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RFDA 2009 p.

1125

L'abandon de la jurisprudence Cohn-Bendit

Conclusions sur Conseil d'État, ass., 30 octobre 2009, Mme Perreux, req. n°
298348Document InterRevues

Mattias Guyomar, Maître des requêtes au Conseil d'État, rapporteur public

Le renvoi de la présente affaire devant votre formation de jugement, inscrite


une première fois au rôle des 6e et 1re sous-sections réunies du 10 juillet
2009, se justifie par l'ampleur des questions qu'elle soulève.

Mme Perreux est entrée dans la magistrature en 1990. Elle occupe, depuis
septembre 2002, les fonctions de juge d'application des peines au tribunal de
grande instance de Bordeaux.

Le 23 mars 2005, est diffusé un appel à candidature sur un poste de chargé


de formation à l'École nationale de la magistrature (ENM) pour l'application
des peines. Dans sa rédaction applicable à la date des actes attaqués, le
décret du 21 décembre 1999 régissant les emplois de l'ENM prévoit, à son
article 10, que : « Peuvent être nommés dans un emploi de chargé de
formation à l'ENM, par voie de détachement, les magistrats de l'ordre
judiciaire appartenant au premier grade ou appartenant au second grade et
inscrits au tableau d'avancement. La nomination à cet emploi est prononcée
par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice, après avis du
directeur, pour une durée de trois ans renouvelable une fois ». Mme Perreux
est candidate une première fois à ces fonctions. Après avoir été entendue par
la commission chargée d'auditionner les candidats, elle apprend qu'elle n'est
pas retenue. Un nouvel appel à candidature sur un autre poste de chargé de
formation est diffusé, le 25 novembre 2005. Mme Perreux présente à
nouveau sa candidature. Un autre magistrat postule également. Après
prorogation du délai de candidature, c'est le magistrat concurrent qui est
nommé, le 7 février 2006. Mais, ce dernier ayant été nommé sur un autre
poste dès le 22 février 2006, un nouvel appel à candidature est diffusé, le 2
mars 2006. Le 8 mars 2006, Mme Perreux renouvelle, pour la troisième fois,
sa candidature.
Par décret du président de la République en date du 24 août 2006, elle est
nommée vice-présidente chargée de l'application des peines au tribunal de
grande instance de Périgueux. Le poste de chargé de formation à l'ENM est
pourvu par un arrêté du garde des sceaux, ministre de la Justice en date du
29 août 2006 prenant effet au 1er septembre, qui nomme Mme Dunand,
précédemment juge d'application des peines au tribunal de grande instance
de Périgueux. Cette dernière avait été élevée au premier grade et placée en
position de service détaché à compter du 1er septembre 2006 par le décret
précité du 24 août 2006.

Mme Perreux vous demande l'annulation, d'une part, du décret du 24 août


2006 en tant qu'il la nomme elle-même vice-présidente du tribunal de grande
instance de Périgueux et en tant que, selon elle, il nommerait Mme Dunand
au sein de l'administration centrale du ministère de la Justice et, d'autre part,
de l'arrêté du 29 août 2006.

Mais la requérante s'est expressément désistée du premier chef de


conclusions, par un mémoire enregistré le 17 janvier 2007. Elle a ensuite
confirmé qu'elle entendait limiter ses conclusions aux seules décisions
relatives à la situation de Mme Dunand. Vous lui donnerez acte de ce
désistement. Précisons qu'en l'état de votre jurisprudence, ces conclusions
auraient été irrecevables. En effet, un fonctionnaire ayant sollicité sa
mutation dans plusieurs postes classés par ordre de préférence et ayant été
muté dans l'un de ceux-ci ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour
demander au juge de l'excès de pouvoir d'annuler la décision par laquelle il a
été fait droit à sa demandeNote de bas de page(2).

Les autres conclusions dirigées contre le décret du 24 août 2006 sont


irrecevables. Ainsi que le fait valoir à juste titre le ministre de la Justice, ce
décret n'affecte pas, contrairement à ce que croit la requérante, Mme
Dunand à l'administration centrale. Il se borne à l'élever au premier grade et
à la placer en position de service détaché à compter du 1er septembre 2006.

Le Syndicat de la magistrature a présenté une intervention au soutien de la


requête de Mme Perreux. Dans la mesure où cette dernière s'est désistée,
l'intervention a perdu son objetNote de bas de page(3). Dans la mesure où
elle vient au soutien de conclusions irrecevables, elle est également
irrecevable.

Restent les conclusions dirigées contre l'arrêté du 29 août 2006. Les


fonctions de chargé de formation à l'ENM étant réservées, en vertu du décret
du 21 décembre 1999 dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté
attaqué, à des magistrats, le litige est indissociable du statut de magistrat et
relève donc de votre compétence directe.

Mme Perreux a intérêt à agir à son encontre. Vous admettez en effet de


manière constante l'intérêt d'un agent public à contester la nomination à un
emploi auquel il a vocation à accéderNote de bas de page(4).

À la vérité, lorsqu'un agent public attaque la nomination d'un autre agent sur
un emploi, deux cas de figure sont envisageables. Le premier est celui où le
requérant, sans avoir postulé à cet emploi, avait néanmoins vocation à
l'occuper. Ses conclusions sont alors exclusivement dirigées contre la
nomination. Le second cas - qui est celui de l'espèce - correspond au
contraire à l'hypothèse où le requérant avait présenté sa candidature. Dans
ces conditions, la décision attaquée comporte deux faces : en plein, il s'agit
de la nomination d'un concurrent mais cette nomination révèle
nécessairement, en creux, le refus de nommer le requérant.

Aucune décision expresse de refus n'ayant été opposée à la candidature de


la requérante présentée le 8 mars 2006, ce refus doit être regardé comme
ayant été révélé par une autre décision. Faut-il voir dans la nomination de
Mme Dunand comme chargée de formation à l'ENM par l'arrêté du 29 août
2006 le refus de nommer Mme Perreux sur ce même poste ?

Incontestablement, le décret du 24 août 2006, en nommant Mme Perreux


vice-présidente du tribunal de grande instance (TGI) de Périgueux (un de ses
choix subsidiaires), révèle en creux le refus de la nommer sur le poste de son
premier choix. Nous nourrissons de sérieux doutes sur le bien-fondé de votre
jurisprudence Diraison. Il nous semble en effet qu'un agent public devrait
pouvoir contester sa nomination sur un poste demandé à titre subsidiaire, au
moins dans la mesure où cette décision révèle nécessairement le refus de le
nommer sur le poste de son premier choix. Mais la requérante s'étant
désistée de ses conclusions dirigées contre sa nomination comme vice-
présidente du TGI de Périgueux, la présente affaire n'offre pas l'occasion
d'une évolution de votre jurisprudence. Nous considérons que l'arrêté du 29
août 2006 révèle, en procédant à la nomination de Mme Dunand comme
chargé de formation à l'ENM, un nouveau refus de nommer Mme Perreux sur
ce poste. En effet, aucune règle ni aucun principe ne faisaient obstacle à ce
que le ministre de la Justice nomme la requérante à l'ENM en dépit de sa
nomination, quatre jours plus tôt, à un autre poste par le Président de la
RépubliqueNote de bas de page(5). Celle-ci conserve en outre, dans ses
nouvelles fonctions, la possibilité de postuler à cette fonction.

Mme Perreux est donc recevable à demander l'annulation de l'arrêté du 29


août 2006 non seulement en tant qu'il nomme Mme Dunand mais aussi en
tant qu'il refuse de la nommer. Dans la mesure où elle vient au soutien de
ces conclusions, vous admettrez l'intervention du Syndicat de la
magistrature, dont Mme Perreux est adhérente, qui a intérêt à demander
l'annulation de l'arrêté du 29 août 2006.

Deux moyens sont soulevés à l'appui de ces conclusions. Mme Perreux


soutient, d'une part, que le garde des Sceaux aurait commis une erreur de
droit en écartant sa candidature au poste de chargé de formation à l'ENM en
raison de son engagement syndical et, d'autre part, qu'il aurait entaché sa
décision d'une erreur manifeste d'appréciation en procédant à la nomination
de Mme Dunand.

Le moyen tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise le ministre de la Justice


en se fondant, pour procéder à la nomination litigieuse, sur un critère
extérieur aux mérites des candidats correspond à la discrimination syndicale
dont Mme Perreux prétend avoir été victime. L'examen de ce moyen appelle
de longs développements.

La loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit


communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations aurait
pu constituer le cadre juridique de ce litige. Sous l'influence du droit
communautaire, le droit français a procédé à un aménagement de la charge
de la preuve dans différents domaines : la loi du 16 novembre 2001 introduit
ainsi un mode particulier de preuve dans les articles L. 122-45 et L. 123-1 du
code du travail relatifs au régime des discriminations en matière de travail et
d'emploi ; la loi du 17 janvier 2002 modifiant la loi du 6 juillet 1989 introduit
un mode de preuve spécifique s'agissant des litiges concernant les refus
d'attribution de la location d'un logement ; la loi du 30 décembre 2004
portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et
pour l'égalité (HALDE) fait de même dans le domaine de la discrimination
fondée sur l'origine ethnique. Dans tous les cas, le dispositif retenu s'inspire
directement de la règle posée par la directive du 15 décembre 1997 relative
à la charge de la preuve en matière de discrimination fondée sur le sexe qui
a ensuite été reprise par les différentes directives relatives aux
discriminations. La loi du 27 novembre 2008 procède à une généralisation de
cet aménagement qui devient la règle dans tous les cas où interviennent des
faits de discrimination. Son article 4 dispose ainsi que : « toute personne qui
s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la
juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au
vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la
mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute
discrimination ».

Mais cette loi n'est pas applicable aux faits litigieux qui sont antérieurs à son
entrée en vigueur. Par sa décision n° 80-119 L du 2 décembre 1980, le
Conseil constitutionnel a jugé, s'agissant de matière fiscale, que l'attribution
de la preuve relevait du domaine de la loi au motif que « la détermination de
la charge de la preuve affecte les droits et obligations des contribuables et
met ainsi en cause les règles relatives à l'assiette, au taux et aux modalités
de recouvrement des impositions »Note de bas de page(6). De manière
générale, la définition d'un régime de preuve constitue une règle de fond et
non une règle de procédure qui serait d'applicabilité immédiate.

N'ignorant pas que la loi du 27 novembre 2008 n'est pas applicable, ratione
temporis, au litige, Mme Perreux invoque le bénéfice des dispositions de la
directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, dont la loi a
assuré, parmi d'autres, tardivement la transposition. Indiquons que le délai
de transposition de cette directive a expiré, en vertu de son article 18, le 2
décembre 2003, soit antérieurement à la date des décisions attaquées. La
requérante vous demande de faire application, à son bénéfice, des règles
relatives à la charge de la preuve que comporte l'article 10 de cette directive
aux termes duquel : « 1. Les États membres prennent les mesures
nécessaires, conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors
qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de
l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance
compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une
discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de
prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement ».

Vous est ainsi posée une nouvelle fois la question de la possibilité d'invoquer
une directive, non transposée à l'issue du délai fixé pour ce faire, à l'appui
d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel. La présente affaire
vous conduit à réexaminer la réponse qu'il convient d'apporter à un moyen
que vous écartez comme inopérant avec constance depuis votre décision
Ministre de l'Intérieur c/ Cohn-BenditNote de bas de page(7).

Pour ce faire, nous croyons utile, en premier lieu, de rappeler la genèse de ce


qui a été qualifié de « révolte contentieuse » par Bernard PacteauNote de bas
de page(8) puis, dans un second temps, de retracer les évolutions
jurisprudentielles ultérieures tant de la Cour de justice des communautés
européennes que du Conseil d'État.

C'est l'article 189 du traité de Rome, devenu article 249 du TCE, qui définit
les différentes catégories d'actes communautaires : « Le règlement a une
portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est
directement applicable dans tout État membre. La directive lie tout État
membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux
instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. La
décision est obligatoire dans tous ses éléments pour les destinataires qu'elle
désigne. Les recommandations et avis ne lient pas ».

Alors qu'une lecture littérale de cet article aurait pu donner à penser que
seuls les règlements avaient un effet direct dans les États membres, la Cour
de justice des Communautés européennes (CJCE) a reconnu qu'une directive
était susceptible de produire des effets directs entre l'État et ses justiciables,
indépendamment de toute mesure interne d'exécution. La Cour a ainsi admis
l'applicabilité directe d'une directive, pour la première fois, dans l'arrêt
Société SACE c/ Ministère des Finances de la République italienne du 17
décembre 1970Note de bas de page(9). Cette orientation a ensuite été
confirmée à plusieurs reprises, notamment par l'arrêt Van Duyn c/ Home
Office du 4 décembre 1974Note de bas de page(10) dont les motifs de
principe méritent d'être cités : « [...] si, en vertu des dispositions de l'article
189, les règlements sont directement applicables et, par conséquent, par leur
nature susceptibles de produire des effets directs, il n'en résulte pas que
d'autres catégories d'actes visés par cet article ne peuvent jamais produire
d'effets analogues ; il serait incompatible avec l'effet contraignant que
l'article 189 reconnaît à la directive d'exclure en principe que l'obligation
qu'elle impose, puisse être invoquée par des personnes concernées ;
particulièrement dans le cas où les autorités communautaires auraient, par
directive, obligé les États membres à adopter un comportement déterminé,
l'effet utile d'un tel acte se trouverait affaibli si les justiciables étaient
empêchés de s'en prévaloir en justice et les juridictions nationales
empêchées de la prendre en considération en tant qu'élément du droit
communautaire ; l'article 177 qui permet aux juridictions nationales de saisir
la Cour de la validité et de l'interprétation de tous les actes des institutions,
sans distinction, implique d'ailleurs que ces actes sont susceptibles d'être
invoqués par les justiciables devant lesdites juridictions ; il convient
d'examiner, dans chaque cas, si la nature, l'économie et les termes de la
disposition en cause sont susceptibles de produire des effets directs dans les
relations entre les États membres et les particuliers ».

Si la Cour est allée « au-delà des catégories juridiques formelles »Note de bas
de page(11), comme le relevait l'avocat général Mayras dans ses conclusions
sur cette affaire, c'est pour conférer toute sa portée à « l'effet utile » des
directives. Cette solution s'inscrit en parfaite cohérence avec la jurisprudence
sur l'effet direct du droit communautaire dont l'arrêt fondateur Van Gend en
Loos c/ Administration fiscale néerlandaise remonte au 5 février 1963, selon
lequel le droit communautaire « de même qu'il crée des charges dans le chef
des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans
leur patrimoine juridique ; ceux-ci naissent non seulement lorsqu'une
attribution explicite en est faite par le traité mais aussi en raison
d'obligations que le traité impose d'une manière bien définie tant aux
particuliers qu'aux États membres et aux institutions communautaires ».
Ainsi que le relève le commentaire des Grands arrêts de la Cour de justice
des Communautés européennesNote de bas de page(12) : « Mis à part
l'article 189 al. 2 qui dispose que le règlement est « directement applicable
dans tout État membre », on chercherait vainement dans le traité l'énoncé
formel d'un principe d'applicabilité directe ou d'immédiateté. Un tel principe
devait donc être fondé et défini dans ses conditions d'existence ». L'arrêt de
1963 explicite le fondement de cette applicabilité directe objective : « c'est
dans la notion même de marché communNote de bas de page(13) et dans
ses implications que se trouve le fondement de l'applicabilité directe du droit
communautaire »Note de bas de page(14). Mais cette affirmation n'a pas
pour effet de rendre tous les actes de droit communautaire directement
applicables. Ainsi que l'explique Denys Simon dans son ouvrage Le système
juridique communautaireNote de bas de page(15) : « [...] encore faut-il, pour
qu'une norme communautaire déterminée soit apte à produire un tel effet,
qu'elle remplisse un certain nombre de conditions techniques qui
conditionnent sa faculté à être appliquée par les juridictions nationales ».
S'agissant des directives, l'arrêt Van Duyn consacre le critère tiré de « la
nature, l'économie et les termes de la disposition en cause ».

C'est dans ce contexte que votre Assemblée du contentieux a été amenée à


se prononcer sur l'effet direct des directives à l'occasion de l'appel du
ministre de l'Intérieur dirigé contre un jugement du tribunal administratif de
Paris qui avait saisi la CJCE d'une question préjudicielle qui portait sur les
conditions d'application de l'article 6 de la directive du 25 février 1964 dont
l'applicabilité directe avait été admise par l'arrêt Rutili du 28 octobre 1975.

Dans les magistrales conclusions qu'il a prononcées à cette occasion, Bruno


Genevois a vigoureusement contesté les quatre arguments sur lesquels la
Cour avait fondé sa jurisprudence.

En premier lieu, il considérait comme plus légitime de « s'en tenir à la lettre


de l'article 189 du traité » : « la définition donnée dans chaque cas se suffit à
elle-même et il n'est nul besoin d'ajouter une formule négative qui en serait
le corollaire nécessaire ».

Il contestait en deuxième lieu l'argument tiré de l'effet utile : « ce n'est pas


seulement l'effet utile de la directive qu'il y a lieu de promouvoir ; l'effet utile
du troisième alinéa de l'article 189 du Traité mérite tout autant et même
davantage d'être sauvegardé en raison de la primauté du droit
communautaire originaire sur le droit communautaire dérivé ».

Ne le retenait pas davantage l'argument tiré de la substance même de la


directive : « [...] l'article 189 du traité subordonne la mise en oeuvre d'une
directive à l'intervention de mesures d'ordre interne. Peu importe à cet égard
le degré de précision de la directive ». Selon le commissaire, le non-respect
de la date limite fixée aux États membres pour prendre, dans l'ordre interne,
des mesures d'exécution « n'entraîne pas l'application de plein droit de la
directive » mais autorise simplement la Commission à entamer une action en
manquement.
Enfin, Bruno Genevois faisait valoir que la compétence de la Cour pour
interpréter, en vertu de l'article 177, tous les actes communautaires était
sans portée sur le fait que la prise en considération de la directive par le juge
national, qui peut le conduire à procéder à un renvoi préjudiciel, est
subordonnée à la condition qu'elle ait fait l'objet d'une mesure d'introduction
en droit interne.

La conclusion que tirait, sur le plan théorique, le commissaire de ce


raisonnement était claire et nette : « une directive ne peut avoir, par elle-
même, d'effet direct dans un État membre sauf s'il s'agit en réalité d'un
règlement ». Et il soulignait, à juste titre, la position difficile dans laquelle la
jurisprudence de la Cour place le juge national : « il lui est demandé, de sa
propre autorité, de remédier aux effets d'une situation qui a pour origine la
carence des États alors que dans la logique des institutions communautaires,
le remède à la carence des États consiste en la mise en oeuvre par la
Commission, ou par tout État membre, du recours en manquement [...] ».

Bruno Genevois concevait ensuite trois attitudes possibles pour le juge


administratif français : se rallier à la jurisprudence de la Cour « non par
conviction mais par discipline »Note de bas de page(16) ; ne pas prendre en
considération la jurisprudence de la Cour de justice en souhaitant « marquer
avec netteté que des évolutions jurisprudentielles qui s'éloignent quelque
peu de la lettre du Traité, peuvent être utilement contestées par le juge
national » ; confirmer le renvoi préjudiciel auquel le tribunal administratif de
Paris avait procédé au nom du « dialogue des juges ». Le commissaire y
insistait : « ce serait manquer singulièrement de déférence à l'égard du juge
communautaire qui, de par le Traité de Rome, a pour mission de veiller à une
application uniforme du droit communautaire sur le territoire des pays
membres de la Communauté que d'interpréter le traité dans un sens qui va
directement à l'encontre d'une jurisprudence bien établie de la CJCE ».

« L'Assemblée a suivi son commissaire du gouvernement dans sa


démonstration, mais non dans ses conclusions », ainsi que le notaient les
chroniqueurs de l'arrêt à l'AJDANote de bas de page(17).

Votre décision du 22 décembre 1978 marque explicitement le refus de


reconnaître un effet direct aux directives : après avoir rappelé qu'« il ressort
clairement de l'article 189 du traité du 25 mars 1957 que si [les] directives
lient les États membres "quant au résultat à atteindre" et si, pour atteindre le
résultat qu'elles définissent, les autorités nationales sont tenues d'adapter la
législation et la réglementation des États membres aux directives qui leur
sont destinées, ces autorités restent seules compétentes pour décider de la
forme à donner à l'exécution des directives et pour fixer elles-mêmes, sous le
contrôle des juridictions nationales, les moyens propres à leur faire produire
effet en droit interne », elle en déduit « qu'ainsi, quelles que soient d'ailleurs
les précisions qu'elles contiennent à l'intention des États membres, les
directives ne sauraient être invoquées par les ressortissants de ces États à
l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif individuel ».

Mais à bien lire l'arrêt, il ne dénie pas tout effet juridique aux directives :
d'une part, il indique que les États membres doivent les mettre en oeuvre «
sous le contrôle des juridictions nationales » et d'autre part, il précise que si «
la solution que doit recevoir la requête du sieur Cohn-Bendit ne peut en
aucun cas être subordonnée à l'interprétation de la directive du 25 février
1964 », c'est « à défaut de toute contestation sur la légalité des mesures
réglementaires prises par le gouvernement français pour se conformer aux
directives arrêtées par le Conseil des communautés européennes ». Pour
citer les commentateurs des Grands arrêts de la jurisprudence administrative
(GAJA)Note de bas de page(18) : « les directives ont donc bien, selon l'arrêt
du Conseil d'État, un effet juridique, mais indirect, médiatisé, à travers les
mesures d'application ».

En d'autres termes, les ressortissants des États membres ne peuvent se


prévaloir, devant le juge national, directement des droits que leur confèrerait
une directive pour obtenir l'application de celle-ci en lieu et place d'un texte
national inexistant ou non conforme à ses dispositions, mais ils peuvent
obtenir du juge qu'il paralyse l'application de la règle nationale qui
méconnaîtrait cette directive. Pour reprendre la terminologie d'Y. Galmot et
de J. C. BonichotNote de bas de page(19), le Conseil d'État admet «
l'invocabilité d'exclusion » mais non « l'invocabilité de substitution »Note de
bas de page(20). La cohérence de cette solution a été soulignée par Jean
Boulouis : « les mesures individuelles prises par les autorités nationales ne le
sont pas en application de la directive dont les dispositions pourraient être
directement invoquées à leur encontre. Elles le sont en vertu du droit
national qui doit avoir été adapté aux exigences du droit communautaire
telles qu'elles ont été définies par la directive ; adaptation qui, elle, peut
toujours faire l'objet d'un recours des particuliers, tant par voie d'action que
par voie d'exception »Note de bas de page(21).
Le retentissement de la décision Cohn-Bendit a été considérable. Les
commentaires doctrinaux se sont partagés, entre louanges et critiques. Deux
éléments ont principalement été commentés. Le premier concerne la prise de
position du juge administratif français sur la lettre du traité et la logique de la
construction communautaire. Pierre Delvolvé relève ainsi que « le système
que [le Conseil d'État] adopte, s'il est contraire à celui de la Cour, paraît plus
conforme à la notion de directive que le sien qui, à certains égards, paraît
bien l'avoir dénaturée »Note de bas de page(22) tandis que Louis Dubouis
estime, pour sa part, que « le refus opposé [...] à la prise en considération de
la directive contredit la logique juridique »Note de bas de page(23) : «
Comment, d'un même mouvement, reconnaître qu'une fois édictée la
réglementation nationale, la directive a été introduite dans l'ordre interne
avec une valeur supérieure à celle du décret - puisque le requérant peut
soulever l'exception d'illégalité du décret - et refuser d'examiner la
contrariété directe entre une décision individuelle et la directive ? »Note de
bas de page(24). Le second élément consiste en le refus du Conseil d'État de
procéder au renvoi préjudiciel, contrairement à ce que lui proposait son
commissaire du gouvernement. Il est vrai que l'application de la théorie de
l'acte clair que fait l'Assemblée du contentieux - que marque l'emploi de
l'adverbe « clairement » - pour se dispenser de tout renvoi à la Cour de
Luxembourg révèle qu'elle « reconnaissait la force de l'évidence à une
solution que les juges européens avaient écartée de façon expresse et
répétée », pour citer à nouveau les auteurs du GAJA. Après avoir admis que «
la méthode ici employée était la seule qui permette une contestation efficace
de la jurisprudence de la Cour », Bernard Pacteau relevait cependant, dans
son article précité, que « la mécanique communautaire ne permet pas à un
tribunal national d'attribuer, fût-ce au titre de l'évidence, à une norme de
droit européen, un sens autre que celui qui lui a précédemment été donné
par la CJCE, sans en référer précisément à celle-ci ».

