chaque
semaine à des questions de santé, et la majorité des Français pensent qu’il y a trop
d’informations sur la santé. Mais la plupart des étudiants, des jeunes, veulent plus
d’informations sur la question du mal-être. Les parents sont très demandeurs d’éléments de
compréhension sur le repérage du mal-être, sur leur rôle de parent et sur les recours
possibles.

Quel impact ?
L’information est un outil pour augmenter le savoir, modifier les représentations.
Un des gains incontestables de ces dernières années est la diminution du tabou autour du
suicide : depuis 10 ans, l’ensemble des actions d’information et de sensibilisation ont permis
une grande avancée à ce niveau. Les professionnels peuvent désormais aborder cette question

16
s'agissant des jeunes, des personnes âgées et aussi des détenus, la question reste encore très
délicate pour les adultes jeunes, en particulier dans le milieu du travail.
Mais informer ne suffit pas. L’information, la sensibilisation sont indispensables à tout
programme de santé, mais ne peuvent suffire à faire évoluer des comportements.
Informer permet d’augmenter le savoir (les signes, les ressources). Les programmes basés sur
la sensibilisation reposent sur l’idée que sensibiliser améliore les connaissances et donc
diminue aussi les comportements suicidaires. Hors ce modèle théorique s’est souvent montré
en échec (par exemple concernant les programmes de prévention du tabagisme).
Conjuguer des actions d’information (le « receveur » est passif, mais cela permet de toucher
un public très large) et des actions de sensibilisation où il y a des possibilités d’échanges
(mais qui nécessite du temps et ne peut s’adresser qu’à un public restreint), et des actions de
prévention plus individuelles : cet ensemble permet aussi d’espérer toucher des publics
autres, comme les hommes ou les publics en grande difficulté sociale par exemple.
La prévention n’est jamais neutre, comme pour le soin. Le principe doit rester «Primum non
nocere». Or certaines actions, bien qu’ayant des objectifs de prévention, peuvent avoir un
impact inverse à celui recherché. Une étude québécoise (Avis scientifique sur la prévention
du suicide chez les jeunes, Institut National de Santé Publique du Québec, mars 2004)
recommande même de ne pas maintenir d’action de sensibilisation des jeunes eux-mêmes.
S’agissant de l’information des jeunes, Marie Choquet, directeur de recherche à l’INSERM,
attirait récemment notre attention sur les risques liés à l’information des jeunes (octobre
2006 à Vannes, La prévention dans tous ses états, colloque organisé par le Conseil Général
du Morbihan). Selon les études, plus les jeunes sont informés plus ils se mettent en danger. Il
faudrait veiller à un équilibre entre information et accompagnement, et développer les
actions de proximité.
La place de la presse va être abordée, je ne souhaite donc pas m’étendre sur ce point, mais
j’attire l’attention sur le fait que la façon dont on rapporte un suicide peut avoir un impact :
les suicides par imitation sont bien connus, en particulier s’agissant des jeunes. A l’inverse,
une information adaptée peut apporter une aide. L’OMS a élaboré un guide « La prévention
du suicide, indications pour les professionnels des médias » qui donne des recommandations
très concrètes pour aborder cette question. Une des recommandations de l’Institut National
du Québec sur les stratégies de prévention du suicide chez les jeunes est de sensibiliser les
médias sur l’impact du traitement journalistique des suicides et de leur suggérer d’adopter les
recommandations existantes en la matière.

Autres éléments de réflexion

Les Etats généraux de la prévention se sont tenus le 30 janvier en Bretagne. Parmi les
conclusions de cette journée, j’ai relevé quelques points susceptibles de nous éclairer :
- l’importance de la communication,
- la nécessité du partage des savoirs par une vision plurielle des problèmes et par
une connaissance profane,
- l’utilisation de tous les moyens de la santé publique, y compris la communication
qui est un point stratégique pour les actions de prévention,
- éviter que les messages nationaux et les actions locales ne s’entrechoquent,
- renforcer les messages positifs et valorisants,
- proposition d’une base de données régionale pour valoriser les actions,
- intégrer le facteur temps.

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Rôle des institutions

De nombreuses institutions sont légitimes pour informer. Compte tenu du foisonnement de


l’information et de la multiplicité d’acteurs, le rôle des institutions est de structurer cette
information, de façon à définir une véritable stratégie, au service d’objectifs de santé
publique. Quelquefois, les actions de communication sont plus destinées à promouvoir le
service ou la structure qu’à informer un public. L’information doit être polymorphe mais
rester cohérente.

Informer, sensibiliser demande du temps, des compétences, des moyens financiers. Les
institutions peuvent soutenir les projets, mettre leurs moyens et compétences en commun.
Elles doivent également prendre en compte la nécessaire inscription dans le temps de ces
actions. Elles ont également un devoir d’évaluer les actions menées pour renoncer à des
projets peu efficaces, et développer les autres.

Au total, les actions d’information et de sensibilisation sont nécessaires à une stratégie de


santé publique. Elles doivent répondre à des besoins bien identifiés pour des publics précis,
et être adaptées en termes de méthode et contenu. Elles doivent s’inscrire dans la durée et
être en cohérence entre elles et être en synergie avec les autres actions de prévention, en
particulier des actions de proximité et de prévention individuelle.

Propositions :

- Mieux articuler les campagnes nationales avec les dynamiques locales : en


informant les institutions plusieurs semaines en amont.
- Connaissance - observation : les informations doivent être validées, analysées, et
explicitées pour être directement utilisable par les institutions (savoir profane).
- Reprendre le travail d’inventaire des outils d’information - sensibilisation
existants, par type de public, les actualiser, proposer des documents (plaquettes,
annuaires..) cadre, à disposition des départements et autres territoires (pays,
territoire de santé, ville..). Ce travail pourrait être confié au réseau CRES-CODES ;
- Améliorer l’accès à l’information, permettre aux partenaires de savoir où trouver
l’information (journal, site internet, lieu unique…).
- Elaborer un guide de bonnes pratiques sur l’information et la sensibilisation des
publics sur le suicide et la santé mentale, en intégrant l’intérêt de renforcer les
messages positifs et valorisants.
- Poursuivre les actions de type conférence grand public, à une échelle de proximité,
en lien avec les élus, les partenaires locaux et dans une démarche de projet
associant information et actions de prévention plus individuelles.
- S’interroger sur les actions de sensibilisation des jeunes eux-mêmes.
- Poursuivre les actions de sensibilisation des professionnels.
- Réfléchir à des actions plus adaptées pour sensibiliser les médecins libéraux, en
particulier les médecins généralistes.
- Renforcer les actions en lien avec la médecine du travail.
- Echanger avec les médias sur leur rôle.

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4 INTERVENTION DE MONSIEUR GEORGES GUITTON, SECRETAIRE GENERAL DE
LA REDACTION DE OUEST FRANCE :

Questions posées par le comité de pilotage :

 Comment aider à faire sortir le phénomène suicidaire de sa relative clandestinité


?
 Comment les médias communiquent-ils en Bretagne sur le suicide et sa
prévention ?
 Faut-il parler dans la presse régionale du suicide ?
 Comment en parler ?

Monsieur Georges GUITTON pouvez-vous nous donner le point de vue du journaliste et


de la profession ?

4.1. COMMENT FAIRE SORTIR LE SUICIDE DE SA RELATIVE CLANDESTINITE ?

Le suicide est d’ores et déjà sorti de la clandestinité. Chacun s’accorde à penser qu’il s’agit
d’un progrès. La vraie question serait plutôt : faut-il aller plus loin dans le dévoilement du
phénomène suicidaire et dans son commentaire journalistique ? Nous répondons : « oui ».

Mais, aussitôt, surgit une foule de réserves. En effet, chacun sent bien que, dans ce domaine
plus qu’ailleurs, il y a une limite au « tout dire » : on ne parle pas de cette mort-là, si brutale,
énigmatique et complexe sans réflexion ni précaution.

Evidemment que la presse, notamment écrite, quotidienne et régionale, a toute sa place dans
la démarche de mise au jour de la réalité enfouie du suicide. Mieux, en dépassant la
sidération et le choc émotionnel, en mettant des mots sur le silence, elle contribue à fournir à
chacun une meilleure connaissance du phénomène et à favoriser une prise de conscience.

