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Les interviews de Pratiques Sociales – Avril 2011 – Christian Burel

Idéologies et littérature pour les enfants


Interview : Idéologie en littérature pour enfants, trois questions à Christian Bruel,
auteur et éditeur de littérature jeunesse

Il collabore de manière privilégiée avec des illustrateurs comme Anne Bozellec,


Nicole Claveloux ou Bernard Bonhomme.
Fondateur de la maison d’édition le Sourire qui mord et Etre, il a aussi travaillé
comme formateur en littérature, et a publié des ouvrages sur les illustrateurs Nicole
Claveloux et Anthony Browne.

• Peut-on dire qu'il y a une pensée dominante dans la littérature pour


enfants aujourd'hui ? Pourquoi ? Comment se manifeste-t-elle ?

Je pense qu’il y a plusieurs « pensées » dominantes dans les albums. L’une, ultra
majoritaire, vise plus ou moins explicitement (et plus ou moins inconsciemment) à la
simple reconduction de l’ordre des choses. La marchandise prime sur l’œuvre. Tant
formellement qu’en ce qui concerne les contenus manifestes, de tels albums sont
souvent vains, interchangeables et conservateurs quand ils ne sont pas tout
simplement réactionnaires. Ce qui ne veut pas dire qu’ils manquent tous de
séduction, d’humour et d’une certaine modernité : le marché sait feindre. Y compris
la résistance.

Une seconde catégorie me semble regrouper les albums injonctifs. Ils détiennent
une vérité et leur projet paraît uniquement d’en infuser la morale. La fiction est alors
un simple biais, un prétexte. Elle est faite pour servir et le pacte de lecture sollicité
relève de l’adhésion pleine et entière.

Enfin, des albums (économiquement à la marge) proposent de réels écarts. Ils


décalent le point de vue, tant du côté de la production que de celui de la réception.
Ils invitent à l’interprétation.

• Quelle(s) caractéristique(s) pourrai (en)t présenter les livres pour la


jeunesse (terme historiquement et donc idéologiquement connoté) pour
alimenter un certain sens critique chez les jeunes lecteurs ?

Ma réponse précédente le laisse entendre… J’aspire à ce que se multiplient les


albums comme autant de véritables contributions aux dispositifs de qualification
technique et humaine des lecteurs. Des albums où l’iconotexte (entendu comme
système d’inflexions conjointes du texte et des images) véhicule et étaye des
protopypes, du jamais lu qui prendra place et ordonnera peu ou prou les
représentations internes et externes des lecteurs, questionnant plus qu’il ne répond.
Des albums aux lectures gigognes, inépuisables.

• Y a-t-il d’après vous des formes alternatives à la pensée hégémonique


aujourd’hui dans la littérature enfantine ? Pourriez-vous évoquer un ou
deux exemples ?

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Les interviews de Pratiques Sociales – Avril 2011 – Christian Burel

Les albums qui me semblent compter sont ceux qui troublent. Car comme l’écrit
Bernard Noël : « Le trouble est la condition du sens ».
Et parce le lectorat attendu est jeune, voire débutant, je voudrais aussi souligner
l’importance de la médiation. D’avoir eu, enfant, la chance de rencontrer des adultes
qui m’ont dit non pas que tel livre était mauvais mais pourquoi, eux, n’en
partageaient ni l’horizon, ni les moyens… d’avoir pu toucher du doigt très tôt qu’il y
avait dans ce champ des enjeux et du jeu au sens mécanique du terme, m’a donné
une liberté que je souhaite à tous, petits et grands.

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