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EN SITUATION PRECAIRE
Ouvrage à l’intention de tous ceux qui s’intéressent, cherchent, étudient, la médecine et ses
applications thérapeutiques afin de venir en aide à leur prochain.
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CHIRURGIE D’URGENCE
EN SITUATION PRECAIRE
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Sommaire 3
Auteurs 6
Préface 11
Léon Lapeyssonnie 13
A. Conditions logistiques 22
1. Mode d'intervention et logistique de la chirurgie au sein d'une organisation
médicale humanitaire non gouvernementale. 23
Jean Rigal
(Annexe I : Kit chirurgie, 300 interventions (100 lits/I mois)) 30
2. Approvisionnement en eau en situation d'exception 51
Philippe Eono, Claude-Pierre Giudicelli
3 Antennes chirurgicales du Service de Santé des Armées 66
Louis-José Courbil, Jean-Claude Latouche, François-Marie Grimaldi,
Jean-François Chaulet, Sylvie Dorandeu, Jean-Philippe Rault
B. Conditions techniques 91
4. Chirurgie en situation d'exception - Essai de définition des contours 92
Patrice Houdelette
5. Anesthésie et réanimation en situation précaire
Jean-Pierre Carpentier, Michel Aubert 103
6. Thérapeutique transfusionnelle 173
Rémy Courbil, Dominique Legrand, Jean-Pierre Zappitelli, Jacques Chiaroni
3
16. Plaies de l'abdomen - Traitement chirurgical en situation de précarité 321
Claude Dumurgier
17. Traumatismes balistiques de la face 336
Daniel Cantaloube, Luc Richard, Guy Payement
18. Plaies du thorax en situation d'exception 359
François Pons, Olivier Chapuis, René Jancovici
19. Indications et limites de la chirurgie dans les plaies pelvi-périnéales 367
Philippe Vicq, Jean-Marie Andréa
20. Plaies de guerre de la hanche 372
Jean-François Thiery, Jacques Limouzin, Hubert de Belenet, Christophe Drouin
21. Pieds de mine 380
François-Marie Grimaldi, Christophe Courant, Jacques Limouzin, Christophe Drouin,
Eric Demortière
22. Traitement des plaies des parties molles par blessure de guerre 392
Patrice Houdelette
23. Prise en charge chirurgicale d'une brûlure grave en situation précaire 407
Jean-Michel Rives, Anne Le Coadou, Gérald Franchi,
Jean-François Andréani, Daniel Cantaloube
4
37. Plaie cranio-cérébrale 651
Alain Ducolombier
38. Hématome extra-dural 660
Alain Ducolombier
39. Césarienne 667
Gilles Charles
40. Rupture de grossesse extra-utérine 681
Gilles Charles
41. Hystérectomie obstétricale 691
Gilles Charles
42. Cystostomie et ponction vésicale sus-pubienne 703
Alex Altobelli
43. Torsion du cordon spermatique 712
Alex Altobelli
44. Plaies du globe oculaire 716
Christian Bouat
45. Énucléation 725
Christian Bouat
46. Suture-épiplooplastie pour perforation d'ulcère duodérial 731
Louis Cador, Thierry Boulanger
47. Colostomie pour plaie de guerre du côlon gauche 739
Louis Cador, Alain Collée
48. Hernie inguinale étranglée 753
Thierry Boulanger
49. Splénectomie pour rate traumatique 761
Thierry Boulanger
50. Trachéotomie 768
Jean-Luc Poucet
51. Thoracotomie en situation d'exception 782
François Pons. Olivier Chapuis. René Jancovici
Index 789
5
Auteurs.
Alex Altobelli
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service d'Urologie, Hôpital d'Instruction des Armées
Sainte-Anne, Toulon.
Jean-François Andréani
Spécialiste des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Plastique, Hôpital d'Instruction
des Armées Percy, Clamart.
Jean-Marie Andreu
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Hôpital Principal, Dakar, Sénégal.
Michel Aubert
Professeur Agrégé du Service de Santé des Armées, Service d'Anesthésie-Réanimation,
Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.
Jacques Bahuaud
Professeur Agrégé, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Chef du Service d'Orthopédie et de
Traumatologie, Hôpital d'Instruction des Armées Robert Picqué, Bordeaux.
Luc Bellier
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Gynécologie. Hôpital d'Instruction des
Armées Alphonse Lavéran, Marseille.
Christian Bouat
Ophtalmologiste des Hôpitaux des Armées, Service d'Ophtalmologie, Hôpital d'Instruction
des Années Alphonse Lavéran, Marseille.
Thierry Boulanger
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Viscérale, Hôpital d'Instruction
des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.
Louis Cador
Professeur Agrégé, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Chef du Service de Chirurgie
Viscérale, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.
Alain Callec
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Chef du Service de Chirurgie, Hôpital Principal de
Mayotte, Océan Indien.
Daniel Cantaloube
Professeur Agrégé, Chef du Service de Chirurgie Maxillo-Faciale, Hôpital d'Instruction des
Armées Percy, Clamart.
Jean-Pierre Carpentier
Professeur Agrégé, Service d'Anesthésie, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse
Lavéran, Marseille.
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Jean-Claude Cazenave
Professeur Agrégé du Service de Santé des Armées, Gynécologue-Obstétricien, Marseille.
Olivier Chapuis
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Thoracique et Générale, Hôpital
d'Instruction des Armées Percy, Clamart.
Gilles Charles
Médecin en Chef, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Chef du Service de Gynécologie-
Obstétrique, Hôpital d'Instruction des Armées Bégin, Saint-Mandé.
Jean-François Chaulet
Pharmacien Chimiste des Hôpitaux des Années, Hôpital d'Instruction des Armées
Desgenettes, Lyon.
Jacques Chiaroni
Docteur en Médecine, Chef de Service du Laboratoire d'Immuno-Hématologie, Centre
Régional de Transfusion Sanguine, Marseille.
Christophe Courant
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique et
Traumatologique, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.
Louis-José Courbil
Professeur Agrégé, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Médecin Général Inspecteur (CR).
Rémy Courbil
Docteur en Médecine, Coordonnateur Régional d'Hémovigilance, Direction Régionale des
Affaires Sanitaires et Sociales, Toulouse.
Hubert de Belenet
Assistant des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique, Hôpital d'Instruction
des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.
Alain Délaye (f )
Chirurgien de l'Hôpital du Point G, Bamako, Mali.
Eric Demortière
Assistant de Chirurgie des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique et
Traumatologique, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.
Michel Di Shino
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Chef du Service de Chirurgie Orthopédique, Hôpital
d'Instruction des Armées Percy, Clamart.
Sylvie Dorandeu
Pharmacien, Chimiste des Hôpitaux des Armées, École du Service de Santé des Armées,
Lyon.
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Christophe Drouin
Assistant des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique, Hôpital d'Instruction
des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.
Alain Ducolombier
Professeur Agrégé, Médecin en Chef, Service de Neurochirurgie, Hôpital d'Instruction des
Armées du Val-de-Grâce, Paris.
Claude Dumurgier
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Viscérale et Urologique, Institu-
tion Nationale des Invalides, Paris.
Christophe Dupeyron
Anesthésiste-Réanirnateur des Hôpitaux des Armées, Centre Hospitalier des Armées,
Calmette, Lorient Naval.
Mario Duran
Chirurgien, Ancien Professeur de Chirurgie, Université de Cordoba (Argentine), Paris.
Philippe Eono
Spécialiste du Service de Santé des Armées, Direction Centrale du Service de Santé des
Armées, Paris.
Gérald Franchi
Médecin Aspirant, Services des brulés, Hôpital d’Instructions des Armées Percy, Clamart.
Claude-Pierre Giudicelli
Professeur Agrégé, Inspecteur Général du Service de Santé des Années, IGSSA, Paris.
François-Marie Grimaldi
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique et
Traumatologique, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.
Patrice Houdelette
Professeur au Val-de-Grâce, Titulaire de la Chaire de Chirurgie de guerre, Médecin en Chef,
Service d'Urologie, Hôpital d'Instruction des Armées du Val-de-Grâce, Paris.
René Jancovici
Professeur Agrégé et Chirurgien des Hôpitaux, Service de Chirurgie Thoracique, Hôpital
d'Instruction des Armées Percy, Clamart.
Philippe Jourdan
Chirurgien des Hôpitaux, Service de Neurologie, Résidence du Parc, Marseille.
Léon Lapeyssonnie
Professeur Agrégé du Service de Santé des Armées, Médecin Général (CR).
Roland Laroche
Professeur du Service de Santé des Armées, Directeur de PIMTSSA, Le Pharo, Marseille.
8
Jean-Claude Latouche
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Médecin Chef adjoint, Hôpital d'Instruction des
Armées Alphonse Lavéran, Marseille.
Anne Le Coadou
Assistante des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Plastique, Hôpital d'Instruction des
Armées Percy, Clamart.
Dominique Legrand
Docteur en Médecine, Chef de Service de préparation et de distribution des Produits Sanguins
Labiles, Centre Régional de Transfusion Sanguine, Marseille.
Jacques Limouzin
Assistant de Chirurgie des Hôpitaux des Armées, Service d'Orthopédie-Traumatologie,
Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.
Anselme Mackoumbou-Nkouka
Professeur Agrégé du Service de Santé des Armées, Directeur Central du Service de Santé
des Forces Armées Congolaises, Brazzaville, Congo.
Claude Malmejac
Professeur de Chirurgie Thoracique, Service de Cardiologie, Hôpital Sainte-Marguerite,
Marseille.
Yvan Merrien
Professeur Agrégé, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique,
Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.
Jean-Louis Pailler
Chirurgien des Hôpitaux des Années, Ancien Chef du Service de Chirurgie Viscérale et
Vasculaire à l'Hôpital du Val-de-Grâce, Ancien titulaire de la Chaire de Chirurgie de Guerre,
Membre de l'Académie de Chirurgie, Service de Chirurgie Générale et Viscérale, Hôpital
Américain de Paris, Neuilly.
Guy Payement
Spécialiste des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Maxillo-Faciale et de Chirurgie
Plastique, Hôpital d'Instruction des Armées Desgenettes, Lyon.
Jean-Luc Poncet
Professeur Agrégé, Médecin en Chef, Chef du Service ORL et Chirurgie Cervico-Faciale,
Hôpital d'Instruction des Armées du Val-de-Grâce, Paris.
François Pons
Professeur Agrégé, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Thoracique,
Hôpital d'Instruction des Armées Percy, Clamart.
Jean-Philippe Rault
Pharmacien-Chimiste, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran, Marseille.
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Jacques Richard
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Chef du Service de Chirurgie, Centre Hospitalier de
Soavinandriana, Antananarivo, Madagascar.
Luc Richard
Assistant des Hôpitaux des Armées, Service de Neurochirurgie, Hôpital d'Instruction des
Armées Desgenettes, Lyon.
Jean Rigal
Directeur Médical, Médecins Sans Frontières, Paris.
Sylvain Rigal
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique, Hôpital
d'Instruction des Armées Percy, Clamart.
Jean-Michel Rives
Spécialiste des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Plastique, Hôpital d'Instruction
des Armées Percy, Clamart.
Jean-François Thiery
Professeur Agrégé, Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Service de Chirurgie Orthopédique,
Hôpital d'Instruction des Armées Clermont-Tonnerre, Brest.
Patrick Vaujany
Chirurgien des Hôpitaux des Armées, Hôpital d'Instruction des Armées Alphonse Lavéran,
Marseille.
Philippe Vicq
Professeur Agrégé, Hôpital Principal, Dakar, Sénégal.
Jean-Pierre Zappitelli
Docteur en Pharmacie, Chef de Service du Laboratoire de Virologie, Centre Régional de
Transfusion Sanguine, Marseille.
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Préface
L. LAPEYSSONNIE
Hormis le choix de ses géniteurs, de son état de santé et celui de l'heure de sa mort,
suicide exclu, tout le reste de son existence n'est pour l'être humain qu'un choix ou plus
exactement une kyrielle de choix successifs, celui des études puis du métier, celui de son
conjoint et, avec la pilule, du nombre de ses enfants, celui de ses amis et des biens matériels,
sans oublier les options politiques et les engouements sportifs. On n'en sort pas !
Au jeune médecin militaire qui avait jadis opté pour la Coloniale (encore un choix)
était toutefois épargné celui de balancer entre la médecine et la chirurgie, le laboratoire et
l'hygiène, l'obstétrique et la pédiatrie : il devait simplement tout faire ! Y compris la chirurgie.
Mais quelle chirurgie ? Il avait bien appris au Pharo (1) quelques bonnes manières
pour inciser et séparer les plans anatomiques, pour parer et réparer les plaies, suturer, voire
rabouter une anse intestinale (de chien). Sans parler de la réduction des luxations et des
fractures et de la confection des plâtres. Et, si nécessaire, l'amputation d'un membre ou d'un
segment de membre. Et même d'arracher proprement une dent pourrie.
Parvenu à son poste de brousse^ le jeune " Mon Docteur " à deux galons trouvait le
plus souvent une " salle d'opération ", mirobolant vocable pour désigner le seul local muni de
vitres, le reste de l'hôpital en étant dépourvu. Il trouvait aussi un Poupinel et parfois un
autoclave, les deux chauffés par un " Primus " à pétrole, quelques boîtes d'instruments
chirurgicaux, une paire de forceps de Tarnier et le fameux masque d'Ombredanne qui
carburait au mélange (hautement inflammable) de Schleich. Le tout assorti d'un infirmier
pouvant conduire une (brève) anesthésie générale et d'un autre capable de faire l'aide
opératoire.
S'il voulait ou s'il devait opérer, notre ami n'était pas tout à fait dépourvu. Et tout le
problème résidait dans ces deux mots : voulait et devait. Le texte reproduit en encadré dépeint
bien la situation : d'un côté il y avait les opérations que j'appellerais " de nécessité ". Elles ne
présentaient pas de caractère d'urgence et n'étaient pas effectuées en situation de précarité. La
seule limite en était la compétence de l'opérateur et la rusticité de ce que l'on appelle de nos
jours le plateau technique. À lui de décider s'il avait le goût de faire marcher ses mains
(étymologiquement, chirurgie = travail de la main) et l'envie de voir ses opérés s'en aller
soulagés et souvent guéris. Bien sûr, ce n'était pas le nouveau Val-de-Grâce ni l'hôpital
américain de Neuilly, mais dans l'ensemble tout le monde était content.
De l'autre côté il y avait les urgences, rares dans certains postes, fréquentes dans
d'autres, toujours dramatiques quand il n'y avait pas de possibilité d'évacuation. Elles étaient
très souvent au-delà de ce que l'on peut raisonnablement attendre d'un jeune praticien
généraliste qui devait opérer seul, sans radio, sans anesthésiste confirmé, sans une seule
goutte de sang à transfuser, sans suivi post-opératoire.
11
situation de technicité et d’équipements insuffisants, mais la mesure calmement et
raisonnablement établie des chances même très faibles que peut apporter un acte opératoire.
Et si elles ne sont pas nulles, c'est le devoir du médecin d'opérer. C'est tout.
Et ceci nous amène à la fin de ces propos dont la conclusion sera que la précarité est
une notion relative et évolutive : au temps jadis, elle était technique et matérielle, donc visible
et mesurable. De nos jours s'y ajoutent des notions plus subtiles qui la rendent plus
dissuasive : qui aura le vrai courage de risquer un échec opératoire prévisible si l'autorité
médicale dont dépend l'opérateur ne le soutient pas ou si quelque bavard mal intentionné ne
va pas s'empresser de dénoncer la " bavure médicale " ? Le Blanc touristique pourra toujours
appeler Mondial Assistance pour le sortir du pétrin où il s'est fourré lui-même. Mais le paysan
noir, le nomade, qui va lui donner sa chance ?
12
Chirurgie à Gardénia-Mango Léon Lapeyssonnie
II y avait la chirurgie, grand mot pour désigner des actes somme toute assez simples.
Dans ces hôpitaux de la brousse les activités chirurgicales n'occupaient pas et ne pouvaient
pas occuper une place importante, d'abord parce que la plupart d'entre nous, à ce stade de leur
vie professionnelle, n'étaient pas des chirurgiens et surtout parce que l'équipement chirurgical,
l'absence d'appareillage de radiologie et de transfusion sanguine en limitait singulièrement le
champ. En gros les opérations se divisaient en deux catégories : d'une part la petite chirurgie
et d'autre part les urgences.
On ne devrait pas dire petite chirurgie. Il n'y a pas plus de petite chirurgie qu'il n'y a
de petite aviation ou de petite horlogerie. Tout acte chirurgical met en pratique les mêmes
principes de clarté, d'organisation du geste et le respect de certaines règles précises. C'est
l'environnement technique qui autorise des interventions de plus en plus audacieuses. On
devrait donc dire chirurgie à grand risque et chirurgie à petit risque, étant entendu que dans
les deux cas le risque que court le malade est compensé par les moyens et l'expérience
adéquats.
La chirurgie que nous faisions en brousse, hormis les urgences, n'entraînait que des
risques mineurs parce que nos objectifs étaient limités à ce que nous savions faire et à ce que
nous pouvions faire. La liste en était courte : hernies inguinales, tumeurs bénignes des parties
molles, éléphantiasis des bourses, plâtres sur fractures des membres, interventions
obstétricales dont le maximum était représenté par la césarienne. Le plus souvent l'anesthésie
était faite par voie lombaire; elle était simple à exécuter et ne nécessitait pas d'aide-
anesthésiste. Le masque d'Ombredanne qui utilisait l'éther ou le chloroforme n'était qu'assez
exceptionnellement utilisé. Les résultats en étaient généralement très bons et rehaussaient le
prestige du bon docteur.
Le problème des urgences chirurgicales était bien différent : il nous fallait à tout prix
aller au-delà de nos connaissances et au-delà de nos moyens. Ecoutez-moi : Gardenia-Mango
était à quinze cents kilomètres de la mer et donc du chef-lieu où se trouvait le seul vrai
chirurgien de la Colonie. En temps normal, c'est-à-dire en dehors des quatre ou cinq mois de
la saison des pluies qui emportaient routes et ponts, il fallait trois bons jours en voiture légère,
quatre en camion, pour y arriver. Maintenant mettez-vous à ma place et à celle de mes
camarades qui se trouvaient dans la même situation. De temps en temps, rarement, Dieu
merci, à Gardenia-Mango où il y avait peu de trafic routier et où la population locale était
assez paisible, vous voyiez arriver le brigadier des gardes pédalant comme un forcené sur sa
bécane et, tel le guerrier de Marathon, vous criait : "Coumandant y te demande venir vite",
avant de s'écrouler sur les marches du perron. Tantôt c'était pour annoncer l'arrivée d'un
villageois encorné par le buffle qui avait fait palabre deux jours plus tôt - ses copains le
transportaient sur une litière de branchages, il serait à l'hôpital dans une heure - tantôt c'était
le camion qui avait au passage d'un ponceau vomi dans la brousse tout son chargement et ses
passagers. Il y avait des morts et des blessés, y en a trop, mon docteur, coumandant y en a
envoyé la camionnette du Cercle. Et vous alliez presto à l'hôpital. Les deux acolytes
chirurgicaux prévenus par le téléphone-la-brousse étaient déjà là, et souvent aussi Robert
Filingué qui proposait son aide.
13
Et vous aviez devant vous des corps torturés, des membres rompus, des ventres et des
poitrines ouverts, du sang et déjà l'odeur de pourriture. Il y avait deux solutions et deux
seulement : expédier les blessés au chirurgien de l'hôpital de la côte ou vous débrouiller tout
seul avec les moyens du bord. La première était celle du parapluie, je ne suis pas chirurgien,
je n'ai pas ce qu'il faut. C'est malheureusement celle qu'emploient presque toujours les
confrères de nos jours. Ils ne veulent pas prendre le risque d'opérer dans les conditions
techniques et surtout politiques actuelles. Ils emballent les malheureux et les embarquent sur
le premier véhicule disponible. On ne peut les blâmer, même s'ils savent pertinemment que
leurs blessés n'iront pas plus loin que la première petite ville sur la longue route du sud. Pour
être juste, je dois ajouter que de mon temps la tentation d'évacuation ne se posait pas, car il
n'y avait que peu de passage à Gardenia-Mango et l'état des véhicules et du stock d'essence
était tel qu'on ne pouvait envisager une aussi longue route. Même s'il s'était agi d'un
Européen.
Il n'y avait donc d'autre issue que de rassembler son courage et de se mettre
humblement à l'œuvre. J'opérais torse nu tant la chaleur dégagée par les lampes Petromax
(toutes celles du poste étaient réquisitionnées pour l'occasion) était forte. Lorsqu'il fallait
endormir le malade à l'éther on ne pouvait les utiliser. Je me coiffais alors d'une lampe de
chasse dont le mince pinceau lumineux zigzaguait sur les plaies. Les interventions duraient
parfois des heures, lorsqu'il y avait plusieurs blessés. Je rentrais à la case, je me douchais
longuement pour chasser de mon corps l'odeur de sang et celle de l'éther, et je m'endormais
épuisé.
Léon Lapeyssonnie
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PARTIE 1
Conditions d'exercice
15
Avant-propos
L.-J. COURBIL
Les missions dites « humanitaires » sont devenues une étape assez courante dans le
parcours professionnel d'un médecin des Armées. Un enseignement spécifique, dispensé dans
les écoles de santé, est destiné à préparer les jeunes confrères aux situations extrêmes. Mais,
même une formation idéale utilisant toutes les nouvelles technologies, comme la vidéo par
exemple, ne pourra jamais parfaitement préparer le praticien au choc qu'il va ressentir devant
un environnement fait de couleurs, d'odeurs, de bruits nouveaux, d'insécurité et parfois
d'hostilité.
Ce choc est, me semble-t-il, encore plus intense pour cette génération que pour la
mienne. Nous arrivions il y a quarante ans dans ces pays après une longue approche par mer
et par terre pour y pratiquer une médecine « exotique » à laquelle nous nous étions depuis
longtemps préparés parce que nous l'avions choisie à 18 ans. Actuellement, en moins de
quinze heures, on passe des bords de la Seine à ceux du Mékong.
Dans le cadre des organisations non gouvernementales (ONG), cet enseignement est
souvent très informel, la rencontre et le dialogue avec des confrères plus anciens et ayant
vécu en général des expériences de chirurgie de guerre étant enrichissant pour les uns et les
autres.
L'objectif de ce chapitre est de montrer que les conditions d'exercice et les solutions
proposées sont assez différentes pour l'humanitaire « d'État » et l'humanitaire « privé ». Mais
étant appelé à travailler souvent ensemble, ou à se succéder, il nous paraît important que ces
différentes structures se connaissent mutuellement.
La précarité a longtemps été le lot quotidien de ceux qui ont exporté la médecine
occidentale dans l'aventure coloniale.
En effet, dans les pays africains ou asiatiques « sous influence française » (quelle que
soit l'interprétation que l'on donne à la colonisation), un réseau médico-chirurgical permettait
de pratiquer dans des postes isolés les interventions courantes les plus urgentes, comme la
cure de hernie étranglée ou la césarienne. L'opérateur était en général un jeune médecin formé
à l'école du Pharo ou un médecin autochtone issu des écoles de Dakar, de Tananarive ou
d'Hanoi (études courtes), ou encore un infirmier. Le praticien pratiquait lui-même l'anesthésie
(le plus souvent une anesthésie péridurale) ou un auxiliaire maniait avec plus ou moins de
succès un masque d'Ombredanne.
16
Cette chirurgie « dépouillée », limitée à des techniques simples et standardisées, «
démythifiée » pour des non-chirurgiens, était enseignée en fin d'études et surtout rappelée au
cours de stages à l'hôpital central du territoire. Toutefois, il ne s'agissait pas d'une chirurgie au
rabais et les résultats étaient tout à fait honorables.
Ainsi, P. Delom a-t-il étonné en 1936 les membres de l'Académie française de
chirurgie en leur présentant plusieurs centaines d'interventions majeures, « exotiques »,
comme les cures des énormes éléphantiasis génitaux réalisées avec succès dans un poste isolé
d'Oubangui Chari.
Chaque année depuis le début de ce siècle jusqu'aux années soixante dix, quelques
dizaines de médecins formés à l'école du Pharo rejoignaient pour un séjour de deux ans, voire
plus, un poste isolé de brousse, le plus souvent dépourvu d'électricité. Ces trente dernières
années, le relais a été pris par des volontaires français du service national.
Leurs successeurs rencontrent de nos jours des conditions d'exercice au moins aussi
précaires, sinon aggravées depuis la décolonisation. En effet, les jeunes nations nouvellement
indépendantes ont dû assumer des charges assurées auparavant par les puissances coloniales
(administration, diplomatie, défense). Leurs responsables ont choisi à juste titre de privilégier
la médecine préventive, et on a vu des structures hospitalières se dégrader dans la plupart des
pays africains ou extrême-orientaux situés entre les tropiques du Cancer et du Capricorne.
Des conditions économiques défavorables et quelques conflits armés ont accéléré le
processus.
En termes de santé publique, la chirurgie est dans ces pays manifestement un luxe. La
conférence d'Alma-Ata (1978) se fixant comme objectif la santé pour tous en l'an 2000 n'y
faisait aucune allusion.
Certes, ce sont les guerres qui ont motivé et mobilisé ces acteurs nouveaux sur le
terrain du tiers-monde. Mais lorsque l'urgence guerrière s'estompait, il fallait bien gérer la
précarité et déterminer la place de cette chirurgie importée d'Occident, chirurgie de pays
riches pour les pays les plus pauvres.
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Les contraintes logistiques sont évidemment différentes s'il s'agit de mettre en place
dans les délais les plus brefs, en des sites éloignés, une équipe chirurgicale au milieu d'un
conflit armé ou s'il s'agit d'assurer une présence chirurgicale (soins et formation) dans la
structure hospitalière plus ou moins restaurée d'un pays en paix mais démuni.
Dans le premier cas, nous verrons que les approches de l'humanitaire d'État et de
l'humanitaire privé sont différentes, non seulement parce que les moyens des premiers sont
sans commune mesure avec ceux des seconds, mais aussi et surtout parce que l'un et l'autre «
relèvent de deux logiques totalement différentes ». Je cite MSF Infos (août-septembre 1993) :
« L'action humanitaire privée est présente auprès des victimes et leur apporte son assistance
quels que soient leur race, leur religion ou leur régime politique. L'humanitaire d'État, lui, sert
des intérêts politiques, stratégiques ou économiques qui priment sur ceux des victimes, quand
ils ne sont pas utilisés comme alibi, pour masquer la volonté de ne prendre aucune initiative
politique comme c'est le cas en Bosnie. » Cette polémique est importante au niveau des états-
majors. Nous en avons été les témoins, et même les provocateurs, comme à l'hôpital Laveran
en 1992 entre B. Kouchner et R. Braumann. Mais, sur le terrain, dans l'urgence, elle perd de
sa passion et je défie l'observateur qui regarde une infirmière soigner un enfant rwandais de
dire de quel humanitaire elle relève.
L'incidence de cette polémique sur les contraintes économiques n'est pas négligeable,
car installer à longue distance une équipe chirurgicale capable de traiter efficacement des
centaines de blessés a un coût considérable.
L'humanitaire privé, lui, doit raisonner en termes de coût/efficacité. Il doit établir des
priorités entre les actions de santé publique (campagnes de vaccination) ou de soutien
nutritionnel et celles, plus spectaculaires, du geste chirurgical. Ce dernier est très médiatique.
Ainsi, une lettre très récente aux donateurs d'une ONG relatait la trépanation salvatrice d'un
petit Rwandais comateux et titrait « pour le sauver il suffirait d'une chignole ». Certes, mais
avant la chignole il avait fallu former une équipe, transporter des tonnes de matériel par voie
aérienne...
Enfin, il faut rappeler que la première contrainte logistique est la maîtrise du temps.
Non seulement la médiatisation de l'événement rend la réaction urgente, mais le résultat
dépendra du délai de cette réaction : arriver très rapidement, c'est prendre en charge les
urgences vitales (dites absolues) ; arriver plus tard, c'est n'assumer que les urgences différées
(ou relatives). Cette notion est évidente dans le cas des catastrophes naturelles, mais à
nuancer dans le cas du conflit armé qui se pérennise.
Dans le second cas, l'action humanitaire s'inscrit dans un cadre plus serein : il faut,
pour un temps, offrir un soutien chirurgical continu à des populations en détresse. Il faut aussi
restaurer les structures, moderniser l'équipement, former le personnel. Ce volet formation doit
primer pour permettre de transférer au plus vite les responsabilités aux chirurgiens locaux. Le
Cambodge et le Tchad en sont des exemples.
18
Dans les deux cas - l'urgence comme le long terme - certains impératifs sont
incontournables. Le temps des Schweitzer est révolu. Pierre Joudan. en 1953, dans un petit
traité de technique chirurgicale, ironisait sur « l'infirmier militaire isolé dans la forêt
équatoriale qui pourrait se trouver un jour dans la nécessité de commettre onaniquement un
acte chirurgical ». Si l'on rencontre encore de ces cas extrêmes, l'urgence chirurgicale est
maintenant gérée, dans l'action humanitaire, par des équipes de professionnels dont nous
avons retenu deux modèles significatifs :
Pour les uns et les autres, une grande part de la préparation des missions a porté sur le
choix des matériels et équipements, leur maintenance, leur transport, enfin, plus
généralement, le ravitaillement sanitaire et le fonctionnement quotidien de ces équipes.
Nous avons pensé que le problème du ravitaillement en eau méritait une étude
particulière qui a été présentée par les hygiénistes du Val-de-Grâce.
Les impératifs techniques vont nous permettre de définir le seuil acceptable qui
signe le passage du « secourisme chirurgical » à la « chirurgie vraie ».
L'environnement technique est bien évidemment différent s'il s'agit d'une mission de
guerre de courte durée ou d'une action de plusieurs mois. Mais, dans tous les cas, et malgré
les contraintes matérielles, on se doit de chercher à exercer une chirurgie de qualité.
Mais on ne doit pas perdre de vue que ces aspects techniques ne doivent pas rester la
propriété de quelques-uns ; ils ne doivent pas rester confidentiels mais au contraire être
transmis aux relais locaux.
L'objectif final de ces missions, au-delà de l'urgence qui les a induites, doit être le
transfert de responsabilités et de technologies aux hommes et femmes de ces pays en détresse.
Dans la majorité des cas, nous y avons rencontré des praticiens tout à fait capables de prendre
le relais, sous réserve d'une aide transitoire et surtout d'un soutien logistique.
Enfin, pour illustrer ce chapitre, nous avons présenté des témoignages vécus, récents
et personnalisés :
- une réflexion sur l'éthique de ces actions en situations extrêmes caractérisées par
l'insécurité, la pénurie des moyens et l'afflux des victimes. Les conditions géographiques et
morales de l'exercice solitaire de cette chirurgie d'urgence, faute de références habituelles de
la chirurgie, entraîne une absence totale de contrôle et d'évaluation des résultats, sauf parfois
a posteriori, et ne permet pas, sauf exception, une aide extérieure à la décision thérapeutique ;
19
- l'expérience d'un chirurgien civil humanitaire de la première génération, au profil et
au parcours particulièrement exemplaires ;
Des libres propos clôturent ce chapitre. Ils reflètent l'avis de chirurgiens civils et
militaires qui consacrent une partie de leur disponibilité de retraités à des actions
humanitaires et qui m'ont fait part, en m'autorisant à les citer, de leurs réflexions, parfois
désabusées mais toujours constructives.
Le chirurgien récemment retraité est en effet une recrue intéressante pour une ONG :
techniquement, il a en général une formation polyvalente ; psychologiquement, son
expérience lui permet d'affronter sereinement l'isolement moral. Son seul handicap est son
âge qui limitera son activité à quelques années seulement, dans le cas le plus favorable où il
aura conservé une forme physique compatible avec des missions toujours éprouvantes.
Car le véritable problème de l'humanitaire, qu'il soit d'État ou privé, est celui des
ressources humaines qui sont, pour la chirurgie, singulièrement limitées en France.
La tâche est encore plus ardue pour les ONG qui rencontrent de gros problèmes de
recrutement de chirurgiens compétents en nombre suffisant. Nous avons évoqué plus haut le
cas des chirurgiens retraités. Les chirurgiens plus jeunes, eux, ne peuvent assumer des
missions qu'aux dépens de leur activité professionnelle ou en prenant du temps sur leurs
congés.
Enfin rien n'exclut, bien au contraire, que ce chirurgien soit une femme, toujours très
appréciée des populations civiles. La saga des ONG a bien montré la qualité et la réussite des
infirmières françaises dans les missions dangereuses de pays en guerre.
20
Or, la réalité est tout autre. Il s'est créé ces deux dernières décennies un véritable corps
de professionnels de l'urgence chirurgicale dans les pays en développement. Certes, ce noyau
est réduit, et seule une volonté politique à l'échelon national pourra aider et développer l'élan
de solidarité internationale qui s'est manifesté il y a vingt-cinq ans.
21
A . CONDITIONS LOGISTIQUES.
22
Mode d'intervention et logistique
de la chirurgie au sein d'une organisation
médicale humanitaire non gouvernementale
J. RlGAL
Plus délicates à expliquer sont les situations où les projets de chirurgie sont intégrés
dans un programme de santé publique, car non seulement les conditions sont très différentes
d'un endroit à un autre, mais aussi de nombreuses variables interviennent au sein d'un même
endroit.
Dans les deux cas de figure, urgence ou assistance technique, le plus difficile est
d'assurer au mieux l'obligation de moyen : c'est-à-dire comment définir le minimum
acceptable pour la chirurgie dans un environnement défavorable.
23
La réponse la mieux adaptée aux besoins est forcément moins précise en situation
d'urgence : les kits préconçus et stockés qui se sont révélés satisfaisants dans les expériences
précédentes sont ici particulièrement précieux. Au contraire, dans les régions stables, une
évaluation initiale complète et précise est absolument indispensable. Par cette évaluation
initiale, on se fixe des objectifs, on élabore et planifie un programme et, à partir de là, on
définit la nature du projet d'assistance technique.
L'urgence, si elle est bien assumée, reste inévitablement chère, alors que le souci du
meilleur rapport « coût/efficacité » doit être gardé à l'esprit dans le cas des situations stables :
il faut donc trouver un compromis entre coût et qualité minimale de soins, tous deux devant
être adaptés aux conditions locales.
24
d'améliorations techniques notoires, comme l'introduction de tests de détermination rapide de
la sérologie VIH avant transfusion depuis sa commercialisation. L'expérience montre que ce
kit peut être expédié dans les 24 à 48 heures dans la plupart des capitales du monde et être
déployé sur le site d'action en quelques heures.
Tous les intermédiaires sont possibles entre le bloc opératoire neuf, clé en main,
héritage d'une donation de la coopération italienne au sein de l'hôpital Médina à Mogadiscio
en 1991, et les entrepôts vides transformés en service de chirurgie à Bujumbura en 1994. Les
kits doivent donc pouvoir être adaptés par un certain nombre de modules optionnels, en
fonction de besoins correctement identifiés.
Malgré tout, la réponse « kit », pour être globale et rapide, n'en reste pas moins très
contraignante. Pour éviter d'en épuiser le contenu, il faut gérer sa pharmacie et effectuer des
commandes séparées, suivant la consommation de chacun des items, afin de poursuivre
l'activité si cela devait se décider. Le kit global ne s'utilise qu'une seule fois en début de
mission.
Une équipe d'évaluation, dans l'idéal, se compose d'un chirurgien, d'une infirmière de
bloc opératoire et/ou d'un anesthésiste, et d'un technicien polyvalent, dénommé logisticien.
Celui-ci doit connaître l'équipement et posséder de solides bases en électricité, en bâtiment et
en approvisionnement en eau.
Si l'équipe doit être opérationnelle dans les heures qui suivent, comme ce fut le cas en
1994 à Kigali, d'autres contraintes viennent se surajouter : il faut répartir les tâches en
choisissant la personne la plus compétente pour un secteur donné, former une équipe
complète et organiser simultanément la sécurité de chacun et en particulier prévoir une
éventuelle évacuation rapide du site. Une équipe de 4 ou 5 personnes peut ici suffire, à
condition de bénéficier d'un bon soutien de la part du personnel local.
25
Il existe plusieurs options concernant les différentes responsabilités médicales à
assumer : anesthésie, organisation fonctionnelle du bloc opératoire, réanimation et suivi
postopératoire. Lorsque les contraintes imposent un personnel minimum, il est possible de
cumuler l'anesthésie et le fonctionnement du bloc ou ce dernier avec la supervision du post-
opératoire sur une seule et même personne possédant deux compétences. Pour toute
intervention, il existe différentes tâches à assumer : préparation préopératoire (de la salle, du
matériel et du patient), intervention elle-même (fonctionnement du bloc) et suivi post-
opératoire. Si les contraintes font que le personnel est réduit au minimum, certains peuvent
assurer plusieurs activités, comme un anesthésiste ayant en charge l'anesthésie proprement
dite et le fonctionnement du bloc opératoire par exemple. Chaque modalité d'organisation est
ici cas d'espèce, en fonction du volume de l'activité opératoire, du support et de la
compétence de l'équipe locale.
Bien plus essentielle est l'étude de l'éclairage : est-il possible d'opérer à la lumière du
jour ? On connaît des centaines de modèles de Scialytique, fabriqués partout dans le monde.
Au minimum, on peut se contenter de travailler avec un éclairage de type lampe d'examen,
comme en commercialisent certains fabricants spécialisés dans le matériel adapté aux pays en
voie de développement. L'ampoule peut se remplacer, si elle ne fonctionne plus, par celle d'un
phare d'automobile.
Les appareils d'aspiration électrique sont plus adaptés mais difficiles à nettoyer et à
entretenir. Il existe des aspirateurs à pieds puissants et de grande capacité.
Cette liste, non exhaustive, permet de comprendre pourquoi il faut absolument évaluer
les besoins d'équipement par rapport au type de chirurgie que l'on se propose d'assumer et les
moyens déjà à disposition. Une règle fondamentale de ce type de chirurgie mérite d'être
toujours respectée : l'économie des objectifs, des gestes et des moyens. Il faut considérer que
26
toute introduction de matériel ou de procédure peut grever un équilibre précaire. On peut
opérer correctement avec peu de moyens, à condition de se fixer des limites acceptables.
Le recours à du matériel de fixation externe doit être mûrement posé, en fonction des
capacités d'absorption postopératoire et de la compétence du chirurgien pour les indications et
les reprises. Si on est extrêmement limité dans la disponibilité de matériel, on peut omettre la
boîte de trépanation, car les malades souffrant de pathologies intracrâniennes atteignent
rarement l'hôpital.
La même démarche doit guider le choix des fils de suture : ne sont retenus que ceux
qui sont indispensables. Moins le choix est vaste, plus il est facile de gérer les achats, le
réapprovisionnement et l'utilisation par le personnel local d'un panel réduit. Si l'on demande à
des chirurgiens ayant l'expérience de missions en pays en voie de développement et
comprenant les contraintes logistiques quels sont les besoins minimaux en fils de suture, il en
ressort généralement un consensus disant qu'il est possible de tout opérer avec 8 fils
différents.
27
Anesthésie.
Si le chirurgien n'est pas anesthésiste ou n'est pas accompagné d'un anesthésiste, il
doit connaître un minimum indispensable pour pouvoir grossièrement évaluer les capacités du
personnel local en cette matière.
Sans entrer dans les détails, on peut distinguer deux contextes d'anesthésie : l'un
confortable, permettant d'effectuer des anesthésies générales, avec disponibilités en gaz et
possibilité d'intubation et de curarisation. Rien de bien différent des conditions d'exercice en
France, hormis peut-être le système de respiration assistée et la précision du monitorage.
Dans un autre contexte, plus précaire, deux techniques permettent de faire face à
pratiquement toutes les situations mais au prix d'une sécurité moindre : ce sont les techniques
d'anesthésie locorégionale, en particulier avec les blocs nerveux centraux, et l'utilisation de la
kétamine intraveineuse. Ces modalités sont bien souvent à la base de l'anesthésie dans les
hôpitaux périphériques des pays pauvres.
Transfusion.
II est évidemment essentiel de connaître les possibilités de transfusion. La plupart du
temps, il n'existe pas de banque du sang. On prélève le sang d'un membre de la famille du
malade et, là encore, les limites sont serrées : on obtient généralement une, voire deux poches
de 400 ml. C'est dire qu'encore une fois il est indispensable de rester économe dans ses
indications chez des malades qui supportent des taux d'hémoglobine considérés comme trop
bas en Europe, et économe dans ses gestes afin de limiter les hémorragies peropératoires. Par
ailleurs, on n'oubliera pas les techniques d'autotransfusion peropératoire au cours des
hémothorax, comme des hémopéritoines aseptiques.
Contexte post-opératoire
II reste à évaluer l'environnement postopératoire. Les conditions sont, là encore, très
variables et vont influer sur les indications et les techniques opératoires. On pourrait citer ici
les conditions catastrophiques de l'hôpital Médina à Mogadiscio en décembre 1991 : les sujets
opérés de laparotomie pour plaie de guerre sortaient du bloc avec au minimum une perfusion,
une sonde urinaire, un drain, une sonde gastrique. Dans la cour de l'hôpital, sous les arbres, se
trouvaient environ deux cent cinquante opérés. Une seule infirmière expatriée supervisait le
personnel infirmier somalien chargé des soins et finalement, la survie du malade dépendait
essentiellement de l'attention de sa famille. La mortalité postopératoire avait été estimée entre
30 et 50 %.Heureusement, il est des sites plus paisibles mais le nombre, la qualification du
personnel local et sa motivation interviennent sur les résultats. Il faut prendre le temps,
surtout au début, de comprendre comment sont faits les pansements, comment sont distribués
les médicaments, si les perfusions tiennent la nuit et donner des recommandations qui soient
28
acceptables pour ce personnel. Mieux vaut laisser un pansement huit jours sur une plaie
propre que de le contaminer tous les jours par des soins inappropriés.
Évaluation et recueil de données
Pour adapter dans le temps ces conditions minimales d'exercice chirurgical dans un
environnement particulier, il faut périodiquement l'évaluer. Il est donc nécessaire d'établir un
système de recueil de données précis et de ne pas se baser que sur le cahier de compte rendu
opératoire, lorsqu'il existe.
29
Annexes
Activité chirurgicale dans une zone de conflit (capacité 100 lits/300 interventions
chirurgicales/1 mois).
Description.
- Il est sélectionné après évaluation sur le terrain car il doit être pertinemment géré en
raison de son prix, son poids et son volume.