Mais la route est longue. S’il est vrai que le suicide est aujourd’hui sorti de la clandestinité, ce
mouvement est récent. Pour en parler, il a fallu s’arracher à des décennies voire des siècles
de silence qui continuent à peser sur nous.

Longtemps, le suicide a été escamoté, en Bretagne peut-être plus qu’ailleurs, puisque l’on est
ici dans un pays de tradition catholique où le suicide était et est encore parfois, perçu comme
une faute. Geste honteux, fin coupable. Opprobre sur le défunt, les familles et les proches. Le
silence, le déni furent dès lors l’attitude «naturelle » adoptée pour éviter d’affronter le
jugement collectif. D’où silence dans les rangs et silence dans les colonnes de la presse.

Cette ère semble révolue. S’il faut un indicateur irréfutable, il suffit de parcourir les avis
d’obsèques qui paraissent dans le journal et dont les proches sont les seuls auteurs. Depuis
quelques années, nous y voyons apparaître des formulations du type : « Nous avons la
douleur de vous faire part du décès de Monsieur ou Madame untel qui a choisi de nous
quitter ». C’est le signe que la société a changé : non seulement le suicide n’est plus étouffé,
mais il est proclamé publiquement, comme une ultime fidélité à la personne défunte.

La presse, elle, n’a rien inventé. Rarement briseuse de tabou, elle se met en adéquation avec
son public. Miroir de la société, elle a accompagné ces dernières décennies le mouvement de
« libération » de la parole sur le suicide. Elle a pu regarder le phénomène en face à partir du
moment où la société était prête à le faire. Mais peut-être y a-t-il encore du chemin à
parcourir d’autant, nous le verrons plus loin, qu’il reste de bonnes raisons, des raisons
valables, pour ne pas parler du suicide.

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4.2. COMMENT LES MEDIAS COMMUNIQUENT-ILS EN BRETAGNE SUR LE
SUICIDE ET SA PREVENTION ?

En Bretagne comme ailleurs, les médias communiquent largement sur le suicide. Si je prends
Ouest-France, qui est le premier quotidien breton, un petit tour sur le moteur de recherche
de nos archives électroniques en donne la mesure. Si je tape le mot « suicide », par exemple
sur l’année 2006, je trouve environ 1000 articles relatant ou relatif au suicide (sur nos douze
départements et au sein de nos quarante-deux éditions). Ce n’est pas rien. Et si l’on fait le
même exercice pour l’année 1996, seulement dix ans plus tôt : on trouve… 350 occurrences.
Soit trois fois moins. Ce chiffre prouve l’évolution spectaculaire de la parole sur le suicide
durant la dernière décennie.
Cette masse d’articles se répartit en deux ensembles bien distincts dans leur visée et leur
discours. D’une part la relation de suicides qui viennent d’advenir : nous sommes là dans
l’ordre du fait divers, de l’actualité immédiate et du factuel, bref de la relation d’un fait
singulier, première mission d’un journal. D’autre part, tout un ensemble d’informations
« tournant autour » du suicide en général et prenant des formes très diverses: interview
d’experts (psychologues, sociologues, philosophes, soignants), témoignages de familles de
suicidé, voire de personnes qui ont échappé au suicide ou surmonté leur tentation suicidaire,
infographies et informations sur l’évolution du phénomène, reportage sur des groupes de
paroles, sur des structures d’accueil ou d’écoute, sans parler d’information pratiques sur des
réunions d’informations, etc.
Là nous sommes dans l’explication, le prolongement, l’éclairage, l’accompagnement et
évidemment dans la prévention à laquelle nous sommes ainsi associés.
Mais ce qui nous pose le plus de problèmes, de problèmes déontologiques, c’est la relation
factuelle qui est la première porte d’entrée vers le suicide, avec toute sa violence et sa charge
dramatique. Comment parler du suicide sans aggraver la peine des gens concernés tout en
prenant en compte l’évolution de la société qui exige de nous que nous en disions toujours
plus? Question qui ne concerne pas que le suicide mais l’ensemble des faits divers.

Chez nous à Ouest-France, nous avons été un peu précurseurs de cette réflexion en élaborant
il y a une petite vingtaine d’années une « Charte du fait divers », que nous tentons
d’appliquer quotidiennement. Elle repose sur quatre principes fondamentaux dont je cite les
trois suivants : « Dire sans nuire, montrer sans choquer, témoigner sans agresser ».

Plus précisément, dans cette charte, on peut lire ceci au chapitre « suicides » : « La règle est
de ne pas en parler. Deux exceptions, toutefois, méritent que l’on en discute :
- Les suicides publics, voire spectaculaires.
- Les suicides qui paraissent liés à l’exercice d’une responsabilité politique ou
professionnelle ». Sur ce point, le texte ajoute : « Extrême prudence à garder sur
les liens de cause à effet ».

Ces règles sont aujourd’hui, je pense, à peu près partagées par l’ensemble de la presse. Elles
considèrent que le suicide, s’il est un fait social, se manifeste avant tout comme un acte privé.
Au même titre qu’une maladie, il appartient à l’intimité de la personne et doit bénéficier,
selon notre culture, d’une absolue discrétion protectrice. Il est donc admis que la presse n’a
pas à le porter à la connaissance du public.

Sauf que cette règle supporte des exceptions nombreuses et de plus en plus nombreuses.
Outre celles déjà citées : suicide dans l’espace public ; suicide spectaculaire ; suicide de
personnes ayant une responsabilité ; nous pouvons ajouter : suicide de personnalités
connues, suicide collectif ; suicide où le défunt fait connaître et explique publiquement son
geste (l’affaire André Gorz) ; suicide précédé de crimes ; suicide en institution (école, prison,
hôpital…) ; suicide rendu public par les proches…

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Dans tous ces cas, nous nous autorisons à briser la règle du silence. Car, dans tous ces cas, le
geste qu’on le veuille ou non, interpelle la société. Reste qu’en parlant de ces suicides
ponctuels, nous veillons à ne pas mentionner l’identité du mort. Exception faite des morts
connus.

4.3. FAUT-IL PARLER DANS LA PRESSE REGIONALE DU SUICIDE ?

Oui, mille fois oui. Oui, car nous devons aider nos lecteurs à comprendre les choses, surtout
quand elles sont à la fois obscures et tragiques. Oui, car nous pouvons servir d’alerte et que la
médiatisation peut contribuer à faire reculer ce malheur, cet échec collectif qu’est le suicide.

Cela étant dit, l’affaire n’est pas simple et la transparence peut être redoutable. Les
journalistes connaissent leur responsabilité et ressassent les obstacles possibles et les
objections justifiées qui s’opposent à une parole « libérée » sur la question. Je vois plusieurs
raisons valables d’opposer une extrême prudence à un discours envahissant sur le suicide. Je
voudrais énumérer quatre de ces raisons, quatre de ces risques, en allant du moins important
au plus important :

A. En tant que presse régionale, vouée à l’information dite « de proximité », nous avons
cette caractéristique singulière que le lecteur peut connaître personnellement la
personne dont on parle. Le mort dont le journal parle, même si l’on tait son nom,
n’est pas un anonyme pour tout le monde. Raison de plus pour ne pas, selon
l’expression, « le jeter en pâture ».

B. Nous avons parlé de recul du tabou du suicide, mais cette observation n’est pas
forcément valable partout et pour tout le monde. Il nous faut donc respecter la
sensibilité de nos différents publics, respecter le silence des proches et entendre leur
discours implicite : « Ce drame ne regarde que nous ». Ne pas ajouter du malheur au
malheur.

C. Le risque réside surtout dans la banalisation. A multiplier les articles évoquant ce


geste fatal, ce dernier en viendrait à faire partie de notre quotidien le plus banal et
acceptable. Le suicide devenant une sorte de procédure socialement admissible,
autorisée et héroïque de sortie de vie. A cet égard, on ne peut qu’être frappé par la
multiplication des suicides de personnes âgées malades, je veux dire par leur « mise
en scène » et leur publicité dans les médias. Suicide de la mère de Lionel Jospin, plus
récemment de l’actrice Maïa Simon, ou bien encore du philosophe André Gorz et de
son épouse. Cette évolution semble inéluctable. Le suicide est légitimé par un discours
justificatif sans faille et, semble-t-il, admis désormais par une majorité de nos
concitoyens.
Nous sommes au seuil de la banalisation.
La levée du tabou est telle l’on peut désormais redouter que l’interdit d’autrefois ne se
transforme en modèle de demain.

