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QUELQUES ASPECTS

DU FONCTIONNALISME

Michel Santacroce, Cnrs, UMR 6057 "Parole et Langage"


Université de Provence, France
Michel.Santacroce@wanadoo.fr
Résumé :
Le terme de fonctionnalistes désigne un ensemble de linguistes (dont le principal est A. Martinet) qui s'inscrivent dans la tradition
saussurienne, en mettant l'accent sur la fonction de communication de la langue et en essayant de retrouver dans les énoncés les
traces manifestes des différents « choix » effectués par le locuteur. Si les travaux d’André Martinet incarnent le prolongement
incontestable de certains aspects de la linguistique du cercle de Prague dont il a été l’un des correspondants, dans le domaine
phonologique tout particulièrement, il n’en rejette pas moins le qualificatif de « structuraliste » et ne retient que celui de
« fonctionnaliste ».

Sommaire :
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Titres Page
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1. Le cadre général 02
1.1. La double articulation 03
1.2. La double articulation comme caractéristique des langues 03
1.3. La notion d"économie du langage 04
1.4. La notion de foncrion 05
1.5. La notion de pertinence 05
1.6. Les composants de la description fonctionnaliste 05
1.7. Quelques critiques 06
2. La phonologie fonctionnelle 06
2.1. Le phonème 07
2.2. Le système phonologique 08
2.3. La commutation 09
2.4. Les variantes synchroniques 09
2.5. Les variantes diachroniques 10
2.6. Les traits distinctifs 11
3. La syntaxe fonctionnelle 11
3.1. Monèmes et morphèmes 11
3.2. Le type d'analyse 12
3.3. Les amalgames 13
3.4. Les signifiants discontinus 13
3.5. Le synthème 14
3.6. Les différentes catégories de monèmes 14
3.7. La notion de modalité chez A. Martinet 15
3.8. La structure des énoncés 15
3.9. La classification de fonctions 15
3.10 Remarques 16
Références bibliographiques 17
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Le terme de fonctionnalistes désigne un ensemble de linguistes (dont le
principal est A. Martinet) qui s'inscrivent dans la tradition saussurienne, en
mettant l'accent sur la fonction de communication de la langue et en essayant
de retrouver dans les énoncés les traces manifestes des différents « choix »
effectués par le locuteur. Si les travaux d’André Martinet incarnent le
prolongement incontestable de certains aspects de la linguistique du cercle
de Prague dont il a été l’un des correspondants, dans le domaine
phonologique tout particulièrement, il n’en rejette pas moins le qualificatif de
« structuraliste » et ne retient que celui de « fonctionnaliste ». Les Éléments
de linguistique générale (1960)1 constituent pourtant un relais important dans
la diffusion des idées structuralistes. Les travaux de Martinet dans le domaine
de la phonologie diachronique apportent aux conceptions structuralistes de la
langue une contribution importante en ce qui concerne l’interprétation de la
distinction saussurienne entre synchronie et diachronie. Si, selon Martinet,
les nécessités de la communication impliquent d’un côté un nombre maximal
de différences phoniques, de l’autre la « tendance au moindre effort »
(exigences d’un nombre minimal d’unités les moins différentes possibles) fait
de la synchronie un équilibre instable qui tend toujours vers une amélioration
du rendement fonctionnel des moyens mis à la disposition des locuteurs de la
communauté. L’incidence diachronique de cette économie réside dans le fait
qu’une opposition relativement peu fréquente disparaîtra plus facilement
qu’une opposition plus massivement exploitée. Les perspectives
diachronique et synchronique ne s’opposent donc plus ici, mais se
complètent. Il existe dans une langue, à un moment donné, des points de
fragilité dans l’équilibre, qui peuvent s’analyser en tendances au changement.

1. LE CADRE GÉNÉRAL

Une langue est, selon A. Martinet, un instrument de communication


doublement articulé, auquel correspond une organisation particulière des
données de l'expérience:

« Une langue est un instrument de communication selon lequel l'expérience


humaine s'analyse, différemment dans chaque communauté (...), en unités douées d'un
contenu sémantique et d'une expression phonique: les monèmes; cette expression
phonique s'articule à son tour en unités distinctives et successives, les phonèmes, en
nombre déterminé dans chaque langue, dont la nature et les rapports mutuels diffèrent
eux aussi d'une langue à l'autre. » (1974, pp.20).

L'insistance sur la fonction de communication du langage est à la base du


point de vue fonctionnaliste et détermine la fonction d’un élément ainsi la
nature de ces éléments qui jouent un rôle du point de vue de la
communication.
1
MARTINET (A.) 1974. Éléments de linguistique générale. Paris: A. Colin (rééd.), [1ère éd. 1960].
1.1. LA DOUBLE ARTICULATION