30
Composé de :
Modules spécifiques
31
PRIX (écus) POIDS (kg) VOLUME Nbre COLIS
(dm3)
KMEDMSUR 5524 409 883 12
01-
KMEDMSUR 5750 2538 5948 230
02-
KMEDMSUR 274 14 49 1
03-
KMEDMSUR 3996 371 1587 17
04-
KMEDMSUR 1029 50 344 2
05-
KMEDMSUR 2090 29 263 1
07-
KMEDMSUR 5958 2 98 1
08-
KMEDMSUR 1756 36 113 1
09-
KMEDMSUR 1609 61 343 2
10-
KMEDMSUR 3360 15 30 1
11-
32
Kit et modules standard
33
En option (*) :
34
KIT CHIRURGIE, 300 interventions (100 lits/1 mois)
35
1
36
2
37
3
38
4
39
5
40
6
41
7
42
8
43
9
44
10
45
11
46
12
47
13
48
14
49
50
51
Approvisionnement en eau
en situation d'exception
Dans les pays industrialisés et dans les métropoles, /' approvisionnement en eau ne
pose en général pas de difficulté majeure, en raison des moyens de traitement et de
distribution disponibles. Le développement de nouvelles techniques, en particulier de
filtration, a permis de beaucoup améliorer la qualité de l'eau ; certains réseaux n'utilisent
même plus le chlore dans leur circuit de distribution. De nombreuses régions dans le monde
ne disposent actuellement pas de stations de traitement ni de réseaux de distribution, ce qui a
conduit l'OMS à en faire une priorité.
Dans certaines circonstances comme les guerres, les catastrophes naturelles ou les
épidémies, l'approvisionnement en eau peut devenir particulièrement difficile en raison d'une
insuffisance quantitative ou qualitative (pollution). Savoir évaluer les besoins et la qualité
des ressources disponibles, connaître les principes généraux de traitement et les critères de
choix des appareils sont donc indispensables pour tout acteur de terrain confronté à de telles
situations.
Besoins en eau
L'approvisionnement en eau doit répondre à des besoins quantitatifs et satisfaire à des
critères qualitatifs.
Besoins quantitatifs
Ils varient en fonction des situations, de l'environnement et des activités. Les données
du tableau 2.1 sont issues des expériences acquises lors des interventions militaires et des
opérations humanitaires. On distingue :
- les besoins normaux variables en fonction des conditions climatiques, calculés pour
satisfaire l'alimentation, le lavage corporel, celui des vêtements et éventuellement du matériel,
représentant 100 à 150 1 par homme et par jour l/h/j) ;
52
- les besoins liés à une activité particulière qui exigent des quantités supérieures : une
antenne médicale demande 40 1 par malade et par jour, une antenne chirurgicale 100 1 par
blessé et par jour, en plus des besoins minimaux.
Tableau 2.1 : Besoins en eau en litres par homme et par jour (l/h/j)
Critères qualitatifs
Une eau potable ne contient ni germes pathogènes ni substances toxiques.
Enfin, l'eau doit être agréable à consommer, c'est-à-dire limpide, fraîche, sans odeur ni
saveur, mais cela n'est pas toujours aisé à obtenir.
53
Ressources
En situation précaire, le souci de disposer d'une ressource de bonne qualité, en
quantité suffisante, est primordial avant toute installation. Dans les pays d'outre-mer l'eau,
quelle que soit son origine, doit systématiquement être considérée comme suspecte et traitée.
Eaux souterraines
II peut s'agir d'eaux profondes accessibles par forage. Elles sont en général chargées
en sels minéraux mais de bonne qualité bactériologique, bien que le danger de contamination
par l'évacuation des eaux usées ne puisse toutefois pas être écarté. Les eaux peu profondes
correspondent aux nappes superficielles ou à l'émergence des sources ; le risque de pollution
est alors important.
Eaux de surface
Provenant des rivières, des lacs, des étangs, elles constituent une ressource
immédiatement accessible mais très exposée aux souillures ambiantes, en particulier
bactériologiques.
Eaux de pluies
Elles peuvent, ainsi que celles provenant de la fonte des neiges, être recueillies dans
des citernes par ruissellement et être ainsi contaminées.
54
Principes de traitement
- une épuration chimique, en général plus difficile, faisant appel à des traitements
lourds et onéreux. Elle vise à éliminer les substances minérales, organiques ou
organoleptiques dangereuses, composés naturels ou polluants de l'environnement provenant
des activités agricoles, industrielles ou urbaines. On peut distinguer les corps à toxicité aiguë
comme le mercure et les nitrates (méthémoglobinémie du nourrisson) et ceux à toxicité
chronique par accumulation, comme les alcanes chlorés. L'épuration chimique peut se faire
par filtration à haut pouvoir de coupure (osmose inverse), par distillation ou à l'aide de résines
échangeuses d'ions. Aussi est-elle réservée aux appareils de traitement de grande capacité.
Méthodes de traitement
Elles comportent différentes opérations qui peuvent être utilisées seules ou en
association.
Prétraitement
Ce sont des procédés qui retiennent les éléments flottants et les grosses particules en
suspension, pour faciliter les séquences suivantes. Les uns sont de nature physique : «
dégrillage », « dessablage », « déshuilage » et tamisage. Les autres, de nature chimique,
consistent en une préoxydation destinée à faciliter l'élimination de composés organiques et à
réduire la pollution bactérienne. Les oxydants utilisables en situation d'exception sont à base
de chlore. L'ozone, très employée dans les stations d'épuration, ne convient pas en de telles
circonstances.
Décantation
Elle consiste à laisser reposer l'eau pendant un temps plus ou moins long (au moins
1h). Les matières en suspension les plus lourdes, ainsi que les gros parasites, tombent au fond
du récipient et l'eau se clarifie.
55
Filtration
C'est le procédé de traitement le plus utilisé. Il consiste à opposer une barrière
physique au passage des particules et des micro-organismes. La capacité de filtration dépend
du seuil de coupure, lié au diamètre des pores des filtres (Fig. 2.1). Ceux-ci sont variables,
allant du simple tissu ou du sable (seuil de coupure 5 μm) jusqu'aux membranes
d'ultrafiltration (seuil de coupure 10-1 à 10-3 μm). L'osmose inverse est un procédé légèrement
différent qui utilise les différences de pression osmotique de part et d'autre d'une membrane
ayant un seuil de coupure de 10-3 à 10-4 μm. Depuis quelques années, les membranes se sont
multipliées et certaines sont maintenant capables d'éliminer des composés organiques dissous.
En général on utilise une filière de filtration étagée avec un seuil de coupure croissant,
pour éviter un colmatage trop rapide des pores les plus fins.
Floculation
Un produit chimique floculant est ajouté à l'eau qui est ensuite brassée pour permettre
l'agrégation des particules fines en suspension (colloïdes). Le « floc » ou floculat ainsi formé
peut ensuite être éliminé.
L'hydroxyde d'aluminium est ici le plus utilisé. Son efficacité varie en fonction du pH
et de la température. Les polyélectrolytes disponibles actuellement, comme le polychlorure
d'alumine, sont plus efficaces, et leur action est indépendante du pH et de la température ; ils
sont cependant plus onéreux et pas toujours disponibles.
56
Désinfection
Des procédés chimiques ou physiques permettent d'éliminer les micro-organismes
pathogènes. La désinfection, parfois nécessaire pour compléter le traitement, est toujours
indispensable pour le stockage et le transport, même lorsque l'eau est potable à la sortie de
l'appareil. De nombreux procédés peuvent être utilisés, de nature physique (ébullition,
irradiation par ultraviolets) ou chimique d'efficacité variable (résine pentaiodée, produits
chlorés, sels d'argent, ozone, etc.).
La durée d'action des sels d'argent est assez prolongée, mais il n'existe pas de moyen
simple de doser les ions argent résiduels, et la concentration d'effet bactéricide dépasse celle
admise par les normes françaises pour la consommation humaine.
- l'hypochlorite de sodium (eau de Javel) est très efficace, et ce très rapidement, mais
c'est un produit difficile à utiliser car il est liquide, instable, et il n'est conservable que 6 mois
dans les meilleures conditions (et seulement 2 à 3 mois en climat chaud).
La fixation des composés chlorés sur les matières organiques en suspension explique
leur faible action sur les eaux troubles car seul le chlore libre résiduel est actif sur les micro-
organismes.
Leur action désinfectante présente deux avantages : elle persiste plusieurs jours
(même si elle diminue sous l'action de la chaleur), et elle peut être facilement contrôlée par le
dosage (une à deux fois par jour) du chlore libre résiduel.
Tous ces produits font courir un risque mortel en cas d'ingestion accidentelle et,
lorsqu'ils se fixent sur les matières organiques en suspension, ils provoquent la libération de
dérivés halogènes qui sont nocifs à forte concentration.
57
Toujours préférer les produits à base de chlore.
Distillation
II est possible, pour éliminer les substances dissoutes et les micro-organismes, de faire
évaporer de l'eau qui est ensuite récupérée après condensation. Pour économiser l'énergie
nécessaire à l'évaporation, on peut diminuer la pression ambiante, à 0,2 bar par exemple, ce
qui abaisse la pression de vapeur ; l'eau bout alors à 60°C. On utilise pour cela la thermo
compression.
Charbon actif
Des grains de carbone poreux de taille variable, sur lesquels s'effectuent à la fois
l'adsorption (adhérence physique sans réaction chimique) des composés organiques dissous et
l'absorption du chlore libre, éliminent les odeurs et les goûts désagréables.
Le charbon actif doit être changé régulièrement.
Traitements spécifiques
Ils sont destinés aux eaux présentant des caractères particuliers comme une
concentration élevée en fer, en nitrates ou en sulfates. Ils font appel à des procédés
d'oxydation de nature chimique ou biologique (bactéries dénitrifiantes) ou encore à des
résines échangeuses d'ions qui fixent les anions et les cations dissous après leur échange avec
l'hydroxyde OH- et l'hydrogène H+-.
Moyens disponibles
Le choix entre les diverses méthodes que nous venons de décrire dépend des
circonstances rencontrées.
Moyens de fortune
Parfois seuls utilisables en situation précaire, ils comprennent les séquences suivantes:
- filtration sur un tissu ou une compresse tendue au-dessus d'un second récipient, ou
encore sur du sable à l'aide de deux fûts superposés (Fig. 2.2) ;
- désinfection finale indispensable qui peut se faire par ébullition (pendant au moins
cinq minutes) ou, mieux, à l'aide d'un désinfectant chimique comme l'eau de Javel (ou un
58
autre produit chloré) à raison d'une à trois gouttes par litre en fonction de la turbidité. La
solution ainsi préparée doit être agitée vigoureusement et ne doit être consommée qu'après 30
min.
La remise en état d'un réseau existant est parfois simple, en particulier la réparation
de la station de pompage ou des canalisations de distribution.
59
Importation d'eau préconditionnée
C'est une solution qui assure une bonne sécurité sous réserve d'une bonne solidité des
emballages et d'une conservation correcte. Elle reste d'un coût élevé et nécessite une
logistique importante pour le transport, le stockage et la distribution. Certaines embouteillées
sont fabriquées localement à l'aide d'extraits en poudre importés et d'eau n'offrant pas toutes
les garanties de sécurité. On peut ainsi être faussement rassuré.
Appareils individuels
Utilisant une filtration et une désinfection avec parfois passage sur du charbon actif,
ils donnent satisfaction dans des conditions normales d'utilisation mais peuvent être dépassés
quand les besoins deviennent importants. Les appareils disponibles assurent pour la plupart
une bonne clarification et, grâce à la désinfection finale, une action antimicrobiologique
correcte. Leur efficacité chimique est faible.
Devant la diversité des moyens disponibles, le choix doit reposer sur des critères
tenant compte de la qualité de la ressource et des conditions d'emploi :
- le seuil de coupure en filtration : 0,2 μm pour les virus à 1 μm pour les bactéries ;
- la filière de filtration, qui doit être étagée pour éviter un colmatage rapide des pores
les plus petits ;
- le procédé de désinfection utilisé : le chlore est le plus efficace mais il ne faut pas
l'utiliser simultanément avec les autres opérations ; l'emploi d'autres produits inclus dans
l'appareil est parfois préférable ;
- la robustesse : les matériaux doivent être solides et les tuyaux solidement fixés pour
éviter les fuites ;
- la capacité totale de traitement, qui varie selon le type de matériel. Les cartouches
de filtration doivent être changées après un certain volume (1 000 à 2 000 1). Les bougies de
porcelaine ont la capacité de filtrer environ 1 000 1, en fonction de la turbitude de l'eau. Elles
doivent pouvoir être nettoyées 200 à 300 fois ;
Un appareil individuel doit assurer une bonne clarification et une bonne désinfection.
60
La liste des appareils suit ci-dessous.
Indispensable-S (2SIT)
II s'agit d'une tubulure pour aspiration buccale, comprenant successivement une
membrane de 1 uni, un filtre à charbon actif, une résine iodée et un second filtre à charbon
actif additionné de sels d'argent. L'efficacité bactériologique est satisfaisante mais cet appareil
se bouche rapidement et l'eau présente un goût iodé prononcé en début d'utilisation. Sa
capacité de production est de 10 1. Son encombrement est faible (50 g) et son prix
raisonnable.
Il existe également une version pouvant être branchée sur un robinet (Travel-pure),
fondée sur la même technique, et une version 200 1/h (Pentapompe) avec pompage manuel.
Il existe une version fonctionnant par gravitation (modèle TRK) et une autre pouvant
être branchée sur un robinet (modèle HHT ou HFK).
61
II comprend un conteneur en plastique, utilisé pour prélever l'eau brute à l'aide d'un
tuyau souple et d'une pompe manuelle. Il est muni dans le fond d'une mousse assurant une
préfiltration. La cartouche doit être changée après le traitement de 30 1 d'eau brute ou, au
plus, 5 j après la première utilisation.
- les uns basés sur une filière de filtration étagée avec un passage sur charbon actif et
parfois une floculation, d'efficacité bactériologique ou chimique variable en fonction du seuil
de coupure (celui-ci est très bas avec certaines membranes (Fig. 2.3) ;
- les autres basés sur la distillation, peu nombreux, très consommateurs d'énergie pour
le chauffage de l'eau (ce qui élève leur coût de fonctionnement) et nécessitant ensuite une
reminéralisation par du carbonate ou du chlorure de sodium.
62
Il existe là encore une grande diversité d'appareils, tant dans leur conception, leurs
performances que leur débit, et les enjeux humains et financiers rendent encore plus
nécessaire le recours à des critères de choix précis :
- pour le captage de l'eau, une pompe immergée et des tuyaux sont préférables ;
• les membranes les plus efficaces doivent être utilisées en continu. En cas d'arrêt
prolongé, elles doivent être conservées dans de la glycérine et il n'existe ensuite aucun moyen
simple pour contrôler leur intégrité ; elles résistent mal aux basses températures et leur
remplacement est très onéreux, ce qui explique qu'elles ne doivent être employées que
lorsqu'elles sont indispensables ;
- le coût d'achat : de 150 000 à un million de francs, voire plus pour les stations fixes ;
L'eau aspirée par une pompe flottante dans un floculateur (polychlorure d'aluminium)
passe successivement sur un filtre à sable, sur du charbon actif et sur une membrane de 3 μm.
Un bac tampon de 3 m3 assure ensuite un contact avec du chlore pendant 30 min, permettant
d'obtenir une eau potable à la sortie de l'appareil. Le débit est de 7,5 à 10 m3/h.
63
Le traitement, bactériologiquement efficace, n'a aucune action sur les substances
chimiques. On peut cependant brancher sur l'appareil un module d'osmose inverse si
nécessaire.
L'ensemble des éléments est placé dans un conteneur facilement transportable par
voies maritime et aérienne. Cet appareil est conçu pour les opérations humanitaires, pour des
populations de 1 000 à 2 000 personnes ; le besoin d'épuration est alors essentiellement
bactériologique.
L'ensemble des éléments est placé dans un conteneur facilement transportable par
voies maritime et aérienne. Cet appareil est conçu pour les opérations humanitaires, pour des
populations de 1 000 à 2 000 personnes ; le besoin d'épuration est alors essentiellement
bactériologique.
Appareil aquachoc
Basé sur l'ultrafiltration, il comprend une filière de filtration de 200 um à 0,01 um. La
chloration finale est automatique. Le débit est de 7 à 10 m3/h.
AM 36 (Entropie)
Le procédé ici utilisé est une distillation à basse température par thermocompression.
Les changements de phase par évaporation et condensation successives séparent les polluants
dissous ou en suspension qui restent dans la saumure et sont évacués. L'appareil produit 36
m3/j.
Montée sur remorque, l'unité mobile a été conçue pour fournir à une formation de 250
à 400 hommes, sans limitation de durée et même en cas de pollution chimique, une eau
potable quelle que soit son origine. Le seul inconvénient est le rejet d'une quantité importante
de saumure.
Conditions particulières
Pour certains usages particuliers, comme ceux des formations chirurgicales, il peut
être nécessaire de disposer d'eau ultrafiltrée, voire stérile. Il faut alors envisager l'utilisation
de procédés osmotiques de grande capacité, en tenant compte des contraintes que cela
suppose (voir plus haut).
Un appareil de grande capacité doit fournir, à la sortie, une eau potable avant toute
désinfection.
64
Installation
II est possible, en aménageant correctement le point d'eau et en organisant la
distribution, d'augmenter la quantité et d'améliorer la qualité de l'eau disponible (Fig. 2.4).
La pompe doit être protégée par une digue déflectrice et amarrée au milieu du courant
ou entre deux eaux. Pour éviter une contamination accidentelle, il convient :
Toute la zone de production de l'eau doit être drainée ou installée sur caille-botis pour
éviter qu'elle ne se transforme rapidement en bourbier. Enfin, avec les appareils de grande
capacité, il y a production de déchets (saumure) qui doivent être rejetés en aval dans le souci
de ne polluer ni la ressource ni l'environnement.
L'eau obtenue par les appareils individuels peut être stockée dans des nourrices de 20
1 ou dans des gourdes. Ce stockage est généralement bref et la qualité de l'eau est
satisfaisante en raison du traitement final par le chlore.
65
L'eau produite par les appareils de plus grande capacité doit être stockée, avant
distribution, dans des citernes ou dans des réservoirs souples régulièrement nettoyés et
désinfectés, possédant éventuellement des rampes de distribution. La durée de stockage est
variable, et il faut régulièrement contrôler la qualité bactériologique de l'eau. Actuellement,
aucun moyen simple de détection n'est suffisamment fiable dans un court délai. C'est rappeler
l'intérêt des produits à base de chlore dont on peut facilement contrôler l'efficacité par des
procédés colorimétriques : il faut rejeter les eaux dont la concentration en chlore libre est
inférieure à 0,1 mg/1.
Les problèmes de distribution individuelle ne sont pas les plus faciles à résoudre. À
partir des citernes, l'eau peut être distribuée dans des récipients ou encore par accès direct à
des rampes de répartition branchées sur les réservoirs de stockage. Cette dernière solution,
susceptible de provoquer des files d'attente si le débit ou le nombre de robinets sont
insuffisants, doit être évitée. Certains appareils permettent d'ensacher l'eau qui peut ainsi être
facilement distribuée.
Conclusion
L'alimentation en eau en situation d'exception pose toujours des problèmes difficiles
qui dépendent des ressources disponibles, de l'environnement et de l'effectif de la population
qu'il faut approvisionner. Quoi qu'il en soit, il faut toujours pouvoir y apporter des solutions.
Il existe de nombreux moyens que l'on choisit en fonction de quelques principes simples qu'il
faut connaître. L'installation et les considérations logistiques liées au stockage et à la
distribution conditionnent souvent la réussite de cette entreprise.
66
Antennes chirurgicales
du Service de Santé des Armées
- soit mission avec implantation de plus ou moins longue durée à proximité d'une
base aérienne, avec sorties opérationnelles de courte durée : dans ce cas, outre une activité
chirurgicale de guerre, des interventions étaient pratiquées au profit de la population civile
(accouchements compris) et des prisonniers viêt-minh.
Ces antennes ont traité en dix ans 14 286 blessés militaires, soit environ le sixième du
total des blessés du corps expéditionnaire et des États associés.
Durant les opérations de maintien de l'ordre en Algérie de 1956 à 1962, deux antennes
chirurgicales parachutistes ont fonctionné. L'une, larguée sur les rives du canal de Suez, a
traité des Égyptiens civils et militaires ; l'autre, ultérieurement, fut utilisée dans l'orléanais
algérien puis en Kabylie.
Ainsi, par exemple, pendant six mois en 1959 (opération Jumelles), l'antenne occupa
successivement les blocs opératoires des hôpitaux de Miliana, Orléansville et Tizi-Ouzou,
réalisant 153 interventions majeures, tant en chirurgie de guerre qu'en chirurgie civile. On
relève dans notre cahier de protocoles en chirurgie de guerre 35 plaies de l'abdomen, 4 plaies
de poitrine, 5 plaies vasculaires, 2 amputations et 20 fracas ouverts de membres ; en chirurgie
courante avaient été effectuées 16 appendicites, 7 péritonites, 4 occlusions, 3 hernies, 6
prostatectomies, 5 hystérectomies, 4 urgences obstétricales et 24 ostéosynthèses.
67
En 1978, à la suite des interventions françaises au Tchad, au Zaïre et au Liban, les
antennes chirurgicales ont encore évolué : ce seront les antennes chirurgicales 80, comportant
notamment de nettes améliorations en anesthésie-réanimation. Ces nouvelles antennes vont
intervenir au Liban, au Tchad, en Nouvelle-Calédonie et aux Comores.
Missions de l'ACP
L'antenne chirurgicale parachutiste (ACP) constitue un échelon avancé, destiné à
assurer le soutien chirurgical initial d'un échelon d'assaut aéroporté engageant 1 200 à 3 000
hommes :
- réanimation ;
En dehors des missions spécifiquement militaires, l'ACP peut être employée dans le
cadre d'une action humanitaire de secours apportée lors d'événements graves.
68
Personnel
II comporte :
Transmissions
La notion de poids et de volume prend, dans le cas d'une formation parachutiste, une
importance de premier ordre, le conditionnement et le choix des matériaux devant
s'accommoder des contraintes liées au transport aérien et au parachutage de la formation.
- un Poupinel.
- un inhalateur d'oxygène ;
69
- du sang conservé (caisse isotherme).
Conditionnement du matériel
- il doit résister aux chocs à l'arrivée au sol ;
Lorsque l'ACP est larguée sans ses véhicules, un seul avion de type Transall C 160
permet l'acheminement du matériel et du personnel ; le parachutage se fait alors en deux
passages successifs.
Quel que soit le mode de déploiement, il doit offrir une surface suffisante (90 m 2 pour
les tentes, 500 m2 pour le parking et la circulation des véhicules), la proximité d'un point d'eau
et une aire d'atterrissage pour hélicoptère (2 500 m2).
L'ACP peut fonctionner de façon autonome ou être renforcée par une antenne
médicale parachutiste.
L'ACP peut être renforcé par l'élément parachutable d'une antenne médicale
parachutiste mis en place par aérolargage, et également par une antenne médicale parachutiste
70
complète ; l'ensemble constitue alors une formation médico-chirurgicale de traitement très
souple d'emploi et d'une capacité hospitalière de 62 lits.
L'ACP, après largage, est prête à fonctionner dans les 30 min qui suivent son arrivée
au sol.
- 10 à 12 interventions ;
L'ACP se replie en moins de 45 min ; elle peut alors être transportée par voie aérienne
jusqu'à sa base de rattachement, être complétée et être de nouveau opérationnelle après 24 h.
Ces caractéristiques méritent quelques commentaires sur l'évolution du concept «
antenne » depuis 50 ans.
Sur le plan des missions, nous savons par expérience qu'elle est très adaptable,
permettant de passer aisément de la chirurgie de guerre à une action humanitaire de secours,
voire les deux simultanément. Nous l'avons ainsi utilisée en Algérie, au Tchad, au Cambodge
et en Bosnie.
Au Tchad, l'antenne chirurgicale déployée initialement en soutien des forces
françaises a très rapidement participé à la prise en charge des blessés de l'armée tchadienne.
Depuis l'arrêt des combats, elle assure le traitement des séquelles des blessures de guerre et la
chirurgie d'urgence ou réglée des populations civiles.
La mission a été identique, mais plus brève en Irak au profit des Kurdes. En ex-
Yougoslavie, les antennes déployées souvent simultanément à Gracac-Topusko-Bihac-
Sarajevo et sur le mont Igman ont permis de traiter chirurgicalement, à quelques heures
d'intervalle, les militaires de la FORPRONU et d'effectuer des interventions réparatrices ou
réglées chez la population civile. La chirurgie pratiquée était aussi variée que les patients pris
en charge. De la plaie par balle du thorax à la césarienne, les chirurgiens de l'antenne devaient
et doivent encore être préparés à toute chirurgie d'urgence.
71
Le personnel de ces antennes a considérablement évolué. En Indochine, le « patron »
en était un jeune médecin lieutenant, ayant des compétences chirurgicales, sélectionné à son
arrivée en Extrême-Orient et formé en quelques semaines. En Algérie, c'était un assistant de
chirurgie des hôpitaux. Actuellement, l'équipe comprend, outre un réanimateur, deux
chirurgiens titrés : l'un viscéraliste, l'autre orthopédiste. Mais le schéma n'est pas rigide et,
selon la mission, d'autres spécialistes peuvent être incorporés à l'équipe chirurgicale :
À cet équipement de base peuvent être ajoutés des lots complémentaires plus
spécifiques : lot outre-mer, lot pédiatrique, lot obstétrique, lot montagne ou froid avec les
matériaux et les médicaments correspondants.
Ces matériels seront emportés selon les caractéristiques de la mission ou peuvent être
demandés secondairement.
L'originalité et l'efficacité de ces antennes tiennent au fait que, dans la majorité des
cas, elles sont rattachées à un seul hôpital, des armées dans ce cas. Le personnel se connaît
72
donc avant la mission et a eu l'occasion de déployer son matériel, ce qui permet une
coordination optimale.
Au terme de cette étude, la question que se posait C. Chippaux garde toute son
actualité : quel est l'avenir des antennes chirurgicales ?
Dans les missions de type humanitaire, elles ont largement fait la preuve de leur
efficacité mais leur principal obstacle est leur coût, très élevé, certainement très supérieur à ce
que peut assurer une ONG.
Mais comment évacuer par hélicoptère dans une zone où l'adversaire dispose de
missiles antiaériens portables ?
Les années qui viennent confirmeront probablement que nos antennes, maintenant
cinquantenaires n'ont pas encore atteint l'âge de la retraite...
73
Annexes
Nous remercions les pharmaciens chimistes des Armées Chaulet, Dorandeu et Rault,
qui ont bien voulu rédiger ces fiches précisant les contraintes logistiques de ces formations
mobiles du Service de Santé des Armées.
- personnel logisticien.
- quelles sont les conditions matérielles requises pour son installation (eau, électricité,
locaux, etc.) ?
74
fonction des délais où l'équipe médico-chirurgicale doit être opérationnelle et du nombre de
personnes disponibles pour réaliser l'installation) et un système d'alimentation en eau.
Ressources financières
Un budget, de préférence en dollars ou en francs français, doit être mis à la disposition
du responsable de la formation sanitaire, afin d'une part d'en faciliter l'implantation, d'autre
part de permettre l'achat de matériels sur place.
- la nécessaire robustesse des articles choisis, qui doivent, si possible, avoir été testés
dans des conditions extrêmes d'utilisation, en température et en humidité en particulier... Le
choix s'orientera donc vers des appareils dits « tropicalisés ».
Dans cette phase de constitution, il est essentiel de se fonder sur l'expérience des
personnes ayant déjà effectué des opérations humanitaires.
75
Le rôle du personnel technique est de définir la composition de la
formation.
Emballage
L'emballage doit permettre une manutention aisée de la dotation. Pour cela, les
cantines semblent les plus utiles.
La continuité de la chaîne du froid peut être assurée par des colis isothermes type
Electrolux, qui permettent de maintenir une température de + 4 °C pendant 48 h.
Les données les plus sévères doivent être retenues concernant l'emballage des
marchandises dangereuses, c'est-à-dire celles relatives à un embarquement sur un vol
transportant aussi des passagers.
Transport
La constitution des dossiers de transport du matériel et des passagers incombe là
encore aux logisticiens.
À cet effet, de nombreux documents doivent être remplis et régulièrement mis à jour.
On peut ainsi réserver très rapidement de la place sur un vol, en disposant immédiatement du
poids, du volume et du prix des matériels à expédier.
76
Un guide des différentes compagnies aériennes et des destinations desservies peut
s'avérer très utile lors d'un départ précipité.
Il doit exister une zone de travail pour permettre de réceptionner les colis et
éventuellement d'en changer la composition.
- directement dans les contenants de transport. C'est la gestion dite « en caisse » qui a
l'avantage de permettre un départ extrêmement rapide et de limiter la surface de stockage. En
revanche, elle présente l'inconvénient d'avoir à ouvrir et refermer un colis lorsqu'il s'agit d'en
changer un seul article ;
- sur étagère. Même sur étagère les articles périssables doivent être classés par colis, et
le contenant qui va les recevoir lors de leur expédition doit être placé sous l'étagère.
L'avantage de ce type de stockage est de pouvoir accéder immédiatement aux articles
lorsqu'ils doivent être changés, mais l'inconvénient est d'avoir à préparer les colis au moment
du départ. De plus, la surface de stockage doit être plus importante : le double de la
précédente.
Les articles non périssables sont directement stockés dans leur contenant de transport.
À ce stade, il convient de rappeler l'utilité d'identifier les colis des différentes cellules
à l'aide de couleurs, d'abréviations ou de sigles. Le repérage des colis destinés à la chirurgie, à
la pharmacie, à l'anesthésie et au laboratoire s'en trouve facilité.
L'adoption d'un tel système confère trois avantages à court terme, et un à long terme :
- tertio, en plaçant dans chaque cellule le matériel qui lui correspond (consommable y
compris), une cellule peut commencer à fonctionner alors même que les autres ne sont pas
installées ;
77
Maintenance
Généralités
Une fois constituée et stockée, cette dotation chirurgicale ne peut, en aucun cas, être
laissée inutilisée. Lorsque l'on imagine les conditions de travail sur le terrain, les
conséquences de la panne d'un groupe électrogène, d'un appareil d'anesthésie ou de la
découverte de médicaments périmés peuvent être dramatiques.
Gestion informatisée
Saisies et documents informatiques
Entretenir une dotation préconstituée demande un système informatique performant
sur lequel sont saisis :
- les fiches de colisage. Pour chaque colis, il faut préciser la quantité, la date de
péremption, la référence et le nom du fournisseur de chaque article ;
Un exemplaire de la fiche de colisage est placé dans chaque colis, afin de permettre au
personnel sur le terrain de connaître le contenu d'une caisse sans avoir à l'ouvrir.
Gestion du stock
Le rôle du logisticien consiste enfin à assurer, à partir de ces saisies informatiques,
une rotation des stocks qui permet :
- d'autre part de permettre le remplacement de ces articles, avant leur péremption, pour
minimiser les coûts d'entretien de la dotation. Pour remplacer au moindre coût des articles sur
le point d'être périmés, on peut convenir d'accords avec des services de chirurgie hospitaliers
qui utiliseront les articles arrivant à péremption.
78
- de la capacité de remplacement du matériel chirurgical, sur la base d'accords conclus
avec des services chirurgicaux ;
Enfin, à chaque retour de personnes d'une opération humanitaire ayant déployé ce type
de formation, il faut tenir une réunion conjointe de travail qui permettra, en faisant évoluer le
contenu de la dotation, de garantir la meilleure adéquation possible entre le type de matériel
fourni et les besoins réels sur le terrain.
79
Dotation standardisée préconstituée de l'antenne chirurgicale
aérotrans-portable du Service de Santé des Armées
Cette antenne est conditionnée pour pouvoir être transportée sur un vol passager. Elle
peut être déployée sur les lieux d'une catastrophe naturelle ou d'un conflit armé en quelques
heures et permet d'entreprendre une activité opératoire même en l'absence totale
d'infrastructure préexistante.
Matériel technique
II comporte plusieurs éléments.
Boîtes chirurgicales
La dotation technique comporte des boîtes complètes permettant de disposer
immédiatement de tous les instruments nécessaires à une intervention chirurgicale. Ces boîtes
(trousses de première urgence, boîtes d'instruments pour amputation, boîtes de chirurgie
diverses : osseuse, thoracique, crânienne, vasculaire, etc., boîtes de fixateurs externes) sont
stérilisées et prêtes à l'emploi.
Matériel de bloc
La table opératoire, démontable, offre des conditions opératoires évitant la fatigue du
chirurgien. Le Scialytique, lui-même démontable, permet l'éclairage du champ opératoire.
Matériel divers
II est très varié : appareil d'anesthésie aux halogènes, aspirateurs électriques de
mucosités et pour gros épanchements sanguins, respirateur automatique portatif, Poupinel et
autoclave, etc.
Enfin, ces lots contiennent tous les articles nécessaires dans un bloc opératoire, en
nombre limité mais suffisant : nécessaires pour intubation ; systèmes de drainage ; nécessaires
pour sondages vésicaux, urétéraux, bronchiques et gastriques ; ligatures et sutures ; matériel
d'injection (aiguilles et seringues).
80
Médicaments
Ils sont pratiquement tous présentés sous forme injectable ou pour usage externe.
Tous ont une importance capitale, et une rupture de stock de l'un d'entre eux pourrait
gravement compromettre le fonctionnement du bloc opératoire. Ils appartiennent aux classes
thérapeutiques suivantes :
- sédatifs ;
- anesthésiques ;
- corticoïdes ;
- anticoagulants ;
- antibiotiques ;
- solutés de perfusion ;
- désinfectants et antiseptiques.
Y sont adjointes des poches pour prélèvements sanguins CPDA qui permettent en cas
d'urgence et de nécessité absolue de prélever du sang de sujets sains et de transfuser des
malades après groupage sanguin.
Gaz médicaux
II ne s'agit ici que de l'oxygène. Les lots contiennent huit bouteilles de 3,5 1, couvrant
2 j de fonctionnement.
Matériel logistique
Ce matériel permet le bon fonctionnement du bloc opératoire et il comporte divers
éléments :
- deux tentes, reliées par un carrefour, constituent l'unité au sein de laquelle l'antenne
est déployée ;
- un système de chauffage à air puisé peut être adjoint à l'unité lors de missions en
pays tempérés ou froids ;
Enfin, la dotation comporte des lots de pièces détachées pour les appareils ou
véhicules, des trousses à outils pour mécaniciens ou électriciens et des rations alimentaires
assurant une autonomie de 48 h pour toute l'équipe.
81
• Fiche 4 : Arrivée sur le terrain
En prélude à toute entreprise humanitaire, surtout à visée chirurgicale, il incombe aux
responsables des cellules administratives, logistiques et médicales, de choisir le site
d'implantation du personnel et de l'ensemble du matériel, véhicules compris.
- dénivelé ;
- existence (sinon réalisation) des structures d'hygiène visant à garantir des conditions
de salubrité au personnel soignant et aux malades ;
Après cette étape initiale, on peut envisager l'installation des différentes cellules
médicales (chirurgicales, réanimations, post-opératoires) et paramédicales (radiologie,
pharmacie, laboratoire) au sein du périmètre défini, ainsi que leur aménagement interne.
Chirurgien
II lui incombe la responsabilité des éléments suivants.
Concernant le local
- choix du (des) local (aux), en dur ou sous tente ;
82
Concernant le malade
- acheminement des blessés (procédure d'acheminement par voie routière, par
héliportage, procédure de brancardage, personnel brancardier) ;
Infirmière instrumentiste
II lui incombe la responsabilité des éléments suivants :
- stérilisation.
83
Anesthésiste-réanimateur et/ou infirmier-anesthésiste
II lui incombe la responsabilité des points suivants.
- disposition et gestion des fluides médicaux (N2O, oxygène : avec ou non nécessité
d'un extracteur d'oxygène) ;
Concernant le malade
- nécessité ou non d'une salle permettant la mise en condition du malade (salle
attenante au bloc) ;
Concernant le local
- choix du local de stockage (dur fermant à clé, tente), climatisé si possible, à l'écart
du passage de la population bénéficiant des soins ;
84
- en fonction du climat, prévision de conditionnements généraux (type sacs à
congélation blistérisés, caisses métalliques) pouvant protéger le stock des aléas climatiques
(poussière, humidité) ;
- prévision d'une protection contre le feu (extincteur, bac à sable) et les vols (local
fermé, garde).
Concernant le stock
II n'est pas nécessaire de déballer tous les articles, pourvu qu'ils soient répertoriés sur
fiches (informatique ou papier), le colisage pouvant lui-même constituer un moyen de
rangement.
Si la gestion n'est pas informatisée, il faut instituer d'emblée des stocks critiques
visuels sur les produits pour lesquels il n'est pas admissible de tomber en rupture de stock
(antalgiques majeurs, antipaludéens, antibiotiques, antiseptiques, certains pansements,
compresses, matériel à usage unique destiné à l'abord vasculaire, liquides et gaz médicaux).
Il faut également, par le biais de fiches, connaître le stock contenu dans chaque
cellule.
Le plus simple est de stocker classiquement les médicaments par ordre alphabétique,
en disposant à part les antibiotiques, les antiparasitaires, les collyres, les pommades et les
collutoires. On prendra soin de stocker une partie des solutés au froid, ce qui peut se révéler
utile pour le traitement des hyperthermies. Il faut porter une attention toute particulière aux
produits thermolabiles (vaccins, sérums, insuline, sang, etc.). L'ensemble du matériel à usage
unique sera classé en fonction de la voie d'abord ou de l'utilisation finale (voies vasculaire,
digestive, orale, chirurgicale, pansements et objets de pansements, ligatures/sutures, etc.).
Les agents inflammables seront stockés à l'écart de la pharmacie, ainsi que les
produits larvicides, insecticides et raticides.
Concernant la gestion
- utiliser un ordonnancier pour apprécier qualitativement et quantitativement les
sorties des différents articles, de façon à « orienter » le réapprovisionnement ;
85
- disposer d'un véhicule (chargement-déchargement des articles) ;
- se mettre en (bon) rapport avec le (les) responsable(s) du transit routier et/ou aérien
local ; en particulier il faut savoir négocier avec la structure douanière locale.
Le local sera de préférence en dur pour trois raisons essentielles, à savoir la protection
du matériel, la protection vis-à-vis de l'environnement extérieur (conditions climatiques,
personnes extérieures) et la bonne pratique des examens, surtout bactériologiques.
Contraintes générales
- un local adapté : de préférence en dur, sinon sous tente (avec vélum et surtente
blanche pour atténuer les écarts thermiques), protégé de l'environnement (personnes
extérieures, vent, poussière, chaleur et humidité), muni d'étagères, de plans horizontaux
(paillasses, administration-secrétariat), de poubelles, de lavabos, d'un système de recueil des
déchets liquides et solides et d'un système d'incinération ;
86
- source obligatoire d'électricité pour assurer le fonctionnement des appareils cités
plus haut mais aussi du (des) microscope(s), du rhésuscope, du bain de coagulation ;
Contraintes particulières
Biochimie
Elle nécessite un réfrigérateur, un congélateur, une source d'électricité, un local à
l'abri des gros écarts de température (surtente blanche et vélum, local en dur) pourvu si
possible d'une climatisation. En l'absence de climatisation, il faut aménager les horaires de
fonctionnement pour éviter les heures les plus chaudes de la journée, ce qui interdit une
utilisation permanente des appareils. Rappelons que les appareils sont très sensibles aux
chocs, à la poussière, à l'humidité et à la chaleur. La biochimie doit faire appel à des appareils
sophistiqués dans leur principe de fonctionnement, dans leurs composants internes et dans
leurs caractéristiques techniques, mais simples dans leur fonctionnement ; il est illusoire de
travailler autrement. L'emploi d'appareils rustiques nécessite paradoxalement un personnel
très compétent, sachant se servir au minimum d'un spectrophotomètre UV-visible et d'un
photomètre de flamme.
Hématologie
Comme pour la biochimie, il faut ici signaler la sensibilité des appareils et la nécessité
d'un système de réfrigération quand on utilise un compteur semi-automatique. Il existe des
systèmes manuels simples (type QBC, Compur) permettant d'apprécier les paramètres
courants de la numération sanguine, mais ils sont peu précis et peu sensibles, surtout dans la
plage de mesure des comptages.
Parasitologie
Elle ne nécessite qu'un matériel minimal, comprenant un microscope, une
centrifugeuse, des articles de verrerie et quelques réactifs (dont des solvants et/ou des
tampons).
Bactériologie
Elle nécessite un réfrigérateur, un autoclave, une étuve, du gaz, un microscope et de
grandes quantités de matériel à usage unique (boîtes et tubes d'isolement, d'identification,
pipettes, lames) et de réactifs (milieux d'isolement et d'identification, antibiogramme, kits
faisant appel aux réactions d'immunoprécipitation, colorants). Les manipulations doivent
87
s'effectuer dans un local à l'abri de la poussière. Elle est productrice de déchets contaminés et
nécessite un système complémentaire de recueil et d'élimination par incinération.
En fait, le laboratoire est le plus sollicité quand le chirurgien travaille avec l'aide d'un
réanimateur (situation quasi constante), d'un pédiatre ou en obstétrique. Toutefois, en
situation de catastrophe, l'urgence et les faibles possibilités de suivi post-opératoire
expliquent qu'il lui soit beaucoup moins fait appel.
- déterminer les groupes sanguins et les compatibilités, estimer l'hématocrite et/ou les
érythrocytes et/ou les globules blancs ;
Conclusion
Les contraintes nécessaires au bon fonctionnement d'un laboratoire et les réserves que
nous avons exprimées ci-dessus expliquent pourquoi la présence d'une telle structure semble
très discutable dans le cadre de l'exercice chirurgical en contexte humanitaire. De plus, une
telle structure nécessite la présence de personnels qualifiés, hormis pour la réalisation d'un
groupage standard qui reste à la portée d'un praticien averti, avec un matériel minimal.
88
Fiche 6 : Ravitaillement sanitaire
En termes de ravitaillement sanitaire d'une unité chirurgicale engagée en situation
d'exception, l'axiome à retenir est que la logistique doit précéder ou, au pire, accompagner
l'équipe chirurgicale. Les expériences récentes dans ce domaine mettent d'ailleurs de plus en
plus en évidence le rôle capital du ravitaillement sanitaire.