D. Quatrième objection à une information trop insistante sur le suicide : le risque


mimétique, qui va d’ailleurs de paire avec la banalisation évoquée plus haut. A trop
exposer le suicide dans les médias, ne risque-t-on pas de favoriser une contagion
morbide ? Nous devons craindre de « donner des idées ». Et nous interroger sur la
nécessité ou non, de décrire par exemple le modus operandi. Je pense surtout aux
adolescents. Frappant de voir, comment la révélation d’une défenestration
d’adolescentes peut entraîner par imitation, dans les semaines suivantes, un autre
suicide du même type. Donc attention. D’autant qu’il n’y a pas que la manière qui
peut être imitée, il y a aussi la posture romantique qui peut séduire à cet âge fragile.

21
Au nom de ces objections, devrions-nous nous taire ? La réponse est non. Parlons du suicide,
mais à condition de traiter cette question avec prudence. La question n’est pas « faut-il ou
non parler du suicide ? ». Mais comment en parler ?

4.4. COMMENT EN PARLER ?

C’est là toute la question. Quelques pistes ou si l’on veut, quelques règles :

A. En parler avec tact, humanité et respect des personnes. En prêtant attention à leur
vie, à leur souffrance.

B. En parler avec simplicité. En évitant la grandiloquence et l’exaltation romanesque. En


évitant les discours brutaux ou simplistes. En rejetant les explications univoques.

C. Se conformer, en ce qui concerne la relation factuelle des suicides, à quelques


principes simples (cités plus haut) qui permettent de préserver la vie privée et
l’intimité des gens. Le bon critère étant celui de la discrétion.

D. Accorder une place régulière et un contenu fiable à l’information service. Celle qui
fournit à tout un chacun, en particulier aux personnes en détresse et à leur entourage,
les bonnes clés de contact pour trouver réconfort, dialogue et information (services
d’écoute, associations, etc.)

E. Aller le plus souvent possible à la rencontre, soit des témoins soit des « experts ». Il
est de la première importance de relayer dans la presse, le travail, les initiatives et les
messages de tous ceux qui savent. Ainsi que de tous ceux qui œuvrent pour la
prévention. Ils doivent savoir que la porte des médias leur sera toujours ouverte.

Dernière remarque en conclusion, concernant le couple « presse et suicide ». On peut se


demander si la presse elle-même n’est pas, par essence, anxiogène, voire suicidogène. Ne
contribue-t-elle pas, par son contenu à ce que la société devienne suicidaire ? En mettant
l’accent sur ce qui va mal dans notre monde, en accumulant à l’envi les faits de guerres, de
massacres et de catastrophes, en donnant voix à certains discours écologistes apocalyptiques,
la presse (mais surtout la télévision qui ajoute à cela la violence des images) ne créée-t-elle
pas un climat qui peut chez certaines personnes accroître le désespoir mortel ? C’est la
question que tout journaliste doit se poser. Avec comme réponse modeste qu’il nous faut
peut-être songer à compenser la noirceur de l’époque en relayant des informations plus
positives. Et tendre à présenter une vision du monde équilibrée…

22
5 INTERVENTION DE MONSIEUR DENIS LEGUAY, PSYCHIATRE DES HOPITAUX,
CHEF DE SERVICE AU CENTRE DE SANTE MENTALE ANGEVIN (CESAME)

Question posée par le comité de pilotage :

 Comment lancer une campagne de prévention du suicide ? Quelles difficultés,


quels effets pervers, quels bénéfices ?

Quelles recommandations à la mise en place de


« campagnes » de prévention du suicide ?

A l’évidence, le suicide ne se prévient pas comme la variole, les accidents de la route, ou


même les toxicomanies. Car il touche, foncièrement, à la liberté, à cette part irréductible,
radicale, de la subjectivité, de la condition humaine, qui résistera toujours à toutes les
entreprises de rationalisation et de prédiction.

Pour autant, les pouvoirs publics, dont c’est la mission, ne peuvent se contenter d’un aussi
frustrant constat. Il apparaît donc naturel qu’ils cherchent au moins à sensibiliser et
mobiliser le grand public afin de trouver dans la vigilance collective, la prise de conscience, le
refus philosophique et culturel partagé, les ressources pour faire reculer le fléau. Cette
mobilisation reposera donc, essentiellement, sur la « communication ».

Mais la mise au point d’une communication sur la question du suicide est extrêmement
délicate. Nous nous proposons de survoler ici quelques unes des questions qu’elle pose. Nous
tenterons de formuler, en fonction de ces préalables, les principes qu’elle devrait à notre sens
respecter.

5.1 UNE COMMUNICATION A VISEE DE PREVENTION DU SUICIDE SERAIT-


ELLE NUISIBLE ?

C’est une première question qui s’est largement posée, sur le terrain, dans les années 80.
Evoquer le suicide, prononcer le mot, débattre du phénomène avec des publics aussi novices
que variés n’allait-il pas en majorer l’ampleur ? N’allait-on pas « donner des idées » ?

L’évolution de la courbe des suicides dans notre pays, qui a largement affronté le débat
depuis dix ans est la meilleure réponse à la question, en congruence avec les études
aujourd’hui connues. La question de l’éventuel effet incitatif semble donc aujourd’hui
dépassée. D’autant qu’il faudrait distinguer, entreprise impossible, avec l’effet incitatif du
suicide lui-même, et des formes qu’a pris de tous temps ce que certains auteurs ont appelé
une « culture de mort » (Anatrella, 1997). Sur cette question Durkheim (6) avait déjà noté
que le suicide n’était pas contagieux, bien qu’il le paraisse parfois dans la proximité
immédiate, qu’une prise de recul, géographique et temporelle viendra contredire. Mais si
certaines régions, certaines cultures, sont davantage que d’autres frappées par ce fléau, il est
difficile de ne pas y voir l’effet d’une inscription mémoriale, comme un effet de « retour du
refoulé » de drames qu’on a voulu enfouir. De ce point de vue les régions françaises plus
particulièrement touchées, telles la Bretagne ou les Pays de la Loire, doivent s’interroger.

Et là gît probablement l’essentiel de cette problématique: si le suicide n’est bien entendu pas
uniformément provoqué par les caractéristiques culturelles, sociales, religieuses du sujet et
de son entourage, il sera par contre permis, sinon favorisé, ou au contraire retenu, dissuadé
par elles. On sait que pour un individu, les déterminants personnels au passage à l’acte sont
les plus décisifs. Mais qu’en est-il à l’échelle d’un groupe ? Durkheim encore a fait la
démonstration du lien entre héritage culturel et fréquence du suicide. Ce sont donc bien les

23
représentations, les valeurs, le rapport à la vie, à l’autre, au futur, à la mort qu’il faut
interroger. Or la culture, c’est ce qui s’est transmis, ce qui a occupé l’espace de la
« communication », dans ce flux ininterrompu de messages inversés, attendus, désirés,
renvoyés, complaisants à l’autre. Fantasmes, terreurs, fascinations, tabous, secrets, modèles,
images, souvenirs réels ou inventés, entre vie et mort, plaisir et désir, entre force et droit,
pulsion et raison…

C’est sur ce terrain saturé d’apports imaginaires, de souvenirs indicibles, de mythes


familiaux, qu’interviendra la communication sur ce thème du suicide. La question est de
savoir si l’on peut intervenir sur la culture elle-même, avec pour objectif d’en infléchir le
contenu. De proposer de nouveaux paradigmes, plus compatibles avec la transmission de la
vie. Des réponses sur le sens de l’existence, l’importance de l’autre, le bien absolu
qu’incarnerait l’espérance, la poursuite de la vie, le pardon, à opposer au désespoir du
jugement, à la pétrification subjective qu’imprime la culpabilité, à la résignation, à la défaite.

Question scandaleuse pour nos sociétés libérales, démocratiques, laïques, où la philosophie


du respect scrupuleux de l’individu, de ses choix, de son libre-arbitre, laisse le sujet face à lui-
même, et à l’angoisse de son auto-légitimation.