Dans le cadre de la linguistique fonctionnelle d’André Martinet, la


double articulation désigne la propriété de tout énoncé linguistique d’être
segmenté à deux niveaux: à un premier niveau (la première articulation), en
unités ayant à la fois une face formelle (signifiant , dans la terminologie
saussurienne) et une face significative (signifié, dans la même terminologie).
Ces unités peuvent être de longueur variable (phrase, syntagme, etc.); on
appelle monème l’unité significative minimale (bateau , rateau , gâteau ). À
un second niveau (la seconde articulation), ces unités peuvent elles-mêmes
être segmentées en unités plus petites n’ayant pas de sens, mais participant
à la distinction du sens des unités de première articulation: les unités
distinctives (dans /bato/, /rato/ et /gato/, /b/, /r/ et /g/ sont les unités
distinctives qui servent à distinguer le sens des trois unités significatives). On
appelle phonème l’unité distinctive minimale. Ainsi, dans l’énoncé « le chat
mangera », on pourra pratiquer deux segmentations successives. La
première donne cinq unités significatives (cinq monèmes) : le , chat , mang-
(verbe manger), -r- (marque du futur) et -a (marque de la personne). La
seconde segmentation donne huit unités distinctives (huit phonèmes): /l/, /´/,
/S/, /A/, /m/, /A$/, /J/, /Â/. Cette double articulation constitue le fondement
d’une économie importante dans la production d’énoncés linguistiques. En
effet, avec un nombre limité de phonèmes (une trentaine en moyenne dans
chaque langue), on peut construire un nombre illimité d’unités de première
articulation et donc un nombre illimité d’énoncés.

1.2. LA DOUBLE ARTICULATION COMME


CARACTÉRISTIQUE DES LANGUES
On a pu dire en examinant les différents types de procédés de
communication systématiques que les langues naturelles sont des codes
directs, car leur existence ne présuppose l'existence d'aucun autre code,
alors que les codes comme l'écriture, le morse, etc. sont des codes indirects
qui ne présentent une double-articulation qu'en tant que codes subordonnés
aux langues. La linguistique fonctionnelle a donc été amenée à définir les
langues comme le seul code direct à double articulation, en d'autres termes
le seul code direct (vs indirect ou substitutif) combinant des unités de
première articulation non significatives (des phonèmes) et des unités de
seconde articulation significatives (ou monèmes). À chaque langue
correspond une organisation particulière de la réalité, des données de
l'expérience. Cette formulation, qui reprend la thèse de l'arbitraire1, amène
les fonctionnalistes à refuser toute idée d'universaux de langage; hormis le

1
Contre l'idée naïve de la langue-répertoire ou de la langue-calque de la réalité
caractère doublement articulé et vocal des langues, « rien n'est proprement
linguistique qui ne puisse différer d'une langue à l'autre »1. Selon cette
conception de la langue, la réalité linguistique par excellence, ce sont les
choix que la langue rend possibles au sujet parlant locuteur. Ces choix
portent sur des éléments discrets: il faut choisir entre un mot et un autre,
comme entre un phonème et un autre, sans possibilité de solution
intermédiaire.

1.3. LA NOTION D’ÉCONOMIE DU LANGAGE

Ce type d'organisation de la langue existant dans toutes les langues


décrites à ce jour, A. Martinet en déduit que « seule l'économie qui résulte de
la double articulation permet d'obtenir un outil de communication d'emploi
général et capable de transmettre autant d'information à aussi bon compte ».
(1970: 17) et Mounin G2. de préciser « si l'on imagine un instant un langage
dans lequel chaque message distinct nécessiterait une unité signifiante
distincte. Il faudrait produire autant d'unités que de messages d'où un
accroissement infini 3 des unités constituantes ». La première articulation des
langues naturelles réalise un codage économique où une infinité (potentielle)
de messages peut être envisagée au moyens de quelques milliers d'unités
ré-employables d'un message à l'autre (les monèmes). Mais si, à nouveau on
imagine un monde dans lequel chaque monème (chaque unité signifiante
minimale) correspondrait à une production vocale spécifique elle aussi,
inanalysable en unités plus petites. Il faudrait à ce système de
communication quelques milliers de productions phoniques minimales toutes
totalement distinctes les unes des autres, ce qui ne cadre ni avec les
possibilités articulatoires, ni avec la mémoire auditive des humains. La
deuxième articulation apparaît alors comme un surcodage très économique
et Mounin G. (op. cit.) de conclure « Non seulement nous pouvons exprimer
notre expérience du monde au moyen de quelques milliers de monèmes
seulement, mais encore ces milliers de monèmes sont faits eux-mêmes à
partir de trente à cinquante signes sonores minimaux, selon les langues : les
phonèmes de chaque langue ».

1
MARTINET (A.) 1974. Éléments de linguistique générale. Paris: A. Colin, pp. 21 (rééd.).
2
MOUNIN (G.) 1968a. Clés pour la linguistique. Paris: Seghers.
3
Accroissement, précise Mounin G., incompatible avec les capacités mnémoniques de l'être humain
ou avec la précision des organes phonateurs
1.4. LA NOTION DE FONCTION

Prenant l'exemple de deux unités phoniques minimales [r] de barre et [l]


de balle, Mounin (op. cit.) indique que pour des locuteurs de langue
française, ces deux unités sont distinctes. Or dit-il « c'est parce qu'elles ont
une fonction d'opposition distinctive en français ». [r] et [l] permettent en effet
de distinguer mille et mire / pâle et pare / père et pelle, etc. En d'autres
langues (en Sango par exemple ou dans d'autres langues africaines) par
contre, les deux sons [r] et [l] ne servent pas à distinguer des paires de
monèmes, ils n'ont pas de valeur d'opposition distinctive, ce ne sont donc pas
des unités phonologiques distinctes mais ce que l'on appelle deux variantes
libres d'une seule et même unité, le phonème [l]. Le locuteur Sango pour dire
le mot œuf utilisera indifféremment ce que le l'auditeur français identifiera
comme étant pala ou para. L'idée ici est que les unités linguistiques sont
définies par leur fonction de communication avant de l'être par leur forme ou
leur substance ou même par leur distribution (leurs places les unes par
rapport aux autres).