C'est dans cette mesure qu'il y a 31 ans s'est cristallisée entre la Cour de
Luxembourg et votre juridiction une divergence de jurisprudence quant à
l'effet direct des directives.

Mais vos deux jurisprudences ont notablement évolué depuis cette date. On
peut déduire de ces évolutions respectives que, s'agissant de l'invocabilité
des directives, « la guerre des juges n'a pas eu lieu »Note de bas de
page(25). D'une manière plus générale, si l'on quitte la seule question de
l'effet direct des directives, pour appréhender de manière plus large celle de
l'intensité des effets du droit communautaire, il convient de relever, avec Y.
Galmot et J.-C. BonichotNote de bas de page(26), « l'ébauche d'une
cohérence » entre les jurisprudences de la Cour de Luxembourg et du Conseil
d'État.

Pour organiser notre présentation, nous faisons nôtre la proposition de Denys


Simon, dans son remarquable ouvrage Le système juridique
communautaireNote de bas de page(27), consistant à structurer les effets du
droit communautaire « autour de la notion de justiciabilité, conçue comme la
capacité du juge interne à assurer l'efficacité du droit communautaire et
l'effectivité de la protection juridictionnelle de ses sujets ».

Plusieurs techniques sont utilisées pour assurer le respect du droit


communautaire qui correspondent chacune à différents degrés de
justiciabilité.

L'invocabilité « d'interprétation conforme » conduit le juge national à


interpréter le droit national existant à la lumière du texte et de la finalité des
règles communautaires invoquéesNote de bas de page(28). « Ces exigences
inhérentes à la primauté du droit communautaire valent pour l'ensemble des
normes communautaires [...] »Note de bas de page(29).

L'invocabilité « de prévention » permet d'invoquer une directive dont le délai


de transposition n'est pas encore expiré afin « de faire sanctionner par les
tribunaux internes, de manière quelque peu anticipée, la violation virtuelle
qui s'actualisera nécessairement au jour de l'expiration du délai de
transposition »Note de bas de page(30).

Au titre de l'invocabilité « de réparation », tout justiciable peut demander


réparation du préjudice causé par la carence de l'État à prendre les mesures
nécessaires à la transposition d'une directiveNote de bas de page(31).

S'agissant de ces modes de « justiciabilité minimale », la convergence des


jurisprudences est incontestable.
Venons en à l'invocabilité de « contrôle » qui correspond à l'obligation faite
aux tribunaux nationaux d'écarter le droit national incompatible avec la règle
communautaire.

Depuis trente ans, vous avez développé, n'hésitant pas à faire preuve
d'ingéniosité, une jurisprudence qui, tout en maintenant le fondement
théorique de l'arrêt Cohn-Bendit, permet d'assurer, dans la majorité des
hypothèses, la pleine effectivité du droit communautaire. S'agissant des
directives, vous avez progressivement multiplié le nombre des cas dans
lesquels elles peuvent être invoquées, par voie d'action comme par voie
d'exception.

Admettre l'invocabilité d'une directive par voie d'action supposait que ne


vous retienne pas la nature spécifique de cette catégorie d'actes qui « illustre
la présence dans les traités communautaires [...] d'un principe de subsidiarité
juridique et de complémentarité des compétences » ainsi que le souligne
Denys Simon, dans son article consacré à « L'application des directives par
les tribunaux nationaux ». En dépit des limites de son intensité normative -
puisqu'elle ne lie les États que quant au résultat à atteindre » -, vous avez
accepté de faire de la directive une norme de référence.

Vous avez ainsi admis qu'un requérant puisse se prévaloir d'une directive
contre les mesures réglementaires prises pour son applicationNote de bas de
page(32). Ainsi que le relèvent les chroniqueurs de cet arrêt à l'AJDANote de
bas de page(33), en effectuant, par voie d'action, le contrôle de la légalité
des mesures réglementaires prises pour se conformer aux dispositions d'une
directive au regard des objectifs de celle-ci, l'arrêt se place dans la droite
ligne de la décision Cohn-Bendit qui précisait que les États membres doivent
mettre les directives en oeuvre « sous le contrôle des juridictions nationales
»Note de bas de page(34).

Vous avez ensuite étendu l'invocabilité, par voie d'action, des directives,
contre toutes les mesures réglementaires ultérieures, qu'elles en assurent la
transposition ou simplement qu'elles relèvent de leur champ
d'applicationNote de bas de page(35). Comme l'expliquait O. Dutheillet de
Lamothe dans ses conclusions sur cette affaire : « si les autorités nationales
sont tenues [...] d'adapter leur législation et leur réglementation aux
directives qui leur sont destinées, elles sont a fortiori tenues de ne pas
adopter de dispositions réglementaires qui vont directement à l'encontre
d'une directive ».

En précisant, à l'occasion de la définition de l'obligation d'abroger les


règlements illégaux, que les autorités nationales « ne peuvent légalement,
après l'expiration des délais impartis, ni laisser subsister des dispositions
réglementaires qui ne seraient plus compatibles avec les objectifs définis par
les directives dont s'agit, ni édicter des dispositions réglementaires qui
seraient contraires à ces objectifs »Note de bas de page(36), vous avez
signifié que les requérants peuvent utilement invoquer l'illégalité, au regard
de la directive de la réglementation dont il leur a été fait application, qu'il
s'agisse d'une réglementation antérieure qui aurait dû être abrogée ou
modifiée ou d'une réglementation postérieure, même étrangère à la
transposition du texte communautaire.

C'est de manière fort logique qu'après vos décisions NicoloNote de bas de


page(37), SA Rothmans International FranceNote de bas de page(38) et
Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire et
Association France Nature EnvironnementNote de bas de page(39), vous avez
étendu la faculté de faire jouer, à l'occasion de recours dirigés contre des
actes individuels, l'invocabilité d'exclusion à l'encontre d'une loi dont il est
soutenu, par la voie de l'exception, qu'elle serait incompatible avec les
exigences d'une directive. L'invocation d'exclusion, qui traduit l'obligation
d'assurer la prévalence du droit communautaire, n'est pas subordonnée au
caractère précis et inconditionnel de la disposition invoquée. Ainsi que
l'explique Denys Simon, dans son ouvrage Le système juridique
communautaire : « le justiciable doit dans tous les cas, y compris si la
directive communautaire confère aux États membres une réelle marge
d'appréciation, pouvoir faire vérifier par le juge national que les autorités
internes n'ont précisément pas outrepassé cette marge d'appréciation ».

Bien plus, vous avez jugé que le pouvoir réglementaire doit s'abstenir de
prendre les mesures d'application d'une loi qui contreviendrait aux
engagements internationaux de la France. Vous avez ainsi jugé, après avoir
relevé que les dispositions de l'article L. 601-4 du code de la santé publique,
en ce qu'elles étendent le champ d'application de la procédure simplifiée
d'enregistrement au-delà des objectifs définis par la directive, sont
incompatibles avec ceux-ci, qu'en ne prenant pas les mesures réglementaires
destinées à permettre la mise en oeuvre de cet article, le gouvernement s'est
conformé, ainsi qu'il y était tenu, aux exigences inhérentes à la hiérarchie
des normes dans l'ordre juridique interne, telles qu'elles découlent de l'article
55 de la ConstitutionNote de bas de page(40).

Mais vous avez également donné corps, à l'occasion de litiges relatifs à des
actes individuels, au contrôle par la voie de l'exception qu'affichaient a
contrario les motifs de votre décision du 22 décembre 1978, des règles
nationales d'exécution au regard des objectifs d'une directive. Votre décision
PalazziNote de bas de page(41) démontre ainsi l'efficacité de l'invocabilité
d'exclusion en annulant un refus de séjour comme privé de fondement légal,
ce refus ayant été pris en application du décret du 28 avril 1981 dont vous
avez constaté l'illégalitéNote de bas de page(42) tenant à la méconnaissance
des objectifs fixés par la directive du 25 février 1964.

Vous avez ensuite conféré à l'invocabilité d'exclusion sa plus grande


extension possible. Votre décision SA Cabinet Revert et BadelonNote de bas
de page(43) montre que l'invocabilité d'exclusion peut jouer efficacement
dans des cas où on aurait pu la croire inopérante : vous avez écarté les
dispositions du code général des impôts en tant qu'elles n'exonéraient pas de
taxe sur la valeur ajoutée (TVA) toutes les opérations effectuées par les
courtiers d'assurance, contrairement à ce que prévoyait l'article 13 B a) de la
sixième directive du 17 mai 1977, relative à l'harmonisation des législations
nationales en matière de taxes sur le chiffre d'affaires. Vous acceptez donc
d'écarter une règle nationale en tant qu'elle n'a pas prévu une mesure
qu'implique une directive dont le délai de transposition est écoulé, dans
l'hypothèse particulière où l'incompatibilité n'apparaît qu'en creux. Enfin,
vous avez été jusqu'aux limites de l'exception d'incompatibilité en admettant
de la faire jouer même en l'absence de texteNote de bas de page(44), en
jugeant qu'aucune règle, même non écrite, ne peut s'appliquer si elle
méconnaît les objectifs d'une directive. Dans cette affaire, la réglementation
nationale qui avait servi de fondement à la délibération attaquée n'était issue
ni d'une loi ni d'un décret mais avait été dégagée par voie prétorienne. Nous
partageons l'analyse des chroniqueurs de l'AJDANote de bas de page(45) qui,
après avoir relevé que l'Assemblée avait, à l'invitation d'H. Savoie, « accepté
de faire jouer l'exception d'incompatibilité à l'égard de règles
jurisprudentielles », en déduisaient que « la jurisprudence qui s'est
développée depuis vingt ans s'est efforcée, en utilisant au maximum toutes
les ressources de l'exception d'incompatibilité, d'assurer, en toute hypothèse,
l'effectivité du droit communautaire ». Si vous avez maintenu, jusqu'à
présent, le cadre conceptuel de la jurisprudence Cohn-Bendit, vous avez su
solliciter toutes les ressources de la technique juridique pour assurer, au
moyen de l'invocabilité d'exclusion, dans toute la mesure du possible
l'effectivité du droit communautaireNote de bas de page(46).

S'agissant de l'invocabilité « d'exclusion », votre jurisprudence ne se trouve


donc, en aucune mesure, en délicatesse avec celle de la Cour de
Luxembourg.

Tout autrement se présente encore la question de l'invocabilité de «


substitution » qui constitue un mode de « justiciabilité renforcée »Note de
bas de page(47).

Pour sa part, la CJCE, tout en réaffirmant le principe selon lequel, dans


certaines conditions, les juridictions nationales sont tenues de procéder à
l'application immédiate et directe d'une norme communautaire au lieu et
place du droit national défaillant, a consenti à d'importantes évolutions
jurisprudentielles.

À partir de 1979, elle a en effet développé une conception plus restrictive de


l'effet direct des directives. Sans doute la Cour n'est elle pas restée sourde
aux réserves que vous aviez exprimées avec force. L'arrêt Ministère public c/
Ratti du 5 avril 1979 apporte des précisions importantes sur les conditions
auxquelles est subordonnée l'invocabilité d'une directive. Après avoir rappelé
les considérations de principe de la jurisprudence Van Duyn, la Cour ajoute «
qu'en conséquence, l'État membre qui n'a pas pris, dans les délais, les
mesures d'exécution imposées par la directive, ne peut opposer aux
particuliers le non-accomplissement, par lui-même, des obligations qu'elle
comporte » et en déduit « qu'il en résulte qu'une juridiction nationale saisie
par un justiciable qui s'est conformé aux dispositions d'une directive, d'une
demande tendant à écarter une disposition nationale incompatible avec
ladite directive non introduite dans l'ordre juridique interne d'un État
défaillant, doit faire droit à cette demande si l'obligation en cause est
inconditionnelle et suffisamment précise ». L'arrêt Auer du 22 septembre
1983 comporte des développements fort explicites : « les dispositions de la
directive [...] entraînent pour chaque État membre des obligations claires,
complètes, précises et inconditionnelles ne laissant pas de place pour des
appréciations discrétionnaires. Dans ces conditions [...], un particulier peut se
prévaloir devant le juge national des dispositions d'une directive
communautaire non ou incomplètement exécutée par l'État membre
concerné ». Ainsi que l'analysent Y. Galmot et J.-C. Bonichot, dans leur article
précité, « la Cour manifeste ainsi son intention de bien distinguer les effets
des directives sur ceux des règlements en marquant bien le caractère
accidentel et même pathologique de l'application directe des premières ».

RFDA 2009 p. 1125

Le refus d'opérer un alignement des directives sur les règlements est très
clairement affirmé par l'avocat général Reischl, dans ses conclusions sur la
décision Ratti : « [...] il est certainement inapproprié de parler d'une
applicabilité directe. Ce terme n'est utilisé dans l'article 189 du Traité que
pour les règlements, c'est-à-dire pour la législation communautaire directe
qui peut également créer des rapports juridiques entre les particuliers. Mais
les directives, qui n'engendrent des obligations que pour les États membres
se distinguent clairement des règlements [...] On ne peut donc en aucun cas
affirmer que les directives peuvent également avoir le contenu et les effets
d'un règlement ; les directives peuvent en revanche produire tout au plus des
effets analogues [...] L'essentiel de cet effet consiste dans certains cas, qui
constituent cependant plutôt l'exception, en ce que les États membres qui
n'exécutent pas les obligations que la directive leur impose se voient retirer
la possibilité d'invoquer la situation juridique nationale qui apparaît comme
illégale au regard du droit communautaire, c'est-à-dire que des particuliers
obtiennent le droit de se prévaloir de la directive à l'égard de l'État défaillant
et d'en tirer des droits dont les juridictions nationales doivent tenir compte. À
vrai dire, il conviendrait donc de ne parler dans de tels cas - et cela a toujours
été fait dans la jurisprudence - que d'un effet direct des directives ».

Le mécanisme de l'invocabilité de substitution est donc subordonné à deux


conditions cumulatives : l'inexécution de la directive, d'une part, et le
contenu inconditionnel et suffisamment précis de la directive, de l'autre. La
première condition renvoie à une défaillance de l'État membre. De ce point
de vue, « l'effet direct est une sanction de l'inertie de l'État qui permet au
droit communautaire de ne pas rester lettre morte » comme l'expliquent Y.
Galmot et J.-C. Bonichot. Comme le marque très clairement l'arrêt Ratti
précité, « ce n'est qu'au terme de la période fixée [pour la transposition] et
en cas de défaillance de l'État membre » (§ 43) que peut éventuellement
jouer l'effet de substitution : « tant que cette échéance n'est pas atteinte, les
États membres restent libres en la matière » (§ 44). La seconde condition
rend la substitution techniquement possible. Si la directive reconnaît aux
États un pouvoir d'appréciation pour assurer sa mise en oeuvre, la
substitution est exclue. Ainsi que le relèvent Y. Galmot et J. C. Bonichot : «
ces deux conditions d'inconditionnalité et précision peuvent être distinguées
bien qu'elles procèdent, en fin de compte, de la même idée : une directive ne
peut être substituée au droit national que dans la mesure où aucun doute ne
subsiste sur le contenu des règles devant résulter de l'opération de «
législation à deux étages » que constitue le mécanisme du 3e alinéa de
l'article 189. En, effet, c'est seulement dans ce cas que l'on peut opposer à
l'État une obligation précise qu'il n'a pas respectée ».

Ces trente dernières années ont en outre permis à la CJCE de limiter les
conséquences juridiques de l'effet direct des directives à tel point que l'on
peut parler d'applicabilité directe partielle, contrairement à celle du
règlement qui est pleine et entière. La Cour a ainsi exclu qu'une directive
puisse, par elle-même, créer des obligations dans le chef d'un particulierNote
de bas de page(48) : les directives, qui ne peuvent être appliquées que dans
les rapports entre l'ÉtatNote de bas de page(49) et les particuliers, sont, par
nature, dépourvues d'effet horizontal. Mais la Cour a également exclu qu'un
État membre puisse se prévaloir, à l'encontre d'un particulier, d'une directive
qu'il n'aurait pas transposée : « l'État membre qui n'a pas pris dans les délais
les mesures d'exécution imposées par la directive ne peut opposer aux
particuliers le non-accomplissement par lui-même des obligations qu'elle
comporte »Note de bas de page(50). Votre jurisprudence est dans le même
sens : les directives sont dépourvus d'effet vertical descendantNote de bas
de page(51). Ces limites à l'invocabilité des directives découlent de leur
nature même : ainsi que l'explique le juge Pierre Pescatore, dans son article «
L'effet des directives communautaires : une tentative de démythification
»Note de bas de page(52) : « les directives peuvent être invoquées en justice
par les particuliers parce qu'elles sont obligatoires pour les États membres et
en tant que reflet de cette obligation. C'est certainement beaucoup moins
que l'applicabilité directe des règlements qui sont des actes de législation
objectifs, invocables en tant que tels dans tous les rapports juridiques
susceptibles d'être déférés en justice. Les directives par contre ne peuvent
être invoquées judiciairement qu'à l'égard de celui qu'elles concernent, à
savoir l'État, en tant que corollaire de l'obligation qu'elles lui imposent ».

De cette fresque jurisprudentielle, on peut donc déduireNote de bas de


page(53) que le désaccord qui subsiste entre votre jurisprudence et celle de
la Cour de Luxembourg ne porte que sur votre refus de confronter
directement un acte administratif non réglementaire aux dispositions
précises et inconditionnelles d'une directive non encore transposée. Vous
avez en effet transposé la jurisprudence Cohn-Bendit aux décisions d'espèce
qui ne sont ni individuelles ni réglementaires, tels les actes déclaratifs
d'utilité publiqueNote de bas de page(54). La divergence de jurisprudence ne
concerne donc que l'effet vertical ascendant des directives.

La présente affaire nous conduit à vous proposer de mettre un terme à ce


désaccord de principe. Si le contexte y incite, ce sont trois séries de
considérations tenant respectivement à l'existence de nouvelles
circonstances de droit, à l'évolution de votre propre office et à l'efficacité
inégalable de l'invocabilité de « substitution » qui fondent notre conviction.

Le contexte actuel incite, il est vrai, à une évolution de votre jurisprudence.


S'agissant de l'application du traité, nous croyons nécessaire, comme nous
vous l'avons déjà dit, de nous intéresser non seulement à la jurisprudence de
celle qui en constitue le gardien naturel mais également aux solutions
retenues par les juridictions suprêmes des autres États de l'Union
européenne, pratiquant ce faisant ce que l'on pourrait qualifier, pour
emprunter à la terminologie de la Cour de Luxembourg, de dialogue des
juges « horizontal ». Il est frappant de relever que toutes les cours
européennes dont nous avons étudié la jurisprudence se sont
progressivement alignées sur la position de la Cour de Luxembourg et ont
admis l'effet direct vertical ascendant des directives.

Après une position initialement réfractaire, la jurisprudence allemande a fini


par reconnaître qu'une directive communautaire non transposée à temps est
directement invocable par les particuliers à l'encontre de l'État. La Cour
fédérale financière (Bundesfinanzhof) a ainsi dénié tout effet direct aux
directives par un arrêt du 16 juillet 1981Note de bas de page(55). Elle a
ensuite confirmé cette position en refusant de se conformer à une réponse
donnée par la Cour de Luxembourg à une question préjudicielle dans la
même affaireNote de bas de page(56). Cette position a été infirmée par la
Cour constitutionnelle fédéraleNote de bas de page(57). La Cour de Karlsruhe
s'est fondée sur l'article 101 de la Loi fondamentale selon lequel nul ne doit
être privé de son « juge légal ». Elle a jugé que la jurisprudence de la CJCE «
sanctionne de façon efficace l'obligation de l'État membre au titre de la
directive, d'une façon en tout état de cause conforme aux principes de l'État
de droit ». Mais, ainsi que l'expliquent les auteurs du GAJA : « avant d'aboutir
à cette conclusion, le juge constitutionnel allemand s'est reconnu le pouvoir
de vérifier que l'évolution de la Communauté et en particulier la
jurisprudence de la Cour de justice restait dans les limites du transfert de
souveraineté tel que l'a accepté la République fédérale d'Allemagne (RFA) en
ratifiant les traités européens. En l'espèce, la Cour constitutionnelle a estimé
que la jurisprudence de la Cour de justice sur les directives n'était pas
insoutenable au regard de l'article 189 du Traité de Rome et n'allait pas au-
delà de ce qui est admissible au regard de la loi qui en a autorisé la
ratification ».

En Belgique, les deux ordres de juridiction se conforment à la jurisprudence


de la CJCE en matière d'effet direct vertical des directives communautaires.
Par un arrêt du 5 décembre 1994Note de bas de page(58), la Cour de
cassation rappelle ainsi « qu'en vertu de l'article 189 du Traité CEE, la
directive, pour autant qu'elle soit inconditionnelle et suffisamment précise, a
un effet direct vertical ; que les particuliers peuvent invoquer les dispositions
d'une telle directive à l'égard de l'État membre qui n'a pas ou pas totalement
inséré une telle directive dans son droit national au cours de la période
prescrite ou qui l'a insérée de manière erronée ». La jurisprudence du Conseil
d'État est similaireNote de bas de page(59).

Le Tribunal suprême espagnol, tant dans sa formation civile


qu'administrative, reconnaît l'effet direct vertical des directives
communautairesNote de bas de page(60).

Les solutions retenues en GrèceNote de bas de page(61) comme au


PortugalNote de bas de page(62) sont identiques.

Les États de tradition dualiste ont évolué dans le même sens.

Par un arrêt du 18 avril 1991, la Chambre des Lords a fait sienne la


jurisprudence de la CJCE en matière d'effet direct des directives, citant
notamment l'arrêt Marshall à l'appui de leur raisonnementNote de bas de
page(63). Notons que les Law Lords avaient au préalable saisi la CJCE d'un
recours préjudiciel, sur l'étendue de la notion d'État pour les besoins de la
mise en oeuvre de l'effet direct vertical des directives. Ainsi que l'explique
Catherine Haguenau dans son ouvrage L'application effective du droit
communautaire en droit interne. Analyse comparative des problèmes
rencontrés en droit français, anglais et allemand, la jurisprudence
communautaire relative à l'effet direct vertical a eu une incidence
significative mais limitée sur le droit anglaisNote de bas de page(64) : « la
jurisprudence anglaise appliquant la définition communautaire de l'État
semble exemplaire des modifications apportées au droit anglais par le droit
communautaire et de la bonne volonté des juges britanniques. L'État est
désormais défini juridiquement outre-Manche même dans un domaine
restreint, celui de l'effet direct des directives ».

En Italie, au refus initial, tant de la Cour de cassationNote de bas de page(65)


que du Conseil d'ÉtatNote de bas de page(66), a succédé un arrêt du 14 avril
2008Note de bas de page(67) par lequel le Conseil d'État, en se fondant
expressément sur la jurisprudence de la CJCE, a admis que « une fois expiré
le délai de transposition de la directive sans que l'État n'ait nullement
procédé à sa mise en oeuvre, il faut donner à la disposition [...] qui est
suffisamment précise et inconditionnelle, un effet direct vertical susceptible
d'être invoqué par l'individu contre une autorité publique, tout en excluant
l'effet horizontal entre particuliers ».

De l'ensemble de ces juridictions européennes résonne désormais l'écho


fidèle de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg.

Si l'on quitte la scène européenne pour retrouver la France, le constat est le


même. La Cour de cassation admet l'effet direct vertical ascendant de
certaines dispositions de directives non transposéesNote de bas de page(68).
Elle refuse, en toute logique, d'appliquer les dispositions invoquées lorsque la
directive laisse une marge d'appréciation aux États membresNote de bas de
page(69). Enfin, la Cour de cassation dénie aux directives tout effet direct
horizontalNote de bas de page(70).

