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Les bulles

Par Thomas Gagnon-van Leeuwen, Law I


Quid Novi, Octobre 2010

Quand j'ai visité la ville de New York pour la première fois, quelque chose m'a
irrité. Ce n'était pas qu'il y avait énormément de gens (j'aime les gens), qu'il
faisait trop froid (je suis habitué) et certainement pas qu'il y avait de l'art partout
(il ne peut jamais y avoir trop d'art).

C'était que tout était en anglais.

Les rues, les panneaux, les conversations autour de moi, les dépliants du
Metropolitan... Tout. Je n'avais jamais été immergé à ce point dans l'anglais et
après trois jours, j'ai ressenti un certain soulagement à la vue du "Bonjour!
Québec" à la frontière.

De la maternelle au Cégep, j'ai toujours appris en français, lu en français et écris


en français. Oui, bien sûr, dans mes cours d'"Advanced English", j'ai lu
Shakespeare et composé des Short Stories — qui semblaient vraiment géniales
à l'époque, soit dit en passant. But that's a far cry from an English education.

Heureusement pour le bilinguiste en moi, j'ai été élevé par une mère
francophone et un père anglophone. J'ai toujours eu autant d'amis anglophones
que francophones. C'est au point où je change la langue de mon clavier d'iPod
touch chaque cinq minutes (non, je ne veux pas écrire "thé", je veux écrire
"the"!).

C'était donc seulement naturel que je choisisse la faculté de droit de McGill.


Dans une université 100% inglishe, je souffrirais sans doute de mon particulier
étouffement new-yorkais. Et en français? Soyons honnêtes, le Québec n'est
qu'une bulle francophone dans notre vaste continent. C'est beau la Gaspésie,
mais parfois on veut pousser jusqu'à la Baie de Fundy. Bref, McGill : des cours
en français en anglais, un amalgame de droit civil et de common law, des envois
administratifs bilingual to a fault (non mais really!)... Je devrais être dans mon
élément, non?

En réalité, à la manière du Québec en Amérique du Nord, le français existe à la


Faculté de droit dans des bulles. Des bulles dynamiques et fréquentes, mais
néanmoins entourées d'une atmosphère distinctement anglaise. Quand deux
francophones se rencontrent, une bulle. Quand un étudiant pose une question en
français, une bulle. Une lecture en français? Elle est peut-être ardue, peut-être
courte, mais dans la plupart des cours, c'est sans doute une bulle. Exagération?
Feuilletez le Quid que vous tenez dans vos mains... cet article est une bulle en
soi.

À la fin de ma première semaine à McGill, j'ai rencontré Chanel, charmante co-


éditrice en chef du Quid Novi. Pendant toute une soirée, on a discuté de tout et
de rien. Au retour, marchant à la limite de Montréal et Westmount, je lui
demande: "So, if you went to Cégep de l'Outaouais, would you be francophone
by any chance?
— Euh... oui. Et toi?
— Moi aussi..."
Deux francophones se parlent en anglais pour plusieurs heures croyant que
l'autre était plutôt anglophone. Trouvez l'erreur.

La langue par défaut, c'est l'anglais. Si on approche quelqu'un dont on ne


connaît pas la langue maternelle, c'est toujours en anglais qu'on le fera. If you
want this in contract law terms — I know you do — English is damages and
French is specific performance: the latter is only used if there's good reason not
to use the former.

Je ne suis pas naïf. Je ne croyais certainement pas trouver une division


linguistique 50/50, et je ne prétends pas que ce ratio est le bon. On s'attend à
une majorité anglophone dans une université anglophone, transsystémie ou pas.
Et je suis le premier à reconnaître que nous Montréalais faisons d'atroces
partenaires pour pratiquer le français : c'est avec empressement que nous
switchons à l'anglais à la première trace d'accent. Politesse excessive ou désir
de parader notre flexibilité linguistique? L'effet est le même : nous décourageons
la pratique de notre propre langue chez des gens bien intentionnés et
compétents.

Je n'ai rien contre les bulles. C'est léger, c'est festif, ça brille, ça virvolte et ça
s'envole... Mais, tôt ou tard, ça éclate.

Et alors c'est comme si ça n'avait jamais existé.

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