1.5. LA NOTION DE PERTINENCE

Dans la perspective fonctionnaliste, la notion de pertinence est centrale,


elle indique simplement qu'une description linguistique scientifique répond au
choix d'un certain point de vue déterminé, cohérent, et qui ne se modifie pas
au fil de la description. Tel trait descriptif est dit pertinent et cela au sens
étymologique1 du terme, s'il appartient au point de vue choisi par l’analyste.
Mounin2 indique donc que « quand le linguiste observe les faits de langage,
ne sont pertinents pour lui que les traits qui contribuent à assurer une
fonction de communication - précisément parce que cette fonction de
communication a été aperçue comme étant la fonction première et centrale
du langage en tant que tel, et que c'est le point de vue choisi comme
spécifique par la description linguistique. »

1.6. LES COMPOSANTS DE LA DESCRIPTION


FONCTIONNALISTE
La description linguistique aura, étant donné l’importance fondamentale
de la notion de choix qui commande notamment la théorie de la double
articulation, deux composants essentiels dans la perspective fonctionnaliste.
D'une part la phonologie qui étudie la deuxième articulation, fait la liste des

1
Pertinens est qui concerne, qui est relatif à, appartenant à…
2
MOUNIN (G.) 1968a. Clés pour la linguistique. Paris: Seghers, pp. 24.
phonèmes, détermine leurs traits pertinents, les classe selon ces traits et
indique les règles qui commandent leur combinaison. D'autre part la syntaxe,
consacrée à la première articulation, qui fait la liste des monèmes, indique
pour chacun d'eux les fonctions qu'il peut remplir dans l'énoncé et les classe
en catégories de monèmes à fonctions identiques. À ces deux composants
se rattachent deux études pratiquement indispensables, mais théoriquement
marginales, qui indiquent les conditions imposées par la langue pour la
manifestation de ces choix: une étude phonétique détermine les traits non-
pertinents dont sont accompagnés les traits pertinents des phonèmes, et une
étude morphologique indique comment les monèmes se réalisent
phonologiquement selon les contextes où ils apparaissent.

1.7. QUELQUES CRITIQUES

On a pu cependant se demander si une telle attitude n'était pas trop


réductrice. En effet, privilégier un critère formel conduit à une présentation
atrophiée et caricaturale du fonctionnement linguistique. Tout d’abord,
concevoir les langues comme des outils de communication d'emploi général
capables de transmettre des informations revient à limiter les langues à la
seule fonction représentative (ou référentielle), c'est à dire à la seule
narration de faits et d'évènements. Ainsi que le fait remarquer R. Vion (1980)1
« La fonction communicative des langues est infiniment plus riche que
l'échange utilitaire d'informations. Le fonctionnement linguistique permet en
effet également l'expression (volontaire ou non) de la subjectivité des sujets,
des procédures d'appel visant à influencer l'auditeur, des procédures de
vérification du contact nécessaire à la communication, des réflexions sur le
langage (métalinguistiques), les jeux de mots, les formules rituelles et
incantatoires, l'ironie, l'allusion, la connivence, etc.». Par ailleurs la notion de
communication est loin d'être aussi transparente et évidente qu'elle semble à
première vue: s'il peut paraître certain que le langage sert à communiquer, il
n'est pas certain que la définition fonctionnaliste de la notion de
communication soit une base d'étude aussi solide qu'il y paraît. Il y a lieu de
s'interroger sur les rapports entre cette fonction et les fonctions
« accessoires » du langage: servir de « support à la pensée », de « mode
d'expression », ce qui peut également amener des doutes sur la valeur de la
métaphore du « langage comme instrument ».Enfin un phénomène comme
l'intonation s'intègre mal à cette vue radicalement discontinuiste du langage:
l'intonation (montée ou descente de la courbe mélodique) est susceptible de
variations graduelles qui jouent un rôle dans la communication, et modifient le
sens global de l'énoncé; un tel fait d'intonation, ainsi analysable en un
signifiant et un signifié, participe par là de la nature du signe. Néanmoins
A. Martinet le considère comme marginal et non proprement linguistique, en
1
VION (R.) 1980. « Théories linguistiques ». in: FRANÇOIS (F.) et al. Linguistique. Paris: P.U.F.
tant qu'il échappe à la double articulation et par conséquent ne se laisse pas
analyser en unités discrètes. Selon lui, le passage de il pleut (affirmation) à il
pleut ? (question, manifestée par l'intonation) ne se fait pas par un palier
nettement marqué (ce qui permettrait de dégager un « intonème » discret)
mais par une série de stades intermédiaires possibles, à mesure que
l'affirmation devient moins catégorique et se charge de doute, jusqu'à être
sentie comme une interrogation. D'après A. Martinet les phénomènes
prosodiques sont nécessairement liés à l'activité phonique; mais leur étude
peut-être considérée comme secondaire du point de vue linguistique.