Dans le premier cas on utilise des lots de ravitaillement dont la composition est
définie sur des bases statistiques pour une période déterminée en fonction du nombre et de la
nature des interventions : ce ravitaillement sera modulé selon la nature et l'intensité de
l'activité opératoire. Il a pour but de rétablir l'autonomie initiale de fonctionnement.
Dans le second cas, le ravitaillement non planifié, l'objectif est de répondre à des
besoins spécifiques.
Chaîne de ravitaillement
La chaîne de ravitaillement sanitaire, qui va assurer le flux logistique permettant de
maintenir les capacités opératoires, comporte deux composantes principales :
89
composition des lots de dotation ou de maintenance doit être évolutive afin de suivre les
progrès thérapeutiques ; la composition de ces lots ne doit cependant pas varier de façon trop
importante pour ne pas compromettre l'efficacité de l'unité chirurgicale. Les établissements
d'approvisionnement sont donc amenés à gérer des articles très variés tels que des
médicaments, du matériel à usage unique, du matériel médico-chirurgical, des désinfectants et
des antiseptiques, de l'oxygène et du sang.
La gestion de ces stocks résulte d'un compromis entre les contraintes financières d'une
part et le degré d'autonomie et d'urgence lié à ces interventions d'autre part.
Stocker les différents éléments de ces unités chirurgicales à proximité d'un aéroport
doit permettre de répondre aux critères d'urgence qui caractérisent généralement ces
interventions.
90
Implanté dans un environnement ou règnent le plus souvent pénurie, précarité,
insécurité et isolement, cette cellule sera confrontée au problème majeur que constitue
l'adaptation du personnel.
Tout devra donc être entrepris pour mettre en place une gestion rigoureuse qui
permettra d'éviter les ruptures dans la distribution, et ce au moindre prix.
Cette cellule de ravitaillement sanitaire doit donc optimiser le flux logistique sur la
base de différents critères tels que le coût, le poids et le volume, maintenir opérationnel le
matériel indispensable à l'activité chirurgicale, veiller à l'adéquation entre les besoins réels et
la demande, et apporter un service adapté et efficace dominé en permanence par la notion
d'urgence.
91
B. Conditions techniques
92
Chirurgie en situation d'exception.
Essai de définition des contours.
P. HOUDELETTE
Assurer des soins chirurgicaux dans les situations les plus difficiles relève d'une
double raison :
- d'une part d'une mission et d'un projet : « Allez où la Patrie et l'Humanité vous
appellent », disait le baron Percy, chirurgien d'Empire ;
Ces situations d'exception, les êtres humains les ont de tous temps subies. La
naissance d'un humanitarisme international, voire d'une « société internationale » régie par
des organisations interétatiques, et servie par la diffusion de l'information, la mise au point au
cours de ce siècle d'un « droit dans la guerre » (jus in bello) qui limite les moyens et définit
les droits respectifs et minimaux des combattants et non-combattants, la naissance de
structures de secours humanitaires non étatiques (Croix-Rouge internationale et ONG) et d'un
droit de l'ingérence humanitaire permettent par de lents progrès, de mois en mois, au fil des
événements et de l'analyse de leur exemplarité, la prise en charge systématique d'un point de
vue politique, éthique, économique, juridique et sanitaire de situations souvent fort disparates
mais qui relèvent toutes de la même détresse collective et de la même nécessité de solidarité
et d'assistance.
Sur le plan de la chirurgie qui h est qu'une des composantes, parfois essentielle,
parfois accessoire, de cette réponse aux besoins multiples et extrêmes de ce que de Gaulle
appelait « des circonstances », se dégage un dénominateur commun, un savoir et un savoir-
faire dans la convergence des acteurs, des moyens et des organisations sanitaires adéquates.
93
La chirurgie de guerre offre plusieurs visages.
Intégrée dans le cadre des moyens logistiques d'une armée moderne en « ordre de
bataille » au sein d'un conflit conventionnel ou « semi-conventionnel » (risque chimique
limité, voire possibilité d'emploi de l'arme thermonucléaire tactique) puisque l'hypothèse
d'une guerre « non conventionnelle » défie les prévisions, la chirurgie de guerre est souvent le
modèle type sur le plan de la constitution des équipes, de la réunion des matériels et des
équipements, de la planification des moyens d'évacuation et de l'organisation logistique que
tend à réaliser toute mission sanitaire en situation d'exception.
Rappelons que le schéma type de la chaîne logistique sanitaire comporte une relève
consistant à mettre les blessés à l'abri, à assurer les premiers soins élémentaires et à les
transporter vers les postes de secours de l'avant où sont effectués les premiers gestes de
survie. Tous les blessés sont convoyés vers un centre de triage où sont effectués leur
catégorisation, leur conditionnement médicochirurgical et la définition de leurs conditions
d'évacuation.
L'efficacité opérationnelle de cette chaîne sanitaire est de nos jours améliorée par
l'adoption de matériels et de principes nouveaux. Citons l'utilisation des véhicules de l'avant
blindés pour le ramassage des blessés, la mise au point d'éléments techniques modulaires, les
locaux techniques médico-chirurgicaux containérisés permettant d'accroître la capacité
opératoire d'une section de triage ou d'un hôpital de l'avant, les hélicoptères médicalisés
destinés exclusivement et en permanence aux évacuations.
Les moyens de traitement sont l'hôpital mobile de campagne (HMC), structure lourde
(40 camions sont nécessaires pour son transport), permettant d'effectuer 400 interventions
chirurgicales et d'hospitaliser 2 000 blessés par jour.
94
Médicalisation des premiers soins, transport primaire ultrarapide héliporté, rapidité de
la prise en charge chirurgicale initiale, possibilité d'évacuation vers des centres dotés de
spécialités multiples ont à cette époque conféré aux caractéristiques sanitaires de ce conflit
l'image d'un idéal rarement reproductible.
Du côté de l'armée et des populations vietnamiennes du Nord régnait la pénurie en
cadres médicaux et en matériel.
Le Professeur Dang Kim Chau a décrit la situation créée par les bombardements du
Nord-Viêt-Nam de 1968 à 1972. Le pilonnage de jour et de nuit des provinces de la 4 e région
au nord du 17e parallèle a détruit les voies de communication, rendant impossible l'évacuation
des blessés sur Hanoi. La prise en charge sur place de tous les blessés avait donc imposé
comme mots d'ordre : « la transformation de tous les médecins en chirurgiens », « la
formation chirurgicale des cadres médicaux ».
« Les guerres ne se déclarant plus, écrit J.-F. Deniau, l'état actuel du monde est celui
de sous-guerre. »
Est-il nécessaire de rappeler que les besoins engendrés ne se résument pas aux besoins
médicaux, que la médecine de catastrophe ne se cantonne pas à la seule chirurgie et que celle-
95
ci est une traumatologie aussi volontiers fermée qu'ouverte ? La science des dangers, la
cyndinique, a vu le jour et s'applique tout d'abord aux risques industriels.
Un certain nombre de situations survenant en temps de paix, dans des pays souvent
évolués sur un plan économique, se rapprochent souvent, par le type des lésions chirurgicales,
par les contextes d'insécurité qui les créent et par les afflux de blessés, des conditions de la
chirurgie de guerre. Elles en permettent au chirurgien une approche technique.
Le terme de chirurgie de guerre, trop restrictif et trop imprécis, pourrait laisser place à
celui de « chirurgie de la violence » (surgery of violence) créé par R.H. Livingstone.
Les émeutes socio raciales urbaines ont inauguré un nouveau tableau de violence
collective. Celles de Los Angeles en avril 1992 opposant des gangs noirs aux forces de l'ordre
(mobilisant 16 500 hommes y compris la Garde nationale et les Marines), avec ses 58 morts,
ses 2 000 blessés, plus de 3 000 incendies et des centaines de millions de dollars de dégâts, en
apportent une illustration, pour ne pas dire un modèle exportable. La presse a souligné l'envoi
de chirurgiens militaires dans les centres hospitaliers pour se former à cette « pathologie de
guerre ». Cette « superproduction » coûteuse aurait fait plus de victimes que la guerre du
Golfe du côté américain.
Le Times écrivait en novembre 1991 : « Le monde entier devrait garder les yeux rivés
sur le drame qui prend forme en Californie, car le futur qui s'annonce là-bas va se généraliser
au monde entier ».
Ce risque est celui de toutes les mégalopoles, et l'on sait qu'en l'an 2000 le monde
comptera 414 cités de plus d'un million d'habitants, dont 264 dans les pays en développement.
96
Le terrorisme urbain peut être soit le reflet d'une guerre subversive avec sa triade
guérilla-propagande-terrorisme, soit la manifestation de groupes armés endogènes ou
exogènes à buts politiques ou économiques. Les explosions, qui sont l'archétype des urgences
collectives, peuvent viser des immeubles (ambassade des États-Unis à Beyrouth, explosion du
World Trade Center à New York en février 1993 avec 6 morts et plus de 1 000 blessés, d'un
building de 9 étages à Oklahoma City, début 1995 faisant 430 blessés et au moins 200 morts),
des grands magasins (rue de Rennes à Paris en 1982), des gares (gare de Bologne -aéroport
d'Orly), des stations de métro (station Saint-Michel à Paris en 1995) ou encore des véhicules
(à Bombay en Inde en mars 1993, des voitures, motos et valises piégées placées par la mafia
locale explosent dans les quartiers des affaires à midi, faisant un carnage inouï : 320 morts et
1 200 blessés).
Le narco-terrorisme des « zones grises », expression qui trouve son origine dans le
vocabulaire aéronautique, ce terme désignant les confins de l'exploration radar, touche de
nombreuses régions du monde, échappant ainsi aux États de droit : Pérou, Kurdistan,
Colombie, Afghanistan, etc. Les cartels de la production de drogue, superpuissances politico-
économico-criminelles, explique Xavier Raufer, établissent « un continuum sans précédent
entre guérilla, trafic de narcotiques, terrorisme, grande criminalité mafieuse », expliquant en
partie certaines situations précédemment décrites. De nombreux mouvements de libération du
tiers-monde, turco-kurdes ou tamouls par exemple, mènent de pair l'action politico-militaire
et les activités criminelles : trafics d'armes, de drogues, enlèvements, assassinats, etc. Dans de
nombreuses zones, l'insécurité et la violence chronique s'accompagnent de détresse
économique des populations civiles et de désorganisation des structures étatiques, dans leur
ensemble, et dans le domaine de la santé publique en particulier.
La guerre civile est une des formes actuellement les plus fréquentes des « conflits de
basse intensité » ou en tout cas de faible ampleur. On a pu, dans cette dernière décennie, en
observer des exemples de significations différentes : guerre civile religieuse interminable en
Irlande du Nord, conflit urbain à Beyrouth, luttes de clans à N'Djamena, guerre de siège à
Sarajevo, guérilla à Mogadiscio. La principale caractéristique de ces conflits est leur
urbanisation, dont la première conséquence est la prise en charge des blessés dans les struc-
tures sanitaires adaptées du temps de paix, et renforcées par les moyens des secours
humanitaires. Ces conflits évoluent par flambées (combats urbains, bombardements) sur fond
de violence endémique (effet des snippers notamment).
97
Les opérations à caractère humanitaire
Elles s'adressent aux victimes de catastrophes, qu'elles soient naturelles ou technologiques, et
aux séquelles de conflits durables (Cambodge par exemple).
Les moyens à mettre en œuvre sont importants, variés et débordent la seule activité
médicale. Il s'agit le plus souvent d'actions de longue durée engageant de nombreux acteurs
institutionnels et non gouvernementaux.
Les moyens nécessaires doivent donc combiner ceux d'une force armée crédible,
vigilante, dotée d'une forte légitimité internationale, et ceux d'une action humanitaire de
grande envergure.
Un exemple en est celui de l'intervention des forces mandatées par l'ONU en Somalie
en 1994.
98
- évaluation des besoins dans la ZHS au profit des organisations humanitaires non
présentes sur le terrain ;
- action sanitaire des moyens déplacés sur le terrain : postes de secours, antenne
chirurgicale, bioforce ;
Ainsi, « dans le cadre d'une action humanitaire, l'engagement des forces armées a pour
but principal d'assurer les conditions de sécurité pour que l'action humanitaire internationale
conduite par les organismes civils spécialisés puisse s'exercer » (Général J.-C. Lafourcade).
La place des activités militaires dans ces situations que les stratèges nord-américains
qualifient d'Opérations Other Than War (OOTW : opérations autres que la guerre), et qui
correspondent à des conflits de basse intensité, est difficile à préciser. Une certaine
militarisation de l'action humanitaire semble actuellement admise, sous la pression des
réalités, par tous les intervenants.
Les préalables d'une mission humanitaire médicale ont bien été analysés par R.
Russbach (du Comité international de la Croix-Rouge). L'analyse préliminaire doit englober
des données concernant :
99
- le contexte juridique : convention de Genève et protocoles additionnels, droits et
devoirs des personnels médicaux dans les conflits armés ;
- les contingences imposées par les circonstances : chaîne d'évacuation éventuelle non
contrôlée par le Comité international de la Croix-Rouge, devenir ultérieur des blessés pris en
charge ;
- les techniques utilisées en chirurgie de guerre « connues de tous, mais non comprises de
tous » ;
- les implications morales bien mises en évidence lors de l'opération Restore Hope en
Somalie au sujet de laquelle la presse américaine avait lancé le débat « Faut-il tirer pour
nourrir ? » (Shoot to feed ?) et fait poser le problème de la redéfinition du devoir d'ingérence
dans les régions aux peuples en danger, qualifié de « droit de l'urgence » par Roland Dumas à
l'assemblée générale des Nations unies du 23 septembre 1992 ;
100
Mais, affirmait Jacques Lebas, ancien président de Médecins du Monde : « Derrière
les bons sentiments de l'humanitaire se trouve un projet politique » qu'il soit porté par les
acteurs ou suspecté par les secourus.
Toutefois, par ce passé médical ayant laissé jusqu'à récemment une infrastructure
sanitaire dans les pays redevenus indépendants, par leurs motivations précocement acquises
dans les écoles du Service de Santé, par leur formation aussi bien à la pathologie de guerre, de
catastrophe qu'à celle tropicale qui restent parties intégrantes de leur enseignement, par leurs
affectations éventuelles (en coopération technique notamment), par leur « conditionnement »
aux principes de rusticité d'une chirurgie « sous tente », par leur disponibilité matérielle et
mentale, les chirurgiens du Service de Santé « héritiers de la tradition généreuse et
injustement occultée de la médecine coloniale » (l'Express, octobre 1992 : « Les bistouris de
Diên Bien Phu ») sont particulièrement aptes à mener de telles missions. À l'heure actuelle,
nombreux sont les chirurgiens civils qui assument des missions de coopération ou mises en
œuvre par les ONG et interviennent dans les pays défavorisés. Le champ de leur activité
opératoire est celui de la chirurgie générale, très proche de celle qui était pratiquée dans les
pays nantis il y a une vingtaine d'années, mais bien différente de l'exercice spécialisé que
nous connaissons de nos jours. L'information sur les affections rencontrées et les techniques
chirurgicales employées reste peu publiée et enseignée, même dans les modules universitaires
consacrés à l'enseignement de la médecine tropicale, ceux-ci n'englobent pas en effet
l'ensemble du champ de la pathologie à traiter. Les manuels techniques raisonnablement
anciens restent souvent une excellente référence. L'adaptation au matériel disponible et de
plus en plus souvent « standardisé » est un gage d'efficacité et d'économie.
Au chirurgien est demandée une compétence de chirurgie générale, concept qui perd
sa réalité dans les pays nantis, et recouvre la chirurgie des lésions balistiques (« Misère et
violence marchent souvent au même pas » D. Gallot), celle des urgences non traumatiques, le
101
traitement des lésions chirurgicales pluridisciplinaires les plus communes (gynécologie,
pédiatrie, ophtalmologie, oto-rhino-laryngologie, stomatologie, etc.). Connaître les
spécificités de la pathologie locale impose une formation de base (diplôme de médecine
tropicale par exemple) et une information préalable à la mission.
102
- parfois également un afflux de pathologie chirurgicale (guerre - catastrophe) à
laquelle s'ajoutent la pathologie chirurgicale d'urgence habituelle et celle spécifique des
régions atteintes (bilharziose, tuberculose, etc.).
Conclusion
« L'époque est tragique, écrivait avec un humour noir Guy Lagorce dans une
chronique de l'Express (juin 1992). Certains vont même jusqu'à la qualifier de sérieuse. Le
printemps nous a offert des corruptions, des assassinats, des guerres civiles, des famines, des
massacres de toutes sortes, des pollutions, des feux de forêt, des émeutes et même des morts
dans un stade. Mais l'Homme ne désespère pas de faire mieux. »
103
Anesthésie et réanimation
en situation précaire
I. Anesthésie
J.-P. CARPENTIER
Les catastrophes, naturelles ou non, les conflits armés, les postes isolés ont en
commun une situation de pénurie en matériels, en médicaments et en personnels qui sont à
l'origine d'une adéquation entre les besoins sanitaires du moment et les moyens en matériels
et en personnels disponibles sur place. Avant tout acte opératoire, il faut s'assurer que le
minimum de matériel est disponible et adapter la technique opératoire en fonction du
matériel, des possibilités anesthésiques et des moyens de surveillance et de réanimation.
Le quatrième principe est d'avoir au préalable appris ces techniques. La théorie est
nécessaire mais la pratique est indispensable. L'improvisation h est jamais de mise, surtout
dans cette situation de précarité. Les conseils de l'anesthésiste avec lequel vous avez
l'habitude de travailler et quelques exercices pratiques sont particulièrement précieux avant
le départ.
Le cinquième principe est sans doute le plus important. Comme il n'y a pas de petite
chirurgie, il n'y a pas de petite anesthésie. Tous les patients doivent être pris en charge avec
la même rigueur pour garantir la sécurité maximale de l'anesthésie.
Les techniques d’anesthésie sont nombreuses et il a donc fallu faire un choix. Les
anesthésies locales ne seront pas abordées ici. Le choix des méthodes d'anesthésie
locorégionale (ALR) s'est porté sur les techniques qui apparaissent comme les plus fiables,
ont un taux de réussite élevé et présentent le moins de risques potentiels. Dans certains cas,
le recours à l'anesthésie générale s'impose, mais les risques sont plus importants. La
kétamine est un produit maniable qui permet de réaliser des actes opératoires dans de
bonnes conditions de sécurité.
104
Anesthésies locorégionales
Ces techniques offrent de nombreux avantages en situation précaire : simplicité des
méthodes, risques moindres (surtout en cas d'estomac plein), alternative à l'anesthésie
générale. Mais elles ont des contre-indications qu'il faut bien sûr respecter : allergie aux
anesthésiques locaux, épilepsie non contrôlée, troubles de la conduction auriculo-ventriculaire
de haut degré non appareillés, patients instables sur le plan psychique, troubles de l'hémostase
(congénital ou acquis), antécédents neurologiques, porphyries et injections en zone infectée
ou inflammatoire. La pharmacologie et les posologies des anesthésiques locaux sont
rapportées en annexes 1.2, 1.3 et 1.4.
Position du patient
Le patient est placé en décubitus dorsal, bras en abduction à 90°, avant-bras tendu,
main en supination complète ou en position indifférente posée sur une table latérale.
Au pli du coude
Le bloc ainsi obtenu est sensitif et moteur (paralysie de la supination de l'avant-bras,
de l'extension de la main et de l'extension des premières phalanges sur les métacarpiens).
Technique
Les repères anatomiques (Fig. 5.2) sont le pli du coude, le tendon du biceps et l'artère
humérale. L'aiguille est introduite à 2 cm du bord externe du tendon du biceps, au niveau du
pli du coude.
105
Au poignet
Le bloc est ici exclusivement sensitif.
Technique
Les points de repère sont l'apophyse styloïde du radius, la tabatière anatomique et le
pli de flexion dorsale de la main sur l'avant-bras. L'aiguille est introduite sur le bord externe
de l'avant-bras, au-dessus de la tabatière anatomique, à la pointe de l'apophyse styloïde
radiale.
106
107
Bloc du nerf médian
Ce bloc est utilisé pour des interventions ou manipulations limitées au territoire d'innervation
du nerf médian (deux dernières phalanges du 2e et 3e doigt, la partie externe du 4e doigt et
presque toute la face palmaire de la main). Le bloc moteur dépend du niveau d'injection (Fig.
5.1).
Position du patient
Le patient est en décubitus dorsal, bras en abduction à 90°, avant-bras en supination complète
posé sur une table latérale.
108
Au-dessus du coude (au 1/3 inférieur du bras)
À ce niveau, le bloc moteur entraîne la perte de la pronation de l'avant-bras, de la flexion de
la main et de l'adduction du pouce.
Technique
Les points de repère (Fig. 5.4) sont le tendon du biceps, le bord inférieur du biceps, l'artère
humérale et le pli du coude. Le point de ponction se situe au bord interne du biceps, 2 à 3
travers de doigt au-dessus du pli du coude, l'artère humérale étant en dedans. Après avoir
réalisé un bouton intradermique d'anesthésique local, l'artère humérale est refoulée en arrière
sous un doigt. L'aiguille (Annexe 1.1) est enfoncée perpendiculairement à la peau au-dessus
de l'artère jusqu'à l'obtention de paresthésies (Fig. 5.5). Cinq à 10 ml de la solution
anesthésique sont injectés (Annexe 1.4).
Au poignet
À ce niveau, le bloc moteur se limite à la seule motricité du pouce.
Technique
Les points de repère (Fig.5.6) sont le tendon du grand, palmaire en dehors, le tendon
du petit palmaire en dedans et la ligne circulaire passant par la styloïde radiale et la styloïde
109
cubitale. Le point de ponction (Fig. 5.7) se situe entre les tendons du petit et du grand
palmaire, sur la ligne circulaire passant par la styloïde radiale et la styloïde cubitale.
Les tendons palmaires sont repérés en demandant au patient de fléchir la main contre
une résistance. Après avoir réalisé un bouton intradermique d'anesthésique local, l'aiguille
(Annexe 1.1) est enfoncée perpendiculairement entre ces deux tendons, sur une profondeur de
1 à 2 cm, à la recherche de paresthésies. Cinq millilitres de la solution anesthésique sont
injectés (Annexe 1.4).
110
Au coude
Position du patient
Le patient est placé en décubitus dorsal, bras surélevé et en abduction à 90°, avant-
bras fléchi en pronation, main sur le front.
Technique
Les points de repère (Fig. 5.8) sont l'épitrochlée, la tête olécrânienne délimitant la
gouttière épitrochléo-olécrânienne et le tendon du triceps brachial. Le point de ponction (Fig.
5.9) se situe au-dessus de la gouttière épitrochléo-olécrânienne. Le nerf cubital, que l'on sent
rouler sous les doigts, est repéré dans la gouttière épitrochléo-olé-crânienne. Après avoir
réalisé un bouton intradermique d'anesthésique local, l'aiguille (Annexe 1.1) tenue comme
une fléchette est enfoncée perpendiculairement à la peau sur quelques millimètres. Le
déclenchement d'une paresthésie irradiant vers le 5e doigt et le bord cubital est habituel. Si le
111
contact osseux est obtenu sans paresthésies, il faut retirer l'aiguille de quelques millimètres
puis, après un test d'aspiration soigneux, injecter 5 ml de la solution anesthésique (Annexe
1.4) sans rechercher de paresthésies.
Au poignet
Position du patient
Le patient est en décubitus dorsal, bras en abduction à 90°, avant-bras et main en
supination complète sur une table latérale.
Technique
Les points de repère (Fig. 5.10) sont le tendon du cubital antérieur avec le pisiforme,
l'artère cubitale et la ligne circulaire passant par la styloïde radiale et la styloïde cubitale. Le
point de ponction (Fig. 5.11) se situe au milieu de la gouttière formée par le tendon du cubital
112
antérieur en dedans et l'artère cubitale en dehors, sur la ligne circulaire passant par la styloïde
radiale et la styloïde cubitale.
Position du patient
Le patient est en décubitus dorsal, bras en abduction, coude en extension et main en
supination complète reposant sur une table latérale. L'opérateur fait face au patient.
Technique
Les points de repère (Fig. 5.12) sont le tendon du biceps, l'artère humérale, les veines
médiane céphalique et médiane basilique, et le pli du coude. Le point de ponction se situe 2
cm en dehors de l'intersection entre le bord externe du tendon du biceps et le pli du coude.
Après introduction, l'aiguille (Annexe 1.1) est dirigée vers le bord externe de l'avant-bras.
Cinq millilitres de la solution anesthésique sont injectés (Annexe 1.4).
113
Position du patient
Le patient est en décubitus dorsal, tête surélevée ou non par un oreiller, bras et avant-
bras en abduction à 90° pour faire saillir le grand pectoral et dégager au maximum le creux
axillaire, coude fléchi à 90° et dos de la main à plat.
Technique
Les points de repère sont le biceps, le bord inférieur du grand pectoral et l'artère
axillaire sous le grand pectoral (Fig. 5.13).
114
Le point de ponction se situe dans la pyramide axillaire, aussi loin que les battements
de l'artère axillaire peuvent être perçus. Un garrot modérément serré est placé au niveau du
1/3 moyen-1/3 supérieur du bras, destiné à limiter la diffusion distale de la solution
anesthésique et à favoriser sa diffusion vers le haut pour imprégner le nerf musculo-cutané.
En se plaçant dans l'angle du bras, l'artère axillaire est repérée et gardée sous les doigts.
L'aiguille (Annexe 1.1), tenue comme une fléchette, est enfoncée en avant de l'artère au
contact des doigts. Elle est dirigée avec un angle de 10 à 20° par rapport au plan passant par
l'artère, sur une distance de 20 à 25 mm jusqu'à la sensation d'un crissement caractéristique
mais inconstant, qui signe la pénétration dans la gaine. Quand la pointe de l'aiguille est dans
la gaine, elle bat de façon synchrone avec le pouls axillaire. Trente-cinq à quarante millilitres
de la solution anesthésique (Annexe 1.4) sont injectés lentement après un test d'aspiration
rigoureux. L'interposition d'une tubulure entre l'aiguille et la seringue de 50 ml facilite les
manipulations. Le bras est ensuite ramené le long du corps, jusqu'à l'installation de
l'anesthésie qui demande un délai de 15 à 20 min.
Deux variantes techniques peuvent être proposées. L'une consiste à injecter la moitié
de la solution anesthésique en avant de l'artère, et l'autre en arrière. Après la première
injection, l'aiguille est retirée jusqu'au point de ponction sans être sortie et ensuite dirigée
avec un angle de 10 à 20° par rapport au plan passant par l'artère, vers le bord postérieur de
l'artère. Le reste de la solution anesthésique est injecté après un test d'aspiration. L'autre
technique consiste à utiliser l'artère comme repère. Deux tiers de la solution anesthésique sont
injectés en dehors de l'artère après avoir transfixié celle-ci. Un test d'aspiration rigoureux est
ici primordial avant d'injecter la solution anesthésique. Ensuite, l'aiguille est retirée lentement
115
et le reste de la solution anesthésique est injecté après être sorti de l'artère, c'est-à-dire en
dedans de celle-ci. Les tests d'aspiration sont ici primordiaux, puisqu'ils permettent de suivre
le trajet de l'aiguille de part et d'autre de l'artère.
Position du patient
Le patient est placé en décubitus dorsal, bras en extension posé sur une table latérale.
116
Technique
Un cathéter veineux est mis en place en position la plus distale possible sur le membre
à opérer (Fig. 5.14a). Il est préférable d'utiliser un petit cathéter souple, mieux adapté aux
manipulations ultérieures et de le fixer solidement (Annexe 1.1).
Le bloc du nerf crural seul par voie antérieure est utilisé pour la chirurgie de la région
antéro-interne de la cuisse et surtout pour l'analgésie des patients souffrant de fracture de la
diaphyse fémorale. C'est une technique simple, fiable, qui ne nécessite pas la recherche de
paresthésies. Le bloc « 3 en 1 » combine les blocs des nerfs crural, obturateur et fémoro-
cutané, et permet des interventions sur l'ensemble du membre inférieur. La réussite de cette
technique est plus aléatoire (Fig. 5.15).
Position du patient
Le patient est placé en décubitus dorsal, membre inférieur en position indifférente ou
en légère rotation externe.
Technique
Les points de repère (Fig. 5.16) sont l'arcade crurale et l'artère fémorale. Le point
d'injection est situé à 1 cm en dehors de l'artère fémorale, de 1 à 2 cm en dessous de l'arcade
117
crurale. L'aiguille (Annexe 1.1) est enfoncée de 2 à 4 cm sous un angle de 60° vers le haut. La
recherche de paresthésies n'est pas utile. Après un test d'aspiration, 15 ml de la solution
anesthésique (Annexe 1.4) pour un bloc crural simple ou 30 ml pour un bloc « 3 en 1 » sont
injectés en maintenant avec le doigt une forte pression sous le point d'injection, afin de forcer
la progression de l'anesthésique vers le haut.
Cette technique est similaire à celle décrite pour le membre supérieur (voir plus haut)
et peut être utilisée pour des interventions chirurgicales de moins de 90 min. Il est possible de
réaliser une ALRIV de la cheville et du pied avec un garrot placé au niveau du mollet, à
condition de positionner ce garrot 5 cm en dessous de la tête du péroné pour ne pas
comprimer le nerf sciatique poplité externe. Le volume de la solution anesthésique à injecter
est le même que pour le membre supérieur.
Dans certains cas le garrot peut être placé juste au-dessus du genou. Le volume de la
solution anesthésique nécessaire doit être augmenté de 25 à 50 % suivant la morphologie du
patient. Le risque toxique par lâchage intempestif du garrot est plus important. Cette
technique n'est donc pas souhaitable.
118
Rachianesthésie
La rachianesthésie est une technique d'anesthésie régionale qui consiste à bloquer les
nerfs rachidiens par injection d'une solution anesthésique dans l'espace sous-arachnoïdien,
c'est-à-dire dans le liquide céphalorachidien.
Attention
Le niveau D8 ne permet pas de réaliser toutes les interventions intra-abdominales
(Rappels anatomiques 1, 2 et 3) et ne protège pas le patient de l'agression chirurgicale.
Il ne faut pas, par exemple, éviscérer pour une cure de hernie inguinale, utiliser des
écarteurs traumatisants et bourrer l'abdomen de champs pour mieux s'exposer.
Bases physiologiques
L'installation du bloc rachidien se fait de façon progressive. Le bloc sympathique
(fibres B) est le premier à apparaître et le dernier à disparaître. C'est le bloc le plus étendu et
sa durée est variable. Le bloc sensitif s'installe chronologiquement selon les fibres (fibres C et
A δ , Aγ puis A β). Le bloc moteur est le dernier à apparaître et le premier à disparaître.
119
Ces différents blocs n'atteignent pas le même niveau. Par rapport au niveau sensitif
qui peut être repéré cliniquement, le bloc sympathique remonte de 4 à 6 métamères au-dessus
et le bloc moteur reste 2 métamères en dessous.
Bases anatomiques
Le rachis présente trois courbures physiologiques : une lordose cervicale, une cyphose
dorsale et une lordose lombaire (Rappel anatomique 4). Ces courbures ont deux
conséquences. Au niveau dorsal les épineuses sont verticalisées, alors qu'elles sont
pratiquement horizontales au niveau lombaire (ponction perpendiculaire à la peau). En
décubitus dorsal, D5 est le niveau le plus bas et L4 le niveau le plus haut. Le risque de
migration dorsale des solutions hyperbares est donc important après une injection au niveau
lombaire, lorsque le sujet est allongé sur le dos.
Du fait d'une croissance inégale entre le rachis et la moelle épinière, le cône terminal
de la moelle se situe au niveau de Ll. Au niveau de L2, il n'y a que les fibres de la queue de
cheval. Une ponction à ce niveau ne risque pas de léser la moelle.
Contre-indications
Contre-indications formelles
Cette technique ne peut être utilisée que pour des actes opératoires dont le niveau ne
dépasse pas D8 (retentissement hémodynamique et respiratoire) et dont la durée n'excède pas
2 h (inconfort du patient). Une hypovolémie, un collapsus voire un état de choc doivent être
recherchés et corrigés avant d'envisager une rachianesthésie. Les autres contre-indications
sont les cardiopathies évoluées et sévères, les troubles de l'hémostase congénitaux ou acquis
et les infections locales (point d'injection) et généralisées.
Contre-indications relatives
Le refus du patient et l'absence de coopération interdisent a priori toute anesthésie
locorégionale. Des explications convaincantes et un peu de patience permettent souvent de
contourner ce problème. Une affection neurologique, une hypertension intracrânienne, des
migraines sévères sont des contre-indications habituelles. Les déformations rachidiennes
120
compliquent la recherche des points de repère, la ponction elle-même et rendent aléatoires
l'installation et le niveau final du bloc.
Installation du patient
La position assise sur le bord de la table d'opération, les jambes reposant sur un
escabeau, le torse fléchi au maximum sur un coussin placé au niveau de l'abdomen, est la plus
confortable pour le patient. Elle facilite le repérage osseux et la ponction lombaire en écartant
les apophyses épineuses.
En décubitus latéral, le repérage osseux est plus difficile. De plus, en cas de fracture
du membre inférieur, il faut coucher le patient sur le côté lésé (afin de latéraliser autant que
possible le bloc du côté de la lésion avec les solutions hyperbares), ce qui n'est pas toujours
facile.
Point de ponction
Le niveau de ponction se situe entre L2 et SI (Rappel anatomique 5). Les espaces les
plus accessibles sont L2-L3 et L3-L4. Le repère principal est la ligne reliant les crêtes iliaques
qui passe par L4-L5. La voie doit d'abord être strictement médiane (ligne blanche vasculaire).
Ponction lombaire
La ponction doit se faire avec une asepsie chirurgicale (désinfection de la région,
utilisation de gants stériles et d'un champ troué pour isoler la région).
Après repérage du point de ponction, une anesthésie locale peut être réalisée avec 2 à
3 ml de lidocaïne à 1 % (Annexes 1.2 et 1.4). L'introducteur est mis en place juste sous
l'épineuse supérieure, sur la ligne médiane, en se dirigeant perpendiculairement à la peau, et
enfoncé sur une profondeur de 3 à 4 cm (Fig. 5.17). L'aiguille et son mandrin sont glissés à
l'intérieur de l'introducteur qui sert de guide. Le liquide céphalorachidien reflue après le
franchissement du ligament jaune (que l'on perçoit par une résistance à l'introduction) et le
retrait du mandrin. Une fois en place, l'aiguille est tenue fermement pour éviter tout
déplacement intempestif et doit être verrouillée à la seringue. La solution anesthésique est
injectée après un test d'aspiration qui confirme la bonne position de l'aiguille (reflux de
liquide céphalorachidien) et élimine une effraction vasculaire (reflux de sang). L'aiguille et
l'introducteur sont alors retirés et le site de ponction est recouvert d'un pansement.
121
Installation du bloc rachidien
La position du patient joue ici un rôle important. Avec les solutions hyper-bares,
l'anesthésie va s'installer dans les zones déclives. En décubitus dorsal, la solution
anesthésique aura tendance à diffuser de L4 (point le plus haut) vers D5 (point le plus bas)
(Fig. 5.18a). La position proclive avec un coussin sous la tête, qui modifie la courbure dorso-
lombaire, permet de limiter l'extension du bloc et surtout d'en contrôler l'évolution (Fig.
5.18b). La position doit cependant être adaptée à la morphologie du patient (déformation du
rachis, sexe). Une anesthésie en selle est obtenue si le patient est laissé quelques minutes en
position assise après l'injection de la solution anesthésique. La position de Trendelenburg est
dangereuse (Fig. 5.18c). L'ascension du bloc augmente l'étendue de la vasoplégie
(hypotension artérielle) et fait courir le risque de perturbation de la ventilation par blocage
des muscles respiratoires (intercostaux, diaphragme).
La surveillance doit être particulièrement attentive pendant les 30 min qui suivent
l'injection de la solution anesthésique. Le niveau supérieur de l'analgésie est déterminé par le
test de la piqûre ou la disparition de la sensation de froid (Rappel anatomique 6).
L'importance du bloc sympathique est évaluée sur la pression artérielle, la fréquence
cardiaque et le niveau de conscience.
122
Incidents et complications au cours de la rachianesthésie
Le repérage et la ponction peuvent être difficiles et laborieux. L'apparition de
paresthésies doit faire modifier la position de l'aiguille (plus médiane) ou changer d'espace.
Si, lors du test d'aspiration, il apparaît un reflux sanguin qui se tarit rapidement pour laisser
place à du liquide céphalorachidien, la solution anesthésique peut être injectée. Si le
saignement persiste il faut changer d'espace. Au moment de la ponction lombaire, les
réactions vagales sont fréquentes et peuvent être prévenues par l'administration de 0,5 à 0,75
mg d'atropine (Annexe 1.6).
123
aux différents temps opératoires (limiter les champs entre le côté chirurgical et le côté
anesthésique).
Des bâillements, une somnolence, des nausées sont les premiers signes d'une
hypotension artérielle avec hypoperfusion cérébrale.
Anesthésie générale
L'anesthésie générale, contrairement à l'anesthésie locorégionale, permet de réaliser
tous les types d'intervention. Elle entraîne une perte de la conscience et habituellement de la
vigilance, fait courir le risque d'obstruction des voies aériennes supérieures (chute de la
langue en arrière, sécrétions) et fait disparaître les réflexes de protection des voies aériennes
(risque de régurgitation, d'inhalation de liquide gastrique). Ces inconvénients justifient
souvent le recours aux moyens de conservation de la liberté des voies aériennes supérieures.
Par ailleurs, de nombreux anesthésiques généraux dépriment la ventilation, justifiant une
assistance ventilatoire (Annexes 3.1, 3.2 et 3.5). En situation précaire, il faut préférer une
anesthésie générale qui préserve la liberté des voies aériennes supérieures et conserve une
ventilation spontanée efficace. La kétamine répond le mieux à ces impératifs, à condition d'en
respecter les posologies et d'avoir un peu de pratique anesthésique. Plus que les doses, c'est la
façon d'administrer ce produit qui est importante (Annexes 3.4 et 3.6).
124
hypersialorrhée, un larmoiement et un risque de laryngo- ou de bronchospasme (Annexes 2.2
et 2.3). La ventilation spontanée reste efficace, à condition de ne pas injecter trop rapidement
des doses trop élevées. Enfin, elle exerce un effet stimulant cardio-vasculaire, avec
augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle.
Injections itératives
- induction : 2 à 4 mg/kg
2 mg/kg - 8 min d'anesthésie
3 mg/kg =12 min d'anesthésie
4 mg/kg = 20 min d'anesthésie
- entretien :
la moitié de la dose d'induction
l/5e de la dose initiale toutes les 5 ou 6 min ou 1 mg/kg en fonction des signes de
réveil et de la durée de l'intervention.
Perfusions
- à la concentration de 1 mg/ml (250 mg dans un flacon de 250 ml de sérum glucose à
5 % ou 500 mg dans un flacon de 500 ml de sérum glucose à 5 %)
- induction ; à un débit de 0,12 mg/kg/min jusqu'à la posologie nécessaire en fonction
du poids
- entretien : 0,08 mg/kg/min.
Indications
125
Chez l'enfant, la kétamine rend de nombreux services du fait de son utilisation IM
toujours possible et IR moins traumatisante. Une injection IM initiale laisse le temps de
mettre en place une voie veineuse périphérique ou jugulaire externe fiable sans « se battre »
avec l'enfant. Du fait de sa bonne tolérance cardio-respiratoire, la kétamine est intéressante
chez le sujet âgé, le choqué et l'asthmatique.
Contre-indications
La kétamine est classiquement contre-indiquée en cas de maladie psychiatrique,
d'épilepsie, d'éthylisme, d'hypertension artérielle, de thyréotoxicose, d'insuffisance
coronarienne, d'insuffisance cardiaque, d'hypertension intracrânienne (traumatisme crânien ou
non), de plaie du globe oculaire ou d'hypertension intraoculaire.
Complications
L'hypersialorrhée peut entraîner un spasme laryngé (Annexe 2.2) par stimulation
mécanique pharyngo-laryngée. Il faut éviter au maximum de mobiliser la tête au cours de
l'anesthésie pour limiter ce risque. La mise en place d'une canule de type Guedel est non
seulement inutile (tonus des masséters conservé) mais dangereuse.
Les rashes cutanés d'origine anaphylactoïde sont rares. Les nausées et les
vomissements sont fréquents mais ne surviennent qu'après la récupération des réflexes
pharyngo-laryngés. Les accès hypertensifs ne surviennent qu'avec des doses élevées injectées
rapidement, surtout chez l'hypertendu mal équilibré.
Période pré-anesthésique
Consultation pré-anesthésique
Avant toute anesthésie, une consultation est impérative pour évaluer le risque
anesthésique en tenant compte du terrain et de l'acte opératoire. Elle comporte un
interrogatoire (antécédents, pathologie en cours, traitements) et un examen clinique. Les
constatations de cette consultation doivent être consignées par écrit. La demande d'examens
complémentaires n'a rien d'obligatoire, mais doit être guidée par les résultats de la
consultation (facteur de risque particulier) et par les répercussions prévisibles de l'acte
opératoire (hémorragie, néphrectomie). En situation précaire, les possibilités d'examens
complémentaires sont cependant réduites, voire inexistantes. Cependant, si on envisage une
anesthésie locorégionale, il faut pouvoir contrôler l'hémostase. La mesure du taux de
prothrombine, du temps de céphaline activée, nécessite un appareillage spécifique pas
toujours disponible. À l'inverse, le compte des plaquettes et le temps de saignement au lobe
de l'oreille sont des techniques de dépistage faciles à réaliser. Ensuite, il faut déterminer
quelle technique anesthésique choisir en fonction du type d'intervention et du site opératoire
126
(Tab. 5.1). Il faut bien évidemment rechercher et respecter les contre-indications de chaque
technique.
Préparation et prémédication
Avant toute anesthésie, il faut rechercher et corriger une anémie, une hypovolémie, un
collapsus (voir Réanimation hémodynamique).
II faut que le patient soit à jeun depuis au moins 6 h pour limiter les vomissements et les
régurgitations, facteurs d'inhalation bronchique. Chez l'enfant, face au risque de
déshydratation, surtout en ambiance chaude, cette règle des 6 h de jeûne peut être
transgressée, à condition de n'administrer que des liquides clairs (eau salée ou sucrée). Dans
le cadre de l'urgence, le risque d'inhalation est majeur. Il faut alors autant que possible
préférer une anesthésie locorégionale, qui préserve la conscience et les réflexes pharyngo-
laryngés. Si une anesthésie générale s'impose, le contrôle des voies aériennes supérieures par
intubation endotrachéale est impératif.
