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A N N U E L OUVRAGES D’ART 2000 MODERNE

Sommaire – Annuel ouvrages d’art ● édition juin 2000


PAGES
réalisations ØRESUND – Liaison fixe 01
Des travaux d’Hercule
entre Suède et Danemark
07 éditorial
P résents de longue date dans les pages
de Construction moderne, les ouvrages d’art
PAGES
connaissent une évolution profonde,et leur
AUTOROUTE A 89 dimension comme leur intérêt dépassent
08 maintenant ceux du simple ouvrage de
L’autoroute 16 génie civil.Trois raisons essentielles à cela :
l’apport des architectes,tout d’abord ;
sous l’emprise du paysage
ensuite le souci de plus en plus évident de
respecter l’environnement,et enfin – mais
ce n’est pas le moins important – l’innovation
>>> En couverture :
la liaison Beaucaire-Tarascon. technique.Une innovation technique qui
place désormais les ouvrages d’art, par
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le niveau de qualité et de sophistication
technologies béton TECHNOLOGIES BÉTON 17 des méthodes et des matériaux employés,
à l’avant-garde de la construction.
• Les éléments préfabriqués 24 Fidèle à l’esprit de son titre, Construction
moderne a choisi de se faire l’écho, à travers
• Le béton prêt à l’emploi un numéro spécial désormais annuel,
de cette importance grandissante des
ouvrages d’art dans ce qui fait la matière
même de son propos : l’architecture et
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la modernité.
réalisations EOLE – Ligne de RER 25 Bernard DARBOIS,
Eole : symphonie 32 directeur de la rédaction

technique en sous-sol

PAGES
MODERNE
LES PONTS HAUBANÉS 33 Revue d’information de l’industrie cimentière française
Haubans et dalle mince : 39 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Michael Téménidès
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION : Bernard Darbois
la solution du juste milieu CONSEILLERSTECHNIQUES :
Bernard David ; Jean Schumacher

PAGE
CIM
bloc-notes • Livres
• Forum
40 CENTRE D’INFORMATION SUR
LE CIMENT ET SES APPLICATIONS

36 7, place de la Défense • 92974 Paris-la-Défense Cedex


Té l . : 0 1 5 5 2 3 0 1 0 0 • F a x : 0 1 5 5 2 3 0 1 1 0
2000 • E-mail : centrinfo@cimbeton.asso.fr •

Génie civil ➜ 10 RÉALISATIONS MARQUANTES

1
• internet : www.cimbeton.asso.fr •

1 Pont Vasco de Gama sur le Tage - Lisbonne


Ce pont s’affirme parmi les plus longs au monde : 17 km. Le tronçon hau-
CONCEPTION, RÉDACTION ET RÉALISATION :
bané, avec ses deux pylônes de 150 m de haut, lance au-dessus du fleuve
une travée de 420 m sans appui qui laisse libre la principale passe navi-
gable. Résistant à des vents de 250 km/h, le pont pourrait supporter un
tremblement de terre quatre fois et demie plus intense que celui qui rava-
ALTEDIA COMMUNICATION
gea Lisbonne en 1755. Dans cet estuaire au très fort taux de salinité, les
bétons sont garantis 120 ans. ●●●

5,rue de Milan – 75319 Paris Cedex 09


2 Eole - Paris
Les deux gigantesques gares souterraines du
RER E concrétisent, par leur structures béton, le
RÉDACTEUR EN CHEF : Norbert Laurent
RÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT : Pascale Weiler
mariage entre génie civil et architecture. Le voca-
1
bulaire architectural, simple et puissant, exprime
• Maître d’ouvrage : Gatel les fonctions structurelles du béton. Un matériau
• Maître d’œuvre : Charles Lavigne dont les architectes se sont aussi servi pour
et Mario Suakay, architectes
différencier lieux et ambiances : béton brut de
• Ingénierie : Sec Ingénierie
décoffrage exprimant le processus constructif,
• Entreprises : Novaponte, Campenon Bernard
SGE, Hagen, Trafalgar House, Bento Pedroso
Construçoes, Mota & Companiha, Somague,
Texeira Duarte, Edifer
béton glacé, très doux au contact des doigts
dans les couloirs, ou encore bouchardé sur les
quais… ● ● ●
Pour tout renseignement concernant la rédaction,
2
• Maître d’ouvrage : SNCF
2

contactez Aurélie Creusat – Tél.:01 44 91 51 00


• Maîtrise d’œuvre : SNCF (Agence des Gares,
architectes : Jean-Marie Duthilleul,

Fax :01 44 91 51 08 – E-mail : acreusat@altedia.fr


Au centre de ce numéro annuel “ouvrages d’art”, un encart de quatre pages consacré
Etienne Tricaud).
• Ingénierie : SNCF, direction de l’Ingénierie
• Entreprises : Chantiers Modernes Dumez,
Thouraud, Sogea, Spie Batignolles, Bouygues,
Fougerolle Ballot, Picot et Quillery,
GTM Construction, Nord France, Etso Graignic

SUPPLÉMENT À CONSTRUCTION MODERNE CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


à dix réalisations récentes qui ont marqué l’actualité du génie civil européen.
réalisation ØRESUND – Liaison fixe

Des travaux d’Hercule


entre Suède et Danemark
●●● Une liaison fixe entre Copenhague et Malmö, c’est un rêve vieux de plus de cent ans.

Il est aujourd’hui devenu réalité. Mais avant son ouverture à la circulation des véhicules

et du chemin de fer, le 1er juillet prochain, le projet a d’abord été l’un des chantiers européens

les plus ambitieux. Vitrine du savoir-faire en matière de génie civil, ce lien de 16 km multiplie les

ouvrages : d’ouest en est, se succèdent un tunnel immergé, une île artificielle et enfin trois ponts.

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 1


réalisation ØRESUND – Liaison fixe

1 2

>>> 1 Le pont haut offre un tirant d’air de 55 m au dessus


du chenal de Flinterenden, une des deux passes navigables du détroit.

L e 1 juillet 2000, le “lien


er ment les temps de transport entre la 2 Ses pylônes culminent à 204 m, ce qui en fait un record du
fixe” entre la Suède et le Suède et le Danemark : un quart d’heure
genre. 3 Les tabliers des viaducs d’accès et du pont haut se
Danemark sera ouvert au trafic. suffira à l’habitant suédois de la région
de Scania pour franchir le bras de mer en présentent sous la forme de caissons (à structure treillis métallique)
À l’instar du tunnel sous la Manche, qui
a mis fin à l’insularité de la Grande-Bre- direction de Copenhague, au lieu d’une dont l’intérieur laisse le passage aux trains, tandis que le hourdis
tagne, la liaison du détroit de l’Øresund heure par le ferry. Et ce, en préservant les
supérieur en béton précontraint supporte la circulation automobile.
doit permettre à deux pays très liés par deux chenaux de navigation.
leur histoire d’entrer de plain-pied dans
l’Europe. À l’échelon européen, la liaison sion qui a saisi Berlin au lendemain de la Mais avant d’être une promesse de pros-
● Un bénéfice considérable
mixte ferroviaire et routière permettra de chute du mur. En faisant disparaître la périté, la liaison aura été une grande
relier à pied sec le cap Nord, extrémité Le développement économique attendu “fracture” maritime, la liaison devrait réussite technique. Et malgré les inci-
septentrionale de l’Europe, à Gibraltar. de cette liaison fixe est énorme, compa- contribuer à l’unification d’une région dents inhérents à tous les ouvrages de
Mais surtout, elle réduira considérable- rable en tout cas à la formidable expan- déjà prospère et promise à un avenir cette envergure, elle a permis de confir-
plus radieux encore. Forte de 3,5 millions mer la capacité des chercheurs, des ingé-
d’habitants, elle s’inscrit par exemple au nieurs et des techniciens de la construc-
huitième rang européen par son produit tion à maîtriser des projets titanesques.
intérieur brut. Mais il y a mieux : alors
que la croissance moyenne en Suède et
SUÈDE ● Succession d’ouvrages d’art
au Danemark pour les cinq prochaines
Arhus sur 16 kilomètres
années est estimée à environ 5 %, la
DANEMARK région de l’Øresund devrait atteindre le Longue de 16 km, la liaison résulte de la
Copenhague
double ! C’est en tout cas le constat éta- combinaisons de trois chantiers diffé-
Malmö
bli par les quatre plus grands construc- rents. Du Danemark vers la Suède, c’est
Odense teurs suédois réunis lors d’un récent d’abord un tunnel immergé de 4 050 m
Mer séminaire. Le trafic attendu est considé- qui relie la côte danoise à une mince île
Baltique rable. La dernière estimation de l’exploi- artificielle d’une longueur de 4 055 m. Là,
tant est de 11 800 véhicules/jour la pre- les six voies de circulation retrouvent l’air
Flensburg
Mer mière année, avec une progression de libre pour franchir le reste du détroit via
du Nord
2 % par an durant vingt ans. L’acquitte- trois ponts successifs (7 845 m au total),
Kiel
ALLEMAGNE
Rostock ment du péage paiera l’essentiel des doublement mixtes : à la fois ferroviaires
Hambourg coûts de construction, soit un total de (2 voies) et routiers (2 x 2 voies), ils font
16,5 milliards de francs. appel à l’acier et au béton. ❚

2 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


3m 8m 1,5 m 8m 3m

10,2 m
❙❙❙ Coupe sur les viaducs d’accès
30,50 m

❙❙❙ Coupe sur le pont haut


3

Trois ponts rents sites aux dimensions hors normes.


Témoin le site de fabrication principal,
deux lignes de production, par cycles de
15 jours. Les supports de voies ferrées

pour une liaison mixte


implanté au nord de Malmö, qui s’étend des viaducs d’accès sont, quant à eux,
sur quelque 1 000 m de longueur et coulés par sections de 20 m, puis
400 m de largeur. Il regroupe quatre implantés sur les caissons métalliques.
grandes lignes de production : les cais- D’une longueur de 140 m, ces derniers
armé. La structure du tablier est mixte. sons de fondation, les piles des viaducs sont transportés au moyen de deux
L ason
partie aérienne de la liai-
débute sur l’île artifi- En coupe, la poutre treillis métallique d’accès, les supports de voies ferrées et barges géantes construites spécialement
cielle construite au sud de l’île de présente une forme rectangulaire dont la les dalles béton du pont à haubans. pour assurer leur convoyage depuis
Saltholm. Le viaduc d’accès Ouest, long partie intérieure est destinée au trafic Vastes, les dimensions du site sont sim- Cadix. Le hourdis supérieur des éléments
de 3 014 m, s’élève progressivement jus- ferroviaire et le “pont” supérieur à la cir- plement en rapport avec le nombre et de tablier du pont à haubans est coulé in
qu’au pont haut. Ce dernier, un pont à culation automobile. l’envergure des éléments : près de cin- situ sur toute sa longueur (140 m). Pour
haubans, est sans conteste l’ouvrage le quante caissons de fondation ont été des raisons de poids, l’épaisseur de la
plus impressionnant avec ses pylônes de coulés, dont les plus importants présen- dalle est limitée à 20 cm. Sa résistance
● La préfabrication, base tent une hauteur proche de 20 m pour est améliorée par une précontrainte
204 m de haut. Long de près de 1 100 m, du principe de construction
il surplombe le chenal de Flinterenden, un poids d’environ 3 000 t. Les piles transversale. Le parti choisi a été d’utili-
une des deux passes navigables du Au droit du pont haut, les poutres treillis sont encore plus impressionnantes avec ser des bétons de résistance courante
détroit, en laissant un tirant d’air de 55 m. sont renforcées en partie haute et re- quelque 50 m de hauteur pour un poids (35 MPa) mais devant garantir une
Ce chenal, tout comme celui de Drogden prises par des consoles qui fournissent de 4 000 t. Les caissons sont coulés sur qualité constante et de haut niveau.
du côté danois, a d’ailleurs joué un rôle un ancrage et transmettent les efforts de
déterminant dans les choix techniques. traction des haubans. Les appuis des ap- TECHNIQUE
Après 3 740 m, le viaduc d’accès permet pareils de voie et la dalle supérieure sont
de rallier le terminal de Lernaken, au sud en béton : ils sont coulés à terre et trans-
de Malmö, en Suède. Les viaducs d’accès portés solidairement aux caissons.
Les ponts en chiffres
Ouest et Est s’appuient respectivement Compte tenu de la rapidité de l’exécu- Les viaducs d’approche ont consommé 33 000 t d’aciers de renforce-
sur 23 et 28 piles monolithiques. Les por- tion des ouvrages et des impératifs de ment et de 65 000 t d’aciers de structure ; 190 000 m3 de béton ont été
tées entre appuis sont de 140 m pour les qualité à respecter, le groupement nécessaires, essentiellement pour les fondations et les piles.
parties centrales, et de 120 m près des constructeur a largement recouru au
Le pont haut a nécessité l’emploi de 3 000 t de haubans, de 10 000 t
côtes. Le pont à haubans, qui prend principe de la préfabrication. À l’excep-
appui sur deux pylônes en forme de H, tion des deux pylônes, les éléments prin- d’aciers de renforcement, de 20 000 t d’aciers de structure et de
présente quant à lui une portée centrale cipaux sont préfabriqués à terre avec des 70 000 m3 de béton, là encore affectés principalement à l’érection
de 490 m. Piles et pylônes sont en béton précautions peu communes, sur diffé- des fondations et des pylônes.

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 3


réalisation ØRESUND – Liaison fixe

1 2

HISTORIQUE
La dalle supérieure du pont à haubans a l’objet d’un contrôle de température
été coulée sous une tente chauffée afin poussé. Base de ce contrôle, le Tempera-
de garantir un niveau de température et ture Monitoring System a permis de sur-
Les temps forts de l’Øresund
des conditions d’hygrométrie constan- veiller par informatique les données de ● 23 mars 1991 : les gouvernements danois et suédois s’accordent pour
tes, quel que soit le climat. À l’inverse, les températures collectées par des cap- la construction d’un “lien fixe” dans le détroit de l’Øresund.
dalles des viaducs d’accès, fabriquées à teurs. Un dispositif d’alarme a même été
● 27 janvier 1992 : création de l’Øresundskonsortiet, maître
Cadix, ont été coulées dans un bâtiment prévu afin d’alerter l’ingénieur spéciale-
d’ouvrage de l’opération.
climatisé afin de les préserver des fortes ment affecté au contrôle, y compris la
● 1 janvier 1993 : six groupements d’entreprises sont sélectionnés
er
températures de l’été espagnol. nuit sur son ordinateur portable ! Un des
points essentiels étant d’éviter des gra- pour la compétition en conception-construction.
dients de température trop importants ● 17 juillet 1995 : signature des contrats avec le groupement Øresund
● Un contrôle qualité
(10 °C maximum) entre la coulée précé- Tunnel Contractors et avec Øresund Marine Joint Venture pour les
exceptionnel
dente et la coulée en cours (ou entre le dragages.
Avant d’en lancer la production à grande cœur et la surface de cette dernière), les
● 18 octobre 1995 : commencement des dragages.
échelle, les éléments ont été testés en bétons “anciens” ont été réchauffés tan-
● 27 novembre 1995 : signature du contrat avec Sundlink Contrac-
vraie grandeur afin de vérifier la cohé- dis que la coulée en cours était refroidie
rence et la fiabilité des principes de par circulation d’eau froide dans des tors, chargé de la réalisation du pont à haubans et des ponts
formulation et de mise en œuvre canalisations. La société Setec Ingénierie d’approche.
(vibration notamment). Une des princi- a grandement participé à ces opérations ● 30 juillet 1997 : lancement de la construction du premier élément de
pales difficultés a résidé dans la protec- de contrôle et de vérification. pylône.
tion des ouvrages contre les chlorures,
● 2 décembre 1997 : lancement de la construction du premier cais-
spécialement dans la zone dite des
● Dimensionnement son de tunnel immergé.
embruns, située entre – 2 m et + 6 m
“au plus grand” ● 16 juillet 1997 : la grue flottante Svanen place la première pile de
par rapport au niveau de la mer. Pour évi-
ter la corrosion des armatures, le cahier Les éléments ont été dimensionnés en pont à Lernaken.
des charges déterminait une épaisseur fonction des moyens de levage et de ● 3 novembre 1997 : remorquage de la première section de tablier
de recouvrement minimale des fers de manutention disponibles. En l’occurrence, depuis Cadix.
8 cm. Il requérait également des bétons des capacités de la plus grande grue au ● 26 juin 1998 : pose de la première section du tablier du pont à haubans.
parfaitement “fermés”, et donc exempts monde, dénommée Svanen. Cette der-
● 6 janvier 1999 : mise en place du 20 et dernier élément de tunnel.
e
de toute fissuration, en particulier au nière, utilisée pour la réalisation du pont
● 8 mai 1999 : le pylône ouest atteint, trois mois après le pylône est,
jeune âge (48 h après le coulage). Pour de l’île du Prince-Édouard, au Canada, a
ce faire, les bétons – dont la formulation été rapatriée sur l’Ancien Continent spé- sa hauteur définitive de 204 m.
● 1 juillet 2000 : ouverture de la liaison au trafic.
er
comprend un entraîneur d’air – ont été cialement pour la circonstance. Non sans