Mais que faudrait-il penser d’un Etat, d’une puissance publique qui, au prétexte de la liberté,
laisserait courir au citoyen des dangers qu’il ignore et qu’il connaît?

Question scandaleuse, « incorrecte ». Qui ne pourra être indéfiniment évitée. Car le devoir
des pouvoirs publics n’est-il pas de veiller à la vie et à la santé de la population,
indépendamment des idéologies ou des croyances ? Si ce problème, qui revient
périodiquement en lumière à propos de certaines sectes, ne peut être strictement résolu sur le
plan du droit, il peut sans doute au moins faire l’objet d’une volonté, d’un engagement, au
nom de la survie de notre société minée par ce doute existentiel.

Au nom de la lutte contre la mort consentie, volontaire, ne faut-il pas remettre en cause
certaines des valeurs sur lesquelles s’appuie aujourd’hui notre société, notre « démocratie
mélancolique » selon le mot de Pascal Bruckner (2) ?

Et d’abord, peut-être, ouvrir les yeux sur sa dérive individualiste, son désenchantement
(Gauchet, 1985), sa promotion de la figure emblématique de l’homme seul face à son destin, à
la recherche de son identité, du sens de sa vie, abandonné des aventures collectives, et des
idéaux, enjoint de se construire son propre chemin, de trouver sa raison d’être, de s’inventer
venant de rien : tâche radicalement inédite, inouïe, impossible.

5.2 UNE DEMARCHE DE « COMMUNICATION » PEUT-ELLE CONTRIBUER A LA


PREVENTION DU SUICIDE ?

C’est notre deuxième question : peut-on réellement envisager de faire évoluer, ces
déterminants culturels du suicide, hérités de notre société française, par l’intermédiaire d’une
communication venant d’en haut ? La prévention du suicide peut-elle être promue comme un
produit publicitaire ?

Les tentatives déjà menées sur ce terrain des opinions, des idéaux, des représentations, n’ont
pas toutes été couronnées du succès qu’elles attendaient. Et l’expérience a montré que les
campagnes consacrées à ces causes « humanitaires », ne rencontraient l’adhésion collective
que lorsque leur faisait écho, en profondeur, la perception par le groupe de leur caractère
authentique et juste. On peut aussi s’interroger sur le caractère durable de l’adhésion à ces
campagnes dès lors que leur projet est précisément de prendre appui sur la perméabilité
psychique du public visé, et qu’elles ont, en outre, dans le cas du suicide, la caractéristique

24
d’être incomparablement plus difficiles d’accès, plus complexes, plus troublantes, que celles
qui concernent les causes classiques de la bienfaisance.

Quelle profondeur aurait, de surcroît, l’adhésion, individuelle ou collective, à ce qui serait


désigné comme la « cause » de la prévention du suicide ? Qui pourrait juger de la force du
lien, de la sincérité de l’engagement, de l’authenticité du changement personnel attendu par
exemple sur la conception de l’existence ? Entre le contenu de la conscience, et les mots qui le
traduisent d’un côté, et les actes de l’autre, il restera toujours l’épaisseur de l’inconscient
individuel, et le poids des déterminants collectifs. S’en remettre par conséquent aux effets
d’affiche des techniques de communication, pour fonder sur eux une stratégie de prévention
primaire du suicide exposerait à d’inévitables déceptions.

Une deuxième difficulté tiendra au paradoxe suivant : envisager une prévention primaire du
suicide, la fonder sur la prise en compte des déterminants collectifs pourra-t-il recevoir une
traduction cohérente, dans la pratique, dans la sollicitation nécessaire de l’individu libre, et
éventuellement désireux de s’en extraire ? Mettre l’accent sur les facteurs sociaux ne vient-il
pas entraver la promotion de la liberté du sujet et de sa volonté de s’affranchir des logiques
de mort ? Comme a pu le dire A. Guihaumé (1983), la reconnaissance du droit à la mort
(comme expression du droit au choix) ne peut-elle constituer paradoxalement une prévention
efficace du suicide ?

Une réelle difficulté se tient donc là. Ce dont le sujet a besoin, ce n’est pas d’entendre toutes
les raisons qu’il aurait, en butte aux pesanteurs collectives décourageantes, de s’y soumettre
et de déprimer, mais de trouver en lui-même les ressources subjectives, qui feront de lui le
vainqueur de sa difficulté. S’adresser à l’individu a ses règles, que connaissent les
publicitaires. C’est la raison pour laquelle les spots sont si souvent amusants : l’humour y est
indice de la radicale liberté de l’homme, de sa capacité à subvertir toute entreprise qui
songerait à l’instrumentaliser, et le clin d’œil de celui qui s’adresse à lui, en lui signifiant son
respect.

Bien entendu, ce qui précède n’est ici formulé que pour indiquer les précautions
indispensables pour concevoir les stratégies de communication.

Ces stratégies doivent se donner pour objectif de sensibiliser sans caricaturer, d’aider sans
disqualifier, d’offrir des repères nouveaux, fruits des données actuelles des sciences sociales,
psychologiques et médicales, sans tourner le dos aux repères anciens, aux fondements
culturels, philosophiques, religieux, sur lesquels s’appuient les fonctionnements souterrains
et les défenses éprouvées d’une société.

5.3 QUELS SUJETS CETTE COMMUNICATION DOIT-ELLE ABORDER ?

L’information devra évidemment porter sur l’ensemble des registres concernés par la
prévention de ce phénomène.

Elle pourra d’abord s’intéresser à la prévention secondaire, qui repose sur le dépistage et
la prise en charge des populations présentant un ou plusieurs facteurs de risque
pathologiques, événementiels ou sociaux.
Dans les faits ces populations possèdent toutes la caractéristique d’être approchées par des
professionnels des mondes médicaux, éducatifs ou du travail social avec lesquels peuvent être
réfléchies et mises en oeuvre des stratégies de dépistage et de prise en charge. Ces stratégies
devront avoir pour objectif de favoriser la prise de conscience et la vigilance collectives, qui
pourront s’appuyer sur des outils d’information, de lecture des situations. Ces outils devront
être élaborés avec des représentants des mondes professionnels concernés, afin d’en favoriser
l’appropriation et l’utilisation.

25
Une information sur les réalités épidémiologiques et de facteurs de risque devra d’abord être
délivrée. Cette information pourra être prolongée par l’approfondissement de notions
cliniques et psychopathologiques, en particulier dans le domaine de la crise suicidaire, qui
permettront la responsabilisation directe des acteurs de terrain, dans le domaine du
dépistage comme de la conduite à tenir. Cette dernière étape pourra d’autant mieux être
atteinte que la formation se fera sur un mode interactif.
Enfin, à un niveau qui ne peut être que local, des répertoires, documents d’information sur
les ressources disponibles, les lieux, les personnes ou institutions susceptibles de répondre à
tous les types de difficultés devront être diffusés, et tenus à jour. L’objectif premier devra être
de faciliter au maximum l’accès aux soins des personnes en situation de fragilité, et de danger
suicidaire en développant la vigilance, et la réactivité de l’entourage.
Mais poursuivre cet objectif par le moyen de ces formations, outils, répertoires mis à
disposition de professionnels est à l’évidence insuffisant. Ces instruments constituent certes
de précieux supports, mais ils n’ont de portée que dans la mesure où ils sont mis au service
d’une attention diffuse, d’une sollicitude partagée. Le souci d’autrui, l’anticipation du risque
doivent être premiers, si l’on désire que ces « programmes » de prévention ne soient pas
vains.

La prévention primaire peut, quant à elle, être envisagée sous deux registres.

A - Le premier est celui de l’organisation sociale qui résulte de processus


décisionnels publics, d’ordre social ou politique, et sur lesquels une réflexion peut être
encouragée, et des évolutions ensuite favorisées après évaluation.

B - Le deuxième est ce registre que nous avons déjà évoqué des pratiques
personnelles, de la position subjective, de ce que nous pourrions appeler l’orientation
philosophique individuelle, qui se nourrit de représentations sociales, de valeurs partagées,
et pour lesquelles des actions de fond d’ordre culturel peuvent être au moins réfléchies sinon
mises en oeuvre.