127
Période per-opératoire.
Préparation de la salle.
Il faut pouvoir immédiatement disposer en salle du matériel permettant d'assurer une
oxygénation efficace (Annexes 1.8 et 3.3), une assistance ventilatoire (Annexe 3.4) et dans
certains cas une ventilation artificielle (Annexe 3.6) après intubation orotrachéale (Annexe
3.5) et des médicaments de réanimation de base (Annexe 1.1) pour prendre en charge une
éventuelle complication per-anesthésique (Annexe 2).
Au moins un abord veineux périphérique de bon calibre (18 Gauge) est impératif,
pour injecter si nécessaire différents produits anesthésiques ou de réanimation. Avant une
rachianesthésie, il faut chez l'adulte assurer un remplissage vasculaire de 750 à 1 000 ml de
Ringer-lactate ou de gélatines fluides modifiées pour prévenir les conséquences de la
vasodilatation (hypotension artérielle, bradycardie) (Annexe 2.4).
128
la ventilation et de l'oxygénation grâce à la mesure permanente de la saturation de
l'hémoglobine en oxygène par voie percutanée (SpO2).
Période post-opératoire
La surveillance doit donc rester tout aussi attentive qu'en per-opératoire. Elle doit
durer au moins 2 h, dans une salle spécialement aménagée et non pas dans un lit
d'hospitalisation. La sortie de cette salle dite « de surveillance post-interventionnelle ou de
réveil » ne doit être autorisée qu'après récupération des grandes fonctions (en particulier
hémodynamiques et respiratoires), prise en charge de la douleur et mise en route d'une
réanimation hydroélectrolytique (voir plus loin la partie Réanimation).
129
II. Bases de la réanimation.
M. AUBERT
Le chirurgien isolé lors d'une mission humanitaire doit pouvoir régler un minimum de
problèmes de réanimation, parfois dans des conditions difficiles et dans un domaine qui n'est
pas sa spécialité, mais dont il a acquis quelques notions, soit au cours de sa pratique, soit au
cours de ses études de médecine.
Ensuite, le second niveau, qui constitue l'activité principale des postes isolés, consiste
d'une part à corriger les perturbations des grands équilibres (hémodynamiques,
hydroélectrolytiques, nutritionnels), d'autre part à assurer le suivi post-opératoire.
130
Correction des grands déséquilibres.
Hémodynamique.
Le déséquilibre le plus fréquent est ici le choc hypovolémique, la diminution de
volémie abaissant la précharge et donc le débit cardiaque. Les étiologies sont multiples,
pouvant être hémorragiques (hémopéritoines, hémothorax, etc.), secondaires à des brûlures ou
à des déshydratations massives.
Cristalloïdes = Ringer-lactate.
Ce soluté ne possède aucun pouvoir d'expansion, un quart seulement du volume
perfusé restant dans le secteur vasculaire. Il a l'avantage d'hydrater le secteur interstitiel et de
faciliter la réintégration de l'albumine dans le sang par voie lymphatique. Il n'est pas
allergisant. Si on l'utilise pour rétablir la volémie, il faut en perfuser de grandes quantités. On
peut l'utiliser seul ou en association avec des colloïdes. Il est particulièrement adapté dans
l'hypovolémie des grandes déshydratations ou celle des brûlés.
- 1/4 reste dans secteur vasculaire - 3 h dans secteur vase, - 6 h dans secteur vase,
– absence de pouvoir d'expansion -expansion 90- 110% -expansion 130-150%
- diffusion secteur interstitiel - diffusion sect. interstitiel - diffusion sect. interstitiel
131
Colloïdes.
Ces agents sont les meilleurs solutés de remplissage car ils restent plus que les
cristalloïdes dans le secteur plasmatique et ils exercent un pouvoir d'expansion. Ils peuvent
être allergisants.
Hydroxy-éthyl-amidons (HEA).
Ces solutés, les plus récents, ne sont pas toujours disponibles en situation de précarité
en raison de leur coût. Ils ont plusieurs avantages : maintien dans le secteur vasculaire,
pouvoir d'expansion et pouvoir oncotique. Il ne faut pas en perfuser plus de trois flacons chez
l'adulte car ils peuvent au-delà entraîner des troubles de l'hémostase. Les réactions allergiques
sont possibles mais rares.
Surveillance.
Dans le choc hypovolémique, la surveillance est essentiellement clinique : restauration
de la pression artérielle, élargissement de la différentielle, ralentissement du rythme cardiaque
et, surtout, reprise d'une diurèse au-dessus de 50 ml/h.
Points spécifiques.
Deux points sont à souligner dans le choc hémorragique ; le remplissage vasculaire est
primordial en première intention. On ne recourt à la transfusion sanguine qu'en deuxième
intention, quand le taux d'hémoglobine avoisine 7 g/1. Si, par d'autres moyens on parvient à
restaurer la volémie, ce seuil d'hémoglobinémie peut être plus bas, à condition d'oxygéner le
patient.
Perturbations hydroélectrolytiques
Elles sont dues le plus souvent à des pertes extrarénales, digestives et parfois cutanées.
132
Elles peuvent accompagner toute infection sévère, en particulier le paludisme. Elles
réalisent des pertes faiblement hypotoniques, provoquant des déshydratations globales à
prédominance extracellulaire : si ces déshydratations étaient compensées par de l'eau pure, il
apparaîtrait un déficit en sel avec une déshydratation extracellulaire pure.
Les pertes hydriques sont aggravées par les vomissements, l'hyperthermie et la sudation.
Ces pertes diarrhéiques s'accompagnent d'une perte de base pouvant réaliser une acidose
métabolique. À l'inverse, des vomissements importants peuvent provoquer une alcalose
métabolique.
— Anesthésie et réanimation... —
TYPE DE PERTES ÉLECTROLYTES
Pour 1 000 ml NaCl KC1 Autres
Aspiration gastrique ou 4g 1 à2g Cl
vomissements
Pertes biliaires 3g 2g Ca2+ HCO3-
Pertes cutanées
Elles sont la seconde grande cause de déshydratation (chez le sujet non acclimaté). Les
pertes sudorales par thermorégulation peuvent atteindre des chiffres élevés : 12 1/j de liquide
hypotonique (2 g Na/1) qui peuvent entraîner des perturbations hémodynamiques
importantes. Le risque est majoré chez l'enfant car la surface cutanée est élevée par rapport au
poids. Les pertes cutanées provoquent une déshydratation globale ; si on la compensait par de
l'eau pure, il apparaîtrait une déshydratation extracellulaire.
Clinique
Les signes cliniques de déshydratation sont donnés ci-dessous :
Déshydratation Déshydratation
extra-cellulaire intra-cellulaire
Collapsus Fièvre
133
Conduite à tenir
Le problème n'est pas tant de diagnostiquer une déshydratation que d'apprécier
l'importance du déficit hydrique.
Chez l'adulte
1) Apprécier les pertes : le poids antérieur n'est jamais connu, d'après Levy :
Tachycardie = - 3 % de pertes
TA normale 1,81/60 kg
Soif modérée = Déshydratation modérée
- Il faudra assurer une compensation per os chaque fois que possible, directement par
des boissons ou par l'intermédiaire d'une sonde gastrique, même dans les diarrhées aiguës où
l'absorption peut être conservée.
134
- Le débit : on corrige la moitié du déficit en 4 à 6 h, puis l'autre moitié plus les besoins de
base en 20 h environ. La ration de base en milieu tropical est de 3 000 ml environ pour un
adulte de 60 kg. Elle est beaucoup plus élevée chez le nouvel arrivant.
3) Surveiller
La surveillance repose sur la clinique (pouls, TA, pli cutané, diurèse horaire surtout). Pour
considérer que la compensation est suffisante, il faut que le pouls soit inférieur à 100, la PA
normalisée et la diurèse égale ou supérieure à 50 ml/h. Le débit de correction sera d'autant
plus lent, plus progressif, que le sujet est dénutri et qu'il est en mauvais état général.
- Autant que possible, on utilisera la voie orale, en employant le soluté de l'OMS. En cas de
syndrome cholériforme, il faut comme chez l'adulte multiplier la posologie par deux.
- Par voie IV, il faut compenser la moitié du déficit en 4 à 6 h, puis l'autre moitié plus la
ration de base dans les 20 h restantes. La ration de base chez l'enfant de moins de 5 ans est de
100 ml/kg/24 h environ.
Équilibre nutritionnel
On peut être amené à restaurer l'équilibre nutritionnel au cours d'une période post-
opératoire de longue durée, surtout si le patient souffre de malnutrition. Il peut s'agir d'une
véritable dénutrition revêtant une forme grave chez l'enfant mais plus souvent fruste chez
l'adulte. C'est le marasme réalisant une dénutrition calorico-azotée ou le kwashiorkor qui est
une dénutrition protéique.
135
Adultes Enfants
base = 20 cal/kg/j 100 cal/kg/j
chirurgie = 30 cal/kg/j
Besoins traumatologie = 35 cal/kg/j
caloriques infection = 45 cal/kg/j
brûlés = 55 cal/kg/j
ÉQUIVALENCES
1 g d'azote = 2 g d'urée = 6 g de protides = 30 g de viande
ÉQUILIBRES
- Rapport calorico-azoté
1 g azote/150 calories
Glucides 1 g = 4 calories
Ration de base =150 g/24 h
Moyenne = 6 g/kg/24 h
Lipides 1 g = 9 calories
20 à 40 % ration de base
Alimentation parentérale
II faut y recourir lorsque la voie digestive est inutilisable (iléus post-opératoire
prolongé, troubles digestifs, troubles de la conscience, etc.). Il faut, dès que possible, la
remplacer par la voie entérale naturelle, sujette à moins de complications, plus facile à utiliser
et plus économique, tant au plan financier qu'en travail infirmier.
Moyens : l'apport se fera par voie périphérique sous forme de solutés peu concentrés,
faiblement hyperosmolaires, donc mieux tolérés, aussi bien sur le plan local (veines) que
général (métabolique), ce qui facilite la surveillance. Les glucides seront apportés par du
glucose à 10 voire 15 %. Les lipides ne sont habituellement pas disponibles en situation
précaire car ils doivent suivre la chaîne du froid. Leur apport n'est indispensable que pour une
alimentation parentérale très prolongée supérieure à 10 j. Il faut limiter l'apport azoté à 6 à 9 g
d'azote par litre sous forme de solutés d'acides aminés (exemple Trophysan® simple = 6 g/1 ;
Totamine® = 9 g/1). On peut par exemple perfuser :
136
- 2 flacons de 500 ml de glucose à 15 %
- 1 flacon de 500 ml de Totamine® apportant :
- 1 000 ml x 150 g de glucides = 600 calories
- 500 ml = 4,5 g d'azote
- 3 000 ml/24 h apportant 1 200 calories ou 9 g d'azote
Une telle perfusion permet de couvrir les besoins de base. L'emploi de solutés
hypertoniques obligeant à recourir à une voie veineuse profonde et à une surveillance plus
complexe est hors de portée dans de telles conditions d'exercice.
Alimentation entérale
Cette voie naturelle a plusieurs avantages : elle permet de conserver le flux portai
nutritif et hormonal, elle évite l'atrophie de la muqueuse intestinale secondaire à
l'alimentation parentérale et elle diminue le risque d'apparition d'ulcères de stress et de
cholécystite alithiasique.
Sa modalité d'administration dépend du patient. Parfois, dans les cas simples, elle peut
être normale et par voie orale. Sinon, elle peut se faire par une sonde gastrique, de préférence
en polyuréthane ou en silicone, matériaux mieux tolérés. Sa mise en place se fera
prudemment, en demandant au patient de déglutir, et sa position sera vérifiée par auscultation
au niveau gastrique en injectant quelques millilitres d'air. Sa position doit être vérifiée chaque
jour et elle doit faire l'objet de soins 'particuliers, avec un rinçage régulier par de l'eau pour
éviter son obstruction.
Solutés nutritifs
Solution de base (solution de Levy) (Tab. 5.7)
Les produits destinés à l'alimentation entérale tels Sondalis, Nutrison, etc., sont
rarement disponibles en situation précaire. Le plus souvent, il faut se contenter de modifier
cette solution de base.
Différentes préparations
À partir de cette base, on peut élaborer d'autres préparations à l'aide de céréales
produites localement : le mil et le sorgho ont une teneur en protides autour de 10 %, le soja
autour de 35 %.
Il est possible, à l'aide de lait écrémé sec, de sucre et d'huile, d'élaborer une
préparation équilibrée et assez calorique : lait écrémé sec = 120 g ; sucre = 30 g ; huile = 30 g
pour 1 000 ml d'eau. Ce mélange apporte 650 calories avec un rapport glucido-lipidique
équilibré et un rapport calorico-azoté de 1/170.
Technique d'administration
L'apport peut être fractionné par bolus successifs de 300 ml, avec une vitesse de 30
ml/min au maximum dans les cas de vacuité gastrique et de bonne tolérance digestive.
137
L'apport continu par simple pesanteur est souvent utilisé car on ne dispose
habituellement pas de pompes péristaltiques. Le produit ne doit pas rester plus de 6 h à
température ambiante, surtout si elle est élevée.
Quantité Calories
Surveillance
Le contrôle de la vacuité gastrique se fera au départ toutes les 8 h en arrêtant
l'instillation et en vérifiant après 30 min s'il n'existe pas lors du siphonage un reflux
important. Le sujet est placé en proclive d'au moins 30° pour éviter les reflux et permettre le
contrôle de la perméabilité et la position de la sonde.
Complications
- Elles peuvent être gastro-intestinales (voir paragraphe Surveillance). La diarrhée
peut être liée, hormis le débit et l'osmolarité, à une surinfection intestinale liée à une
pullulation microbienne, conséquence d'une mauvaise conservation ou manipulation des
solutés nutritionnels.
138
Réanimation post-opératoire
Au cours de cette étape, il faut assurer la surveillance du patient, l'analgésie et le
maintien de l'équilibre hydroélectrolytique.
Analgésie
On aura recours aux antalgiques périphériques (paracétamol associé ou non à des
AINS) prescrits à titre systématique et non en fonction de la douleur. Ils permettent d'atténuer
nombre de douleurs. Dans les douleurs plus intenses, on pourra utiliser des morphiniques ou
dérivés, tels que les agonistes-antagonistes : buprénorphine (injection SC, IM ou IV d'une
ampoule à 0,3 mg toutes les 8 h) ; nalbuphine (injection SC, IM ou IV de 4 à 6 ampoules à 20
mg/j). Il faut, avec ces agents, tenir compte de deux points essentiels : d'abord ils ne doivent
pas être associés aux morphinomimétiques, dont ils diminuent les effets par un phénomène de
compétition ; ensuite, ils font courir un risque de dépression respiratoire, certes moindre
qu'avec les morphiniques, mais réel, et ce pendant plusieurs heures. La morphine base reste la
référence des douleurs intenses, réfractaires aux autres agents. Il faut la titrer et la doser en
fonction de l'état physiologique du patient (sensibilité des malnutris). La surveillance de la
fonction respiratoire doit ici impérativement être étroite (une bradypnée < 12/min est un signe
d'alerte).
Équilibre hydroélectrolytique
L'hydratation doit être régulière sur les premières 24 h et couvrir les besoins de base
(Tab. 5.8). Un apport de glucides à raison de 150 à 200 g suffit chez l'adulte. Il est inutile
d'apporter des acides aminés avant la 48e h. Les apports hydriques, chez un adulte de 70 kg,
doivent donc être au moins de 30 ml x 70 = 2 100 ml, auxquels il faudra ajouter 15 % de
liquide par °C de température au-dessus de 37 °C si le sujet est fébrile. De même, il faut
compenser d'éventuelles fuites digestives (perte en liquide gastrique, diarrhée) et ajouter 500
139
à 1000 ml/24 h quand la température ambiante dépasse 25 °C. Les solutés doivent contenir du
sodium, du potassium, du chlore et du calcium (Tab. 5.9).
— Anesthésie et réanimation... —
140
Rappel anatomiques.
Rappel anatomique 1.
Niveaux supérieurs d’innervation sensitive des viscères : Les niveaux d’anesthésie
nécessaires ne correspondent pas aux niveaux d’innervation anatomique.
141
Rappel anatomiques.
Rappel anatomique 2.
Organes génitaux masculins : les niveaux anesthésiques.
142
Rappel anatomiques.
Rappel anatomique 3.
Organes génitaux féminins : les niveaux anesthésiques.
143
Rappel anatomiques.
Rappel anatomique 4.
Innervation musculaire : limites supérieure et inférieure.
144
Rappel anatomiques.
Rappel anatomique 5.
Repères osseux.
145
Rappel anatomiques.
Rappel anatomique 6.
Répartition m étamérique de la sensibilité cutanée.
146
Annexes
147
Matériel de surveillance
- Stéthoscope
- Tensiomètre
- Au mieux : scope-graphe-défibrillateur avec des électrodes
oxymètre de pouls avec capteur de doigt
Présentation
- Formes injectables
Flacon de 20 ml de solution à 1 % (10 mg/ml), à 2 % (20 mg/ml)
(Formes adrénalinées à 1/100 000)
Flacon de 20 ml de solution à 0,5 % (5 mg/ml)
Ampoule de 2 ml hyperbare pour rachianesthésie (100 mg)
- Formes non injectables
Flacon de 24 ml de solution à 5 % (50 mg/ml)
Flacon de 24 ml de solution à 5 % naphtazolinée
Tube de 15 ml de gel à 2 % (20 mg/ml)
Nébuliseur de solution à 5 % (8 mg/nébulisation)
Indications
- Anesthésie locale par infiltration
- Anesthésie locorégionale : plexique, tronculaire, locale IV, rachianesthésie
- Anesthésie de contact : ORL (naphtazolinée), urologie (gel)
- Anesthésie locale par nébulisation en ORL, avant l'intubation
- Arythmie ventriculaire
Posologie
- En anesthésie locorégionale :
Dose unique maximale Avec adrénaline Sans adrénaline
Adulte 500 mg 300 mg
Enfant 7 mg/kg 5 mg/kg
- Prévention des poussées hypertensives lors de l'intubation : 1,5 mg/kg IV
-Antiarythmie : 1 à 1,5 mg/kg, puis 2 à 4 mg/min sans dépasser 1,5 g/24 h
Contre-indications
- Allergie aux anesthésiques locaux, porphyrie, épilepsie
- Troubles de la conduction auriculo-ventriculaire
- Formes adrénalinées : IMAO, antidépresseurs tricycliques, troubles du rythme,
insuffisance coronaire, hyperthyroïdie, myocardiopathies obstructives, anesthésie en bague
des extrémités (doigts, verge, blocs périorbitaires)
Interactions médicamenteuses
- L'adrénaline augmente la durée d'action et diminue la toxicité
- Diminution de la toxicité avec les benzodiazépines (diazépam)
148
Effets indésirables
- Nausées, vomissements, allergie (rare)
- Troubles de la conduction, du rythme, collapsus
Présentation
- Flacon de 20 ml de solution à 0,25 % (2,5 mg/ml)
de solution à 0,5 % (5 mg/ml)
(forme adrénalinée à 1/200 000)
- Forme hyperbare : ampoule de 4 ml contenant 20 mg (5 mg/ml)
Indications
- Anesthésie régionale (tronculaire, plexique)
- Rachianesthésie (forme hyperbare)
Pharmacocinétique
Délai d'action : 10 à 20 min
Durée d'action : 2 h à 2 h 30
Posologie
- En anesthésie locorégionale
Dose unique maximale Avec adrénaline Sans adrénaline
Adulte 200 mg 150 mg
Enfant 3 mg/kg 2 mg/kg
- Forme hyperbare :2à4ml(10à20 mg)
Contre-indications
- Allergie aux anesthésiques locaux, porphyrie, épilepsie
- Troubles de la conduction auriculo-ventriculaire
- Formes adrénalinées : IMAO, antidépresseurs tricycliques, troubles du rythme,
insuffisance coronaire, hyperthyroïdie, myocardiopathies obstructives, anesthésie en bague
des extrémités (doigts, verge, blocs périorbitaires)
Interactions médicamenteuses
- L'adrénaline augmente la durée d'action et diminue la toxicité
- Diminution de la toxicité avec les benzodiazépines (diazépam)
149
Effets indésirables
- Nausées, vomissements, allergie (rare)
- Troubles de la conduction, du rythme, collapsus
Anesthésie tronculaire
NB : les doses employées sont différentes suivant le bloc (voir chaque technique).
150
Produit Dose Délai Durée
anesthésique employée d'action d'action
Lidocaïne à 0,5 % 3 mg/kg 10 à 15 min 90min
non adrénalinée (150 à 200 mg) (garrot)
0,6 ml/kg
(30 à 40 ml)
Rachianesthésie
Présentation
-Ampoule de 5 ml à 50 mg (solution à 1 %, soit 10 mg/ml)
- Ampoule de 5 ml à 250 mg (solution à 5 %, soit 50 mg/ml)
Indications
- Anesthésie générale
- Complément d'une anesthésie locorégionale
- Intérêt : sujet âgé, enfant, asthmatique, brûlé, état de choc
Pharmacocinétique
- Délai d'action : 15 à 60 s IV, 2 à 5 min IM
- Durée d'action : 5 à 10 min IV, 15 à 25 min IM
Posologie
- Anesthésie classique
Induction : 2 à 4 mg/kg IV ou 6 à 13 mg/kg IM
Entretien : 1/2 dose d'induction (IV ou IM) en fonction des signes de réveil
- En perfusion continue en solution de 1 mg/ml (2 amp. de 250 mg dans un flacon de
500 ml de sérum glucose à 5 %)
Induction : 0,12 mg/kg/min IV
Entretien : 0,08 mg/kg/min IV
151
- Chez l'enfant
Induction : 2 mg/kg IV, 8 à 10 mg/kg IM ou 9 à 10 mg/kg IR
Entretien : 1 mg/kg IV en fonction des signes de réveil
Contre-indications
- Absolues
HTA, insuffisance coronarienne sévère non équilibrée, infarctus du myocarde
récent
Anévrisme, traumatisme crânien, AVC
Pré-éclampsie et éclampsie
- Relatives
Éthylisme, toxicomanie, épilepsie, maladie psychiatrique
Hyperthyroïdie, chirurgie ophtalmologique à globe ouvert
Chirurgie viscérale profonde
Intervention bronchique ou sur le carrefour pharyngo-laryngé
Interactions médicamenteuses
- Anticholinergiques (atropine) : suppression des effets centraux
- Benzodiazépines (diazépam) : suppression des effets psychodysleptiques
1.6 – Atropine
Présentation
- Ampoule de 1 ml dosée à 0,25 mg
- Ampoule de 1 ml dosée à 0,5 mg
- Ampoule de 1 ml dosée à 1 mg
Pharmacocinétique
- Délai d'action : 30 à 90 s IV
5 min IM
Indications
- Prémédication
- Bradycardie vagale
152
- Blocs auriculo-ventriculaires
Posologie
- Prémédication
0,50 à 0,75 mg SC ou IM, 30 à 45 min avant l'anesthésie ou
0,50 à 0,75 mg IV juste avant l'anesthésie
- Per-opératoire
0,50 à 0,75 mg IV sans dépasser 2 mg/24 h
- Enfant
10 ug/kg IV ou SC en prémédication et en per-opératoire
Contre-indications
- Absolues
Glaucome
Hypertrophie prostatique
Tachycardie et insuffisance cardiaque
- Relatives
Insuffisance coronaire
Bronchorrhée Hyperthyroïdie
Insuffisance rénale majeure
Déshydratation
Ralentissement du transit
Trisomie 21
Interactions médicamenteuses
- Antagonise les effets non antalgiques des morphiniques
- Potentialise les effets des anesthésiques locaux
- Diminue l'hypersécrétion salivaire et bronchique induite par la kétamine
Présentation
- Ampoule de 2 ml dosée à 10 mg
- Goutte : 3 gouttes = 1 mg
- Sirop : 1 cuillère à café = 2 mg
- Comprimé dosé à 10 mg
- Suppositoire dosé à 10 mg
Indications
153
- Prémédication
- Sédation de complément au cours d'une anesthésie locorégionale
- Sédation du tétanos et des convulsions
- Prévention des effets psychodysleptiques induits par la kétamine
Pharmacocinétique
- Délai d'action : 2 min
- Durée d'action : 10 à 30 min (narcose)
1 à 3 h (sédation)
Posologie
- Prémédication
Adulte : 0,2 mg/kg per os, 0,15 mg/kg IM ou 1 suppositoire 1 h avant l'anesthésie
Enfant : 0,3 à 0,4 mg/kg per os avant l'anesthésie ou 0,35 à 0,40 mg/kg IR (utiliser la
solution injectable IV diluée dans du sérum physiologique), 10 à 15 min avant l'anesthésie
- Sédation
Simple : 0,12 à 0,16 mg/kg IM ou 0,10 à 0,12 mg/kg IV Forte : 0,15 à 0,20 mg/kg IV
- Réanimation
Tétanos : 500 mg/24 h en administration continue IV
Contre-indications
- Absolues
Absence de matériel de réanimation Myasthénie, porphyrie
- Relatives
Insuffisance respiratoire sévère et hépatique grave Myopathies, 1er trimestre de la
grossesse
Interactions médicamenteuses
- Diminution ou suppression des hallucinations dues à la kétamine
1.8 – Oxygène
Présentation
- Bouteille de couleur blanche (oxygène médical)
- Bouteille de couleur noire, ogive blanche (oxygène industriel)
Comprimé entre 150 et 200 bars
Détendu à 3 bars (prise à 3 crans)
Débitmètre (débit en 1/min)
154
Indications
- Hypoxie (hypoxémie, insuffisance cardio-circulatoire, toxique)
- Anesthésie
Oxygénation avant induction (préoxygénation, dénitrogénation)
Ventilation assistée (FiO2 entre 0,3 et 0,6)
Hypoxémie postopératoire (réveil)
- Convulsions induites par les anesthésiques locaux
Posologie
-FiO2 = 0,21 ai
- Ventilation spontanée : sonde nasale ou lunettes (1 à 6 1/min), masque simple ou à
haute concentration (6 à 15 1/min)
- Ventilation assistée au masque et au ballon type Ambu, ventilation manuelle après
intubation, ventilation contrôlée avec respirateur à cellule Logic de type fluidique
Précautions d'emploi
- Chez l'insuffisant respiratoire hypercapnique, ne pas utiliser de forts débits
d'oxygène (dépression respiratoire)
- Ne jamais utiliser de FiO2 > à 0,6 pour une ventilation assistée ou contrôlée
prolongée (toxicité cellulaire de l'oxygène)
Présentation
- Ampoule de 1 ml dosée à 0,25 mg
- Ampoule de 1 ml dosée à 1 mg (solution à 1/1 000)
Indications et posologie
- Médicament d'urgence des détresses cardio-circulatoires
- Bronchospasme qui ne cède pas : 1 amp. de 0,25 mg diluée dans 10 ml de sérum
salé ou glucose isotonique, ml par ml en IV, jusqu'à l'effet désiré
- Choc anaphylactique : 1 amp. de 0,25 mg diluée dans 10 ml de sérum salé ou
glucose isotonique, ml par ml en IV, jusqu'à l'effet désiré
-Arrêt cardiaque : 1 à 1,5 mg IV, choc électrique externe, entretien par doses de 0,1
pg/kg/min en perfusion continue
- Prolongation des effets des anesthésiques locaux et diminution de leur toxicité par
ralentissement de leur diffusion sanguine (solution de 1/20 000 à 1/200 000)
Contre-indications
- Forme adrénalinée : traitement par les IMAO, antidépresseurs tricycliques,
insuffisance coronarienne, troubles du rythme surtout ventriculaires, myocar-diopathies
obstructives, hyperthyroïdie, anesthésie locale au voisinage d'artères terminales (doigts,
verge, orbites)
155
Effets indésirables
- Crise angineuse avec possibilité d'infarctus du myocarde
- Tachycardie sinusale supérieure à 130 b/min et troubles du rythme ventricu-laire
avec risque de fibrillation ventriculaire
156
Surdosage en 1 ) signes prémonitoires -oxygénation +++
anesthésiques locaux - agitation, nausées -assistance ventilatoire
- secousses musculaires
- paresthésies
- vertiges, logorrhée
- troubles visuels
- goût métallique
-bourdonnements d'oreille
157
Réactions vagales -sensation de malaise -décubitus dorsal
-pâleur, sueurs, nausées - jambes surélevées.
-bradycardie, hypotension artérielle - atropine 0,5- 0,75 mg
-remplissage vasculaire
-oxygénation
e) préférer les amides (lidocaïne, bupivacaïne), plutôt que les esters plus allergisants
(procaïne, tétracaïne) ;
i) éviter toute injection intravasculaire directe par la réalisation systématique d'un test
d'aspiration avant toute injection ;
158
Figure 5.20 : Échelle de progression des symptômes observés avec des taux plasmiques
croissants de lidocaïne.
2.2 – Laryngospasme
Traitement
- Ventiler au masque et au ballon en oxygène pur -Approfondir l'anesthésie
- Pulvériser de la lidocaïne sur les cordes vocales, visualisées à l'aide d'un
laryngoscope
159
Prévention
- Prémédiquer à l'atropine pour diminuer les sécrétions bucco-pharyngées
- Éviter toute stimulation douloureuse tant que l'anesthésie n'est pas installée ou au
moment du réveil
- Ne pas mettre de canule de Guedel sur un patient non ou insuffisamment endormi.
2.3 - Bronchospasme
II se caractérise par une dyspnée expiratoire sifflante (wheezing) puis, si le spasme est
majeur, par un silence auscultatoire, un thorax rigide impossible à ventiler même avec des
pressions d'insufflation élevées. Les principales causes sont l'asthme (crise et état de mal
asthmatique), l'inhalation après régurgitation de liquide gastrique et le bronchospasme dans le
cadre d'une réaction anaphylactique ou anaphylactoïde (éruption cutanée, accélération du
transit, hypotension artérielle, choc).
Traitement
- Éliminer une obstruction de sonde d'intubation
- Arrêter toute stimulation chirurgicale -Approfondir l'anesthésie si anesthésie
générale
- Intuber si le patient est ventilé au masque
- Forcer la ventilation sous oxygène pur avec un ballon
- Pulvériser du salbutamol (Ventoline®) en spray dans la sonde d'intubation
- Si échec : bêta-2-minétiques, terbutaline (Bricanyl®), salbutamol (Ventoline®) 0,5
mg dans 10 ml en IV lente, ml par ml jusqu'à effet désiré
- Si échec ou si bronchospasme dans le cadre d'une réaction anaphylactique :
adrénaline 0,25 mg dans 10 ml en IV lente, ml par ml jusqu'à effet désiré
Prévention
- Dépister avant l'intervention les asthmatiques et les sujets allergiques
- Préférer une anesthésie locale ou locorégionale
- Choisir la kétamine pour une anesthésie générale
Hypovolémie
Cette hypovolémie existait avant l'intervention (déshydratation, hémorragie
extériorisée ou non) mais était physiologiquement compensée (tachycardie), elle se manifeste
au cours d'une intervention hémorragique ou à l'installation d'une rachianesthésie. Il faut :
- surélever les membres inférieurs sans mettre en position de Trendelenburg, si cette
hypotension survient lors de l'installation d'une rachianesthésie (voir Installation du bloc
rachidien)
- augmenter le remplissage vasculaire et le débit de perfusion
- perfuser 8 à 10 ml/kg de Ringer-lactate ou de sérum salé à 0,9 %
160
- apporter de l'oxygène (6 à 8 1/min au masque)
Syndrome « utéro-cave »
II n'est pas uniquement dû à un utérus gravide. Une tumeur intra-abdomina-le
volumineuse peut entraîner le même phénomène, par compression veineuse cave, chez une
patiente en décubitus dorsal et endormie. Il faut ici placer la patiente en décubitus latéral
gauche et assurer un remplissage vasculaire.
161
3.1 - Liberté des voies aériennes supérieures
Le libre passage de l'air dans les voies aériennes est la condition d'une bonne
oxygénation et d'une épuration suffisante du gaz carbonique. L'obstruction des voies
aériennes supérieures engendre une hypoxie et une hypercapnie. En anesthésie, les principales
causes d'obstruction des voies aériennes supérieures sont les corps étrangers (prothèse
dentaire en particulier) ou des sécrétions, la chute de la langue en arrière (Fig. 5.21) et
l'inhalation de liquide gastrique après régurgitation ou vomissement. En présence d'une
obstruction des voies aériennes, un certain nombre de gestes sont vitaux.
162
inférieures en avant des incisives supérieures. Cette subluxation peut être maintenue d'une
main, permettant de ventiler le patient au masque.
Mise en place d'une canule de Guedel
Elle permet d'éviter la chute de la langue en arrière, les morsures de la langue ou de la
sonde d'intubation et facilite l'aspiration des sécrétions.
Matériel
II en existe plusieurs tailles, pour l'enfant et l'adulte. Les n° 3 et 4 sont les plus
utilisées chez l'adulte. La longueur de la canule de Guedel peut être déterminée au mieux par
la distance entre la commissure des lèvres et l'angle du maxillaire inférieur (Fig. 5.23).
Technique
163
La mise en place de la canule se fait en se plaçant derrière la tête du patient maintenue
en extension. Le maxillaire inférieur est tiré vers le bas et en avant à l'aide de la main gauche.
La canule est introduite avec la main droite, entre la langue et le palais, en plaçant la partie
concave vers le haut (Fig. 5.29). Lorsqu'elle bute sur le palais, il faut la tourner sur elle-même
de 180° en la poussant, ce qui amène la partie concave vers le bas au contact de la langue et
l'introduire complètement (Fig. 5.23).
Matériel
II existe différents types de matériels : les aspirateurs mécaniques à énergie humaine
(exemple Pedavid), robustes et inusables, qui permettent une dépression pouvant atteindre
-200 mmHg ; les aspirateurs à énergie pneumatique (système Venturi), gros consommateurs
d'oxygène ; les aspirateurs à énergie électrique avec ou sans batterie.
Les sondes d'aspiration de 50 à 60 cm de long et de différents calibres (14 et 16 CH)
doivent permettre d'aspirer la bouche, le pharynx et la trachée à travers une sonde
d'intubation.
Technique
Après avoir introduit la sonde, l'aspiration doit se faire en remontant doucement la
sonde sans mouvement de va-et-vient. Pour la cavité buccale et le pharynx, la sonde peut être
introduite à travers la canule de Guedel, de part et d'autre de celle-ci ou par voie nasale
perpendiculairement au massif facial. Pour la trachée et les bronches, la sonde doit être
introduite doucement dans la sonde d'intubation jusqu'à ce qu'elle déclenche un réflexe de
toux, puis remontée en aspirant. Après utilisation, la sonde doit être jetée (usage unique) ou
placée dans un liquide antiseptique, mais son utilisation ne doit pas, dans ce dernier cas,
excéder 24 h.
3-3 - Oxygénothérapie
L'air ambiant inspiré contient 21 % d'oxygène, concentration qui peut se révéler
insuffisante dans certaines circonstances ou en post-opératoire, comme dans l'obstruction
temporaire des voies aériennes supérieures, les pneumopathies ou l'hypoventilation alvéolaire.
Un apport supplémentaire en oxygène devient alors nécessaire. L'oxygène doit aussi être
utilisé au cours de certaines complications, comme par exemple les convulsions dues à la
toxicité des anesthésiques locaux, au cours desquelles le premier geste doit être la ventilation
en oxygène pur.
Les sources d'oxygène peuvent être constituées par les bouteilles délivrant de l'O2
comprimé à 200 bars avec un manodétendeur et un débitmètre pour régler le flux. Ce peut
être un extracteur d'oxygène délivrant au mieux un débit de 5 1/min directement par un tuyau
branché sur le débitmètre. En situation précaire, il peut exister des « chandelles » fournissant
de l'O2 par réaction chimique.
164
Quelle que soit la source utilisée, le débit d'O2 est déterminé par le débitmètre, et
l'oxygène est administré par l'intermédiaire de lunettes, d'une sonde nasale, d'un masque
facial léger en plastique perforé pour permettre l'évacuation du CO2 ou d'une sonde
d'intubation. Avec les lunettes et la sonde nasale, on utilise des débits avoisinant 3 à 4 1/min
et les concentrations inspirées sont limitées par la dilution avec l'air ambiant. Avec le masque,
les concentrations inspirées peuvent être plus importantes, en particulier avec les masques
haute concentration où une poche réservoir contenant l'oxygène est interposée dans le circuit,
le malade pouvant alors respirer une atmosphère très enrichie en oxygène.
Matériel
Les ballons autogonflables (type Ambu) ou les soufflets (type Ranima) doivent être
équipés d'une prise pour oxygène. Les masques faciaux, qui existent en plusieurs tailles, sont
munis d'un bourrelet servant à l'étanchéité. La valve entre le masque et le ballon est une valve
unidirectionnelle qui permet d'évacuer à l'extérieur l'air expiré par le patient. Pour que la
ventilation soit efficace, il faut que ce matériel soit en parfait état.
165
Technique
Après avoir mis en place une canule de Guedel, il faut de la main gauche maintenir
l'hyperextension du cou et la subluxation en avant du maxillaire inférieur (Fig. 5.22). Le
masque est appliqué sur le visage avec la main droite et l'étanchéité est obtenue grâce au
pouce et l'index de la main gauche qui maintiennent le masque bien calé sur la pyramide
nasale en haut, le sillon mentonnier en bas et les joues latéralement. Le pouce et l'index
forment un « C » autour du col du masque (Fig. 5.24).
Le ballon est ensuite comprimé rythmiquement (15 à 20 fois/min) avec la main droite.
Lorsqu'elle est efficace, la compression du ballon entraîne le soulèvement symétrique du
thorax et la normalisation de sa coloration cutanée.
Une détresse respiratoire quelle qu'en soit la cause (coma-pneumopathie) peut imposer
une intubation qui permet de contrôler la liberté des voies aériennes supérieures, d'aspirer
régulièrement des sécrétions et d'assurer une assistance ventilatoire au ballon ou à l'aide d'un
respirateur. Cet apprentissage de l'intubation, de même que la ventilation au masque ou à
l'aide d'un respirateur manuel, doit se faire au bloc opératoire ou en réanimation pour tout
166
chirurgien amené à exercer dans des conditions d'isolement, elle ne peut se faire uniquement
sur la lecture d'un manuel.
Matériel.
Avant toute intubation, il faut vérifier que le laryngoscope est en état de marche. Le
choix de la sonde d'intubation dépend de l'âge et de la morphologie du patient. Chez l'adulte,
on utilise les sondes n° 7, 7,5 ou 8 avec ballonnet ; chez l'enfant, on détermine le numéro de
la sonde par la formule : âge +16.
4
Technique
Le patient est installé en décubitus dorsal, épaules légèrement surélevées (drap roulé)
et tête en hyperextension.
Lorsque la pointe de la lame est dans le sillon, il faut exercer une traction vers le haut
de l'ensemble du laryngoscope, dans l'axe du manche (Fig. 5.26).
167
L'orifice glottique devient visible, limité latéralement par les cordes vocales (Fig.
5.27). Il faut veiller ici à ne pas faire levier sur les incisives supérieures mais soulever le
laryngoscope en bloc, pour ne pas traumatiser les dents.
L'orifice glottique étant bien dégagé, la sonde d'intubation est introduite à travers cet
orifice, sa concavité étant dirigée vers le haut et la droite. Le ballonnet est alors gonflé (Fig.
5.28).
168
Après l'intubation, il faut s'assurer que la sonde est en bonne position :
169
Une fois en place, la sonde doit être protégée des morsures par une canule de Guedel
et fixée solidement à l'aide de sparadrap ou d'un cordon (Fig. 5.29).
Matériel
Les respirateurs volumétriques fluidiques (type Airox) permettent de réaliser des ventilations
de courte durée pour un transport ou une évacuation par exemple.
170
Figure 5.29 : Fixation de la sonde d'intubation. La fixation de la sonde d'intubation doit
être solide. Elle se fait à l'aide de sparadrap ou, mieux, par un cordon. ATTENTION : après
fixation, il faut vérifier la bonne position de la sonde par auscultation des deux champs
pulmonaires.
Surveillance
Elle porte sur le patient
- Le thorax doit se soulever de façon synchrone avec le respirateur ;
- le patient ne doit pas « lutter » contre le respirateur. Si tel est le cas, il faut
adapter les réglages du respirateur aux besoins du patient ;
- l'auscultation pulmonaire doit être symétrique ;
171
3.7 - Voies veineuses
Le choix de l'abord veineux et du site dépend du degré d'urgence, de la durée et du
débit des perfusions, du type de solutés à utiliser, de la morphologie du patient, de son âge et
de l'entraînement de l'opérateur. Abords veineux superficiels
II faut autant que possible préférer ici les veines du membre supérieur en évitant les
plis et en utilisant les zones les plus distales. La veine jugulaire externe sera utilisée pour une
perfusion de durée moyenne ou pour l'urgence. Abords veineux profonds
II faut y recourir quand le capital veineux est pauvre, quand l'abord périphérique est
impossible ou en cas d'impératifs thérapeutiques : utilisation de solutés hypertoniques, mesure
de la pression veineuse centrale. Le chirurgien, peu familiarisé avec ces techniques, pourra
utiliser l'abord de la veine fémorale, relativement facile et peu dangereux.
Matériel
Les aiguilles métalliques sont pratiquement abandonnées pour les perfusions, au profit
des épicrâniennes, qui comportent une aiguille courte de 2 à 3 cm et de 0,8 à 1,6 mm de
diamètre, munies d'une ailette et reliées à un tuyau souple. Elles permettent un débit de
perfusion correct.
- une aiguille métallique externe dans laquelle on glisse le cathéter en plastique : avec
ces modèles, il ne faut pas retirer le cathéter sur l'aiguille lors de la mise en place car on
risque de le sectionner. Si on doit le retirer, il faut enlever en bloc le cathéter et l'aiguille ;
- un autre système est constitué d'une aiguille métallique externe, que l'on met en
place dans la veine ; on y introduit alors un guide métallique souple, on retire l'aiguille et on
place le cathéter sur le guide que l'on enlève
.