Il est des isolements splendides ; d'autres sont pathétiques. Le vôtre, sur la


question qui nous intéresse aujourd'hui, échappe à ces deux qualificatifs.
Mais il est pour le moins préoccupant. Lorsqu'une règle commune a vocation
à être appliquée par de nombreuses juridictions, un consensus jurisprudentiel
n'est jamais anodin. Celui qui existe aujourd'hui en Europe sur la question de
l'effet direct des directives révèle la nécessité que vous vous interrogiez sur
la pérennité de la solution que vous avez retenue le 22 décembre 1978. Mais
il n'emporte pas à lui seul la solution, l'air du temps, même lorsqu'il émane
du concert des juridictions européennes, ne valant jamais argument de droit.
Nous sommes en effet convaincu, indépendamment de ces éléments de
contexte, que le temps est venu d'abandonner la jurisprudence Cohn-Bendit.
Comme nous vous l'avons dit, trois séries de raisons nous en convainquent.

La première tient à l'existence de nouvelles circonstances de droit qui


modifient sensiblement le cadre dans lequel se pose la question de
l'invocabilité des directives. Ces circonstances relèvent à la fois de l'ordre
communautaire et de l'ordre interne.

Dans l'ordre juridique communautaire, il n'est pas exagéré d'affirmer que les
États membres doivent être regardés comme ayant tacitement accepté la
jurisprudence de la Cour de justice. S'ils avaient souhaité faire échec à une
interprétation praeter legem de l'article 189 du traité, les États européens
auraient pu saisir l'occasion des traités de Maastricht, d'Amsterdam ou de
Nice pour marbrer dans la lettre du droit primaire l'absence totale d'effet
direct des directives. Il n'en a rien été, y compris à l'occasion de la
renumérotation de l'article 189 devenu article 249 du TCE. Or, nous relevons
que lorsqu'ils ont défini de nouvelles catégories d'actes adoptés dans le
cadre des piliers non communautaires, les auteurs des traités ont pris le soin
de définir expressément les limites de leurs effets juridiques. Dans le cadre
de la coopération policière et judiciaire en matière pénale, l'article 34 (ex.
article K3Note de bas de page(71)) du TUE définit les différentes mesures que
les États peuvent prendre pour favoriser la coopération au sein du troisième
pilier : il s'agit des positions communes, des décisions-cadres et des
décisions. La définition des décisions-cadresNote de bas de page(72), telle
qu'elle figure au b) du 2 de cet article 34, révèle l'analogie qui existe entre
celles-ci et les directives : « les décisions-cadres lient les États-membres
quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la
compétence quant à la forme et aux moyens ». Mais le b) comporte une
ultime précision selon laquelle « elles ne peuvent entraîner d'effet direct
»Note de bas de page(73). Les États membres ont ainsi souhaité clairement
faire obstacle, s'agissant des compétences non communautarisées, à la
possible transposition de l'interprétation qui avait prévalu dans le domaine
communautaire. Mais, qu'il s'agisse de la traduction d'une résignation face au
« droit accompli » ou d'une réelle adhésion aux constructions de la Cour, le
silence des auteurs du traité d'Amsterdam en ce qui concerne les directives
s'interprète, a contrario, comme une « approbation tacite »Note de bas de
page(74). Le traité modificatif adopté au sommet de LisbonneNote de bas de
page(75) conforte notre position. Le traité constitutionnel avait envisagé de
substituer une nouvelle classification des actes juridiques de l'UnionNote de
bas de page(76) : lois européennes, lois-cadres européennes, règlements
européens et décisions européennes. Cette innovation a été abandonnée
dans le Traité de Lisbonne qui conserve, au futur article 288 du traité sur le
fonctionnement de l'Union, l'actuelle nomenclature des actes juridiques.
L'article 289 introduit néanmoins une nouvelle distinction entre actes
législatifs et non actes non législatifsNote de bas de page(77). Notons que,
de même que, s'agissant des lois-cadres qui correspondaient aux directives,
le constituant s'était abstenu de toute précision sur leur effet direct ou
absence d'effet direct, le traité de Lisbonne est muet sur ce point. De
l'absence de toute réaction contraire des États membres, on peut donc
déduire que l'interprétation donnée par la jurisprudence de la Cour de justice
s'est incorporée à la lettre de l'article 249 du traité.

De nouvelles circonstances de droit sont également survenues dans notre


ordre juridique national.

L'obligation de transposition des directives dans l'ordre juridique interneNote


de bas de page(78) découle à la fois des dispositions de l'article 249 du Traité
instituant la Communauté européenne (TCE) et de l'article 10 du même
Traité aux termes duquel : « Les États membres prennent toutes mesures
générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations
découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la
Communauté ».

Mais il s'agit désormais aussi d'une obligation constitutionnelle en vertu de


l'article 88-1 de la Constitution aux termes duquel : « La République participe
aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États
qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer
en commun certaines de leurs compétences ». Par sa décision n° 2004-496
DC du 10 juin 2004 (loi pour la confiance dans l'économie numérique), le
Conseil constitutionnel, se fondant sur cette disposition issue de la révision
constitutionnelle du 25 juin 1992, a jugé que « la transposition en droit
interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence
constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'une
disposition expresse contraire de la Constitution ». Cette solution a été
réaffirmée et précisée notamment par la décision n° 2006-540 DC du 27
juillet 2006Note de bas de page(79) (loi relative au droit d'auteur et aux
droits voisins dans la société de l'information). Selon le Conseil
constitutionnel, l'article 88-1 exprime la reconnaissance par le Constituant à
la fois de l'acquis communautaire et de la valeur constitutionnelle de la
participation de la France à la construction européenne. Pour reprendre les
termes du professeur Xavier MagnonNote de bas de page(80), le droit
communautaire dérivé est désormais placé « sous la couverture
constitutionnelle de l'article 88-1 de la Constitution ». Vous avez jugé à votre
tour, par la décision Société Arcelor Atlantique et LorraineNote de bas de
page(81), que découle des dispositions de l'article 88-1 de la Constitution une
obligation constitutionnelle de transposition des directives, rehaussant par là
même la force juridique de ces dernières. L'ancrage constitutionnel de
l'obligation de l'État d'assurer la complète réception des règles posées par
une directive, sous la réserve de leur constitutionnalité, dissipe la crainte,
que vous pouviez nourrir en 1978, que votre contribution à leur plein effet
conduise à un affaiblissement de notre souveraineté juridique.

C'est donc à l'aune de cette double obligation, communautaire et


constitutionnelle, qu'il convient d'apprécier les conséquences à tirer d'une
carence de l'État dans la transposition d'une directive. Et pour ce faire, il
n'est pas insignifiant de relever que les États membres n'ont pas souhaité
remettre en cause l'équilibre défini, de manière prétorienne, par la Cour de
Luxembourg.

Parallèlement et, dans une certaine mesure, consécutivement à la


survenance de ces nouvelles circonstances de droit, votre office - et plus
précisément la conception que vous vous faites de votre propre rôle dans
l'application du droit communautaire - a notablement évolué.

Nous ne saurions mieux dire que Bruno Genevois lorsqu'il affirme, dans son
étude précitée à la RFDA, que « le Conseil d'État a abandonné son
appréhension hexagonale du Traité de Rome au profit d'une vision
communautaire ». Outre les évolutions jurisprudentielles dont nous nous
sommes fait l'écho, en témoigne votre pratique du renvoi préjudiciel,
désormais en parfaite harmonie avec les arrêts de la CJCE Cilfit du 6 octobre
1982 et Foto-Frost du 22 octobre 1987 - et tout particulièrement votre
décision Société De Groot en Slot Allium B. V. et autresNote de bas de
page(82) par laquelle, abandonnant votre décision Office national industriel
des céréales (ONIC)Note de bas de page(83), vous avez jugé « qu'alors même
qu'elle ne faisait pas l'objet du renvoi préjudiciel, l'interprétation du traité et
des actes communautaires que la Cour était compétente pour donner en
vertu du a et du b de l'article 234 du TCE s'impose au Conseil d'État ». Ayant
pris toute la mesure de votre fonction de juge communautaire de droit
commun, vous n'hésitez plus à conférer leur pleine portée aux procédures
institutionnalisées de coopération.
Votre décision GestasNote de bas de page(84) constitue une autre illustration
de la complète assimilation de la responsabilité qui vous incombe dans le
respect de la règle communautaire et la garantie de son application
uniforme. Après avoir rappelé que l'autorité qui s'attache à la chose jugée
s'oppose à la mise en jeu de la responsabilité de la puissance publique dans
les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la
décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitiveNote de
bas de page(85), vous avez fait exception à cette règleNote de bas de
page(86) en admettant que la responsabilité de l'État puisse être engagée
dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d'une
violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des
droits à des particuliers. Cette solution souligne la part que vous prenez
désormais dans la protection des droits subjectifs des ressortissants
communautaires.

Enfin, vos décisions Arcelor et Conseil national des barreauxNote de bas de


page(87), qui définissent respectivement les modes de contrôle de la
constitutionnalité et de la conventionnalité des directives, reflètent, de
manière emblématique, le rôle que vous tenez dans l'interprétation et
l'application des règles qui composent l'espace juridique européen.

À notre sens, ces évolutions conduisent naturellement à ce que vous


modifiiez le fondement théorique de la réponse à apporter à la question de
l'effet direct des directives.

Il y a trente ans, vous avez appréhendé cette question du point de vue de la


répartition des compétences entre les institutions communautaires et les
États membres. De ce point de vue, il était cohérent de clairement marquer
la distinction entre les règlements et les directives, les premiers
correspondant aux domaines de compétences transférées tandis que les
secondes constituent des instruments d'harmonisation des règlementations
nationales dans les secteurs de compétence encadrées ou coordonnées.
Dépositaires scrupuleux de la lettre du traité, vous étiez, par là même,
gardiens des souverainetés nationales. On peut également y déceler, ainsi
que le fait Yannick Galland, une « autolimitation du juge administratif face
aux directives communautaires »Note de bas de page(88) : si « le juge
administratif entend se limiter à sanctionner l'inobservation par les autorités
nationales des normes communautaires adoptées par la voie de directives »,
c'est parce qu'il « refuse d'effectuer la transposition des directives en lieu et
place des autorités nationales et plus généralement évite d'avoir à choisir
l'une des interprétations possibles des directives afin de ne pas gêner l'action
des détenteurs des pouvoirs législatif et réglementaire ». Cette position de
principe était historiquement justifiée, tant au regard du contexte politique
que des dérives qu'étaient alors susceptibles d'entraîner des constructions
jurisprudentielles aux limites encore insuffisamment marquées. Votre refus
éclatant de suivre la Cour de Luxembourg a été fructueux dans la mesure où
il conduit cette dernière à préciser, autour de la figure de l'invocabilité de
substitution, dans quelles conditions une directive non transposée pouvait
engendrer un effet direct.

Le fait d'assumer pleinement votre office de juge communautaireNote de bas


de page(89) appelle un renversement de perspective. Il nous semble
qu'aujourd'hui, la question de la justiciabilité des directives ne doit plus être
posée seulement en termes de distribution des pouvoirs mais aussi
d'allocations des droits.

À vous en tenir au seul débiteur de l'obligation, à savoir l'État membre, il


était logique de juger que les directives sont dépourvues d'effet vertical
ascendant : si l'on considère que les directives s'adressent aux seuls États et
ne fait obligation qu'à eux, il s'ensuit que les particuliers ne sont pas les
sujets de la règle de droit et n'ont pas vocation à se la voir immédiatement
appliquer. Ainsi que l'explique Christine Maugüé, dans ses conclusions sur
votre décision précitée SA Lilly France : « si les directives sont susceptibles
de produire des effets en droit interne, ce n'est pas, selon vous, parce
qu'elles engendrent directement des droits en faveur des particuliers, à
l'instar des accords internationaux auxquels vous reconnaissez un effet
direct. La logique de votre raisonnement est autre : vous considérez que
l'article 189 du Traité de Rome impose aux autorités nationales d'adapter la
réglementation et la législation nationales aux directives et c'est l'absence de
respect de cette obligation que vous censurez en faisant produire des effets
aux directives à l'encontre des lois et règlements ».

Mais tout change si vous vous placez du point de vue des titulaires des droits.
Il s'agit de l'approche retenue, depuis l'origine, par la Cour de Luxembourg et
tout vous conduit à la faire vôtre aujourd'hui, afin d'assurer le plus
efficacement possible le plein respect des règles communautaires. Cette
approche repose sur la spécificité de la construction communautaire dont les
mécanismes affectent non seulement les États mais aussi leurs
ressortissants, sur l'idée même de Communauté dont l'existence dépend
autant sinon plus des citoyens justiciables que des autorités nationales. C'est
cette idée que formule, en des termes évocateurs, l'arrêt Van Gend en Loos
du 5 février 1963 en rappelant que les sujets de ce « nouvel ordre juridique »
sont « non seulement les États membres mais également leurs ressortissants
» pour en déduire que « le droit communautaire, indépendant de la
législation des États membres, de même qu'il crée des charges dans le chef
des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans
leur patrimoine juridique ». Cette logique est parfaitement décrite par Denys
Simon, dans son ouvrage précité : « [...] en imposant des obligations aux
États membres, les traités font naître, par une sorte d' « effet réflexe », des
droits au profit des individus qui doivent pouvoir exiger que le respect des
obligations souscrites par les États membres soit assuré par les tribunaux
nationaux ».

Or, « la vigilance des particuliers à la sauvegarde de leurs droits », que


mentionne l'arrêt Van Gend en Loos, resterait lettre morte sans le secours du
juge. De ce point de vue, l'effet direct des directives, c'est-à-dire leur
aptitude à faire naître directement des droits subjectifs dans le chef des
particuliers dont ceux-ci peuvent se prévaloir devant les juridictions
nationales, constitue incontestablement une des clefs de l'intégration
juridique. Ainsi que l'expose Robert Lecourt, dans son ouvrage L'Europe des
jugesNote de bas de page(90) : « Lorsque le particulier s'adresse à son juge
pour faire reconnaître le droit qu'il tient des traités, il n'agit pas seulement
dans son intérêt propre, il devient par là même une sorte d'agent auxiliaire
de la Communauté. En s'armant de la règle commune et en invitant son juge
à la lui appliquer, il donne à celui-ci l'occasion de la faire pénétrer dans
l'ordre juridique interne. Par son fait, elle devient alors élément effectif du
patrimoine juridique national ».

Mais si le droit communautaire est, dans son ensemble, virtuellement apte à


engendrer des droits dans le chef des particuliers, un certain nombre de
conditions techniques sont requises, comme nous l'avons vu, pour que le
juge national soit à même d'appliquer directement une directive.

La première condition tirée du défaut de transposition dans le délai prévu


souligne le caractère « pathologique » de l'hypothèse. C'est la traduction du
« principe d'estoppel »Note de bas de page(91) largement entendu : comme
l'explique le juge Pescatore, dans son article précité : « un État ne peut pas
se reconnaître à la fois lié par certaines obligations communautaires et délié
de les observer à l'égard de ceux qui sont soumis à son autorité ». La
seconde condition est relative à la nature de la disposition invoquée. Seule
une disposition « inconditionnelle et suffisamment précise », pour reprendre
les termes de l'arrêt Ratti, est susceptible d'être immédiatement appliquée
par le juge. Notons au passage que tant la jurisprudence du Conseil
constitutionnel que la vôtre ont consacré la notion de « dispositions précises
et inconditionnelles ». Denys Simon explique la fonction de cette condition
matérielle : elle « implique seulement que ne s'intercale, entre la norme
communautaire et le justiciable, aucun pouvoir discrétionnaire de nature à
ajouter au contenu normatif de la disposition communautaire susceptible de
faire écran entre cette dernière et le particulier ». En réalité, cette condition
traduit l'équilibre ménagé par la directive entre les institutions
communautaires et les autorités nationales : le degré de précision et le
caractère inconditionnel de la disposition en cause ne reflètent rien d'autre
que l'accord des secondes à avoir renoncé, au stade de l'adoption de la
directive, à toute marge d'appréciation ultérieure quant aux moyens de sa
mise en oeuvre. La pratique consistant à intervenir, par voie de directive,
dans les domaines de compétences transférées et à rédiger ces dernières de
manière de plus en plus détaillée et contraignante traduit l'acquiescement
des États-membres, dès l'élaboration des directives, à leur possible
application immédiate. Dans ces conditions, le juge auquel le particulier
demande l'application d'un droit dont il est rempli, en vertu de la réunion de
ces deux conditions, ne peut, sauf à méconnaître ses responsabilités dans la
pleine application du droit communautaire, lui en refuser le bénéfice. De ce
point de vue, l'application directe de la directive traduit moins un pouvoir du
juge national à l'encontre de son État qu'un devoir à l'égard de son
justiciable. À la carence de l'État ne saurait faire écho la défaillance du juge.

La dernière série de considérations sur laquelle nous fondons notre


proposition tient à l'efficacité inégalable de l'invocabilité de substitution par
rapport à l'invocabilité d'exclusion.

De nombreuses voix se sont élevées pour se réjouir qu'à la faveur des


ingénieuses évolutions de votre jurisprudence, les particuliers aient fini par
bénéficier, dans votre prétoire, d'une garantie des droits qu'ils tiennent du
droit communautaire équivalente à celle qu'ils obtiendraient au moyen de
l'invocabilité de substitution. Un tel constat a même conduit à réduire la
jurisprudence Cohn-Bendit à une simple « affirmation de principe »Note de
bas de page(92) ou encore à une « pétition de principe »Note de bas de
page(93).
Et quand bien même il ne s'agirait plus que d'une posture facilement
contournable grâce aux inépuisables ressources de la procédure, la bonne
administration de la justice commanderait de l'abandonner au profit d'une
solution plus directe, aisément accessible aux justiciables. L'intelligibilité du
droit implique aussi la recherche des solutions jurisprudentielles les plus
simples. Un tel argument pourrait ne pas suffire à vous convaincre.

Si nous sommes fermement convaincu qu'il y a lieu de revenir sur la solution


que vous avez adoptée le 22 décembre 1978, c'est que la présente affaire en
révèle, de manière indiscutable, la nécessité.

Dans la plupart des hypothèses, il est parfaitement exact de relever qu'en


l'état actuel de votre jurisprudence, l'invocabilité d'exclusion produit des
effets analogues à l'invocabilité de substitution. C'est le cas, par exemple,
dans la plupart des recours pour excès de pouvoir, grâce à l'élargissement du
spectre des exceptions d'incompatibilité auquel vous avez procédé. Mais,
dans certains litiges relatifs à des actes individuels, l'invocabilité d'exclusion
ne pourra jamais, en raison de la nature même de son dispositif, produire les
mêmes effets que l'invocabilité de substitution.

Chacun de ces deux mécanismes comporte trois étapes successives : si les


deux premières sont identiques, la dernière diffère nécessairement. La
première étape du raisonnement consiste, dans les deux cas, à confronter la
règle nationale (législation ou réglementation) ou l'absence de règle
nationale aux objectifs d'une directive. Dans l'hypothèse où une
incompatibilité est constatée entre celle-ci et ceux-là, la deuxième étape
consiste à écarter l'application de la règle contraire aux exigences
communautaires. Venons-en maintenant à la troisième étape : dans le
mécanisme de l'invocabilité d'exclusion, cette mise à l'écart de la règle ou de
l'absence de règle prive de fondement la décision individuelle attaquée qui
sera, pour ce motif, annulée ; dans le mécanisme de l'invocabilité de
substitution, l'exclusion du droit national entraîne l'application positive de la
règle posée par la directive - ce qui implique obligatoirement qu'elle soit
immédiatement applicable. Dans le contentieux de l'excès de pouvoir, vous
n'êtes en principe pas conduits, compte tenu des limites dans lesquelles se
déploie votre office, à aller jusqu'à ce dernier point. Et c'est pourquoi
l'annulation que vous prononcez sature l'espace du juridictionnellement
possible. Mais tel ne sera pas toujours le cas selon la structure des litiges que
vous aurez à trancherNote de bas de page(94).

Dans le contentieux de la pleine juridictionNote de bas de page(95) où vous


pouvez être amenés à réformer la décision litigieuse, seule l'invocabilité de
substitution peut vous permettre de faire directement application des
dispositions de la directive. Et nous relevons d'ailleurs que c'est ce que fait
en pratique, sans l'assumer en théorie, votre décision SARL IMINote de bas de
page(96) dans laquelle vous avez reconnu, après avoir écarté toutes les
règles de droit interne, la possibilité d'accorder une exonération de TVA au
cas par cas, en faisant directement application des critères de la 6e directive
du 17 mai 1977.

Dans la présente affaire, la requérante n'invoque l'article 10 de la directive


du 27 novembre 2000 qu'à la seule fin que vous fassiez application au litige,
sans attendre la loi du 27 mai 2008, de l'aménagement de la charge de
preuve qu'elle institue. Or, vous ne seriez susceptibles de la faire bénéficier
de cette règle qu'au prix de la reconnaissance de son effet direct.
L'invocabilité d'exclusion ne saurait, par nature, conduire au même résultat.
Certes, dans votre décision précitée Tête, vous avez indiqué, par une incise,
que la communauté urbaine aurait pu, d'elle-même, prendre des mesures de
publicité compatibles avec les objectifs de la directive du 18 juillet 1989,
conférant ainsi une forme d'effet juridique à cette dernière. Mais il ne s'agit
pas là d'effet direct. Vous vous êtes bornés à rappeler aux autorités
compétentes qu'il leur appartient, dans l'attente de la transposition d'une
directive, de prendre toutes les mesures qui assurent, dans la mesure du
possible et notamment dans la limite de leurs compétencesNote de bas de
page(97), le respect de la règle communautaire. Vous avez ainsi délivré un
mode d'emploi préventif de nature à remédier, provisoirement, à la
défaillance du droit nationalNote de bas de page(98). La reconnaissance de
l'effet direct revêtirait une toute autre portée : elle permettrait au juge de
faire lui-même immédiatement, à titre curatif, application au litige de la règle
communautaire invoquée. C'est là que réside toute la portée, toute l'utilité de
l'invocabilité d'exclusion.

C'est donc résolument que nous vous invitons à abandonner la jurisprudence


Cohn-Bendit. Cette solution présente, à notre sens, trois séries d'avantages.

En premier lieu, en levant le dernier de point de crispation entre votre


jurisprudence et celle de la Cour de Luxembourg, elle vous fait participer,
sans dissonance aucune, au choeur des juridictions européennes.

Admettre, dans les conditions ci-dessus définies, l'effet direct d'une directive,
respecte, en deuxième lieu, parfaitement la logique juridique. La
détermination de l'effet d'une norme dépend des destinataires de la règle
posée. S'agissant des directives, il convient de bien distinguer les débiteurs
de l'obligation de faire que sont les États-membres des destinataires finaux
de la règle qui peuvent être les particuliers. Lorsque la directive pose un droit
à leur profit, que celui-ci est défini de manière claire, complète, précise et
inconditionnelle et que l'État a manqué à son obligation de transposition, les
particuliers tirent de leur qualité de destinataire de la règle la faculté de s'en
prévaloir devant le juge. Et s'ils peuvent l'invoquer à l'encontre de l'État, c'est
précisément en raison de sa qualité d'obligé. Mais le caractère exclusif de
cette qualité implique que ce droit subjectif ne peut être invoqué qu'à son
encontre. C'est pourquoi l'effet direct ne peut être que vertical ascendant.
Par nature, il ne pourra jamais être ni vertical descendant ni horizontal.

En troisième et dernier lieu, l'abandon de la jurisprudence Cohn-Bendit


confère sa pleine portée à l'objet de la construction communautaire en
faisant du juge, autant que nécessaire, le relais des droits subjectifs des
particuliers. Ainsi que le relève, Robert Delcourt, dans son ouvrage précité, «
c'est le juge qui, en assurant [à la règle commune] une même application en
tous les États membres tisse, jour après jour, la trame juridique et pratique
qui lie entre eux leurs peuples ». Vous tiendrez votre rôle, sans en excéder
les limites, en acceptant, afin de garantir l'« effet utile » de la règle
communautaire, de vous faire l'instrument supplétif de sa pénétration
effective dans notre ordre juridique.