4 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


3 4 5

>>> 1 Fabriqués à terre, puis immergés en place, ces


caissons de fondation seront prêts à recevoir les piles des viaducs
avoir profité au passage d’une augmen- pile, qui forme un ensemble monoli-
tation préalable de ses capacités de thique avec le caisson, dépasse en effet d’accès. 2 3 Les piles sont érigées en toute hauteur sur
levage, portées à 10 000 t sous les de 4 m au-dessus du niveau de la mer. le site principal de préfabrication puis acheminées jusqu’au quai
câbles et 8 200 t sous l’outil de préhen- Les piles monolithiques ont, elles aussi,
pour y être chargées par une grue géante. 4 La courbure
sion qui, à lui seul, pèse 1 800 t. été mises en place au moyen de la grue
L’érection des viaducs d’accès s’est faite géante. La liaison entre la base de la pile des viaducs est obtenue par de légers changements d’angle des
selon une procédure répétitive : les fon- et le fût principal est assurée par un éléments rectilignes de tablier à chaque pile. 5 Les 160
dations et les piles des deux ouvrages ont joint béton, complété par une injection
haubans installés par Freyssinet participent de la tenue d’un tablier
suivi une méthodologie de pose réitérée de mortier afin de garantir un parfait
ensuite pour les 23 appuis du viaduc remplissage des creux. particulièrement lourd : 55 400 t pour la seule partie haubanée.
Ouest et les 28 appuis du viaduc Est. Une des opérations les plus spectacu-
laires a sans doute été la mise en place
des fondations des pylônes du pont à béton installée sur une barge ancrée 35 MPa requis. Pas question de transi-
● Semelle béton en fondation
haubans. Les caissons, fabriqués dans à proximité du pylône Ouest, étaient ger avec la qualité. Il fut donc décidé de
Les fondations des piles reposent sur le une forme de radoub du port Nord de acheminés à pied d’œuvre au moyen de les démanteler par hydro-démolition et
substratum rocheux en calcaire. Le fond Malmö, se présentent comme des ferries contenant 36 m3 de béton. D’où d’évacuer les quelque 1 000 t de béton
du détroit a été dragué pour le nettoyer ensembles de 40 m x 40 m pour une une course contre la montre, dictée par le concernées.
de ses alluvions et obtenir un fond de hauteur de 22 m et un poids unitaire de souci de répondre aux impératifs de qua- Dans leur partie haute, les pylônes incor-
fouille suffisamment plan. Une semelle 20 000 t avant lestage. Les masses ont lité. En effet, l’entreprise ne disposait que porent les pièces d’ancrage des haubans,
de béton a ensuite été coulée de été soulevées au moyen de 40 vérins de de deux heures entre le départ de la cen- à raison d’une toutes les trois levées. Ces
manière à affiner la planimétrie en four- 300 t et tirées jusqu’à leur prise en trale et le coulage des bétons. La livraison caissons en forme de baignoire permet-
nissant un socle dur, puis les caissons charge par un catamaran formé de deux de ces derniers n’était autorisée que tent d’équilibrer les efforts entre les hau-
de fondation ont été immergés par la barges auxiliaires, à son tour remorqué lorsque leur température était inférieure bans placés en vis-à-vis. La pose des
Svanen à leur emplacement définitif, à jusqu’au point d’immersion. à 25 °C - ce qui a par exemple conduit à sections de tablier (6 de 140 m x 30 m
une profondeur maximale de 15 m refroidir les granulats en été -, mais ils ne et 2 de 120 m x 30 m) s’est déroulée en
sous le niveau de la mer. pouvaient être mis en œuvre si leur tem- temps masqué, alors que la partie haute
● Des pylônes de 204 m
Des injections de béton ont été effec- pérature était inférieure à 20 °C. Leur des pylônes était toujours en construc-
par levées de 4 m
tuées en dessous des caissons afin d’en teneur en air, en eau, leur fluidité étaient tion. Le planning, serré, ne souffrait aucun
parfaire l’assise. De plus, l’intérieur des Les pylônes du pont à haubans ont été aussi systématiquement contrôlées. Mal- réaménagement. Le chantier a d’ailleurs
caissons creux – déjà lourds de près de réalisés in situ au moyen d’un coffrage gré tout, les deux premières levées du pu être achevé sans dépassement budgé-
3 000 t – a été lesté avec du sable afin de grimpant. L’érection par levées de 4 m pylône Ouest présentaient une teneur en taire et dans les délais prévus, accomplis-
garantir leur tenue en cas de choc causé suivait des cycles d’une semaine. Les air trop importante, et leur résistance sant de la sorte un réel exploit pour des
par un navire en perdition. La base de la bétons, fabriqués dans une centrale à n’atteignait que 30 MPa au lieu des travaux de cette envergure. ❚

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 5


réalisation ØRESUND – Liaison fixe

1 38,8 m

7 9
8
6
5
2 3 4

1 - Gravier protecteur 4 - Passage piétons de secours 7 - Galerie de service


2 - Ballast en béton 5 - Accès 8 - Ventilation
3 - Gaine technique/câbles 6 - Galerie de secours 9 - Isolation au feu

Le plus grand tunnel vant la technique des ponts poussés jus-


qu’au bassin bas, au niveau de la mer. De
cages étaient levées au moyen d’un outil
pneumatique spécialement mis au point

immergé au monde là, les sections de 176 m étaient prises


en charge par quatre remorqueurs qui
les acheminaient jusqu’à l’endroit prévu
pour l’occasion et translatées sur un che-
min de roulement jusqu’aux halls de
bétonnage. La température de ces der-
L adeproximité de l’aéroport 6 800 t. La conception même de l’ou- pour leur immersion. Partie sans doute la niers était maintenue en permanence
Copenhague a conduit vrage est une première. Habituellement, moins technique, l’atelier de ferraillage entre 11 °C et 24 °C afin de garantir des
à la réalisation d’un tunnel pour les tunnels immergés sont enserrés par se distinguait par son gabarit hors du conditions de bétonnage optimales. La
le premier tronçon de la liaison. une gaine métallique qui assure leur commun. Le hangar (260 m x 30 m) per- formulation du béton (voir encadré) a été
La nature de la roche du détroit de l’Øre- étanchéité. Ici, les tubes de béton sont mettait de réaliser des cages d’arma- définie de manière à limiter les phéno-
sund ne se prêtant pas à l’exécution immergés directement, ajoutant au tures complètes. Une fois assemblées, les mènes de microfissuration, préjudiciables
d’un forage, le maître d’ouvrage et le gigantisme du projet la contrainte d’une
groupement d’entreprises sélectionné grande précision à toutes les étapes de TECHNIQUE
ont opté pour un ouvrage immergé. la réalisation et de la pose. Pour ce faire,
Long de 3,7 km, ce dernier relie la pénin- le groupement a mis en œuvre une Le tunnel en chiffres
sule artificielle de Kastrup, à l’est de méthodologie originale requérant des
La construction des 3,7 km de tunnel a requis l’emploi de 700 000 m3
Copenhague, à l’île artificielle située au installations lourdes.
de béton, renforcés de 60 000 t de ferraillage. Chaque section de
sud de Saltholm.
Le tube accueille sur un même plan les 176 m pèse 55 000 t qui sont mises en “flottaison” dans des bassins
● Préfabrication
quatre voies de circulation automobile et contenant 1,2 million de mètres cubes d’eau. Étalé sur 5 ans, le chan-
à l’échelle industrielle
les deux voies ferroviaires. Il forme ainsi tier a représenté 3 millions d’heures de travail.
le tunnel immergé le plus grand, par son Le groupement a implanté une véritable
volume, qui ait jamais été construit. La usine dont la durée de vie était limitée Formulation des bétons du tunnel immergé
solution proposée par Øresund Tunnel aux cinq années du chantier. L’ensemble
Ciment :. . . . . . . . . . . . . 340 kg/m3 Granulats
Contractors – un groupement dans du site, sur une surface de 300 000 m2,
Cendres volantes : . . 55 kg/m3 0/2 : . . . . . . . . . . . . . . . 600 kg/m3
lequel Dumez-GTM a joué un rôle comprenait un hall destiné à la confec-
Fumées de silice : . . . 20 kg/m3 2/8 : . . . . . . . . . . . . . . . 380 kg/m3
majeur – consiste en l’immersion de sec- tion des armatures et deux autres dédiés
Eau : . . . . . . . . . . . . . . . 121 kg/m3 8/16 : . . . . . . . . . . . . . . 500 kg/m3
tions de 176 m d’un seul tenant. Pour les à la confection des segments de tunnel. Retardateur : . . . . . . . . . 1 kg/m3 16/25 : . . . . . . . . . . . . . 380 kg/m3
besoins de la fabrication, ces sections Les segments étaient assemblés au sortir Plastifiant : . . . . . . . . . 12 kg/m3 Résistance
sont elles-mêmes constituées de 8 seg- des deux lignes de fabrication, avant Superplastifiant : . . 1,25 kg/m3 à la compression : . . . . 45 MPa
ments de 22 m et d’un poids unitaire de d’être déplacés par sections entières sui-

6 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


4

3 5

>>> 1 Le tunnel résulte de l’immersion de sections de 176 m


de long. 2 En coupe, il se compose de quatre principaux tubes
fonctionnels. 3 4 5 Ferraillage et bétonnage sont effectués obturées par une cloison étanche. De là, définitivement écrasé par la pression de
un catamaran formé de quatre barges l’eau qu’après vidange de la chambre de
dans une usine construite par Dumez-GTM. Pour garantir leur étanchéi- jonction et suppression des cloisons
pouvait les acheminer jusqu’à leur point
té, les segments de 6 800 t sont coulés en continu du radier à la dalle d’immersion, à une vitesse maximale de d’extrémité.
3 nœuds. Le déclenchement d’une opéra- Garantie de la géométrie finale de l’ou-
supérieure (4), grâce à un coffrage de cinématique complexe (5).
tion d’immersion était conditionné par la vrage, un dispositif de trois vérins hydrau-
météo : vagues inférieures à 75 cm, vent liques de 500 t implantés sur les voiles
à l’étanchéité de l’ouvrage. L’aspect longrines fondées sur une maille de près inférieur ou égal à 10 m/s, courant infé- extérieurs à proximité du joint autorisait
monolithique des segments participait de 1 000 pieux destinée à en assurer la rieur à 1 m/s et visibilité minimale de une correction de l’alignement des sec-
du même objectif. Chaque segment a stabilité en dépit de la qualité médiocre 500 m. Quant à la mise en place propre- tions. Un remblai de calage était ensuite
été bétonné sans joint, soit 2 600 m3 de du terrain. Durant leur ripage, les seg- ment dite, on peut parler de très haute réalisé afin d’assurer la tenue des élé-
béton (B 45) mis en œuvre en une seule ments reposaient sur 288 vérins hydrau- précision. ments contre les bords de la souille. L’élé-
phase sur moins de 30 h. Le coffrage liques chargés d’équilibrer les efforts de ment lui-même était recouvert d’une
hydraulique géant (1 150 t) destiné à la suspension. Six pousseurs mobiles, d’une couche de 1,5 m de gravier pour le proté-
● Une précision centimétrique
formation des tubes intérieurs était puissance globale de 3 000 t, permet- ger des dommages éventuellement pro-
équipé sur ses faces internes et externes taient de déplacer en 3 h les 6 800 t d’un Préalablement à l’immersion,le fond de la voqués par une ancre ou le naufrage d’un
d’appareils de vibration permettant au segment. Ces pousseurs étaient alimen- souille a été réglé au moyen d’un lit de navire. Enfin, l’ouvrage était définitive-
béton d’atteindre les caractéristiques tés par deux centrales hydrauliques dis- gravier concassé mis en œuvre avec une ment lesté par la réalisation de dalles de
requises en matière de teneur en air. tinctes, de manière à corriger d’éven- tolérance de +/– 25 mm, atteinte grâce à béton de chaussée en remplacement du
tuelles déviations détectées par des un guidage laser. Le positionnement des ballastage provisoire.
capteurs à roues.Les segments mis bout à sections, quant à lui, a été assuré au centi- Reste que l’expérience et la répétition
● Des segments de 6 800 t
bout étaient reliés par des joints secs munis mètre près par GPS (Global Positioning des opérations ont, comme souvent
manœuvrés en douceur
de clés de cisaillement pour limiter les mou- System) et guidage mécanique en com- dans ce genre de projet, porté leurs
Le soin apporté à la réalisation des seg- vements de rotation. Les huit segments plément. Une pièce femelle en forme de V fruits : le temps nécessaire à la produc-
ments s’est étendu à leur translation jus- d’une section complète étaient mainte- était fixée sur l’élément immergé, afin de tion et à la mise en œuvre a été réduit de
qu’au bassin de “flottaison”. Pas ques- nus solidairement par une précontrainte guider l’approche de l’élément en cours moitié entre la première et la vingtième
tion, là encore, de fragiliser les structures longitudinale provisoire. Une fois les halls d’immersion ballasté par l’eau de mer et et dernière section du tunnel. ❚
durant leur déplacement, au détriment de de fabrication protégés par la fermeture doté d’une pièce mâle. La jonction s’obte- TEXTE : PHILIPPE MORELLI
leur étanchéité, voire de leur pérennité. À de la porte coulissante, le bassin était mis nait in fine par la mise en action de treuils PHOTOS : PHOTOTHÈQUES
mesure qu’avançait leur fabrication, les en eau, autorisant ainsi la flottaison des longitudinaux permettant d’écraser le joint FREYSSINET/FRANCIS VIGOUROUX ;
segments étaient poussés sur un lit de six sections aux extrémités préalablement extérieur en caoutchouc.Ce dernier n’était DUMEZ - GTM ; PHILIPPE MORELLI

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 7


réalisation AUTOROUTE A 89

L’autoroute
sous l’emprise du paysage
●●● Le 3 mars dernier, Jacques Chirac, président de la République, inaugurait la première section

de l’A 89, un tronçon reliant Ussel et le Sancy, entre Corrèze et Puy-de-Dôme. Il rendait ainsi

hommage au plus bel ouvrage d’art du moment, le viaduc du Chavanon, et par là même au savoir-

faire des entreprises françaises. Un savoir-faire qui a pu s’illustrer tout au long des 340 km

du tracé, relevant ainsi le défi d’une intégration très soignée à un paysage parfois très accidenté.

8 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


L ’autoroute A89 Bordeaux-
Clermont-Ferrand s’inscrit
rects qui auront été créés ou préservés
pendant cette période, selon les estima-
HISTORIQUE

dans la grande liaison transver- tions d’ASF. Un chiffre auquel il faut


Les dates-clés
sale Ouest-Est qui reliera en 2007 la encore ajouter les 500 emplois perma-
façade Atlantique au centre et à l’est de nents nécessaires à l’exploitation de ● 18 mars 1988 : inscription de l’A 89 au schéma directeur routier
la France et, au-delà, à l’Europe centrale, l’autoroute. national.
via la Suisse et l’Italie. D’après Bernard ● 7 février 1992 : décret de concession à ASF.
Val, président d’Autoroutes du sud de la
● Diversité des paysages ● 10 janvier 1996 : déclaration d’utilité publique de la section Libourne
France (ASF), société à laquelle l’État
et des reliefs – Le Sancy.
français a concédé l’A 89, cette auto-
route constitue un “axe essentiel du Longue de 340 kilomètres, l’A 89 devrait ● Décembre 1996 : début des travaux.
désenclavement régional, et l’opportu- connaître à terme un trafic de l’ordre de ● 9 janvier 1998 : déclaration d’utilité publique de la section Le Sancy –
nité de dynamiser les économies des 10 000 véhicules par jour. D’ouest en Combronde.
régions concernées en favorisant de est, son tracé débute à Arveyres ● 3 mars 2000 : inauguration par Jacques Chirac de la section Ussel
nouveaux échanges.” (Libourne Ouest) pour se terminer à
Ouest – Le Sancy.
Au total, le maître d’ouvrage aura investi Combronde (avec un raccordement à
● Printemps 2002 : mise en service de Tulle Est – Ussel Ouest.
20 milliards de francs (soit 3 milliards l’A 71 qui relie Paris à Clermont-Fer-
● 2007 : ouverture des sections restantes.
d’euros) sur une dizaine d’années pour rand), soit un total de quatre départe-
la réalisation de cette autoroute, dont ments traversés (la Gironde, la Dordogne,
30 % à 50 % auront été réinjectés dans la Corrèze et le Puy-de-Dôme). Ponctuée
l’économie régionale. De même, ce sont d’une trentaine de viaducs, l’autoroute
quelque 2 000 emplois directs ou indi- rencontre une grande diversité de sites

A71
BOURGES
LIMOGES PARIS
N PARIS
RIOM
A72
A20

viaduc du
POITIERS Chavanon ST-ÉTIENNE
PARIS viaduc de
la Barricade CLERMONT - LYON
FERRAND
USSEL
viaduc de
viaduc la Clidane
A89

A75
de Tulle viaduc des
Bergères
viaduc de
la Sarsonne
TULLE
A10

9
PÉRIGUEUX
A8
BRIVE
MONTPELLIER
A89
BORDEAUX
A20

LIBOURNE Autoroute ASF en construction


Autoroute ASF travaux non lancés
SARLAT Autoroute ASF en service
BERGERAC Voie rapide ou autoroute hors concession ASF
A6 viaduc des
TOULOUSE 2 Barrails CAHORS Ouvrage d’art exceptionnel
TOULOUSE

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 9


réalisation AUTOROUTE A 89

1 2

>>> 1 2 Franchir des grands obstacles naturels, limiter


l’impact sur l’environnement : 2 contraintes respectées par les
géographiques, avec des topographies Robillard, directeur général adjoint ouvrages de l’A 89 (ici, les viaducs de la Clidane et de la Barricade).
variées qui s’enchaînent depuis la plaine d’ASF, chargé de la construction. Cette
étendue du bassin aquitain jusqu’au
3 Les entreprises ont mis en œuvre des moyens de chantiers
seconde catégorie de contraintes a eu
pied des volcans d’Auvergne en passant beaucoup de répercussions sur le tracé originaux. Exemple, le mât de haubanage utilisé sur le viaduc
par les massifs élevés du Limousin sud. et la conception des ouvrages d’art, en
des Barrails, qui a permis de réaliser les travées au rythme d’une par
particulier pour la section comprise
entre Bordeaux et Libourne.” Très semaine. 4 La section courbe des piles du viaduc des Barrails
● Réduire au minimum
plane, cette région présente un risque permet de respecter les contraintes hydrauliques.
l’impact environnemental
d’inondation élevé, témoin les événe-
L’objectif premier du programme était de ments malheureux de décembre 1999. l’impact hydraulique de l’autoroute de la Barricade ou de la Clidane frappent
minimiser l’impact sur l’eau, le milieu Or, pour éviter des vignobles prestigieux entre Arveyres et Saint-Denis-de-Pile, l’imagination, c’est avant tout parce
vivant, le patrimoine culturel, le paysage, dont ceux du Libournais, l’autoroute deux communes du département de la qu’ils doivent franchir des brèches ou
l’agriculture, tout en maîtrisant le bruit emprunte précisément la vallée de l’Isle, Gironde, nous avons dû réaliser une des gorges, situations auxquelles les
engendré par le trafic et les nuisances secteur de la plaine alluviale de l’Isle et maquette du site de la taille d’un terrain autoroutes ne sont que rarement
générées durant le chantier. Pour cela, de la Dordogne. de football. Couplée à un modèle confrontées.”
des ingénieurs, des techniciens, des éco- mathématique, elle a fonctionné pen-
nomistes, des paysagistes, des socio- dant 4 jours avant de fournir les résul-
● Surmonter les contraintes ● La solution : grandes portées
logues, des écologues, des spécialistes tats de chaque simulation.” Un outil qui
topographiques et matériau béton
de la faune et de la flore, et parfois a fait ses preuves, si l’on en juge par
même des archéologues, ont travaillé de Selon les engagements de l’État, l’auto- l’absence d’impact lié à la présence du Combinées à la nécessité de minimiser
concert, en relation avec les associations route et ses ouvrages ne devaient pas viaduc des Barrails sur les crues de fin l’impact sur la faune, la flore et le pay-
d’usagers et de protection de l’environ- accroître le niveau de l’eau lors des d’année. sage (le tracé traverse de nombreuses
nement, afin de parvenir au meilleur crues centennales de plus 2 cm dans les Contrairement à ce que l’on pourrait ZNIEFF*), ces contraintes ont amené le
compromis. zones habitées, et de plus de 5 cm pour penser, les ouvrages d’art de l’A 89 maître d’ouvrage à favoriser une certaine
“Les nouvelles exigences auxquelles le reste des zones inondables. Une répondent avant tout à des contraintes typologie d’ouvrages : des viaducs avec
nous avons été confrontés sur l’A 89 contrainte qui a directement influencé la topographiques propres à un tracé trans- un nombre restreint d’appuis au sol,
ont été l’abaissement des seuils de conception du viaduc des Barrails, et versal qui ne suit pas les axes naturels donc de grande portée, ce qui explique la
bruit, conséquence de la loi de notamment le profil des piles. “Les crues matérialisés par les vallées. “À partir de fréquence des ouvrages exceptionnels.
décembre 1992, et les contraintes de centennales sont de 2 m, soit une éléva- Périgueux, les zones traversées sont très “La solution du béton s’est imposée
‘transparence hydraulique’ imposées tion du niveau de seulement 1 à 2,5 %, accidentées, reprend Alain Robillard. Si * Zone naturelle d'intérêt écologique faunis-
par la loi sur l’eau, résume Alain précise Alain Robillard. Pour modéliser des viaducs comme ceux du Chavanon, tique et floristique.