Technique
Le choix de l'abord veineux dépend du cathétérisme :
- pour des cathétérismes brefs on choisit les veines dorsales de la main ou la veine
saphène au cou de pied ;
- pour des cathétérismes de durée moyenne, on utilise les veines de l'avant-bras : les
veines du pli du coude, telle la veine basilique, peuvent permettre un abord central par la
veine humérale interne, soit à l'aide d'un guide, soit avec le système Drum Cartridge ;
172
- une autre voie de durée moyenne est la voie fémorale. Une bonne asepsie tant lors de
la pose que lors des renouvellements de pansements diminue le risque de surinfection.
Différentes études ont montré que le risque thrombolique était peu différent des autres voies
profondes. La veine est ponctionnée dans le triangle de Scarpa, en dessous de l'arcade
crurale ; la veine est située en dehors de l'artère. La ponction se fera 20 mm en dessous de
l'arcade crurale en repérant l'artère fémorale, l'aiguille formant un angle de 30° dans l'axe du
membre par rapport au plan cutané. La profondeur se situe selon les sujets entre 5 à 30 mm.
Les veines épicrâniennes constituent l'abord de choix ; visibles les premiers mois,
elles constituent un réseau dense. Seules les aiguilles épicrâniennes doivent être utilisées.
L'abord par le sinus longitudinal supérieur doit rester exceptionnel chez le nouveau-
né, réservé à l'extrême urgence. Le nouveau-né est installé en décubitus dorsal, bien
immobilisé par un drap. Le praticien repère l'angle postérieur de la fontanelle antérieure. La
ponction se fera avec une aiguille de calibre 22 à 24 Gange montée sur une seringue.
L'aiguille doit être introduite selon un angle de 60° avec le cuir chevelu en direction de la
ligne médiane de la fontanelle pour franchir le plan cutané superficiel, puis on l'incline en
faisant un angle de 30° en recherchant le reflux. Les risques de cette voie sont une ponction
sous-durale lors de la mise en place, puis de méningite, de thrombose du sinus et de
thrombophlébite cérébrale ensuite. Ces derniers risques expliquent pourquoi ce cathétérisme
doit rester bref.
Il faut toujours garder à l'esprit dans ces situations extrêmes que l'on ne doit recourir à
un abord veineux que quand il est réellement nécessaire. Il faut dès que possible remplacer
toute voie parentale par la voie entérale.
173
Thérapeutique transfusionnelle
Face à ces difficultés, il faudra souvent choisir le (ou les) candidat(s) qui paraît
(ssent) le(s) moins déficients aux seules vues d'un examen clinique général, forcément
succinct.
Test à pratiquer
Bilan immunologique
Seul un groupage ABO-Rh standard sera effectué.
Autant que possible, on ne retient que les donneurs ABO-Rh identiques ou
compatibles avec le patient. Toutefois, selon les types d'activités rencontrées, il peut être
nécessaire de constituer une réserve d'urgence vitale de produits sanguins. Dans ce contexte,
l’ensemble des donneurs aptes au don doit être prélevé. Une gestion rigoureuse de ce stock
est impérative.
174
175
176
Mélanger les réactants avec un fond de tube. L'interprétation n'est possible que si le
témoin est négatif. La réaction est positive (groupe Rh positif) si on constate une
agglutination avec l'anti-D.
Bilan sérologique
Ce bilan reste généralement succinct pour des raisons économiques et épi-
démiologiques. Il doit être effectué avant le prélèvement afin d'éviter de prélever inutilement
une unité de sang (destruction obligatoire des unités positives). Bien entendu, une sérologie
positive interdit le prélèvement.
177
• Distribution : distribuer 100 ml de diluant échantillon, puis 50 ml de témoins et
d'échantillons, mélanger et changer d'embout à chaque fois. Recouvrir la microplaque avec un
film adhésif.
• Substrat : distribuer 200 (il de substrat reconstitué dans chaque cupule. Incuber 30
min à l'obscurité et à température ambiante.
• Arrêter la réaction avec 50 μl d'acide sulfurique 4 N.
- Dépistage de la Syphilis
Technique
• Prédiluer des échantillons à tester et des témoins : l/20e.
Distribuer 10 μl d'échantillons ou de témoins dans 190 μl de tampon de dilution.
• Transférer 25 (il de cette dilution au l/20e dans une microplaque de titration avec
puits en U, préalablement essuyée avec un tissu propre légèrement humide, afin de neutraliser
l'électricité statique.
• Distribuer 75 μl de suspension d'hématies sensibilisées, préalablement
homogénéisées par agitation douce, dans chaque puits. Mélanger le contenu en tapotant.
• Incuber 45 mn à température ambiante (15-25 °C) à l'abri de la lumière.
Interprétation - Validation
• Lecture « à l'œil », comparaison des agglutinais par rapport aux témoins.
178
Réaction positive : faux positif par réaction non spécifique
3. Validation – interprétation
Les échantillons à tester sont interprétés par comparaison aux témoins. Les résultats
sont ensuite retranscrits sur le cahier de paillasse.
Tests à pratiquer
- Groupage ABO - Rh standard
- Recherche de l'anticorps anti-VIH, de l'antigène Hbs et de la syphilis
Prélèvement
Le prélèvement est effectué sur poches anticoagulées avec du CPD. Il se fera dans des
conditions d'asepsie rigoureuses.
La quantité de sang prélevé doit être de l'ordre de 8 ml/kg de poids avec un maximum
de 450-500 ml.
Une fois le sang prélevé, l'obturation de la tubulure de prélèvement doit être aussi
étanche que possible (nœud + clip métallique).
Préparation
La séparation de l'unité de sang total en concentré de globules rouges et plasma est
possible par sédimentation à 4 °C et sans autre matériel qu'une simple presse.
Pour séparer les deux composants, on utilise deux poches reliées par une tubulure de
jonction. Une fois la séparation effectuée, on coupe la tubulure de jonction, préalablement
clampée par deux clips métalliques de part et d'autre de la zone de coupure.
179
Il faut identifier les unités (date de prélèvement, groupage ABO-Rh, bilan sérologique
négatif) en notant à la main ces renseignements sur l'étiquette de la poche. Il faut ici être
particulièrement attentif, car la retranscription est une cause importante d'erreurs.
Conservation
Dans l'idéal, le sang prélevé doit être transfusé le plus rapidement possible, après
validation des unités. Théoriquement, les concentrés de globules rouges peuvent être
conservés à + 4 °C pendant 21 j mais c'est là une durée maximale, demandant une maîtrise
rigoureuse de la température de conservation. Toute rupture de la chaîne du froid fait courir le
risque d'accident bactérien.
Le plasma devrait être conservé congelé (- 25 °C) et après décongélation devrait être
utilisé dans les 6 h. Sur le plan pratique, si le plasma ne peut être congelé après séparation,
son utilisation doit intervenir dans un laps de temps très court suivant le prélèvement si l'on
veut bénéficier de l'effet thérapeutique des facteurs de coagulation qu'il contient.
Cependant, en cas d'urgence vitale, lorsque les délais sont incompatibles avec la
survie du patient, on peut se contenter d'une transfusion ABO compatible, et ce malgré le
risque d'accident hémolytique immédiat.
180
Transfusion de plasma
Puisque l'on ne peut pas en général rechercher des agglutinines irrégulières dans le
plasma du donneur, il faut, effectuer un test de compatibilité entre les globules rouges du
receveur et le plasma de la poche (test de Coombs indirect).
Technique
- Lavage : laver trois fois les globules rouges au sérum physiologique, puis les diluer à
3 % dans du sérum physiologique.
- Sensibilisation : dans un tube de Khan, mettre en présence 1 goutte de sérum + 1
goutte de suspension de globules rouges. Laisser incuber 1 h à 37 °C.
- Lavage : laver trois fois les globules rouges au sérum physiologique.
- Phase antiglobuline (AGH) : ajouter 1 goutte AGH, centrifuger pendant 1 min à 1
000 t/min.
- Lecture : il y a incompatibilité s'il y a agglutination. Dans ce cas-là, NE PAS
TRANSFUSER.
Transfusion de plasma :
Globules rouges du malade + plasma de la poche
Liste du matériel
- Poches doubles
- Presse manuelle
- Clampeuse + clips
- Enceinte réfrigérée à 4 °C
- Plaques d'opaline
- Tubes de Khan
- Pipettes
- Sérums tests pour groupage ABO-Rh standard
- Antiglobuline polyvalente
- Étuve à 37 °C
- Tubes secs pour prélèvements
- Embouts pour pipettes
- Films adhésifs
- Sérum physiologique
- Marqueurs indélébiles
- Pipettes réglables 10 à 50 μl (échantillons)
• 150 μl
• 200 et 300 [il (lavage)
- Verrerie
- Eau distillée (régénération des tampons de lavage)
- Acide sulfurique 4 N
- Ac VIH : Organon Uniform II
- Ag Hbs : Ag Hbs Ortho Elisa 3
- Centrifugeuse à tubes
182
Conclusion
Aussi, avant de partir pour un séjour dans une zone difficile ou aux conditions locales
mal définies, il faut se préparer à un recours éventuel à la thérapeutique transfusionnelle.
Nous sommes souvent habitués au « confort » de l'organisation sanitaire des pays riches, avec
en particulier centralisation du recueil, de la préparation et de la distribution des dérivés
sanguins dans les centres de transfusion. En situation précaire, les conditions sont bien
différentes, et il faut prévoir d'éventuelles transfusions dans ce nouveau cadre, et donc
acquérir une formation de base qui doit porter sur plusieurs points :
- l'immuno-hématologie ;
- la virologie ;
- les techniques de prélèvement et de fabrication des produits sanguins labiles.
Il faut également s'assurer avant le départ que l'on pourra disposer du matériel
nécessaire.
183
C. Témoignages et libres propos.
184
Éthique de la chirurgie d'urgence
en situation précaire
A. DUCOLOMBIER
J'ai en mémoire mon arrivée pour la relève d'une antenne chirurgicale, outre-mer, il
y a dix-sept ans, en pleine saison des pluies. C’était au Tchad, où l'antenne chirurgicale
soutenait une population de 2 000 hommes. Les facteurs de précarité étaient multiples :
isolement géographique d une part, sans structure hospitalière correcte à proximité, sans
185
moyen de réanimation et un délai minimal de 24 h pour toute évacuation sanitaire lourde,
isolement technique d'autre part, avec matériel chirurgical plus que sommaire, sans
radiographie, et avec une stérilisation à pétrole. La stratégie élaborée a d'abord consisté à
répartir les tâches pour le personnel, puis à construire des scénarios d'urgence en prévoyant
la possibilité de plusieurs interventions simultanées. La cohésion et la préparation de
l'équipe ont permis d'affronter au mieux des situations d'urgence extrême, avec utilisation
optimale des faibles moyens disponibles et développement du sens pratique de chacun. Pour
pouvoir choisir, il faut connaître l'ensemble des problèmes qui peuvent se poser. Nous
essaierons d'en faire l'analyse avant d'aborder les questions proprement éthiques.
Même en dehors de toute condition d'isolement, comme par exemple à Paris, on peut
être amené à recourir à une telle démarche. Lorsque le contexte lésionnel l'impose, comme
chez le grand brûlé ou chez le polytraumatisé intransportable, a fortiori quand un scanner ne
peut être réalisé dans l'enceinte de l'hôpital, il faut bien s'adapter aux circonstances, se passer
de l'imagerie et aiguiser son sens clinique. La précarité est ici due au contexte lésionnel
auquel il faut s'adapter.
186
Dans l'exercice chirurgical en situation précaire se pose également un problème de
formation. Nombre de jeunes chirurgiens, extrêmement compétents dans leur domaine,
peuvent éprouver des difficultés dans l'exercice de la chirurgie en conditions précaires, en
raison de l'extrême diversité des lésions à traiter. Il est préférable de conserver une
compétence de généraliste, en particulier pour les gestes les plus courants et surtout ceux qui
peuvent être salvateurs dans chaque spécialité. L'opposition classique entre chirurgies
orthopédique et viscérale et le cloisonnement en quatre spécialités de la chirurgie de la tête
sont ici hors de propos. Pour pouvoir assurer un maximum d'urgences, le chirurgien en
situation précaire doit être polyvalent et formé à la réalisation des gestes minimaux qui ne
sont pas de sa spécialité.
Deux facteurs entrent ici en ligne de compte : d'une part, comme toujours, la
hiérarchisation des urgences en fonction de leur gravité, d'autre part l'adéquation des
décisions thérapeutiques aux conditions d'exercice. Certaines pathologies sont parfois hors de
portée de toute thérapeutique lorsqu'il n'y a pas possibilité de réanimation, comme par
exemple le blessé comateux que l'on ne peut traiter que par sonde gastrique et position
latérale de sécurité. Il est toujours préférable de réparer une artère périphérique mais le temps
peut manquer, et il faut parfois décider de la ligaturer, ce qui peut laisser du temps pour
sauver d'autres malades. En fait, il faut répondre à la double question suivante : à quel niveau
doit-on placer la barre de technicité et l'intervention envisagée est-elle adaptée aux
circonstances ?
La médecine d'urgence est devenue mobile : c'est le cas de la réanimation avec les
SAMU, et celui de la chirurgie pour des interventions parfois salvatrices, comme les
amputations de désincarcération par exemple. Cette chirurgie est assez acrobatique, effectuée
dans des conditions de précarité extrême, mais elle peut être vitale et, avec les moyens
modernes, elle peut être très efficace. Cependant, plus le site de l'intervention est éloigné d'un
hôpital central, plus les conditions sont précaires, et plus les résultats sont incertains et
aléatoires. Cela est vrai à Paris pour les interventions effectuées dans les couloirs du métro,
cela est vrai au Tchad ou au Cambodge dans les antennes chirurgicales ou dans les hôpitaux
de brousse.
187
L'environnement est souvent inhabituel, parfois hostile
Le nouvel environnement, la fatigue, le stress, les horaires de travail peuvent poser
des problèmes d'adaptation à toute personne récemment arrivée. Les habitudes opératoires
peuvent enfin varier selon les équipes, et la programmation chirurgicale est souvent
problématique et en permanence modifiée en fonction de l'arrivée de nouveaux cas.
Le climat rarement tempéré se révèle souvent astreignant. En saison des pluies dans
un pays tropical, la chaleur, l'humidité et les moustiques seront difficiles à supporter, et le
sommeil réparateur difficile à trouver.
Le statut de l'intervenant est plus ou moins confortable. Tout sépare la situation d'un
militaire accompagnant une antenne chirurgicale, même au contact des combats, celle d'un
coopérant placé dans un hôpital mal équipé mais ayant rang de notable local, ou celle du
membre d'une organisation humanitaire complètement isolé avec des moyens réduits, et
exerçant en milieu hostile. Le statut de l'intervenant autorise ou non à prendre les risques
habituels de la chirurgie, donne ou non une liberté décisionnelle normale. De même, la plus
ou moins grande expérience de la chirurgie et de l'urgence donne à l'opérateur une autorité et
une marge de manœuvre plus ou moins confortables.
Il convient de citer ici ces multiples interventions réalisées récemment à titre militaire
au Tchad et au Cambodge dans des conditions pénibles dues au climat, sans insécurité notable
mais avec des moyens limités, et actuellement en ex-Yougoslavie où règne une insécurité
permanente par les bombardements et les tirs de snipers mais où les moyens techniques sont
meilleurs.
Il faut également tenir compte du malade lui-même, car on n'opérera forcément pas de
la même façon quelqu'un qui sera évacué en métropole dans les heures qui suivent pour un
traitement complémentaire éventuel et quelqu'un qui restera sur place dans son pays sans
autre traitement possible. La pathologie rencontrée, souvent très inhabituelle, évolue en
fonction du délai d'intervention, du type d'événement, de la géographie et de la saison. Ce
sont souvent des urgences différées, les blessés ou les malades attendant depuis plusieurs
jours l'arrivée de la mission humanitaire. Leur état clinique est aggravé par les privations, la
fatigue, le stress, la famine, le polyparasitisme, etc.
Enfin, une autre possibilité est celle que l'on rencontre lors de missions programmées,
d'enseignement par exemple. En prévision du passage d'un spécialiste, des malades peuvent
être regroupés pour être opérés lorsque leur pathologie permet d'attendre. On peut ainsi être
amené à opérer en Afrique ou en Asie des pathologies rachidiennes dégénératives, des
hydrocéphalies ou des spina bifida. Il faut dans ce cas prévoir le matériel supplémentaire
nécessaire à une intervention donnée et, l'intervention ne se faisant pas en urgence, se
cantonner autant que possible dans sa spécialité (la notion de compétence polyvalente,
impérative en urgence, ne peut ici s'appliquer).
188
Les problèmes éthiques sont très particuliers
Dans les situations de précarité, les conflits entre plusieurs éthiques sont fréquents,
comme par exemple les incompatibilités entre guerre et médecine humanitaire, entre
diplomatie et droits de l'homme, entre éthique individuelle et collective. On doit donc souvent
concilier des impératifs contradictoires et, même ainsi, il est difficile de se limiter à une
approche strictement médicale ou matérielle des problèmes rencontrés. Comprendre les
implications socio-économiques, dialoguer avec les autorités politiques locales sont souvent
nécessaires pour un travail efficace car on peut alors se fixer des objectifs, établir des
hiérarchies et faire des choix sur des bases localement rationnelles.
Il convient de faire remarquer ici que le mot « précaire » a un autre sens, issu du latin
precarius, « obtenu par prière », et qui signifie « qui existe par autorisation préalable et
révocable ». Cela s'applique parfaitement aux circonstances où il faut obtenir des
autorisations politiques pour intervenir. La notion nouvelle d'ingérence humanitaire est venue
combler un vide juridique et apporter son lot de changements dans les rapports inter-états et
dans le rôle des organisations internationales : les expériences récentes dans le Kurdistan
irakien, en Somalie et en Bosnie sont là pour en témoigner. Mais le volet humanitaire des
interventions non « précaires » ne constitue souvent qu'une partie du problème et d'autres «
intérêts supérieurs » prennent parfois le dessus.
189
l'information habituelle est symbolique et le recueil du consentement à l'acte prévu est
souvent implicite. Dans ces situations d'exception on peut considérer que la seule présence du
malade ou du blessé vaut consentement à l'intervention. Enfin, peuvent s'ajouter aux
différences culturelles des problèmes d'animosité ou d'agressivité dirigées vers d'autres
malades ou vers les soignants (problème non spécifique aux situations précaires !), qui
compliqueront encore plus cette relation. Les blessés les plus bruyants ou les plus agressifs ne
sont pas toujours les plus gravement atteints. Enfin, il faut savoir se protéger et assurer sa
sécurité physique.
Conclusion
Traiter l'urgence en condition de précarité doit obéir à plusieurs impératifs : objectifs
de qualité, organisation du temps en fonction des patients à traiter, des circonstances et des
lieux. Il doit y avoir adéquation entre le type de pathologie rencontrée, les moyens techniques
à disposition, la nature de l'environnement immédiat, la compétence et le nombre du
personnel soignant. Tout cela pose des problèmes parfois difficiles, mais que l'expérience
aide grandement à résoudre.
Assurer des soins de qualité, optimiser les moyens disponibles, choisir les meilleures
méthodes thérapeutiques, s'adapter au nombre et à la nature des urgences à traiter, c'est aussi
cela l'éthique chirurgicale.
Cette chirurgie de la précarité, souvent exécutée dans des contrées lointaines, mérite
un certain respect car elle demande à la fois de la compétence et du courage. C'est une
chirurgie noble que chaque chirurgien sera peut-être amené un jour à pratiquer.
190
Chirurgie de la guérilla
M. DURAN
L'individu qui réclame des soins chirurgicaux en situation de précarité fait figure de
parent pauvre pour la médecine humanitaire. Cette précarité peut se retrouver dans un
contexte de pauvreté, de catastrophes naturelles ou de guerre, le dénominateur commun de
ces situations étant le danger : isolement géographique limitant les possibilités d'évacuation
et de ravitaillement, isolement humain, pénurie des structures médicales et de personnel
qualifié, afflux massif de malades. Cette situation de pénurie ou de précarité « chirurgicale »
concerne les trois quarts de la population planétaire. Dans ce chapitre, ne sera évoquée que
la précarité en situation de guerre, que l'on intitulera plus précisément : « chirurgie de la
guérilla ». Cette guérilla caractérise les révolutions, les luttes armées contre un envahisseur
ou un pouvoir établi, d'où l'absence d aide ou de participation gouvernementales, la
clandestinité et la participation fréquente et majoritaire des ONG cherchant à palier
l'absence d'infrastructures officielles. Cette guérilla peut être urbaine ou rurale.
Dans le second, où les blessés arrivent après plusieurs jours à l'hôpital, la chirurgie
est réparatrice, mais sur un terrain habituellement infecté. La première concerne des blessés
« frais », la seconde des blessés « tardifs ».
191
Chirurgie de l'hémorragie
En mars-avril 1976, au cours d'une mission organisée par MSF, nous avons
transformé en hôpital une maison d'habitation d'une ruelle du quartier pauvre de
Borghamoud. Il fallait faire face à un nombre croissant de blessés. Les huit lits créés sont
devenus l'hôpital MSF. Pas un instant nous n'avions imaginé que nous allions nous retrouver
totalement isolés en pleine guerre, et que nous serions la seule structure médicale à faire face
aux conséquences d'un affrontement impitoyable, parmi les plus féroces de notre époque.
La précarité était telle que, un après-midi, une quarantaine de blessés nous ont été
amenés et nous avons dû pratiquer six laparotomies consécutives avec la même boîte
d'instruments.
Les principaux critères de tri des blessés étaient avant tout le niveau de pression
artérielle, l'état d'hypovolémie et la possibilité d'intervenir efficacement sur la cause du
saignement. L'équipe était constituée d'un chirurgien, d'un infirmier-anesthésiste et de deux
infirmières. Dans un chassé-croisé infernal, l'équipe passait des aides opératoires au nettoyage
ou au réapprovisionnement en matériel, aux soins aux hospitalisés et à l'accueil des urgences.
L'ambiance pouvait sans aucune exagération être qualifiée de chaotique.
Dans un tel contexte, efficacité est synonyme de rapidité, tant dans les décisions que
les gestes. Il faut être rapide pour compenser l'hémorragie, et pour la tarir. On est loin ici de la
chirurgie « confortable ». Toute lenteur peut condamner le patient.
Pour ce qui concerne la compensation des pertes, il faut avoir préparé des ressources
pour pouvoir assurer des transfusions. Pour cela, le plus important est de disposer d'une
banque de sang et de suffisamment de donneurs (dont on connaît le groupe et qui doivent être
immédiatement disponibles). Il faut également, dès l'arrivée du blessé, poser un abord
veineux important permettant de perfuser à de forts débits (et donc ne pas perdre de temps à
tenter de cathétériser de petites veines périphériques).
Technique
Laparotomie
Pour les laparotomies, l'incision verticale, paramédiane, transversale présente
plusieurs avantages par rapport à l'incision verticale médiane : elle peut plus facilement être
agrandie et les risques d'éventration sont moindres. En cas d'hémorragie massive, la
visualisation de la lésion est difficile. En pratique, dans ces conditions d'exercice, il est rare
de disposer d'un aspirateur en état de marche. Si on en dispose, il faut pouvoir évacuer le sang
rapidement, et surtout sans aspirer l'épiploon, les anses intestinales, etc. En fait, en pratique, il
faut généralement renoncer à l'aspirateur idéal et recourir d'emblée à un jeu de petites cupules
d'évacuation qui permettent de vider rapidement un abdomen inondé. Une technique efficace
consiste également à mettre le patient en position proclive, un aide exerçant une pression sur
les flancs pour évacuer le sang qui s'écoule sur les côtés. Cette technique peut paraître
archaïque, mais elle est efficace.
192
Une fois que la visualisation du champ opératoire est suffisante, l'aide peut appliquer
un « garrot abdominal » dans lequel il clampe l'aorte abdominale entre deux compresses avec
une valve de Balfour, un Diver ou le poing (la pression exercée doit être importante). Cette
compression aortique peut être exercée haut dans l'abdomen, à travers les parois de l'estomac,
ce qui prévient toute lésion pancréatique. Cette hémostase provisoire permet au chirurgien de
bien dégager le champ opératoire et de réparer la lésion.
Si, devant le type de lésion, on évoque un traumatisme « haut », il faut tout d'abord
explorer les viscères pleins, le foie et la rate.
Lésions spléniques
En cas de lésion splénique, la sanction thérapeutique est la splénectomie. Le principal
temps de cette intervention est l'extériorisation et la luxation de la rate pour la sortir de sa
loge. D'éventuelles adhérences au diaphragme à la rate ou aux organes avoisinants sont en
général facilement levées à la main. Une fois la rate extériorisée, on clampe puis on ligature
les vaisseaux du pédicule. La ligature de l'artère doit toujours être double, l'un des deux points
étant un point de « transfixion », effectué avec du fil ou de la soie.
Lésions hépatiques
Le traitement des lésions hépatiques est plus complexe et ne peut être schématisé,
chaque cas posant un problème particulier. Quand la lésion est majeure, le seul geste possible
est l'hépatectomie partielle, qui est un geste majeur même dans les centres bien équipés, et
que nous ne décrirons pas ici. En premier lieu, devant toute lésion hépatique, il faut
correctement installer le patient, en position déclive, un billot soulevant les dernières côtes.
L'incision peut être une oblique sous-costale ou une verticale paramédiane ; parfois même,
dans les lésions des lobes gauche ou droit, on recourt à une thoracolaparotomie au cours de
laquelle la section des ligaments falciformes ou triangulaire permet d'abaisser le foie et
d'offrir une excellente exposition.
Les possibilités thérapeutiques des plaies du foie, surtout par balles, sont limitées. En
effet, aux lésions strictement parenchymateuses peuvent s'associer des atteintes des veines
sus-hépatiques (un blessé que nous avions pris en charge en Angola est décédé sur table de ce
type de lésion). Chez un autre blessé, la seule thérapeutique possible avait été un tamponnage
avec des mèches de gaze ; ce traitement s'est révélé très efficace pour juguler l'hémorragie,
mais retirer la gaze en post-opératoire a été particulièrement difficile. Pour les sutures
hépatiques, il est impossible de préconiser une quelconque technique, chaque cas restant
particulier, mais il faut toujours suivre le principe de suturer avec des grandes aiguilles
courbes et du catgut, en passant loin des berges de la plaie (1 cm au moins) et en serrant les
nœuds doucement, car le parenchyme hépatique est fragile.
On pourrait proposer des techniques plus élégantes, comme combler la plaie hépatique
avec du Spongel, recouvrir la plaie d'épiploon ou, mieux encore, avec des morceaux de
muscles prélevés au niveau de la paroi abdominale (comme nous avons pu le vérifier au
Liban, le muscle a un bon pouvoir hémostatique). Dans ces cas, on suture le parenchyme
hépatique une fois que l'hémorragie est jugulée. Cependant, on ne dispose pas toujours ni du
temps ni des moyens pour utiliser ces techniques.
Lésions vasculaires
193
Dans les explorations abdominales pour hémorragie, une fois que la rate et le foie ont
été mis hors de cause, il faut explorer le trajet des vaisseaux (aorte, veine cave, artères et
veines mésentériques, etc.).
Une lésion vasculaire est habituellement suturée directement. Cependant, s'il existe
des difficultés techniques par fragilité des parois vasculaires (sclérose par exemple), on peut
suturer le vaisseau sur une petite lame de Spongel (à Beyrouth nous avons eu recours avec
succès à cet artifice chez deux patients de 60 ans présentant des plaies de la veine cave
abdominale).
Les plaies vasculaires anfractueuses posent d'autres problèmes, car il est dans ce cas
impossible de localiser un foyer hémorragique susceptible d'être suturé. La gaze iodoformée
est ici très utile. Elle a des propriétés antiseptiques et hémostatiques, ce qui explique que tout
bloc opératoire en situation précaire devrait en être équipé. Cependant, avec cette technique,
il faut être très prudent lorsque l'on retire la gaze, surtout si le tamponnement intra-abdominal
a été étendu. En effet, cette gaze a tendance à adhérer et, pour pallier cet inconvénient, nous
conseillons de tenter de l'imbiber à partir du deuxième jour avec de la paraffine liquide à
partir de son bord extérieur, ce qui permet de la décoller et facilite son retrait qui, de toute
façon, doit être prudent et doux.
Nous avons pu ainsi sauver deux patients chez qui cette technique était la seule
utilisable. Le premier, blessé en Angola au niveau de l'hypochondre droit, présentait une
grosse perte de substance de la paroi costale antérieure, du diaphragme et de la face
supérieure du foie. Chez le second, blessé à Beyrouth, il y avait éclatement de l'os iliaque et
perte de substance importante de la paroi latérale de l'abdomen.
194
En cas de plaie abdominale, avant la fermeture, nous administrons toujours des
antibiotiques dans le péritoine, et posons systématiquement au moins deux drains, l'un dans le
cul-de-sac de Douglas, le (ou les) autre(s) dans les sites qui semblent judicieux selon les types
de lésion. Il faut de préférence extérioser ces drains par des contre-incisions, puis les
mobiliser après 24 h.
Conditions d'exercice
Nous ne décrivons ici que la chirurgie abdominale, parce que d'une part le traitement
des lésions des membres est mieux codifié, et que l'utilisation d'un garrot permet de
temporiser. D'autre part, toute chirurgie lourde, notamment les thoracotomies, est exclue vu
les conditions d'exercice. Tous les types de lésion sont évidemment possibles en chirurgie de
guérilla mais, quand les moyens sont extrêmement limités, la pleine efficacité de l'équipe
chirurgicale se cantonne malheureusement bien souvent aux plaies abdominales. Les
pathologies abdominales urgentes que nous avons décrites ici ne se rencontrent plus chez les
blessés acheminés tardivement. Prendre en charge de tels blessés suppose des infrastructures
minimales, soit disponibles sur place, soit installées avec des moyens importants (Service de
Santé des Armées) bien supérieures à celles que nous venons de décrire, même si elles restent
précaires par rapport aux hôpitaux occidentaux. Pour pouvoir exercer dans de telles
conditions, il faut réunir plusieurs impératifs : engagement, sécurité et environnement
logistique lourd.
Engagement
Pendant la première période, le but de MSF était d'être présent là où les autres n'allaient
pas. Ses services étaient proposés aux deux protagonistes, à charge pour eux de s'engager à
laisser travailler les équipes. La montée des intégrismes et des fanatismes rend cette démarche
illusoire. De plus, il apparaît ici une contradiction déontologique : d'un côté, on ne peut pas
proposer ses services à des organisations terroristes, de l'autre le médecin ou le chirurgien ne
peut refuser ses services à l'individu blessé. Une organisation très structurée, comme le
Service de Santé des Armées, peut ne pas rencontrer une telle contradiction.
Sécurité
De l'engagement, on aboutit vite à des questions de sécurité tant des patients que des
équipes. Par définition, la guérilla est mobile, clandestine et secrète. C'est la condition même
de son efficacité et de sa survie qui lui impose d'être insaisissable. Dans ces conditions, on
voit mal comment un chirurgien, son équipe, son matériel pourraient se plier à cette mobilité
et assurer efficacement des interventions parfois majeures, ainsi que le post-opératoire. Par
exemple, Che Guevara en Bolivie a tenté une laparotomie sur un de ses compagnons blessé
au foie. Celui-ci est mort sur la table. Tous ont été massacrés quelques jours plus tard.
Le site d'installation du centre de soins doit en principe offrir des garanties de sécurité
minimale : rien ne sert de regrouper des blessés pour qu'ils soient collectivement écrasés sous
les bombes. En Afghanistan, deux projets de structures médicales fixes ont été détruits par
l'aviation russe dès le début de leur construction.
En fait, le chirurgien qui intervient en guérilla, ainsi que toute son équipe, sont en
perpétuelle insécurité, quel que soit l'abri qu'ils aient pu trouver.
195
Pour qui n'a aucune expérience de la guerre, la peur peut prendre des proportions
extrêmes, voire se muer en panique. J'ai pu personnellement observer des réactions
individuelles incontrôlables, allant de la personne figée et tremblante, littéralement paralysée,
à d'autres sujets se comportant de manière véritablement démente. En 1975, en Angola, nous
avons dû ligoter un délégué médical qui voulait se précipiter dans la fusillade.
L'insécurité est de toute façon la règle, mais la peur doit être maîtrisée, sans quoi rien
n'est possible.
Logistique
En cas de guérilla rurale, il est impossible de suivre directement les fronts qui, par
principe, sont mobiles, dispersés et multiples. Le transfert des blessés ne pouvant se faire par
hélicoptère, comme avec les armées régulières américaine et française au cours de la guerre
du Viêt-nam et du Tchad, la chirurgie n'est pas la chirurgie de l'hémorragie telle que nous
l'avons décrite, ces blessés décédant avant leur arrivée dans l'unité de soins. De plus, dans ces
conditions où l'on ne dispose pas souvent des ressources minimales (banque du sang, matériel
chirurgical et de réanimation, oxygène impérativement, personnel compétent), le meilleur
chirurgien qui pourrait théoriquement effectuer des splénectomies, des sutures intestinales,
des thoracotomies, des pontages vasculaires, l'hémostase hépatique, etc., se retrouve démuni.
De plus, viennent s'y ajouter le danger, l'insécurité et la mobilité permanente. Dans les rares
cas où le chirurgien est confronté à l'urgence hémorragique, il lui faut, dans des situations ici
toujours acrobatiques, tenter de réunir les conditions permettant une intervention, en
particulier les moyens de transfusion.
Chirurgie de l'infection
Lorsque l'on est quelque peu éloigné du front des combats, comme j'ai pu le constater
en Angola, au Sahara, au Tibesti, au Cambodge, au Kurdistan, en Afghanistan, on n'est que de
façon exceptionnelle confronté au problème de l'hémorragie aiguë, à prendre en charge
immédiatement. L'éloignement, et donc la durée du transfert, fait un tri drastique chez ces
blessés.
La chirurgie « de seconde ligne » répond, comme tout acte chirurgical, à des principes
généraux, mais chaque cas pose des problèmes particuliers. Nous pouvons l'illustrer par les
exemples suivants. En 1979, j'étais chirurgien à Sakéo, un camp de réfugiés cambodgiens en
Thaïlande. Beaucoup de Khmers arrivaient blessés par des mines. Parmi eux, un jeune Khmer
de 18 ans avait déjà été amputé au niveau du tibia et il y avait gangrène du moignon. Il fallait
donc le réamputer et la viabilité de l'autre jambe, elle aussi atteinte, était douteuse.
196
dépassé nos espérances, et nous l'avons de nouveau utilisée au Kurdistan, au Mali, en
Thaïlande, en Angola, au Tchad, etc. En 1986, j'étais en charge de la mise en route d'un
hôpital MRCA (Médical Reflesher Course for Afghans) à Peshawar au Pakistan pour blessés
afghans. Là, j'ai pu constater que la principale séquelle de la chirurgie de guerre est
l'ostéomyélite, ce « cancer post-chirurgie de guerre ».
Pour cette raison et à cause également de la quantité de morts qui parsemaient les
routes de l'Afghanistan, lorsque B. Kouchner m'a contacté pour être le chirurgien de la
clinique Wardak, au centre de l'Afghanistan pour Médecins du Monde, nous avons donné
priorité à la chirurgie.
La province de Wardak avait été l'une des premières contrôlées par les résistants
afghans. Pendant l'invasion russe, on ne pouvait accéder à la clinique qu'à pied ou à cheval à
partir du Pakistan. La situation chirurgicale était très précaire, par l'isolement qui limitait les
possibilités de ravitaillement et d'évacuation, par l'absence de structures médicales
convenables, de personnel qualifié et de matériel médical adapté, enfin par l'isolement
humain accentué par la barrière socioculturelle et l'absence de communication avec le centre
coordonateur. Pour des raisons de sécurité, l'emplacement de l'hôpital avait été choisi à l'abri
des bombardements, à 3 000 m d'altitude, en dehors de toute zone habitée. L'isolement était
total durant les quatre mois d'hiver à cause de la neige. L'eau provenait d'une source, et nous
la distillions en permanence. L'énergie pour le bloc opératoire, la radiologie et surtout les
deux générateurs d'oxygène provenait d'un groupe électrogène. Les principales lésions
traitées dans cet hôpital étaient à 75 % des traumatismes des membres, 90 % des patients
arrivant avec des plaies qui avaient été suturées (l'erreur la plus courante en chirurgie de
guerre), et en moyenne avec 5 j de retard. On comprend donc pourquoi la pathologie la plus
courante à Peshawar était l'ostéomyélite (80 % des cas). La principale priorité était donc la
lutte contre l'infection. La responsabilité de cette lutte contre l'infection ne pouvait pas
incomber uniquement à l'équipe chirurgicale qui, risquant à tout moment d'abandonner le site,
devait impérativement former le personnel local. La formation, pour être optimale et se faire
le plus rapidement possible, portait essentiellement sur la lutte contre l'infection et l'économie
des gestes chirurgicaux. En une semaine, le personnel local, s'il est peu compétent, ne peut
apprendre l'anatomie et la hiérarchisation des tissus, d'autant plus que, dans certains cas, il
doit également intégrer des notions d'anesthésie, de radiologie et de laboratoire. Cependant,
bien souvent, le personnel local a une compétence certaine, et la formation peut alors être «
spécialisée » en fonction de chaque personne. Dans ces conditions de travail, nous avons
accueilli et soigné 379 blessés de mars à juillet 1988. Nous n'avons pu élaborer de statistiques
fiables quant à la mortalité ou la morbidité.
197
l'irrigation des foyers infectieux par des antiseptiques, sauf dans les plaies superficielles ne
nécessitant pas d'irrigation profonde et où des bains antiseptiques suffisent. Toute plaie
considérée comme superficielle doit être explorée pour s'assurer qu'il n'existe pas de trajet en
profondeur. Toute plaie de guerre vue tardivement ne doit pas être suturée d'emblée : c'est la
règle de la delayed primary suture, selon laquelle quand la plaie semble propre, elle ne doit
être suturée qu'au quatrième jour.
Dans les plaies des parties molles et des parties osseuses il faut, outre traiter
l'infection, réduire la fracture ou mettre le membre en traction pour ensuite l'immobiliser. Ici,
dans les fractures ouvertes, la chirurgie orthopédique n'est pratiquement d'aucun recours.
Personnellement, je n'utilise pas de fixateur externe. On immobilise de façon artisanale.
Jusqu'à maintenant, nous utilisons le plâtre de Paris et je n'ai pas eu l'opportunité d'utiliser des
résines. Le plâtre devant généralement être ultérieurement mouillé (bains, humidification), il
faut le renforcer avec des baguettes de bois ou des fils de fer pour éviter ou retarder sa
détérioration. Mais, même ainsi, quand les bains sont quotidiens, le plâtre doit être refait tous
les huit jours. Quoi qu'il en soit, lorsque l'on confectionne un plâtre, il faut faire preuve
d'imagination, plus que se référer à des protocoles standardisés. Les plâtres seront presque
toujours fenêtres ou ouverts pour permettre la désinfection par humidification antiseptique. Il
faut autant que possible éviter le plâtre circulaire. Les complications ischémiques
apparaissent plus volontiers dans ces conditions de surveillance et d'immobilisation. Le but
principal n'est pas d'obtenir une réduction et une immobilisation parfaites, mais de prévenir
l'infection, donc l'ostéomyélite. Il ne faut pas oublier que l'on est moins démuni devant une
fracture mal consolidée que devant un os infecté. Le pansement, qui utilise des bains avec des
substances antiseptiques détergentes, doit permettre un débridement de la plaie et l'expulsion
de tous les tissus nécrosés pour mettre à nu les tissus vivants. Si on y parvient, les résultats
sont extrêmement satisfaisants, avec une fréquence de trois bains par jour, pour une durée de
1 à 2 h au moins selon le degré de l'infection. On peut même, avec une perfusion, assurer une
humidité permanente des pansements. Cette méthode rend obsolète le débridement
chirurgical. Les solutions utilisées sont l'eau de Javel, le dakin, le permanganate de potassium,
la polyvidone iodée ou la chloramine.
Les grands blessés sont ceux présentant de grandes pertes de substances, des plaies
géantes ou de multiples lésions ou fractures associées. Les principes d'hydratation et les
transfusions de sang sont en général à charge du personnel infirmier. Outre ce rétablissement
de l'état général, on applique les principes déjà énoncés : débridement chimique, traitement
antiseptique de l'infection, immobilisation en cas de fracture. Le traitement réparateur n'est
entrepris qu'une fois l'état général récupéré et l'infection jugulée. Enseigner les techniques de
base permettant une certaine autonomie du personnel local est possible pour les lésions des
membres, mais malheureusement pas pour les plaies abdominales, dont la prise en charge
nécessite une compétence qui ne peut être acquise rapidement. Les seuls gestes que l'on peut
enseigner dans les atteintes abdominales sont la pose d'une sonde naso-gastrique et d'une
sonde rectale et, si le trajet lésionnel le permet, la mise en place de drains. En aucun cas il ne
faut enseigner des techniques de laparotomie, même si après plusieurs mois un personnel
initialement incompétent réussissait à pratiquer des césariennes dans de bonnes conditions. Si
par chance le personnel local comprend un chirurgien, l'étendue de l'apprentissage peut bien
évidemment être plus vaste, incluant les laparotomies. Mais, quoi qu'il en soit, quelle que soit
la formation que l'on donne, il faut se montrer plein de tact et respecter les valeurs et
connaissances locales, même si cela n'est pas toujours facile dans des conditions extrêmes.
Au niveau du poumon, s'il n'y a pas de détresse respiratoire majeure, on peut éliminer
un hémopneumothorax médiastinal ou un hémopneumothorax sous tension. S'il n'y a pas de
198
cyanose ni de dyspnée, nous ne posons pas de drain mais attendons quelques jours le temps
que le poumon cicatrise. Nous avons jusque-là tenté de décrire les conditions chirurgicales en
condition de guérilla. Bien évidemment l'attitude définitive dépendra du contexte, en
particulier de la pathologie en cause et des moyens existants. C'est sur ces bases que l'on peut
établir pour chaque malade une attitude cohérente. Cette chirurgie, qu'elle se fasse en extrême
urgence (hémorragie) ou secondairement, nécessite une logistique minimale.
Conditions d'exercice
Bloc opératoire
II existe certes des tentes climatisées, ou « clinomobiles », que nous avons utilisées au
Sahara avec le front Polisario : elles constituent un ensemble climatisé qui regroupe un bloc
opératoire, la radiologie, une salle de consultation et une salle de huit lits d'hospitalisation. En
fait, on utilise le plus souvent des infrastructures ou des matériaux locaux : bambous à Sakéo,
boue et bois en Afghanistan, etc.