2. LA PHONOLOGIE FONCTIONNELLE

Dans une perspective fonctionnelle, toute langue utilise des sons pour
communiquer du sens. Les sons constituent le moyen de communication; le
sens en constitue le but. Si l'on ne considère que la nature des deux
substances, phonique et sémantique, les sons présentent la particularité
d'être le seul aspect manifestement concret des langues. En tant que
relevant du concret, les sons peuvent faire l'objet d'une analyse matérielle,
être étudiés en eux-mêmes dans leur réalité physique, abstraction faite du fait
qu'ils ne sont que le moyen de la communication linguistique. Ce type
d'analyse est pris en charge par la phonétique. En tant que moyen d'établir
du sens, ils peuvent être étudiés par rapport à leur contribution au
fonctionnement linguistique, c'est à dire leur(s) fonction(s) dans la
communication. Dans ce cas, l'analyse pratiquée concerne plus directement
la linguistique et notamment la branche de celle-ci qui traite de l'aspect
phonique à savoir la phonologie.

2.1. LE PHONÈME

Pour bien aborder la distinction historique entre la phonétique et la


phonologie, il faut se reporter aux définitions des termes langue, parole,
phonème et son, telles qu'elles ont été formulées pendant la première moitié
du siècle par F. de Saussure et Troubetzkoy. À partir de cette dichotomie
langue/parole, Troubetzkoy (1964)1 établit la distinction, et même l'opposition
entre la phonétique, qui étudie les sons de la parole sans se soucier de leur
rôle dans la langue à laquelle ils appartiennent, et la phonologie, qui les
étudient en fonction de leur rôle dans cette langue. En d'autres termes, la
phonologie est à la phonétique ce que la langue est à la parole.
LANGUE PHONOLOGIE
----------- = ----------------
PAROLE PHONETIQUE

1
TROUBETZKOY (N.-S.) 1964. Principes de Phonologie. Paris: Klincksieck.
S'il est vrai que nos organes phonatoires nous permettent de produire une
infinité de sons différents - ce que montre d'ailleurs l'analyse scientifique de
nos productions orales - le fonctionnement d'un code linguistique ne requiert
qu'un nombre limité (quelques dizaines) d'unités phoniques, appelées
phonèmes, et organisées en un système économique, cohérent et équilibré.
Ce système fonctionne sur la base d'oppositions des divers éléments. On
peut donc considérer l'expression de F. de Saussure « dans la langue, il n'y a
que des différences » comme le point de départ de la phonologie. D'où cette
formule de Landercy A. & Renard R. (1977)1 « Parler, c'est opposer des
sons ». La distinction entre phonétique et phonologie permet d'exprimer la
différence entre le son et le phonème.

LANGUE PHONOLOGIE PHONÈME


----------- = ---------------- = -----------
PAROLE PHONETIQUE SON

Le phonème est un concept, une unité de langue et non de parole. Il


concerne la forme et non la substance. C'est la plus petite unité fonctionnelle,
distinctive, pertinente. Concrètement, un phonème peut donc se réaliser en
des sons différents (appelés variantes, réalisations phonétiques, allophones).
Ainsi par exemple nous ne prononçons pas le même son initial dans les mots
cou [ku] et qui [ki ], cependant nous ne percevons pas la différence parce
qu'elle n'est pas distinctive, pertinente fonctionnelle, distinctive. Les Arabes,
les Polonais, les Roumains, les Eskimaus perçoivent cette différence qui,
dans leur langue, est distinctive.

2.2. LE SYSTÈME PHONOLOGIQUE

Le système phonologique dans la perspective fonctionnaliste est


envisagé comme un ensemble structuré où chaque phonème n'a de valeur
que par opposition aux autres. Il varie selon les langues. Ainsi /z/ et /s/ sont
deux phonèmes du français (Caser/Casser-Raser/Racé-Rose/Rosse) mais
pas en espagnol ou /s/ et /z/ constitue un seul et même phonème /s/. Par
contre l'espagnol distingue, d'une part, la vibrante sonore battue / |/ et, d'autre
part, la sonore roulée /r/ : Pero [pe|o] signifiant « mais » et Perro [pero]
signifiant « chien »; alors qu'en français il n'existe qu'un seul phonème /Â/ qui
se réalise en diverses variantes.

1
LANDERCY (A.) & RENARD (R.) 1977. Eléments de Phonétique. Bruxelles: Didier.
2.3. LA COMMUTATION

C'est l'épreuve de commutation qui contribue à déterminer le système


phonologique. Des sons différents sont considérés comme des phonèmes
différents si et seulement si, dans le même contexte phonique, leur
substitution change le sens du message. On appelle phonèmes corrélatifs
des séries ou plusieurs paires de phonèmes qui se distinguent par l'absence
ou la présence d'un seul trait (appelé marque de corrélation). Par exemple en
français, le trait de sonorité est la marque de corrélation qui oppose /f/ et /v/.

