Revue publiée pour le Secretariat Internationale de la Quatrième Internationale. L'article principale est de Ernest Mandel en polémique avec le "comité paritaire" formée pour Nahuel Moreno et Pierre Lambert.
Revue publiée pour le Secretariat Internationale de la Quatrième Internationale. L'article principale est de Ernest Mandel en polémique avec le "comité paritaire" formée pour Nahuel Moreno et Pierre Lambert.
Revue publiée pour le Secretariat Internationale de la Quatrième Internationale. L'article principale est de Ernest Mandel en polémique avec le "comité paritaire" formée pour Nahuel Moreno et Pierre Lambert.
Ouatrieme:
Internationale
Ys
a
L'EXPLOSION POLONAISE ET SES LENDEMAINS.
Emmanuel Farjoun : Les ouvriers palestiniens
dans I’économie israélienne
Ernest Mandel : NOS DIVERGENCES AVEC
LE «COMITE PARITAIREn ET SA « CONFERENCE OUVERTEn
Adolfo Gilly : Auto-organisation ouvridre en Amérique latine
Livio Maitan : LA «CRISE DU MARXISME»
VERSION FIN DES ANNEES 70
Alain Brossat : La classe ouvriére juive d'Europe orientale
Périodique trimestrial | 38° année / 3¢ série, n° 2
octobre-novembre-décembre 1980Quatriéme
Internationale
Organe
du
Comité Exécutif International
dela
IVe Internationale
a»
a.
Octobre-novembre-décembre 1980
PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS !38° Année 3¢ série / n° 2
SOMMAIRE
EDITORIAL :
L’explosion polonaise et ses lendemains........... sees 3
Ernest Mandel - Nos divergences avec le «comité paritaire et
BW MCONSEN ENCE OUVEFIED 5 sca'craia'e! asia 6 s\nelniaie ac asl baibaib/s;s on'9ia%e si0's:0-0 lL
Livio Maitan - La «crise du marxisme» version fin des années ‘70 ....... 61
Adolfo Gilly - Auto-organisation ouvriére en Amérique latine........... 89
Emmanuel Farjoun - Les ouvriers palestiniens dans l'économie
israélienne 95
Alain Brossat - La classe ouvritre juive d’Europe orientale .. . 131
NOTES DE LECTURE :
Raimund Low : Otto Bauer und die russische Revolution ;
I. B. Tabata : Education for barbarism; Grigory Kostiuk :
Okaianni Roki (Les Années maudites) ; i Die
Geburt des Stalinismmus .....00ccccc cee seceeeeeeneeereeee ceseeee 142
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L’explosion polonaise
et ses lendemains
Les travailleurs polonais ont remporté une grande victoire. Une vague de greves qui
@ entrainé prés d’un million de protétaires, qui s'est défendue sur pres de deux mois,
qui, @ Gdansk, a frélé la constitution d’un soviet, a fini par susciter devant la
bureaucratie le spectre d’une gréve générale nationale, succédant a des greves générales
locales dans une dizaine de centres importants. Prise de panique, la bureaucratie a
accordé aux grévistes presque toutes leurs revendications immédiates,
Celles-ci concernent une augmentation générale des salaires, des allocations
sociales, des retraites ; un blocage des prix des produits de premiere nécessité (ce sont
les hausses des prix de la viande qui avaient mis le feu aux poudres) ; la suppression
des magasins dits «commerciaux» ou les produits de premiére nécessité, devenus
introuvables dans les magasins «normaux», pouvaient étre acquis a prix majorés ; une
refonte générale du systéme des allocations familiales pour éliminer les inégalités
(c’est-a-dire les privileges bureaucratiques) les plus criantes du moins en ce domaine.
Mais aux revendications économiques sur lesquelles la bureaucratie a cédé (comme
elle le fit déja lors des gréves de 1970) s'ajoutérent, cette fois-ci, des revendications
politiques que la bureaucratie a également été obligée de satisfaire : droit pour les
travailleurs de constituer des syndicats libres autogérés, indépendants de |’Etat, du
Parti et de I’administration économique, c’est-d-dire défenseurs authentiques des
travailleurs face a la direction des entreprises ; droit Pour ces syndicats d’avoir leur
propre presse, non soumise au contréle du parti ou de la censure ; relichement sinon
abolition du syst®me général de la censure ; droit de gréve officiellement reconnu
Gusqu’ici, parmi les Etats ouvriers bureaucratisés, seules la RP de Chine et la
Yougoslavie reconnaissent ce droit) ; impunité pour tous les grévistes et tous ceux qui
les ont aidés pour tous les faits qui se sont produits pendant la gréve ; bération des4 QUATRIEME INTERNATIONALE
prisonniers politiques, et notamment des epposants du KOR arrétés dans la phase
Finale de la gréve.