Nous avons toujours utilisé deux blocs, l'un septique pour le traitement des abcès, des
plaies souillées et très infectées, l'autre aseptique, qui doit rester le plus fermé possible et dans
lequel il faut respecter des conditions d'hygiène maximales. Il est presque toujours possible de
disposer d'une salle de décontamination per-opératoire, où le patient peut être dévêtu, lavé et
préparé avant d'entrer au bloc.
La construction doit autant que possible être adaptée au climat. -Par exemple, à Sakéo,
dès l'arrivée de l'équipe, une urgence se présenta. En l'absence de bloc opératoire,
l'intervention s'est déroulée sous une tente canadienne. La chaleur était extrême (d'autant plus
que chauffaient les ampoules pour l'éclairage), rendant l'intervention très pénible pour
l'équipe chirurgicale, et dangereuse pour le patient (déshydratation). Les conditions étaient en
revanche confortables quelques jours plus tard, avec un bloc en bois climatisé. En milieu
tropical, l'absence de climatisation rend la chirurgie non seulement pénible mais dangereuse.
L'eau
199
Elle est essentielle et prioritaire. Elle doit de préférence venir d'une source naturelle,
rivière, source ou lac, mais il faut toujours prévoir une pompe qui permettra d'utiliser une
nappe souterraine. Si l'on dépend d'un approvisionnement, la situation devient très incertaine,
et il faut disposer d'une grande quantité de désinfectant d'eau de boisson (chloramine).
Source d'énergie
Elle reste un des éléments clefs. La batterie éternelle n'existe pas ; l'énergie solaire est
coûteuse et facilement repérable par les avions, les énergies éolienne ou hydraulique sont trop
complexes. Le bloc électrogène est en fait le plus adapté. Il doit pouvoir permettre de faire
fonctionner :
- un extracteur d'oxygène auquel bon nombre de patients doivent la vie, comme nous
avons pu le constater au Wardak (Afghanistan) ;
- un petit appareil radiologique portatif, ce qui est essentiel, sinon comment pouvoir
mobiliser et traiter un polyfracturé ?
L'équipement
Qu'il s'agisse du matériel chirurgical proprement dit ou du matériel annexe, comme
celui de l'hôtellerie, on ne peut que recommander de se référer au catalogue de l'UNICEF
(articles standard) pour éviter les oublis. Même si la commande ne s'effectue pas auprès de
l'UNICEF, ce catalogue permet de faire le tour de l'équipement essentiel. De plus, il est
conseillé de rajouter du matériel dans les boîtes de pansement et de renforcer le matériel de
traction et d'immobilisation, sans oublier les brancards. Il faut également prévoir de grandes
quantités de matelas, d'attelles gonflables, d'antiseptiques et de seaux.
Formation
La formation du personnel local est de règle et doit être planifiée à partir de son
niveau de compétence. L'apprentissage élémentaire concerne d'abord le pansement, l'asepsie
et l'antisepsie, puis l'hydratation et la transfusion.
Au laboratoire, un microscope est très utile et, selon les compétences locales, il peut
ne servir qu'à la détection du paludisme ou à des examens plus divers : numération,
principaux parasites et dans certains cas tests rapides du sida.
200
Conclusion
Nous avons ici tenté de présenter l'expérience que nous avons acquise dans conditions
très variées. Nous ne prétendons donc pas être exhaustifs, mais avons repris les points qui
nous paraissaient prioritaires. Les circonstances, les scénarios et l'évolution des événements
sont extrêmement variables en condition précaire. En 1991, en Croatie, nous avons trouvé un
service de chirurgie de guerre tout à fait adapté et performant, avec possibilité d'évacuation
des blessés les plus graves par hélicoptère vers Zagreb. C'est évidemment sans commune
mesure avec le Rwanda, le Burundi ou la Tchétchénie qui échappaient à tout schéma
prévisionnel un tant soit peu cohérent.
201
Témoignages de missions militaires
et humanitaires
Le dispositif
Goma, ville frontière à l'extrême est du Zaïre, fut le siège du commandement et du
soutien logistique de l'opération. À partir de là, les troupes françaises se sont déployées au
Rwanda et y ont délimité au sud-ouest une zone dite humanitaire sûre (ZHS). L'antenne
chirurgicale (AC) fut aménagée sur l'aéroport de cette ville. Aucun bâtiment en dur n'étant
disponible, l'installation se fit entièrement sous tentes et le séjour fut marqué par
d'importantes nuisances : chaleur, empoussiérage et, surtout, bruit.
L'AC était abritée sous deux tentes reliées par un élément intermédiaire : une tente
pour l'hospitalisation de douze blessés et une pour la réanimation et le bloc opératoire. Le
matériel technique du bloc opératoire, rustique mais complet, et une unité d'anesthésie-
réanimation avec oxymètre, scope et défibrillateur, ont permis de faire face à toute chirurgie
d'urgence. La stérilisation se faisait par Poupinel ou Cidex. L'AC put bénéficier en sus de sa
dotation habituelle, d'un extracteur d'oxygène type Dewilbiss, d'une unité de production
d'oxygène par chandelle chimique et d'un réfrigérateur pour la dotation initiale de sang (45
202
unités). En revanche, elle ne disposait, en raison du poids des appareillages qui auraient été
nécessaires, d'aucune possibilité d'examens radiographiques ou biologiques à l'exception des
groupages sanguins. La dotation initiale en matériel médical consommable, sang, oxygène,
eau et essence, offrait une autonomie de deux jours estimée sur la base de 10 à 12
interventions par jour.
- Du 30 juin au 14 juillet, d'autre réfugiés blessés furent reçus dans des délais de
quelques heures à plusieurs semaines après la blessure ; l'AC a pu améliorer progressivement
l'organisation du secteur d'hospitalisation qui a culminé à 130 lits.
- À partir du 14 juillet, plus d'un million de réfugiés utus, fuyant l'avance du FPR ont
passé la frontière et littéralement envahi Goma et ses environs, installant partout des
campements de fortune, et en particulier autour de l'aéroport.
203
- 16 juillet : traitement et évacuation du premier soldat français blessé par balle au
Rwanda (fracas du coude traité par fixateur externe).
- Afflux de blessés par tirs de mortier sur la frontière et l'aéroport de Goma (17
et 18 juillet) : l'AC reçut en moins de douze heures 59 blessés graves dont un officier
présentant une plaie du cœur, et dut donc faire face à un afflux massif de blessés de guerre.
- Le triage fut beaucoup plus difficile en raison de la gravité des lésions et de la
présence de 17 enfants (de 1 à 15 ans). Initialement à charge des chirurgiens, il a ensuite été
assuré par l'anesthésiste-réanimateur en suivant les règles de classification en urgences
relatives et absolues ; un seul blessé (adulte blessé au crâne et au thorax) a été classé en
urgence dépassée ;
- l'AC a fonctionné sans arrêt pendant 48 h, effectuant dans cette période 24
interventions (1 sternotomie, 1 thoracotomie, 11 laparotomies, 1 plaie du crâne, 10 fracas ou
arrachements de membres). Les autres blessés, qui présentaient essentiellement des fracas de
membres, ont été opérés les jours suivants. Au cours de cet afflux, la mortalité a été d'environ
20 % : 3 blessés, préagoniques, sont décédés peu après leur arrivée et 3 avant l'intervention
chirurgicale (2 arrachements de membres supérieurs, 1 plaie de hanche) ; 7 blessés, dont 3
arrachements de bras, sont décédés dans les suites opératoires.
L'apparition du choléra chez les blessés de guerre, opérés deux ou trois jours
auparavant, pose des problèmes particuliers de protection de moignons d'amputation de cuisse
ou d'appareillages de colostomies. Les dysenteries à shigelles, qui furent également très
meurtrières, donnaient souvent un tableau abdominal pseudo-chirurgical, source de difficultés
diagnostiques.
204
- Les modalités de sortie et le suivi des hospitalisés posa un problème permanent : il
n'était pas possible de renvoyer « à domicile » ces réfugiés sans toit ni famille et les autres
structures sanitaires, quasi inexistantes au début, furent par la suite saturées lors des
épidémies. Ce problème fut particulièrement délicat pour les enfants en majorité orphelins.
- Les types de blessures étaient des plaies de guerre (69,9 %), de traumatologie civile
(25 %) et des urgences non traumatiques (5,1 %) ; parmi les plaies de guerre, 50 % étaient des
plaies par balles, 29 % par éclats de mortier de 120 ou de grenades, et on avait constaté une
proportion anormalement élevée de plaies par armes blanches (21 %) car haches ou machettes
ont, dans ce conflit, véritablement été des armes de guerre et d'extermination.
- Le délai de traitement des plaies de guerre a été de moins d'une heure à plus de deux
mois. Parmi les plaies vues plus de sept jours après la blessure, on avait relevé une
prédominance des lésions des membres, fait habituel, mais aussi 15 lésions du crâne ou de la
face, 3 plaies de l'abdomen et 4 plaies du thorax.
Les anesthésies ont été dans 192 cas des anesthésies générales (kétamine ou
thiopental) et dans 123 cas des anesthésies locorégionales se répartissant entre 80
rachianesthésies et 43 blocs plexiques de type interscalénique. Un seul décès semble
directement imputable à l'anesthésie (arrêt cardiaque irréversible après une rachianesthésie
chez une patiente présentant une plaie par balle à la hanche).
205
les amputations traumatiques ou les fracas de membres inférieurs ; en post-opératoire,
l'impossibilité de connaître hématocrite et taux d'hémoglobine a conduit à une économie de
transfusions, qui s'est sans doute révélée dommageable pour certains patients. La prévalence
de l'infection par le VIH, estimée de 30 à 40 % dans ces populations, interdisait formellement
tout prélèvement sur place. Au cours de cette mission, nous étions par chance bien
approvisionnés en concentrés érythrocytaires par comparaison avec ce que nous avions connu
au cours d'expériences précédentes, et environ 50 unités ont pu être transfusées. En l'absence
de possibilité de détermination du système Rhésus, nous avons dû soit utiliser des concentrés
Rhésus négatifs dans la limite de nos stocks, soit transfuser des culots Rhésus positifs malgré
les problèmes que cela pourra éventuellement poser ultérieurement.
L'oxygène a été utilisé sous deux formes (administration en inhalation d'oxygène pur à
la pression atmosphérique grâce à l'extracteur, oxygène comprimé pour le fonctionnement des
appareils d'anesthésie-réanimation grâce à l'unité de production par chandelle chimique).
- La répartition du type de lésions (Tab. 9.1) montre une large prédominance des
lésions des membres, ce qui est très comparable à ce que l'on constate dans tout conflit.
Crâne 6,7
Thorax 3
Abdomen 10,7
206
• Lésions abdominales et périnéales : 34 laparotomies ont été réalisées, dont 29 pour
des lésions abdominales traumatiques. L'étiologie et les organes lésés sont rapportés dans les
tableaux 9.2 et 9.3. L'importance relative des lésions du côlon par rapport à celles du grêle
s'explique par l'existence de 5 lésions séquellaires, coliques ou rectales, fistulisées à la paroi
abdominale ou à la fesse. Les lésions coliques ont été traitées par 5 sutures résection-
anastomoses en un temps et 7 colostomies (dont trois colostomies latérales de dérivation pour
lésions périnéales ou rectales). Pour tous les patients, la continuité a pu être rétablie par notre
équipe ou celle qui nous a succédé dans des délais variant de 26 j à 2 mois.
Tableau 9.2 : Répartition des organes lésés dans les lésions abdominales
Récentes Anciennes
Plaies abdominales pures 15 3
Plaies thoraco-abdominales 3 0
Plaies pelvi-fessières 3 1
Traumatismes fermés 4 0
207
Lésion initiale Remarque Décès à
• Lésions thoraciques : 14 plaies récentes du thorax ont imposé une sternotomie, trois
thoracotomies et quatre drainages. Le drainage thoracique se faisait par utilisation d'un petit
aspirateur ou, lorsqu'il n'était pas disponible, par aspiration au pied (Pédavid) ou par traite de
la valve de Heimlich. La sternotomie, décidée devant un tableau évident de tamponnade,
permit l'hémostase d'une plaie non transfixiante du ventricule droit. Le bilan, pratiqué après
évacuation sur la métropole, a montré la présence d'une balle de 5,56 fichée dans le septum
interventriculaire, sans lésion coronarienne ni atteinte des faisceaux de conduction. Le
projectile a pu être extrait sous circulation extracorporelle 48 h après la première intervention.
Trois patients ont été vus plusieurs semaines après leur blessure. Deux présentaient
une coque pleurale importante et purent bénéficier d'une décortication pulmonaire avec un
résultat radiologique à distance satisfaisant. Le troisième, blessé deux mois plus tôt, présentait
un thorax soufflant bilatéral par les orifices projectilaires et par les anciens orifices de drains,
et ne survivait vraisemblablement que grâce au lobe supérieur gauche accolé ; ce patient est
décédé dans un état avancé de cachexie et d'infection malgré des drainages itératifs et
plusieurs réfections pariétales.
208
suppuration et la nécessité de gestes itératifs. Sept blessés décédèrent (25 %) : 4 non opérés,
une plaie craniocérébrale par éclat de mortier et 2 hématomes intracrâniens trépanés.
Quatre fracas de face ont été opérés pour réaliser une stabilisation relative de la
mâchoire en utilisant soit le minifixateur du Service de Santé, soit un fixateur de fabrication
locale utilisant des broches et des dominos électriques. Cinq autres plaies importantes de la
face vues tardivement ont été simplement pansées et désinfectées, mais auraient justifié des
gestes ultérieurs de reconstruction.
• Lésions des membres et du bassin : nous avons traité 157 patients présentant une
lésion osseuse des membres, dont 108 plaies de guerre. Dans 92 % des cas, il s'agissait de
fractures ouvertes que l'on a traité de la façon suivante : 39 amputations, 77 immobilisations
par fixateurs externes du Service de Santé des Armées (FESSA), 9 ostéosynthèses et 41
parages et immobilisations. Les FESSA ont été posés à tous les étages des membres supérieur
et inférieur (Tab. 9.5). Les ostéosynthèses se sont résumées en 6 brochages de doigt, un
brochage de cubitus et deux cerclages de rotule. Pour les plaies de guerre, nous avons dû
recourir à l'amputation dans 50 % des blessures par mortier, contre 26 % pour les plaies par
balles. Nous avons laissé ouverts tous les moignons d'amputation. Sur 108 blessés de guerre,
18 (16 %) ont nécessité 34 gestes itératifs et 70 % de ces gestes étaient des pansements,
reprise ou fermeture de moignons. Sept blessés sont décédés : trois fracas ouverts du bassin
par accident de la voie publique et quatre amputations du bras droit après arrachement par
éclat de mortier.
Commentaires
Les AC sont les structures chirurgicales de base du SSA. Créées au cours de la guerre
d'Indochine et modifiées plusieurs fois depuis, elles sont conçues pour allier deux impératifs :
une grande rapidité opérationnelle et un plateau technique suffisant pour assurer le traitement
avant évacuation des urgences chirurgicales absolues. Leur mission théorique est d'assurer
pendant 48 h le soutien chirurgical initial d'une unité combattante. En fait, les troupes
françaises ayant souvent été appelées ces dernières années à agir au sein de pays sous-
médicalisés, les AC sont très souvent amenées à apporter leurs soins aux populations dans le
cadre de l'aide médicale gratuite.
Cette mission ayant été brève et les lésions que nous avons eues à traiter ayant été très
diverses, tant dans leur nature que dans le délai de leur prise en charge, on ne peut en tirer des
conclusions comparables aux grandes séries de guerres classiques (Viêt-Nam, Kippour, etc.).
Il faut plutôt se référer, pour en tirer des données générales et toutes proportions gardées, aux
conflits touchant d'autres populations défavorisées (Tchad, Afghanistan, Cambodge). Les
points importants à souligner sont :
209
- l'absence d'examens complémentaires (radiographie et biologie) ;
- l'impossibilité d'une surveillance post-opératoire rigoureuse et d'une réanimation
post-opératoire prolongée par manque de moyens (humains surtout, avec absence de la
famille, surchargeant d'autant plus le travail du personnel, déjà débordé, surtout lors de
l'épidémie de choléra) ;
- l'absence de toute possibilité d'évacuation, aggravée ici par la nécessité de l'accueil
des convalescents qui ne pouvaient être dirigés nulle part.
Toutes ces raisons expliquent les tactiques que nous avions adoptées : diagnostic
rapide et techniques thérapeutiques facilitant autant que possible les soins post-opératoires et
visant à redonner au plus vite l'autonomie aux patients.
La composante médicale
- auparavant, la charge du triage était en général confiée au chirurgien le plus
expérimenté mais, à l'heure actuelle, ce rôle est habituellement dévolu à l'anesthésiste-
réanimateur, solution la plus rationnelle dans bien des circonstances car les chirurgiens, une
fois commencées les interventions, ne quittent quasiment plus le bloc et la rapidité
d'enchaînement des interventions est impérative. Le médecin anesthésiste-réanimateur peut
éventuellement demander conseil auprès des chirurgiens. Il a, lors de tels afflux, un rôle
capital de régulation et de surveillance des trois postes de travail : réanimation et triage, suivi
du bloc opératoire où travaille l'un des infirmiers-anesthésistes et de l'hospitalisation où la
surveillance post-opératoire est fondamentale.
- nous avons utilisé la classification du Service de Santé et de l'OTAN en urgences
absolues et relatives, en soulignant cependant certains problèmes :
• le dilemme entre l'extrême urgence qui vient d'arriver et la première urgence déjà
sur table peut s'avérer très délicat ; en l'absence de problème hémorragique chez le blessé sur
table, nous avons opté pour la prise en charge de l'extrême urgence.
• le problème du choix parmi ces urgences absolues entre les hémopéritoines et les
gros délabrements de membres ; nous avons, comme cela est le plus souvent rapporté, choisi
de prioriser les blessés présentant un hémopéritoine évident, mais plusieurs décès pré- et post-
opératoires survenus chez des sujets souffrant d'arrachements de membres nous ont poussé à
remettre en cause cette attitude. Ces décès n'étant survenus que dans les arrachements des
membres supérieurs, ils seraient peut-être dus, en partie au moins, à des lésions thoraciques
210
associées (blast pulmonaire, contusions cardiaques ?). En l'absence d'études complémentaires,
il nous paraît impossible de préconiser une attitude de principe.
• les urgences dépassées : différemment dénommées (hopeless, morituri, subfinem,
T4, P4, catégorie 2), elles résument tout le problème éthique du triage qui doit substituer une
morale collective à notre morale individuelle habituelle. Le problème ici n'est pas tant le
blessé agonique, souvent écarté, que le blessé grave mais a priori curable avec toutefois un
pronostic incertain, et au prix d'un investissement lourd en temps et en personnel, empêchant
la prise en charge d'un plus grand nombre. Les blessés à ranger dans cette catégorie varient
selon les auteurs et selon les circonstances : abdomens trop anciens pour certains, polyblessés,
gros délabrement pariétaux avec éviscération ; dans notre expérience, deux enfants (un
arrachement de paroi lombaire par éclat, un polyblessé avec amputation du bras, plaie de
l'abdomen et du thorax) auraient peut-être dû être écartés ; ils furent opérés et décédèrent dans
les suites.
L'anesthésie
Les anesthésies locorégionales pour les lésions des membres sont très précieuses car
elles augmentent la disponibilité du médecin anesthésiste, simplifient la surveillance post-
opératoire et permettent une économie d'oxygène. La kétamine est extrêmement utile pour
l'ouverture d'un deuxième poste de travail dans lequel on réalise des gestes simples sans
ventilation assistée, tels que le parage des plaies des parties molles qui peut, au besoin, être
confié à du personnel paramédical.
Plaies de l'abdomen
Devant une plaie abdominale dont on ne savait pas si elle était pénétrante ou non, ou
devant une contusion abdominale, notre attitude variait selon les circonstances : pendant la
période d'afflux et de triage, ces blessés ont été classés en urgence potentielle et mis en attente
avec une surveillance aussi attentive que possible ; en dehors de la période d'afflux, nous
réalisions au moindre doute une petite laparotomie exploratrice qui permettait rapidement un
diagnostic précis et un traitement complet, et simplifiait considérablement la surveillance ;
avec cette attitude, nous n'avons effectué qu'une laparotomie blanche et une laparotomie qui
s'est achevée par une simple extraction de balle dans la paroi lombaire.
Le principal problème reste, devant une lésion colique, de décider ou non d'une
colostomie ; selon les auteurs, l'attitude varie de la colectomie idéale quasi systématique à la
colostomie de sécurité, en passant par des attitudes plus éclectiques prenant en compte le
siège des lésions, le délai et les lésions associées. Il faut aussi tenir compte des conditions
logistiques locales car une colostomie dans ce contexte pose de nombreux problèmes ;
difficultés d'appareillage, risque d'absence de remise en continuité faute d'équipe chirurgicale
disponible ou faute de moyens financiers suffisants pour le patient, risques vitaux majeurs
bien supérieurs à ceux énoncés dans nos pays si la remise en continuité est effectuée dans des
structures locales au plateau technique très sommaire. Ces considérations, ajoutées à
l'incertitude sur la durée de notre présence, nous on fait tenter de limiter le nombre de
colostomies : pour les blessures traitées dans le cadre de l'afflux, nous avons choisi la
technique la plus rapide (souvent colostomie) ; en revanche, lors du traitement isolé de ces
plaies coliques, nous avons réalisé des colectomies idéales et ceci parfois dans des conditions
théoriquement défavorables (lésions du grêle associées, délai supérieur à 24 h) ; nous l'avons
fait quatre fois sans complication mais nous nous garderions bien de recommander
systématiquement cette attitude, d'autant plus qu'elle demande une surveillance très attentive.
211
Dans le même esprit, nous avons tenté de raccourcir le délai de remise en continuité : deux
tentatives furent faites à J 26 et J 27 avec un succès au prix d'importantes difficultés
techniques et un décès évoqué précédemment ; les autres remises en continuité furent faites
sans problèmes techniques particuliers, dans des délais de l'ordre de 7 à 8 semaines, délais au-
dessous desquels il ne nous paraît pas prudent de descendre.
Les lésions périnéales et rectales ont été traitées par colostomie de dérivation ; en cas
de lésion osseuse concomitante, la mise en place d'un fixateur externe stabilisant le bassin est
d'un apport très précieux pour traiter l'infection et faciliter les pansements quotidiens
indispensables mais le suivi est très contraignant. En revanche, nous avons été frappés,
contrairement à ce que nous avions observé dans notre expérience tchadienne, par la rapidité
d'évolution de ces lésions (cicatrisation, greffe et remise en continuité en moins de deux
mois). Ceci est vraisemblablement dû à l'alimentation hypercalorique apportée par les rations
de combat.
Plaies du thorax
L'absence de radiologie nous a conduit à ne drainer que les lésions avec pénétration
évidente et signes cliniques d'épanchement, ce qui a certainement fait méconnaître certains
épanchements. Les autres blessés, en particulier les blessés par éclats, présentant souvent des
polycriblages du tronc dont il est difficile de déterminer s'ils sont ou non pénétrants, n'ont pas
été drainés de principe mais surveillés et considérés comme des urgences potentielles. Aucun
patient n'a nécessité d'intervention secondaire. En revanche, devant une plaie pénétrante avec
hémothorax nous avons, comme le préconisent certains, préféré réaliser de principe une
thoracotomie permettant une hémostase, une pneumo-stase et un bon positionnement des
drains. Ceci permet d'éviter les séquelles liées à un mauvais drainage et simplifie la
surveillance post-opératoire en évitant les interminables doutes devant un drainage qui bulle
ou ne produit plus, et dont on ne peut apprécier sans radiographie, ni la position ni l'efficacité.
Les plaies du cœur par balle, fréquentes en milieu urbain, sont plus rares dans un tel
contexte et l'élément fondamental pour la survie est le délai du transfert qui fut ici inférieur à
15 min.
Le FESSA a fait ses preuves en chirurgie de masse lors de divers conflits. Il présente
plusieurs avantages : grande facilité de mise en place, coût relativement modéré et réalisation
212
des pansements plus facile. Nous avons autant que possible privilégié des montages très
simples dans un souci d'économie des barres et des colliers. Le suivi maximal de ces patients
aura été de trois mois avec, au cours du dernier mois uniquement, la possibilité de pratiquer
des contrôles radiologiques permettant de corriger certains montages ; ce recul est tout à fait
insuffisant pour pouvoir apprécier les problèmes ultérieurs de pseudarthroses ou d'ostéites qui
imposeront des gestes complémentaires. Un autre problème qui se pose est celui de la
surveillance à distance de ces patients et de l'ablation de ces FESSA. Qu'adviendrait-il en
effet de ces patients si l'équipe devait être amenée à évacuer le site avant d'avoir pu les
retirer ?
Conclusion
Au cours de cette mission, nous avons pu constater le caractère judicieux du concept
d'antenne chirurgicale dans sa configuration de base (12 personnes et déploiement sous
tentes) pour intervenir rapidement et s'adapter aux circonstances dans des conditions souvent
précaires. Une telle antenne, dont l'efficacité repose sur la cohésion du personnel et un
matériel compact, permet de faire face aux premières urgences et d'évaluer les possibilités
locales avant l'arrivée éventuelle de structures plus lourdes.
Les circonstances parfois dramatiques dans lesquelles s'est déroulée cette mission
montre bien que la chirurgie de guerre et d'urgence doit être flexible et surtout ne pas
s'enferrer dans des dogmes immuables. Il faut au contraire s'efforcer de s'adapter aux
conditions logistiques, sociales et culturelles dans lesquelles elle s'exerce.
213
Libres propos
214
5. Il ne faut pas faire « une chirurgie de pauvres pour les pauvres » ni considérer la
précarité des moyens comme une vertu monastique à cultiver. Au contraire, tous les moyens
techniques modernes disponibles ou accessibles doivent être passionnément recherchés.
Depuis trois ans, je m'occupe avec une ONG, la MAP, de l'hôpital d'Atar en
Mauritanie où je réactive le service de chirurgie et où je travaille à la formation du
personnel médical et paramédical.
Deux types d'activités très semblables et très différentes m'ont fait réfléchir sur mon
exercice de la chirurgie.
En France, j'ai de plus en plus le sentiment de participer à un système auto-
inflationniste dont le but consiste à consommer des soins, des examens de laboratoire et de
l'imagerie médicale.
Nous sommes censés travailler au moindre coût, mais cela n est pas réalisable à
cause de la pression du public avide d'examens, de bilans, etc., et du système en lui-même. Il
est difficile de marcher à contre-courant d'un tel système et l'on « suicide » son service en
récusant des indications chirurgicales abusives, en vidant son service et en autolimitant sa
consommation d examens que l'on estime inutiles.
Je l'ai fait... à mes dépens mais je ne crois pas être responsable de l’énorme déficit de
la Sécurité sociale.
Dans le tiers-monde, en Afrique plus particulièrement, la situation est inversée :
pathologie lourde, moyens limités.
J'y ai connu :
- le triomphe de la clinique que j'ai dû réapprendre ;
- la satisfaction d'être un authentique chirurgien généraliste sachant faire de tout un
peu...
J'y ai compris :
- l'importance de l'hygiène ;
- la nécessité d'avoir de solides connaissances biologiques.
Je me suis replongé dans le travail : lectures, réunions, cours de formation avec le
CICR à Genève, les médecins militaires du Val-de-Grâce ou de l'hôpital Laver an.
J'ai fait un gros effort de formation ou de reformation en redécouvrant de vieilles
techniques jugées obsolètes chez nous mais encore utilisables et modernisables.
J'ai bénéficié :
- d'une solide formation à la chirurgie générale, formation encore pratiquée lors de
mon internat ;
- de ce va-et-vient permanent pendant trente ans entre la chirurgie pratiquée en
France et la chirurgie à pratiquer sur place.
215
Mes conclusions risquent de paraître sévères :
- il est impossible de former en Europe un chirurgien africain. Il doit être formé sur
place dans les conditions réelles d'exercice et par des gens compétents ayant l'expérience du
terrain;
-faire venir chez nous des chirurgiens africains est non seulement inutile, mais
dangereux, car ils prendront de mauvaises habitudes, en particulier faire une chirurgie
souvent inutile comme les appendicectomies trop coûteuses (la coelio-chirurgie), alors qu'ils
devraient apprendre une chirurgie rustique, efficace et peu coûteuse.
Je suis devenu un bon chirurgien de brousse. J'ai dû faire un effort de formation et je
souhaite faire bénéficier mes jeunes confrères africains, et plus particulièrement
mauritaniens, de mon expérience.
Être un bon chirurgien de brousse nécessite beaucoup de qualités. Le chirurgien
africain devra être :
- un hygiéniste féroce, méticuleux, spectaculaire et ostentatoire. Il devra s'occuper de
l'hygiène de base, tâche jugée dégradante, laissée chez nous au personnel paramédical,
abandonnée en Afrique à des manœuvres illettrés ;
- un excellent clinicien habitué à faire des diagnostics sans toute la batterie de
moyens gaspillés chez nous ;
- un bon biologiste, au courant de V évolution de la pathologie et des effets de ses
traitements ;
- un gardien féroce des deniers de l'État et de ses malades, réfléchissant au prix de
chacun de ses gestes.
Il faudra leur apprendre que l'on peut être bon chirurgien sans faire de la
microchirurgie, des transplantations et de la coeliochirurgie.
Il faudra leur apprendre à avoir de bons résultats dans 95 % de la pathologie
rencontrée avec peu de moyens.
Ils retrouveront la joie et la fierté d'être utiles et cesseront de fuir leur pays, les postes
difficiles dans les hôpitaux de brousse.
Je me propose, début 1996, de m'installer pour quelques années à l'hôpital d'Atar en
Mauritanie et d en faire, aidé par le maximum de bonnes volontés, un centre de formation à
la chirurgie en conditions précaires en temps réel.
J'ai commencé ce travail qui me passionne et je souhaite le poursuivre à temps plein
et non plus au hasard de mes congés.
Je crois avoir fait comprendre l'intérêt de ce travail à quelques responsables.
216
Bien entendu, de très nombreux camarades militaires ont prolongé leur carrière
professionnelle, au moment de leur retraite, dans des activités chirurgicales.
M. Brisgand, bien connu dans les milieux des ONG, a transmis sa riche expérience
dans des livres comme les Gestes de base du chirurgien en mission humanitaire (éd. Masson)
qui seront particulièrement utiles à des médecins polyvalents. Il m'écrit : Nous avons tous
connu des médecins qui pratiquaient la chirurgie avec bonheur dans les domaines qu'ils
connaissaient et des infirmiers formés par des chirurgiens qui pratiquaient correctement des
interventions simples ou salvatrices.
Pour moi, ajoute-t-il, « le seuil acceptable » est celui qui va différencier l'acte
chirurgical raisonné et à objectif efficace, et les simples soins infirmiers (pansements,
calmants, voire immobilisation éventuelle) ; c'est avant tout l'expérience et le bon sens qui
prévaudront.
On rejoint là les problèmes éthiques évoqués plus haut par A. Ducolombier.
-je n'en ai faite aucune que le chef de service ou les assistants cambodgiens n
auraient pu assurer sans moi ; - en matière d'enseignement, mon apport a été nul.
Les assistants étaient demandeurs, mais leur inculture médico-chirurgicale les
enferme, malgré eux, dans une routine indépassable d'indications et de gestes.
Quant au chef de service, il est resté, malgré mes avis, ancré dans ses habitudes,
comme celle d'infliger une hystérectomie totale pour kyste de l'ovaire (sans histologie) à des
femmes jeunes.
En résumé, ma « mission » n'a été, à mes yeux, justifiée par rien. Je n ai rien fait que
les chirurgiens cambodgiens n'auraient fait sans moi. Le contexte humain et technique rend
l'enseignement impossible ;
217
- il y avait, en 1992, peut-être 80 ONG humanitaires à Phnom Penh, rivalisant entre
elles, pour des raisons variées, dont l'analyse serait aléatoire et, à coup sûr, hors de mon
propos.
D'autres confrères m'ont fait des réflexions analogues et ont arrêté là leurs expériences
dans « l'humanitaire », après un bref passage au Cambodge.
Je crois pouvoir dire que la situation s'améliore sensiblement, ainsi que le montre
l'analyse de Y. Breda (Annexe).
Je crois qu'il ne faut pas opposer les uns aux autres, mais au contraire multiplier les
échanges comme nous le faisons lors des colloques dans les hôpitaux militaires ou au cours
d'enseignements donnés en commun dans les structures des ONG ou de la Croix-Rouge
internationale.
218
Annexe : Conditions d'exercice
de la chirurgie au Cambodge
Y. BREDA
Historique
La faculté de médecine, créée en 1966 sur le modèle et avec une présence française,
s'est structurée afin de former des docteurs en médecine et des spécialistes. Les premiers
spécialistes et professeurs furent formés en France. Puis un CES fut organisé. Les chirurgiens
khmers, après des études de médecine de sept ans couronnées par une thèse de doctorat,
préparaient un CES de chirurgie en trois ans dans les services hospitaliers de Phnom Penh.
Chaque année de CES était validée par un examen qu' il fallait réussir pour accéder à l'année
suivante. En 1973, la faculté de médecine comportait :
-1979-1989
219
• pour la chirurgie, les stages s'effectuent dans les hôpitaux de Phnom Penh encadrés
par des spécialistes russes, vietnamiens, bulgares, allemands de l'Est, cubains. Certains
étudiants (environ 10) sont envoyés en stages techniques dans les pays satellites :
Viêtnam, Allemagne de l'Est, Cuba. La durée des stages est extrêmement variable : de 6 mois
à 5 ans, ne débouchant pas sur un véritable diplôme mais des attestations de stages.
Ces aides sont techniques, limitées dans le temps, permettant le redémarrage d'un
service hospitalier et/ou d'un service technique avec une formation pratique directe
(compagnonnage) mais le renouvellement rapide des chirurgiens expatriés s'avère être un
handicap.
Situation globale
Le milieu est extrêmement hétérogène, tant sur le plan humain que technique.
Ressources techniques : très restreintes en raison d'un dénuement extrême lié à l'arrêt
de l'aide des pays communistes en 1989 et le peu de moyens propres. Les blocs opératoires
sont démunis, le matériel limité, souvent vétusté. La chirurgie pratiquée est essentiellement
une chirurgie d'urgences viscérales. L'orthopédie, par manque de moyens, se limite le plus
souvent à des tractions-extensions et plâtres. Des aides ponctuelles permettent à certains
hôpitaux de conserver une activité chirurgicale correcte.
220
La formation des jeunes chirurgiens s'effectue pour la plupart dans ces conditions de
dénuement au contact des chirurgiens khmers, sans possibilité de stages extérieurs. Seules
quelques unités techniques, soutenues par des organismes étrangers (CICR, ONG), permettent
la formation de quelques jeunes praticiens.
Situation en province
Chaque hôpital de province possède un service de chirurgie. Quelques-uns
fonctionnent grâce à l'aide extérieure : Mongol Borei (CICR), Battambang (MSF). Les autres
sont démunis, isolés, parfois sinistrés. La guerre majore les problèmes dans tout le quart ouest
du pays. Les unités chirurgicales du Service de Santé militaire, soutiens des forces khmères
en campagne, ne reçoivent aucune aide et se trouvent en situation terrifiante.
221
• septembre 1995-mars 1996 : construction des nouveaux blocs opératoires ;
Avenir
II dépend du développement des deux volets que nous avons évoqués : humain avec la
formation technique, et matériel avec la restructuration et l'aide aux services de chirurgie.
222
PARTIE 2
Chirurgies de guerre
223
Avant-propos
L.-J. COURBIL
« II faut intervenir, il faut mettre le blessé dans les conditions d'intervention plus que
précoces, immédiates. Il faut aussi qu'il soit assuré d'arriver dans les mains d'un chirurgien à
qui cette chirurgie n'est pas étrangère. »
C'est ainsi que Henri Mondor parlait des plaies de guerre de l'abdomen dans son livre
remarquable : Diagnostics urgents (éd. Masson, 1930).
- la nécessité d'avoir des chirurgiens compétents pour cette forme très particulière de
pathologie ;
- l'importance des conditions d'intervention, que nous appelons maintenant la
logistique ;
- la notion capitale de délai.
Il faut pour cela établir un système de recueil des données, habituel en général chez le
combattant d'une armée régulière, exceptionnel dans les guerres insurrectionnelles actuelles.
On verra avec intérêt le suivi réalisé par MSF dans une mission de longue durée au
Cambodge.
224
À l'opposé, nous avons connu en Algérie des contrôles très exigeants (vérifications de
tous les décès, de tous les protocoles opératoires par un chirurgien consultant), comme les ont
assurés les Américains quelques années plus tard au Viêt-nam.
Les agents vulnérants ont également évolué : l'apparition du fusil d'assaut (AK 47
soviétique ou Kalashnikov), l'utilisation de projectiles de petit calibre et de grande vitesse ont
alourdi la pathologie et augmenté le pourcentage de polyblessés. Comme expert en 1985
auprès de l'OTAN, j'ai eu l'occasion de travailler avec Fackler, chirurgien américain dont
l'influence fut prépondérante sur les tactiques chirurgicales préconisées en pathologie
projectilaire. On lira plus loin l'exposé de Jourdan, l'un des chirurgiens français le plus
compétent dans ce domaine.
Différentes autorités chirurgicales militaires ont été d'abord à l'initiative, puis ont
ensuite contrôlé tous ces progrès. Ont participé ici des inspecteurs techniques comme Mine
ou des titulaires de la chaire de chirurgie de guerre des Armées comme J.-P. Thomas, D.
225
Rignault, J.-L. Pailler et maintenant P. Houdelette. On lira avec profit les chapitres de ces
deux derniers.
Mais il existe de surcroît, dans le Service de Santé des Armées, une véritable
formation continue, avalisée par des concours et concrétisée par de nombreuses réunions
scientifiques.
Mais, plus que les techniques, les matériels ou les projectiles, ce sont encore les
victimes dont le profil a le plus changé, avec notamment une augmentation du nombre de
blessés civils des deux sexes et de tous les âges. Certes, au cours des bombardements urbains
de la Seconde Guerre mondiale, les objectifs n'étaient pas uniquement militaires mais les
guerres conventionnelles terrestres concernaient avant tout des unités combattantes.
B. Kouchner (le Malheur des autres, éd. Odile Jacob, 1991) en a fait un tableau
maintenant devenu en fait obsolète : « Au petit jour, devant les tables d'opérations débordées
par les premiers blessés des batailles de nuit nous avons commencé d'appeler à l'aide. Ainsi
s'est constitué le premier maillon de la chaîne des French Doclors. Et ils sont accourus pour
commencer la ronde autour du monde. D'abord en très petit nombre, des aventuriers de haut
vol, des traîne-bistouris et des têtes brûlées de la politique, de droite comme de gauche, les
meilleurs. »
226
Les professionnels actuels de MSF ou de MDM ne se reconnaissent pas dans ces
descriptions folkloriques. Ils sont maintenant préalablement formés en milieu universitaire et
utilisent un matériel performant et sélectionné, comme cela a été exposé dans la première
partie de cet ouvrage.
Le Service de Santé des Armées françaises connaît bien tous ces aspects de la
chirurgie de guerre car il a été présent dans toutes ces circonstances :
Plus que la qualité de la logistique, indiscutable, c'est sur les ressources humaines que
je voudrais mettre l'accent. Quelle organisation nationale ou internationale pouvait présenter
un bilan instantané comme celui réalisé le 15 octobre 1993 (« Opérations extérieures »,
Médecin et armées, t. 23, n°4, 1995) ? Ce jour-là, 450 personnes du SSA étaient sur un «
théâtre extérieur », à des milliers de kilomètres de leur base habituelle. Il y avait en particulier
92 médecins, dont 23 spécialistes des hôpitaux avec six antennes chirurgicales en activité,
simultanément au Cambodge, au Tchad, au Rwanda, en Yougoslavie.
Ce professionnalisme a été entretenu de façon permanente depuis 1962 dans des conflits qui
ne concernaient plus directement notre intégrité territoriale, nos ressortissants ou nos intérêts
nationaux. Je prendrais comme exemples des guerres comme celles d'Extrême-Orient ou du
Tchad où nous étions présents sans que notre pays soit réellement concerné.
En Asie du Sud-Est, de 1955 à 1975, après les accords de Genève (1954) et avant la
réunification du Viêt-nam (1975) et l'arrivée des communistes au Cambodge et au Laos, la
présence médicale française n'a pas été interrompue, en particulier dans certains hôpitaux
comme Calmette à Phnom Penh et Grall à Saigon.
Nous avons été les témoins des formidables moyens mis au service du combattant américain
et des remarquables résultats obtenus dans les hôpitaux d'évacuation américains. Si l'on
excepte les afflux de blessés de l'offensive du Têt (1968), à Hué en particulier, les unités
américaines n'étaient en général que sporadiquement engagées, pendant quelques heures et ce
sur tout le territoire du Sud-Viêt-Nam. L'évacuation primaire des blessés se faisait grâce à 140
hélicoptères sanitaires (« Medevac ») dispersés sur le territoire. La totale maîtrise du ciel, la
configuration du pays et la qualité des équipes héliportées permettaient des évacuations très
227
rapides, plus que celles des accidentés sur les autoroutes aux États-Unis ! En moyenne, ces
hélicoptères faisaient quatre missions par jour ; ils étaient trois fois plus touchés que les
hélicoptères de combat ou de transport.
Pendant les trois années que j'ai passées à Saigon (1970-1973), j'ai pu juger de l'efficacité du
système, comme à l'hôpital d'évacuation de Long Binh, proche de mon hôpital. Le dialogue
avec les chirurgiens du MASH était très « dérangeant », pour moi qui avais connu le triage en
Algérie. Ils avaient rendu le triage inutile, pouvant aligner simultanément jusqu'à 30 postes
d'accueil.
C'est au cours de cette guerre du Viêt-Nam que nous avons compris pourquoi le
pronostic des blessés de guerre d'un même conflit pouvait être si différent, alors que notre
doctrine et nos structures de l'avant nous avaient permis en Algérie de traiter de la même
façon nos combattants, nos adversaires et les populations civiles. De nouveaux impératifs
(sécurité, coût en particulier) avaient conduit les Américains à des chaînes d'évacuation
totalement séparées. Nous devions retrouver cette attitude en Somalie, au Cambodge, en
Bosnie de la part des autorités onusiennes.