A. L’organisation sociale est certes d’abord le fruit d’une évolution spontanée, liée à celle
des modes de pensée et de vie, au développement économique, aux aspirations
d’agrément. Mais elle est aussi le fruit de décisions explicites prises par certains
responsables de la vie civile ou ceux dont les fonctions techniques peuvent influer sur la
vie quotidienne, les rythmes de travail et de repos, la place laissée à la convivialité et à la
création des liens sociaux : architectes, urbanistes, responsables municipaux, chefs
d’entreprise, monde enseignant, pédagogues, exécutif politique, législateur, lorsqu’il
décide par exemple de droit du travail, de politique de sécurité, ou d’aménagement du
territoire…
Au même titre qu’en matière d’environnement physique, on pourrait proposer que dans
les processus de décision susceptibles d’influer sur les conditions de la vie sociale, un
souci de l’« écologie psychique » soit promu. On peut imaginer l’élaboration de
recommandations de « bonnes pratiques » dans les procédures de décision d’urbanisme
ou de fonctionnement des services publics, qui pourraient être intégrées par l’Etat et les
collectivités locales, à titre d’exemple, dans le cahier des charges de la conduite de projets.
Ces recommandations devraient tenir compte des acquis des travaux sociologiques sur la
question du suicide, et suggérer par exemple l’association de psychologues, de
sociologues ou de psychiatres à la réflexion sur les modes de vie induits.
On peut penser, si se répandaient de telles pratiques de partage, de réflexion,
d’évaluation, que pourrait progressivement se constituer en France un corpus de
connaissance sur la question du retentissement de l’organisation sociale sur la vie
psychique. La « souffrance psychique » des populations en situation de précarité sociale,
professionnelle, familiale, affective, est devenue depuis quelques années un constat de

26
consensus chez les travailleurs sociaux. L’isolement, le chômage, ou au contraire la
densification et l’isolement dans le travail, la dislocation de la cellule familiale, la vacuité
d’une vie sans perspective bien définie, l’absence de référence et de loi, alimentent un
indiscutable « mal-être » collectif dans certains quartiers, et nous confirment, s’il en était
besoin, qu’existe là un champ considérable de travail et de réflexion (Nizard, 1998).
Assimiler précarité et suicide serait évidemment abusif, et il importe, dans un souci de
nécessaire rigueur de ne pas feindre de réduire la prévention possible à une simple
démarche d’« hygiène sociale ». Ce serait en effet faire peu de cas de la complexité des
interactions en cause, parmi lesquels les facteurs individuels, évidemment déterminants.
Mais il serait à l’inverse regrettable de négliger cet aspect qui représente dans le quotidien
de chacun, le poids lancinant des difficultés, les raisons objectives du découragement,
l’absence d’espoir (Halbwachs, 1930).

B. Le deuxième aspect est celui du registre culturel, que avons déjà évoqué. Ce registre
doit donc être abordé avec prudence, en tenant compte de sa complexité et de ses
difficultés spécifiques.

Que peut-il être envisagé ?

Indépendamment d’une éventuelle pathologie psychiatrique, la dynamique psychologique du


suicide, que vient corroborer la lecture que l’on peut faire des déterminants sociaux du
suicide (sexe masculin, célibat, ruralité, isolement ...) suggèrent que la décision du passage à
l’acte s’inscrit dans un mouvement d’interruption du recours à l’autre (Hazif-Thomas, 2001).
Or de nombreuses recherches ont montré que la demande de soins, tout autant que par la
désespérance individuelle du sujet, est dissuadée par les représentations mentales qu’il
nourrit, et qui sont partagées et transmises par le corps social (Roelandt, 2000). Ces
représentations viennent redoubler les convictions de dévalorisation, de dégradations liées
aux sentiments dépressifs et en constituer le support. Ainsi en est-il par exemple sans doute
de l’image de l’homme, de sa virilité, de son rôle dominant attendu, qui ne viendra que trop
souligner la défaillance de ceux qui ne pourront s’identifier à cet idéal. On peut probablement
dire la même chose des mentalités associées à la ruralité, à certaines philosophies ou
religions, ou à certaines superstitions, de même qu’on peut voir dans certains traits de
caractère des facteurs de risque. Les développements actuels des sciences cognitives et celui
d’une clinique dimensionnelle des troubles de la personnalité plaident aujourd’hui pour
qu’une approche objectivante de ces mentalités ne soient pas récusée. Ceci passe donc par
des démarches d’analyse des dynamiques psychiques en cause (la projection, la pensée
magique, les thématiques persécutives a minima…), et par une lutte pédagogique contre
leurs effets victimisants, dépressogènes, désespérants.

Il serait aussi certainement fructueux de repérer les représentations sociales favorisant les
ressentis de fatalité, et d’évaluer leurs effets sur les conduites de demandes de soins. Citons
encore une fois, pour l’exemple, l’image de l’homme, son idéal d’invulnérabilité, de non-
dépendance, de conquête. Or c’est peu de dire que la représentation des rôles sexués dans les
manuels scolaires ou les journaux pour enfants s’est appuyée dans notre pays, jusqu’à une
période toute récente, sur des conceptions surannées. Malgré les évolutions récentes ne
serait-il pas utile d’envisager la nécessité d’instaurer une sorte de « veille culturelle », avec
mission de proposer aux instances responsables (mais qui doivent-elles être ?) les évolutions
indispensables pour que de tels retards ne puissent se perpétuer dans l’indifférence
générale ?

Demander, avoir recours à autrui, dire son angoisse et ses limites ne devrait plus être dans
l’imaginaire populaire assimilé à une lâcheté, un manque de courage, une trahison de son
rôle ou de ses idéaux. Mais on mesure le chemin à parcourir quand l’essentiel des modèles
identificatoires proposés à la jeunesse, par exemple par le canal des fictions télévisées, se doit
toujours de tourner autour de la figure du héros, dont l’adversité n’entame jamais ni l’astuce,

27
ni l’humour, et qui toujours triomphe. Evidemment cette image est projection, archétype,
idéal à atteindre. Mais la rémanence de ces figures adolescentes n’indique-t-elle pas, aussi,
l’incapacité de notre culture à faire le deuil de son enfance ? Sa souffrance à envisager le
manque, la défaillance, la complexité, c’est-à-dire l’autre ?

N’est-il pas urgent, dans le contexte historique français de ce début de siècle, de réfléchir à la
promotion d’autres valeurs, et spécialement en direction des publics exposés à cette culture
de l’immaturité ? Ne pourrait-on imaginer de développer une politique culturelle (mais
existe-t-il encore une politique culturelle, et menée par qui ?) où aux problèmes inévitables
de l’existence, la rencontre de l’échec, de la frustration, de l’altérité, de la souffrance morale,
de la solitude, se verraient proposées des modèles de réponses moins magiques et plus
matures ? Et dans cet esprit quelles opérations mentales, quels outils culturels pourraient-ils,
devraient-ils être remis à l’honneur ? Connaître ses limites, pouvoir dire non, discerner le
vrai, et le dire, militer pour le possible, accepter le réel, faire la place au manque, rechercher
le mieux-être, en insistant sur l’être, aller au devant de l’autre, rechercher la justice sans la
confondre avec le plaisir, savoir renoncer sans se vivre menacé, etc.

Dans ce registre, il est indispensable de promouvoir le travail de « l’écoute », des deux côtés
de l’échange, comme un authentique recours à l’autre, comme une demande de réponses, de
savoir, et d’indices. Il devra s’agir certes de découvrir en soi les moyens subjectifs de faire
face, mais pour cela d’abord de faire crédit à l’autre, et non de le considérer comme le
déversoir d’un trop-plein de souffrance. Car « l’écoutant » ne sert à rien s’il est dans le même,
s’il n’accepte pas de représenter cet « autre intérieur » du sujet, auquel il aspire à advenir,
dans ce constat de cette impossibilité à tenir, dont témoigne ce cri si ambigu de la tentative de
suicide. Cette tentative, c’est le constat, pour le sujet, d’une autre logique, d’un autre jeu de
forces en lui-même, de désirs, d’aspiration, de refus, un « effet de vérité », une tentative, par
cet « autre intérieur », de délivrance et de vie (Pommereau, 1996). Etre soignant pour le
suicidant c’est donc représenter, y compris contre lui, cet autre en lui, et lui permettre de
faire valoir sa vérité subjective, dans sa révolte et son appel.