10 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


3 4

pour la réalisation de la plupart des risé l’innovation technique.” Jean-Marc ➜ Le viaduc des Barrails :
ouvrages, poursuit Alain Robillard. Ce Tanis donne même une dimension plus
matériau permet de réaliser des tabliers large à son propos : “Les ouvrages d’art le plus long
à inertie variable qui offrent de grandes de l’A 89 traduisent, en ces temps sym-
portées, avec un nombre de piles limité, boliques marqués par l’année 2000, l’ex- Édifié sur la section libournaise de l’A89 culier à été apporté à la finition des piles
tout en demeurant dans le cadre des pression la plus achevée en matière d’art à Arveyres, à l’intérieur d’un méandre de en béton, habillées d’un parement de
contraintes budgétaires.” de l’ingénieur et d’architecture appliqués la Dordogne, le viaduc des Barrails assure béton préfabriqué de couleur sable. De
aux grands ouvrages. Elle a demandé le franchissement de la RN 2089 et de la section courbe, elles respectent les
une réflexion approfondie pour les voie de chemin de fer Paris-Bordeaux, contraintes hydrauliques, l’objectif étant
● Des ouvrages d’art de ne pas entraver l’écoulement de l’eau
phases de conception, tant du point de elle-même bâtie sur un viaduc, dit des
économiques à l’usage en cas d’inondation engendrée par la
vue technique que de l’intégration à l’en- “Cent Arches”.
Autre facteur d’économie souligné par vironnement.” Résultat : des réalisations Composé de deux tabliers parallèles crue de la rivière.
le directeur général adjoint des Auto- hors du commun, comme le viaduc du larges de 11 m portant chacun deux Reste que la principale difficulté du chan-
routes du sud de la France, la faible exi- Chavanon, la “vedette” de l’A 89, ou voies de circulation de 3,5 m, l’ouvrage tier aura été la pose de la travée surplom-
gence du béton en matière de dépenses encore le viaduc de Tulle, impressionnant est peu élevé (16 m au maximum). En bant la voie SNCF, menée durant les rares
d’entretien, contrairement au métal. par sa hauteur. revanche, le viaduc des Barrails détient le plages horaires “hors trains” disponibles
Ramené à une durée de vie d’un siècle, record de longueur des ouvrages d’art de sur cette ligne ferroviaire à fort trafic. ❚
cet avantage prend toute sa valeur. l’autoroute A 89 : 1 460 m. Un chiffre qui
● L’A 89, une vitrine
Une économie qui n’exclut ni la prouesse explique le nombre important de vous-
de la technologie française Maîtrise d’œuvre :
technique ni les qualités esthétiques. soirs préfabriqués (1 038). D’un poids
Scetauroute – Jean Muller
“Les ouvrages dans leur ensemble font Ces ouvrages d’art, au sens littéral du compris entre 43 et 50 t, ces voussoirs International
appel à des technologies avancées, terme, sont l’expression du degré de ont été mis en place de façon originale à
Architecte :
notamment des bétons hautes perfor- compétence exceptionnel des bureaux l’aide d’un mât de haubanage provisoire. Berdj Mikaelian
mances, dont l’aspect a été particulière- d’études et des entreprises de travaux Cette méthode de pose très rapide a per- Entreprises :
ment soigné, complète Jean-Marc Tanis, publics français. Il faut d’ailleurs rendre mis d’atteindre la cadence d’une travée Campenon Bernard SGE,
directeur général de Jean Muller Interna- hommage au maître d’ouvrage qui n’a par semaine (34 travées au total, d’une Campenon Bernard Ouest,
Quillery
tional (JMI) et directeur du département pas hésité à participer au risque résul- longueur comprise entre 28 m et 50 m).
ouvrages d’art de Scetauroute, intervenu tant du choix délibéré de l’innovation, et Ce rythme permettra d’assurer la livraison Coût :
en tant que maître d’œuvre et concep- qui a ainsi offert à la technologie fran- du viaduc en juillet 2000, après 29 mois 217 MF HT
teur des viaducs. “Par leurs choix, les çaise une “vitrine” dont l’impact a déjà de travaux (y compris terrassements 33 millions d’euros
Autoroutes du sud de la France ont favo- dépassé nos frontières. ❚ et réalisation des remblais). Un soin parti-

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 11


réalisation AUTOROUTE A 89

1 2

➜ Viaduc de Tulle : ➜ La Sarsonne : grande largeur


une courbe en suspension et dévers de 4 %
Ce sera un ruban de béton de 19,50 m lents. Une maquette a été réalisée afin de Situé entre Ussel et Saint Exupéry-les- bordures arborées. L’utilisation du béton
de large et de 850 m de long, juché sur mener des tests en soufflerie, dont les Roches, en Corrèze, le viaduc de la Sar- précontraint présente l’avantage d’allé-
des piles culminant à 150 m. À cheval sur résultats ont alimenté les programmes de sonne est un ouvrage de 218 m de long ger les structures et de limiter le nombre
les communes d’Angles et de Naves, il calcul. Construit en BHP (B 60) par pour 23 m de large qui permet la circu- des piles, ce qui facilite l’intégration de
enjambera la vallée de la Corrèze d’un encorbellements successifs, le tablier du lation de deux voies descendantes et de l’ouvrage dans le paysage.
pas de géant grâce à des travées qui viaduc de Tulle demandera aux entre- trois voies montantes. Constitué de Un volume de 6 700 m3 de béton a été
atteignent 186 m.Actuellement en phase prises de maîtriser une flèche importante 68 voussoirs courants de 2,55 m de lon- coulé sur le chantier, qui s’est étalé sur
de démarrage, cet ouvrage, malgré des (30 cm) engendrée par des porte-à-faux gueur et de trois voussoirs sur piles 18 mois. Les délais ont été respectés
dimensions qui frisent le record, se veut de 90 m. Il sera achevé au printemps (hauteur de 15 à 18 m), le tablier de grâce à l’emploi de superplastifiants
discret, voire “transparent” : les piles 2003, au terme de 34 mois de travaux. type monocaisson à hauteur constante nouvelle génération accélérant la mon-
dédoublées dégagent un jour important L’ouvrage sera le plus remarquable et le comprend quatre travées de 42, 60, tée en résistance du béton, qui ont per-
(15 m), et le tablier monocaisson en plus remarqué de l’A 89… après le via- 64 et 52 m. Il est précontraint longitudi- mis de décoffrer 20 heures après le
béton précontraint affiche une hauteur duc du Chavanon. ❚ nalement (précontrainte interne et coulage au lieu de 36 heures. ❚
variable de 10 m au niveau des appuis à externe) et transversalement à l’aide
seulement 4 m entre les piles. Jouant d’un câble placé à chaque jonction (tous
Maîtrise d’œuvre :
avec la lumière,la section creuse en demi- les 2,55 m), du fait de l’importante lar- Maîtrise d’œuvre :
Scetauroute
olive des deux piles centrales fait écho au geur de chaussée. Scetauroute
Concepteur :
tracé entièrement courbe (rayon en plan Jean Muller International Le profil en long est incliné de 3,65 %, Architectes :
Charles Lavigne et Alain Montois
de 1 350 m), qui offrira aux automobi- Architecte :
avec une pente transversale de 4 %, un
listes la plus belle perspective sur le via- dévers imposé par la courbure du tracé Concepteur :
Charles Lavigne
SEEE
duc. Conséquence de cette courbure : Entreprises : (rayon de 1 150 m), afin d’éviter le vil-
Entreprise :
l’ouvrage a dû être calculé à l’aide d’un GTM,Chantiers Modernes, lage d’Entraygues. L’inclinaison est obte-
ETPO
modèle tridimensionnel aux éléments Fougerolles-Borie nue par l’utilisation de chevêtres en V
finis. La grande hauteur et le profil parti- Coût : asymétriques. La technique de construc- Coût :
culier des piles a justifié, pour apprécier la 210 MF HT tion par encorbellements a permis de ne 40 MF HT
stabilité aéroélastique de l’ouvrage, une pas utiliser un échafaudage reposant sur 6,1 millions d’euros
32 millions d’euros
étude de comportement aux vents turbu- le sol, préservant ainsi le ruisseau et ses

12 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


3 4

>>> 1 Sur le viaduc de la Sarsonne, l’utilisation de super-


plastifiants de nouvelle génération a permis de décoffrer le béton
20 h après le coulage. Les chevêtres en V asymétriques
➜ Les Bergères : une portée
2

du viaduc de la Sarsonne permettent d’obtenir un dévers nécessaire


exceptionnelle pour un viaduc poussé pour respecter la courbure du tracé, d’un rayon de 1 150 m.

Édifié sur une brèche d’une profondeur susceptibles de dégrader l’environne- 3 Pour le viaduc des Bergères, le choix d’un tablier mis en
de l’ordre de 40 m, sur le territoire de la ment. Pousser un tel tablier n’était donc œuvre par poussage a permis de coffrer le tablier au sol, pour
commune d'Aix, dans le département de pas un mince exploit technique, surtout
quand on sait que le rapport entre la lon- assurer une qualité de réalisation exceptionnelle et limiter l’impact
la Corrèze, le viaduc des Bergères est
l’unique ouvrage poussé de la section gueur de l’outil et celle des travées est sur le milieu naturel de la brèche, les travaux se déroulant en altitu-
Ussel-Le Sancy. Mais ce n’est pas là son considéré comme la limite technique
de. 4 Du fait du porte-à-faux important pendant le poussage,
unique particularité, puisqu’il présente actuelle… À la fin du chantier, ce sont
aussi une courbure très importante, d’un 10 400 t qui ont été déplacées, avec un le tablier en béton du viaduc des Bergères a été renforcé par une
rayon de 1 300 m. effort de 700 t au décollage. Notons précontrainte provisoire qui lui a permis de supporter son propre poids.
Chacune des quatre piles – la plus haute encore – pour l’anecdote – qu’afin de
culmine à 33 m – repose sur une semelle faciliter le glissement du tablier, il a été
superficielle ancrée sur un massif de fait appel à des plaques de téflon lubri-
30 micropieux. Quant au tablier de l'ou- fiées avec… du produit vaisselle. ❚
vrage, long de 282 m pour une largeur
de 20 m, il se compose de cinq travées
d’une longueur comprise entre 42,5 m et Maîtrise d’œuvre :
65 m. Ce tablier est constitué de vous- Scetauroute
soirs à inertie constante (4 m de hauteur) Architecte :
poussés par tronçons de 13 m au fur et à Philippe Loupiac (Atelier 13).

mesure que s’effectuait leur coulage au Entreprise :


Sogea,Croiset-Pourty,Rogard
sol, à l'aide d'un avant-bec de 40 m.
Durée du chantier :
“C’était la première fois qu’un caisson
20 mois
pesant plus de 35 t/m franchissait une
portée de 65 m avec un avant-bec de Coût :
cette dimension”, précise Bernard Sou- 50 MF HT
chon, directeur du chantier. Une solution 7,6 millions d’euros

choisie pour éviter les appuis provisoires,

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 13


réalisation AUTOROUTE A 89

1 2

>>> 1 La formulation du béton des deux piles centrales du


viaduc de la Barricade en “double voile” a permis de concilier finesse,
résistance et qualité de parement. 2 Edifié sur 5 piles afin de ➜ Viaduc de la Clidane :
préserver la vue sur le paysage, le viaduc de la Clidane surplombe de transparence et légèreté
80 m le fond du vallon. 3 4 Un tablier à suspension axiale
et des piles en V renversé, d’une exceptionnelle qualité de parements,
Situé entre les communes de Messeix principe de “double voile” (1,50 m
et de Bourg-Lastic, dans le département d’épaisseur) qui allie finesse et élance-
confèrent au viaduc du Chavanon une extrême légèreté visuelle. du Puy-de-Dôme, à quelques kilomètres ment, moyennant une composition du
à l'ouest de l'échangeur du Sancy, le béton particulièrement élaborée. La for-
viaduc de la Clidane surplombe de 80 m mule a été stabilisée et le rapport
eau/ciment diminué grâce à un super-
➜ Viaduc de la Barricade : le fond du vallon éponyme. Outre le
ruisseau, l’ouvrage enjambe aussi la plastifiant de nouvelle génération. Autre
une travée centrale de 150 m voie ferrée reliant Bordeaux à Clermont- avantage, l’obtention d’une bonne régu-
Ferrand. Quant au dessin de ce viaduc, larité de la qualité esthétique des pare-
Situé entre les communes d'Aix et de travaux a nécessité de purger le terrain, c’est le respect du site boisé, partie inté- ments. Malgré la légèreté apparente de
Merlines, en Corrèze, le viaduc de la Barri- tandis que les fondations des piles (4 ou grante d’une zone naturelle d'intérêt l’ouvrage, 20 100 m3 de béton auront
cade empreinte son nom à un ruisseau 6 m de diamètre) étaient portées de 10 à écologique faunistique et floristique été nécessaires à sa réalisation, menée
situé 80 m en contrebas. Proche du via- 22 m.Le chantier a duré 26 mois. ❚ (ZNIEFF de type 1), qui a motivé le choix en 26 mois. ❚
duc de la Clidane de par l’utilisation de d’une solution sobre, simple, et avant
piles en double voile et de fléaux à épais- tout discrète.
Maîtrise d’œuvre :
seur variable, cet ouvrage est moins long Maîtrise d’œuvre : Long de 540 m et large de 20 m, le
Setec TPI
(420 m). Les piles ont été construites par Scetauroute tablier à épaisseur variable est un mono-
Concepteur :
levées de 4,20 m à l'aide d'un coffrage Concepteur : caisson en béton précontraint coulé en SEEE
SEEE
grimpant. Quatre travées (60 m, 110 m, place qui présente un rayon de courbure
Architectes :
150 m et 100 m) composent le tablier, un Architectes : constant de 2 500 m, édifié par encor- Charles Lavigne et Alain Montois
Charles Lavigne et Alain Montois
monocaisson de béton précontraint de bellements successifs sur cinq piles seule- Entreprises :
Entreprises :
20 m de large réalisé par encorbellement ment, afin de dégager au maximum le Spie Batignolles,Nord France,
Demathieu et Bard
à partir des voussoirs sur piles, à l'aide paysage (six travées de 43 m, 86 m, 132 Spie Citra
d'équipages mobiles. À noter, les vous- Coût : m, 112 m, 92 m et 74 m). Coût :
soirs des piles centrales ont été coulés en 80 MF HT Hautes de 70 m, les deux piles centrales 110 MF HT
continuité de la pile où ils sont encastrés. 12,2 millions d’euros occupent une emprise au sol de 11 m 16,8 millions d’euros
Une faille importante rencontrée lors des par 7 m. Elles ont été conçues sur un