Si vous suivez, vous jugerez qu'une personne- qu'elle soit physique ou


morale- peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte
administratif non réglementaireNote de bas de page(99), des dispositions
précises et inconditionnelles d'une directive lorsque l'État n'a pas pris, dans
les délais, les mesures d'exécution imposées par cette directive.

La reconnaissance de ce mode de justiciabilité renforcée ne sera toutefois


pas sans limite. En premier lieu, vous devrez vérifier, si vous y invités, que la
directive invoquée est valide, c'est-à-dire qu'elle respecte le bloc de légalité
communautaire mais, également, les droits protégés par la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et la Constitution
française. Ce contrôle peut vous conduire, le cas échéant, à saisir la CJCE
d'une question préjudicielle. Il y a une forte cohérence, selon nous, à ce qu'à
vos décisions Arcelor et Conseil national des Barreaux (CNB), qui permettent
un contrôle étroit de la validité des directives, succède une solution qui vous
conduit à conférer à celles-ci tout leur effet utile. En second lieu,
l'appréciation du caractère précis et inconditionnel de la disposition en cause
relève au premier chef de votre responsabilité. Nous vous invitons à retenir
une acception stricte de cette qualité de la disposition invoquée qui nous
semble souhaitable afin de préserver votre légitimité dans l'application
directe d'une directive. C'est à cette condition en effet que sera évité le
double risque d'un empiètement des institutions communautaires dans le
domaine de compétence des autorités normatives nationales et d'une
attitude usurpatoire du juge.

RFDA 2009 p. 1125

La présente affaire illustre précisément les limites de l'invocabilité de


substitution qui sont inhérentes aux conditions requises pour sa mise en
oeuvre.

La première condition tenant à la défaillance de la France dans la


transposition est remplie. A la date d'expiration du délai de transposition,
fixée au 2 décembre 2003 par l'article 18 de la directiveNote de bas de
page(100), la directive n'avait fait l'objet d'aucune mesure de transposition et
tel était encore le cas le 29 août 2006, date de l'arrêté attaqué.

Tel n'est pas le cas en revanche de la seconde condition. Le cinquième


paragraphe de l'article 10 de la directive invoquée précise en effet que « les
États membres peuvent ne pas appliquer le paragraphe 1 aux procédures
dans lesquelles l'instruction des faits incombe à la juridiction ou à l'instance
compétente ». Cette possible exception est éclairée par le paragraphe 32 de
l'exposé des motifs de la directive qui précise que « les procédures ainsi
visées sont celles dans lesquelles la partie demanderesse est dispensée de
prouver les faits dont l'instruction incombe à la juridiction ou à l'instance
compétente ». Compte tenu du caractère inquisitorial de la procédure devant
la juridiction administrative française, nous rangeons sans hésitation les
procédures portées devant vous parmi celles qui sont visées par cette clause
finale.

La jurisprudence de la Cour de justice permet de cerner les contours du


critère d'inconditionnalité. Le maintien d'une compétence des États membres
pour la mise en oeuvre de la règle, du point de vue procédural, n'en exclut
pas l'effet direct dès lors que, sur le fond, ils ne disposent d'aucune faculté
d'en conditionner ou d'en restreindre l'applicationNote de bas de page(101).
Mais il en va autrement lorsque les États restent compétents pour définir des
conditions de fondNote de bas de page(102). Il en est de même lorsque la
directive laisse aux États membres le choix, pour assurer sa mise en oeuvre,
entre plusieurs options possibles.

Tel est précisément le cas dans notre affaire. L'article 10 de la directive


invoquée n'affecte pas, eu égard à la réserve que comporte son paragraphe
5, la compétence laissée aux États membres pour décider du régime
applicable aux procédures dans lesquelles l'instruction des faits incombe à la
juridiction. Dans la mesure où elles ne sont pas inconditionnelles, nous
considérons que les dispositions de cet article sont dépourvues d'effet direct
devant la juridiction administrativeNote de bas de page(103). Sans incidence
sur ce point est le fait que, lors de sa transposition, le législateur n'ait pas fait
jouer cette exception. L'option ouverte par la directive elle-même retire à la
règle posée à l'article 10 tout caractère auto-suffisantNote de bas de
page(104). S'il subsiste un interstice normatif entre la règle posée par la
directive et la possibilité de sa mise en oeuvre, seules les autorités
nationales, pouvoir législatif ou réglementaire selon les cas, peuvent
compétemment le combler.

Dans la mesure où, d'une part, la disposition invoquée de la directive du 27


novembre 2000 n'est pas d'effet direct et, d'autre part, la loi du 27 mai 2008
n'est pas applicable, ratione temporis, au litige, vous devez régler le litige
indépendamment de la règle d'aménagement de la preuve que la première
pose et que la seconde transpose.

La question de la preuve dans le contentieux de l'excès de pouvoir, si elle


revêt une grande importance pratique, se laisse difficilement appréhender
sur le plan théorique. Il n'existe aucune disposition générale équivalente à
l'article 9 du nouveau code de procédure civile qui dispose qu' : « il incombe
à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au
succès de sa prétention ».

En contentieux administratif, il n'existe pas, à proprement parler, de charge


de la preuveNote de bas de page(105). Bernard Pacteau explique, dans son
fascicule sur « La preuve » au répertoire Dalloz, les raisons de la répartition,
en contentieux administratif, des charges de la preuve entre les parties : si «
le principe actori incumbit probatio se justifie de lui-même, y compris dans le
procès administratif », il est nécessaire, en raison du « rapport d'inégalité qui
caractérise les relations entre l'individu et la puissance publique », d'
«aménager [et d'] assouplir le régime de la preuve, compte tenu des
situations autant que des comportements des parties ». La situation
intrinsèquement inégalitaire dans laquelle se présentent les litiges portés
devant vous est compensée par le caractère inquisitorial de l'instruction qui
vous laisse une réelle latitude pour recueillir, outre les pièces du dossier, les
éléments propres à asseoir votre conviction. Pour tenter de résumer l'état de
votre jurisprudence, nous ne saurions mieux faire que citer Jacques Arrighi de
Casanova, dans ses conclusions sur votre décision précisée Société Prodes
International lorsqu'il la présente comme « fondée en quelque sorte sur la
nature des choses, d'où il résulte que la charge de fournir les pièces et
justifications nécessaires à la solution d'un litige ne peut incomber qu'à la
partie qui est seule en mesure de le faire ». À cela s'ajoute la souplesse du
droit de la preuve devant vous : vous acceptez de vous fonder sur toutes
sortes d'éléments, de pièces ou documents, de sources, d'informations ou
encore d'indices. Mais cette liberté que vous vous accordez de tenir compte
de tous moyens de preuve trouve sa limite dans le respect du principe de
loyauté de la preuveNote de bas de page(106).

Devant vos sous-sections réunies, nous avions constaté les limites des outils
de contrôle dont dispose le juge de l'excès de pouvoir lorsqu'il est soutenu
devant lui qu'une décision administrative est empreinte de discrimination,
sauf à ce que l'élément qui révèle l'existence de la discrimination alléguée
ressorte clairement des pièces du dossier. C'est ainsi que, dans votre
décision El HaddiouiNote de bas de page(107), vous avez annulé la
délibération du jury du concours interne d'officier de la police nationale parce
qu'il ressortait « des pièces du dossier que, lors de l'entretien d'évaluation
qui était au nombre des épreuves d'admission subies par M. El Haddioui, le
jury lui a posé plusieurs questions portant sur son origine et sur ses pratiques
confessionnelles ainsi que sur celles de son épouse »Note de bas de
page(108). Mais de telles flagrances sont peu fréquentes.
S'agissant de la lutte contre les discriminations, le droit international et, en
particulier, le droit européen ont constitué de puissants aiguillons. L'approche
française de la question reposait traditionnellement sur le principe d'égalité
de traitement.

Au plan communautaireNote de bas de page(109), c'est le traité


d'Amsterdam qui a procédé à l'élargissement des compétences de l'Union
européenne en matière de lutte contre les discriminations. Un train de
directives a été adopté dans ce domaine. S'agissant de la discrimination
directe, les différentes directives communautaires retiennent la définition
suivante : « une discrimination directe se produit lorsqu'une personne est
traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le
serait dans une situation comparable » en application d'un critère de
distinction prohibé.

En droit interne, la question s'appréhende sous le prisme du principe


constitutionnel d'égalité. Celui-ci est énoncé, sous différentes formes, par la
Constitution elle-même (en particulier son article 1erNote de bas de
page(110)), par plusieurs alinéas du Préambule de 1946 et par la Déclaration
des droits de l'homme. Depuis sa décision n° 51 DC du 27 décembre 1973, le
Conseil constitutionnel a fait de nombreuses applications du principe
d'égalité, notamment dans ses déclinaisons relatives à l'égale admission
dans les emplois publics et l'égalité de traitement dans le déroulement de la
carrièreNote de bas de page(111). S'agissant de votre jurisprudenceNote de
bas de page(112), nous nous bornerons à citer votre décision BarelNote de
bas de page(113), sur laquelle nous reviendrons dans un instant, qui censure
la méconnaissance du principe de l'égalité de l'accès de tous les Français aux
emplois et fonctions publics que constitue le fait d'avoir écarté un candidat
de la liste de ceux admis à concourir en se fondant exclusivement sur ses
opinions politiques.

De votre jurisprudenceNote de bas de page(114) comme de celle du juge


constitutionnel, il ressort qu'une inégalité de traitement peut légalement
reposer soit sur l'existence d'une différence de situationNote de bas de
page(115) soit sur celle d'un motif d'intérêt général. Mais il existe des
distinctions interdites qui ne sauraient, dans aucun cas, justifier une inégalité
de traitement. La plupart découlent du bloc de constitutionnalitéNote de bas
de page(116) ; certaines figurent dans des règles législatives (notamment les
articles L. 122-45 du code du travail et 225-1 du code pénal). Leur
méconnaissance engendre une discrimination directeNote de bas de
page(117). Cette notion est ainsi définie par la loi du 27 mai 2008 : «
Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le
fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou
supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son
handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de
manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été
dans une situation comparable ».

Mais il n'est pas toujours aisé pour les victimes d'un comportement
discriminatoire, par nature inavouable, d'en rapporter la preuve. Idem est
non esse et non probari. L'appréhension juridique en général, et judiciaire en
particulier, des discriminations pose donc au premier chef la « question de la
preuve »Note de bas de page(118).

C'est pourquoi un certain nombre de juridictions n'ont pas hésité à faire


montre d'une forme d'audace dans l'adaptation de leur grille de contrôle et
de leurs règles jurisprudentielles à la spécificité de la discrimination.

La Cour de Luxembourg a été pionnière en la matière. Dès son arrêt H.K. c/


Danfoss du 17 octobre 1989, faisant application de la directive du 10 février
1975 sur l'égalité de rémunération entre travailleurs masculins et féminins,
elle relève que « le souci d'efficacité qui sous-tend la directive doit conduire à
interpréter celle-ci comme impliquant des aménagements aux règles
nationales relatives à la charge de la preuve dans les situations particulières
où ces aménagements sont indispensables à la mise en oeuvre effective du
principe d'égalité (§ 14). Dans son arrêt Enderby du 27 octobre 1993, elle
précise la marche à suivre : après avoir rappelé que « la charge de prouver
l'existence d'une discrimination de rémunération fondée sur le sexe incombe
en principe au travailleur qui, s'estimant victime d'une telle discrimination,
engage une action juridictionnelle contre son employeur », elle précise qu'il
ressort de sa jurisprudence « que la charge de la preuve peut être déplacée
lorsque cela s'avère nécessaire pour ne pas priver les travailleurs victimes de
discrimination apparente de tout moyen efficace de faire respecter le
principe de l'égalité des rémunérations » et en conclut que « dans une
situation de discrimination apparente, c'est à l'employeur de démontrer qu'il
existe des raisons objectives à la différence de rémunération constatée ».
La Cour de cassation, confrontée à la même question, a suivi un
cheminement analogue. S'agissant des articles L. 133-5 et L. 136-2 du code
du travail, la chambre sociale a ainsi jugé « qu'il appartient au salarié qui se
prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge des
éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe
d'égalité de traitement entre hommes et femmes et qu'il incombe à
l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire de cette mesure,
d'établir que la disparité de situation ou la différence de rémunération
constatée est justifiée par des critères objectifs, étrangers à toute
discrimination fondée sur le sexe »Note de bas de page(119). Par un arrêt du
28 mars 2000Note de bas de page(120), la même chambre sociale a jugé «
qu'il appartient au salarié syndicaliste qui se prétend lésé par une mesure
discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de
caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement et qu'il incombe
à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé
au syndicaliste, d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée
par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination fondée sur
l'appartenance à un syndicat ». En revanche, la chambre criminelle a jugé
que les dispositions des articles 225-2 du code pénal et L. 412-2 du code du
travail concernant les délits de discrimination et d'entrave à l'exercice du
droit syndical n'instituent aucune dérogation à la charge de la preuve en
matière pénale qui incombe à l'accusationNote de bas de page(121).

Dans ces conditions, nous estimons qu'eu égard tant à la rigueur des
exigences qui s'attachent au principe à valeur constitutionnelle de l'égalité
de traitement qu'aux difficultés particulières propres à la caractérisation
d'une discrimination, il vous appartient, à l'instar de ce qu'a su faire le juge
judiciaire, de faire évoluer spontanément vos règles jurisprudentielles
relatives à l'administration de la preuve.

Vous ne partez pas de rien.

Vous avez toujours appréhendé la question de la preuve en tenant compte


des pouvoirs inquisitoriaux dont vous disposez dans la conduite de
l'instructionNote de bas de page(122). Votre décision Couespel du MesnilNote
de bas de page(123) indique ainsi « qu'il appartient au Conseil d'État, saisi
d'un recours pour excès de pouvoir, d'exiger de l'administration compétente
la production de tous documents susceptibles d'établir sa conviction et de
nature à permettre la vérification des allégations du requérant ». Au-delà des
mesures d'instruction réglementées par les textes (qui figurent aujourd'hui
au livre VI du code de justice administrative), vous vous êtes reconnus la
faculté de prescrire toutes les investigations supplémentaires vous paraissant
utiles à la résolution du litige.

Vous utilisez les pouvoirs dont vous disposez dans la conduite de l'instruction
pour faire participer le défendeur à l'établissement des preuves. Comme
l'explique Bernard Pacteau, dans son article précité : « [...] en pratique, ses
silences sont mis à son débit ; ses réticences à s'expliquer et à participer à
l'instruction du procès se transforment en charges contre lui ; son
impuissance, ou en tout cas sa carence, font présumer le bien-fondé des
prétentions, allégations et revendications du demandeur ». En constitue une
illustration le mécanisme de l'acquiescement implicite du défendeur aux faits
exposés par le requérant, aujourd'hui codifié à l'article R. 612-6 du code de
justice administrative.

D'une manière générale, vous tenez compte du silence ou de la mauvaise


volonté manifestés par l'administration, en dépit de la demande que vous lui
avez adressée d'apporter les informations nécessaires à l'instruction de
l'affaire. Dans votre décision précitée Barel, après avoir relevé qu'aucune
suite n'avait été donnée à votre demande de production des dossiers des
candidats, vous en avez déduit que « le motif allégué par les auteurs des
pourvois devait être regardé comme établi »Note de bas de page(124). Les
conclusions de Maxime Letourneur sont éloquentes : « [...] rapproché des
présomptions très fortes fournies par les requérants, le silence du ministre ne
peut s'interpréter que comme un aveu formel de l'exactitude de l'affirmation
des intéressés selon laquelle le motif de leur exclusion est un motif politique.
Ce motif erroné en droit nous paraît ainsi établi et vous pouvez prononcer
l'annulation des décisions attaquées ». Ce mode de contrôle, que vous
exercez non seulement sur les faits litigieux mais également sur les motifs
retenus par l'administrationNote de bas de page(125), découle directement
de votre qualité de maître de l'instruction. Il est parfaitement décrit par le
commissaire du gouvernement Lasry, dans ses conclusions sur la décision
Sieur LévyNote de bas de page(126) : « lorsque le raisonnement vous
permet, à partir d'un certain nombre de circonstances directement prouvées
ou non contestées, de déduire de ces circonstances, avec un degré de
certitude suffisant, la réalité du fait contesté ; ainsi procédez-vous lorsque le
fait litigieux est le motif réel, quoique non exprimé, d'une décision
administrative »Note de bas de page(127).

De ce courant jurisprudentiel plus que quinquagénaire qui témoigne de votre


capacité à mobiliser l'ensemble des ressources de la procédure inquisitoire,
nous retirons que vous assumez pleinement vos responsabilités
juridictionnelles lorsque le respect du principe de l'égalité de traitement est
en cause. Et c'est donc sans hésitation que nous vous invitons à modifier,
sans attendre l'application de la loi du 27 mai 2008, les règles
d'administration de la preuve lorsque le sort d'un litige est lié à l'existence ou
à l'absence d'une discrimination. Nul obstacle de principe ne s'oppose à ce
qu'une telle évolution se fasse par la voie prétorienne. Le régime de la
preuve a été bâti, comme nous l'avons vu, par la jurisprudence.
L'approfondissement de votre contrôle que nous vous proposons de retenir
ne sera en délicatesse ni avec les exigences de la directive du 27 novembre
2000 ni avec l'article 4 de la loi de 2008 qui en assure la transposition. En
effet, il s'agit, en quelque sorte, d'une anticipation spontanée de la logique
du mode probatoire consacré par ces textes. Les modalités de répartition des
charges de la preuve que vous définirez, si vous nous suivez, s'inspirent
directement de l'article 4 de la loi du 27 mai 2008Note de bas de page(128).
En les adoptant, vous vous placez, par avance, en cohérence avec la loi,
assurant du même coup, de manière indirecte, la réception des exigences
communautairesNote de bas de page(129). En dégageant ainsi une forme de
guide d'application de celle-ci, vous éclairerez en outre les juridictions du
fond. Ce ne serait pas la première fois qu'en anticipant, de manière
prétorienne, l'entrée en vigueur d'un dispositif annoncé, vous assureriez, de
manière pédagogique et préventive, l'application uniforme d'une règle
législative. En abandonnant la jurisprudence Amoros, sous l'empire du sursis
à exécution, par votre décision OuatahNote de bas de page(130), vous avez
ainsi délivré, 11 jours avant l'entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000, un
utile mode d'emploi à l'ensemble des juges des référés s'agissant des
conditions et des effets de la suspension de l'exécution d'une décision de
rejet.

La définition d'un nouveau régime de la preuve, se situant dans le


prolongement direct de la jurisprudence Barel, suppose que vous teniez
compte des jurisprudences de la CJCE et du Conseil constitutionnel qui
fournissent, pour ce faire, un cadre utile.

Nous puisons dans la jurisprudence, tant communautaire que


constitutionnelle, de précieuses indications sur la marche à suivre.

La Cour de Luxembourg a en effet été saisie d'une question préjudicielle


quant à l'interprétation de la directive 2000/43 du 29 juin 2000 relative à
l'égalité de traitement des personnes sans distinction de race ou d'origine
ethnique, dont l'article 8 est l'exacte duplique de l'article 10 de la directive
du 27 novembre 2000. Par un arrêt du 10 juillet 2008, la Cour a défini un
mode d'application de la règle du renversement de la charge de la preuve :
elle y précise tout d'abord que « l'obligation d'apporter la preuve contraire,
qui pèse sur l'auteur présumé d'une discrimination, n'est subordonnée qu'au
seul constat d'une présomption de discrimination dès lors que celle-ci est
fondée sur des faits établis », puis ajoute qu' « il appartient à la juridiction de
renvoi de vérifier que les faits reprochés sont établis et d'apprécier si les
éléments apportés au soutien des affirmations dudit employeur selon
lesquelles il n'a pas violé le principe de l'égalité de traitement sont suffisants
».

En second lieu, le Conseil constitutionnel a été invité à apprécier la


constitutionnalité de nouvelles règles de preuve, insérées à l'article 1er de la
loi du 6 juillet 1989Note de bas de page(131) et au nouvel article L. 122-52
du code du travailNote de bas de page(132). Par sa décision n° 2001-455 DC
du 12 janvier 2002, il a admis la constitutionnalité de ces dispositions au
regard du principe constitutionnel du respect des droits de la défense, au prix
des réserves d'interprétation suivantes : « les règles de preuve plus
favorables à la partie demanderesse instaurées par les dispositions critiquées
ne sauraient dispenser celle-ci d'établir la matérialité des éléments de fait
précis et concordants qu'elle présente au soutien de l'allégation selon
laquelle la décision prise à son égard constituerait une discrimination en
matière de logement ou procéderait d'un harcèlement moral ou sexuel au
travail ; ainsi, la partie défenderesse sera mise en mesure de s'expliquer sur
les agissements qui lui sont reprochés et de prouver que sa décision est
motivée, selon le cas, par la gestion normale de son patrimoine immobilier ou
par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en cas de doute,
il appartiendra au juge, pour forger sa conviction, d'ordonner toutes mesures
d'instruction utiles à la résolution du litige » (§ 89). Vous devez
nécessairement interpréter la portée de la loi de 2008, qui constitue l'horizon
normatif pertinent, en tenant compte de ces réserves d'interprétation, dans
la ligne de votre décision LesourdNote de bas de page(133).

Prenant en compte les indications fournies par la CJCE et respectant les


limites fixées par le Conseil constitutionnel, nous vous invitons à retenir un
mode d'administration de la preuve qui confirme tout en la prolongeant la
logique de la jurisprudence Barel. Les éléments essentiels en sont repris : un
contrôle en deux temps, d'une part, et la liberté d'appréciation du juge, de
l'autre.
Un contrôle en deux temps. Le premier temps est naturellement celui du
requérant. Comme l'expliquait Jacques Arrighi de Casanova dans ses
conclusions précitées, il lui appartient « de mettre de son côté la
vraisemblance ». S'il se prétend lésé par une discrimination, il lui appartient
de soumettre au juge tous les éléments de fait dont il dispose à l'appui de ses
allégations. À ce stade, de deux choses, l'une. Si ces éléments sont de nature
à caractériser une discrimination, le juge en tirera immédiatement les
conséquences. Si les éléments sont seulement de nature à faire présumer
une atteinte au principe de l'égalité de traitement, l'existence d'une telle
présomption conduit au second temps, qui est celui du défendeur. Dans ce
cas, il incombe à celui-ci de produire tous éléments d'appréciation, de fait
comme de droit, vous permettant de vous assurer que la décision contestée
est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La liberté d'appréciation du juge. Comme l'expliquait Maxime Letourneur


dans ses conclusions sur la décision Barel, « le juge, directeur de l'instruction,
se déterminera en conscience, au vu des divers éléments de chaque espèce
». Cette responsabilité, propre à votre office de juge de l'excès de pouvoir,
s'exerce à chaque étape de votre contrôle. C'est à vous qu'il revient
d'apprécier si, du faisceau d'éléments produits par le requérant, naît ou non
une présomption sérieuse de discrimination. C'est à vous qu'il revient ensuite
de décider s'il y a lieu ou non d'ordonner au défendeur de produire tels
documents ou de communiquer tels motifs. En cas de silence ou de réponse
inopérante du défendeur, vous regarderez la discrimination présumée
comme établie - c'est l'application de Barel. Mais, et c'est l'innovation
qu'apporte la présente affaire, en cas de réponse opérante du défendeur,
c'est à vous qu'il incombe de décider si les éléments, de fait comme de droit,
qu'il avance sont étrangers à toute discrimination et, dans l'affirmative, s'ils
justifient la mesure litigieuse.

Dans la mesure où ce processus en deux étapes n'a d'autre objet que de


vous conduire à vous forger une conviction, il ne constitue pas à proprement
parler un renversement de la charge de la preuve. Le respect de l'égalité des
armes fait obstacle à ce que le défendeur soit contraint de rapporter une
preuve négative. Dans cette mesure, ce mode de contrôle reste en deçà de la
lettre de l'article 4 de la loi du 27 mai 2008 qui prévoit, que face à une
présomption de discrimination, « il appartient à la partie défenderesse de
prouver » le contraireNote de bas de page(134). Cela est nécessaire, eu
égard à la jurisprudence constitutionnelle. Cela est cohérent dès lors que
cette disposition provient de l'article 10 de la directive dont la logique est
plus nettement adaptée aux procédures accusatoires. Comme nous vous
l'avons dit, le législateur national n'a pas fait jouer la réserve qui y figure
s'agissant des procédures dans lesquelles le juge a la maîtrise de l'instruction
lors de la transpositionNote de bas de page(135). Cela ne doit pas faire
obstacle à ce que vous tiriez les conséquences des spécificités de votre
office. Le combat probatoire doit en effet respecter les droits de la défense et
s'adapter aux caractéristiques de la procédure inquisitoire.