Comment traduire et transmettre, et maintenant à large échelle, ces clés mentales, ces
repères philosophiques, culturels, psychologiques, pour aider préventivement les membres
les plus fragiles de notre société, et cela malgré le fait qu’ils soient précisément les plus
vulnérables, les plus carencés, les moins accessibles à ces considérations ?

Comment par exemple faire passer l’idée que pour être mieux, il faut d’abord être mieux avec
soi-même, c’est-à-dire encore écouter l’autre en soi ? Et comment faire passer cette idée en
s’adressant à celui en lui qui précisément n’écoute pas et s’en défend ? On voit qu’il s’agit de
diffuser là une sorte de « culture de l’inconscient », dans la promotion de ce que nous
pourrions appeler un « humanisme psychanalytique », qui se distinguera des religions,
philosophies ou systèmes de pensée séculaires par le fait qu’est posée l’irréductibilité du
clivage de l’homme avec lui même, la radicalité de sa non maîtrise, l’impératif presque
éthique d’un travail sur lui-même, d’une attention à porter à ce qui échappe.

Mais promouvoir cet humanisme psychanalytique, diffuser ses acquis, serait-ce proposer,
venant d’une élite, un système de valeurs non démocratique ? Peut-on imposer une
conception de l’existence ? Alors, d’ailleurs, que la psychanalyse ne se propose pas comme
une conception de l’existence mais comme une méthode pour sortir de sa souffrance, celle de
la difficulté des rapports d’un homme avec lui même.

Reste une question, à laquelle on ne peut indéfiniment se dérober, ou que l’on ne peut
réduire à sa seule description sociologique. C’est celle du sens de l’existence, des valeurs
dépassant l’homme, de la transcendance, qui est sans doute au cœur de la problématique de
la désespérance, (on n’espère pas que pour soi, car on espère de l’autre, dont on postule donc
tout à la fois l’existence et la valeur, la dimension dépassant le soi). La psychanalyse ne

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prétend pas lui apporter de réponse, et même au contraire puisqu’elle insiste sur la
nécessaire déconstruction des illusions idéalisantes (Freud, 1927).

Il faudrait donc s’en tenir à évoquer le problème, à en partager la problématique, à en


interroger les tenants et aboutissants ? Ce serait déjà un progrès. Mais est-il réellement à ce
point illégitime, en l’état actuel de nos connaissances, de s’avancer sur le terrain de la
philosophie, de la culture, de la religion, pour en reconnaître les messages dominants,
actuellement à l’œuvre dans notre société, et d’en évaluer les effets ? Ne pouvons nous nous
hisser à la hauteur de l’enjeu, nous autoriser à formuler nos constats et convictions, faire
appel à la liberté (Ricœur, 1990), donc à la responsabilité, à l’intelligence, à la force et à
l’envie de vie de l’homme d’aujourd’hui, sans prétendre proposer des réponses abouties ?

Car cet engagement ne pourra être du seul ressort des spécialistes, introuvables en ce
domaine. Il devra concerner l’ensemble de notre société, dans sa capacité à retrouver, ou à
construire du sens.

BIBLIOGRAPHIE

Anatrella T. « Non à la société dépressive » Flammarion – Champs – 1997


Bruckner P. « La mélancolie démocratique » Seuil – Paris, 1990
Buzaré A., Denis D., Desormeaux A., Leguay D. « La dépression, objet d’échanges » L’information
Psychiatrique n°3 – mars 1992 ; pp 251-267
Charazac-Brunel M. « Prévenir le suicide » Dunod - 2002
Cyrulnik B. « Les nourrices affectives » Odile Jacob, Paris - 2000
Durkheim E. « Le suicide » P.U.F. – 1991
Finkielkraut A. « La défaite de la pensée » Gallimard/NRF – Paris, 1985
Freud, S. « L’avenir d’une illusion » P.U.F., 1971
Gauchet M. « Le désenchantement du monde » Gallimard/NRF – Paris, 1985
Guihaumé A., Guihaumé R. « La reconnaissance du droit à la mort n’est-elle pas paradoxalement
une prévention efficace du suicide ? » Psychologie Médicale, 1983 ; 15 (1) : 63-65
Haut Comité de Santé Publique « La santé en France 2002 » Ministère de l’Emploi et de la
Solidarité – HCSP – Rapport triennal – janvier 2002
Halbwachs M. « Les causes du suicide » Ed Alcan, Paris - 1930
Hazif-Thomas C. « Conceptualisation de la crise suicidaire » in « La Crise suicidaire : reconnaître
et prendre en charge » - Conférence de Consensus, 19 et 20 octobre 2000 – John Libbey Eurotext
2001
Levinas E. « Le temps et l’autre » P.U.F. Paris, 1983
Minois G. « Histoire du suicide – La société occidentale face à la mort volontaire » Fayard - 1995
Nizard A. « Suicide et mal-être social » (avec la coll. De N. Bourgoin et G. de Divonne) – in
« Population et Sociétés » – Bulletin de l’INED – N° 334, avril 1998
Pommereau X. « L’adolescent suicidaire » Dunod, Paris – 1996
Ricœur P. - « Soi-même comme un autre » Seuil – Paris - 1990.
Roelandt J.L., Caria A., Mondière G. « La santé mentale en population générale : images et
réalités » L’Information Psychiatrique, 76 – 3 – 2000 – pp 279-292

29
6 QUESTIONS COMPLEMENTAIRES POSEES PAR LE JURY AUX EXPERTS

Questions posées par le jury

Première question, comment faciliter la connaissance par le grand public, c’est à dire par
l’ensemble des habitants, des dispositifs d’écoute de manière à ce que chacun et chacune
– c'est-à-dire la personne en souffrance comme son entourage - puisse trouver un appui
rapide lorsqu’une situation à risque se présente?

La deuxième question interroge la manière de lever les tabous, et pourrait


sommairement être formulée de la manière suivante : Comment encourager les
personnes confrontées à une situation d’urgence à faire appel aux dispositifs d’écoute ou
de prise en charge ?

Enfin, comment faciliter le repérage par le grand public d’une crise suicidaire ? Existe-t-
il des moyens, des indicateurs, des tests, des symptômes… permettant à des non
spécialistes de repérer une crise suicidaire ? Comment donner au grand public les bases
pour faire face à une crise suicidaire ? Que faire lorsqu’un risque est repéré ?

REPONSE DE SYLVIE GALARDON

Ce sont des questions extrêmement importantes et ce n’est peut-être pas aujourd’hui que
nous allons apporter des réponses. Je crois que la connaissance des risques suicidaires et la
façon de les repérer est complexe. On en parlera ensuite en terme d’information, je crois.

Alors, comment faire en sorte que ce soit plus abordable ? Parce que, finalement, c’est la
question, comment peut-on y aller ?

C’est vrai que banaliser le recours à la parole, non pas banaliser les propos bien entendu,
mais ce qui se fait depuis quelques années dans la société : nous avançons dans la société en
disant qu’aller parler de soi à un moment donné, c’est quelque chose qui peut arriver à tout le
monde. C’est quelque chose qui n’est pas stigmatisant mais ça peut être, à un moment donné
de sa vie, un besoin. Et, c’est quelque chose de normal. Je crois qu’il faut arriver à faire passer
cette notion que faire appel à d’autres quand on ne va pas bien, ce n’est pas une honte, ce
n’est pas quelque chose qui est insurmontable mais c’est quelque chose, au contraire, qui
peut simplement aider.