14 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


3 4

Viaduc du Chavanon :
un pont emblématique entre le Limousin
et l’Auvergne
Un pari plus que réussi : à la fois majes- axiale, constituée de 122 torons, offre
P remier pont suspendu édi- nants massifs de fondation rayonnants
fié en France depuis trente tueux, élégant et original, l’ouvrage fait en béton qui reprennent 12 000 t (poutre aux automobilistes une vue dégagée sur
ans, le viaduc du Chavanon, mis preuve d’une réelle transparence, et curviligne en béton ancrée au sol par la vallée ; en contrepartie, elle a exigé
en service le 4 mars dernier, est répond donc au souci de limiter l’impact 43 tirants enracinés à 50 m de profon- du tablier, très large (22 m), une rigidité
l’ouvrage phare de l’A 89. Pour de l’autoroute sur la vallée sauvage du deur). Autre atout, la double suspension suffisante pour résister aux efforts de
marquer le 2 000e kilomètre d’autoroute Chavanon, classée ZNIEFF.
construit par ASF, mais aussi pour souli- TECHNIQUE
gner le passage entre le Limousin et l’Au-
● Suspension axiale et Un parement beau comme un marbre poli
vergne, le maître d’ouvrage s’est offert un
dalle béton
viaduc exceptionnel, qui marquera incon-
“La volonté du maître d’ouvrage d’obtenir une géométrie et une fini-
testablement son époque. Ses armes : Cette apparence de légèreté est le résul-
tion parfaites a déterminé la méthode de mise en œuvre des pylônes :
une architecture novatrice faisant appel à tat du choix effectué par Jean Muller
une suspension axiale, et une exigence International, concepteur de l’ouvrage, un béton coulé dans un parement en béton préfabriqué poli servant
de finition hors du commun. d’un pont suspendu de 360 m de long et de coffrage perdu. En termes d’aspect, le résultat est proche de la
de 300 m de portée, avec un tablier droit perfection. Il tient au soin remarquable apporté par le préfabricant,
accroché non pas latéralement, mais en qui a mis au point une technique de moule ‘vrillable’ répondant à la
● Un modèle de viaduc
partie centrale. Cette solution a été rete- géométrie complexe des piles. Chaque élément présente un aspect
Vitrine technologique offerte à l’ingénie- nue pour sa capacité d’intégration au
splendide, résultat d’un polissage en sept passes. L’arrondi dans les
rie française, ce viaduc est aussi un vec- site, sur le plan esthétique comme sur le
teur d’image pour le maître d’ouvrage, plan technique, les massifs d’ancrage des
angles est parfait, ainsi que le traitement des joints. Lorsque l’on est
désireux d’offrir aux usagers une vision câbles porteurs offrant la possibilité de se au pied du viaduc, on ne peut s’empêcher de le caresser, comme une
de l’autoroute fondée sur de nouvelles fixer au rocher (roche métamorphique de colonne de marbre antique. Ce matériau est très sensuel.”
valeurs autres que le strict fonctionnel. bonne qualité), moyennant d’impression- Jean-Vincent Berlottier, architecte

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 15


réalisation AUTOROUTE A 89

>>> 1 Réalisé sur la rive,


le tablier a été “lancé” à l’aide de
suspentes successives. Le maintien
de sa stabilité latérale a été assuré
par 2 appuis arrières. 2 Montés
sur une ossature métallique, les
panneaux de béton préfabriqués de
la “pointe” du pylône peuvent se
démonter pour faciliter la mainte-

1 2 nance de la double suspension.

torsion. C’est pourquoi l’acier a été orientation longitudinale au sol, paral- “Nous avons utilisé un logiciel développé
écarté, au profit d’un monocaisson lèle au tablier, et une orientation trans- pour la réparation du pont de Tancar-
mixte faisant appel à une dalle de béton versale en tête, nécessaire à la reprise ville“, explique Alain Palacci. Dans un
B 40 de 22 cm d’épaisseur, précon- des efforts de la suspension.” Ingénieur même ordre d’idées, la technologie de la
trainte transversalement. Cette dalle a et projeteurs ont calculé chaque élément supension du viaduc et de la couverture
été coulée selon un phasage très étudié de coque pour obtenir un parfait parabo- du stade de France fait appel à des outils
pour ne pas imposer d’efforts trop loïde hyperbolique. et des méthodes similaires.” Il n’est donc
importants à la charpente métallique. pas étonnant que l’ouvrage fasse l’unani-
“La mise en œuvre du béton et des mité, et qu’il soit si abouti. “Si j’avais à le CHIFFRES-CLÉS
● Une œuvre collective
superstructures a provoqué un abaisse- refaire, je ferais exactement les mêmes
10 000 m3 de béton
ment du tablier de 2,70 m, valeur qui Bien qu’innovante, la conception du via- choix”, conclut Jean-Vincent Berlottier. ❚
1 000 t d’acier passif
correspondait à quelques centimètres duc du Chavanon s’est appuyée sur l’ex- TEXTE : JEAN-PHILIPPE BONDY
740 t pour la suspension
près à nos calculs”, souligne Alain périence des nombreux partenaires : PHOTOS : GUILLAUME MAUCUIT-LECOMTE ;
140 000 h de travail
Palacci, de GTM Construction. concepteur, architecte et entreprises. ASF/MICHEL GARNIER
210 MF HT
(32 millions d’euros)
● Les pylônes, éléments-clés TECHNIQUE
Le choix de la suspension a conditionné Maître d’ouvrage :
Autoroutes du sud de la France
la forme générale des pylônes, pièces Des butons actifs pour compenser
Maîtrise d’œuvre :
monumentales en forme de V renversé le poids des pylônes Scetauroute,Jean Muller
d’une hauteur de 70 m. La section des International
jambes évolue en fonction de la hauteur : “Contrairement à une pile normale, les jambes des pylônes du viaduc
Concepteur :
c’est un triangle isocèle dont la base et la du Chavanon sont inclinées. À mesure qu’on coulait le béton B 60,
Jean Muller International
hauteur varient respectivement de l’augmentation de masse engendrait une force transversale de plus
Architecte :
4,40 m et 5,20 m en tête à 8,50 m et en plus élevée. Il était donc impossible de maintenir l’écartement ini- Jean-Vincent Berlottier
2 m en pied. “J’ai proposé une forme tial des jambes avec des butons classiques. Nous avons donc opté Préfabricant :
vrillée en réponse à une exigence struc- Morin Système
pour des butons horizontaux actifs équipés de vérins, espacés verti-
turelle, à l’image des os du corps qui per- Architectonique
calement de 5 m, qui permettaient de réagir dynamiquement aux
mettent de transférer des efforts d’une Entreprises :
direction à une autre, explique l’archi- variations d’effort, et donc de conserver la position angulaire (20°) GTM,Cimolaï,
avec une extrême précision.” Baudin Châteauneuf
tecte Jean-Vincent Berlottier. Cette géo-
métrie assure une transition entre une Alain Palacci, directeur du bureau d’études de GTM Construction

16 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


technologies
B É T O N

Les éléments
préfabriqués
●●● LES ÉLÉMENTS EN BÉTON PRÉFABRIQUÉS ENTRENT DE PLUS EN PLUS

MASSIVEMENT DANS LA CONCEPTION DES OUVRAGES D’ART. UN SUCCÈS

QUI S’EXPLIQUE POUR PLUSIEURS RAISONS, LIÉES À LA COMPÉTITIVITÉ ET

À LA SIMPLICITÉ DE MISE EN ŒUVRE D’UNE TECHNIQUE TRÈS AU POINT.

Le béton
prêt à l’emploi
●●● AUTRE VOLET DE L’OFFRE BÉTON EN MATIÈRE D’OUVRAGES D’ART, LE

BÉTON PRÊT À L’EMPLOI FAIT ACTUELLEMENT LA PREUVE DE SES QUALITÉS SUR

L’UN DE NOS CHANTIERS AUTOROUTIERS. LES PROCÉDURES DE RÉALISATION

EXTRÊMEMENT RIGOUREUSES MISES EN PLACE PAR LES DIFFÉRENTS OPÉRATEURS

SONT LA GARANTIE DU SUCCÈS DE CETTE TECHNIQUE D’AVENIR.

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 17


technologies béton

➜ De la préfabrication dans les tabliers de ponts


LA TECHNIQUE DU BÉTON PRÉFABRIQUÉ des techniques de conception et d’exécution. Le nombre lité et de prix.Aujourd’hui, le pont à poutres sous chaus-
EST DÉJÀ BIEN CONNUE. MAIS SES important d’ouvrages à projeter, à calculer et à réaliser sée posées sans étai, solidarisées par un hourdis coulé
dans des délais très courts, le manque de personnel qua- en place sur des coffrages perdus non participants, est
PROGRÈS SONT PERMANENTS, ET SON
lifié et le développement rapide des ordinateurs de devenu une solution classique pour des franchissements
OFFRE DANS LE DOMAINE DES PONTS, grande capacité poussent le Setra à mettre au point des pouvant aller jusqu’à 35 m de portée. La technique type
ROUTIERS OU FERROVIAIRES, SE FAIT “dossiers pilotes” et à concevoir des programmes de PRAD (ponts routes à poutres préfabriquées précon-
TOUJOURS PLUS PERTINENTE. SES ATOUTS calcul automatique pour chaque type d’ouvrage. Parmi traintes par adhérence) appliquée aux ouvrages à tra-
les types d’ouvrages dits “courants”, par exemple, l’utili- vées indépendantes et de portée moyenne (jusqu’à
MAÎTRES : PERFORMANCES, FACILITÉ ET
sation de poutres préfabriquées précontraintes pour le 30 m environ) a évolué dans les années quatre-vingt. Ini-
RAPIDITÉ DE MISE EN ŒUVRE, ÉCONOMIE.
franchissement de portées comprises entre 10 et 50 m tialement réservé à la confection de travées indépen-
va se généraliser. dantes, l’emploi de ces poutres précontraintes a été
‘est juste après la guerre, durant les étendu à des ouvrages constitués de plusieurs travées
C années de la reconstruction (1945- ● Le tournant des années soixante-dix avec solidarisation, en béton armé au niveau de la dalle
1955), que se mettent en place les premiers au droit des piles. La continuité apparente est obtenue
procédés d’industrialisation. Le bâtiment, secteur Ce sont les années soixante-dix qui verront le véritable par la dalle : les poutres de deux travées adjacentes arri-
alors en expansion rapide, en est le premier bénéficiaire. essor de la préfabrication de poutres précontraintes par vant sur une même pile restent appuyées sur deux lignes
Au début des années soixante, lors du lancement du prétension, pour des raisons conjoncturelles : d’abord la d’appuis distinctes, nécessitant la présence d’un che-
programme autoroutier français, l’administration est reconnaissance officielle de cette technique, mais aussi vêtre d ‘appui de 1 m d’épaisseur au minimum.
amenée à établir une typologie des ponts destinés au la crise économique et le coût croissant de la main-
rétablissement des voies de communication “coupées” d’œuvre qualifiée. Ses atouts en termes de fabrication et ● Deux principes structurels spécifiques
par la construction des autoroutes. Cette typologie va de mise en œuvre vont par ailleurs favoriser son déve- au moment de la construction
permettre la recherche d’une certaine standardisation loppement – performance des bétons réalisés en usine,
des études – voire d’une industrialisation –, favoriser garantie assurée d’une bonne qualité des produits et Les nouvelles connaissances en matière de béton, de
l’utilisation des possibilités offertes par l’informatique, prix compétitif, mais aussi suppression des cintres du dimensionnement et de calcul ont permis la réalisation
développer la transformation des techniques de concep- tablier, possibilité de diminuer significativement les d’ouvrages à plusieurs travées avec des travées adja-
tion et de construction pour augmenter les perfor- délais d’exécution pour les ouvrages réalisés sans inter- centes placées en continuité mécanique par solidarisa-
mances et les cadences, et enfin proposer un recours très rompre la circulation, et diminution des nuisances tion en béton armé dans une entretoise (ou chevêtre de
systématique au béton précontraint. Le Setra (Service qu’engendre toute mise en chantier. Les industriels vont continuité) au droit des piles intermédiaires. Par la suite,
d’études techniques des routes et autoroutes) est peu à peu s’adapter à des exigences du marché de plus au cours de la construction, deux modes de structures
témoin et acteur de cette évolution rapide et importante en plus draconiennes en matière de règlements, de qua- apparaissent :
1. D’abord, une structure isostatique. Les poutres repo-
sent sur des appuis provisoires dont la distance entre axes
est égale à la portée de calcul. La section résistante trans-
versale du tablier est uniquement constituée par les
poutres, qui supportent leur propre poids, celui des cof-
frages perdus et celui de la dalle (le hourdis) en phase de
coulage.
2. Ensuite, une structure hyperstatique. Les poutres et le
hourdis associés constituent la section transversale résis-
tante de l’ouvrage. Ils supportent les charges appliquées
lors du transfert du tablier,du poids des superstructures et
des charges de service. La portée de calcul est alors égale

>>> Une entretoise unique permet le transfert


des charges du tablier sur quatre appareils
d’appui.

18 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


1 2 3

>>> 1 Après ouverture du banc de pré-


fabrication, les aciers actifs sont relâchés pour ouvrages hyperstatiques et de certains isostatiques) TECHNIQUE
nécessite un étaiement limité aux extrémités des
mettre la poutre en précontrainte.
poutres servant à la réalisation de l’entretoise sur PRAD-EL, calculer pour vérifier
2 3 Les différentes poutres sont appui. Quant à la pose sur appuis définitifs (cas de la
Dans le courant de l’année 2000, le Setra va
transférées et stockées sur le parc de l’usine, plupart des ouvrages isostatiques), elle supprime les
risques de tassement des étaiements ou de déforma- mettre à la disposition des divers utilisateurs
en appui sur des madriers. des cellules ouvrages d’art (DDE, CETE,
tion des cintres lors du bétonnage de la dalle – le hour-
dis – sur les poutres. BET, etc.) le programme de calcul PRAD–EL,
à la distance entre axes des appuis définitifs.Un certain destiné à la vérification des tabliers PRAD à tra-
nombre d’ouvrages sur les autoroutes A 10,A 11,A 71 et ● Un ensemble d’avantages qui vée unique ou à travées multiples. Très perfor-
A 64 (ex-RN 117) ont été réalisés suivant cette technique. intéressent tous les domaines
mant, ce programme couvre un domaine d’em-
Simplicité et rapidité de mise en œuvre, adaptabilité aux
Enfin, dans l’usage quotidien et l’entretien du pont ploi assez large, puisqu’il peut être utilisé tant
exigences esthétiques, maîtrise des délais et des coûts :
les ponts à poutres préfabriquées ont de nombreux comme dans sa bonne intégration au site, les ponts PRAD pour les ponts-routes que pour les ponts-rails.
atouts. Dans leur conception, d’abord.Avec des portées à plusieurs travées rendues continues apportent nombre Il suit les règlements actuels (fascicule 61, titre
possibles de 30 m à 35 m, les ponts à poutres peuvent d’avantages supplémentaires,la continuité permettant un II du CCTG, BAEL et BPEL versions révisées
aussi s’adapter à des ouvrages présentant une géomé- gain à la fois technique,économique et esthétique :
1999) et permettra la prise en compte des
trie complexe, par exemple une courbure en plan (jus- – le recentrage des descentes de charges entraîne une
normes européennes dès leur mise en vigueur
qu’à 15 fois la portée sans disposition particulière), une diminution des moments sollicitants, ce qui réduit l’em-
prise des fondations ; (charges permanentes : EC1 – partie 2, charges
largeur variable (en jouant sur l’entraxe des poutres et
les encorbellements du hourdis) ou un biais inférieur à – la présence d’une seule ligne d’appuis permet une d’exploitation sur les ponts EC1 – partie 3).
70 grades (jusqu’à 50 grades). En construction, réduction de la largeur des piles, tout comme elle offre Plusieurs techniques interviennent dans la
ensuite : la préfabrication des poutres en usine garantit une grande liberté sur le plan architectural en rendant conception et la réalisation des tabliers PRAD :
le respect des délais d’exécution, la diminution de la possible la suppression des chevêtres d’appui pour amé-
● la précontrainte par prétension ;
durée du chantier (fabrication des poutres en temps liorer la transparence de l’ouvrage et lever les contraintes
liées au gabarit ; ● la mise en œuvre de bétons traditionnels et
masqué) et une meilleure qualité (existence de plans
d’assurance-qualité dans toutes les usines), d’où une – la hauteur du tablier de l’ouvrage peut être réduite de hautes performances ;
meilleure pérennité des ouvrages. Sur le chantier, l’utili- 10 % par rapport à un tablier à travées indépendantes ;
● le traitement thermique ;
sation de poutres préfabriquées permet de s’affranchir – le comportement monolithique de l’ouvrage rendu
des problèmes de brèches par la suppression des étaie- continu améliore sa résistance et sa ductilité vis-à-vis des ● la construction par phases ;
ments et des échafaudages ainsi que des cintres. Ceux- efforts dynamiques et lui confère une meilleure capacité à ● la mise en continuité mécanique des travées,

ci sont parfois nécessaires lorsque le sol de fondation dissiper l’énergie en cas de séisme ;
après la pose des poutres.
est de mauvaise qualité, ou pour maintenir un gabarit – la suppression des joints de chaussée intermédiaires,
ou de la dallette de continuité sur pile intermédiaire, Les phases de construction ainsi que les défor-
de circulation sous l’ouvrage, ou encore en cas de fran-
chissement d’un obstacle (grande hauteur, ruisseau, assure un meilleur confort des usagers, au même titre mations différées (fluage, retrait et relaxation)
voie ferrée, etc.). que l’absence de festonnement du tablier ; celui-ci est et leurs conséquences dans la redistribution
habituellement provoqué par les libres déformations par des efforts dans le tablier sont prises en compte
● Mise œuvre aisée et rapide fluage du béton des tabliers à travées isostatiques, qui
par un calcul incrémental. Le fluage du béton
sont ici empêchées par la mise en continuité mécanique
est supposé linéaire et le principe de la super-
La pose des poutres préfabriquées se fait dans la majo- des travées ;
– la réduction du nombre d’appareils d’appui, disposés position est donc applicable ; la rhéologie est
rité des cas avec des grues courantes, dans des délais
très courts, ce qui ne nécessite que de brèves interrup- sur une seule file sur les piles au lieu de deux, facilite l’en- celle du BPEL (version révisée 1999) pour les
tions de la circulation lorsque le pont franchit une voie tretien lors du vérinage pour les vérifier et éventuelle- bétons traditionnels ou les bétons hautes
en service. La pose sur appuis provisoires (cas des ment les remplacer. ❚ performances.