C'est au fil des affaires dont vous serez saisis qu'il vous appartiendra de
préciser concrètement la marche à suivre. Comment traduire, dès
aujourd'hui, ces nouvelles modalités s'agissant du cas particulier des
décisions qui touchent, comme dans la présente affaire, au recrutement ou à
la promotion professionnelle ? Dès lors que le requérant apportera un
faisceau d'éléments de faits faisant naître une présomption de discrimination,
l'administration devra en défense apporter les éléments vous permettant de
vous assurer que la décision contestée est justifiée par la prise en compte
des seuls capacités, aptitudes et mérites des intéressés. Cela vous conduira
pour la première fois, dans pareille configuration, à devoir peser les mérites
respectifs du bénéficiaire de la décision attaquée et de ceux dont la
candidature n'a pas été retenueNote de bas de page(136).

Il est temps de faire application de cette grille de contrôle au cas de l'espèce.


Dans la mesure où la discrimination syndicale dont la requérante s'estime la
victime n'est révélée explicitement par aucune pièce du dossier, nous allons
procéder en suivant les deux temps que nous venons de vous décrire.

Quels sont les éléments de fait qu'avance Mme Perreux à l'appui de ses
allégations selon lesquelles sa candidature aurait été écartée en raison de
ses responsabilités syndicales?

L'intéressée fait d'abord valoir la qualité de sa candidature, qui est réelle, et


l'adéquation de ses compétences au profil du poste de chargé de formation
pour l'application des peines.

Elle évoque ensuite le contexte dans lequel le refus litigieux est intervenu. Un
faisceau de circonstances, dont l'exactitude matérielle n'est pas contestée,
plaide en faveur de ses allégations (voyez pour les conséquences à tirer
d'une réunion de circonstances, Sieur Lévy précité). Il s'agit respectivement
de la connaissance par l'administration de ses responsabilités syndicales
(déléguée de la section du Syndicat de la magistrature au TGI de Bordeaux),
du triple refus opposé à ses candidatures à l'ENM ainsi que des modalités
particulières du processus de nomination (notamment les nombreuses
prorogations des délais de candidature) et enfin de l'avis favorable à sa
nomination du directeur de l'ENM recueilli en vertu de l'article 10 du décret
du 21 décembre 1999. Selon cet avis en date du 25 avril 2006, « après un
examen attentif des candidatures [...] Mme Perreux présente le profil requis
pour occuper ces fonctions. Le parcours diversifié et l'expérience confirmée
dans des fonctions pénales et à l'application des peines de ce magistrat me
paraissent constituer des atouts importants pour la qualité de la formation
dispensée aux auditeurs de justice ».

Ajoutons que la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour


l'égalité (HALDE)Note de bas de page(137) a versé au dossier de la procédure
une délibération en date du 15 septembre 2008 en application de l'article 13
de la loi du 30 décembre 2004 modifiée. C'est la loi du 31 mars 2006 qui a
modifié cet article 13 qui prévoyait la faculté pour les juridictions d'inviter la
HALDE à présenter des observations en y insérant la disposition suivante : «
La haute autorité peut elle-même demander à être entendue par ces
juridictions ; dans ce cas, cette audition est de droit ». Ainsi que cela ressort
des travaux préparatoiresNote de bas de page(138), cette modification
repose sur la volonté que « la HALDE puisse sensibiliser les juges, voire les
alerter sur un dossier » afin de « sortir les discriminations de l'angle mort de
la justice ». S'agissant des procédures écrites comme la vôtre, le droit d'être
entendu se traduit par la communication de la délibération. Vous viserez la
délibération du 15 septembre 2008 et l'analyserez dans votre décision.
Ajoutons que si elle l'avait souhaité, la HALDE aurait pu recourir au ministère
d'un avocat aux conseils qui aurait éventuellement pu prendre la parole au
cours de l'audience. Dans cette délibération, la HALDE estime que « les deux
critères tenant à la compétence des candidats et aux contraintes de gestion
sur lesquels se fonde le pouvoir de nomination du garde des Sceaux ne
paraissent pas suffisants pour établir la transparence et l'objectivité de la
procédure de nomination » et ajoute qu' « en l'absence d'éléments objectifs
convaincants permettant de justifier les choix opérés par la chancellerie et de
toute motivation de la décision d'écarter la dernière candidature de Mme
Perreux alors que son parcours professionnel correspondait particulièrement
au profil recherché et que le directeur de l'École avait retenu sa candidature
laissent présumer l'existence d'une discrimination à son encontre à raison de
ses responsabilités syndicales dont il n'est pas contesté qu'elles étaient
connues de la Chancellerie à la date du rejet de sa candidature ».

Ces éléments sont suffisamment nombreux, précis et concordants pour faire


présumer l'existence d'une discrimination syndicale. On ne peut en effet
exclure que le ministre de la Justice se soit fondé sur des critères extérieurs
aux mérites des deux candidates pour procéder à la nomination litigieuse.

Dès lors que le garde des Sceaux a produit en défense en développant


devant vousNote de bas de page(139) les motifs qui l'ont conduit à préférer
nommer Mme Dunand plutôt que Mme Perreux, nous ne nous trouvons pas
dans une hypothèse du type Barel. Il vous revient donc d'apprécier, au vu des
éléments de la défense, si le choix opéré par le ministre de la Justice est ou
non justifié par des motifs tenant aux seuls capacités, aptitudes et mérites
respectifs des candidates.

Vous voilà ainsi conduits à effectuer une opération de contrôle inédite


consistant, pour apprécier le bien-fondé d'un moyen d'erreur de droit, à
comparer la valeur respective de deux agents publics.

Le ministre de la Justice a défendu en soutenant que la candidature de Mme


Dunand était meilleure que celle de Mme Perreux au triple motif qu'elle
possédait les compétences requises, notamment la maîtrise de l'anglais,
qu'elle présentait un profil personnel plus adapté au poste et enfin que
l'exigence de mobilité plaidait en faveur de sa nomination, Mme Perreux
étant affectée dans le ressort de la cour d'appel de Bordeaux depuis plus
longtemps qu'elle.

Vous ne tiendrez pas compte de ce dernier motif qui ne saurait légalement


être retenu pour procéder à une nominationNote de bas de page(140). Pour
le reste, nous estimons qu'il ressort des pièces que la préférence accordée à
la candidature de Mme Dunand est justifiée par des motifs tenant aux
mérites respectifs des candidates.

Certes, s'agissant de l'application des peines, son expérience professionnelle


- Mme Dunand, magistrate depuis 1995, était en charge depuis août 2004 de
l'application des peines au TGI de Périgueux -, est moindre que celle de Mme
Perreux mais l'analyse comparée des évaluations professionnelles des deux
magistrates révèle une absence de hiérarchie flagrante s'agissant de leurs
compétences respectives. Au titre de la période 2004-2005, Mme Dunand est
présentée comme « un magistrat dynamique, efficace et faisant preuve d'une
grande curiosité intellectuelle dans l'accomplissement de ses fonctions de
l'application des peines ». En outre, sa maîtrise de l'anglais correspond à
l'exigence de participation aux missions internationales de l'ENM qui est
mentionnée dans la fiche de poste figurant au dossier. Enfin, les
appréciations que comporte l'avis motivé en date du 10 avril 2006, établi,
conformément à l'article 12 du décret du 21 décembre 1999, par la
commission de recrutement mise en place par l'école nous convainquent que
Mme Perreux présente un profil moins adapté sur le plan des qualités
personnelles et pédagogiques que Mme Dunand. La commission, tout en
relevant le « choix motivé et réfléchi » de Mme Perreux et son « discours bien
argumenté et séduisant », décrit « une forte personnalité qui devra s'insérer
dans un fonctionnement d'équipe dont la dimension est importante à l'école
». En revanche, les appréciations portées sur la candidature de Mme Dunand
sont univoquement élogieuses : « si son exercice professionnel [dans les
fonctions de l'application des peines] est encore récent, elle a eu néanmoins
la charge de mettre en oeuvre les réformes nouvelles et importantes
intervenues dans le domaine de l'application des peines [...] au titre des
atouts supplémentaires que présente sa candidature, il faut citer sa parfaite
maîtrise de la langue anglaise [...] très enthousiaste pour un poste à l'école,
Mme Dunand-Fouillade, qui par le passé avait déjà manifesté son intérêt, a
réalisé un entretien convaincant sachant faire preuve de sens de l'écoute,
d'adaptabilité et d'une certaine modestie n'excluant pas toutefois une
autorité souriante. Ces éléments permettent de conclure qu'elle saura
s'intégrer à l'équipe pédagogique de l'école et pourra contribuer
efficacement et avec souplesse à son évolution ».

Ajoutons que Mme Dunand a produit devant vous des observations qui
attestent de sa motivation personnelle et confortent notre appréciation
s'agissant de ses qualités professionnelles.

Nous en déduisons que Mme Dunand était davantage en correspondance


avec les critères fixés préalablement dans la description du poste publiée par
l'école, tenant au fonctionnement et aux caractéristiques de l'équipe
pédagogique, ainsi qu'aux capacités linguistiques requises par ses missions
internationales.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, nous estimons que la présomption de
discrimination est renversée. Nous nous séparons ainsi de la position retenue
par la HALDE, dans sa délibération du 15 septembre 2008. Rappelons que
vous avez jugé que, lorsqu'elle émet des recommandations sans faire usage
de la possibilité dont elle dispose de leur assurer une publicité particulière, la
Haute autorité n'énonce pas, en principe, des règles qui s'imposeraient aux
personnes privées ou aux autorités publiques, mais recommande aux
personnes concernées les mesures qui lui semblent de nature à remédier à
tout fait ou à toute pratique qu'elle estime être discriminatoire, ou à en
prévenir le renouvellementNote de bas de page(141). La délibération du 15
septembre 2008 laisse donc entières votre liberté d'appréciation et votre
responsabilité juridictionnelle.

Nous admettons donc l'existence de justifications objectives renversant la


présomption tandis que la HALDE n'en décèle, pour sa part, aucune. Cette
divergence d'appréciation dans la présente affaire, qui ne doit occulter ni la
similitude des grilles de contrôle utilisées ni la reconnaissance, en l'espèce,
de l'existence d'une présomption de discrimination syndicale, n'ôte rien à
l'utilité de l'intervention de la HALDE dans son principe. Vos offices respectifs
sont clairement distincts : vos rôles ne peuvent, par nature, coïncider mais ils
se complètent. En vertu de la loi du 30 décembre 2004, la HALDE peut être
saisie ou se saisir d'office de tous les cas de discrimination, directe ou
indirecte. Pour en vérifier l'existence, cette autorité appréhende un contexte
global, jauge une pratique, éventuellement apprécie des agissements. Pour
déterminer s'il est discriminatoire, elle peut saisir un comportement dans la
durée. Cette façon de procéder, empirique, est particulièrement adaptée à la
détection des discriminations. La HALDE tient son rôleNote de bas de
page(142) lorsqu'elle dénonce les faits et pratiques qu'elle estime être
discriminatoires et, le cas échéant, formule des recommandations de nature
à y remédierNote de bas de page(143).

Mais vous devez tenir le vôtre. C'est à vous seul que revient la charge de
faire respecter le principe de légalité, y compris lorsque pèse sur la décision
attaquée devant vous une présomption de discrimination. C'est à cette fin
que nous vous avons invité à aménager, sans attendre l'application de la loi
du 27 mai 2008, les règles d'administration de la preuve. Si les éléments de
contexte sont pertinents pour caractériser une présomption de
discrimination, le juge de l'excès de pouvoir doit s'en tenir à l'appréciation de
la légalité intrinsèque de la décision attaquée. L'instruction de cette affaire
nous a conduit à forger notre conviction : nous pensons, au vu des
justifications objectives apportées par le ministre de la Justice, que, pris
isolément, le refus de nommer Mme Perreux à l'ENM que révèle l'arrêté du 29
août 2006 n'est empreint, en tant que tel, d'aucune discrimination syndicale.
Vous jugerez, si vous nous suivez, que le choix effectué par le ministre de la
Justice doit être regardé, compte tenu des qualités respectives de deux
candidates en lice, comme sans lien avec la discrimination alléguée. Dans ces
conditions, l'arrêté du 29 août 2006 n'est pas entaché d'erreur de droit, pas
davantage, eu égard aux considérations qui précèdent, qu'il n'est entaché
d'erreur manifeste d'appréciation. Dans la configuration dans laquelle se
présente le litige, le rejet du moyen d'erreur de droit qui a vous conduit à
exercer un contrôle entier s'agissant de la comparaison des deux
candidatesNote de bas de page(144) emporte a fortiori celui tiré de l'erreur
manifeste à avoir nommé Mme Dunand sur le poste litigieux.

Si vous nous suivez, vous rejetterez les conclusions dirigées contre l'arrêté du
29 août 2006 ainsi que, par voie de conséquence, celles tendant à
l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative.

Tel est le sens de nos conclusions sur la présente affaire.

Annexe

CE, ass., 30 oct. 2009, req. n° 298348

Mme Perreux

Considérant que Mme Perreux a demandé, dans sa requête introductive


d'instance, l'annulation, d'une part, du décret du 24 août 2006 portant
nomination dans la magistrature en tant qu'il la nomme vice-présidente,
chargée de l'application des peines, au tribunal de grande instance de
Périgueux, et en tant que, selon elle, il nommerait Mme Dunand au sein de
l'administration centrale, d'autre part de l'arrêté du 29 août 2006 du garde
des Sceaux, ministre de la Justice, portant nomination de Mme B, juge de
l'application des peines au tribunal de grande instance de Périgueux, en
qualité de chargée de formation à l'École nationale de la magistrature à
compter du 1er septembre 2006 ;

RFDA 2009 p. 1125


Sur les conclusions de la requête dirigées contre le décret du 24 août 2006
en tant qu'il nomme Mme Perreux vice-présidente, chargée de l'application
des peines, au tribunal de grande instance de Périgueux :

Considérant que, par un mémoire enregistré le 17 janvier 2007, la requérante


s'est désistée de ces conclusions ; qu'il convient de lui en donner acte ;

Sur la recevabilité des autres conclusions de Mme Perreux :

Considérant qu'à la suite de ce désistement, Mme Perreux a limité ses autres


conclusions à l'encontre du décret du 24 août 2006 à la contestation de la
nomination à l'administration centrale de Mme Dunand ; qu'en l'absence
d'une telle mesure dans le décret attaqué, que fait valoir à juste titre le garde
des sceaux, ministre de la justice, ces conclusions ne sont pas recevables ;
qu'en revanche Mme Perreux a intérêt à agir contre l'arrêté du 29 août 2006,
dès lors qu'elle est susceptible d'occuper la fonction à laquelle Mme Dunand
a été nommée par cet arrêté ; qu'ainsi ses conclusions à fin d'annulation de
cet arrêté sont recevables ;

Sur l'intervention du Syndicat de la magistrature :

Considérant que le litige relatif à la nomination de Mme Perreux comme vice-


présidente chargée de l'application des peines au tribunal de grande instance
de Périgueux prend fin par suite du désistement dont il est donné acte par la
présente décision ; que dès lors l'intervention du Syndicat de la magistrature
au soutien des conclusions dont Mme Perreux s'est désistée est devenue
sans objet ;

Considérant que, dès lors que les conclusions de Mme Perreux dirigées contre
le décret du 24 août 2006 sont irrecevables, l'intervention du Syndicat de la
magistrature au soutien de ces conclusions est également irrecevable ;

Considérant, en revanche, que le Syndicat de la magistrature a un intérêt de


nature à justifier son intervention au soutien des conclusions de la requête de
Mme Perreux en tant qu'elles sont dirigées contre l'arrêté du 29 août 2006 ;
que, par suite, son intervention est recevable dans cette mesure ;

Sur la légalité des décisions attaquées :

Considérant que Mme Perreux soutient, à l'appui de sa requête, que le garde


des Sceaux, ministre de la Justice, aurait commis une erreur de droit en
écartant sa candidature au poste de chargé de formation à l'École nationale
de la magistrature en raison de son engagement syndical et aurait entaché
sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en préférant celle de Mme
Dunand ;

Considérant que la requérante invoque le bénéfice des règles relatives à la


charge de la preuve fixées par l'article 10 de la directive n° 2000/78/CE du
Conseil du 27 novembre 2000, dont le délai de transposition expirait le 2
décembre 2003, antérieurement à la date des décisions attaquées, alors que
cette disposition n'a été transposée de manière générale que par l'article 4
de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit
communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ;

Considérant que la transposition en droit interne des directives


communautaires, qui est une obligation résultant du Traité instituant la
Communauté européenne, revêt, en outre, en vertu de l'article 88-1 de la
Constitution, le caractère d'une obligation constitutionnelle ; que, pour
chacun de ces deux motifs, il appartient au juge national, juge de droit
commun de l'application du droit communautaire, de garantir l'effectivité des
droits que toute personne tient de cette obligation à l'égard des autorités
publiques ; que tout justiciable peut en conséquence demander l'annulation
des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis
par les directives et, pour contester une décision administrative, faire valoir,
par voie d'action ou par voie d'exception, qu'après l'expiration des délais
impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des
dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles,
écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec
les objectifs définis par les directives ; qu'en outre, tout justiciable peut se
prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non
réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive,
lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de
transposition nécessaires ;

Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la directive du 27 novembre


2000 : 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires,
conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu'une personne
s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de
traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance
compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une
discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de
prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement. / 2.
Le paragraphe 1 ne fait pas obstacle à l'adoption par les États membres de
règles de la preuve plus favorables aux plaignants. / 3. Le paragraphe 1 ne
s'applique pas aux procédures pénales. / 4. Les paragraphes 1, 2 et 3
s'appliquent également à toute procédure engagée conformément à l'article
9, paragraphe 2. / 5. Les États membres peuvent ne pas appliquer le
paragraphe 1 aux procédures dans lesquelles l'instruction des faits incombe à
la juridiction ou à l'instance compétente. ; qu'en vertu du cinquième
paragraphe de cet article, les dispositions précitées relatives à
l'aménagement de la charge de la preuve n'affectent pas la compétence
laissée aux États membres pour décider du régime applicable aux procédures
dans lesquelles l'instruction des faits incombe à la juridiction ; que tel est
l'office du juge administratif en droit public français ; qu'ainsi, eu égard à la
réserve que comporte le paragraphe 5 de l'article 10, les dispositions de ce
dernier sont dépourvues d'effet direct devant la juridiction administrative ;

Considérant toutefois que, de manière générale, il appartient au juge


administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux
parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa
conviction ; que cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une
mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte
des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des
exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits
de la défense et de l'égalité de traitement des personnes ; que, s'il appartient
au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des
éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier
principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir
que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute
discrimination ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la
décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de
discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu'en
cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute
mesure d'instruction utile ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de ses allégations,
Mme Perreux se fonde sur des éléments de fait, tenant tant à la qualité de sa
candidature qu'à des procédures antérieures de recrutement à la fonction de
chargé de formation pour l'application des peines à l'École nationale de la
magistrature, pour soutenir que cette candidature aurait été écartée en
raison de ses responsabilités syndicales connues de l'administration ; que ces
éléments de fait sont corroborés par une délibération en date du 15
septembre 2008 de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et
pour l'égalité, que cette dernière a entendu verser au dossier de la procédure
en application de l'article 13 de la loi du 30 décembre 2004 ; que, si ces
éléments peuvent ainsi faire présumer l'existence d'une telle discrimination,
il ressort des pièces du dossier et, notamment, des éléments de comparaison
produits en défense par le garde des sceaux, ministre de la justice que la
décision de nommer Mme Dunand plutôt que Mme Perreux au poste de
chargé de formation à l'École nationale de la magistrature repose sur des
motifs tenant aux capacités, aptitudes et mérites respectifs des candidates ;
que la préférence accordée à la candidature de Mme Dunand procédait en
effet d'une analyse comparée des évaluations professionnelles des deux
magistrates et des appréciations que comportait l'avis motivé en date du 10
avril 2006 établi, conformément à l'article 12 du décret du 21 décembre 1999
régissant les emplois de l'École nationale de la magistrature, en vigueur à la
date de la décision attaquée, par la commission de recrutement mise en
place par l'école ; qu'elle était également en correspondance avec les
critères fixés préalablement dans la description du poste publiée par l'école,
tenant au fonctionnement et aux caractéristiques de l'équipe pédagogique,
ainsi qu'aux capacités linguistiques requises par ses missions
internationales ; que, dans ces conditions, ce choix, même s'il n'était pas
celui du directeur de l'école, dont l'avis était prescrit par l'article 10 du même
décret, doit être regardé comme ne reposant pas sur des motifs entachés de
discrimination ; que, dès lors, il n'est pas entaché d'erreur de droit ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort


pas des pièces du dossier que le choix de Mme Dunand est entaché d'erreur
manifeste d'appréciation ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de Mme Perreux


ne peut qu'être rejetée, ainsi, par voie de conséquence, que ses conclusions
tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative ;

Décide :

Article 1er : Il est donné acte du désistement des conclusions de la requête


de Mme Perreux dirigées contre le décret du 24 août 2006 en tant que ce
décret la nomme vice-présidente, chargée de l'application des peines, au
tribunal de grande instance de Périgueux.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur l'intervention du Syndicat de la


magistrature au soutien des conclusions dont Mme Perreux s'est désistée.

Article 3 : L'intervention du Syndicat de la magistrature au soutien des autres


conclusions de Mme Perreux dirigées contre le décret du 24 août 2006 n'est
pas admise.

Article 4 : L'intervention du Syndicat de la magistrature au soutien des


conclusions de Mme Perreux dirigées contre l'arrêté du 29 août 2006 est
admise.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme Perreux est


rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Emmanuelle Perreux,


épouse Nardon, à Mme Eva Dunand, épouse Fouillade, au Syndicat de la
magistrature et à la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice
et des libertés.

Une copie en sera adressée, pour information, à la Haute Autorité pour la


lutte contre les discriminations et pour l'égalité.
(MM. Chaubon, rapporteur, M. Guyomar, rapporteur public)

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(1) La RFDA, dans son numéro de novembre-décembre 2009, a publié un


dossier consacré au renforcement de la portée des normes. Outre ces
conclusions, voir la note de Paul Cassia (p. 1146Commentaire d'auteur) ainsi
que l'étude de Pierre Bon sur la question prioritaire de constitutionnalité
après la loi organique du 10 décembre 2009 (p. 1107Commentaire d'auteur).

(2) CE 18 oct. 2002, Diraison, Lebon T. 803 et 843Document InterRevues,


qui se situe dans la ligne de CE 11 oct. 1995, Boissin Cardinal, Lebon T.
956Document InterRevues.

(3) CE 7 déc. 1977, Association foncière de Vatry, Lebon T. 929Document


InterRevues.

(4) CE 28 mai 1971, Laurié, Lebon T. 1144Document InterRevues ; CE 17


mai 1972, Roty et autres, Lebon 373Document InterRevues.

(5) Certes, les fonctions de chargé de formation à l'ENM correspondent à


un emploi en service détaché. Or, l'article 72 de l'ordonnance du 22 déc.
1958 dispose que : « la mise en position de détachement, de disponibilité ou
"sous les drapeaux" est prononcée par décret du Président de la République,
sur proposition du ministre de la justice et après avis de la formation du
Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard du magistrat selon
que celui-ci exerce des fonctions du siège ou du parquet ». C'est pour cette
raison que le décret du 24 août 2006 avait préalablement placé Mme Dunand
en service détaché. Si vous deviez considérer que le placement en position
de détachement constitue un préalable nécessaire à la nomination sur un
emploi détaché, l'arrêté du 29 août 2006 ne saurait alors être regardé
comme révélant le refus de nommer Mme Perreux en l'absence de toute
possibilité légale pour le garde des sceaux de le faire. Un tel raisonnement
confèrerait à l'avis du CSM, surtout s'agissant d'un magistrat du siège, une
portée correspondant à la garantie que sa consultation doit normalement
constituer. Mais nous ne vous proposons pas de retenir une solution qui,
outre l'inconvénient d'être contraire à la pratique courante, nous semble trop
formaliste. L'administration ayant l'obligation de placer ses agents en
position régulière, il faut lui reconnaître la possibilité de placer ses agents- y
compris les magistrats judiciaires- en détachement après leur nomination.