2.4. LES VARIANTES SYNCHRONIQUES

L'existence d'un certain nombre de faits introduit toutefois une nuance


dans ce qui se présente comme opposition - apparemment radicale - entre
caractère distinctif ou non distinctif des sons: les phonèmes n'ont pas
toujours une valeur stable. Leur qualité phonétique peut changer en fonction
de l'entourage phonique, et on a alors affaire à un phénomène de variation.
Leur qualité phonologique peut s'effacer dans certains contextes, et on a
alors affaire à un phénomène de neutralisation. D'un strict point de vue
phonétique, il n'y a jamais similitude totale lors de la répétition d'un son, pour
des raisons liées à la labilité des organes vocaux, et à l'influence du contexte:
ainsi, par exemple en français, le [k] ne sera pas prononcé exactement de la
même façon selon qu'il précède [u] ou [i] ([ku]/[ki]). Le [k] précédant le [i] est
beaucoup plus antérieur, comme l'indiquent certaines représentations
graphiques du français « populaire ». On dit qu'il s'agit de variantes
combinatoires ou allophones, dans la mesure où il n'est pas possible
d'opposer, dans le même contexte, un mot comportant le [k] de [ku], et un
mot comportant le [k] de [ki]: ces deux sons sont en distribution
complémentaire. Ce n'est donc pas par leur similitude phonétique que les
deux [k] seront considérés comme un même phonème, mais pour l'identité
des relations qu'ils entretiennent avec le reste du système, alors même que,
dans d'autres langues, cette différence peut correspondre à deux phonèmes.
Certaines oppositions n'existent que dans certaines positions, disparaissant
dans les autres. C'est le cas par exemple en allemand, où /t/ et /d/ sont des
phonèmes, en opposition partout sauf à la finale, où seul [t] peut apparaître:
Rad et Rat se prononcent de la même façon. On dit qu'il y a neutralisation de
l'opposition, et la production unique remplaçant les deux phonèmes est dite
archiphonème. D'un point de vue sociolinguistique, une communauté ne
constitue pas un ensemble homogène. Ainsi, en français, pour l'opposition
entre [E$] et [π$ ] ([bÂE$]/[bÂπ$ ]): il est des locuteurs pour lesquels c'est une
opposition pertinente (leur système comporte les deux phonèmes), et
d'autres pour qui elle ne l'est pas (ceux-là n'ont qu'un phonème,
généralement /E$/). On voit donc que ce n'est jamais sur ses caractéristiques
phonétiques qu'on assigne une place à une unité, mais sur son rôle dans le
système: si deux occurrences d'un même son ne sont matériellement jamais
identiques, deux occurrences d'un même phonème ne peuvent, en tant
qu'unités abstraites, que l'être, par la place occupée dans le système, et donc
par la représentation qu'en a le locuteur. La fonction linguistique est remplie
quand, au niveau phonique, un phonème se maintient différent de tous les
autres, quels que soient, en dehors de ce fait systématique, sa zone de
dispersion et ses caractères acoustiques. Qu'elles soient combinatoires ou
individuelles, on ne considère pas les variantes comme fonctionnelles car
elles n'ont pas d'impact sur le contenu du message transmis par le locuteur,
qui souvent n'en est pas conscient. Les sons que l'on ne rencontre jamais
dans le même environnement - et qui dès lors ne peuvent avoir de valeur
distinctive - sont dits en distribution complémentaire. Par exemple, en
Anglais, la réalisation de /p/ est aspirée [ph] à l'initiale devant une voyelle
accentuée (pot), mais elle ne l'est pas dans les autres cas. L'étude des
variantes débouche sur la phonostylistique qui « étudie les valeurs
expressives de la langue exprimées par les sons de la parole »
(Troubetzkoy)1.

2.5. LES VARIANTES DIACHRONIQUES

Comme l'ensemble du courant structuraliste, la phonologie a


essentiellement été utilisée dans des travaux synchroniques. Un divorce de
fait a tendu à s'établir entre les continuateurs de la tradition historique et
philologique et les tenants de la nouvelle approche, qui se sont en général
peu intéressés à l'histoire des langues. On trouve cependant chez les
fondateurs de la phonologie l'affirmation que le nouveau point de vue peut et
doit être appliqué à l'histoire: I'histoire des langues doit être conçue comme
l'histoire de leurs systèmes, chaque changement affectant l'équilibre de
l'ensemble. Ce principe (mis en acte dans bien des travaux pré-
phonologiques) n'a pas inspiré un très grand nombre d'études. Il existe
cependant un véritable traité de phonologie diachronique : Économie des
Changements phonétiques (1955)2, dans lequel l'auteur s'efforce d'analyser
l'interaction de « tendances » contradictoires des systèmes: tendance d'une
part à se maintenir, c'est-à-dire à maintenir les possibilités distinctives
offertes (même si le trait qui assure cette distinction peut être modifié quant à
sa substance physique: une opposition de timbre peut se substituer à une
opposition de longueur), tendance d'autre part à se modifier en fonction des «
points faibles » du système (comme par exemple le faible rendement d'une

1
TROUBETZKOY (N.-S.) 1964. Principes de Phonologie. Paris: Klincksieck.
2
MARTINET (A.) 1955. Économie des Changements phonétiques. Paris.
opposition, ce qui est le cas de l'opposition entre /π $/ (brun) et /E$/ (brin) en
français). La recherche, combine alors les problèmes de l'analyse
synchronique et ceux de l'histoire. En effet pour A. Martinet le système
phonologique est en équilibre instable : il évolue « toute unité tend à
s'assimiler à son contexte dans la chaîne et à se différencier de ses voisines
dans le système »1.