De nombreux pays étrangers y ont testé leur matériel militaire comme les fusils
d'assaut soviétiques, suisses, belges ; les « orgues de Staline » ; les mortiers 90 et 120 ; les
mitrailleuses 12.7 et 14.5.
228
Au plan logistique, nous avons connu des conditions d'exercice très variées :
- le combat urbain dans la capitale amenant à l'antenne des extrêmes urgences dans
des délais très rapides (abdomens et thorax hémorragiques) ;
- à l'opposé, les combats du Nord où l'on recevait plusieurs semaines après des
urgences différées, des membres essentiellement ;
- donc des modalités de transport très variables depuis le Transall Sanitaire jusqu'au
piroguier du Chari, rémunéré par le CICR ;
- et très souvent le pillage du matériel et l'insécurité (plusieurs membres du personnel
et sujets hospitalisés blessés par balles perdues) ;
- enfin, des afflux de blessés difficiles à gérer : 410 urgences absolues à l'Emmir
début avril 1980, 130 blessés dans une journée pendant les combats de la bande d'Aouzou en
1987, 192 en octobre 1989 pendant les combats du Darfour, 406 évacués du Tchad oriental en
novembre 1990...
Au plan technique ont été retenues les modalités de soins post-opératoires les plus
simples à standardiser. Le fixateur externe a acquis sa reconnaissance officielle.
Enfin, au plan éthique, nous avons connu les difficultés à imposer un triage sur des
critères médicaux (et non sur la qualité des combattants) et redécouvert les « urgences
dépassées ».
- ce qu'il faut éviter : une ingérence maladroite dans les affaires d'un pays étranger,
une exploitation médiatique humiliante pour les responsables de ces pays, une dispersion sans
coordination de la solidarité internationale ;
- ce qu'il serait souhaitable de développer : essentiellement une complémentarité des
moyens de l'humanitaire d'État et de l'humanitaire privé à la recherche d'un compromis entre
« l'interventionnisme forcé et l'option zéro » (B. Provensal, MSF), mais aussi le transfert le
plus rapide possible aux autorités locales.
En l'état actuel de la planète, tout laisse à penser que la chirurgie dite humanitaire
gardera une place notable dans les années à venir car « il n'existe aucun précédent pour
suggérer que l'homme et les nations aient appris à coexister sans conflits armés » (J. Thomas,
J.R. Whelan, Manuel de l'OTAN, 1988).
229
Chirurgie de guerre
Approches d'une spécialité
P. HOUDELETTE
« En 1792, nous apprend Ch. Clavelin dans son Précis de chirurgie de guerre (1934),
ce cours disparut avec les hôpitaux-amphithéâtres supprimés par l'Assemblée législative
comme les facultés de médecine et collèges de chirurgie... Il fallut attendre 1890 pour voir
réapparaître dans l'enseignement de l'École d'application du Service de Santé militaire la
chaire de chirurgie de guerre. A première vue, l'absence de pareil enseignement... semble
une lacune surprenante. » Cependant, ajoutait-il, « si nous nous reportons à quelques années
seulement en arrière, nous retrouvons... l'affirmation qu'il h existe pas de chirurgie de
guerre».
Lecène (1878-1929) ri avait-il pas écrit : « La chirurgie de guerre n est pas une
spécialité » ?
La chirurgie que l'on pratique à la guerre n est autre chose que l'adaptation aux
lésions de guerre des principes de la chirurgie courante, mais l'expérience de près d'un siècle
de conflits depuis que l'on recourt à des méthodes chirurgicales modernes lui a conféré un
contenu, a démontré des conditions particulières d'exercice qui permettent d'individualiser
une entité pratique que l'on se doit d'enseigner.
N'oublions pas que la difficulté ne réside jamais dans les principes mais dans leur
application.
Un certain nombre d'idées fortes doit être dégagé et compris. Pour rassembler
l'assentiment autour de ces propos, expériences et opinions diverses seront rapportées. Nous
esquisserons, chemin faisant, la silhouette d'une activité singulière.
230
Une chirurgie aussi ancienne que l'organisation des armées
Si l'existence de médecins dans l'armée grecque lors du siège de Troie a été rapportée
par Homère dans l'Iliade, il revient à l'armée romaine d'avoir organisé un corps de santé
rattaché à l'armée comportant un médecin par cohorte de mille soldats, des spécialistes des
blessures (vulnerarius), des hôpitaux de campagne (yaletudinarid) et même, nous enseigne
Cl. d'Allaines dans son Histoire de la chirurgie, sous l'empereur Maurice, un corps de
cavaliers ayant pour rôle d'aller chercher les blessés et de les ramener vers l'arrière.
Plus tard, les structures suivent les nécessités des guerres. Louis XIV crée les hôpitaux
militaires des villes fortifiées et, en 1674, l'hôtel royal des Invalides. Larrey, chirurgien de la
garde, suit les campagnes napoléoniennes et organise « les ambulances volantes », apportant
les premiers soins « sous le feu », et Percy tente en vain de faire adopter par l'empereur, le 17
avril 1807, son projet de « chirurgie de bataille ». « Eh oui ! écrivait-il dans son préliminaire,
je propose à votre Majesté ses propres idées, ses propres expressions. C'est elle qui, en parlant
des chirurgiens, a dit :" Ils ne sont pas moins nécessaires sur le territoire que les médecins et
pharmaciens qui ne doivent jamais aller au-delà ; mais ils appartiennent plus spécialement à
l'armée qui se rend sur le terrain pour se battre et ils doivent l'y suivre dans ses camps et ses
bivouacs". » En janvier 1812, se plaignant de la médiocre technique des chirurgiens recrutés,
Napoléon devait écrire : « L'inexpérience des chirurgiens fait plus de mal à l'armée que les
batteries ennemies. »
Mais les grandes lignes que devaient suivre la chirurgie et les chirurgiens d'armée
étaient tracées vers l'avenir.
L'intérêt de ces premiers gestes dès la relève du blessé est connu de longue date.
« II faut se pénétrer, écrivait A. Talbot, dans son Manuel de chirurgie de guerre
(1953), de l'essentielle importance de cet appareillage. Le rôle d'"emballeur" pour peu brillant
qu'il apparaisse est le rôle fondamental du médecin de l'avant. Sans lui, rien n'est possible des
belles réussites de l'arrière. »
Au cours du conflit vietnamien, l'intérêt d'une réanimation sur le terrain telle qu'elle
était pratiquée dans le corps des Marines - mais non par VUS Army qui, dotée d'hélicoptères
plus disponibles car entièrement consacrés aux évacuations sanitaires, appliquait la technique
du scoop and run (« ramasser et courir ») - semble avoir été mis en évidence.
231
Pour Bzik et Bellamy, l'association d'une réanimation de l'avant et d'une évacuation
rapide apparaît comme le meilleur choix possible.
Les gestes simples sont les plus importants et, parmi les plus impératifs, il faut citer :
- le pansement : recouvrant une plaie des parties molles, comprimant une plaie
hémorragique, obstruant un thorax « ouvert », contenant une éviscération ;
- l'immobilisation (par moyens de fortune, écharpes, attelles, brancards) de toute
lésion grave de membre, même limitée aux parties molles. N'oublions pas que «
l'immobilisation est le premier des antibiotiques », qu'« une morphine ne dispense pas d'une
attelle » ;
- le contrôle des hémorragies extériorisées : avant tout artérielles par compression
d'amont, compression digitale dans la plaie, pansement compressif ou garrot ;
- le remplissage vasculaire de principe, préventif ou palliatif du choc trauma-tique,
hémorragique, toxi-infectieux ;
- le traitement d'une détresse respiratoire par le drainage thoracique des épan-
chements pleuraux sous tension, par l'intubation trachéale ou la crico-thyrotomie de
ventilation, plus aisée qu'une trachéotomie.
Les lésions par éclats sont les plus fréquentes et plus un conflit est « moderne », plus
s'en accroît le pourcentage, passant de 35 % lors de la Première Guerre mondiale à 70,9 %
lors de la Seconde Guerre mondiale, à 85 % en Corée, 76 % au Viêt-Nam, 70 % aux
Malouines et 75 % à Sarajevo.
232
Ces éclats prennent toutes les caractéristiques balistiques possibles : volumineux ou
petits, irréguliers ou sphériques, uniques ou multiples, radio-opaques ou radio transparents,
lents ou à haute vélocité, primaires ou secondaires. Leur provenance est des plus diverses.
Citons pour illustration les données de la guerre israélo-arabe de 1973 (Yom Kippour) :
munitions à fragmentation : 63 % dont obus : 40 % ; armes antichars : 10 % ; bombes d'avion:
10 % ; mines et grenades : 3 % ; les armes légères intervenant pour 15 %.
Ces armes déflagrantes sont responsables des dommages matériels les plus étendus et
des pertes humaines les plus lourdes.
Les effets vulnérants sont multiples sur le corps humain : arrachement, projection,
écrasement, criblage, brûlure, asphyxie, blast injury. Toutes ces lésions peuvent se combiner
chez un même blessé, alors appelé le « 3 B » : blessé, brûlé, blasté.
Le blast-injury couvre les lésions provoquées par les ondes de choc des explosions les
plus diverses. Aérien (air-blast), il se présente dans sa forme classique immédiate comme un
tableau de commotion cérébrale. La signature est fournie par la lésion tympanique.
L'évolution est caractérisée à sa phase d'état par le développement d'une insuffisance
respiratoire progressive par œdème pulmonaire lésionnel.
En cas de solid-blast, la transmission de l'onde de choc se fait par une structure solide
(engin blindé, bâtiment de guerre : c'est la deck-slap, la claque de pont) aux points d'appui
anatomiques avec fractures du calcanéum voire du pilon tibial, ou du bassin (« cul de mine »)
voire du rachis.
Le liquid-blast, créé par une explosion sous-marine, provoque chez les naufragés des
lésions viscérales thoraco-abdominales prédominant sur les organes pleins.
Les brûlures sont une composante essentielle des blessures de guerre moderne. Le
perfectionnement des armes utilisées dans les conflits conventionnels se traduit par une
augmentation progressive du nombre de brûlés : 2 % en Corée en 1950, 10 % dans la guerre
israélo-arabe de 1975, 15 % lors du conflit des Malouines. Quatre-vingts pour cent des
blessés parmi les tankistes de l'armée israélienne durant la guerre du Kippour souffraient de
233
brûlures. À bord d'un bâtiment de guerre au combat, le feu est « le pire ennemi » et l'on
apprécie à 30 % le taux des brûlés dans les combats en mer.
Ces lésions sont l'effet recherché par certaines armes : munitions au napalm (essence
gélifiée) associant aux brûlures une intoxication au carbone ; projectiles incendiaires au
phosphore blanc responsables, outre des brûlures, d'incrustation de matière projetée avec
ignition spontanée lors de la mise à l'air et intoxication systémique, hématologique et
hépatorénale.
Tous ces effets des armes se retrouvent avec les armes nucléaires, mais dans des
proportions démesurées. L'apparition des bombes thermonucléaires « propres » miniaturisées,
à emploi « tactique » (dites « mininucs ») rend théoriquement possible leur emploi en conflit
classique de grande envergure. Ces armes, si elles étaient utilisées, multiplieraient
considérablement le nombre des blessés complexes les plus graves : irradiés, brûlés, blastés,
contaminés.
Les mines sont très employées, et nous décrirons donc en détail les blessures qu'elles
infligent. Les mines antipersonnel déclenchées par la pression, agissant par effet de souffle,
ont un but incapacitant par mutilation des membres inférieurs. Ce sont les booby traps des
soldats américains. Leur prix de revient dérisoire, leur pérennité dans le milieu, leur non-
détectabilité, leur mise en place « sauvage » à des fins psychologiques ou économiques font
que ces mines sont de plus en plus utilisées, principalement dans les pays en voie de
développement. Les victimes sont essentiellement des civils, et principalement des enfants.
La diffusion de ces armements, que le journaliste P. Abramovici qualifie de « sentinelles
aveugles de la guerre des lâches », pose un problème aigu de droit international.
Les autres mines antipersonnel sont d'un usage plus militaire. Les mines « à effet
étendu », véritables grenades sur piquet enfoncé dans le sol, le plus souvent déclenchées par
un fil à trébuchement, projettent des éclats volumineux en tous sens. Citons les mines
bondissantes dont le déclenchement propulse la charge « à hauteur d'homme » avant de la
faire détoner. La mine antipersonnel à « effet dirigé » est représentée par la mine US (MIS)
Claymore et les mines apparentées (dont la mine MAPED française). Cette mine, au mode de
déclenchement varié (à vue ou automatique), disperse 700 billes métalliques, mortelles
jusqu'à 50 m, selon un angle de dispersion défini en hauteur et en largeur (80°). On l'a décrite
comme « l'équivalent militaire du fusil à canon scié ».
Les micropolycriblages sont caractérisés par de très nombreuses plaies parfois très
petites, en tatouage. Les plaies des membres inférieurs sont de type les plus divers : parfois
flambage avec grosse escarre superficielle, parfois dénudations osseuses, le plus souvent
amputations dont le siège peut s'étendre de l'avant-pied à la cuisse avec avulsions et
pétalisation des parties molles, comminution et projectilisation osseuses.
234
Les lésions thoraco-abdominales sont des polyblessures par éclats multiples, et les
délabrements les plus extrêmes ont été décrits.
Les explosions par manipulation (souvent démineurs, enfants) sont caractérisées par
des lésions des membres supérieurs et de la face.
En 1991, R.M. Coupland, chirurgien du CICR, a publié une étude portant sur 757
victimes de mines antipersonnel témoignant de la fréquence et de l'actualité de ces lésions.
Les lésions par projectiles d'armes légères sont plus classiques mais deviennent plus
rares dans les conflits récents (15 % des blessés). Tous les facteurs de leur balistique ont été
étudiés.
Facteurs morphologiques
Ils sont multiples. Le calibre et le poids interviennent dans le pouvoir d'arrêt du
projectile mais les gros projectiles empêchent le tir en rafale, ayant fait préférer dans le fusil
d'assaut moderne (« Né, nous dit Stéphane Ferrard, du vieux rêve des états-majors de doter
chaque combattant de la puissance de feu d'une mitrailleuse pour le poids d'un fusil ») le
projectile léger mais plus rapide. La structure des balles intervient également. Les
conventions de La Haye interdisent les balles expansives (type « dum-dum », classique, mais
aussi toutes les balles malléables et fragmentables « de chasse » type soft noise ou hollow
point) et imposent pour l'usage militaire des projectiles blindés (full jacketed).
Facteurs dynamiques
Ils sont là encore multiples : déformation du projectile par un ricochet ou un obstacle
préalable à l'impact corporel ; fragmentation à laquelle Fackler attribue une partie de
l'efficacité balistique des projectiles à haute vélocité ; instabilité d'une balle qui bascule à
l'impact (tumbling) majorant son calibre apparent et son effet tissulaire ; et, surtout, vitesse
pour les projectiles dits à haute vélocité ou à haute énergie dont l'effet explosif de l'onde de
choc semble avoir été surestimé.
Au total, on discerne :
Les projectiles d'armes légères réalisent les tableaux les plus divers. Seule la
reconstitution anatomique du trajet du projectile entre son orifice d'entrée et de sortie ou la
localisation radiologique d'un corps étranger non transfixiant permet de préjuger d'un bilan
lésionnel viscéral que l'exploration opératoire précisera. Des lésions fréquentes de nos jours
sont les lésions multiples des armes à répétition, les lésions cranio-cervico-thoraciques ou
abdomino-pelvi-fessières ou crurales des blessés porteurs de gilets pare-balles et atteints par
tirs de snipers.
235
Soulignons pour conclure que la balistique n'influence que peu le geste du chirurgien
de guerre ; N. Rich notait d'ailleurs, à propos du Viêt-Nam, qu'une fois sur deux la nature de
l'arme lui était inconnue. Ainsi se justifie l'adage de Lindsey selon lequel : « On traite une
plaie et non une arme ».
On le voit cependant, les agents étiologiques, les tableaux lésionnels et les syndromes
physiopathologiques confèrent à la chirurgie des lésions de guerre une spécificité, une
coloration particulières.
Ainsi la qualifie avec justesse Mario Duran. Les premiers soins d'hémostase et de
remplissage sont les points clés de l'enseignement de la médecine d'urgence.
C'est à A. Paré que l'on doit une des plus grandes découvertes de la chirurgie : la
ligature des artères pour l'hémostase des plaies des membres et des amputations sur lesquelles
on ne faisait auparavant que cautériser à blanc pour arrêter l'hémorragie. Un gentilhomme de
la suite de M. de Rohan ayant été blessé d'un coup de couleuvrine à la jambe, Paré a coupé
cette jambe sans appliquer l'huile bouillante et les fers ardents comme le voulait la coutume.
Il ligatura l'artère avec du fil serti sur une aiguille. « C'est, écrivit-il, sans l'avoir vu faire à
aucun, ouï dire ni lu, qu'il plut à Dieu de me donner l'idée d'étreindre d'un fil l'artère béante
des amputés. »
236
L'autotransfusion, séduisante car elle minimise les problèmes logistiques et surtout les
complications des transfusions, n'est pas toujours possible et n'est réservée qu'à quelques
centres, pour certaines pathologies.
Toute plaie de guerre est le siège d'une infection potentielle, latente, patente ou
évoluée. Tout concourt au développement de cette infection : la souillure, l'attrition tissulaire,
les corps étrangers, le retard thérapeutique, l'état du blessé.
Primaire et non spécifique, elle réalise les aspects les plus typiques de gangrène
gazeuse à anaérobie, de phlegmon diffus streptococcique ou de plaie suppurée simple.
Secondairement, la colonisation tissulaire, habituellement par les entérobactéries, est à
l'origine de plaies infectées à germes antibiorésistants. Infection spécifique, le tétanos doit
être redouté dans les populations, notamment civiles, non régulièrement vaccinées.
Rappelons, pour mettre en relief les règles de sécurité maintenant admises, les
errements du passé en matière de traitement des plaies des parties molles de guerre. Une plaie
des membres sur deux se limite à une plaie des parties molles. Cette atteinte n'est qu'une
composante des plaies cervico-facio-crâniennes et thoraco - abdominales.
Dès le XVIe siècle, A. Paré ligaturait les vaisseaux, parlait « d'amplifier les blessures»,
c'est-à-dire de les agrandir, et suturait les plaies.
237
Les découvertes de Pasteur sur l'asepsie à la fin du XIX e siècle n'ont pas été suivies de
progrès pratiques immédiats.
Friedrich, en 1898, travaillant sur les plaies infectées, a permis de faire de gros
progrès en montrant qu'il existait une phase de latence avant le développement microbien et
en prônant l'excision précoce des plaies. Paradoxalement, ses travaux ont été suivis de peu
d'effets, car venaient d'apparaître les « balles humanitaires » entraînant des blessures petites et
propres, justifiant souvent une abstention thérapeutique.
« La méthode idéale était née, elle supprimait du coup les suppurations prolongées
comme elle supprimait les cicatrices douloureuses. Son résultat était l'économie dans tous les
domaines : économie de souffrances... d'argent... de temps... de moral... Magnifique bilan en
vérité. Mais que de désastres à la suite de l'emploi sans discrimination de la méthode...»
(Talbot, Chirurgie de guerre}.
238
Entre les deux guerres mondiales, durant la guerre civile espagnole, en 1938, une
nouvelle méthode sembla naître. « Trueta de Barcelone, combattant du côté des républicains,
et ses assistants comme Angel Ruis, l'érigeaient en véritable révolution thérapeutique. Son
principe dérivait de la constatation qu'une lésion, quelle qu'elle fût, même des seules parties
molles, gagnait à être immobilisée. C'était la méthode préconisée par Ollier en 1872 du
"pansement rare" associée à l'immobilisation plâtrée de Pirogoff, reprise par Leveuf pendant
la retraite de Serbie et vantée par Lecene. » Or, aux États-Unis, on l'utilisera dans le civil.
Plus près de nous, Jones l'utilisa sur une vaste échelle dans l'armée anglaise (méthode du
closes plaster) ; Lagrot l'a reprise lors du débarquement de Normandie en 1944. Trueta à
Oxford, enfin, l'a codifiée.
La méthode consiste, après excision aussi correcte que possible de la plaie (parfois
réduite à un simple débridement), à appliquer un appareil plâtré circulaire directement sur la
plaie selon Trueta, et avec interposition d'une simple lame de gaze vaselinée selon Lagrot. Cet
appareil était laissé en place trois semaines environ, au terme desquelles la lésion était bien
souvent cicatrisée.
Les avantages de la méthode sont évidents : l'excision peut être moins parfaite, voire
se réduire à un simple débridement, les impératifs d'horaire sont moins rigoureux,
l'évacuation est plus souvent possible et elle est plus confortable, et les premiers soins sont
moins lourds. Ses échecs étaient cependant nombreux (suppurations de fractures ouvertes non
réduites, compressions sous plâtre) et ses inconvénients nets : difficulté relative et temps
passé à confectionner le plâtre (matériaux, séchage, etc.), immobilisation des fractures en
position vicieuse et fréquence des cicatrices fibreuses rétractiles.
De cette évolution des conceptions thérapeutiques se dégagent ainsi les trois idées
forces de la prise en charge chirurgicale des plaies de guerre des parties molles : débridement-
parage précoce des lésions, dogme de la non-fermeture immédiate de ces plaies même parées,
immobilisation de principe sous couvert d'une antibiothérapie à large spectre et d'une séro-
anato-xinothérapie antitétanique chez le sujet non vacciné.
239
Larrey notait déjà au combat d'Echlingen, lors de la marche sur Vienne, en 1805 : «
L'amputation que nous fûmes obligés de pratiquer pour plusieurs blessés graves n'eut pas tout
le succès que nous en obtenions ordinairement, parce que la plupart de ces blessés avaient été
exposés aux injures du temps, presque sans secours pendant trente-six heures ».
Tel a été le cas - pour n'évoquer que quelques situations ayant été publiées -au Tchad
en 1980 lors de l'envoi de l'EMMIR (Élément médical militaire d'intervention rapide), au
Pakistan lors du conflit afghan pour les équipes du CICR (Comité international de la Croix-
Rouge), au Rwanda lors de la guerre civile de 1994 où le Service de Santé mit en place, dans
le cadre de l'opération Turquoise à caractère militaro-humanitaire, une antenne chirurgicale
aérotransportable.
Les blessés les plus graves n'auront pas survécu dans ces conditions défavorables mais
parfois le chirurgien se trouvera confronté à des « urgences dépassées » : plaies abdominales
vues tardivement avec péritonites évoluées, fistulisations digestives spontanées à la peau,
nécroses infectieuses ou gangrènes pariétales abdominales, lombaires ou périnéales,
empyèmes thoraciques, etc.
Il s'agira le plus souvent de lésions des membres non parées, surinfectées voire
gangrenées. Sur des blessés épuisés, anémiés, fébriles, faut-il souligner l'inadéquation, sauf
exception, de la chirurgie lourde ? On recourt ici plutôt à la chirurgie de drainage, aux
parages intrafocaux des plaies anciennes des parties molles, aux amputations de sauvetage (en
cas de gangrène), de nécessité (dans les fractures ou ostéo-arthrites graves avec syndrome
septique) ou de régularisation ; toute intervention doit être conduite sous antibiothérapie à
large spectre.
L'importance des « petits soins » et des pansements répétés, bien que « sans grandeur
» et accaparants, mérite d'être soulignée.
240
- amputations : primitives, secondaires ou tardives, et l'on sait « qu'avec le moignon
tout commence et rien n'est terminé » dans une histoire qui confrontera dans la restauration
fonctionnelle l'amputé, le moignon et l'emboîture ;
- pleuro-pulmonaires : avec pariétites, pleurésies purulentes parfois enkystées dans
leur pachypleurite et pour laquelle Delorme inventa la décortication pulmonaire restaurant la
capacité fonctionnelle d'un parenchyme « déficelé », « dégangué » et tarissant le foyer
septique chronique pleural, abcès pulmonaires parfois fistulisés à la paroi, dans la plèvre ou
dans les bronches, corps étrangers de siège divers souvent bien tolérés ;
- abdominales : avec éviscération latente d'une perte de substance pariétale,
éventration fréquente des réparations précaires, stomies gastriques, iléales ou coliques de
nécessité ou de sécurité, fistulisations viscérales diverses pour ne citer que les situations les
plus fréquentes ;
- cranio-faciales et nous ne détaillerons pas les classiques « gueules cassées ».
Dans les plaies de l'abdomen, le traitement « idéal » des plaies coliques récentes n'est
accepté que pour le côlon droit, zone intestinale où la densité microbienne autorise sutures et
anastomoses d'emblée. Pour les autres segments, la dérivation colique s'impose :
extériorisation en colostomie latérale de la lésion colique quand elle est possible, résection de
la zone lésée avec extériorisation du segment d'amont et fermeture du segment d'aval souvent,
parfois, pour le rectum notamment, suture de la lésion sous couvert d'une dérivation colique
d'amont. Les pinces à viscérosynthèse, si elles améliorent la sécurité de ces réparations sur
côlon non préparé, ne semblent pas devoir faire modifier ces règles de prudence confirmées
par l'expérience. « Mieux vaut, dit un adage classique et toujours valide, sauver un blessé en
deux temps que de le tuer en un temps. » Cette attitude est sans conteste la meilleure en
chirurgie de guerre, quand on peut compter sur une relève à l'arrière. Quand le futur est plus
incertain, la conduite à tenir est plus nuancée (Chap. 17).
La même attitude de sécurité s'est imposée, nous l'avons vu, pour les plaies des parties
molles avec parage-débridement-non-fermeture dans un premier temps et fermeture
secondaire précoce au 4-5e j quand l'état de la plaie l'autorise. Cette attitude a été confirmée
par les statistiques importantes de la Seconde Guerre mondiale : E.D. Churchil, sur le théâtre
241
italien de la Seconde Guerre mondiale, traita par parage initial et suture secondaire 25 000 cas
avec 95 % de cicatrisation sans amputation ni décès, et avec 5 % d'échec par rétention de
tissus infectés. Des résultats identiques ont été obtenus à l'Est pour les chirurgiens soviétiques
comme Burdenko, Dobichin, Krivorotov, Jelanski avec des séries de 9 520, 13 550, 12 163 et
22 000 cas respectivement.
Ces attitudes gardent de nos jours toute leur valeur, ce que confirment les publications
récentes de R.M. Coupland (Comité international de la Croix-Rouge). En particulier, cette
méthode a fait disparaître la gangrène gazeuse après plaie de guerre, quand il existe une
organisation sanitaire.
J.-Ph. Neidhardt souligne comment l'oubli de ces principes dans les plaies de la
traumatologie « de ville » de tous les jours a abouti à « ce curieux transport, cette
reconversion à la vie civile de la gangrène gazeuse, affection militaire par excellence et dont
les militaires avaient su, dès 1918, se défaire grâce à des principes simples ».
La prise en charge des plaies thoraciques, que nous détaillerons ici, illustre bien le fait
que si la chirurgie est rustique, elle doit néanmoins procurer des soins efficaces, et que l'on ne
peut se contenter de gestes a minima s'ils risquent d'être insuffisants. Le simple drainage
pleural, censé suffire au traitement de 60 à 80 % des plaies du thorax, ne convient que pour
les plus légères d'entre elles, mais reste trop « rustique » dans les plaies plus importantes. Les
indications thérapeutiques sont en fait plus nuancées, et nous les développerons pour tenter de
montrer que l'on ne peut se référer à un simple geste sommaire pour décrire la prise en charge
de problèmes complexes.
« Sans contester le danger de ces blessures, nous estimons qu'elles ne doivent pas être
considérées comme toujours mortelles ; nous pensons que l'on doit aux sujets qui en sont
atteints tous les secours qu'elles exigent » écrivait déjà D. Larrey.
242
furent l'occasion d'un réveil pénible à l'heure des éclats d'obus et de la réalité des grandes
infections » (J. Pellegrino).
La prise en charge des lésions thoraciques s'est manifestée par une querelle entre
abstentionnistes et interventionnistes. Cette querelle ne s'est apaisée que lorsque s'est imposée
en urgence la notion de la priorité initiale du fonctionnel sur les lésions viscérales.
Assurer la liberté des voies aériennes, fermer un thorax « ouvert », mettre en place un
drainage thoracique, sont les trois impératifs à mettre en œuvre pour maintenir la fonction
respiratoire devant tout blessé du thorax. Ces principes, les Américains les suivront pendant la
guerre du Viêt-Nam, non en application de directives officielles nées des conflits précédents,
mais selon les techniques éprouvées en pratique civile (P. Bourdet).
La guerre du Viêt-Nam reste la référence à plus d'un titre en matière de soins aux
blessés de guerre. J.-P. Geiger, d'août 1968 à juillet 1969, a dénombré 3 058 patients traités
par drainage thoracique et 801 patients nécessitant une thoracotomie (21 % des blessés). JJ.
Mac Namara, dans un hôpital d'évacuation, en 14 mois, a reçu 547 blessés thoraciques dont
448 ont été traités par drainage et 78 par thoracotomies, soit 14,2 % des blessés. Il en a conclu
que : « La présente expérience suggère que des indications de thoracotomies plus généreuses
dans les blessures de guerre du thorax pourraient augmenter les survies » et ajoute « ceci
apparaît comme une évolution naturelle vers l'équilibre entre les risques d'une thoracotomie et
ceux d'un traitement plus conservateur ».
243
Pour P.K. Harmann et H.S. Floten, 80 % des plaies par projectile ou coup de couteau
de pratique civile ne nécessitent que la mise en place de drains thoraciques. K.L. Mattox
apprécie à 15 % les plaies du thorax imposant une thoracotomie, contre 85 % des cas pouvant
être traités par la mise en place d'un gros drain thoracique.
Une série de « guerre civile » en milieu de soins urbains contraste avec ces données :
A.T. Zakharia, à Beyrouth, a traité de 1969 à 1982 3 000 blessés thoraciques et cardio-
vasculaires. Sur 1 251 blessés souffrant de lésions thoraciques prédominantes, le nombre de
thoracotomies a été important (812, soit 54,5 % des blessés ayant nécessité un geste
thérapeutique thoracique). Pour cet auteur, des facteurs particuliers à la guerre du Liban
(usage des armes militaires modernes responsables de lésions étendues avec hémorragies
importantes et choc, sujets jeunes, équipes opératoires entraînées) ont fait de la «
thoracotomie précoce une option de choix ».
P.K. Harmann et H.S. Floten ont critiqué cette série « en contraste flagrant avec
l'expérience civile nord-américaine et même contraire à l'expérience du conflit du Viêt-Nam
». Mais A.C. Beall ne notait-il pas déjà, en 1964, que de plus en plus on signalait qu'une
attitude plus interventionniste dans les plaies du thorax pourrait être justifiée ?
Afin d'opter rationnellement pour une attitude donnée, il est utile de se référer à un
arbre de décision.
244
Indications immédiatement après pose du drainage thoracique
Avant d'introduire le drain par minithoracotomie sous anesthésie locale, on passe un
doigt ganté à travers l'incision pour vérifier la non-adhérence du poumon, et sa rétraction. La
constatation d'une déchirure diaphragmatique, d'une hernie viscérale dans la cavité
thoracique, impose une intervention immédiate.
245
Indications posées par la reconstitution du trajet projectilaire
Balisée soit par le trajet intracorporel entre les orifices d'entrée et de sortie marqués,
avant radiographie, d'une agrafe sur la peau, soit par l'orifice d'entrée et la localisation
radiographique du projectile inclus, en sachant que les trajectoires sont des plus fantaisistes,
cette reconstitution mentale par le chirurgien de la trajectoire intracorporelle et des possibles
lésions viscérales permet de séparer les plaies simples « thoraco-pulmonaires » périphériques,
ne lésant a priori que le parenchyme pulmonaire, et les plaies « complexes » : plaie thoraco-
médiastinale ou plaie des confins (cervico-thoracique, thoraco-abdominale, thoraco-
rachidienne).
246
antérieur et en dessous des mamelons, ou postérieur et en dessous de la pointe des omoplates,
il faut donc suspecter une lésion abdominale. Les circonstances, la nature et le trajet de l'agent
vulnérant, les données de l'examen clinique, la radiographie abdominale (pneumopéritoine,
projectile inclus) suffisent trois fois sur quatre à l'affirmer ; la ponction-lavage péritonéale
diagnostique reste le geste indispensable au moindre doute. L'exploration par laparotomie
s'impose si l'on suspecte et a fortiori si l'on sait qu'il existe une atteinte abdominale. On l'a
prônée de manière systématique dans toutes les plaies pénétrantes du thorax inférieur.
Deux fois sur trois, les lésions thoraciques ne nécessitent qu'un simple drainage. S'il
faut intervenir, on utilise deux incisions séparées. A.T. Zakharia, dans sa série de
thoracotomies, a trouvé que dans 27 cas la source du saignement intrathoracique était une
lésion splénique saignant librement dans la cavité pleurale au travers d'une brèche phrénique.
Quatre patients seulement ont nécessité un deuxième abord pour le traitement de lésions intra-
abdominales complexes. Lors des thoracotomies droites, 14 hémothorax majeurs résultaient
de lésions diaphragmatiques, hépatiques ou des vaisseaux hépatiques ou rénaux. Inversement,
lorsque par laparotomie on ne peut expliquer un choc persistant, il faut rechercher une origine
thoracique. R. Siemens a, dans ces conditions, réalisé à plusieurs reprises une courte
péricardotomie transphrénique à la recherche d'un hémopéricarde.
Hémothorax inévacuable : 5 % des plaies par projectiles et 1 % des plaies par coup
de couteau nécessitent une courte thoracotomie d'évacuation d'hémothorax coagulé
(coagulectomy) (Harmann et Floten). L'évacuation précoce évite l'évolution vers l'empyème
ou le fibrothorax pouvant nécessiter dans le futur une éventuelle « décortication » vraie. Cette
complication survient en cas de drainage trop tardif ou incomplet (calibre du drain trop petit)
ou en cas d'infection a minima.
Contusion pulmonaire : elle est le fait des plaies par projectiles à haute vélocité et
n'est pas rare chez les blessés par impact tangentiel non pénétrant. La première description en
a été faite par les chirurgiens du Walter Read Army Institute of Research. Les conclusions de
Fischer ont été les suivantes : l'hypoxie artérielle sévère ne survient qu'en cas de contusion
atteignant au moins un lobe entier ; la contusion pulmonaire est le plus souvent confinée à un
lobe et le geste opératoire se limitera à une lobectomie ; l'indication doit être portée de
principe et précocement pour éviter le décès inéluctable, dans les circonstances suivantes :
Cette attitude est proche de celle recommandée dans le traitement des lobes criblés,
contus et infiltrés, rencontrés dans les plaies du thorax par arme de chasse à courte distance.
247
- les cavités pulmonaires traumatiques qui guérissent en règle spontanément.
Infection secondaire, pneumothorax récidivants, bronchorrhée purulente persistante ont pu
constituer quelques indications chirurgicales ;
- les hématomes pulmonaires massifs qui relèvent de même d'une attitude
conservatrice, mais la résection s'impose en cas d'hémoptysie sévère ; elle est conseillée chez
les blessés présentant des lésions septiques d'autres localisations, notamment péritonéales car
il y a alors risque de surinfection de l'hématome.
En conclusion, 80 % des blessés du thorax peuvent être traités par drainage thoracique
et réanimation. Deux tiers des indications opératoires sont posés dans les deux premières
heures, essentiellement devant une instabilité hémodynamique et la forte suspicion d'une
lésion cardiaque. Les plaies de la région péricardiale, l'exploration des trajets
transmédiastinaux, l'abord des vaisseaux cervico-thoraciques, les thoracotomies traumatiques,
une nécessité d'abord abdominal, le traitement d'une lésion œsophagienne ou trachéo-
bronchique, les corps étrangers à l'intérieur ou près des structures vitales, les hémoptysies, la
multiplicité des impacts, la contamination massive de la plèvre par le contenu gastrique ou les
matières fécales, constitueront autant d'indications de la thora-cotomie ou de facteurs y
incitant.
Seuls 10 % des patients sont opérés au-delà de 24 h, dont la moitié pour caillotage
pleural, et le reste pour saignements persistants, hémithorax opaque, non-réexpension
pulmonaire, décortication pour empyème, hernie diaphragma-tique secondaire, corps
étrangers menaçants, fistules diverses (bronchique, bilio-bronchique, œsophagienne, gastro-
pleurale, méningo pleurale).
Aucune technique « rustique » ne pourra, on l'a compris, sauver une plaie grave du
thorax et de ses confins. Encore convient-il que le blessé arrive à temps au chirurgien et que
celui-ci, si le cas se présentait, en connaisse les voies d'abord et les principes tactiques de
traitement et, de façon plus générale, qu'il soit à la hauteur des circonstances souvent
inhabituelles parfois complexes, voire déroutantes, des situations médicales de guerre.
Cette notion d'une formation chirurgicale polyvalente, bien adaptée aux conditions, se
retrouve à tout moment dans la chirurgie de guerre.
248
Arrêtons-nous un instant sur le problème des plaies osseuses et articulaires. Deux tiers
des blessés le sont aux membres et un quart présente une lésion osseuse ou articulaire. Le
parage de la plaie des parties molles, le parage osseux, l'abord électif d'un segment osseux ou
d'une articulation, appartiennent en règle au chirurgien généraliste, sauf en cas d'activité
simultanée d'un chirurgien viscéraliste et d'un orthopédiste, principe actuellement
régulièrement adopté par le Service de Santé des Armées mais en règle non retenu dans les
missions chirurgicales humanitaires (Comité international de la Croix-Rouge ou organisations
non gouvernementales). Dans leur article, « Chirurgie de guerre dans un hôpital chirurgical de
l'avant » au Viêt-Nam, W.G. Byerly et P.D. Pendse écrivent que la présence d'un orthopédiste
entraîné était a nicety and not a necessity. Si l'interdiction de la fixation osseuse intrafocale
n'est plus à répéter, si la mise en traction est un procédé inadéquat pour un blessé devant être
évacué, si la règle de l'exofixation de principe est admise, le moment de la mise en place du
fixateur externe reste discuté : immédiat dans la doctrine du Service de Santé des Armées
dont les équipes sont souvent largement pourvues en matériel spécifique (Fessa), retardé de
principe pour la majorité des équipes nord-américaines ayant travaillé au Viêt-Nam et pour
les chirurgiens du CICR.
Dès que les capacités de soins et d'intervention chirurgicale d'une unité sont dépassées
ou risquent de l'être, il devient impératif d'établir une priorité entre les blessés, un « triage »,
249
de choisir certains procédés techniques simples et rapides, et d'abandonner les procédures
opératoires longues, accaparantes et au succès aléatoire.
Traiter tous les blessés dans les meilleures conditions de sécurité et d'efficacité grâce à
l'emploi de moyens permettant leur survie ou la préservation de leurs fonctions, dans des
délais compatibles avec les meilleures chances de survie et de guérison, autant que possible à
l'abri des risques de la zone des combats, tel est le cahier des charges médicales qui doit tenir
compte des contraintes d'ordre militaire : mobilité réelle ou éventuelle du front à laquelle
s'oppose la mobilité plutôt restreinte et difficile des formations sanitaires, impossibilité
d'installer de grosses formations sanitaires sous le feu de l'ennemi, nécessité de sortir les
blessés du théâtre des opérations, incertitude quant au nombre de blessés à venir, ce qui
impose aux formations sanitaires avancées d'avoir en réserve la presque totalité de leur
capacité hospitalière, et au Service de Santé de réaliser un dispositif capable de soutenir à tout
instant la manœuvre décidée par le commandement.
Le terme de triage, mot français adopté dans ces circonstances par les Anglo-Saxons
depuis la Première Guerre mondiale, désigne la catégorisation des blessés en groupes en
fonction de leurs caractéristiques médicales.
Les modalités de classement des blessés sont décrites dans le chapitre 13. Nous
insisterons essentiellement ici sur les répercussions permanentes de cette notion d'afflux des
250
blessés sur les contraintes chirurgicales, et sur les divers visages et significations que peut
revêtir le mot triage.
La notion d'afflux de blessés, nous l'avons vu, est la règle pour de grandes unités au
combat avec des variations permettant le déplacement de l'unité sanitaire, la mise au repos des
équipes, le renouvellement du matériel. Dans cette organisation, tous les blessés sont
impérativement dirigés vers le centre de triage dans lequel le bilan médico-chirurgical initial
est établi, la mise en condition est réalisée, et les priorités de traitement et d'évacuation sont
déterminées en fonction des délais préopératoires que peut tolérer chaque blessé. Seules sont
traitées à cet échelon les extrêmes urgences, par des gestes simples « sans lesquels toute
réanimation serait inefficace ». Le plus grand nombre de blessés est évacué, selon des
modalités (évacuation médicalisée ou simple transport), avec une rapidité (héliportage ou
véhicule sanitaire) et pour une destination (hôpital mobile chirurgical ou hôpital
d'infrastructure) qui dépendent des impératifs d'évacuation et de traitement.
Dans les guerres insurrectionnelles type Viêt-Nam, les auteurs américains ont insisté
sur l'arrivée « par vagues » des blessés. Dans ce conflit, la rapidité des premiers soins, la
disponibilité et la rapidité de l'évacuation par hélicoptère, la possibilité du choix de la
destination du blessé pendant ce premier transport ont supprimé cette notion du triage
préalable qui s'effectuait à l'arrivée au centre chirurgical, dans lequel on distinguait les blessés
« instables », prioritaires, et les blessés « stables » qui étaient traités en fonction de la
disponibilité de la structure dans les délais compatibles avec la gravité de leurs atteintes.
Dans d'autres situations, telle celle décrite par C. H. Rochat du Comité international
de la Croix-Rouge à Kaboul, « le trieur était apparenté à un voltigeur ou à un chef d'orchestre
qui doit en même temps jouer d'un instrument, car n'étant que deux chirurgiens, il fallait à la
fois effectuer le triage et opérer les cas... Nous nous arrangions pour qu'un seul d'entre nous
s'absente régulièrement de la salle d'opération pour le triage. Pour ce faire, nous évitions
d'entreprendre deux interventions majeures en même temps, ceci de façon à garder une table
d'opération pour les cas urgents nouveaux et dont le traitement s'annonçait assez rapide. La
notion la plus importante qui ressort des admissions d'un grand nombre de blessés comme
nous l'avons vécu, c'est qu'à tout moment il fallait réévaluer l'ensemble de la situation, être
attentif à la fréquence des explosions, se rendre à la porte de l'hôpital pour voir soi-même le
mouvement des ambulances et enfin pour confirmer l'ordre d'arrivée des patients en salle
d'opération. » La classification adoptée était celle du CICR, dans laquelle un numéro de 1 à 4
est inscrit sur le front des blessés, en fonction des catégories suivantes :
- catégorie 2 : cas à ne pas opérer (blessés sub-fine, morituri ou blessés avec peu de
chances de survie : plaies cranio-cérébrales avec coma d'emblée, lésions médullaires ouvertes,
délabrements thoraco-abdominaux et éviscérations avec pertes de substances pariétales,
brûlures au-delà de 60 %) ;
251
- catégorie 4 : blessés légers pouvant être traités en ambulatoire, n'ayant pas besoin
d'une intervention chirurgicale.