(6) V. pour des illustrations dans votre jurisprudence notamment CE, sect.,
29 juill. 1994, Société Prodes International, Lebon 390Document
InterRevues ; CE, sect., 20 juin 2003, SA Etablissements Lebreton, Lebon
273Document InterRevues.

(7) CE, ass., 22 déc. 1978, Lebon 524. V. not. CE 3 mars 1982, Mathe,
Lebon T. 540 et 724Document InterRevues ; CE 13 déc. 1985, Zakine, Lebon
T. 448, 515, 740 et 750Document InterRevues ; CE 28 sept. 1998, Ferrari,
Lebon T. 801 et 1142Document InterRevues.

(8) In D. 1979. 162.

(9) Après un arrêt du 6 oct. 1970, Franz Grad, relatif aux décisions prises
sur le fondement du 4e alinéa de l'article 189.

(10) Voir également CJCE 26 févr. 1975, Bonsignore ; CJCE 28 oct. 1975,
Ruttili ; CJCE 8 oct. 1976, Royer.

(11) Dans l'arrêt précité Société SACE, la Cour relevait qu'il « convient de
considérer non seulement la forme de l'acte en cause mais encore sa
substance ainsi que sa fonction dans le système du traité ».

(12) Grands arrêts de la CJCE (J. Boulouis et R. M. Chevallier, t. 1, 6e éd.).


(13) « L'objectif du TCEE, qui est d'instituer un marché commun dont le
fonctionnement concerne directement les justiciables de la Communauté,
implique que ce traité constitue plus qu'un accord qui ne créerait que des
obligations mutuelles entre États contractants ».

(14) Le principe d'intégration, consacré par l'arrêt Costa c/ Enel du 15 juill.


1964 (parce que le système juridique propre de la communauté s'est «
intégré au système juridique des États Membres », il « s'impose à leurs
juridictions ») viendra ensuite parfaire celui d'applicabilité immédiate.

(15) Le système juridique communautaire, PUF, Droit, 3e éd., 2001.

(16) V. en ce sens les conclusions de Gilbert Guillaume sur votre décision


CE, sect., 8 oct. 1976, Hill, Lebon 402Document InterRevues.

(17) O. Dutheillet de Lamotte et Y. Robineau, AJDA 20 mars 1979. 27.

(18) Les grands arrêts de la jurisprudence administrative (GAJA), 17e éd.,


n° 89GAJA1720090089.

(19) In La CJCE et la transposition des directives en droit national, RFDA


1988. 1.

(20) Ainsi définie par les auteurs de l'article précité : « les dispositions de
la directive servent, dans un premier temps, à écarter le droit national qui lui
est contraire puis s'y substituent pour combler la lacune ainsi créée ».

(21) In L'applicabilité directe des directives. À propos d'un arrêt Cohn-


Bendit du Conseil d'État, Rev. marché commun.

(22) D. 1979. 9e cahier, p. 89.


(23) Il ajoute que cette solution repose « sur un formalisme juridique
incompréhensible pour le plaideur dont le recours est suffisamment motivé et
de nature à affaiblir l'autorité de la règle de droit tenue pour applicable ».

(24) Cette contradiction logique apparaît lorsque l'on confronte la décision


CE, sect., 13 avr. 1997, Groupe d'information et de soutien des travailleurs
immigrés (GISTI), Lebon 330 aux concl. contraires de Ronny Abraham.

(25) Pour citer l'art. de Paul Cassia à la RFDA 2002. 20Commentaire


d'auteur.

(26) In CJEG juin 1999. 207.

(27) Le système juridique communautaire, PUF, Droit, 3e éd., 2001.

(28) En ce sens, not., CJCE 10 avr. 1984, Van Colson et Kamann ; CE, sect.,
22 déc. 1989, Ministre du Budget c/ Cercle militaire mixte de la Caserne
Mortier, Lebon 260Document InterRevues ; CE 8 déc. 2000, Commune de
Breil-sur-Roya, Lebon 581Document InterRevues : « il appartient aux
autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, d'exercer les
pouvoirs qui leur sont conférés par la loi en lui donnant, dans tous les cas où
celle-ci se trouve dans le champ d'application d'une règle communautaire,
une interprétation qui soit conforme au droit communautaire » ; CE 1er avr.
2009, Communauté urbaine de Bordeaux, société Kéolis, à paraître au
LebonDocument InterRevues.

(29) D. Simon, ouvrage préc., p. 439.

(30) D. Simon, ouvrage préc., p. 443. CJCE 18 déc. 1997, Inter-


Environnement Wallonie ; CE 10 janv. 2001, France nature environnement,
Lebon 9Document InterRevues, qui juge que les autorités nationales « ne
peuvent légalement prendre, ainsi que l'a précisé la Cour de justice des
Communautés européennes par un arrêt rendu le 18 décembre 1997 dans
l'affaire C-129/96, pendant le délai imparti par la directive, des mesures de
nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit par la
directive » ; CE 29 oct. 2004, Sueur et autres, Lebon 393Document
InterRevues (qui précise que si, jusqu'à l'expiration du délai de transposition,
les États membres sont seulement tenus de s'abstenir de prendre des
dispositions de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat
prescrit par celle-ci, il leur est loisible de mettre en vigueur, sans attendre
l'expiration de ce délai, les mesures nécessaires pour se conformer aux
objectifs de cette directive).

(31) CJCE 19 nov. 1991, Francovich c/ République Italienne ; CJCE 5 mars


1996, Brasserie du Pêcheur et Factortame III ; CE, ass., 28 févr. 1992, Société
Arizona Tobacco Products et S.A. Philip Morris France, Lebon 78Document
InterRevues.

(32) CE 28 sept. 1984, Confédération nationale des SPA de France, Lebon


T. 481Document InterRevues.

(33) S. Hubac et J.-E. Schoettl, 1985, p. 83. « En vérifiant que les


dispositions réglementaires d'application du droit national sont bien
conformes aux objectifs d'une directive tout en laissant au gouvernement
une certaine liberté dans le droit du moment et de la forme à donner à
donner à ces dispositions, le Conseil d'État est en accord avec la
jurisprudence de la CJCE. Celle-ci admet en effet qu'un particulier puisse
invoquer une directive devant une juridiction nationale dans le but de faire
vérifier par celle-ci que les autorités nationales sont restées, lors de la mise
en oeuvre d'une directive, « dans les limites d'appréciation tracées par cette
directive » (1er févr. 1977, Verband Van Nederlansdse Onderneningen) ». En
revanche, l'application audacieuse de ce raisonnement aux mesures
d'application d'un traité a été abandonnée par votre décision GISTI (CE, sect.,
23 avr. 1997, Lebon 142Document InterRevues), selon laquelle les
stipulations d'un accord international dépourvues d'effet direct ne peuvent
être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, y
compris à l'encontre d'un acte réglementaire - solution, contraire aux
conclusions de Ronny Abraham, qui souligne encore le particularisme
normatif des directives communautaires.

(34) V. parmi d'autres illustrations de ce contrôle de compatibilité 30 déc.


1998, Association des neurologues libéraux de langue française, Lebon T.
1123.

(35) V. pour une telle hypothèse 7 déc. 1984, Fédération française des
sociétés de protection de la nature, Lebon 410Document InterRevues, selon
laquelle les autorités nationales « ne peuvent légalement édicter des
dispositions réglementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par
les directives ».

(36) CE, ass., 3 févr. 1989, Compagnie Alitalia, Lebon 44Document


InterRevues ; voyez pour l'illégalité du refus d'abroger un arrêté ministériel
incompatible avec les objectifs d'une directive, 4 juin 2008, Syndicat national
des professionnels des activités nautiquesDocument InterRevues.

(37) CE, ass., 20 oct. 1989, Lebon 190Document InterRevues.

(38) CE, ass., 28 févr. 1992, Lebon 80Document InterRevues, dans laquelle
vous avez jugé illégales des décisions ministérielles réglementaires prises sur
le fondement de dispositions réglementaires prises en application d'une loi
incompatible avec les objectifs d'une directive communautaire.

(39) CE, sect., 3 déc. 1999, Lebon 379Document InterRevues, par laquelle
vous avez censuré l'erreur de droit du ministre chargé de la chasse à s'être
fondé sur des dispositions législatives incompatibles avec la directive du 2
avril 1979 pour refuser d'exercer, dans le respect des objectifs de cette
directive, la compétence réglementaire qu'il tenait d'autres dispositions du
code rural.

(40) CE 24 févr. 1999, Association de patients de la médecine d'orientation


anthroposophique et autres, Lebon 29Document InterRevues. Pour autant, le
respect des règles de droit international ne justifie aucune modification du
partage de compétence entre la loi et le règlement (CE 27 juill. 2006,
Association « Avenir de la langue française », Lebon 379Document
InterRevues).
(41) CE 8 juill. 1991, Lebon 276Document InterRevues.

(42) Pour avoir omis de prévoir des garanties comparables pour le cas des
refus de renouvellement de titre de séjour.

(43) CE, ass., 30 oct. 1996, Lebon 397Document InterRevues.

(44) CE, ass., 6 févr. 1998, Tête, Lebon 30Document InterRevues.

(45) F. Raynaud et P. Fombeur, AJDA 1998. 403Document InterRevues.

(46) V. pour une autre illustration CE, sect., 20 mai 1998, Communauté de
communes du Piémont-de-Barr, Service des eaux et de l'assainissement du
Bas-Rhin, Lebon 201Document InterRevues.

(47) Selon Denys Simon, « [...] les normes auxquelles est reconnu un effet
direct jouissent d'une justiciabilité renforcée qui correspond à leur
applicabilité substitutive ».

(48) CJCE 26 févr. 1986, Marshall ; CJCE 14 juill. 1994, Facini Dori.

(49) Même si la Cour de Luxembourg retient une acception très large de la


notion d'État.

(50) CJCE 5 juill. 1979, Ministère public c/ Ratti, préc.

(51) CE, sect., 23 juin 1995, SA Lilly France, Lebon 257Document


InterRevues.
(52) L'effet des directives communautaires : une tentative de
démythification, Dalloz, 1980.

(53) Avec Bruno Genevois, dans son art. préc.

(54) CE 13 déc. 1985, Zakine, Lebon 447Document InterRevues ; CE 7


mars 1994, Association pour le tracé ouest du contournement routier de
Carling, Lebon 114Document InterRevues.

(55) Bundesfinanzhof 16 juill. 1981 : RTDE 1981. 779, note C. Autexier.

(56) Bundesfinanzhof 23 avr. 1985, Kloppenburg.

(57) Bundesverfassungsgericht, 2° Senat, 8 avr. 1987. S. Faust, « BGB §


433, b) Unmittelbare Wirkung », in M. Bamberger, H. Roth (dir.), Beck'scher
Online-Kommentar, 13e éd., 2007, Rn. 5-6.1.

(58) Cass. Belgique, 5 déc. 1994, n° S940003N.

(59) V. par ex. CE Belgique, 18 janv. 2005, L'Erablière c/ Région Wallonne,


req. n° 139465.

(60) V. Tribunal Supremo, ch. sociale, 13 juill. 1991, qui expose de façon
très didactique, avant de l'appliquer, la jurisprudence de la CJCE. V., par ex.,
Tribunal Supremo (Sala de lo Civil), décis. du 5 juill. 1997 : RJ 1997. 6151 ;
Tribunal Supremo (Sala de lo Civil), décision du 20 févr. 1998 : RJ 1998. 604 ;
Tribunal Supremo (Sala de lo Contencioso-Administrativo), décis. du 12 déc.
2002, RJ 2003. 36 ; Tribunal Supremo (Sala de lo Civil), décision du 27 mars
2009, JUR 2009. 169539.

(61) CE Grèce, 25 mai 1989.


(62) CE Portugal 1er avr. 1993. Le Conseil d'État portugais devenu, depuis
2002, le Tribunal administratif suprême, y juge que : « les directives
produisent des effets directs verticaux, ce qui impose aux cours et tribunaux
des États membres concernés de les prendre en compte en tant que droit
communautaire lorsque les dispositions qu'elles contiennent sont claires,
précises, inconditionnelles, complètes et juridiquement parfaites, créant pour
les particuliers des droits subjectifs et même si, après l'expiration du délai
prévu pour leur mise en oeuvre, l'État membre concerné s'est abstenu de les
transposer en droit interne national ou a effectué une transposition incorrecte
ou incomplète ».

(63) Foster v. British Gas. Foster v. British Gas Plc (HL) [1991] 2 A.C. 306.

(64) À la suite de la jurisprudence Foster, plusieurs cours d'appel (Rolls-


Royce PLC v. Doughty (C.A.) [1992] 1 C.M.L.R. 10).ont fait application de
l'effet direct vertical des directives. Notons en particulier un arrêt de cour
d'appel (N.U.T. v. St. Mary's School (C.A.) [1997] 3 C.M.L.R. 630) rédigé par
Juge Schiemann, actuel juge britannique à la CJCE.

(65) Cass. Italie 7 oct. 1981, Ministre des Finances c/ Société Cartiere
Timavo.

(66) CE Italie, 5 mai 1980, Société Helen Curtis et Unipro c/ Ministre de la


Santé, Rec. 639

(67) Consiglio Stato, sect. VI, arrêt du 14 avr. 2008, n° 1596. Ces solutions
s'appuient notamment sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-
ci a reconnu entre autres : le devoir du juge national de ne pas appliquer une
norme de droit interne incompatible avec le droit communautaire; le devoir
qui s'impose non seulement au juge, mais aussi à l'administration publique,
de se conformer au droit communautaire et le fait que les directives
bénéficient de l'effet direct à l'encontre de l'État dès lors qu'elles contiennent
des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises.
(68) Notamment Civ. 1re, 23 nov. 2004, pourvoi n° 03-10.636, Bull. civ.
2004, n° 280, s'agissant de la directive du 16 févr. 1998 visant à faciliter
l'exercice de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où
la qualification a été acquise ; Com. 7 juin 2006, pourvoi n° 03-15.118, Bull.
civ. 2006 IV, n° 136.

(69) Civ. 2e, 3 avr. 2003, pourvoi n° 01-21.266, Bull. civ. 2003, n° 101
s'agissant de la directive du 5 avr. 1993, dont la Cour relève qu'elle «
n'affecte pas la compétence des États membres d'organiser leur régime
national de sécurité sociale ».

(70) Com. 27 févr. 1996, pourvoi n° 94-14.141, Bull. civ. 1996, n° 64 : «


selon l'article 189 du Traité, le caractère contraignant d'une directive sur
lequel est fondée la possibilité d'invoquer celle-ci devant une juridiction
nationale n'existe qu'à l'égard de tout État membre destinataire et il s'ensuit
qu'une directive ne peut pas, par elle-même, créer d'obligations dans le chef,
d'un particulier et qu'une disposition d'une directive ne peut donc pas être
invoquée en tant que telle à l'encontre d'une telle personne »

(71) Lequel comportait une autre nomenclature : positions communes,


actions communes et conventions.

(72) Cette catégorie a été instituée par le Traité d'Amsterdam.

(73) La même restriction figure au c), s'agissant des décisions.

(74) Pour reprendre les termes de Marcel Waline, dans son article sur « Le
pouvoir normatif de la jurisprudence » qui décrit ainsi l'hypothèse d'une «
réception implicite de la règle jurisprudentielle par le législateur » : «
l'absence complète de réaction de ceux qui avaient l'initiative des lois signifie
que l'interprétation du droit objectif donné par la jurisprudence ne leur a pas
paru choquante ou, si l'on veut, suffisamment choquante pour justifier une
réaction ».
(75) Dans lequel ne figurent plus les décisions cadres.

(76) Aux termes de l'article I-33 de ce traité : « Les institutions, pour


exercer les compétences de l'Union, utilisent comme instruments juridiques,
conformément à la partie III, la loi européenne, la loi-cadre européenne, le
règlement européen, la décision européenne, les recommandations et les
avis.

La loi européenne est un acte législatif de portée générale. Elle est


obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État
membre.

La loi-cadre européenne est un acte législatif qui lie tout État membre
destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances
nationales la compétence quant au choix de la forme et des moyens.

Le règlement européen est un acte non législatif de portée générale pour


la mise en oeuvre des actes législatifs et de certaines dispositions de la
Constitution. Il peut soit être obligatoire dans tous ses éléments et
directement applicable dans tout État membre, soit lier tout État membre
destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances
nationales la compétence quant au choix de la forme et des moyens.

La décision européenne est un acte non législatif obligatoire dans tous ses
éléments. Lorsqu'elle désigne des destinataires, elle n'est obligatoire que
pour ceux-ci.

Les recommandations et les avis n'ont pas d'effet contraignant ».

(77) V. sur ce point J. Roux, Les actes : un désordre ordonné ?, Europe, juill.
2008.

(78) Cette obligation de faire se traduit, sauf dans les hypothèses «


d'harmonie préétablie », par une obligation positive (adopter les règles
nécessaires à la réalisation des objectifs de la directive) et une obligation
négative (modifier le droit national incompatible avec ces objectifs).

(79) Le Conseil constitutionnel y modifie la formulation de la « réserve de


constitutionnalité » en énonçant « que la transposition d'une directive ne
saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité
constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ».

(80) Dans son étude : Le chemin communautaire du Conseil constitutionnel


: entre ombre et lumière, principe et conséquence de la spécificité
constitutionnelle du droit communautaire in J.-Cl. Europe, août-sept. 2004. 6.

(81) CE, ass., 8 févr. 2007, Lebon 55Document InterRevues.

(82) CE, ass., 11 déc. 2006, Lebon 512Document InterRevues.

(83) CE, sect., 26 juill. 1985, Lebon 233Document InterRevues.

(84) CE 18 juin 2008, Lebon 230Document InterRevues.

(85) CE, ass., 29 déc. 1978, Darmont, Lebon 542Document InterRevues.

(86) En faisant vôtre sur ce point la jurisprudence de la CJCE 30 sept. 2003,


Gerhard Köbler et Republik Österreich.

(87) CE, sect., 10 avr. 2008.

(88) Pour reprendre le titre de son article paru à l'AJDA 2002.


725Document InterRevues.
(89) Cette mutation est décrite lumineusement par Robert Lecourt, dans
son ouvrage L'Europe des juges (Bruylant, 1976) : « Formé essentiellement
aux disciplines du droit interne, pénétré d'une culture principalement puisée
aux sources nationales, tenu le plus souvent éloigné par ses fonctions des
relations internationales, légitimement soucieux de la jurisprudence de son
propre corps judiciaire, il lui fallait, pour devenir juge communautaire dans
l'ordre national, tout à la fois se reconvertir à une tâche toute nouvelle hors
de ses préoccupations habituelles, se tenir informé et se pénétrer d'un droit
nouveau, admettre l'existence d'une nouvelle juridiction régulatrice dont
relèveraient ses décisions communautaires et découvrir ces cheminements à
travers des litiges qui le contraignaient à décliner l'autorité de son propre
droit au profit d'une règle de droit supérieur ».

(90) L'Europe des juges, Bruylant, 1976.

(91) Ou encore de l'adage nemo auditur : l'État ne saurait opposer à ses


justiciables le non accomplissement de ses obligations.

(92) Selon Henri Savoie, dans ses conclusions sur l'arrêt Tête.

(93) Fabien Raynaud et Pascale Fombeur, dans leur chronique précitée.

(94) On peut notamment songer à un deuxième recours introduit contre la


décision prise par l'autorité administrative pour tirer les conséquences de
l'annulation, par le juge, d'une première décision.

(95) Il en irait de même s'agissant de l'exercice du pouvoir d'injonction.

(96) CE 10 avr. 2002, Lebon T. 647,665, 708Document InterRevues.

(97) Hormis l'hypothèse du nécessaire respect de la chose jugée par la


CJCE 18 juin 2003, Société Tiscali Télécom, Rec. CJCE 255.

(98) V. dans le même sens Communauté de communes du Piémont-de-


Barr préc. et par analogie CE, ass., 29 juin 2001, Vassilikiotis, Lebon
303Document InterRevues.

(99) Ce qui vise les décisions individuelles, les décisions collectives et les
décisions d'espèce.

(100) Un délai supplémentaire de trois ans n'était octroyé que pour la mise
en oeuvre des dispositions relatives à la discrimination fondée sur l'âge et le
handicap.

(101) CJCE 19 janv. 1982, Ursula Becker.

(102) V. pour un exemple de dispositions jugées conditionnelles 29 nov.


1978, Delkwist.

(103) Selon la jurisprudence de la Cour, il convient d'examiner une


directive, disposition par disposition, pour déterminer celles qui sont
susceptibles de se substituer au droit national (19 janv. 1982, Ursula Becker).
Selon nous, l'effet de l'article 10 de la directive invoquée est variable selon la
procédure en cause : toute application est exclue par la disposition elle-
même s'agissant des procédures pénales ; la règle qu'elle pose ne s'applique
pas directement aux procédures inquisitoriales en raison de la marge
d'appréciation laissée aux États sur ce point ; elle est revanche d'effet direct
s'agissant des autres types de procédure.

(104) Ou self executing.

(105) Yves Galmot l'affirmait, dans ses conclusions sur la décision Tochou
(CE, sect., 22 avr. 1966, Lebon 279Document InterRevues) : « la charge de la
preuve n'existe pas ».
(106) V. par ex. CE 28 sept. 2005, S.A. Carto-Rhin et Me Mulhaupt, Lebon
T. 1124Document InterRevues.

(107) CE 10 avr. 2009, au LebonDocument InterRevues.

(108) Voir le commentaire de cette décision par Gwénaëlle Calvès : « Le


contrôle juridictionnel des questions posées lors de l'épreuve d'entretien »
(AJDA 2009. 1386Document InterRevues).

(109) Indépendamment des règles communautaires, la prohibition de toute


forme de discrimination découle également de l'article 14 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

(110) V. sur la portée de cet article, la décision n° 2007-557 DC du 15 nov.


2007 : « si les traitements nécessaires à la conduite d'études sur la mesure
de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de
l'intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans
méconnaître le principe énoncé par l'article 1er de la Constitution, reposer
sur l'origine ethnique ou la race ».

(111) Notamment la décision n° 93-336 DC du 27 janv. 1994 qui relève


que « le principe d'égalité de traitement des magistrats dans le déroulement
de leur carrière découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen ».

(112) Voyez également votre décision Pacaud du 29 juin 1983 (Lebon


278Document InterRevues) qui fait application aux magistrats judiciaires du
principe de l'égalité d'accès aux emplois publics et de celui de l'égalité de
traitement des fonctionnaires appartenant à un même corps.

(113) CE, ass., Barel, 28 mai 1954, Lebon 308Document InterRevues.


(114) CE, sect., 10 mai 1974, Denoyez et ChorquesDocument InterRevues.

(115) Comme l'explique le doyen Vedel, le principe d'égalité ne joue que


toutes choses égales d'ailleurs.

(116) S'agissant de la présente affaire, il faut citer le Préambule de la


Constitution de 1946 : « Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi,
en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ».

(117) Dans son rapport de 1998 consacré à la « lutte contre les


discriminations », le Haut conseil à l'intégration définit la discrimination «
comme toute action ou attitude qui conduit, à situation de départ identique, à
un traitement défavorable de personnes du fait de leur nationalité, origine,
couleur de peau ou religion, qu'une intention discriminante soit, ou non, à
l'origine de cette situation ».

(118) Pour citer l'étude réalisée par Marie-Françoise Lanquetin pour le


Groupe d'étude et de lutte contre les discriminations GELD note n° 2, oct.
2000.

(119) Soc. 23 nov. 1999, pourvoi n° 97-42.940 Bull. soc. V, n° 447.

(120) Soc. 28 mars 2000, pourvoi n° 97-45.258, Bull. soc. V, n° 126.

(121) Crim. 3 avr. 2007, pourvoi n° 06-81.784, Bull. crim.