2.6. LES TRAITS DISTINCTIFS

Au lieu d'être caractérisé de façon purement négative par le système


des oppositions dans lequel il entre, un phonème peut être décrit comme un
faisceau de traits distinctifs, chaque trait distinctif étant ce qui maintient un
phonème différent de tous les autres du système. On dit ainsi de /d/ qu'il est
apical (ce qui l'oppose à /b/), sonore (ce qui l'oppose à /t/), et occlusif (ce qui
l'oppose à /z/); de /i/ qu'il est fermé, antérieur et rétracté. Seuls /l/ et /r/ ne se
définissent que par un seul trait (latéral pour /l/ et vibrant pour /r/), car ce trait
suffit à les opposer à tous les autres phonèmes du système. La phonologie,
contrairement à la phonétique, élimine les redondances, en ne retenant que
les traits strictement pertinents. La notion de trait distinctif est très importante
pour organiser le système d'une langue: elle permet de s'apercevoir que
c'est, en français, le même trait distinctif (sonore/sourde) qui oppose /b/ à /p/,
/d/ à /t/, /v/ à /f/... On dit qu'il y a corrélation de sonorité en français, et l'on
peut représenter /b/ comme comportant le trait [+ sonore], là où /p/ a le trait
[—sonore]. La réduction du coût est considérable: un trait unique va rendre
compte de six oppositions, et le gain en pouvoir explicatif est aussi très net.

3. LA SYNTAXE FONCTIONNELLE

3.1. MONÈMES ET MORPHÈMES

Rappelons que les monèmes sont les unités significatives (de première
articulation) minimum, comportant un signifié et un signifiant. Le travail
consistant à analyser des énoncés en monèmes met en jeu les procédures
mises au point en phonologie (rapprochement et comparaison de
séquences): « il s'agit, bien entendu, dans les deux cas, de déterminer les
segments qui ont fait l'objet d'un choix particulier du locuteur: dans le cas des
phonèmes, il s'agissait de segments qu'il fallait choisir de façon à obtenir un
signifiant déterminé; ici, il s'agit de segments que le locuteur a dû choisir en

1
MARTINET (A.) 1974. Éléments de linguistique générale. Paris: A. Colin (rééd.).
fonction directe de la valeur à donner au message »1. Pour A. Martinet, le
morphème est un élément grammatical (affixe, désinence, etc.) s’opposant
au lexème (l’unité significative minimale qui indique le sens). Morphèmes et
lexèmes sont tous des monèmes, ce terme générique désignant l’ensemble
des unités de première articulation. Toutefois, cette conception bute sur un
obstacle grave et ne convient vraiment qu’à l’analyse de certaines langues
dans lesquelles l’unité est aisément repérable, soit parce que le système de
composition en est l’isolation, ou juxtaposition de formes inaltérées, soit
parce qu’on peut projeter un savoir préalable sur les formes identifiées (cas
des langues bien connues). On doit se demander si l’on peut décrire un
système linguistique peu ou pas connu au moyen de ces catégories, étant
donné l’extrême variété des systèmes verbaux2.

3.2. LE TYPE D’ANALYSE

Malgré l’analogie combinatoire des unités de 1ère et 2ème articulation


postulée par A. Martinet, il y a cependant des différences entre les deux
plans, qui font que l'analyse ne peut pas être menée de façon exactement
identique: dans le cas des phonèmes, la situation est plus simple car il
n'existe qu'un seul type de relation entre eux dans la chaîne parlée, une
relation de compatibilité pure et simple, suivant qu'ils peuvent se trouver en
contiguïté ou non; par ailleurs l'ordre est directement pertinent: /lam/ (lame)
est différent de /mal/ (mal). En ce qui concerne les monèmes, le rôle de
l'ordre n'est pas toujours facile à déterminer: demain, je partirai a le même
« sens » que je partirai demain. Par ailleurs, il peut exister bien des types de
relation entre deux monèmes contigus et plus généralement entre les
différents monèmes composant un énoncé. Leur étude est précisément
l'objet de la syntaxe. De plus, s'il est vrai que le principe d'opposition vaut
pour les monèmes comme pour les phonèmes, il est beaucoup plus difficile
d'établir des classes paradigmatiques satisfaisantes: dans je partirai demain,
on peut remplacer demain par en voiture sans qu'il y ait à proprement parler
opposition entre les deux, puisqu'ils ne s'excluent pas. On voit donc que la
combinatoire des monèmes est différente de celle des phonèmes.

1
MARTINET (A.) 1974. Éléments de linguistique générale. Paris: A. Colin, pp.103, (rééd.).
2
Pour ne prendre qu’un exemple : L’ergatif, dans certaines langues, est un mode, le perfectif ; il est
un aspect dans d’autres langues; cela sans compter les langues de type sémitique où la conjugaison
obéit à des alternances vocaliques laissant intact le schème consonantique. Que dire enfin des
langues flexionnelles, dans lesquelles il est rigoureusement impossible de déterminer, à cause de
l’amalgame qu’elles pratiquent, ce qui revient à telle catégorie (Le suffixe latin -arum dans
rosarum a les traits : pluriel, féminin, génitif, sans qu’on puisse associer l’un quelconque d’entre
eux à un élément de réalisation phonétique segmentable.)
3.3. LES AMALGAMES