Il y a un discours à tenir autour de ça, il y a certainement de l’information à faire passer. Ça


permettrait à un certain nombre de personnes de faire appel, d’avoir accès à des lieux
d’écoute et de soins. On sait – je pense que vous ne me contredirez pas – qu’un certain
nombre de personnes qui appellent les lieux d’écoute, le font comme une première
expérience avant d’oser aller chez un professionnel. On le sait, c’est important de le savoir,
donc, peut-être qu’on pourrait accompagner mieux de cette manière là pour que les
personnes osent aller parler d’elles-mêmes. Ensuite, je ne vais peut être pas répondre à vos
trois questions, lever le tabou : c’est un travail de longue haleine qui a été entrepris depuis
longtemps et c’est aussi un travail que chacun d’entre nous peut être amené à faire. Il y a à la
fois, certainement, des réponses institutionnelles à tout cela mais il y a aussi ce que chacun
d’entre nous est capable de faire passer comme message dans « nos entourages ». Je le mets
au pluriel car nous avons tous des entourages à la fois familiaux, amicaux, professionnels. Il y
a aussi des discours que nous pouvons faire passer sur ce qui existe, sur le fait que tout cela
n’est pas catastrophique, qu’aller parler de soi n’est pas catastrophique. Le bouche à oreille,
c’est quand même ce qui fonctionne vraiment très bien. On sait que pour les accès aux
hôpitaux, on va plus facilement quand on a quelqu’un qui vous dit « oui, moi, j’y ai été, je

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connais le service et je peux y aller. » Il y a vraiment un travail avec beaucoup de simplicité,
autour de ça à faire, en plus du travail institutionnel.

REPONSE DE MICHEL ABSIL

Sur la troisième question, donc sur la crise suicidaire, je me dis que chacun, à son niveau,
peut être un agent de prévention du suicide. Mais vraiment à son niveau, dans le sens que, on
peut le faire, mais je trouve que pour que ce geste ait une valeur, on peut aussi ne pas le faire.
Pour certaines personnes, c’est lourd à porter et c’est quelque chose qui est très difficile. Je
pense qu’au niveau personnel - on parlait ce matin de l’éthique de l’inquiétude si je me
souviens bien - je me dis que c’est être soucieux des changements qu’on rencontre chez
l’autre, des difficultés, des modifications que cette personne a dans sa façon de rentrer en
relation ou bien d’être attentif dans son discours à des phrases peut-être anodines mais qui
laissent penser qu’elle ne va pas bien, qu’elle a peut-être des idées noires, toute une série de
choses comme ça. Encore une fois, je pense qu’on ne doit pas porter seul tout cela, je crois
que c’est important d’accuser réception, de l’entendre, d’en prendre acte et de ne pas se
détourner de cela. Et puis, par la suite, éventuellement orienter la personne vers une autre
structure ou quelqu’un d’autre. Je pense que ce qui est important c’est de ne pas mentir à la
personne, quand on l’écoute c’est d’être vraiment là, ne pas s’engager dans quelque chose
qu’on ne pourra pas tenir, ne pas vouloir en faire trop mais d’essayer de privilégier une
attitude authentique.

Questions posées par le jury

On entend des discours assez contradictoires sur le suicide. On parle notamment de


manière assez récurrente du risque mimétique. Ceci étant vous considérez que la
communication sur le suicide n’a pas en soi d’effet « incitatif ».

Nous souhaiterions en conséquence connaître votre point de vue sur l’intérêt de lancer
une campagne de prévention dont l’objet serait, d’une part, de faire connaître les
dispositifs d’écoute, et, d’autre part, d’informer le grand public sur la manière de repérer
un risque suicidaire et d’agir en conséquence.

REPONSE DE DENIS LEGUAY

Alors, la question du mimétisme, je crois que j’y ai un petit peu répondu mais ce qu’il ne faut
pas perdre de vue c’est que dans une situation suicidaire individuelle, les facteurs individuels
sont beaucoup plus importants que les facteurs collectifs - même si on parle du collectif – en
termes de fréquence. Ce n’est pas n’importe qui, qui va imiter.

Donc revenons peut-être à l’instruction - au sens d’instruire une question – l’instruction de la


situation individuelle. Donc, on revient à la deuxième partie de votre question : « quels sont
les avantages de faire connaître les dispositifs d’écoute ? ». Oui, je pense que ça fait partie des
fondamentaux de la prévention du suicide avec deux points : un aspect pratique, c’est
concrètement intéressant, puis, un aspect symbolique, c’est aussi intéressant de faire
connaître l’idée qu’on peut avoir « recours à ». Et moi, je partagerai l’idée développée tout à
l’heure par Mme Galardon qui disait qu’il vaut peut-être mieux parler de l’écoute que de
parler directement de, si vous avez envie de vous suicider, adresser vous à tel ou tel dispositif.

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7 QUESTIONS COMPLEMENTAIRES POSEES PAR LES PARTICIPANTS AUX EXPERTS

Intervention d’un membre du Conseil Régional des Jeunes

Bonjour, je suis membre du Conseil Régional des Jeunes. Je ne suis pas d’accord avec un
seul point du Docteur TUAL. Elle a dit que : plus les jeunes sont informés, plus ils se
mettent en danger. Je voulais juste dire que les jeunes sont mal informés et savoir ce que
vous appelez « informés » ?

REPONSE DU DOCTEUR TUAL

Alors, ce n’est pas moi qui le dis, je ne me permettrai pas, je suis médecin de santé publique,
je ne suis pas spécialiste du suicide. Donc, je reprenais les propos de Marie Choquet, qu’elle
tenait récemment dans un congrès à Vannes, qui faisait part des résultats des études qu’elle
mène puisqu’elle travaille de façon régulière et depuis de nombreuses années sur la question
de la santé chez les adolescents. Donc, voilà.

Question de Cyril PERCHEC, membre du jury

Moi, je levais la main pour poser la même question que vous parce que du coup, il y a un
petit côté terrible d’avoir des jeunes du Conseil Régional des Jeunes face à nous et de leur
dire on ne va pas vous en parler, sortez vite…

Intervention d’un membre du Conseil Régional des Jeunes

Justement. Si on est venu là, qu’on a une délégation qui veut parler du suicide, c’est parce
qu’on est mal informé. Et quand j’entends ça, je suis un peu choqué.

REPONSE DU DOCTEUR TUAL

Alors, la question, c’est : de quoi on parle ?


Si c’est leur parler des lieux où ils peuvent se rendre si ça ne va pas bien, quels sont les
recours ? Ça je pense que, bien sûr, il est question de leur en parler pour qu’ils comprennent
mieux le phénomène et qu’ils sachent où s’adresser.
Maintenant, dire aux jeunes sans arrêt que les jeunes bretons se suicident, c’est quand même
quelque chose qu’on répète à l’envie c’est peut-être là-dessus qu’il faut s’interroger.

Intervention d’un membre du Conseil Régional des Jeunes

Je voulais juste dire qu’un élève, pendant tout son parcours scolaire jusqu’à la Terminale,
n’a jamais eu d’informations sur ce sujet.

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Bonjour, je suis également membre du Conseil Régional des Jeunes. Je voulais poser une
question brièvement qui s’adresse à Monsieur Guitton.
J’ai pris connaissance que vous travaillez au Quotidien Ouest-France qui, d’après moi,
est le quotidien le plus vendu en France. Est-ce que vous seriez prêt à réfléchir sur un
projet de campagne sans précédent et de remplacer les petites pubs qui prennent toute
une page sur un quotidien par une affiche de prévention ou autre ?

Réponse de Mr GUITTON

Un journal c’est une entreprise à caractère économique qui ne survit qu’avec l’argent des
publicités. Sur un plan rédactionnel, on est prêt dans ce journal à accompagner le plus
souvent, le plus largement possible, toutes les initiatives qui ont un lien avec la prévention et
toutes les campagnes qui pourraient y être associées. Votre formulation était un peu
maladroite parce que si c’est une page, ça fait un peu page publicitaire, moi je veux bien
recevoir de l’argent de la part des gens qui font de la prévention mais bon, ce ne serait peut-
être pas très moral.

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Deuxième partie : Préconisations du jury

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1 « SORTIR LE SUICIDE DE LA CLANDESTINITE » NE SIGNIFIE PAS BANALISER LE
SUICIDE

Les experts ont mis en évidence la difficulté de l’écoute, de l’information et de la


communication sur le suicide. Si tous s’accordent sur la nécessité d’une forte sensibilisation
de la population, ils pointent dans le même temps les risques induits d’une communication
mal préparée dont les effets les plus néfastes seraient de banaliser le phénomène et
d’accentuer les risques du passage à l’acte.

Le sujet est suffisamment grave pour prendre le temps d’une réflexion aboutie et argumentée
sur cette question. Les désaccords ou les incertitudes qui transparaissent dans les différentes
interventions des experts ne facilitent pas de ce point de vue le travail de recommandations et
de préconisations incombant au jury. Nous suivons donc Georges Guitton lorsqu’il appelle à
la plus grande prudence en la matière.