(122) Ainsi que le rappelle votre décision Paisnel (CE 4 juill. 1962, Lebon T.
1077), le juge administratif dirige seul l'instruction des affaires.

(123) CE, sect., 1er mai 1936, Lebon 485.


(124) V. pour une illustration parmi d'autres CE, ass., 11 mai 1973, Sieur
Sanglier, Lebon 344Document InterRevues.

(125) CE, sect., 26 janv. 1968, Société Maison Genestal, Lebon


61Document InterRevues.

(126) CE, sect., 23 déc. 1955, Sieur Lévy, Lebon 608.

(127) V. pour un ex. CE 7 févr. 2001, Adam, Lebon 50Document


InterRevues : « les éléments dont s'est prévalu M. Adam à l'appui de sa
requête constituaient des présomptions sérieuses ; le ministre de la Défense
n'a produit aucune justification précise de nature à établir l'existence de
motifs tirés de l'intérêt du service, qui auraient pu servir de fondement à la
mutation de l'intéressé à Castelsarrasin ; dans ces conditions, et eu égard à
l'ensemble des circonstances de l'affaire, le détournement de pouvoir allégué
est établi ».

(128) Que nous citons à nouveau : « toute personne qui s'estime victime
d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction
compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces
éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en
cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination
».

(129) Rappelons que la technique de l'interprétation conforme vaut aussi


pour les règles jurisprudentielles. Ainsi que le rappelle l'arrêt Centrosteel du
13 juill. 2000 : « Il incombe au juge de renvoi, saisi d'un litige entrant dans le
domaine d'application de la directive et trouvant son origine dans des faits
postérieurs à l'expiration du délai de transposition de cette dernière, lorsqu'il
applique les dispositions de droit national ou une jurisprudence interne
établie, de les interpréter d'une manière telle qu'elles puissent recevoir une
application conforme aux objectifs de la directive ».

(130) CE, sect., 20 déc. 2000, Ouatah, Lebon 643Document InterRevues.


(131) Selon lequel « en cas de litige, la personne qui considère que le refus
de location d'un logement qui lui a été opposé trouve sa cause dans une
discrimination prohibée par le premier alinéa du même article « présente des
éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou
indirecte » et « au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de
prouver que sa décision est justifiée » ; le juge civil compétent pour connaître
de ce litige « forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin,
toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ».

(132) Qui aménage, dans les mêmes termes, la charge de la preuve pour
les litiges portés devant le juge du travail en application des deux premiers
alinéas de l'article L. 122-46 du code du travail relatifs au harcèlement sexuel
au travail et du deuxième alinéa du nouvel article L. 122-49 relatif au
harcèlement moral au travail.

(133) CE, sect., 22 juin 2007, Lebon 253Document InterRevues.

(134) Ce faisant, elle respecte parfaitement la logique de la directive


qu'elle transpose, dont le point 31 expose que « dès qu'il existe une
présomption de discrimination [...], la mise en oeuvre effective du principe de
l'égalité de traitement requiert que la charge de la preuve revienne à la
partie défenderesse ».

(135) Il n'a repris que l'exception prévue s'agissant de la procédure pénale,


qui s'explique par le nécessaire respect de la présomption d'innocence sans
que les travaux parlementaires fournissent d'explication.

(136) Ainsi que le relève Gwénaëlle Calvès, dans son article précité : « le
jugement de comparaison [...] est inhérent à toute caractérisation d'une
situation de discrimination ».

(137) La Haute autorité avait été saisie, le 22 juin 2006, d'une réclamation
du Syndicat de la magistrature relative aux rejets des candidatures
successives de Mme Perreux.
(138) Sénat-débats du 5 mars 2006.

(139) Comme il l'avait d'ailleurs fait lors de la procédure devant la HALDE.

(140) CE 19 janv. 1994, Mme Obrego, Lebon 24Document InterRevues.

(141) CE 13 juill. 2007, Société Editions Tissot, Lebon 335Document


InterRevues. Et vous en avez déduit que ces recommandations ne constituent
pas, par elles-mêmes, des décisions administratives susceptibles de faire
l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

(142) Tel que défini par l'article 11 de la loi du 30 déc. 2004.

(143) Dans la délibération du 15 sept. 2008, elle recommande d'instaurer,


« afin de permettre la vérification de l'égalité de traitement des candidats »
et de « renforcer les garanties contre le risque de pratiques discriminatoires
», une obligation de motiver le rejet d'une candidature proposée par le
directeur de l'École.

(144) De manière hétérodoxe, le contrôle de l'erreur de droit abrite en


effet une opération de qualification juridique des faits

Voir la décision commentée :

Conseil d'Etat - 30 octobre 2009

Ce document est cité par :

Pierre Bon - CONSTITUTION

La question prioritaire de constitutionnalité après la loi organique du 10


décembre 2009(1)Commentaire d'auteur

Paul Cassia - DROIT COMMUNAUTAIRE

Une nouvelle étape dans l'Europe des juges(1), L'effet direct des directives
devant la juridiction administrative françaiseCommentaire d'auteur

Marguerite Canedo-Paris - DROIT COMMUNAUTAIRE

Le double apport de l'arrêt Mme Perreux : invocabilité des directives, charge


de la preuve, Note sous l'arrêt du Conseil d'État, ass., 30 octobre 2009, Mme
Perreux, req. n° 298348Commentaire d'auteur

Fréderic Rolin, Martin Collet, Xavier Dupré de Boulois, Norbert Foulquier -


GENERALITES

Chronique des thèses(1)Commentaire d'auteur

Thomas Pez - ELECTION

Les élections municipales de 2008 devant le Conseil d'État(1), Présentation


généraleCommentaire d'auteur

Félicien Lemaire - DROIT ET LIBERTE FONDAMENTAUX

La notion de non-discrimination dans le droit français : un principe


constitutionnel qui nous manque(1) ?Commentaire d'auteur

Lucie Cluzel-Métayer - DROIT ET LIBERTE FONDAMENTAUX

Le principe d'égalité et de non-discrimination dans la jurisprudence du


Conseil d'État et de la Cour de cassation : analyse comparée dans le domaine
de l'emploi(1), Étude soutenue par la Haute Auto...Commentaire d'auteur

Gwénaële Calvès - COMMUNAUTE EUROPEENNE

« De manière générale... » : le Conseil d'Etat face au droit communautaire de


la non-discriminationDocument InterRevues

Pascal Puig - CONSTITUTION ET POUVOIRS PUBLICS

La question de constitutionnalité : prioritaire mais pas première..., (L. org. n°


2009-1523 du 10 déc. 2009 et Cons. const. décis. n° 2009-595 DC, P. Bon, La
question prioritaire de constitutionnal...Document InterRevues

Dominique Ritleng - DROIT COMMUNAUTAIRE

L'arrêt Perreux ou la fin de l'exception française, France - Conseil d'Etat,


Assemblée, Arrêt du 30 octobre 2009, Perreux, req. n° 298348Document
InterRevues
---------------------------

1. Le contexte de l'affaire Perreux ne semblait pas propice à la remise en


cause de la jurisprudence Cohn-Bendit.

2. Le 22 décembre 1978, l'assemblée du contentieux avait, « sur le siège


»Note de bas de page(2), décidé que les directives communautaires
(devenues directives européennes) étaient dépourvues d'effet direct, à
l'occasion d'une requête par laquelle était demandée l'annulation d'un acte
individuel au motif de sa contrariété supposée à une directive du 25 février
1964 qui avait fait l'objet de mesures réglementaires de transposition en
1970. En 2009, Madame Emmanuelle Perreux, magistrate et actuellement
présidente du Syndicat de la magistrature, soutenait que la décision
individuelle dont elle demandait l'annulation (l'arrêté du 29 août 2006 du
garde des Sceaux nommant une autre magistrate en qualité de chargée de
formation à l'ENM) était entachée d'une discrimination syndicale, constitutive
d'une erreur de droit. Si elle demandait qu'il soit fait application de la
directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre
général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail,
qui sera transposée pour les agents publics avec plus de quatre années de
retard par l'article 4 de la loi du 27 mai 2008, ce n'est pas en tant que cette
directive interdit toute discrimination syndicale (le droit français étant
suffisamment vigilant à cet égard), mais en tant qu'elle prévoit, en son article
10, paragraphe 1, un aménagement de la charge de la preuve favorable au
demandeur dans le cas où une discrimination est invoquée (le demandeur
peut se borner à faire état de la probabilité d'une discrimination et il
appartient au défendeur de renverser la présomption ainsi établie, la matière
pénale étant seule exclue de ce régime particulier de preuve). Autrement dit,
à la différence de l'affaire Cohn-Bendit et des décisions qui en ont appliqué le
principe, il n'y avait pas dans l'affaire Perreux de mise en cause directe de la
conformité d'un acte administratif individuel à une directive. À la limite,
même dans le cadre de la jurisprudence Cohn-Bendit, qui avait vu, au cours
des décennies, sa portée clairement circonscrite au seul refus de
l'invocabilité d'une directive pour demander l'annulation d'un acte non
réglementaire, l'interprétation des règles jurisprudentielles de procédure
contentieuse conformément aux prescriptions de l'article 10, paragraphe 1,
de la directive aurait suffit à donner satisfaction à la requérante sur le terrain
de la charge de la preuve (et non nécessairement du bien-fondé de sa
prétention, comme l'a montré le rejet de sa requête).
L'Assemblée du contentieux a choisi d'aller plus loin, et de trancher le litige
sans contourner l'obstacle de principe, en posant la question du maintien de
sa jurisprudence refusant l'effet direct aux directives : la requérante pouvait-
elle se prévaloir du régime de la charge de la preuve organisé par les
dispositions de l'article 10, paragraphe 1, de directive 2000/78/CE à l'appui
d'une demande d'annulation d'un acte individuel ?

3. Mettant fin à la jurisprudence Cohn-Bendit, c'est-à-dire au reliquat


théorique de désaccordNote de bas de page(3), sans portée concrèteNote de
bas de page(4) dès lors que le requérant était habilement conseillé, entre le
Conseil d'État d'une part, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et
l'ensemble des juridictions des États membres de l'autre, la décision Perreux
reconnaît de manière générale qu'une directive peut comporter des
dispositions d'effet directNote de bas de page(5) ; au cas d'espèce,
l'Assemblée du contentieux a toutefois fait un maniement contestable de la
théorie de l'effet direct.

Une reconnaissance bienvenue de l'effet direct des directives

4. En reconnaissant l'effet direct des dispositions des directives


inconditionnelles et ne laissant pas de marge de manoeuvre à l'ÉtatNote de
bas de page(6), c'est-à-dire le principe de leur invocabilité à l'appui d'un
moyen dirigé contre un acte administratif individuel sans qu'il soit nécessaire
de passer par la contestation de la base juridique (législative, réglementaire
ou jurisprudentielle) de l'acte litigieux, la décision Perreux vient refermer une
parenthèse qui n'aurait pas dû être ouverte.

Les fondements fragiles de la jurisprudence Cohn-Bendit

5. Dès l'origine, la jurisprudence Cohn-Bendit était affublée de la tare


congénitale d'avoir été rendue contrairement aux conclusions du président
Bruno GenevoisNote de bas de page(7) qui proposait que la Cour de justice
des communautés européennes (CJCE) soit saisie à titre préjudiciel. En outre,
elle portait en elle-même ses propres incohérences.

6. En premier lieu, l'une des idées qui la sous-tendent, qui veut que les
règlements n'aient pas à être adoptés sous le pavillon des directives, n'est
bonne qu'en apparence.
Il n'a jamais été question pour les institutions de l'Union européenne, de
prendre des mesures d'applicabilité directe sous forme de directives, en ce
sens que même les dispositions claires, inconditionnelles et inflexibles des
directives doivent être transposées dans les États membres à l'issue de la
période transitoire qui naît de l'adoption de la directive et qui s'achève avec
l'expiration du délai de transposition.

Surtout, ce ne sont que certaines des dispositions des directives qui sont
rédigées d'une manière telle qu'elles ne laissent pas de marge aux États
membres. Directive et règlement ayant une même valeur normative, on peut
accepter que, à l'intérieur d'un cadre offrant des alternatives aux États pour
atteindre certains objectifs, certaines prescriptions leur soient imposées, sans
qu'il soit nécessaire de passer par l'adoption d'un règlement à cette fin - ce
qui simplifie grandement la présentation de textes souvent touffus : en
France, le Conseil constitutionnel a bien admis que des dispositions de nature
réglementaire puissent figurer dans la loi ! De même qu'il existe, malgré la
lettre du traité, des règlements qui ne sont pas une source immédiate de
légalité car nécessitant des mesures intermédiaires de mise en oeuvreNote
de bas de page(8), il peut y avoir, à l'intérieur de certaines directives, des
dispositions qui n'admettent pas de marge de manoeuvre quant au résultat à
atteindre par les États membres : c'est alors uniquement sur la manière
d'atteindre cet objectif (par voie constitutionnelle, législative ou
réglementaire) que l'enveloppe « directive » laisse une liberté aux États.

7. En deuxième lieu, le fondement implicite de la décision Cohn-Bendit tenant


au respect du principe de la séparation des pouvoirs et de l'interdiction faite
au juge de se substituer au législateur ou à l'exécutif repose sur une
conception biaisée de l'office du juge : en faisant directement bénéficier les
particuliers des droits qui leur sont conférés par une directive, le juge ne rend
en rien caduque l'opération de transposition et n'agit pas en « jurislateur
»Note de bas de page(9). Il rétablit, au cas d'espèce, par la prescription d'une
mesure individuelle, la légalité telle qu'elle aurait dû résulter de la
transposition en temps utile de la directive ; à la limite, le refus de l'effet
direct ne faisait qu'accentuer le manquement de l'État, d'abord à ses
obligations européennes (articles 10 et 249 CE, devenus articles 4,
paragraphe 3, TUE et 288 TFUE)Note de bas de page(10), et désormais,
depuis que l'on sait qu'il découle de l'article 88-1 de la Constitution une
exigence constitutionnelle de transposition des directives, à ses obligations
constitutionnelles. Si la décision Perreux motive son raisonnement par la
référence aux obligations conventionnelle et constitutionnelle de
transposition, on a la faiblesse de croire que ce sont moins ces textes - qui
existaient au moment où la décision Tête a confirmé la jurisprudence Cohn-
Bendit - qui justifient le revirement qu'un changement dans la perception du
droit de l'Union européenne par les actuels membres de l'Assemblée du
contentieux et à une volonté d'éviter les malentendus vis-à-vis des autres
ordres juridiques européens.

8. En troisième lieu, en prenant le contrepied de la jurisprudence de la Cour


de justice des Communautés européennes telle qu'elle résultait notamment
des arrêts Van Duyn de 1974 et Rutili de 1975 (qui avait admis l'effet direct
de la disposition invoquée par M. Cohn-Bendit), le Conseil d'État s'était posé
comme l'interprète légitime en dernier ressort des traités, en l'occurrence de
l'article 288 TFUE, fonction qui n'appartient qu'à la Cour de justice de l'Union
européenne en application de l'article 19, paragraphe 1, TUE (ex. article 220
CE, auparavant article 164 du traité CEE). Depuis la décision d'assemblée Sté
de Groot en Slot Allium BV du 11 décembre 2006, le Conseil d'État a admis
que les interprétations des traités et actes de l'Union européenne faites par
la Cour s'imposent à lui par application de l'article 267 TFUE - les juridictions
nationales disposant de la faculté de saisir à nouveau la Cour à titre
préjudiciel pour que l'interprétation initiale soit confirmée ou modifiée. Pour
être cohérent avec sa propre jurisprudence, le Conseil d'État devait s'aligner
sur la portée donnée depuis 1974 par la Cour à l'article 288 TFUE.

Des évolutions favorables à la théorie de l'effet direct des directives

9. On le constate avec la décision De Groot en Slot Allium BV, hétérodoxe à


compter de son prononcé, le « vestige » Cohn-Bendit était devenu
difficilement tenable avec l'écoulement du temps.

En premier lieu, des éléments de texte avaient mis en évidence le caractère


contestable de la solution rendue en 1978.

Comme cela avait été relevé dès 2006Note de bas de page(11), le texte
même du traité sur l'Union européenne tel qu'applicable depuis l'entrée en
vigueur du traité d'Amsterdam et jusqu'à celui de Lisbonne laissait entendre,
par un a contrario, que ses auteurs reconnaissaient le bien-fondé de
l'interprétation donnée par la Cour à l'ancien article 249 CE - lequel n'a au
demeurant pas été modifié depuis 1957 pour faire échec à la jurisprudence
Van Duyn, comme le « constituant » européen aurait pu le faireNote de bas
de page(12). En effet, dans la mesure où le b) du paragraphe 2 de l'article 34
UE, reprenait, pour les décisions-cadres, la définition que l'ancien article 249,
alinéa 3, CE donnait aux directives, et précisait en outre que les décisions-
cadres n'avaient pas d'effet direct, on pouvait en déduire que cet effet était
inhérent aux directives communautaires.

Ce n'est pas la seule indication figurant dans le traité à mettre au débit de la


jurisprudence Cohn-Bendit. En 1978, le commissaire du gouvernement Bruno
Genevois avait considéré que l'un des éléments qui militaient en faveur de
l'absence d'effet direct des directives tenait à ce que, à la différence des
règlements, ces actes n'étaient pas publiés au JOCE mais notifiés à leurs
destinatairesNote de bas de page(13) ; depuis l'entrée en vigueur du traité
de Maastricht, l'article 297 TFUE (ancien article 254 CE, lui-même issu de
l'article 191 du traité CEE) prévoit la publication au JOUE de la plupart des
directives, alignant ainsi leur régime de publicité sur ceux des règlements.

10. En second lieu, des éléments de contexte plaidaient en faveur de


l'abandon de la solution retenue en 1978.

Il n'est pas possible qu'une institution demande aux pouvoirs publics que les
textes soient intelligibles sans elle-même satisfaire à cette exigence dans sa
fonction juridictionnelle. Or la complexité du mécanisme de l'exception
d'illégalité savamment mis en place par la décision Cohn-Bendit et les
contorsions auxquelles le justiciable devait se plier pour bénéficier des droits
conférés par une directive étaient aux antipodes de l'objectif de lisibilité de la
règle juridique : rien n'était plus difficile par exemple que de restituer
l'acrobatique jurisprudence d'assemblée Tête du 6 février 1998Note de bas
de page(14) aux étudiants en L2 de droit. Au demeurant, tirée à l'extrême de
ses possibilités avec la décision Tête où la jurisprudence a été écartée
comme contraire à une directive communautaire, l'exception d'illégalité se
heurte à un angle mort dans le cas de figure improbable de l'affaire Perreux,
où il n'existe aucune norme écrite ou principe jurisprudentiel pouvant être
écarté pour que, en pratique, la requérante puisse bénéficier des règles de
preuve favorable reconnues par la directive à qui se prétend victime d'une
discrimination syndicale.

En outre, le Conseil d'État était pour le moins isolé dans sa lecture de l'article
288 TFUE, de sorte que, loin de favoriser un dialogue des juges, la singularité
de la jurisprudence Cohn-Bendit avait la tonalité d'un dialogue de sourds.
Après quelques hésitations pour certaines d'entre elles, toutes les juridictions
des États membres, y compris la Cour de cassation françaiseNote de bas de
page(15), reconnaissent désormais un effet direct aux dispositions claires,
inconditionnelles et inflexibles des directives. Si besoin était, elles peuvent
trouver un appui dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme qui s'est prononcée en faveur d'un tel effetNote de bas de page(16).
Depuis sa décision Loi pour la confiance dans l'économie numérique du 10
juin 2004, le Conseil constitutionnel a reconnu qu'une directive pouvait
comporter des dispositions inconditionnelles et précises - à charge pour le
juge « ordinaire » d'en déduire alors qu'elles sont d'effet direct. Le Conseil
d'État lui-même se penche désormais sur le degré de précision des directives
pour apprécier la manière dont il convient d'exercer le contrôle de la
constitutionnalité des actes réglementaires de transpositionNote de bas de
page(17).

Enfin, le refus de l'effet direct des directives n'était pas sans poser, au sein
même de la jurisprudence administrative, d'insolubles contradictions, à deux
égards. En plein contentieux d'abord, et notamment en contentieux fiscal, la
mise à l'écart des dispositions de portée générale « en tant qu'elles ne
prévoient pas » l'avantage octroyé par voie de directive et réclamé par le
contribuable conduisait en pratique le juge à reconnaître un droit à bénéficier
des dispositions de la directive - l'affaire Cabinet Revert et Badelon l'avait
bien montré dès 1996 à propos d'un texte ne comportant pas une
exonération fiscale figurant dans la 6e directive TVANote de bas de page(18).
Devant le juge de l'excès de pouvoir, la circonstance que le justiciable ait
assorti ses conclusions d'une demande d'injonction revenait en pratique à
des résultats comparables à ceux qui auraient résulté de l'effet direct : il
suffit à cet égard de songer aux célèbres contentieux formés par une
ressortissante portugaise tendant à son intégration dans le corps des
directeurs d'hôpitauxNote de bas de page(19). Dans ces hypothèses, il n'y a
pas qu'un simple effet d'exclusion du droit français : les droits conférés par
les dispositions précises et inconditionnelles d'une directive viennent se
substituer au droit national.

Un maniement contestable de l'effet direct des directives

11. Tout en le reconnaissant, la décision Perreux pose deux limites à l'effet


direct des dispositions des directives. L'une, relative à l'étendue de l'effet
direct, qui ne peut jouer qu'à l'encontre de l'administration, n'appelle pas de
remarque particulièreNote de bas de page(20). L'autre, relative aux
conditions matérielles de l'effet direct, apparaît plus problématique, tout
comme l'est le silence du Conseil d'État sur la portée d'une disposition
dépourvue d'effet direct d'une directive.

La recherche du caractère flexible de la disposition invoquée

12. L'effet direct ne peut naître qu'une fois passé le délai de transposition (tel
était le cas dans l'affaire Perreux, les États membres ayant en principe
jusqu'au 2 décembre 2003 pour se conformer aux prescriptions de la
directive 2000/78/CE), et uniquement pour les dispositions des directives
présentant une précision normative suffisante, dépourvues de flexibilité,
c'est-à-dire ne laissant pas de marge d'appréciation aux États quant au
résultat à atteindre.

L'Assemblée du contentieux a considéré que cette flexibilité caractérisait la


disposition invoquée par Madame Perreux, faisant ainsi obstacle à l'effet
direct de l'article 10, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE : selon le
Conseil d'État en effet, le paragraphe 5 de l'article 10 de la directiveNote de
bas de page(21) donne à certains États une marge dans l'opération de
transposition, qui jouerait précisément en France en raison du pouvoir
inquisitorial du juge administratifNote de bas de page(22), permettant ainsi
une dérogation au dispositif adapté de la charge de la preuve prévu au
paragraphe 1.

13. Ce raisonnement n'emporte pas complètement l'adhésion. La réserve de


l'article 10, paragraphe 5, ne doit pas être lue isolément, mais à la lumière
des considérants de l'exposé des motifsNote de bas de page(23), et en
particulier du 32e d'entre eux, qui l'explicite ; or celui-ci indique que les
procédures visées par la réserve « sont celles dans lesquelles la partie
demanderesse est dispensée de prouver les faits dont l'instruction incombe à
la juridiction ou à l'instance compétente » (non souligné dans le texte).
Autrement dit, conformément à la logique exprimée au 28e considérant de
l'exposé des motifs, qui précise que la transposition de la directive ne doit
pas conduire à une régression dans la protection des droits conférés dans les
États membres en matière de lutte contre les discriminations, la réserve
semble concerner uniquement les procédures dans lesquelles il suffit que le
demandeur se borne à alléguer une discrimination, sans même avoir à établir
le commencement de preuve de celle-ci exigé par l'article 10, paragraphe 1,
de la directive, à charge pour le défendeur de démontrer que les faits en
cause, à les supposer avérés, ne sont pas constitutifs d'une méconnaissance
du principe d'égalitéNote de bas de page(24). Ainsi entendue, la réserve du
paragraphe 5 n'avait pas vocation à jouer à l'égard de la procédure
administrative contentieuse : avant la décision Perreux, même dans les
litiges relatifs aux discriminations notamment syndicales, et en dépit du
caractère inquisitorial de la procédure, le demandeur devait au moins étayer
ses affirmations pour que celles-ci soient prises au sérieux par le juge
administratif - autrement le moyen aurait été rejeté faute pour le demandeur
d'avoir apporté des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
même le régime d'administration de la preuve créé par la décision Perreux
(v. le B infra) est moins favorable au demandeur que celui de la présomption
de discrimination sur simple allégation de celle-ci, auquel se réfère le 32e
considérant.