Crest ld le fait nouveau, d’ampleur véritablement historique, du magnifique combat
des travailleurs polonais. Certes, la gréve générale qui avait secoué la Hongrie aprés
intervention soviétique du 4 novembre 1956, dépassait en ampleur et en auto-
organisation les gréves polonaises de I’été 1980 : on était au seuil d’un congrés national
des conseils ouvriers. Certes, au cours du printemps de Prague, la radicalisation
Politique, les progrés de la démocratle socialiste, étaient plus vastes qu’aujourd’hul en
Pologne. Mais contrairement aux travailleurs hongrois de 1956, les travailleurs
polonais ont eu gain de cause sur l’essentiel de ce qu’ils réclamérent, y compris dans le
domaine politique. Et contrairement au printemps de Prague, 1’été polonais de 1980
est venu d’en bas et non d’en haut, d’une action de masse spontanée du prolétariat et
non d'une aile libérale-réformatrice de la bureaucratie soumise a la seule pression des
masses. Ces différences sont de taille.
Les travailleurs polonais ont fait preuve d’une capacité d’auto-organisation, d’une
opiniatreté, d'un sens tactique, qui forcent l’admiration. C'est la que se manifeste le
résultat d’un lent mérissement souterrain de la conscience et d’une nouvelle
avant-garde, a travers les expériences des gréves de 1970, de 1976 et de 1980. Une fois
de plus, apres 1968-69 en France et en Italie, apres les gréves espagnoles du milieu des
années ’70 qui ont abouti a la chute de la dictature, apres l’admirable remontée de la
classe ouvriére et du mouvement ouvrier du Brésil, les qualités et capacités de
mobilisation, de lutte et d’auto-organisation du prolétariat se confirment de maniére
éclatante — dans les trois secteurs de la révolution mondiale — pour tous ceux qul ne
sont pas sourds et aveugles. Une fois de plus, I’«adieu au prolétariat» s'avere sans
Ffondement réel aucun, sinon celui de l’impatience, de la déception et de la
démoralisation. Une fois de plus l’histoire confirme l'enseignement fondamental du
marxisme : le prolétariat moderne est la seule classe sociale qui posséde le pouvoir
potentiel, les qualités nécessaires pour une réorganisation socialiste de la société, pour
peu que ces qualités rencontrent un ensemble de conditions d’épanouissement
objectives et subjectives favorables. La IVe Internationale, dont i’existence et la lutte
reposent sur cette conviction profonde, y puise une confirmation nouvelle qu’elle est
dans la bonne voie.
v4
Mais si les travailleurs polonais ont remporté UNE grande victoire, ils n'ont pas
encore remporté LA victoire. Le pouvoir politique reste dans les mains de la
bureaucratie. Nous n’avons pas assisté au début de Ia révolution politique. Nous
n’assistons qu’ ses prodromes.
Or, aussi longtemps que ta bureaucratie détient le pouvoir politique, elle dispose de
cent moyens pour reprendre d’une main ce qu’elle se voit obligée d’accorder de l'autre.
Leremplacement de Glerek par un homme d’appareil qui avait jusqu’ici la haute main
sur la police est significatif a ce propos, bien qu’il se donne pour le moment une image
«libérale» et prometie solennellement de respecter les signatures des accords de
Gdansk, de Szczecin et de Katowice.
L’action de masse impétueuse du prolétariat polonais a confirmé que la bureaucra-
te ne dispose d’aucune racine ni d’aucun pouvoir social, voire socio-économique
propres, dans les Etats ouvriers bureaucratisés. La seule base effective de ses privilegesL ‘EXPLOSION POLONAISE ET SES LENDEMAINS &
de consommation et de gestion, c'est le monopole absolu du pouvoir politique dont
elle jouit, c’est-a-dire 'expropriation politique du prolétariat, son atomisation et sa
passivité politiques (pour la méme raison, au sein des entreprises, la situation est bien
différente. Les ouvriers y ont bien plus de moyens d’autodéfense et le pouvoir de fait
des bureaucrates sur les ouvriers y est bien moins total quion ne le suppose
généralement dans les pays capitalistes, alors qu’il est effectivement totalitaire sur la
société dans son ensemble).
Cela explique pourquoi la bureaucratie est bien plus disposée @ lacher du lest sur le
Plan économique, y compris en ce qui concerne la gestion des entreprises séparées les
unes des autres, que sur le plan politique, c’est-a-dire en ce qui concerne les droits des
travailleurs de se méler de la vie économique, sociale et politique prise dans totalité.