Notre première préconisation relève du principe de précaution. Faire sortir le suicide de la


clandestinité ne signifie pas qu’il faille lui donner une hyper visibilité ou qu’il faille
constamment « parler » du phénomène. A contrario, ce constat ne signifie pas qu’il faille
laisser le grand public dans une relative ignorance du risque suicidaire et des dispositifs
existants pour le prévenir. Il oblige en revanche, d’une part, à se donner quelques objectifs
ciblés évoqués ci-après, d’autre part, à se prémunir contre la tentation d’une communication
non coordonnée entre les différentes structures et institutions mobilisées sur le thème.
Charge aux institutions de définir les modalités de coordination les plus efficaces en la
matière. De nombreux efforts de coopération semblent avoir été faits, ils doivent être
poursuivis en se donnant comme objectif d’élaborer une stratégie de communication
commune sur la prévention primaire.

2 IDENTIFIER LES FREINS AU RECOURS AUX CENTRES D’ECOUTE

Le premier objectif est de faire en sorte que les personnes ayant des idées suicidaires fassent
la démarche, soit d’appeler les centres d’écoute, soit de consulter un spécialiste. Sur ce point,
les experts ont souligné la difficulté des personnes suicidaires à appeler les centres d’appels.
Michel Absil souligne également que très peu de jeunes et de personnes âgées ont recours au
Centre de Prévention du Suicide. De son côté Sylvie Galardon observe une baisse des recours
aux centres d’écoute.

La difficulté « à appeler » a souvent été pointée, mais elle reste mal analysée. De sorte que
l’on ne sait pas réellement si elle s’explique par une peur de la stigmatisation, par une peur de
se confier à un inconnu, par la pudeur ou l’introversion, par un sentiment d’inutilité de ce
type de démarche, par un sentiment de trop grande distance à l’écoutant, par une
détermination à mourir si forte qu’elle empêche l’appel, par une méconnaissance des
ressources disponibles…

On ne sait pas davantage si les personnes ayant fait une tentative de suicide ont ou non
cherché des appuis externes (et si oui de quelle nature), ni si elles ont fait appel à des
structures d’écoute. Une étude précise reste donc à conduire sur cette question pour mieux
appréhender les raisons pour lesquelles une partie des personnes ayant tenté de se suicider,
soit n’a pas eu recours aux services qui lui étaient dédiés, soit n’y a pas trouvé l’appui
nécessaire. Il s’agit là d’une deuxième préconisation.

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3 BANALISER L’ACTE D’APPEL

Le jury reprend à son compte la suggestion de Sylvie Galardon qui consiste à « banaliser »
l’acte d’appel. Ce principe vise à la fois à réinscrire l’acte d’appel dans le registre de la
normalité (« c’est normal d’appeler ou de consulter lorsque l’on va mal »), à le dédramatiser
(« d’autres que vous y ont fait appel et y ont trouvé un soutien ») et à informer la population
sur les dispositifs existants (numéro vert, centre d’écoute, centre médico-psychologique…).
On peut ici suggérer la mise en œuvre d’une communication grand public s’adressant à
l’ensemble des personnes en souffrance que celles-ci soient ou non inscrites dans une logique
suicidaire.

4 DONNER UNE FORTE VISIBILITE A UN NUMERO DE SOUTIEN PSYCHOLOGIQUE

Banaliser l’acte d’appel nécessite de faciliter l’appel. Deux niveaux doivent ici être distingués.

Le premier niveau relève de l’urgence. Son objet est d’apporter un appui lors d’un raptus
suicidaire. Selon Michel Absil, 2% des appels au Centre de Prévention du Suicide sont le fait
de personnes en tentative de suicide. L’appel s’inscrivant dans le registre de l’urgence, il est
absolument essentiel de ne pas laisser la population dans le doute sur le numéro, le service
ou l’association à appeler. On peut sur ce point imaginer la création ou « la mise en
évidence » d’une ligne dédiée.

Le second niveau relève du soutien psychologique. Il se donne comme objectif de faciliter


l’appel, de proposer un premier niveau d’écoute et d’inciter les appelants à consulter les
structures spécialisées. Concernant cet aspect, il semble préférable de privilégier une
plateforme généraliste n’induisant pas dans son appellation un autodiagnostic des raisons du
mal-être. Le jury renvoie sur ce point à la nécessité d’une étude sur les modalités et les
raisons de recours ou de non recours aux centres d’écoute. Ce diagnostic est à conduire
prioritairement auprès des personnes ayant tenté de se suicider et doit permettre d’ajuster les
dispositifs existants.

5 DE L’ETHIQUE DE L’INQUIETUDE A LA FORMATION AU REPERAGE DU RISQUE


SUICIDAIRE

Le suicide est un enjeu de société et chacun doit être mobilisé dans une stratégie de
prévention du suicide. Chacun doit toutefois bien appréhender le rôle qui doit être le sien et
ne pas surestimer ses capacités en la matière. Sur ce point Michel Absil souligne notamment
la difficulté et les risques qu’il y a à s’improviser « écoutant ». L’écoute nécessite un
apprentissage des manières d’être en situation et des écueils à éviter. Elle représente par
ailleurs une charge mentale pour l’écoutant dont il faut prendre la mesure.

L’enjeu consiste de ce point de vue non à se substituer aux personnes formées à l’écoute des
personnes suicidaires, mais à participer d’un réseau de veille et de prévention qui permettent
au plus grand nombre d’être en mesure de repérer les risques, d’être à leur écoute et de
connaître les stratégies à adopter.

En terme de préconisations, un premier niveau de réponse pourrait être de diffuser assez


largement des plaquettes d’information sensibilisant la population et donnant quelques clés
sur les postures ou les attitudes à adopter. La suggestion de Sylvie Galardon pourrait ici être
reprise. Elle consiste à s’inspirer de documents simples et abordables comme les « vrais /
faux » diffusés au Canada et à les diffuser le plus largement possible à l’échelle régionale.

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Cette réponse peut cependant s’avérer insuffisante, notamment parce que son efficacité
repose en grande partie sur la capacité à réitérer de manière régulière le message. Il n’est pas
certain que la population prête attention et mémorise ce type de message lorsqu’elle n’est pas
directement confrontée à des situations de risques identifiés.

Une réponse plus ambitieuse consisterait à s’inspirer des expériences conduites en Finlande.
L’idée directrice de ces expérimentations est de former une partie de la population au
repérage du risque suicidaire et aux manières de l’appréhender (1 personne sur 1000). Ces
formations pourraient dans un premier temps être proposées aux personnes « en première
ligne » (ici compris dans son acceptation large : aides à domicile, enseignants, médecins,
DRH, responsables syndicaux, assistantes sociales, travailleurs sociaux, conseillères en
éducation sociale et familiale, infirmières...). Elles permettraient de mettre en place un
réseau de sentinelles partageant les mêmes outils d’analyse et les mêmes manières d’agir.

Ces formations pourraient dans un second temps être élargies à l’ensemble de la population.
Une évaluation du dispositif finlandais pourrait être un préalable à une expérimentation
bretonne.

6 LA CONNAISSANCE DU PHENOMENE

Les experts n’ont sans doute pas suffisamment insisté sur les manques en matière de
compréhension du phénomène. Les données et les analyses disponibles font aujourd’hui
cruellement défaut pour mettre en œuvre une politique de prévention ciblant les populations
les plus à risques.

Un vaste chantier est à ouvrir en ce domaine. Il doit permettre une meilleure connaissance
épidémiologique et sociologique du phénomène suicidaire. Il nécessite l’engagement d’un
véritable programme de recherche sur la population ayant fait une tentative de suicide. Ce
programme ne doit pas seulement s’attacher à mettre en évidence des corrélations
statistiques (corrélation entre le métier et les tentatives de suicide, entre le niveau scolaire et
les tentatives de suicide, impact du chômage, impact de la précarité, impact de la croyance
religieuse, impact des territoires…). Il doit également aboutir à une compréhension clinique
et psychologique s’attachant à l’étude des cas des personnes ayant fait une tentative de
suicide. L’engagement de ce large programme est une nécessité pour ajuster les politiques de
prévention du suicide.

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