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 19


technologies béton

PONT DE RIBAUTE – BÉZIERS TECHNIQUE

➜ Solide, économique…
et plus rapide Un nouveau type de pont-rail
Ce pont à six travées rendues continues, toutes de por-
pour le TGV Est
tées différentes, présente un profil en long en pente Après une quinzaine d’années d’exploitation du
variable et un alignement non rectiligne. Il franchit une réseau TGV, la SNCF a convié entrepreneurs et
route départementale et une voie SNCF. Lors de l’ap-
industriels de la préfabrication en béton à partici-
pel d’offres, la solution PRAD a été préférée à la tech-
per au projet de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise
nique plus classique du pont à poutrelles enrobées,
usuellement utilisée pour le franchissement des voies d’œuvre du futur réseau TGV Est, sur le thème sui-
ferroviaires, mais qui s’est révélée trop chère. Parfaite- vant : comment réduire le coût et le délai de
ment respectueuse du cahier des charges en matière construction d’une plate-forme ferroviaire par une
de sécurité et de coût, elle a permis de procéder à la nouvelle conception des ouvrages d’art courants ?
construction du pont dans un délai plus court sans
En 1996, après étude d’une trentaine de concep-
remettre en cause l’aspect architectural du projet,
tions nouvelles, la SNCF a procédé à une première
grâce, en particulier, au maintien de la forme des piles.
Celles-ci présentent un seul fût à largeur variable et à sélection faisant apparaître l’intérêt économique
parements ouvragés. Les corniches en béton blanc qui et la fiabilité des ponts-rail à travées continues
règnent sur la hauteur du tablier masquent la pré- composés de poutres précontraintes par fils
sence des poutres et soulignent la simplicité et l’élé- adhérents, procédé déjà utilisé sur certains
gance du pont.
réseaux étrangers. Avant de s’engager, la SNCF a
PHOTOS : GUILLAUME MAUCUIT-LECOMTE
entrepris des essais de fatigue, en partenariat
Maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre : conseil général avec la FIB.Elle voulait s’assurer de la capacité de
de l’Hérault
ces poutres à supporter les charges ferroviaires
Assistance maîtrise d’œuvre études : CETE Méditerranée
Architecte : Forissier cabinet Intervia (ex-Urba 9) sur la durée de vie théorique d’un ouvrage. Menée
Entreprise : BEC Frères, agence de Lunel par le CERIB,l’étude a permis de valider le procédé.
BET : Sud Études de Pignan (34) Par la suite, en 1998-1999, une étude théorique de
Poutres PRAD : Feder Béton Bédarieux (34)
“sensibilité” sur un exemple concret a permis de
Montant total de l’opération : 12 MF
valider l’intérêt de ce type d’ouvrage et de fixer des
Montant de l’ouvrage : 5,3 MF
hypothèses de calcul de dimensionnement.
Ce nouveau type d’ouvrage courant Ra-PPAD
(ponts rails à poutres préfabriquées précon-
traintes par adhérence) devrait réduire les coûts
d’investissement et d’exploitation, ainsi que le
délai d’exécution de la plate-forme ferroviaire,
tout en respectant les critères techniques et
réglementaires de sécurité, de régularité et de
confort. Le double intérêt de la solution hypersta-
tique retenue tient à l’impact restreint des aléas
climatiques et géotechniques et à la séparation
physique des ateliers de terrassement et de réali-
sation des ouvrages d’art. D’autre part, le monoli-
thisme simplifie la maintenance puisqu’il permet
de stabiliser le ballast et de réduire les contraintes
portant sur les rails au droit des appuis.

●●● suite p 21

20 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


technologies béton

LES OUVRAGES D’ART DE LA PYRÉNÉENNE (A 64 ) La continuité mécanique du tablier a permis la réalisa-


tion de 2 fûts rectangulaires par pile sans chevêtre en
➜ Un maître mot : la souplesse tête, et de réduire le nombre d’appareils d’appui sur
L’ex-RN 117 qui relie Muret à Saint-Gaudens a les piles à 4 (pour un total de 28 poutres) et à 3 sur les
changé de statut : hier voie nationale, elle est deve- culées. Les poutres ont été jumelées sur les travées
nue voie autoroutière (A 64). Pour maintenir le réseau principales, réduisant ainsi leur nombre sur les travées
routier croisant son tracé, des franchissements ont de rive, et autorisant un coffrage du hourdis à l’aide
été nécessaires. Ils ont été dessinés par les architectes de prédalles. Si les techniques de construction utili-
Faup et Zirk. Sur le tronçon Muret – Martres-Tolosane, sées sont différentes, l’unité dans le traitement archi-
d’une longueur de 38 km, 9 d’entre eux partagent les tectural des ouvrages a été maintenue. L’utilisation de
mêmes caractéristiques structurelles. Tous ont été la technique des ponts PRAD hyperstatiques est
construits suivant la technique des ponts PRAD venue relayer cette volonté et a donné aux archi-
hyperstatiques. Celle-ci s’est adaptée aux divers cas tectes la possibilité de jouer sur les détails construc-
de figure rencontrés – le biais, par exemple, ne pré- tifs. Par exemple, la mise en relief des entretoises sur
sentant pas un obstacle à son utilisation – et a permis pile, tout en facilitant leur réalisation, souligne la dif-
la réalisation des ouvrages en position définitive férence de teinte avec le béton des poutres ; de même
(sans surgabarit) en limitant les nuisances pour les des encorbellements de 0,50 m, qui réduisent la hau-
usagers de la voie : la mise en place des poutres s’est teur vue du tablier par un effet d’ombre et améliorent
effectuée par cycles d’interruption de la circulation la transparence des ouvrages.
de 7 minutes par poutre. TEXTES : PIERRE PASSEMAN, INGÉNIEUR D’ÉTUDES AU CERIB
PHOTOS : GUILLAUME MAUCUIT-LECOMTE
Neuf ponts type PRAD
Six échangeurs ou demi-échangeurs : Muret Sud ;
Le Fauga ; Mauzac ; Noé ; Capens ;
Lavelanet-de-Comminges
Rétablissements : CD 43c à Muret ; RD 62 à Marquefave
RD 10g à Lafitte
Maîtrise d’ouvrage : État
Maîtrise d’œuvre : DDE de la Haute-Garonne
Architectes : Faup et Zirk
Entreprises : BEC Frères ; Castells Frères ;
Chantiers modernes ; Mas ; Razel
BET : Sud Études ; SETI ; EEG
Délais d’exécution : 7 à 8 mois par ouvrage

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 21


technologies béton

➜ Béton prêt à l’emploi :


une offre cohérente et compétitive
INCONTOURNABLE DANS LA MAJEURE quelques semaines du démarrage effectif du chantier,
PARTIE DU PAYS, ET POUR TOUS ce sont des bétons de convenance qui sont réalisés
afin de corroborer les résultats précédemment obte-
1 LES TYPES DE CHANTIERS, L’OFFRE BPE
nus et de vérifier, notamment, la tenue des bétons au
EXCELLE EN MATIÈRE D’OUVRAGES D’ART. transport. Lorsque le chantier est en cours, les
D’AUTANT QUE LA PLUPART DES contrôles se poursuivent, tant au sein de la centrale,
CHANTIERS RÉALISÉS EN FRANCE dans le cadre des procédures d’autocontrôle précisées
dans le plan d’assurance-qualité, que sur le chantier,
SE SITUENT À MOINS DE 30 KILOMÈTRES
par la réalisation d’essais pour quasiment chaque tou-
D’UNE CENTRALE.
pie ou par la réalisation d’éprouvettes testées par des
contrôleurs indépendants, mandatés par le maître
n quelques années, les fabricants de d’œuvre. L’ensemble de ces procédures permet aux
E béton prêt à l’emploi ont effectué un centrales d’assurer une grande régularité dans leur
bond en avant technique qui leur permet aujour- production. Les assurances ainsi fournies s’expriment
d’hui de répondre à toutes les demandes des maîtres aussi dans le cadre des bétons hautes performance,
d’ouvrage. Si les principes fondamentaux restent produits de plus en plus demandés par les maîtres
acquis, les centrales ont appris à traiter aujourd’hui le d’ouvrage.
béton dans ses formes les plus évoluées, depuis les La plupart des centrales de BPE sont aujourd’hui à
bétons hautes performances (BHP), de plus en plus sou- même d’offrir des bétons à 60 MPa de résistance
2
vent requis, jusqu’aux bétons autoplaçants, en passant garantie, soit une résistance moyenne de 70 à 75 MPa.
par les bétons de ciment blanc. Des compétences Le tout avec des bétons dont les caractéristiques de
acquises par l’adaptation permanente des sociétés de maniabilité sont maintenues jusque dans le coffrage,
BPE aux marchés et aux procédures de certification. par le biais d’études préalables sur les adjuvants et le
En matière d’ouvrages d’art, la généralisation des ciment, et aussi du savoir-faire des fabricants de BPE.
plans d’assurance-qualité requis par les maîtres d’ou-
vrage permet aujourd’hui aux centrales de BPE d’as- ● Des moyens techniques
surer une traçabilité complète du béton. Ce qui signifie
qu’en cas de problème sur une toupie, tous les élé- Pour répondre aux demandes des entreprises et des
ments sont disponibles pour remonter à la source et maîtres d’œuvre, les centrales disposent également de
déterminer l’origine du défaut, comme c’est mainte- ressources pour s’adapter. Au sein des grands réseaux
3
nant l’usage dans la grande majorité des secteurs de BPE, et au cas où aucune centrale fixe ne serait ins-
industriels. tallée à proximité, les fournisseurs de BPE disposent le
>>> 1 Chaque centrale est tenue de se plus souvent de matériels pour implanter des centrales
conformer à un plan d'assurance-qualité pour la ● Des contrôles permanents temporaires directement sur les chantiers à condition
que les volumes soient suffisants, comme cela s’est
fourniture de béton destiné à des ouvrages d'art. Outre ces procédures d’agrément – agréments perma- produit pendant la construction du TGV Sud-Est.
2 La tenue au transport et la permanence nents pour la conformité aux normes et ponctuels Généralement, les fournisseurs de BPE disposent
pour les plans d’assurance-qualité –, toutes les pré- d’une palette d’outils pour faciliter la mise en œuvre
de la maniabilité du béton sont des atouts que
cautions sont prises assez haut en amont pour assurer du béton sur des chantiers difficiles d’accès : le pom-
maîtrisent parfaitement les centrales à béton le bon déroulement des chantiers. Ainsi, avant chaque page, par exemple, ou encore l’acheminement par
françaises. 3 Pour s’affranchir des difficul- réalisation, les centrales et leurs laboratoires procè- tapis roulant. De même que la production de béton a
dent à la formulation des bétons et réalisent des suivi les autres secteurs industriels en matière de tra-
tés structurelles propres à chaque chantier, bétons d’essai, le tout étant ensuite fourni au maître çabilité, elle a également développé une gamme de
les camions peuvent être équipés de tapis de d’œuvre pour contrôle et validation. Une fois les for- services qui va aujourd’hui beaucoup plus loin que la
mules et les plans d’assurance qualité acceptés, et à seule livraison d’un matériau brut… ❚
mise en œuvre.

22 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


1 2

➜ A 29 : le BPE
comme seul fournisseur
LES PREMIERS TRAVAUX DE L’AUTOROUTE atteint une capacité de production de 30 à 35 m3 par
A 29 ONT DÉBUTÉ AU COURS DE L’ÉTÉ heure. Par ailleurs, ces centrales ont également ren-
forcé leur flotte de toupies et recouru à des entreprises
1999. LES ENTREPRISES DE BÉTON PRÊT
spécialisées dans le pompage en cas de nécessité.
À L’EMPLOI LOCALES FOURNISSENT
LA TOTALITÉ DES BÉTONS MIS EN ŒUVRE ● Des contrôles scrupuleux
DANS LES OUVRAGES D’ART.
Durant toute la durée du chantier, les opérations sont

E An cours de réalisation, l’autoroute placées sous haute surveillance. Les matériaux sont
29 reliera dans quelques années contrôlés, puis les process, le chargement, jusqu’à la
l’embouchure de la Seine au nord de la livraison sur site. Ensuite, ce sont les entreprises qui sont
France. La liaison Amiens – Saint-Quentin est actuel- contrôlées : ferraillage, vibration, mise en place. De
lement en construction et compte deux tronçons totali- nombreuses formulations de béton ont dû être mises au
sant 55 ouvrages d’art, depuis le franchissement des point, en BCN (béton à caractéristiques normalisées, 3
autres autoroutes jusqu’au rétablissement de routes B 30 et B 35 ou B 28 et B32, pour les ouvrages sous
>>> 1 Les 55 ouvrages d’art du tronçon
départementales et de voies de moindre importance, maîtrise d’œuvre SNCF) et en BCS (béton à caractéris-
pour un total de 36 900 m3 de béton qui seront fournis tiques spécifiées, pour les semelles notamment). Amiens-Saint-Quentin de l’A29 ont été coulés
par deux entreprises de béton prêt à l’emploi. Sur toute Au total, près de 35 formulations différentes ont été avec du béton issu de 5 centrales BPE.
la longueur du tracé, le béton est produit dans cinq cen- mises au point. Notons d’autre part que toutes les cen-
2 Avec le plan d’assurance-qualité, des
trales de béton prêt à l’emploi situées à Amiens (deux trales amenées à intervenir sur le chantier devaient être
centrales), Péronne, à mi-chemin (deux centrales), et à agréées NF. éprouvettes sont réalisées puis analysées soit
Saint-Quentin (une centrale). Chaque ouvrage reste Dans le cas de Péronne 2, une centrale installée spécia- par un contrôleur extérieur mandaté par le
dans la limite imposée en termes de temps de transport lement pour le chantier, c’est la réalisation de bétons de
maître d’œuvre, soit par le fournisseur du BPE.
du béton prêt à l’emploi. convenance qui a permis son homologation spécifique
pour ce chantier, en dépit de son manque d’ancienneté 3 Chaque toupie livrée sur le chantier fait
● Sur place, un coordinateur entre qui lui interdisait de prétendre à la norme NF. De plus, l’objet d’un contrôle : le slump test.
les centrales et l’entreprise avant le démarrage du chantier et pour satisfaire aux
conditions requises par le maître d’œuvre, chaque la mise en œuvre du béton assurait le suivi de la qualité.
Pour mieux assurer la coordination des centrales, un entreprise a dû fournir des plans d’assurance qualité Les bons étaient contrôlés, la date de départ vérifiée, et
coordinateur spécialement dédié a été dépêché sur les dont la véracité et la conformité au marché étaient des cônes étaient réalisés pour vérifier que la plasticité
lieux pour gérer les relations entre entreprise et cen- contrôlées. Des bétons d’étude étaient réalisés, analy- du béton était conforme aux demandes et aux normes.
trales, depuis les plannings jusqu’à la gestion des pro- sés ensuite par des contrôleurs extérieurs mandatés par
blèmes pouvant survenir sur le chantier. Pour parer à le maître d’œuvre, et enfin il était procédé à une série de ● Difficiles franchissements
toute éventualité, et notamment aux pannes, les plans bétons de convenance pour chaque type de béton et
d’entretien des centrales ont également été renforcés, pour chaque centrale. Ils ont permis notamment de véri- La gestion de tels chantiers est parfois soumise à des
la maintenance étant assurée par des entreprises exté- fier la conformité de l’évolution des bétons lors du trans- contingences particulières liées à la configuration du site.
rieures. Une évolution nécessitée par le chantier de l’au- port, des mesures étant effectuées à T 0, T + 15 mi- Parmi les points les plus sensibles de cette nouvelle auto-
toroute et les cadences qu’il génère, mais également nutes,T + 30 et T + 60, de façon à pouvoir garantir une route,le double franchissement de la ligne TGV et de l’au-
par la mise en place des 35 heures. Chaque centrale a marge suffisante. Sur le chantier, l’entreprise chargée de toroute A 1 était sûrement le plus délicat : plusieurs

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 23


technologies béton

ouvrages d’art devaient être construits à l’intérieur d’un


périmètre relativement restreint pour permettre d’une
part le franchissement de ces obstacles, et d’autre part les TECHNIQUE
raccordements entre les deux autoroutes.Un chantier aux
multiples contraintes puisque, dans le cadre du franchis-
Le viaduc de la Somme
sement de la ligne SNCF, sous maîtrise d’ouvrage du
transporteur ferroviaire, les entreprises ne pouvaient Long de 460 m, le viaduc de la Somme est un
accéder aux abords immédiats de la ligne à grande des ouvrages phares de l’autoroute A 29.
vitesse que la nuit, à partir du moment où l’électricité Constitué de neuf piles et de deux culées, il
était coupée, et ce, pour 4 heures seulement. La sécurité, franchit le canal du Nord, la Somme et un
on s’en doute, justifiait ces contraintes.
marais. Six piles sont donc plongées dans
Ainsi, chaque nuit, la centrale de Péronne attendait le
1 l’eau. La portée maximale du tablier mixte sera
feu vert des entreprises avant de mettre ses installations
en route. Une fois l’accord obtenu, deux toupies se de 58 m (franchissement du canal) pour une
relayaient pour porter le béton sur le chantier et per- portée moyenne de 47 m. Dans leur grande
mettre ainsi le coulage des pieux, à raison de deux par majorité, les piles sont composées de pieux et
nuit et ce, dans un laps de temps très court. Exécutée de semelles (1,30 et 1,60 m de diamètre), sauf
très près de la ligne SNCF, cette opération nécessitait pour deux d’entre elles, composées de deux
l’intervention d’une pompe car les camions ne pou-
pieux, de deux fûts et de chevêtres. Les pieux
vaient descendre jusqu’au lieu de travail à cause du
dévers de la rampe d’accès. Ils se postaient donc au
les plus profonds plongent à 37 m sous le
sommet des culées et le béton était acheminé une ving- niveau du sol. Pour pouvoir travailler sans pro-
taine de mètres plus bas grâce au bras articulé du blème d’accès, le viaduc de la Somme a néces-
camion-pompe. sité la construction d’une estacade de 260 m
de long pour permettre la circulation des
● Une multitude de franchissements engins, et notamment des toupies. Une fois
2 terminé, le viaduc aura nécessité la mise en
À terme, les cinq centrales à béton en activité le long de
l’autoroute auront livré la totalité des bétons utilisés œuvre de 1 000 tonnes d’armatures, de
pour la construction des ouvrages d’art de ce tronçon, 9 000 m2 de coffrages et de 5 000 m3 de béton
avec pour chacun d’eux des spécificités dans la formula- prêt à l’emploi.
tion et la mise en œuvre. Les ouvrages à construire pour
franchir l’autoroute A 1 poseront par exemple de sérieux
problèmes d’organisation, qui concernent jusqu’aux
centrales à béton. La difficulté, en effet, sera de réaliser
les deux ouvrages sous circulation de l’autoroute A 1.
Seules les deux voies rapides seront neutralisées. Pour
éviter tout risque d’accident, les conducteurs sont spé-
cialement formés et particulièrement sensibilisés au res-
pect du plan de circulation pour accéder au chantier. À
3 la demande du maître d’œuvre, ce seront ainsi toujours
les mêmes chauffeurs qui travailleront aux livraisons de
>>> 1 Un camion-pompe achemine
ces chantiers, avec des camions en parfait état de
le BPE une vingtaine de mètres en contrebas. marche pour éviter toute panne et, par conséquent, tout
2 Les plans d’assurance-qualité imposent risque d’accident. ❚
TEXTE : YANN KERVENO
un suivi continuel du béton et permettent
PHOTOS : YANN KERVENO, GUILLAUME MAUCUIT-LECOMTE
>>> Afin de pouvoir travailler dans le marais,
une traçabilité totale du matériau. une estacade provisoire a été construite.
Maître d’ouvrage : SANEF
3 Les centrales BPE disposent du savoir- Maîtrise d’œuvre : Scetauroute Elle a permis aux engins de circuler, notamment
BPE : Orsa Bétons, Unibéton
faire pour répondre à tout type de demande aux toupies venant livrer le BPE nécessaire
Gros œuvre ouvrages d’art : Norpac, Quille, SGTN, GTM,
du maître d’ouvrage. Demathieu et Bard, Botte Sade au coulage des piles du viaduc.