Cela explique également pourquoi la bureaucratie veille jalousement sur tout ce qui
concerne ce monopole de pouvoir (y compris le pouvoir d’accés aux informations !) au
niveau national.
En abandonnant toutes les revendications politiques qui visaient la mise en question
directe de ce monopole de pouvoir politique — revendications qui avaient pourtant
Sfusé de la base — les dirigeants des comités de grove interusines de Gdansk, de
‘Stezecin et de Katowice ont rendu possible les accords conelus. Ceux-ci Gpparaissent
des lors comme des compromis, des paliers auxquels Ia lutte s’arréte temporairement,
plut6t que comme des accords durables.
Cette attitude des dirigeants du MKS s’explique fondamentalement par deux
raisons. La gréve de juillet-aoutt n’était pas encore une gréve générale, Elle pouvait le
devenir, mais ce n’était pas tout d fait certain qu’elle le serait devenue. La bureaucratic
manoeuvrait de toutes ses forces pour fragmenter, diviser le prolétariat polonais,
Personne ne pouvait garantir qu'elle n’arriverait pas a ses fins, si le combat se
prolongeait. Le degré d’auto-organisation du prolétariat n’avait pas encore atteint une
véritable structure nationale, capable de représenter les travailleurs de tout le pays.
Dans ces conditions, les dirigeants de la gréve, et sans doute la majorité des grévistes,
ont pensé qu’un tiens vaut mieux que deux tu V’auras,
En outre — et c'est sans doute la raison la plus importante — il y a une inégaliié
énorme entre l’instinct, la conscience de classe élémentaires des grévistes et de leurs
dirigeants d’une part, et leur conscience de classe Politique, socialiste, d’autre part. Le
discrédit énorme que le stalinisme a jeté sur le communisme, le socialisme, le
marxisme, ne se rattrapera pas en quelques mois de gréves méme les plus
impressionnantes. La confusion idéologique et politique reste énorme méme si les
travailleurs restent fermement attachés a la propriété socialisée,
Paradoxalement, alors qu’ils tempétent d@ tue-téte contre les «éléments
antisocialistes», c’est justement sur le terrain de Vidéologie non-socialiste que les
bureaucrates gardent prise sur les dirlgeants du MKS. Ceux-ci restent sensibles aux
arguments de «l’intérét national», de la «raison d’Etat», du «dialogue entre tous les
Polonais», dont d’authentiques socialistes révolutionnaires, auraient facilement pu
démonter la démagogie.
Le compromis de Gdansk ne correspond donc pas seulement a des rapports de force
encore partiellement obscurcis. Il correspond aussi a Vabsence de maturité pleine et
entiére du facteur subjectif. Il confirme que pas plus que la révolution socialiste dans
les semi-colonies ou que la révolution prolétarienne dans les pays impérialistes, la
révolution politique dans les Etats ouvriers bureaucratisés ne pourra vaincre sans une6 QUATRIEME INTERNATIONALE
direction révolutionnaire consciente des taches que ces révolutions doivent affronter,
et de la maniére de les résoudre avec succés.
i
Cependant, si la bureaucratie polonaise conserve le monopole d’exercice du pouvoir
politique central, celui-ci a été profondément ébranlé, On ne reviendra pas facilement
4 la situation d’avant les gréves. La «normalisation» sera bien plus difficile en Pologne
qu’en Tchécoslovaquie, précisément parce que ceux contre lesquels elle devra
s’lmposer ne sont pas avant tout des dirigeants, fonctionnaires et membres du parti,
mais la masse de la classe ouvriére elle-méme.
Les lignes de force des futurs conflts se laissent facilement déduire des textes des
accords de Gdansk, Szezcin et Katowice eux-mémes. Ces conflits aboutiront soit a
faire perdre aux travailleurs Vessentlel de leur acquis, solt @ saper totalement le
pouvoir politique de la bureaucratie polonaise. Ils s’engageront dans des rapports de
force sérieusement détériorés pour cette bureaucratie.
Le droit de constituer des syndicats autonomes, libres et autogérés se limite-t-il aux
seules entreprises, localités et régions ? Implique-i-il aussl le droit de constituer une
(ou plusieurs) confédérations syndicales nouvelles a |’échelle nationale ? Si non, que
reste-t-il du caractére autogéré du nouveau syndicat, a moins d’accorder aux travail-
leurs le droit de constituer des tendances syndicales nationales avec plates-formes
séparées et élection démocratique des délégués sur base de telles plates-formes alterna-
tives au sein de la confédération unique, ce qui serait encore pire pour la bureau-
cratie ? Si! oul, comment résoudre le probléme plus qu’épineux du pouvoir
économique des syndicats (en matiére de sécurité sociale, de congés payés, d’accds aux
homes de vacances, etc.) ? En maintenant la mainmise monopoliste de fait du syndicat
étatique sur tous ces biens énormes ? Ce serait percu comme une bréche dans
Vautogestion syndicale. En soumettant toutes des institutions a des organismes de
direction démocratiquement élus entre délégués des différentes confédérations ou
tendances syndicales ? Du coup, le pluralisme syndical s’étendrait @ une partie de
Vadministration étatique et para-étatique. On voit combien la dynamique est
explosive.