D'autres facteurs interviennent encore qui viennent compliquer


l'analyse: ils tiennent à ce que les monèmes ne sont pas toujours clairement
alignés les uns à la suite des autres dans un énoncé, comme le sont les
phonèmes; ils sont souvent enchevêtrés d'une façon qu'il est difficile de
démêler. C'est notamment le cas très fréquemment en français; il n'est pour
s'en convaincre que d'essayer de distinguer dans la conjugaison des verbes
ce qui marque le radical, le mode, le temps, le nombre (singulier ou pluriel), la
personne. On s'apercevra que, si les signifiés correspondants sont toujours
distincts, les signifiants sont passablement amalgamés. De même, /O/ (au)
amalgame les signifiants correspondant à la préposition à et à l'article le.
Voici un autre exemple d’analyse donné par Martinet1 à propos duquel on
notera la latitude laissée au descripteur: « Dans un cas comme l’allemand
sang, prétérit de singen, il importe peu qu'on choisisse l'analyse en un
signifiant discontinu /z...N/ correspondant au signifié chanter, et un signifiant /
... a ... / correspondant au signifié « passé », ou l'interprétation de /zaN/
comme un amalgame correspondant à deux signifiés distincts. »

3.4. LES SIGNIFIANTS DISCONTINUS

A côté des amalgames (un signifiant indécomposable pour plusieurs


signifiés), on retrouve le cas inverse des signifiants discontinus: plusieurs
« morceaux de signifiant » pour un seul signifié, comme dans le cas de la
négation ne ... pas en français ou des verbes à particule séparée en anglais
ou en allemand. De plus, tout comme un phonème peut se présenter sous
différentes variantes suivant le contexte, un monème peut éventuellement se
manifester sous des formes variables. C'est le cas en français du monème
dont le signifié est aller et dont le signifiant est soit /al/, soit /va/, soit /i/ (ira),
soit / aj/ (aille); ou encore le cas du monème dont le signifié est « pluriel » et
dont le signifiant peut revêtir des formes extrêmement diverses, le plus
souvent discontinues, il suffit de comparer par exemple « les enfants écrivent
» et «l'enfant écrit »; Il y a aussi les amalgames, comme dans « journaux »,
pluriel de « journal ». L'étude des variations de signifiant pour un même
signifié constitue la morphologie2.

1
MARTINET (A.) 1974. Éléments de linguistique générale. Paris: A. Colin, pp.102, (rééd.).
2
Le terme étant ainsi pris dans une acception assez différente de son acception coutumière.
3.5. LE SYNTHÈME

A propos de toutes ces difficultés d'analyse, on remarquera qu'elles se


situent au niveau du signifiant, le problème étant de retrouver le segment
matériel qui manifeste un signifié. Mais le découpage en signifiés (supposé
résolu ou non problématique dans ce qui précède) est lui aussi source de
difficultés, beaucoup plus encore à vrai dire que le découpage en signifiants.
L'analyse fonctionnelle ne s'aventure que prudemment dans ce domaine, et
s'en tient à la notion de « choix unique », sans se dissimuler combien il est
souvent difficile d'isoler des unités de choix sémantiques: on conviendra sans
doute qu'il y a choix unique dans le cas de pomme de terre, mais il est déjà
plus délicat de trancher dans le cas de chambre à coucher. La notion de
« synthème » vise à présenter une catégorie en quelque sorte intermédiaire
entre le monème et le syntagme proprement dit, résultant de choix multiples
(par exemple: avec les valises ou encore donnerions). Le terme de synthème
désigne également les dérivés (par exemple: vivement) et composés (par
exemple: vide-poche), identifiables moins par leur unité sémantique que par
une caractéristique fonctionnelle: ces combinaisons de monèmes se
comportent comme des monèmes simples. On voit ici les difficultés de la
notion de choix: le monème est défini par A. Martinet (1974: 133) comme
résultant d'un choix, or le synthème est défini comme une combinaison de
monèmes résultant également d'un choix unique.

3.6. LES DIFFÉRENTES CATÉGORIES


DE MONÈMES
Suivant le comportement fonctionnel des monèmes dans un contexte
donné, Martinet A. propose une classification des monèmes en différents
types1 :
- Les monèmes autonomes (comme hier, dans hier, il y avait fête au village),
qui comportent en eux-mêmes l'indication de leur fonction.
- Les monèmes fonctionnels qui servent à indiquer la fonction d'un autre
monème.
- Les monèmes dépendants, en ce sens qu'ils dépendent, pour l'indication de
leur rapport avec le reste de l'énoncé, « soit d'un monème fonctionnel, soit de
leur position relativement aux autres éléments de cet énoncé.2»
1
Dans la phrase « hier, il y avait fête au village », village est un monème dépendant (et le syntagme
au village est un syntagme autonome). Reste, dans cet exemple, le syntagme il y avait fête qui est
non seulement autonome mais encore indépendant, car il suffit à former un énoncé complet: c'est le
syntagme prédicatif. C'est autour de cette notion, au demeurant classique, de prédicat, que se
développe la théorie syntaxique de Martinet. Il n'y a plus ici aucun lien avec la phonologie, qui ne
connaît rien de comparable au prédicat; il s'agit de se donner une théorie des structures syntaxiques
élémentaires.
2
MARTINET (A.) 1974. Éléments de linguistique générale. Paris: A. Colin, pp.118, (rééd.).
3.7. LA NOTION DE MODALITÉ
CHEZ A. MARTINET
Pour A. Martinet, le mot désigne les déterminants grammaticaux du
nom et renvoie à la classe des « actualisateurs » défini, indéfini, singulier,
pluriel. Cette acception repose sur la distinction saussurienne entre langue et
parole : pour devenir des éléments du discours, les noms sont soumis à la
nécessité de passer du virtuel au réel ; autrement dit, ce qui est dans la
langue tel quadrupède avec ses propriétés, mettons cheval, sera, en fonction
de la situation où je parle, soit « le cheval » (la classe ou l’individu), soit « un
cheval ».