24 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


réalisation EOLE – Ligne de RER

Eole : symphonie
technique en sous-sol
●●● Cinquième des lignes de RER, la toute nouvelle ligne E matérialise un véritable prodige :

réaliser en plein centre de Paris un tunnel de 3 km et deux gares enterrées aux dimensions

équivalentes à trois fois la cathédrale Notre-Dame, c’est d’abord une gageure ; quant à orchestrer

la multiplicité des intervenants et la pluralité des techniques en réussissant le mariage du

génie civil et de l’architecture, c’est même un autre stade… celui de l’aventure humaine.

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 25


réalisation EOLE – Ligne de RER

1 2

>>> 1 La ligne E du RER offre un accès rapide au cœur de


Paris à partir de l’Est de l’Ile de France. Elle déleste en cela la ligne A.

E ole est mort le 14 juillet Mais plus qu’un simple lieu de passage, 2 La légèreté des escaliers et des équipements contraste
1999. Il a symboliquement les deux gares souterraines forment un
volontairement avec la massivité des structures. 3 Les volumes
disparu lors de son ouverture au espace porteur d’une véritable identité
public, laissant la place à la ligne qui concrétise le mariage entre génie civil monumentaux de ses gares souterraines favorisent un écoulement
E du RER. Dernière des grandes artères et architecture. Enfin, ces deux gigan- fluide des flux d’usagers. 4 Les voûtes empruntent à l’écriture
parisiennes de transport ferroviaire, la tesques volumes enterrés, au même titre
romane, un style auquel les architectes se réfèrent explicitement.
ligne nouvelle relie pour le moment Vil- que le tunnel, représentent un véritable
liers-sur-Marne et Chelles à la gare Saint- défi technique. Un défi d’autant plus dif-
Lazare en passant par la station ficile à relever que leur réalisation a dû
Magenta, construite entre la gare de l’Est composer avec un contexte géologique glaise avec une présence de lignite. Au 1 700 m de la première galerie – qui
et la gare du Nord. Destinée à désengor- assez tourmenté. total ce sont près de 200 forages qui ont pour sa part n’a rencontré aucun écueil
ger la ligne A du RER, la liaison a vocation été pratiqués avant le lancement des tra- majeur – a pu être réalisé en 386 jours
à être prolongée vers l’est jusqu’à Tour- vaux afin d’avoir une connaissance aussi de travail. Au terme de l’opération, et
● Le terrain : un sous-sol
nan-en-Brie et vers l’ouest depuis Pont- complète que possible des terrains ren- donc après la pose de 1 245 anneaux,
particulièrement diversifié
Cardinet, sans qu’aucune date, toutefois, contrés. Mais cette campagne de son- soit quelques 7 500 voussoirs en béton
n’ait été arrêtée pour ce dernier prolonge- Entre les gares Haussmann-Saint-Lazare dages n’a pas empêché quelques sur- préfabriqué, le tunnelier a été démonté
ment. Dans sa configuration actuelle, la et Magenta, les gares, le tunnel et les prises, voire des arrêts de chantier. et réacheminé jusqu’à son point de
nouvelle ligne procure un gain de temps puits de ventilation s’inscrivent dans des Pourtant, ce tracé en profondeur à départ pour commencer la seconde
d’une demi-heure entre ses gares termi- terrains d’une grande diversité. Depuis la – 30 m du niveau du sol avait été choisi galerie. Mais la géologie et l’hydrogéo-
nus et Paris-Saint-Lazare. Mais plus surface jusqu’aux points les plus pro- notamment pour réduire l’impact du logie du site ont largement conditionné
qu’une simple liaison, elle est un nœud de fonds, se succèdent des couches irrégu- chantier en surface, et la technique du le choix des dispositions techniques
correspondance cardinal pour les usagers lières de remblais et des éboulis argilo- creusement mécanisé par un tunnelier à adoptées pour les deux gares.
des transports parisiens. marneux, des marnes infragypseuses de pression de boue pour sa capacité à
Depuis les gares Haussmann-Saint- 6 à 10 m, des sables de Monceaux ou réduire les tassements de surface.
● Une excavation d’envergure
Lazare et Magenta, le voyageur se voit sables verts, des marnocalcaires de Quant à l’excavation au tunnelier, elle
menée progressivement
proposer 10 correspondances de RER Saint-Ouen sur 12 à 18 m, des sables de s’imposait aussi par un coût au mètre
(RER A, RER B, RER D) ou de métro Beauchamp avec présence d’argile, des linéaire près de deux fois inférieur à La réalisation des gares s’est déroulée
(lignes 3, 4, 5, 9, 12, 13 et 14, autrement marnes et caillasses avec calcaire gros- celui des techniques classiques pour pas à pas, afin d’éviter une décompres-
dénommée Météor) ainsi qu’un accès sier sur 10 à 16 m, des calcaires grossiers une galerie de 2 km, tout en autorisant sion trop brutale des terres. Précisons à
souterrain aux grandes lignes banlieue durs ou tendres sur 12 à 18 m ou encore des cadences 5 à 10 fois supérieures. À ce sujet que le volume des matériaux
de la gare de l’Est et de la gare du Nord. des sables supérieurs et de la fausse titre d’exemple, le creusement des extraits s’élève à environ 1,3 million de

26 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


3 4

mètres cubes, et ce, pour construire 3 000 colonnes ont été coulées par la REPÈRES
près de 150 000 m3 avec une emprise méthode du jet double, créant ainsi un
accordée par la ville de Paris limitée véritable bouclier pour permettre aux
La ligne E du RER en chiffres
2 000 m2. Pour limiter les perturbations machines à attaque ponctuelle d’interve-
“en surface”, les deux tiers des maté- nir en toute sécurité. ● 8 gares desservies de Chelles-Gournay à Haussmann-Saint-Lazare
riaux ont été évacués par voie souter- À l’instar de la plupart des puits destinés à par la branche nord du RER E.
raine, au moyen notamment d’une être conservés, les gares ont toutes deux ● 9 gares desservies de Villiers-sur-Marne à Haussmann-Saint-Lazare
bande transporteuse capable d’em- utilisé la technique de la paroi moulée.
par la branche sud.
porter 1 500 m3 par jour. Pas question, Des voiles de béton coulés dans le sol, en
● 3 minutes pour rallier les gares de Magenta et de Condorcet.
donc, d’envisager de tels mouvements particulier, ont servi à créer une enceinte
de terre sans un confortement parallèle résistante pour les 2 400 m2 à ciel ouvert ● 15 minutes gagnées grâce à la réalisation du tronçon central.

des terrains. du hall Caumartin,au-dessus de la station ● 30 minutes gagnées sur un trajet banlieue est – Paris-Saint-Lazare.
Haussmann-Saint-Lazare.Les deux ouvra- ● 2 nouvelles gares souterraines.
ges sont entièrement enfermés dans une ● 5 correspondances par métro ou par RER dans chacune des gares
● Le jet grouting à l’honneur
enveloppe étanche. Sur un béton de pro-
souterraines.
En premier lieu, les deux gares ont large- preté de 10 cm d’épaisseur, trois couches
● 53 rames duplex accueillant 1 100 passagers assis.
ment recouru au jet grouting. La tech- sont successivement mises en place : un
feutre antipoinçonnement qui protège ● Capacité de la ligne E du RER : 30 trains/heure dans chaque sens
nique consiste à injecter le terrain au
moyen d’un mélange d’eau et de ciment l’extrados, une membrane PVC 20/10 qui (12 trains/heure dans chaque sens à l’inauguration).
à haute pression afin de créer des assure l’étanchéité proprement dite et ● Coût final du projet : 12 milliards de francs (2/3 pour les travaux,
colonnes de béton. Dans le cas de la gare une autre (17/10) qui protège l’intrados. 1/3 pour les rames).
de Haussmann-Saint-Lazare, c’est un L’ensemble du complexe est recouvert
total de 1 600 m de colonnes (1,20 m de d’une chape de protection de 3 cm
diamètre et 6 m de profondeur moyenne) d’épaisseur, coulée avant le bétonnage
qui ont été réalisés de la sorte. L’objectif du radier.
était double : améliorer la cohésion des Pourtant, bien qu’elles partagent cer-
sols, en supprimant les travaux d’injection taines techniques, les deux gares présen-
classiques, et ceinturer la zone par un tent aussi de notables différences dans
rideau étanche.Le radier de la gare se situe les méthodes de construction et le “pha-
en effet en dessous de la nappe phréatique sage” des opérations qui ont jalonné
(voir encadré p.31). À Magenta, près de leur réalisation. ❚

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 27


réalisation EOLE – Ligne de RER

1 2

Gare Magenta :
progression pas à pas HISTORIQUE

Les dates-clés
● 13 octobre 1988 : Michel Rocard, Premier ministre, annonce
L ongue de 228 m, large de
50 m et haute de 15 m, la
tée par un boulonnage et un béton pro-
jeté additionné de fibres métalliques), la réalisation d’Eole.
gare Magenta est construite des tubes d’acier sont foncés dans les ● 15 novembre 1991 : déclaration d’utilité publique de la liaison.
dans les couches géologiques sols afin de créer une voûte protectrice ● 14 février 1994 : baptême du tunnelier Martine.
comprises entre les marnes permettant l’ouverture du tunnel central.
● 4 mai 1995 : achèvement du premier tunnel.
et les sables de Beauchamp. ➜ Troisième acte. – Abaissement des
● Fin novembre 1996 : achèvement du second tunnel.
Un sous-sol qui autorise des excavations galeries centrales et déplacement des
plus limitées qu’à Haussmann-Saint- travaux de jet grouting des galeries ● Mi-janvier 1999 : mise sous tension des installations de traction

Lazare. Ainsi, la progression des travaux ouest à la galerie centrale Est. électrique.
de génie civil du tunnel central et des ➜ Quatrième acte. – Achèvement de ● 14 juillet 1999 : mise en service commercial de la branche nord,
deux galeries latérales s’est faite essen- l’excavation de la galerie centrale Ouest jusqu’à Chelles-Gournay.
tiellement de haut en bas, suivant un et bétonnage de la culée creuse Est.
● 30 août 1999 : mise en service de la branche sud, jusqu’à Villiers-
“phasage” plus complexe, comportant ➜ Cinquième acte. – Achèvement de
sur-Marne.
huit temps. l’excavation de la galerie latérale Ouest,
avec bétonnage et boulonnage de sa
voûte et coulage d’une moitié de son
● Huit étapes dans le détail
radier. bas des creusements, suivie d’un béton- nière tient à la réalisation d’une voûte
➜ Premier acte. – Les entreprises exca- ➜ Sixième acte. – Application des nage du radier central. active. Cette technique consiste, après
vent des portions supérieures des gale- mêmes travaux à la galerie latérale Est La voûte de la gare se situe parfois à projection d’une couche de béton, à
ries longitudinales Est et Ouest, ainsi que avec, toutefois, un bétonnage intégral seulement 8 m des fondations des mettre en place un anneau définitif
la demi-section supérieure de la galerie de la culée pleine. immeubles, ce qui a entraîné de nom- constitué de voussoirs préfabriqués. Elle
centrale Ouest. ➜ Septième acte. – Excavation et réa- breuses reprises en sous-œuvre en cours autorise un gain de temps appréciable
➜ Deuxième acte. – Après creusement lisation de la voûte du tunnel central d’exécution, comme à Haussmann- sur les travaux de confortement et de
et renforcement de la demi-section supé- selon la technique de la voûte active. Saint-Lazare d’ailleurs. Une des diffé- ferraillage, tout en offrant l’assurance
rieure de la galerie centrale Est (confor- ➜ Huitième acte. – Progression vers le rences majeures par rapport à cette der- d’une qualité constante des bétons. ❚

28 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


3 4 5

>>> 1 Dans la gare Magenta, comme à Haussmann-Saint-


Lazare, de larges verrières procurent un éclairage zénithal qui marque
Gare du Nord le retour à la surface, à la ville. 2 Les structures apparentes
participent pleinement de la ligne architecturale. Tout autant que
Gare du No

46
42 43
D BUS 47 48 49 les matériaux, elles expriment la “vérité constructive” de l’ouvrage.
RER B
ru
rd M 4

eL
aF
ay
et
3 Le traitement angulaire des poteaux comme les sections circu-
te
faubourg Saint-Denis
rue du laires des poutres sont des éléments récurrents de l’architecture des
M 5
Gare du Nord

gares. 4 Le parti pris architectural dégage de larges espaces


Gare Magenta
et joue sur les textures et les couleurs des bétons. 5 La galerie
rue Demarquay

centrale marie un sol en marbre avec une voûte en béton réalisée


rue
de
ce l’A
suivant la technique dite de la voûte active.
’Alsa que
rue d ru duc
eL
aF
ay
et
te
Gare de l’Est

0 20 50 100 m Plan Gare Magenta


Rue Demarquay

❙❙❙ Coupe transversale

Pôle Alsace Pôle Saint-Denis

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 29


réalisation EOLE – Ligne de RER

1 2

>>> 1 La proximité des constructions de surface a nécessité


de nombreuses reprises en sous-œuvre. 2 Des poutres massives

Gare Haussmann-Saint-Lazare : reprennent les descentes de charge des ouvrages “supérieurs” dont la
masse est parfois prise en compte pour contrer les effets de poussée

des bétons spéciaux de la nappe phréatique. 3 4 Le béton satiné des structures


des halls cède place au béton glacé des galeries d’accès aux quais.

T out en adoptant une pro-


gression générale du bas
20 m, des réservations pour les accès aux
quais. Deux piédroits de 1,20 m d’épais-
tier a été l’un des temps forts de l’opéra- présence d’eaux agressives (ciment CHF -
tion. Le soutènement par des arcs métal- CEM III 52,5 PM-ES) et procurer une résis-
vers le haut, les travaux de la sta- seur en béton B 30 accueillent les réser- liques cintrés a été abandonné au profit tance à la compression de 20 MPa à 24 h.
tion Haussmann-Saint-Lazare ont vations des escaliers et des remontées d’une méthode associant boulonnage et Notons que les bétons coulés ici ne sont
suivi un même principe de galeries d’extré- mécaniques à venir. La jonction des pié- béton projeté par voie sèche ou humide, pas revêtus. Ils ont donc fait l’objet d’une
mité provisoires dans lesquelles ont été droits et des culées creuses reprend des pour une meilleure stabilité. La voûte du attention minutieuse dans leur formula-
coulées les futurs appuis, constitués de efforts importants provenant de la des- tunnel central, d’une portée de 21 m, a tion comme dans leur mise en œuvre,
culées. Les galeries provisoires ont reçu des cente de charges (1 000 t/m) et de la été coulée en place par cycles de trois d’où ces protections contre les agressions
culées creuses de 6 m de large sur toute la poussée hydrostatique de la nappe jours correspondant à une progression de par des panneaux de contreplaqué et des
longueur de la gare (225 m), formées de phréatique (25 t/m2). Le changement de 2,40 m. Quant aux bétons, ils ont été feuilles de plastique au moment de la
blocs de béton armé comprenant, tous les méthode d’excavation en cours de chan- spécialement formulés pour supporter la mise en œuvre. ❚
Rue de Caumartin

❙❙❙ Coupe transversale


Rue du Havre

Pôle Saint-Lazare Pôle Haussmann

30 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


3 4

HISTORIQUE
Architecture façon
Construire Haussmann-Saint-Lazare “à pied sec”
Les voûtes des halls Nord et Sud de la station Haussman-Saint-Lazare
“grandes lignes”
se situent à la cote NGF 22, soit 10 m sous le niveau du sol et près de
2 m en dessous de la nappe phréatique libre. Maîtrise d’ouvrage et
L es stations Haussmann-
Saint-Lazare et Magenta
de l’architecte, une “vérité constructive”.
maîtrise d’œuvre ont donc décidé de rabattre cette nappe en dessous Cette idée de vérité se traduit par l’em-
du niveau des radiers (– 5 NGF). À cet effet, 24 puits de pompage ont marquent par leurs contrastes, ploi quasi systématique d’un béton
avec les gares parisiennes du siècle der- coulé en place et non préfabriqué, afin
été utilisés qui auront permis le pompage de près de 30 millions de
nier, faites de verre et d’acier, mais aussi de laisser apparente la trace du travail
mètres cubes en quatre ans. “L’association du jet grouting et du rabat-
avec les habituelles stations enterrées de l’homme.
tement a fait la preuve de son efficacité en permettant aux travaux de du transport au quotidien : espaces,
s’effectuer dans de bonnes conditions”, confirme Henry Weisberger, matières et lumières diffèrent du modèle
● L’étoffe des bétons
directeur technique du groupement Sogea. courant et se rapprochent plutôt des der-
nières nées des gares du TGV. Dues Le béton brut n’en devait pas moins par-
comme ces dernières à l’atelier d’architec- ticiper d’une logique architecturale fon-
Gare Saint-Lazare ture de la SNCF – l’Agence des gares – et dée sur une trilogie matériau-couleur-
zare
à l’architecte en chef Jean-Marie Duthil- lumière, ses différentes teintes et
int-La
rue Sa leul, elles en partagent les préceptes. Elles textures ayant pour but de produire des
M 12
Lazare signent ainsi une volonté d’unité dans le lumières différentes. Onze qualités de
Saint-
M 13 transport ferroviaire et donnent ses béton ont ainsi été sélectionnées, pré-
Lazare
Saint- lettres de noblesse à la ligne E du RER. sentant selon la nature des ciments et
Gare Haussmann-Saint-Lazare
des granulats une large palette de
rue Joubert teintes et de textures. Parois lisses et
ru ● Vérité du béton brut
rue du

ed
eR rugueuses alternent en fonction des
om
rue de Provence Exploiter au maximum la présence du espaces souterrains. Les piédroits des
Havre

e
rue de Mogador

boulevard gros œuvre a été une des idées majeures voûtes des quais recourent à un béton
Haussman
n M 9
Havre
du projet. Les structures ne sont pas bouchardé. Les striures mécaniques lais-
RER
A Caum
atin
masquées mais au contraire mises en sant apparaître les sables et les granulats
0 20 50 100 m Plan Gare Haussmann-Saint-Lazare valeur afin d’exprimer, selon l’expression blancs de Jouy-le-Châtel pour éclairer la