Les syndicats autonomes, libres et autogérés auraient droit @ leur propre presse.
Celle-ce ne serait plus sournise @ la censure. La bureaucratie a beau compter sur
Vautocensure et la modération des dirigeants du MKS, surtout ceux qui sont influencés
par I’Eglise et par le KOR. N’empéche qu’a la premiere nouvelle crise économique,
au premier choix douloureux de priorités en matiére de politique économique et
sociale, il sera impossible d'empécher la base du nouveau syndicat, voire ses cadres
moyens au niveau des entreprises, d’expliquer ses revendications, de formuler des
propositions de politique économique de rechange. Or, dans un Etat ouvrier, dans la
soclété postcapitaliste 80 % de la politique concerne justement les choix de priorités en
matiére de politique économique et sociale. Les dirigeants du nouveau syndicat ont
beau jurer qu’ils ne feront pas de politique, qu’ils reconnaissent «le réle dirigeant du
parti». Ils perdraient vite leur crédit auprés des masses s’ils étouffaient la formulation
de telles politiques économiques de rechange de la part de leurs propres membres.
Diailleurs, Vaccord de Gdansk au moins prévoit explicitement cette possibilité.
Pareille politique économique de rechange exige d’ailleurs qu'un inventaire complet
et honnéte soit dressé, et des capacités de production réelles dans les entreprises et lesL ‘EXPLOSION POLONAISE ET SES LENDEMAINS 2
villages, et des besoins réels non-satisfaits de la population laborieuse. Les syndicats
autogérés et des comités de quartier et de ménagéres pourraient donner un caractere
initiative et de mobilisation populaires trés large et tres démocratique a cette ceuvre
préparatoire et indispensable.
Du coup, le pluralisme syndical se transforme inévitablement en pluralisme
politique s'il ne veut pas disparaftre lul-méme. Ce n’est que logique. Vu le caractere
structurel du pouvoir politique, pas plus que VEtat bourgeois, la dictature bureau-
cratique ne peut étre abolie graduellement, pas a Pas, morceau par morceau. Il n’y a
pas de démocratie socialiste partielle. Ou bien elle s’étend rapidement @ tous les
domaines de I’activité sociale, ou bien elle finit par étre Gtouffée dans le domaine
unique ov elle a osé lever ta téte.
Les travailleurs polonais perdront Vessentiel des conquétes de l’été 1980 s’ils ne
conquiérent pas le pouvoir politique exercé par des conseils ouvriers et populaires
démocratiquement élus, avec pluralité des partis politiques représentés au sein de ces
conseils et jouissance des libertés démocratiques Pleines et entiéres pour tous.
Crest la V'enjeu de la bataille qui s’ouvre des maintenant, et qui se traduira (qui s’est
sans doute déja traduite) par des déchirements nombreux et successifs au sein de
Vapparell du POUP (Parti ouvrier unifié de Pologne, nom que s’est donné le parti
stalinien en Pologne apres U'absorption du PS) lui-méme.
La bureaucratie s’efforcera de retarder cette bataille jusqu’au moment on la vague
de combativité ouvriére reflue. Elle s’efforcera de manceuvrer, de biaiser avec les
difficultés, d’intégrer voire de corrompre les uns, de mater les Plus récalcitrants, et
surtout de diviser, de fragmenter, d'éparpiller les Forces ouvriéres. Les ouvriers, de
leur c6té, encore éblouis par ce qu’ils viennent de conquérir, avanceront d’abord avec
prudence, pénétreront en tétonnant sur un terrain quasl-inconnu : celui de I’action
politique de masse autonome et légale, Mais Vappétit vient en mangeant. Tis
avanceront, on peut en étre convaincu. De la V’inévitabilité du conflit, encore accentué
par les déstquilibres objectifs profonds qui déchirent Véconomie et la société
polonaises. (1)
Le Kremlin ne s’y est pas trompé, qui tire @ boulets rouges sur les «éléments
antisocialistes infiltrés au sein de la classe ouvriére Polonaise» qui auralent «préparé
des troubles depuis de longs mois». La vulgarité, la stupidité, Vorigine policiére et
Dourgevise de l’argumentation, ne peuvent que susciter le dégotit. La presse réaction-
naire capitaliste s'est spéclaliste dans ce genre d’