3.8. LA STRUCTURE DES ÉNONCÉS

On remarquera que Martinet A. ne reprend pas exactement le schéma


sujet-prédicat, qui remonte à des considérations logiques et philosophiques
qu'il critique comme entachées d'a priori. Sa présentation du prédicat est
celle d'un élément dont on constate empiriquement la présence nécessaire
dans tout énoncé (pour qu'il y ait énoncé). Ce prédicat a simplement besoin
d'être actualisé, c'est-à-dire mis en référence avec une situation concrète:
dans il y avait fête, Martinet distingue le monème prédicatif proprement dit
(fête) et l'élément qui l'actualise (il y avait). Dans telle autre langue, le simple
énoncé du monème correspondant à fête aurait valeur d'actualisation. En tout
état de cause, point n'est besoin d’un « sujet ». Bien entendu, cela
n'empêche pas Martinet de constater la grande fréquence des énoncés dans
lesquels le prédicat est actualisé par l’élément qu'on appelle le sujet, comme
dans le chien court, mais il est essentiel à ses yeux de ne pas conclure de
cette fréquence au caractère universel ou obligatoire de la présence d'un
sujet, ni à une quelconque prévalence de la structure sujet-prédicat.

3.9. LA CLASSIFICATION DES FONCTIONS

On peut donc distinguer dans un énoncé le noyau indispensable,


composé du prédicat et des éléments qui l'actualisent (comme, le cas
échéant, le sujet) et tout le reste, qui est expansion. On retrouvera ici tout ce
qui correspond aux différents compléments traditionnels, parmi lesquels
l'analyse fonctionnelle s'efforce de construire un système cohérent. Tout en
insistant sur le fait que « les fonctions ne sont pas identifiables d'une langue
à une autre »1, Martinet esquisse ainsi différents types de classifications des

1
MARTINET (A.) 1972. « Cas ou Fonctions ? ». in: La Linguistique. Paris: P.U.F., 1972/2, 8,
pp. 21.
fonctions1. Tout d’abord en fonctions primaires par opposition aux fonctions
non primaires selon le rapport qu'elles établissent entre un syntagme non
prédicatif et le noyau prédicatif ou entre des syntagmes non prédicatifs. Selon
la forme que prend l'indication de la fonction, on retrouve les principes qui
doivent aboutir à la classification des monèmes, selon les conditions
d'apparition des fonctions2, selon « le degré de participation à l'action ». Mais,
dit aussitôt Martinet A. (1972)3, « il est toutefois difficile de trouver des
critères sûrs en la matière ». Et il ajoute un peu plus loin que, dans cet effort
de classement, il se proposait « uniquement d'indiquer de quelles façons on
peut essayer d'établir un peu d'ordre dans le fouillis des fonctions qui se
présentent à celui qui cherche à dégager les traits d'une structure
syntaxique »: la syntaxe fonctionnelle ne se présente donc pas comme un
système achevé.

3.10. REMARQUES

Pour A. Martinet la notion de choix dont dispose tout sujet parlant


amène à distinguer une double articulation dans le langage. La première
articulation permet au locuteur de communiquer un message en choisissant
et en combinant diverses unités douées de sens : les monèmes. Ces unités
elles-mêmes ont une forme vocale et ne sauraient être analysées en unités
plus petites douées de sens, mais peuvent l’être en unités permettant de
distinguer les monèmes entre eux. Ces unités qui constituent la deuxième
articulation du langage sont des phonèmes. Ainsi le locuteur choisit le
phonème [t] pour distinguer le monème « tête » du monème « bête ». Dans
ce cadre, la syntaxe se consacre à la première articulation, fait la liste des
monèmes et les classe selon les fonctions qu’ils peuvent remplir dans la
phrase. Cette syntaxe est dite « fonctionnelle » dans la mesure où, comme
pour nombre de grammairiens classiques (Beauzée, par exemple), la notion
de fonction en constitue la base. Une telle syntaxe est complétée par une
étude phonologique qui s’attache à la deuxième articulation, établit la liste
des phonèmes et en indique les traits pertinents.

1
MARTINET (A.) 1972. « Cas ou Fonctions ? ». in: La Linguistique. Paris: P.U.F., 1972/2, 8,
pp. 22-23.
2
Ce qui implique notamment l'établissement de leur caractère obligatoire ou facultatif et des
limitations de leurs emplois dans le cas de certains types de prédicats.
3
MARTINET (A.) 1972. « Cas ou Fonctions ? ». in: La Linguistique. Paris: P.U.F., 1972/2, 8.
Références bibliographiques

- LANDERCY (A.) & RENARD (R.) 1977. Eléments de Phonétique. Bruxelles: Didier.

- MARTINET (A.) 1955. Économie des Changements phonétiques. Paris.

- MARTINET (A.) 1972. « Cas ou Fonctions ? ». in: La Linguistique. Paris: P.U.F.

- MARTINET (A.) 1974. Éléments de linguistique générale. Paris: A. Colin (rééd.), [1ère éd. 1960].

- MOUNIN (G.) 1968. Clés pour la linguistique. Paris: Seghers.

- TROUBETZKOY (N.-S.) 1964. Principes de Phonologie. Paris: Klincksieck.

- VION (R.) 1980. « Théories linguistiques ». in: FRANÇOIS (F.) et al. Linguistique. Paris: P.U.F.

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