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 31


réalisation EOLE – Ligne de RER

1 2

>>> 1 L’harmonie des gares s’appuie sur la définition et


l’articulation de différents bétons. En l’occurrence, les bétons glacés
métalliques, dont la légèreté contraste
des galeries, choisis pour leur douceur, croisent, en s’ouvrant sur avec la monumentalité des halls. La
les piédroits des quais, des bétons bouchardés piquetés de granu- pierre est elle aussi présente. Marbrière,
elle remplace avantageusement le tradi-
lats blancs pour mieux réfléchir la lumière. 2 Le mœlleux des tionnel asphalte au sol ; elle apparaît
coussins acoustiques recouverts de tissus synthétiques créent aussi dans le mobilier, sous forme de
bancs pour les quais de la station
une saillie s’inscrivant dans la trame des voussoirs en béton satiné.
Haussmann-Saint-Lazare.

matière en accrochant la lumière, tout en technique consiste ici à mettre en œuvre ● Un éclairage “domestique” Maître d’ouvrage :
exprimant les forces reprises par ces un film plastique entre le béton et le cof- SNCF – direction déléguée Eole,
ouvrages. Les grands ouvrages comme frage. Le bois, matériau d’appoint, s’allie La lumière est une composante majeure assistée des bureaux d’études
Socotec (bureau de contrôle)
les voûtes des quais utilisent du béton avec le béton pour marquer l’univers du projet architectural. Naturelle à
et Méthodes et pilotage
satiné. Choisie pour sa faculté à réfléchir d’Eole. Présent dans les volets des accès l’abord de la surface grâce à de nom- (planificateur)
les lumières indirectes, cette texture est sur rue, il revêt également le traitement breuses verrières, elle devient artificielle
Maître d’œuvre études :
obtenue grâce au traitement des peaux acoustique des seuils souterrains de la en plongeant en profondeur. Les “tubes direction de l’Ingénierie
de coffrage. Enfin, dans les passages gare de Magenta ou des correspon- fluo” sont abandonnés au profit de de la SNCF
étroits où le matériau est très proche des dances RATP de Haussmann-Saint- lustres colorés sur les quais et les halls, Maître d’œuvre travaux :
usagers, l’architecte a opté pour un Lazare. Il jalonne aussi le cheminement de mâts qui balisent les galeries, d’ap- SNCF,direction des travaux Eole
béton glacé gris clair séduisant par son des voyageurs, notamment comme revê- pliques qui soulignent la trame des Entreprises :
aspect lisse et légèrement brillant. La tement du plancher des passerelles poteaux. La lumière affirme aussi le • groupement Chantiers
modernes/Dumez (Magenta),
caractère colossal des halls en mettant
DG Construction/Impreglio
en valeur le rythme des poteaux et des (tunnel) ;
butons, le strict calepinage des joints, et • groupement Sogea avec Spie
>>> Plus de cinq années surtout en offrant une “profondeur de Batignolles,Bouygues,
Fougerolle ;
de travaux “titanesques” pour champ” qui semble repousser les parois
Ballot et Picot
souterraines. ❚
ces deux cathédrales (gare Haussmann-Saint-Lazare)

de béton brut enfouies dans TEXTE : PHILIPPE MORELLI Plasticien du béton :


Jean-Pierre Aury
PHOTOS : SNCF, DIRECTION DE LA COMMUNICATION
le sous-sol de Paris.d
CENTRE AUDIOVISUEL,DIDIER BOY DE LA TOUR,
ALFRED WOLF, PHILIPPE FREYSSEIX

32 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


réalisation LES PONTS HAUBANÉS

Haubans et dalle mince:


la solution du juste milieu
●●● En France comme ailleurs, les ponts haubanés se développent. Des ouvrages exceptionnels

à plusieurs titres : par la complexité de leurs structures hyperstatiques, mais aussi par la

recherche architecturale poussée qui sous-tend leur conception. Enfin, et c’est peut-être le plus

important, les ouvrages haubanés exigent de leurs concepteurs une totale maîtrise des exigences

et des mécanismes en jeu. Et le succès y est toujours le résultat d’un travail d’équipe.

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 33


réalisation LES PONTS HAUBANÉS

1 2

>>> 1 Pont sur le canal de Douzère à Pierrelatte, conçu


par Albert Caquot, mis en service en 1952. Il donnera le signal au

L es ponts à haubans se est allé un peu plus loin en croisant des renouveau du pont à haubans. 2 3 Extrême minceur
sont multipliés ces der- câbles porteurs venant des deux
nières années un peu partout pylônes, dans une disposition proche du tablier du pont d’Evripos, œuvre de Jorg Schlaich, qui relie
dans le monde. Ce sont des ouvrages d’un véritable haubanage. la Grèce continentale à l’île d’Eubée (à environ 100 km au
exceptionnels à plusieurs titres, par la Les premiers ponts à haubans mo-
nord d’Athènes).
complexité de leur structure mais aussi dernes ont été construits par Eduardo
par la recherche architecturale poussée Torroja – l’aqueduc de Tempul en 1926
qui sous-tend leur conception : pylônes, – et par Albert Caquot avec le pont sur
tablier et nappes de haubanage doivent le canal de Donzère en 1952, for- Mathivat, René Walther et Jorg Schlaich plus légers que dans le domaine des
exprimer le concept structurel tout en tement inspiré par les travaux de ont apporté à leur tour des idées nou- méthodes où la construction par encor-
s’inscrivant élégamment dans le site du l’Allemand Franz Dischinger ; il est à velles qui font des ponts à haubans des bellements successifs s’impose comme
franchissement. Mais la conception des noter que ces deux ouvrages ont été structures modernes, efficaces, écono- la plus efficace pour les grandes et
ponts haubanés nécessite de la part de construits en béton armé. miques et élégantes. moyennes portées.
leurs concepteurs – ingénieurs et archi- Les ponts à haubans de la première
tectes – une grande maîtrise de leur com- génération ne comportaient qu’un
● Un progrès d’origine ● Les tendances modernes
portement mécanique et des exigences nombre limité de haubans de grande
germanique
de la technologie. puissance, et le tablier devait avoir une La plus spectaculaire des évolutions des
Les premiers ponts à haubans ont été C’est en Allemagne que la technique grande rigidité, fonctionnant comme ponts à haubans est l’augmentation
construits au début du XIX e siècle. des ponts à haubans s’est vraiment une poutre continue soutenue de loin en des portées franchies : avec le pont de
Malheureusement, la mauvaise com- développée au cours des années cin- loin par des haubans qui jouent le rôle Normandie – 856 m en janvier 1995 –
préhension du fonctionnement de ces quante et soixante, avec en particulier d’appuis intermédiaires. Le progrès est les ponts à haubans commencent à
structures hyperstatiques et l’ignorance une remarquable série de grands ponts venu avec la construction du pont entrer en compétition avec les ponts
des effets du vent vont provoquer l’ef- sur le Rhin, à Düsseldorf, Cologne, Bonn, Friedrich-Ebert à Bonn par Helmut suspendus pour les très grandes por-
fondrement de ces premiers ouvrages. Duisbourg... Sans oublier les construc- Homberg, en 1967, qui introduit la tées, et le record vient d’être battu par
Si le haubanage n’a pas été complète- tions originales de Riccardo Morandi, notion de haubans multiples répartis : le le pont de Tatara au Japon, avec 890 m
ment abandonné, son rôle a été limité à et notamment le pont du lac Maracaïbo, tablier peut être assimilé à une poutre en mai 1999 ; tous les experts consi-
la rigidification des ponts suspendus ce sont Ulrich Finsterwalder, Fritz Leon- sur un appui élastique continu, selon dèrent qu’on atteindra rapidement des
par la mise en place de haubans au voi- hardt et Helmut Homberg qui ont établi une image de Jacques Fauchart. Ce sera portées de 1 200, voire 1 500 m si
sinage des pylônes suivant les idées de et fait progresser la technique et la l’origine d’un foisonnement de nou- l’occasion s’en présente.
John Roebling, notamment pour le pont conception des ponts à haubans. velles solutions, aussi bien pour la Mais l’augmentation des portées n’est
de Brooklyn. Le Français Albert Gisclard Plus récemment, Jean Müller, Jacques conception de tabliers plus souples et pas le seul progrès observé : il faut

34 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


PONT SUSPENDU ET PONT HAUBANÉ

câbles porteurs suspentes


tendus

tablier
léger
Pont suspendu massif d’ancrage

haubans porteurs
tendus peu nombreux

tablier rigide
construit sur cintre

Pont à haubans de 1ère génération

compression
du pylône haubans multiples
répartis
traction des
haubans

compression tablier
léger

Pont à haubans de 2e génération

TECHNIQUE

évoquer les ponts à multiples travées Sans oublier les atouts esthétiques
Grands franchissements
haubanées – dont le pont de Rion- apportés par la grande minceur du et domaine de compétitivité des ponts haubanés
Antirion et le viaduc de Millau seront tablier et l’évidence du comportement Distance entre pylônes Configuration de l’ouvrage
les meilleurs exemples –, les ponts à structurel, que même les profanes res-
● 150 à 200 m Tablier dalle mince béton précontraint
précontrainte extradossée – imaginés sentent immédiatement en discernant
par Jacques Mathivat en s’inspirant du les rôles des pylônes et des haubans. ● 200 à 300 m Tablier-dalle à nervures en béton
pont du Ganter de Christian Menn, et précontraint
largement développés aujourd’hui au
● A la recherche de la légèreté ● 250 à 500/600 m Tablier-caisson précontraint
Japon – et surtout le développement
et de la simplicité profil aérodynamique
des ponts à haubans à tablier mince
en béton précontraint dont le pont sur Ulrich Finsterwalder, Fritz Leonhardt, ● 400 à 800 m Tablier mixte acier-béton à condition
le Rhône entre Beaucaire et Tarascon René Walther et Jorg Schlaich ont été d’étudier le profilage aérodynamique
est le dernier exemple. les précurseurs des ponts à haubans à ● 600 à 1 200 m Caisson profilé à dalle orthotrope
Ce type d’ouvrage offre de bonnes tablier mince que nous nous sommes
● Au-delà de 1 200 m Pont suspendu
perspectives de développement en efforcés d’introduire en France.
France où il n’existe que peu de sites Pour le premier ouvrage de ce type qui
exigeant des franchissements de gran- a été construit, le pont sur le Rhin à Le pont d’Evripos, en Grèce, a été nous sommes intervenus en tant que
de portée, si bien que c’est dans le Dieppoldsau, René Walther a dessiné construit entre 1985 et 1993. Conçu consultants pour l’Administration
domaine des portées moyennes – de une dalle en béton précontraint d’épais- par Jorg Schlaich, c’est une simple dalle grecque, et avons assuré le contrôle du
120 à 250 m – que les ponts à hau- seur variable, de 35 cm en rive à 55 cm rectangulaire de 13,50 m de largeur et projet au SETRA en collaboration avec
bans doivent s’imposer par rapport à dans l’axe ; la largeur de la dalle est de 45 cm d’épaisseur (sauf au voisina- Ingerop, nous pouvons affirmer qu’il
des structures plus classiques de ponts de 14 m et la portée entre pylônes de ge des pylônes où elle est épaissie) ; n’en est rien, même s’il convient d’être
en caisson en béton précontraint ou de 97 m. L’élancement est ainsi de 1/200, avec une portée de 215 m, l’élance- particulièrement attentif dans la
ponts en ossature mixte acier-béton. en rupture totale avec les ordres de ment atteint 1/500. Toute la rigidité de conception des détails. Les essais
Pour cela, il faut réduire le coût de grandeur adoptés dans d’autres types la structure vient des pylônes, dont les menés à l’Ecole Polytechnique de
construction en jouant principalement d’ouvrages ; mais l’une des plus claires jambes sont des caissons carrés en Lausanne par le professeur Walther le
sur le prix du tablier par la recherche démonstrations de l’évolution des béton armé d’environ 4 m de côté. confirment s’il en était besoin.
d’un compromis optimal entre allège- ponts à haubans, c’est l’absence de Certains ont prétendu que cet ouvrage Malheureusement le règlement de cal-
ment et rigidité transversale, et par signification de l’élancement, rapport particulièrement audacieux n’assurait cul français du béton précontraint ne
l’utilisation de méthodes de construc- de la portée et de la hauteur structu- pas la sécurité nécessaire vis-à-vis du permet pas d’envisager des tabliers
tion simples, rapides et généralisables. relle du tablier. flambement du tablier ; mais comme aussi minces et aussi flexibles, compte

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 35


réalisation LES PONTS HAUBANÉS

<<< La passerelle du Grand-Tressan


à Bordeaux est une réalisation proche des conceptions
de Walther et de Schlaich, avec un tablier-dalle
extrêmement simple. L’architecte Édouard Colombani
a proposé une passerelle haubanée qui fait fonction
de “signal”. Longue de 69 m et large de 3 m, elle
enjambe les deux voies d’une rocade. Le pylône central,
haut de 24 m, a la forme d’un V renversé. Il n’y a pas
de liaison entre le pylône et le tablier, formé de deux
poutres latérales de 0,8 m x 0,5 m dans lesquelles sont
noyés les ancrages actifs des haubans, avec un
hourdis de 0,25 m d’épaisseur.

>>> 1 À Chalon-sur-Saône, le pont de Bourgogne


franchit une portée de 152 m entre pylônes avec un tablier mince
tenu des exigences vis-à-vis des états espacées de 4,40 m. Malgré cette de 1,03 m d’épaisseur maximale.
limites de service en termes de apparente complexité, la simplicité des
contrainte. formes a facilité le bétonnage, l’incli- de Nifer et du projet que nous avions chaussée, au niveau de la fibre supé-
naison des nervures dans le prolonge- conçu avec Berdj Mikaelian pour rieure, et par une série de pièces de
ment des plans de haubanage rendant franchir l’Armançon et le canal de pont espacées de 3,50 m ; ces pièces de
● Les applications en France
même les formes intérieures autodé- Bourgogne à Aisy-sur-Armançon ; tous pont sont préfabriquées et précon-
Mise en service en 1980, la passerelle coffrantes. L’ouvrage, comme la passe- les trois faisaient appel à une mise traintes par fils adhérents pour pouvoir
de l’Illhof, conçue par Michel Placidi relle de Meylan juste auparavant, a été en place par rotation. Le projet du pont être directement installées dans l’équi-
et Michel Mossot, et construite par construit sur échafaudage au sol et mis de Seyssel, que nous avons établi avec page mobile lors de la construction des
Campenon Bernard à la fin des années en place par rotation. Alain Spielmann et Jean-Vincent voussoirs successifs. Les nervures longi-
70, est la première application en Plusieurs projets entre 1980 et 1982 Berlottier, faisait appel à une mise en tudinales sont inclinées, pour économi-
France de ces idées. Le tablier est ont repris ces principes mais n’ont pas place par poussage : le principe en a été ser la matière et faciliter le décoffrage ;
constitué de deux nervures longitudi- été construits. Il s’agit tout d’abord du repris pour la construction, mais avec les haubans – disposés dans des plans
nales de 1,50 m de hauteur, reliées par projet de pont de Cergy-Pontoise que un tablier en ossature mixte. verticaux – sont ancrés dans les ner-
un hourdis de 15 cm d’épaisseur et une nous avions établi avec Philippe Fraleu, vures, entre chaussée routière et trot-
série de pièces de pont-entretoises du projet de Michel Placidi pour le bief toirs dénivelés. La forme des pylônes,
● Le pont de Bourgogne
particulièrement élégante grâce au tra-
TECHNIQUE
à Chalon-sur-Saône
vail de l’architecte, résulte des choix
Le projet du pont de Bourgogne à structurels : les têtes de pylônes, où sont
L’avenir est à la durabilité et au style Chalon-sur-Saône a été établi avec ancrés les haubans, sont verticales,
Charles Lavigne. Son originalité réside puis les jambes s’écartent pour faire le
Pour les bétons traditionnels, dont la résistance en compression est dans la conception du tablier : il a la tour du tablier et se resserrent en des-
de l’ordre de 30 à 40 MPa, la conception structurelle a conduit à un forme d’une dalle nervurée, mais les sous pour limiter la taille des bâtar-
allégement très significatif des tabliers. Avec les BHP (d’une résis- trottoirs sont placés à l’extérieur des deaux en rivière dans lesquels ont été
tance de l’ordre de 60 à 80 MPa), on est en droit d’attendre de nou- nervures longitudinales et au niveau de construites les fondations. La hauteur
la fibre inférieure ; on lui donne ainsi du tablier n’est que de 1,03 m pour une
veaux progrès. Il est probable qu’ils porteront plus sur l’amélioration
l’inertie d’un caisson de même hauteur, portée de 152 m, ce qui correspond à
de la durabilité des ouvrages que sur de nouvelles réductions signifi-
tout en conservant les conditions de un élancement de 1/250. Cela contri-
catives de l’épaisseur. L’architecte aura donc à associer des tabliers bétonnage d’une dalle. Les deux ner- bue à l’élégance de cet ouvrage qui a
minces à des pylônes sur lesquels un important travail plastique est vures longitudinales sont reliées par le été mis en service le 14 juillet 1990. ❚
possible concernant la forme, la texture et la couleur des parements. hourdis intermédiaire qui porte la TEXTE : MICHEL VIRLOGEUX