Autrement dit, à compter de l'expiration du délai de transposition de la


directive 2000/78/CE, il semble qu'aucune option, en tout cas pas celle
prévue à l'article 10, paragraphe 5, n'était ouverte aux pouvoirs publics
français, qui étaient tenus d'aménager le principe affirmanti incumbit
probatio (la preuve incombe à celui qui affirme) devant la juridiction
administrative, pour les affaires où une discrimination est en causeNote de
bas de page(25), comme ils l'ont fait par l'article 4 de la loi du 27 mai 2008.

L'invocabilité des dispositions dépourvues d'effet direct des directives

14. Quoi qu'il en soit, à supposer que l'article 10, paragraphe 1, de la


directive ne puisse se voir reconnaître un effet direct devant la juridiction
administrative française comme l'a jugé l'Assemblée du contentieux, il ne
faudrait pas en déduire que l'absence d'effet direct des dispositions d'une
directive interdise aux justiciables de s'en prévaloir, bien au contraireNote de
bas de page(26) : comme l'a démontré le professeur Denys Simon, si le
caractère obscur, conditionnel ou flexible des dispositions d'une directive fait
obstacle à l'opération de substitution du droit communautaire au droit
interne, il n'entrave pas la mise en oeuvre d'autres invocabilités, alternatives
à l'effet direct (autrement appelé « invocabilité de substitution »), permettant
de sanctionner le fait que l'État n'ait pas atteint le résultat visé par la
directive dans le délai imparti. On regrettera à cet égard que la décision
Perreux ait épuisé la question de l'invocabilité des directives à travers la
seule problématique de l'effet direct - qui n'a vocation à jouer que de
manière exceptionnelle, en l'absence de transposition ou en cas de
transposition défectueuse comme la Cour l'a fréquemment rappelé - en
laissant de côté leur « effet utile » qui contribue pourtant à atteindre
l'obligation de résultat fixée par chaque directive, même dépourvue d'effet
direct.

15. Ainsi, au titre de l'invocabilité d'exclusion (qui n'était pas en cause dans
l'affaire Perreux), l'existence d'une marge de manoeuvre n'empêche pas le
juge national de vérifier que les dispositions ou règles jurisprudentielles
nationales sont dans la « fourchette » admise par une directive
européenneNote de bas de page(27).

16. Si tel est bien le cas, il appartient alors au juge, au titre de l'invocabilité
de « transfusion » (D. Simon), et même dans les litiges entre particuliersNote
de bas de page(28), de donner lorsque cela est possible aux dispositions
nationales ou aux principes jurisprudentiels une interprétation qui se
rapproche du résultat que les dispositions dépourvues d'effet direct d'une
directive tendent à atteindre - c'est la jurisprudence bien connue Cercle
militaire mixte de la caserne Mortier du 22 décembre 1989 du Conseil
d'ÉtatNote de bas de page(29).

On aurait aimé que, dans l'affaire Perreux, l'Assemblée du contentieux


indique, après avoir établi la flexibilité laissée aux pouvoirs publics s'agissant
de la charge de la preuve dans les litiges administratifs, que, au nom de «
l'obligation pour les autorités nationales d'assurer l'application du droit
communautaire »Note de bas de page(30), il appartenait au juge de donner
une interprétation des règles de procédure contentieuse qui soit la plus en
adéquation possible avec celles permettant d'atteindre le résultat posé par
l'article 10, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE et la finalité de celle-ci.
Or le régime particulier de preuve en trois tempsNote de bas de page(31),
sans doute calqué en pratique sur les textes ayant transposé les directives
2000/78/CE 2000/43/CE du 29 juin 2000Note de bas de page(32), a été
dégagé par la décision Perreux indépendamment de toute référence aux
objectifs de la directive 2000/78/CENote de bas de page(33). Il ne faudrait
pas que, sous l'empire de la jurisprudence Perreux, on en vienne à regretter
la jurisprudence Cohn-Bendit...

***

17. La décision Perreux n'est convaincante ni sur la question du caractère


imprécis de l'article 10, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE, ni sur la
manière dont a été créé un régime jurisprudentiel de preuve de la
discrimination affranchi de l'obligation d'interpréter l'office du juge en
conformité avec les dispositions dépourvues d'effet direct d'une directive, ni
enfin, s'agissant du bien-fondé de l'affaire, sur l'absence de discrimination
syndicale commise à l'encontre de Madame PerreuxNote de bas de page(34).

18. Il reste qu'en effaçant le dernier témoin d'une époque révolue


d'affrontement avec la Cour, l'Assemblée du contentieux a rendu un « grand
» arrêt, qui tourne définitivement la page artificielle de la jurisprudence Cohn-
Bendit.

La décision Cohn-Bendit avait surtout une dimension symbolique ; à sa


manière, il en va de même pour la décision Perreux, qui, en apportant une
contribution décisive à l'aggiornamento européen du Conseil d'État, met
heureusement fin au soliloque du juge administratif français.

(1) La RFDA, dans son numéro de novembre-décembre 2009, a publié un


dossier consacré au renforcement de la portée des normes. Outre cette note,
voir les conclusions de Mattias Guyomar (p. 1125Commentaire d'auteur) et
l'étude de Pierre Bon sur la question prioritaire de constitutionnalité après la
loi organique du 10 décembre 2009 (p. 1107Commentaire d'auteur).

(2) La décision Cohn-Bendit a été rendue le jour même de l'audience


publique, alors qu'en général, comme le montre l'affaire Perreux pour
laquelle l'audience publique s'est tenue le 16 octobre 2009, le juge
administratif laisse s'écouler un délai d'une ou plus généralement deux
semaines après l'audience avant de « lire » les décisions, ce délai permettant
d'affiner la rédaction du projet de décision retenu à l'issue du délibéré,
d'évoquer l'affaire en « troïka » (pour le Conseil d'État) et de prendre
connaissance de l'éventuelle note en délibéré.

(3) L'on rappellera qu'en revanche la Cour a fait sienne la théorie de « l'acte
clair » rappelée par la décision Cohn-Bendit et dégagée dès 1964 par le
Conseil d'État.

(4) Relevant également que la jurisprudence Cohn-Bendit « n'a plus guère de


portée » : B. Stirn, Le Conseil d'État et les juridictions communautaires : un
demi-siècle de dialogue des juges, Gaz. Pal., nos 44-45, 13-14 févr. 2009,
spéc. p. 5 ; et dans le même sens : J.-M. Sauvé, Vingt ans après... l'arrêt
Nicolo, Gaz. Pal., n° 42-43, 11-12 févr. 2009, spéc. p. 6, note 15 ; M.
Guyomar, Un droit en équilibre, Mélanges Bruno Genevois, Dalloz 2009, spéc.
p. 542M031CHRON20080033 ; J. Sirinelli, La transformation du droit
administratif par le droit communautaire, thèse Paris II, 1er déc. 2009.

(5) « Tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un
acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et
inconditionnelles d'une directive, lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais
impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ».

(6) Ce dernier critère, relatif à la précision des dispositions des directives,


sera mentionné par la suite sous le terme de « flexibilité ».

(7) Tout comme les décisions Subrini de 1984 relative à l'applicabilité de


l'article 6 CEDH aux procédures ordinales et ONIC de 1985 relative à
l'autorité de la chose interprétée par la Cour, qui seront respectivement
abandonnées les 14 févr. 1996 (affaire Maubleu) et 11 déc. 2006 (affaire Sté
de Groot en Slot Allium BV). V. L. Dubouis, Bref retour sur la longue marche
du Conseil d'État en terres internationales et européennes, Mélanges Bruno
Genevois, préc., spéc. p. 391M031CHRON20080025 : « à la préoccupation
dont je lui faisais part concernant la ligne adoptée au regard du droit
communautaire et du droit international, [Bruno Genevois] répondit en
demandant de chasser toute inquiétude excessive car, dû cela prendre du
temps, le Conseil évoluerait ».

(8) V. par ex., pour des règlements laissant une marge de manoeuvre aux
États membres : CJCE, ord., 5 mai 2009, Atlantic Dawn, aff. C-372/08 P (pt 36)
; TPI, ord., 9 janv. 2007, Lootus Teine Osaühing, aff. T-127/05 (pt 47).

(9) Il est à cet égard certain que la décision Perreux ne remet pas en cause la
suprématie de la Constitution française telle qu'elle a été affirmée dans les
affaires Association Avenir de la langue française (CE 30 juill. 2003, Lebon
347 ; AJDA 2003. 2156, obs. J.-M. PontierDocument InterRevues ; Europe,
févr. 2004, comm. P. Cassia et E. Saulnier n° 30 ; CE 27 juill. 2006, Lebon
379Document InterRevues) : invitée à faire au cas par cas application des
dispositions d'effet direct d'une directive, sous peine d'annulation,
l'administration reste incompétente pour prendre, par voie réglementaire, les
mesures de transposition qui relèvent du domaine de la loi.

(10) La Cour juge de manière constante, d'une part, que « l'obligation pour
un État membre de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le
résultat prescrit par une directive est une obligation contraignante imposée
par l'article 249, troisième alinéa, CE et par la directive elle-même [qui]
s'impose à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre
de leurs compétences, les autorités juridictionnelles » (v. par ex. : CJCE 7
sept. 2004, Landelijke Vereniging tot Behoud van de Waddenzee, aff. C-
127/02, pt 65), et d'autre part, que « en vertu d'une jurisprudence constante
développée à propos de l'article 10 CE (...) le devoir des États membres, en
vertu desdites dispositions, de prendre toutes mesures générales ou
particulières propres à assurer l'exécution des obligations découlant du droit
communautaire s'impose à toutes les autorités des États membres, y
compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles »
(v. par ex. : CJCE 27 oct. 2009, Land Oberösterreich, aff. C-115/08, pt 138).

(11) P. Cassia, Abandonner la jurisprudence Cohn-Bendit?, AJDA 2006.


281Document InterRevues (tribune).

(12) Sur l'influence de la Cour dans la révision des traités, v. l'article


éponyme d'A. Ondoua, in P. Mbongo et A. Vauchez (dir.), Dans la fabrique du
droit européen, Bruylant, 2009, p. 199 s.

(13) On trouve aussi cet argument dans le commentaire de la décision Cohn-


Bendit aux Grands arrêts de la jurisprudence administrative (17e éd., n°
89GAJA1720090089).

(14) CE, ass., 6 févr. 1998, Tête, Lebon 30Document InterRevues, concl. H.
Savoie ; JCP 1998. II. 1223, note P. Cassia ; CJEG 1998. 283, note P. Subra de
Bieusses.

(15) V. par ex. : Crim. 21 févr. 1994, Ochtman Herbert, Bull. civ. n° 74, p.
159.
(16) CEDH 30 mai 2005, Bosphorus c/ Turquie, § 93.

(17) CE, ass., 8 févr. 2007, Sté Arcelor Atlantique et LorraineDocument


InterRevues : GAJA, 17e ed., n° 116GAJA1720090116 : « le contrôle de
constitutionnalité des actes réglementaires est appelé à s'exercer selon des
modalités particulières dans le cas où sont transposées des dispositions
précises et inconditionnelles » d'une directive. L'on rappellera qu'en
conséquence de l'obligation de transposition, une juridiction administrative a
estimé qu'il convenait de relever d'office la méconnaissance des dispositions
« exhaustives et précises » d'une directive : CAA Paris, 1er juin 2005, Julien :
AJDA 2005. 1948, obs. P. TrouillyDocument InterRevues.

(18) CE, ass., 30 oct. 1996, SA Cabinet Revert et Badelon, Lebon


397Document InterRevues ; RJF 1996. 809, concl. G. Goulard ; LPA 24 et 27
oct. 1997, n° 128 et 129, p. 4 et 5, note P. Cassia. Le rapporteur public
Mattias Guyomar a mentionné la décision SARL IMI du 10 avril 2002 dans
laquelle le Conseil d'État a directement accordé une exonération prévue par
la 6e directive TVA.

(19) V. par ex. : CAA Bordeaux, 11 déc. 2008, Isabel Burbaud, n°


07BX02403 : « Il est enjoint au ministre de la Santé de définir le statut de
Mme Isabel Burbaud pendant son stage d'adaptation, les modalités de son
évaluation et de sa rémunération » ; CAA Douai, 15 avr. 2004, Isabel
Burbaud, n° 97DA02205 : « Considérant que, dans l'attente qu'une
réglementation nationale conforme au traité et compatible avec les objectifs
définis par la directive 89/48 soit édictée, il appartient au ministre délégué à
la santé d'examiner dès à présent si, compte tenu de l'équivalence des titres
et diplômes dont elle se prévaut et des vacances d'emplois à pourvoir par les
différentes voies d'accès, Mme Burbaud peut être intégrée dans le corps des
personnels de direction des hôpitaux, et, le cas échéant, de prononcer cette
intégration en l'assortissant de l'obligation d'effectuer un stage d'adaptation
ou de se soumettre à une épreuve d'aptitude s'il apparaît qu'existent entre
les matières enseignées dans les deux écoles de santé publique des
différences de nature à le justifier ». V. aussi, s'agissant toujours des litiges
relatifs à la reconnaissance mutuelle des diplômes ou des expériences : CAA
Bordeaux, 7 mai 2007, Latreille, n° 05BX01188.
(20) L'effet direct des directives ne joue qu'à l'égard de l'État - c'est « l'effet
direct vertical ascendant » : un particulier ne peut demander à bénéficier de
droits qui lui sont reconnus par une disposition précise et inconditionnelle
d'une directive non transposée qu'à l'encontre de l'administration, lorsqu'est
formé « un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire »
pour reprendre les termes de la décision Perreux. Il n'est pas question de
faire application de l'effet direct soit dans les litiges formés par l'État contre
les particuliers - la jurisprudence de section Lilly France du 23 juin
1995Document InterRevues est évidemment maintenue -, soit entre
particuliers, le refus de l'effet direct « horizontal », conforme à la lettre du
traité (c'est l'État qui est lié par le résultat à atteindre), étant l'une des
expressions de la particularité des règlements par rapport aux directives,
seuls les premiers pouvant édicter avec effet immédiat des obligations à la
charge des personnes de droit privé. Le ralliement du Conseil d'État ne doit
pas être compris, à Luxembourg ou ailleurs dans l'Europe des juges, comme
un « feu vert » pour que soit étendu l'effet direct des dispositions précises et
inconditionnelles aux rapports entre personnes de droit privé.

(21) Selon lequel « les États membres peuvent ne pas appliquer le


paragraphe 1 aux procédures dans lesquelles l'instruction des faits incombe à
la juridiction ou à l'instance compétente ».

(22) Sur le pouvoir d'instruction du juge administratif, v. l'arrêt de principe :


CE, sect., 1er mai 1936, Couespel du Mesnil : GACA, n° 56, comm. B. Poujade,
ainsi que H. de Gaudemar, La preuve devant le juge administratif, Dr. adm.,
juin 2009, chron. 12.

(23) Sur l'importance des considérants dans l'interprétation des textes de


droit dérivé, v. par ex. : CJCE 4 oct. 2007, Max Rampion, aff. C-429/05 (pt 59).

(24) V. également en ce sens le 15e considérant de la directive 97/80/CE du


15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve en cas de discrimination
fondée sur le sexe, qui indique, pour l'interprétation de son article 4 relatif à
la charge de la preuve, qu'il faut tenir compte des spécificités de systèmes
juridiques propres à certains États où « il peut être conclu à une
discrimination si la partie défenderesse ne parvient pas à convaincre la
juridiction ou l'autorité compétente qu'il n'y a pas eu de violation du principe
de l'égalité de traitement » ; c'est pour ces États où la simple allégation suffit
à obliger le défendeur à prouver l'absence de discrimination, selon un mode
de preuve plus favorable au demandeur que celui prévu par la directive, que
l'article 4, paragraphe 3, permet une dérogation à l'obligation de
transposition des règles sur la charge de la preuve prévues au paragraphe 1.
La Cour a paru reconnaître un effet direct à l'article 4, paragraphe 1, de la
directive 97/80/CE, ce qui serait logique dès lors que cette disposition ne fait
que codifier la jurisprudence relative à l'égalité de traitement femmes-
hommes en matière professionnelle : CJCE 11 oct. 2007, Paquay, aff. C-
460/06 (pt 37) ; CJCE 10 mars 2005, Nikoloudi, aff. C-196/02 (pts 69 et 70).

(25) V. également en ce sens : Comité des ministres du Conseil de l'Europe,


12 juillet 2006, résolution ResChS(2006)5, Réclamation collective n° 24/2004,
SUD Travail Affaires sociales c/ France : « Le Comité note que, sous l'angle de
l'application effective des règles de protection contre la discrimination,
l'objectif du dispositif prévoyant un aménagement de la charge de la preuve
est de permettre aux juges de saisir la discrimination au regard des effets
produits par la règle, l'acte ou la pratique. Il observe que les juridictions
compétentes pour les affaires de discrimination qui concernent les
fonctionnaires, ainsi que les agents publics non titulaires et les employés de
l'ANPE, sont les tribunaux administratifs. Il observe aussi que les tribunaux
administratifs utilisent la procédure dite inquisitoriale, où les questions
touchant à la charge de la preuve peuvent être abordées d'une toute autre
manière que dans la procédure contradictoire. Le Comité ne peut cependant
que constater qu'il ne voit pas, s'agissant des catégories de salariés
concernées dans le cas présent, que le droit français contienne des
dispositions légales tendant à garantir un aménagement de la charge de la
preuve tel que l'implique l'article 1§2 de la Charte révisée [aménagement de
la charge de la preuve à l'égard des salariés de droit public dans les affaires
portant sur les discriminations à l'emploi]. Le gouvernement n'a rapporté
aucune preuve ni fourni aucune référence à un quelconque texte de loi ou à
une quelconque jurisprudence qui démontrerait que la situation en droit est
conforme aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 1§2. ».

(26) Alors que les stipulations des conventions internationales classiques qui
sont dépourvues d'effet direct ne sont pas invocables devant le juge (CE,
sect., 23 avr. 1997, GISTIDocument InterRevues), les dispositions du droit de
l'UE imprécises et conditionnelles peuvent déployer des effets de droit autres
que celui de substitution, et demeurent donc invocables en justice.

(27) V. par ex. CJCE 19 sept. 2000, Linster, aff. C-287/98, points 35 à 38 :
RFDA 2003. 568, note O. DubosCommentaire d'auteur ; CJCE 7 sept. 2004,
Landelijke Vereniging tot Behoud van de Waddenzee, aff. C-127/02 (pts 66 à
69).

(28) CJCE 5 oct. 2004, Pfeiffer, aff. C-379/01 à C-403/01 (pt 119) ; R. Boffa, La
force normative des directives non transposées, in C. Thibierge (dir.), La force
normative, LGDJ, 2009. 323, spéc. p. 332.

(29) V. dans la jurisprudence de la Cour : CJCE 16 déc. 1993, Miret, aff. C-


334/92 : « lorsqu'elle interprète et applique le droit national, toute juridiction
nationale doit présumer que l'État a eu l'intention d'exécuter pleinement les
obligations découlant de la directive concernée ; (...) en appliquant le droit
national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la
directive, la juridiction nationale appelée à l'interpréter est tenue de le faire
dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la
directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à
l'article [288], troisième alinéa, du traité » (pt 20). Pour une application plus
récente de l'interprétation conforme par le Conseil d'État, v. CE 20 avr. 2005,
Association pour la protection des animaux sauvages et autres, n° 271216,
Lebon T. 975Document InterRevues : « il appartient aux autorités
administratives nationales, sous le contrôle du juge, d'exercer les pouvoirs
qui leur sont conférés par la loi en leur donnant, dans tous les cas où elle se
trouve dans le champ d'application d'une règle communautaire, une
interprétation qui soit conforme au droit communautaire ».

(30) Pour reprendre les termes de : CE, sect., 3 déc. 1999, Association
ornithologique et mammalogique de Saône-et-LoireDocument InterRevues :
GAJA, 17e ed., n° 105GAJA1720090105.

(31) Le requérant doit soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de


faire présumer une discrimination ; le défendeur doit alors démontrer que
l'acte litigieux repose sur des éléments objectifs étrangers à toute
discrimination ; puis le juge peut, en cas de doute, compléter les échanges
entre les parties en ordonnant toute mesure utile. Cette troisième phase, qui
n'est pas prévue par les directives 2000/43/CE et 2000/78/CE, ni d'ailleurs par
l'article 4 de la directive 97/80/CE du 15 décembre 1997 précitée, et qui n'est
pas évoquée par la Cour dans les affaires où elle a eu à interpréter ces textes
(v. par ex. : CJCE 10 juill. 2008, Feryn, aff. C-54/07), est inhérente à la
fonction de juger (v. en ce sens la recommandation de politique générale n° 7
de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance, adoptée le
13 déc. 2002, pt 30 de l'exposé des motifs : « concernant l'obtention des
informations et des éléments de preuve, le juge doit avoir tous les pouvoirs
appropriés à cette fin »).

(32) Cette directive, comporte en son article 8, pour les discriminations à


raison de la race ou de l'origine ethnique, des dispositions identiques à celles
de l'article 10 de la directive 2000/78/CE.

(33) Comme l'a reconnu M. Guyomar, commentant la décision Perreux, « le


Conseil d'État a été conduit à régler le litige indépendamment de la règle
d'aménagement de la preuve que la directive posait et que la loi transposait
», Gaz. Pal, 29 nov.-1er déc. 2009, n° 333-335, p. 14. Il est appréciable que le
Conseil d'État, contrairement à ce que préconisait le rapporteur public, n'ait
pas tenu compte de la réserve posée par le Conseil constitutionnel tendant à
ce que, afin de respecter les droits de la défense et de l'égalité des parties, le
demandeur présente des « éléments de fait précis et concordants » de
nature à faire supposer la discrimination (Cons. const., 12 janv. 2002, décis.
n° 2001-455 DC, Loi de modernisation sociale, cons. 89). Cette réserve, qui
n'a pas été énoncée par la Cour pour l'article 8 de la directive 2000/43/CE
(CJCE 10 juill. 2008, Feryn, préc., pts 29 à 34 : en l'occurrence, peuvent
constituer des faits établis de nature à faire présumer une politique
d'embauche discriminatoire les déclarations par lesquelles un employeur fait
savoir publiquement que, dans le cadre de sa politique de recrutement, il
n'embauchera pas de salariés issus d'une certaine origine ethnique ou
raciale) ou dans sa jurisprudence relative à la charge de la preuve d'une
inégalité entre travailleurs féminins et masculins (par ex. : CJCE 26 juin 2001,
Brunnhofer, pt 58 : il suffit que le travailleur établisse à première vue
l'existence d'une violation du principe d'égalité), ne s'impose en tout état de
cause au juge administratif, malgré ce qu'en a dit le rapporteur public de
l'affaire Perreux, que pour ce qui concerne la loi déférée au Conseil
constitutionnel en 2001 et en aucun cas pour l'interprétation d'une autre loi,
même conçue en termes analogues (CE, sect., 22 juin 2007, Lesourd, Lebon
253 et 986Document InterRevues : RFDA 2007. 1077, concl. T.
OlsonCommentaire d'auteur ; JCP Adm. 2007, 2255, note P. Cassia ; Cah.
fonct. publ., oct. 2007. 40, obs. M. Guyomar ; Dr. adm. 10/2007, comm. F.
Melleray, n° 140), ou pour ce qui concerne l'office de ce juge.

(34) À cet égard, le conseil de la requérante avait pris la parole de manière


très persuasive à la suite des conclusions du rapporteur public, lors de
l'audience du 16 octobre 2009 ; il n'est toutefois pas possible d'être affirmatif
sur des questions de fait aussi délicates, sans avoir une fine connaissance
des éléments de comparaison produits en défense par la garde des Sceaux.

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