36 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


6,75 m 6,75 m

0,45 m
2%

13,50 m

Pont d’Evripos coupe tablier


4,50 m 4,50 m

1,03 m
5,12 m

15,54 m

Pont de Bourgogne coupe tablier

0,81 m
12,10 m

Pont de Beaucaire coupes tablier


1

Entretien avec Michel Virlogeux,


ingénieur-conseil « Il est nécessaire
de combattre les idées reçues »

Construction moderne : L’histoire Bourgogne, à Chalon-sur-Saône, basées sur des a priori… et malheureu- passé lors du concours du pont
contemporaine des ponts à haubans je me suis inspiré de travaux de Pierre sement les avis défavorables l’empor- Charles-de-Gaulle à Paris est typique
laisse apparaître une concurrence Xercavins et d’une proposition non taient souvent. Mais depuis le pont de de cet état d’esprit. Dix équipes avaient
entre solutions béton et solutions retenue de Jean Müller pour le pont de Normandie, il existe une sorte d’en- été qualifiées. Sur les neuf projets
acier. Est-ce réellement le cas ? l’île de Ré. Dans mon projet, les voitures gouement pour les ponts à haubans. rendus, deux seulement étaient réelle-
sont en haut et les piétons décalés. Certains maîtres d’ouvrage souhaite- ment constructibles. Parmi eux, celui
Michel Virlogeux : Dans le domaine Ainsi, avec un tablier d’une hauteur de de Louis Arretche et de Pierre Xerca-
raient même en réaliser dans des lieux
des ponts à haubans, en effet, la com- 1,03 m, on obtient une inertie identique vins , qui a été retenu, et celui de Jean
où les conditions ne s’y prêtent pas du
pétition entre l’acier et le béton a à celle d’un caisson de 1,03 m. Mais Müller et d’Alain Spielmann , un pont
tout. Cela dit, il existe aussi des consul-
longtemps été vive. En termes de por- le profil est beaucoup plus fin car à haubans semblable dans son esprit
tations où il est explicite que les ponts à
tée, le béton a même établi deux fois il reste dans la logique structurelle et à celui que j’avais imaginé pour Bou-
haubans n’ont a priori aucune chance.
le record devant l’acier : une première esthétique d’une dalle mince. Le pont logne-Billancourt. Je pense que le jour
J’ai le sentiment que les architectes
fois en Espagne en 1983 avec le pont de Beaucaire-Tarascon, avec ses où un très beau pont à haubans, des-
responsables des sites et les représen-
Barrios-de-Luna, dit aussi pont nervures très basses, peut être siné par un très bon ingénieur associé
tants des milieux culturels sont oppo-
Fernandez-Casado, d’une portée de considéré comme la suite directe du à un architecte de talent, aura été réa-
sés aux ponts à haubans parce qu’ils
430 m, et ensuite en 1991 avec le pont pont de Chalon et des ponts à tablier lisé en milieu urbain, cela fera date. Il
les voient comme des œuvres d’ingé-
du Skarnsund en Norvège, d’une nervuré en béton. existe dans ce domaine des références
nieurs. Il existe malheureusement
portée de 530 m. Aujourd’hui les 800 m intéressantes en Allemagne. Mais il est
quelques exemples de ponts à hau-
sont dépassés, et le béton, parce qu’il C. M. : Le pont à haubans est une
bans qui pèchent par leur esthétique et bien évident qu’un pont à haubans en
n’a pas la capacité à franchir des solution intéressante sur le plan
peuvent servir d’alibis à cette attitude milieu urbain et un autre en milieu
portées dépassant les 600 m, ne pour- architectural : l’ouvrage par lui-même
négative. Dans un ouvrage de ce type, “naturel”ne peuvent pas avoir les
rait plus détenir le record. En revanche, est original, et c’est une occasion de
il n’y a pas de droit à l’erreur : s’il est mêmes formes. Sans vouloir polémi-
pour des ponts à haubans ne dépas- mettre en valeur le paysage. Comment
“loupé”, on ne voit plus que lui. quer, il est important de combattre cer-
sant pas des portées de 400 à 500 m, ces ponts sont-ils perçus par les
taines idées reçues comme le carac-
le béton reste très compétitif. maîtres d’ouvrage en général ? C. M. : Apparemment, il existe
tère encombrant des haubans dans le
M. V. : Il n’y a pas de règle en la de nombreuses idées reçues sur
site. Au pont de Normandie, les hau-
C. M. : En tant que concepteur de les ponts à haubans. Quelles sont
matière et les avis sont partagés. De bans sont gris clair ; ils ne se voient
ponts, vous avez proposé des projets les plus répandues ?
nombreux ponts à haubans que même pas sous certaines ambiances
de ponts à haubans en France ?
j’ai projetés n’ont pas vu le jour car leur M.V. : On dit souvent que les ponts de lumière. À Seyssel, les haubans
M. V. : J’ai fait plusieurs projets architecture a été rejetée de façon très à haubans ne sont pas des ouvrages sont bleu clair, et seuls le tablier et le
de ponts à haubans qui n’ont pas été subjective. Dans les années quatre- urbains, mais plutôt des ouvrages mât ressortent. Il est aussi possible
construits : Cergy-Pontoise, Boulogne- vingt, les positions étaient souvent de pleine campagne. Ce qui s’est d’obtenir l’effet inverse : les haubans
Billancourt… Pour le pont de

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 37


réalisation LES PONTS HAUBANÉS

du pont de Brotonne sont de couleur avant de dessiner la forme définitive du différentiel est faible, de l’ordre de 10 % permanente et fréquente, le tablier
jaune d’or et très visibles, mais cela pylône, on sait déjà qu’elle est détermi- au maximum. Il en ressort que le choix reste comprimé.
fait partie de l’esthétique générale de née par l’ensemble des choix tech- d’un pont à haubans de ce type permet
l’ouvrage. Cela montre que les concep- niques. Dans un projet conduit à un maître d’ouvrage de réaliser un C. M. : Cette question est un peu la
teurs disposent d’une large latitude de façon cohérente, c’est à partir de ouvrage original sans que son coût en suite de la précédente : la controverse
en matière d’expression esthétique et ces données définissant l’organisation devienne pour autant exorbitant. technique à propos de ces ouvrages
d’un registre varié d’effets. de la matière que l’architecte peut est-elle fondée ?
dessiner le profil du pylône et l’archi- C. M. : Dans le domaine des ponts à
C. M. : Le pylône joue un rôle tecture d’ensemble de l’ouvrage. dalle mince, peut-on dire qu’il existe M. V. : Il est vrai qu’il existe aussi en
important dans l’esthétique générale aujourd’hui deux versions, la dalle la matière des idées reçues. Certaines
de l’ouvrage, et son dessin est C. M. : Les ponts à haubans à dalle pure et la dalle nervurée ? personnes, par exemple, ont affirmé
induit par la structure même du pont. mince présentent-ils des avantages que les ponts à haubans à dalle mince
Pouvez-vous nous détailler ce travail par rapport aux autres modes de M. V. : Oui. Par rapport à la dalle pure, sont instables et qu’ils ne tiennent pas.
qui allie pensée technique et pensée construction ? la dalle légèrement nervurée a besoin Elles n’ont apparemment pas compris
architecturale ? d’entretoises. Cela amène un les particularités de ces ouvrages.
M. V. : L’avantage majeur des ponts à handicap économique.Tous les Pour les adversaires patentés des
M. V. : Pour chaque pylône, c’est un dalles minces est qu’ils sont beaucoup ouvrages qui ont des nervures longi- ponts à haubans à dalle mince, sous
travail technico-architectural qu’il faut plus économiques que les ponts à tudinales sont nervurés transversale- l’effet d’une charge locale il y a locale-
effectuer. À titre d’exemple, la forme du caisson. Le pont à dalle mince lutte ment. À cela s’ajoute le fait que ment création de rotules plastiques et
pont de Chalon-sur-Saône est dictée sur le plan économique avec les ponts la réglementation française n’est pas dans ces conditions, rien n’empêche
par plusieurs critères techniques : les à ossature mixte bipoutre. Ces derniers favorable à la dalle. Il n’existe en France le flambement de la poutre. La réponse
trottoirs sont à l’extérieur des deux sont en effet très performants dans que deux ouvrages à dalle pure. consiste tout simplement à dire qu’il
plans de haubanage et ceux-ci sont le domaine des portées comprises Le premier se trouve sur l’autoroute ne faut pas laisser la poutre en arriver à
verticaux, pour pouvoir bénéficier d’un entre 100 et 600 m. Dans le cas d’une A 64, il s’agit du pont de la Bidouse ; cette situation ! Il faut dimensionner la
ancrage très simple dans la tête de portée élevée, de l’ordre de 400 m, le second est à Bordeaux, sur le péri- poutre afin que les rotules plastiques
pylône et dans le tablier. Ces deux les ouvrages en béton sont à armes phérique : il s’agit de la passerelle du ne puissent pas se développer et la
choix ont dicté le dessin de l’ouvrage. égales avec les solutions en acier. Grand-Tressan, qui présente une dalle question est réglée. Je tiens à préciser
Le haut du pylône doit être vertical, S’il existe en plus des problèmes aéro- de 25 cm d’épaisseur. qu’un projet de pont à dalle mince
comme les plans de haubanage. En dynamiques, il faut employer des ne peut être conduit que par un
revanche, dans sa partie inférieure, caissons et les caissons en béton sont concepteur chevronné et expérimenté.
C.M. : La réglementation française
le pylône doit faire le tour du tablier, moins coûteux que leurs homologues Sans entrer dans les détails, les essais
n’est pas favorable aux ponts à
ce qui implique d’écarter les deux en acier. Pour les portées moyennes de effectués au laboratoire de l’École
haubans à dalle. Pour quelle raison ?
“branches”du pylône. Il est donc 100, 200 ou 300 m, les caissons en polytechnique fédérale de Lausanne
nécessaire d’avoir une entretoise sous béton ne peuvent aucunement concur- M. V. : Parce qu’elle n’accepte pas sous la direction de René Walther mon-
le niveau du tablier pour reprendre les rencer les solutions mixtes. Dans ce l’existence d’une fissuration sous trent que les ponts à haubans à dalle
effets de l’inclinaison. Enfin, pour ne cas, la voie à emprunter est celle charge permanente. Et par définition, mince ne présentent aucun
pas avoir un batardeau trop important des ouvrages à dalle mince en béton. le béton est fissuré, même sans problème de stabilité générale.
dans la rivière, il est indispensable de En général, un pont à haubans à dalle charge. Pour y remédier, il est néces-
resserrer les fondations, ce qui mince nervurée revient un peu plus saire d’avoir une précontrainte Propos recueillis par Norbert Laurent
implique la présence d’une barre. Donc, cher qu’un ouvrage classique, mais le partielle qui fait que sous charge

38 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


2 3

>>> 1 Les haubans du pont de la Bidouse (A 64) sont liés à


des mâts indépendants. 2 Le pylône en forme de lyre de la liaison

La liaison Beaucaire-Tarascon permet de disposer les nappes de haubans dans


des plans verticaux. 3 Le tablier mince est raidi transversalement

Beaucaire-Tarascon par des poutres préfabriquées en béton précontraint par fils adhérents.

C echissement
nouvel ouvrage de fran-
du Rhône, sur
portée plus grande : 192 m. Moins 0,81 m, ce qui correspond à un élance-
Maître d’ouvrage :
large (12,10 m), ce pont ne comporte ment de 1/240. Très mince – véritable
conseil général
le contournement par le sud pas de trottoirs. ruban de béton précontraint soutenu des Bouches-du-Rhône
des agglomérations de Beau- par des nappes de haubanage en Maître d’œuvre :
caire et de Tarascon, a été conçu ● Une minceur exceptionnelle éventail –, parfaitement équilibré, bien Service du pont de Beaucaire -
dans le même esprit que celui de Cha- proportionné, il apparaît à la fois élé- Tarascon,Frédéric Edon
Le tablier a donc une forme plus clas- et Jean - Luc Masson
lon-sur-Saône, pratiquement par la gant et audacieux. Avec des formes qui
même équipe, et il est construit par la sique avec des nervures latérales découlent une fois de plus de la Projet et contrôle des études :
SETRA et CETE Méditerranée,
même entreprise, Léon Grosse. Ses reliées par un hourdis supérieur et de logique des efforts, il correspond par- Daniel Le Faucheur,PhilippeVion,
pylônes en lyre ont une forme voisine multiples pièces de pont, là aussi pré- faitement à l’évolution la plus récente Jacques Resplendino
de ceux du pont de Bourgogne, mais fabriquées et précontraintes par fils de cette famille d’ouvrages. ❚ Ingénieur-
sont plus imposants, compte tenu de la adhérents. Son épaisseur n’est que de PHOTOS : GUILLAUME MAUCUIT-LECOMTE conseil conception :
MichelVirlogeux
Architecte :
Charles Lavigne
Entreprises :
Léon Grosse – Bauland :
>>> Finesse du tablier
Claude Letey,Philippe Bonneval,
et puissance des pylônes : Pierre Mouchel
Haubanage :
le pont de Beaucaire-Tarascon Freyssinet
est un bon exemple de pont Préfabrication béton :
CPB –Yves Brugeaud
à haubans moderne.
Ingénieur structures :
Alain Chauvin

CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000 39


bloc-notes

Livres

➜ Les ponts modernes ➜ Ponts et viaducs ➜ Les grands ponts ➜ Construire avec
XXe siècle remarquables d’Europe du monde (hors d’Europe) les bétons
Bernard Marrey Marcel Prade Marcel Prade Sous la direction de CIMBÉTON
Collection Arts & Patrimoine Collection Arts & Patrimoine
Après un premier volume Conçu, rédigé et illustré sous
couvrant les XVIIIe et Retraçant, dans un premier L’auteur nous présente ici, la direction de CIMBÉTON, cet
XIXe siècles, Bernard Marrey chapitre, l’histoire des voies de près de 300 ponts ouvrage présente les diffé-
consacre un livre à l’histoire communication et des ponts, remarquables répartis sur rentes techniques de mise en
des ponts réalisés au XXe de l’Antiquité à nos jours, toute la planète. A travers œuvre du béton, leurs poten-
siècle. En effet, de nombreuses l’auteur nous conduit ensuite ce panorama, on notera que tialités et leur contraintes.
réalisations spectaculaires à la découverte des ponts et les ouvrages situés en Afrique, Il aborde aussi les multiples
et reconnues en béton armé viaducs remarquables des en Asie occidentale et en aspects de la pensée archi-
ou en béton précontraint différents pays d’Europe. Amérique du sud sont souvent tecturale du béton, sur le plan
ont marqué le siècle. Ce pano- La présentation de chaque marqués à différents titres technique comme sur
rama des ponts français, qui ouvrage est accompagnée par les périodes de colonisa- le plan formel. La première
expose aussi l’évolution des de photos et de dessins qui tion. En revanche, les pays partie du livre, intitulée
techniques de construction et illustrent le discours. Au fil d’Amérique du nord et “Penser béton”, traite des
de mise en œuvre, témoigne des pages, ces ouvrages d’art d’Extrême-Orient ont dévelop- questions liées à la conception
du talent et de l’ingéniosité apparaîssent comme d’admi- pé leurs propres techniques. des lieux de vie et de
des concepteurs de ces rables monuments qui Ce livre propose un ensemble l’architecture en béton. Elle
ouvrages. Chaque pont témoignent de l’histoire des de réalisations commentées traite également des struc-
est accompagné d’un com- hommes et des techniques. et illustrées, invitant à décou- tures et des éléments
mentaire retraçant l’histoire, vrir la diversité et les richesses constructifs en béton sous
Éditions Brissaud à Poitiers
et décrivant les techniques de des cultures techniques l’angle technique et architec-
construction et de mise en à travers le monde. tural, ainsi que du vaste
œuvre utilisées. éventail de formes et de
Éditions Brissaud à Poitiers
matières offert par le béton.
Éditions Picard
En parallèle, une vingtaine
d’opérations exemplaires,
étudiées en détail, complètent
et illustrent les propos.
Forum La seconde partie du livre,
“Connaître le béton”, conduit
le lecteur à découvrir en
profondeur le béton, la
Forum des associations du Génie Civil gamme des bétons contempo-
rains, la production des bétons
et les performances du béton.
Mettre en contact des acteurs de la construction qui, Le thème principal de ce forum concerne la qualité A cela s’ajoutent une présen-
s’ils travaillent ensemble et partagent les mêmes inter- de vie et l’environnement de l’homme. En effet, tation des aspects réglemen-
rogations, n’ont pas l’occasion de bien se connaître. depuis quelques années, l’émergence du concept taires et des outils de
Voilà le but de ce forum des associations du Génie civil de développement durable a fait prendre conscien- dimensionnement.
et urbain, organisé à Lyon par trois associations : ce de la nécessité d’intégrer la protection de l’envi- 600 illustrations ainsi que
350 schémas et dessins
ronnement comme élément fondamental d’amélio-
● l’AFGC (Association Française de Génie Civil). complètent les propos de cet
ration de la qualité de la vie : un thème qui sera ouvrage de 576 pages.
● l’AUGC (Association Universitaire de Génie Civil). abordé lors des conférences plénières, du 3e
Coédité par CIMBÉTON
● l’IREX (Institut pour la recherche appliquée congrès universitaire et du colloque AFGC.
et Le Moniteur
et l’expérimentation). À Lyon les 27 et 28 juin 2000

40 CONSTRUCTION MODERNE /ANNUEL OUVRAGES D’ART 2000


portfolio

L a liaison fixe entre le Danemark et


la Suède est bien plus qu’un pont franchissant
l’Øresund : c’est une succession d’ouvrages
d’art où l’intelligence et le travail de l’homme
sont les deux outils qui lui permettent de
dépasser les obstacles dressés par la nature.
On ne s’étonnera donc pas d’y voir
le matériau béton figurer au premier rang
des matériaux employés.

4e de couverture : la station Haussmann-Saint-Lazare de la nouvelle ligne E du RER.

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