Notons que le recours à ce procédé n'est licite que dans une structure réalisant à la fois
le triage et les soins et ne fonctionnant pas dans une chaîne logistique permettant l'évacuation
régulière, ordonnée, de blessés mis en condition.
Dans tous les cas, le principe est d'utiliser au mieux les moyens disponibles au profit
du plus grand nombre, les modalités pratiques pouvant considérablement varier en fonction
des ressources sanitaires disponibles.
En poste à une section de triage, son rôle doit se limiter au triage des blessés, à leur
mise en condition, à l'appréciation de la gravité de leurs lésions, à la définition des délais
chirurgicaux tolérables, à leur classification en « urgences » (extrêmes, l rc, 2e ou 3e), à la
réalisation de gestes chirurgicaux simples « sans lesquels toute survie serait impossible », et à
la gestion de leur évacuation.
Chirurgien d'un hôpital de l'avant (hôpital mobile chirurgical, hôpital de combat), ses
rôles sont d'une part le triage des blessés en blessés « instables » imposant une prise en charge
médico-chirurgicale prioritaire, et blessés « stables » pour lesquels les délais et indications
opératoires sont habituels, d'autre part le traitement opératoire des extrêmes et premières
urgences. Les blessés plus légers ou nécessitant des soins spécialisés (lésions crâniennes,
ORL, maxillo-faciales) sont orientés après les soins indispensables vers les hôpitaux
d'infrastructure plus lourde (urgences dites « différées »).
Pour le chirurgien d'une structure hospitalière humanitaire (CICR, ONG), au sein d'un
conflit, la réalisation des actes techniques même sommaires implique de réunir des moyens «
non consommables » et « consommables » minimaux et leur renouvellement, ainsi que la
prise en charge sur place de tous les types de blessés.
252
permettront de gagner du temps et pourront être agrandis par des tentes ou constructions
précaires, destinées notamment à l'accueil, aux servitudes, à l'hospitalisation des blessés.
Les risques des combats, et notamment les bombardements, peuvent rendre impératifs
une installation dans des sous-sols de grands immeubles, ce qui procure une meilleure
protection mais il existe des risques d'effondrement.
Afin d'améliorer les possibilités opératoires des structures mobiles, des ensembles
techniques semi-mobiles, préaménagés en containers fonctionnels, dits « sheltérisés » ont été
mis au point. L'armée américaine utilisait déjà au Viêt-Nam des MUST (Médical Unit Self
Contained Transportable), structures cependant peu mobiles. L'armée française dispose
maintenant d'ETM (Éléments techniques modulaires) qui sont des ensembles compacts,
transportables par route ou par air, et contenant des salles d'opération, des locaux de
réanimation, des ensembles techniques de servitude (production d'oxygène, stérilisation,
filtration de l'air, traitement et réserve d'eau, groupes électrogènes) permettant de déployer
rapidement une activité chirurgicale.
Un autre biais du calcul serait la plus grande gravité des blessures au cours du conflit
vietnamien qui viendrait atténuer voire annuler l'effet de l'amélioration des soins.
253
Toutefois, sur le plan qualitatif et fonctionnel, les progrès apparaissent évidents si l'on
s'intéresse au devenir et aux séquelles des blessés.
De cette pratique civile est née, face aux lésions hémorragiques, vasculaires et
viscérales thoraco-abdominales, les plus difficiles à maîtriser, la pratique du damage control
avec ses trois temps successifs : laparotomie première abrégée, permettant le contrôle des
lésions artérielles parfois par des procédés temporaires, celui des saignements profus par un
tamponnement d'organes, notamment périhépàtique, mais aussi des régions rétropéritonéales
ou pelviennes, difficilement maîtrisables par des procédés électifs et une viscérostase
expéditive des viscères creux ; un second temps voué à la réanimation ; une nouvelle
laparotomie permettant des actes thérapeutiques complémentaires.
254
Une chirurgie qui nécessite une formation préalable adaptée
Tous les Services de Santé se sont posé le problème difficile de la formation en
chirurgie de guerre des équipes médicales des armées mais aussi des réserves.
« La réalité de la bataille, écrivait Foch, est qu'on n'y étudie pas ; simplement on fait
ce que l'on peut pour appliquer ce que l'on sait, et, dès lors pour y pouvoir un peu, il faut
savoir beaucoup et bien. »
Déjà, suivant dans leurs péripéties les armées napoléoniennes, Percy et Larrey ne se
contentaient pas d'opérer. Dès le cantonnement installé, ils formaient les apprentis et, dans les
étapes des grandes villes d'Europe, « les médecins des pays occupés en deviennent d'assidus
auditeurs » écrivait Forgue.
Cette volonté d'enseigner apparaît très tôt dans la carrière de D. Larrey. En 1794 déjà,
désigné comme chirurgien en chef de l'armée qui se prépare à la campagne de Corse, il rejoint
Toulon. Là, il organise pour les chirurgiens des cours d^anatomie et de chirurgie. Cet
enseignement eut un retentissement considérable et le Comité de salut public décida de lui
confier une chaire de professeur au Val-de-Grâce qu'un récent décret avait constitué en école.
Au cours de ses campagnes il créera des écoles de chirurgie au Caire et à Milan. Les
champs d'application immédiate ne manquèrent pas, pour les chirurgiens de tous les pays
d'Europe, en ces périodes de fureurs guerrières.
255
A. Smith et SJ. Hazen ont insisté sur le fait que, quels que soient les moyens de
formation, il ne peut y avoir de progrès s'il n'est pas tenu compte de ce qu'ils ont appelé thé
unique facets of combat médical care : la multiplicité et la sévérité des blessures de guerre,
les atteintes à l'intégrité physique dues à l'environnement, l'austérité matérielle et logistique
de l'équipement de guerre et l'obligation de confier ces blessés et malades à une organisation
échelonnée où les traitements sont fragmentés en étapes.
256
l'agrégation de chirurgie de guerre (P. Houdelette, 1995) comporte une liste de techniques
chirurgicales de guerre susceptibles de servir de référence.
Pour les chirurgiens civils, l'exercice de la chirurgie de guerre peut relever d'une
mobilisation comme ce fut le cas pour de jeunes chirurgiens nord-américains au cours du
conflit vietnamien. B. Eiseman, dans un exemplaire de Journal of Trauma de 1985, a bien
décrit le problème d'adaptation, le choc culturel que ressentent ces chirurgiens appelés face à
une chirurgie traumatologique rarement pratiquée antérieurement, aux longues périodes
d'inactivité, aux actes opératoires strictement définis par leur niveau d'activité dans la chaîne
d'évacuation des blessés et régis par des compromis techniques et humains. La réaction d'un
médecin très « programmé » par ses études à une chirurgie de haut niveau est, dit Eiseman,
prévisible : « II devient vexé, frustré et plein de ressentiment ». La peur, la fatigue, des
responsabilités techniques inhabituelles dépassant de beaucoup ce pour quoi ils s'étaient
préparés en milieu civil, l'immersion dans un milieu militaire bien différent de l'ambiance
universitaire et de leur niveau culturel, la solitude, la compassion, l'interruption, même
provisoire, de leur carrière, le dépaysement concourent à un trouble et à un stress
préjudiciables à leurs performances chirurgicales.
257
L'assertion de Lecène rappelée en introduction, formulée après le premier conflit
mondial qui avait vu la mobilisation du corps chirurgical français (ne parlait-on pas à
certaines phases de stabilisation du front et d'achèvement de l'organisation sanitaire de «
facultés de l'avant » ?), reflète sans aucun doute cette réalité, bien mise en évidence dans le
monde actuel, que la chirurgie de guerre d'une part n'est pas l'apanage du chirurgien militaire,
d'autre part ne doit pas s'improviser.
Certes, la prise en charge correcte des blessés a toujours été un garant du moral des
combattants qui reçoivent ainsi l'assurance de soins rapides et compétents s'ils étaient blessés,
mais derrière cette vertu « d'hygiène mentale » se dessine la volonté d'une récupération à des
fins militaires des soldats soignés.
Homère dans l'Iliade (chant XI) disait déjà : « Le médecin vaut beaucoup d'autres
hommes » et Nelson conseillait au commandant de bâtiment, assez heureux pour avoir à son
bord un chirurgien, de ne point l'exposer inutilement.
Le bilan de la Première Guerre mondiale a fait ainsi ressortir pour l'armée française
que « si l'on tient compte de la récupération totale, malades et blessés, on peut admettre que
sur 100 évacués, 10 sont perdus, 90 récupérés ; sur les 90 récupérés, 60 le sont dans la zone
des armées dans le délai d'un mois et 30 dans la zone de l'intérieur dans un délai de cinq
mois ; sur les 10 perdus, 1 est décédé, 9 sont réformés ».
Une expérience récente de prise en charge des blessés, tels ceux de la FORPRONU à
Sarajevo, conforte cette idée, mais il ne faut pas oublier que les circonstances étaient
exceptionnelles : caractère sporadique des blessés, installation d'un ensemble de réanimation-
258
chirurgie suréquipé dans une structure « en dur », possibilité d'évacuation aérienne
médicalisée (avec réanimation en vol du meilleur niveau : ventilation artificielle,
autotransfusion, etc.) vers des grands centres parisiens.
« On croirait, écrira P.F. Percy, dans son Journal de campagne (1799-1809) dans
lequel il décrit les difficultés inouïes rencontrées par les chirurgiens des armées, qu'un
malade, un blessé cesse d'être un homme quand il ne peut plus être soldat. »
« Rien n'égale, dit Percy à Eylau, l'égoïsme, la fureur rapace, l'inhumanité des soldats :
on marche sur les cadavres, ou foule aux pieds les membres coupés, on entend les hurlements
des blessés à qui on retranche douloureusement un membre et on n'en va pas moins son train :
chacun, occupé de soi, cherche sa vie. Ce n'est que parmi les chirurgiens que la compassion,
la philanthropie, l'amour du prochain se sont retirés. »
Paroles définitives qu'illustrent les conflits les plus récents, du Liban au Rwanda, de la
Yougoslavie à la Tchétchénie ; principes repris depuis par le Comité international de la
Croix-Rouge et les ONG humanitaires dont les activités chirurgicales, s'inscrivant dans des
situations de détresse collective avec leurs besoins prioritaires de sécurité (zones neutres,
camps, corridor) d'accueil, d'hygiène de collectivité, de fournitures alimentaires minimales,
concernent pour deux tiers des blessés des populations civiles (Beyrouth), otages des conflits
et premières de leurs victimes.
Conclusion
Après ces considérations tout à la fois état des lieux et cahier des charges de cette
chirurgie, nous laisserons pour conclure la parole à un des maîtres de la chirurgie française, le
professeur J.-P. Binet, qui écrivait dans la Presse médicale le 23 octobre 1993 : « En ces
temps-là, c'est-à-dire juste après la Seconde Guerre mondiale, la chirurgie était une, unie,
unique : elle était enfin devenue mature et portait le nom de chirurgie générale. Et puis, du
fait du progrès, sont nées toutes les spécialités que l'on connaît... Elles sont maintenant dix ou
onze suivant les auteurs et même plus, puisque l'on va enseigner, en ces temps où l'on croyait
la paix définitivement rétablie, la dernière-née après la chirurgie de la transplantation, "la
chirurgie de guerre" ».
259
Nous espérons avoir montré dans ces quelques lignes l'intérêt de l'individualisation de
cette spécialité.
260
Triage chirurgical
L.-J. COURBIL
Définition
Acte médico-militaire né au cours du premier conflit mondial
- a" une préoccupation (conservation des effectifs)
- à" un souci (humanitaire)
- de contraintes (logistiques).
La nécessité du triage est apparue dans la seconde moitié du XIXe siècle dans les
armées européennes. Il est mentionné par le Français Legouest en 1863, le Russe Pirogoff en
1870 et l'Allemand Herz en 1898 (Sichtung).
Plus tard s'est affirmée une motivation plus humanitaire avec Dunant après Solferino,
et Legouest dans son traité de 1863 indique que l'on doit s'occuper le plus rapidement
possible des blessés gravement atteints avec un sentiment de « haute et ferme charité ». À
cette époque, dans les armées françaises, les moyens de secours et de transport des blessés
dépendaient des intendants militaires, le « médecin chef d'armée » n'ayant qu'un avis
consultatif.
Le triage est considéré maintenant comme une technique de base d'une armée en
campagne.
Au cours de conflits armés comme dans toute catastrophe, un grand nombre de blessés
peuvent brutalement affluer.
L'accueil et le traitement de ces blessés doivent se faire dans des sites spécialement
choisis et équipés pour ce genre de situation et le personnel doit être informé et préparé à des
choix difficiles.
261
En effet, dans de telles circonstances, on ne peut prodiguer d'emblée à tous les blessés
les soins que l'on considérerait ailleurs comme nécessaires.
Pour les blessés graves, on distingue deux cas de figure. Les blessés graves mais ayant
de bonnes chances de survie avec un traitement rapide doivent bénéficier de la plus grande
priorité. En revanche, quand le pronostic vital est sombra quelle que soit la modalité
thérapeutique, il ne faut monopoliser ni le temps du personnel ni le matériel consommable
(sang par exemple).
Enfin, des blessés « mineurs » peuvent assurer eux-mêmes leurs soins de secourisme
élémentaire.
Le triage associe donc d'une part une évaluation diagnostique et pronostique continue, d'autre
part une préparation à l'évacuation pouvant comporter des gestes de réanimation et des gestes
chirurgicaux que l'on choisit en fonction d'impératifs techniques, tactiques et logistiques.
262
Ces différentes responsabilités sont en général partagées et l'ensemble parfaitement
orchestré dans le cadre d'une armée en campagne, au cours d'une guerre « conventionnelle ».
Il en est tout autrement après des catastrophes ou lors de conflits armés comme ceux observés
actuellement dans certains pays d'Amérique centrale, d'Europe de l'Est, du Moyen-Orient,
d'Extrême-Orient ou d'Afrique centrale et orientale.
Justification du triage
Après une fusillade à Alger, 120 blessés affluent à l'hôpital Maillot en moins d'une
heure. Six équipes opératoires sont rapidement disponibles. Un triage est dirigé par le
chirurgien chef de la formation. En 48 h, tous ces blessés seront traités, dans d'excellentes
conditions ; -Viêt-Nam (1970-1973)
263
But : « catégoriser »
Définir des priorités de traitement entre individus, ou entre différentes lésions chez le
même individu, puis les priorités d'évacuation (doctrines différentes).
Depuis le premier conflit mondial, le triage est devenu le pivot de l'organisation des
Services de Santé des Armées, à l'avant, et souvent une structure strictement autonome
comprenant des formations spéciales, une doctrine fixée par instructions, un personnel formé
à ce travail et affecté dès le temps de paix.
Le système a atteint son apogée dans les armées occidentales au cours de la Seconde
Guerre mondiale où les missions des « compagnies médicales » étaient clairement définies,
alternant le ramassage, le triage et la mise en condition pour l'évacuation.
Selon le Manuel de l'OTAN, pour 100 blessés évacués d'un champ de bataille on
peut s'attendre à rencontrer :
- 30 blessures mineures superficielles ;
- 16 fractures ouvertes comminutives des os longs ;
- 10 plaies des parties molles ou des brûlures nécessitant une anesthésie générale pour
un parage ;
- 10 plaies nécessitant une laparotomie ;
- 6 fractures comminutives des extrémités des membres ;
- 5 plaies nécessitant un drainage thoracique ;
- 4 polytraumatismes à gestes chirurgicaux multiples ;
- 3 lésions graves des yeux.
264
Nous nous référons ici à un cadre strictement militaire, où les blessés sont des
combattants relevés et évacués dans de bonnes conditions logistiques, permettant d'évaluer les
priorités de traitement et/ou d'évacuation primaire selon des risques bien déterminés
(respiratoires, hémorragiques, infectieux).
La classification militaire française a beaucoup perdu de son intérêt dans les conflits
actuels, car elle avait été établie (les règles des 6 et 18 h) sur la base de délais d'évacuation
maintenant obsolètes (abandon de l'évacuation en chemin de fer par exemple).
La classification de l'OTAN (urgent, immédiat, différé, morituri) n'a pas simplifié les
notions, bien au contraire, ni apporté un progrès évident.
Impératifs
Dans tous les cas de figure, les impératifs sont les mêmes : précocité, rapidité,
précision, révision permanente, éthique inhabituelle.
L e triage doit être le plus précoce possible, selon les conditions du combat. Le
médecin de l'avant peut réaliser un tri dégrossisseur qui ne deviendra un tri réellement
chirurgical qu'au sein de la première formation médico-chirurgicale rencontrée (antenne).
Le triage ne peut être que très rapide dans ces situations d'afflux (2 à 3 min pour un
blessé couché, 1 min pour un blessé debout).
Néanmoins, il doit être le plus précis possible car il engage à l'évidence le pronostic
ultérieur.
Aussi faut-il prévoir une révision permanente, à la recherche de l'apparition de signes
péjoratifs en particulier, le pronostic n'étant ni figé ni définitif.
Enfin, le personnel doit être initié à une éthique inhabituelle où le dialogue singulier
médecin-malade est pratiquement inexistant.
265
Les armées françaises ont toujours essayé « d'humaniser » cet accueil impersonnel
dans des espaces rustiques aux moyens limités et de traiter de la même manière ses
combattants, ses adversaires et les populations civiles. L'attitude anglo-saxonne actuelle
évoluerait plutôt vers une différenciation des victimes, traitées par des méthodes différentes
(instructions de l'ONU).
En effet, les critères utilisés pour ce triage concernent presque exclusivement l'homme
jeune, combattant régulier, blessé par des projectiles connus et présentant des tableaux
cliniques assez stéréotypés caractéristiques de tous les conflits armés conventionnels. La
classification ignore en revanche la pathologie propre aux catastrophes naturelles ou
technologiques, aux attentats et au terrorisme, observée chez des sujets des deux sexes et
d'âges extrêmes.
266
Classification établie en vue d'une évacuation
Cette catégorisation est étroitement liée aux contraintes et aux ressources logistiques
d'une guerre en mouvement, dans laquelle l'évacuation sanitaire vers des zones de sécurité est
quasi constante.
Classification proposée :
L'urgence absolue risque vital évident (asphyxique, hémorragique,
infectieux)
L'urgence relative pas de risque vital
L'urgence potentielle à pronostic non évalué d'emblée
L'urgence dépassée
267
Les autres urgences à traiter au plus vite selon les règles de la chirurgie de
guerre (simplicité, sécurité, standardisation) :
- thorax (la part de la thoracotomie) ;
- abdomen (laparotomies, hémostases, résections, extériorisations) ;
- crâne ;
- lésions du squelette ;
- lésions de la face ;
- lésions des parties molles (le parage).
Ces blessés sont en danger de mort car il y a risque, dans de brefs délais, d'apparition de
troubles physiopathologiques irréversibles. Le traitement chirurgical peut tolérer un retard de
quelques heures, sous réserve de la mise en œuvre rapide d'une réanimation efficace et
continue.
Ce sont essentiellement :
Choix thérapeutique
II doit être adapté en fonction :
Des conflits récents, violents et imprévisibles, ont montré que rares étaient les pays
qui disposaient de chirurgiens polyvalents et instruits en pathologie de guerre.
268
thérapeutique. Rien d'étonnant dans ces conditions de voir défendre par certains une chirurgie
en deux temps pour les abdomens complexes.
Urgences potentielles
Ce sont des formes particulières des urgences absolues dont le pronostic n'a pu être
précisément évalué par le triage initial très rapide.
C'est ainsi que dans des conflits comme celui du Tchad où les afflux massifs de
blessés étaient fréquents, nous avions dû ranger dans cette catégorie transitoire :
- des polycriblages des membres qu'il fallait surveiller pour dépister précocement un
syndrome ischémique
- des plaies des confins abdominaux où la pénétration péritonéale n'était pas d'emblée
évidente (pour éviter la laparotomie blanche)
- des plaies du thorax dont l'hémorragie devait être rigoureusement suivie par mesure
du volume d'aspiration pour discuter d'une éventuelle thoracotomie.
Urgences relatives
Le traitement de ces blessés peut être différé d'une journée, voire davantage, sous
réserve d'une couverture antibiotique dès qu'il y a plaie et risque infectieux.
Ce sont :
269
- les traumatismes crâniens sans coma
Mais il y aura toujours au milieu de ces urgences « relatives » ou « différées » un
pourcentage très important de « petits blessés », éclopés, éraflés, égratignés qui encombrent le
triage et dont il faut savoir se débarrasser rapidement, avec ou sans petits soins.
Urgences dépassées
Les atteintes sont ici particulièrement graves, soit du fait de la multiplicité des lésions,
soit du fait des délais d'évacuation difficilement, voire non compatibles avec les possibilités
de survie, soit encore du type d'intervention et de réanimation irréalisables avec les moyens
dont on dispose.
Personnellement, ce n'est qu'au Tchad que nous avons dû nous résoudre à cette
attitude et pendant quelques jours seulement. Dans de tels cas, on est parfois contraint à une
pure et simple abstention thérapeutique. Pour ces blessés, abstention thérapeutique ne signifie
pas abandon. Bien au contraire, ils doivent recevoir, au milieu des autres, une thérapeutique
d'accompagnement respectant leur dignité et celle de leurs voisins.
Cas particuliers
Aussi, l'OTAN préconise de « déclasser » ces blessés exposés : ceux qui seraient sans
irradiation classés dans la catégorie « immédiat » et qui présentent des manifestations
d'irradiation que l'on estime à 400 rads doivent être transférés dans la catégorie « différé », et
ceux qui ont reçu une irradiation supérieure à 400 rads doivent être classés dans les «
morituri».
Les chances de survie chez les sujets irradiés qui présentent des convulsions ou des
vomissements dans les premières 24 h sont minimes, même en l'absence de toute blessure.
270
De plus en plus, également, la présence de psychiatres s'est révélée nécessaire au
niveau du triage, souvent perturbé par des mouvements de panique lorsque apparaissent des
risques mal connus, comme une agression par les gaz.
Différences
En effet, l'équipe chirurgicale d'une ONG arrivant subitement dans un pays étranger,
et s'intégrant dans des structures et une hiérarchie également étrangère, peut ne pas bénéficier
d'une logistique organisée. Elle doit s'adapter, accepter des compromis d'ordre doctrinaire ou
matériel.
D'où la nécessité :
Tous ces éléments doivent être discutés au cours d'une concertation entre ces
différents acteurs du soutien santé afin de déterminer une stratégie, voire un vocabulaire,
permettant une coordination et une efficacité optimales.
Points communs
Tout cela doit inciter les intervenants à trouver le terrain d'entente indispensable à
l'action.
271
Conclusion
Pendant les grandes catastrophes de cette fin de siècle, qui ont fait naître des besoins
urgents et des conditions de dénuement majeures, le triage est devenu une nécessité plus ou
moins permanente, conditionnée par des impératifs de temps (il est bref), d'espace (il est
rustique) et de moyens (ils sont sommaires).
C'est un acte diagnostique qui évalue le type et l'intensité de l'agression subie, ses
conséquences sur les fonctions vitales, et localise les atteintes topographiques.
272
Notions de balistique lésionnelle
à l'usage du médecin
PH. JOURDAN.
Des notions de balistique lésionnelle sont-elles utiles pour comprendre et traiter les
plaies par projectiles ? A cette question certains peuvent répondre que T essentiel est que le
médecin connaisse la conduite à tenir devant de telles lésions, et que la science des
mécanismes et des effets des projectiles sur l'organisme humain n'a qu'un intérêt secondaire.
En fait, certains ont acquis des données balistiques mais qui sont malheureusement restées
insuffisantes, avec des conséquences très dommageables. En effet, on a pu prôner, en se
basant sur le fait que les projectiles à haute vélocité pouvaient créer des prétendues lésions
très à distance du trajet projectilaire, « un parage large, hémorragique long et dommageable
». En réalité, l'expérimentation, l'étude critique de la littérature et des observations cliniques
ont permis d'établir formellement que ces traitements mutilants, malheureusement encore
souvent pratiqués et enseignés, étaient dans bien des cas tout à fait inadéquats.
- quelques notions essentielles sur l'armement individuel civil et militaire et sur les
différents types d'engins explosifs utilisés sur les champs de bataille, pour qu'à l'avenir les
auteurs de publications ne confondent plus armes et calibres par exemple ;
- les différents mécanismes lésionnels provoqués par les projectiles civils et militaires.
Nous décrirons ensuite les principales lésions par régions anatomiques en se référant
toujours à la balistique, afin de tenter d'expliquer les paradoxes apparents que l'on peut
rencontrer dans l'étude des plaies par projectiles.
273
Mécanismes des plaies par projectiles
Plusieurs facteurs interviennent dans ces mécanismes :
Éclats
Il convient de porter une attention toute particulière aux éclats, car ils sont largement
majoritaires sur les champs de bataille actuels où ils peuvent causer jusqu'à 80 % des plaies.
Provenant d'une explosion (bombe, grenade, roquette, mines, obus, etc.), ces éclats
constituent les projectiles primaires. Tout ce qui a pu être projeté par le souffle de l'explosion
(débris divers, terre, etc.) ou ce qui a été déplacé par l'éclat (fragment osseux par exemple)
fait office de projectile secondaire. On peut associer aux éclats les autres projectiles non
aérodynamiques tels que les balles déformées ou fragmentées par ricochet ou obstacle.
Ces éclats ou assimilés ont une taille, un poids, une vitesse très variables, et un trajet
aléatoire. Un éclat est instable, rapidement freiné par l'air et tournoyant dans les milieux
rencontrés. La présentation à l'impact de ces éclats est généralement quelconque.
274
- Les engins explosifs ont été conçus afin d'augmenter le pourcentage d'atteinte d'un
organe vital, et tout a été fait pour obtenir une projection maximale de fragments susceptibles
d'aller le plus loin possible. Ainsi, un travail particulier au corps des enveloppes favorise la
production de multiples petits éclats. Quatre-vingt-quinze pour cent de ceux-ci ont un poids
inférieur à 0,5 g. Ces éclats sont à l'origine de polycriblages et de polyblessures qui posent
des problèmes médicaux difficiles. Dans des conditions de précarité, ces polycriblages,
souvent vus tardivement, sont généralement très infectés.
Certains de ces éclats, contenus dans le corps des engins, peuvent avoir une forme
bien définie : ce sont les billes et les fléchettes. Ces projectiles, conçus pour être projetés plus
loin que les fragments de métal, sont, à l'inverse de ces derniers, stables et leurs
caractéristiques balistiques sont bien connues.
Rappelons que les blessures par éclats, qu'elles soient de guerre ou civiles, sont
souvent accompagnées de brûlures thermiques et/ou chimiques, auxquelles se surajoutent des
lésions dues au blast et à la projection brutale du blessé à terre. Bien souvent il s'agit alors de
polytraumatisés graves.
Balles
Une balle est un des constituants d'une cartouche. Cette dernière est le plus souvent
composée d'un étui, ou douille, rempli de poudre mise à feu par la percussion de l'amorce de
la cartouche. À l'extrémité de cette cartouche est sertie la balle proprement dite. On
caractérise cette balle principalement par son calibre (et, pour les spécialistes, par son poids et
son type). Ce calibre correspond théoriquement au diamètre existant au fond des rayures du
canon qui tirera la balle. Il existe actuellement plusieurs centaines de calibres différents et les
normes utilisées sont très confuses (une tentative de standardisation européenne détermine le
calibre en multipliant le diamètre du projectile par la longueur de la douille).
275
Une balle est un projectile conçu pour être lancé dans une direction précise par
l'intermédiaire du canon d'une arme individuelle. Cependant, tout projectile cylindro-ogival
est instable ; c'est-à-dire que, obéissant aux lois de la balistique extérieure, il va avoir
tendance à culbuter en vol et surtout dès son arrivée dans un autre milieu. Pour qu'une balle
soit précise, on annule cette instabilité naturelle en volen lui imprimant un mouvement de
rotation par les rayures du canon. La rotation a pour effet de maintenir la balle dans son grand
axe, tout le long de son trajet. Dans les balles de guerre, nous le verrons plus loin, on cherche
à retrouver l'effet de capotage naturel de la balle dès son entrée dans le corps humain, en
agissant sur sa composition interne.
Outre son calibre que nous venons d'étudier, une balle se caractérise par :
- sa vitesse initiale : de 100 m/s pour un plomb de carabine à air comprimé, à 1 280
m/s pour le cal 220 Swift. Cette vitesse du projectile permet, avec son poids, de calculer
l'énergie cinétique : E = 1/2 MV2, Cependant, de nombreux auteurs parlent de projectile de
basse ou de haute vélocité, sans préciser le seuil de vitesse séparant ces deux types de balles.
En fait, il faut séparer :
• les publications civiles qui appellent balles à basse vitesse tout ce qui est tiré
par une arme de poing, un pistolet mitrailleur ou un fusil de chasse (< 450 m/s), et munitions
à haute vélocité tout ce qui est tiré par une arme d'épaule (entre 700 et 980 m/s),
• les publications militaires. Ici, certains adoptent la même classification que les
civils, mais d'autres ne qualifient de haute vélocité (à partir de 1962) que le calibre 5,56 mm
auquel a été attribué un pouvoir lésionnel considérable.
Insistons déjà sur une notion essentielle : l'augmentation de cette vitesse ne provoque
pas de lésions proportionnelles au carré de cette vitesse, car beaucoup d'autres paramètres
interviennent ;
- son poids, paramètre aussi important que la vitesse, est trop souvent oublié. Plus il
est élevé, plus le projectile, s'il reste stable, pénètre en profondeur dans le milieu. Ce poids
varie de 3 à 30 g ;
- sa forme, sa structure interne et sa composition qui permettent de différencier :
276
phénomène de refoulement temporaire éventuel, pulsatif (stretching), appelé cavitation
temporaire.
Nous décrirons ensuite l'effet calorique des projectiles.
Onde sonique
Lors de son trajet dans l'air, avant l'arrivée sur la cible, une balle est accompagnée
d'un train d'ondes aériennes. Si la cible est traversée, il se forme d'autres « ondes de choc
aériennes » à la sortie. Cette « onde de choc aérienne », très fugace, a une capacité de
transfert énergétique quasi nulle, à peine capable de craqueler du papier vernis. De nombreux
auteurs continuent cependant, depuis trente ans, à incriminer cette « onde de choc
prétendument explosive ». Cette conception, fausse, est malheureusement encore très
répandue.
277
- certains destinés à se fragmenter à une certaine profondeur, cas des balles des
carabines de grande chasse et des petites balles dites à haute vitesse de calibre 5,56 mm.
Nous traiterons des munitions de grande chasse qui combinent plusieurs effets et des
problèmes posés par les armes à canon lisse tirant des plombs de chasse et de la chevrotine
(Buckshot). Enfin, nous finirons par les munitions artisanales.
Tournoiement de l'éclat
Le tournoiement d'un éclat provoque une cavité de crush, relativement régulière, du
diamètre de l’éclat. Le freinage brutal de la part des parties molles est responsable de
cavitations temporaires successives, immédiates, chaque fois que l'éclat se retourne.
Rappelons que l'on retrouve un profil lésionnel semblable avec tout projectile assimilé aux
éclats, telles que les balles ayant ricoché ou tout autre projectile non aérodynamique.
Les plaies par éclats (comme celles par les balles) sont toujours contaminées, et de
formes très diverses. Tous les intermédiaires sont possibles entre le simple tunnel rectiligne
transfixiant, caractéristique des petits éclats modernes, et le délabrement majeur où
prédomine l'attrition, en général près de l'orifice d'entrée, type de l'éclat « ancien modèle ».
Ce dernier ajoute au stretching et au crushing le cutting, c'est-à-dire la coupure jusqu'en fin de
course qui peut léser nerfs et vaisseaux, à la différence des balles qui ont plutôt tendance, en
fin de trajet, à refouler les éléments devant elles.
Les éclats de forme définie, les billes, très stables, ont un trajet rectiligne jusqu'à ce
qu'elles rencontrent un obstacle dur qui les fait ricocher. Les fléchettes sont souvent placées
dans les bombes antipersonnel. Leur aérodynamisme et leur extrême stabilité leur confèrent
une portée beaucoup plus grande que les éclats. La fléchette, très stable, ne creuse qu'un petit
tunnel régulier qui n'est dangereux que si un organe vital est malheureusement concerné.
Dans le cas contraire, la cicatrisation est rapide et, en quelques jours les orifices d'entrée et de
sortie peuvent ne plus être retrouvés. En revanche, si la fléchette est tordue préalablement par
un ricochet, les dégâts tissulaires peuvent être beaucoup plus importants.
278
Retournement des balles de fusil blindées
Une balle blindée en rotation reste très stable dans l'air où elle est très peu freinée
grâce à sa forme aérodynamique et lisse. Elle a le même comportement dans les tissus mous
que dans l'eau ; la forme hydrodynamique d'un projectile en rotation le maintient en droite
ligne le plus longtemps possible sur une certaine distance, appelée neck.
279
devient un phénomène qui s'amplifie considérablement à mesure que le projectile se met de
profil. Le phénomène de cavitation induit par le freinage brutal de la balle réalise une cavité
temporaire. Celle-ci se forme en profondeur après un neck variable selon le projectile blindé
en cause. Ainsi, si on imagine une balle ayant un neck de 15 cm traversant une cuisse sans
toucher l'os, cette balle réalisera une simple transfixion car le phénomène de bascule ne
débutera qu'à la sortie de la cuisse.
Les fusils de guerre sont des armes d'épaule, longues, au fort recul, faites pour tirer
loin (400 m). Dans les régions pauvres, on rencontre encore des modèles de la guerre 1914-
1918 (Mauser et Lebel), des vieux fusils anglais (Lee Ensfield), américains (Garand) et
français (MAS) de la Seconde Guerre mondiale. Les fusils de guerre actuels sont en fait peu
différents des vieux modèles. Muni d'une lunette, ce sont aussi les armes que les snipers
(tireurs embusqués) ont utilisées à Sarajevo.
Les principaux calibres de ces balles sont le calibre 7,62 x 51 de la balle NATO qui
est le projectile d'arme d'épaule du bloc OTAN et son homologue soviétique, la balle de
calibre 7,62 x 54 Dragunov. Cette munition blindée, aussi appelée « 7,62 long », d'un poids
approximatif de 9 g, est lancée à 850 m/s. Le neck moyen est de 15 cm et la cavitation
temporaire importante (17 cm de diamètre en parties molles). Elle a des caractéristiques
balistiques comparables à celles des balles de la guerre de 1914-1918. Il n'est donc pas
étonnant de constater que les lésions par fusils de guerre rencontrées au cours des conflits
suivants (1939-1945, Indochine, Tchad, Iran-Irak, Yougoslavie, etc.) aient toutes des
caractéristiques lésionnelles très proches.
Les fusils d'assaut sont des armes d'épaule pouvant tirer en rafale. On distingue :
280
- les fusils de guerre automatiques, calibre 7,62 mm, qui ont un recul trop fort pour
tirer en rafale (ex. : FAL belge, HK allemand, M 14 américain, etc.) ;
- l'AK 47 soviétique et chinois qui est l'arme la plus répandue au monde (on l'estime à
plus de 50 millions d'exemplaires) ;
- l'AK 74 soviétique qui est la nouvelle version en petit calibre de ce fusil d'assaut.
C'est l'arme qui est en passe de concurrencer...
- le Coït M 16, américain, de calibre 5,56 mm que nous étudierons plus loin.
Les pistolets sont des armes de poing semi-automatiques tirant les mêmes munitions
que les pistolets mitrailleurs (ou mitraillettes). Les balles blindées d'armes de poing sont
courtes, plutôt arrondies, homogènes. Leur stabilité potentielle, associée à une faible vitesse,
peut les empêcher de se retourner en parties molles.
281
- le calibre 9 mm de la balle parabellum (1904). C'est encore le calibre le plus
employé par beaucoup d'armées et par la majorité des forces de l'ordre du bloc occidental
pour équiper leurs pistolets et pistolets mitrailleurs. La cartouche, quoique de petite taille,
contient une charge de poudre assez puissante pour envoyer une balle de 8 g à 350 m/s. Cette
munition présente un neck d'environ 15 cm pour basculer incomplètement une ou deux fois en
fonction de la longueur traversée. L'homologue soviétique est le Makarov 9 mm « court »
lancé à 326 m/s ;
- le calibre 7,65 mm de la balle Tokarev soviétique. Elle est moins lourde que son
homologue 9 mm. Lancée à 420 m/s, elle a cependant un comportement comparable dans les
parties molles ;
- le calibre 45 ou 11,43 mm (1905). Très apprécié des Américains (et des truands). La
balle, lourde (15 g) et de gros calibre, n'est lancée qu'à 270 m/s. Cette balle est si stable
qu'elle ne bascule pas et elle ne forme qu'un trou rectiligne. Cette munition présente donc
comme profil lésionnel un tunnel d'attrition régulier que le poids élevé de la balle porte à 70
cm. Néanmoins, cette balle de gros calibre (11,43 mm) creuse un tunnel quatre fois plus
important qu'une petite balle de 22 LR (5,5 mm).
282
« Champignonnage » des balles non blindées
Déjà cité par Delorme en 1893, lorsqu'il décrivait les lésions causées par les balles en
provenance de l'arsenal Dum Dum aux Indes, le « champignonnage » est un effet que l'on
recherche en concevant des projectiles qui s'écrasent dès l'impact pour augmenter leur
diamètre dans les parties molles. On doit, pour obtenir un « champignonnage », affaiblir
délibérément l'extrémité de la balle [absence de chemisage sur le nez, composition molle, trou
à son extrémité (hollow point)], qui se déforme alors en traversant des milieux même mous. Il
283
se produit alors un tunnel d'attrition de diamètre supérieur au calibre initial, proportionnel à
l'importance de l'écrasement de la balle. Le neck est ici très réduit.
- que cet effet peut aussi s'observer lorsqu'un projectile s'écrase partiellement en
traversant un milieu plus ou moins dur tel une porte, un pare-brise, une carrosserie, etc. ;
- que les balles conçues pour champignonner sont interdites par les conventions de La
Haye.
Elles ne devraient théoriquement être utilisées que par les forces de police et les
chasseurs. En fait, elles sont peu souvent utilisées, en général dans les conflits urbains ou au
cours d'affaires criminelles.
- la police et les forces de maintien de l'ordre utilisent le plus souvent des revolvers,
armes de poing munies d'un barillet, pour tirer ce type de munitions. Elles peuvent avoir
toutes les formes et compositions possibles (pointe molle, pointe creuse, balle fragmentable,
etc.). Le profil balistique lésionnel de ces balles, bien différent de celui des balles blindées,
est essentiellement celui du « champignonnage ». On retrouve principalement dans cette
catégorie de projectile :
• le calibre 38 Spécial (1902) qui est une balle de 8,1 à 10,2 g projetée à une vitesse de
220 à 350 m/s suivant les munitions, avec un faible recul (d'où son utilisation pour le tir
284
rapide et dans des petits revolvers de poche). Cette balle est depuis quelques années délaissée
au profit de la mythique et médiatique 357 Magnum,
• le calibre 357 Magnum (1935) est identique au 38 mais avec une cartouche
beaucoup plus puissante qui propulse le même projectile à 450 m/s. Ce calibre 357 Magnum
provoque une cavitation temporaire plus importante avec un trajet d'attrition de 36 cm en
moyenne. Par rapport à la 38 Spécial précédente, la balle de calibre 357 Magnurn provoque
une pénétration quasi équivalente mais le recul de l'arme est très fort, ce qui limite son
utilisation pour le tir à cadence rapide.
La munition de calibre 5,56 mm ou 223 Remington est connue depuis 1962, quand
l'armée américaine s'est équipée du fusil d'assaut Coït M 16. Aujourd'hui, ce calibre est
adopté par l'ensemble du bloc occidental (FAMAS français, SIG suisse, GALLIL israélien,
etc.).
Avec une balle de 3,5 g lancée à 980 m/s, les vilaines blessures causées lors des
combats au Viêt-Nam et au Liban par des balles de calibre alors mystérieux, allaient donner
naissance, faute de compréhension du phénomène, au mythe de « l'onde de choc des petits
calibres à haute vitesse ». Le pouvoir meurtrier de ce projectile n'est pas dû à une mystérieuse
onde de choc supersonique, mais à un effet de fragmentation associée. Il faut noter aussi que
cette fragmentation ne se produit que jusqu'à 120 m. Au-delà, le projectile bascule comme
une balle blindée ordinaire.
285
Les effets des balles de calibre 5,56 mm les plus courantes sont les suivants :
- la munition de calibre 5,56 x 45 de type M 193 OTAN est une munition blindée
(extérieurement) qui pèse 3,6 g pour une vitesse initiale de 960-990 m/s. La balle creuse en
partie molle un neck de 12 cm. Il s'agit là d'un neck moyen, celui-ci pouvant varier de 4 cm
(neck court) à 18 cm (neck long). Quoique rares, ces valeurs extrêmes peuvent expliquer des
observations fausses mais exprimées de bonne foi, en apparence contradictoires, qui ont pu
conforter l'idolâtrie de l'onde de choc ;
- enfin, la nouvelle balle de calibre 5,56 mm, dite SS 109 (code OTAN M 855), est
légèrement plus lente (925 m/s), plus lourde (4 g), plus stable en vol et capable de percer un
casque US à 600 m. En revanche, elle a un neck moyen abaissé à 10 cm et un pourcentage de
fragmentation augmenté à 50 %, ce qui la rend encore plus dangereuse que l'ancienne 5,56
mm. Notons que cette nouvelle munition ne se stabilise qu'à 80 m. Sur des distances courtes,
cette balle, non encore stabilisée, arrive franchement de biais, ce qui explique un orifice
d'entrée ovalaire pouvant être confondu avec un orifice de sortie.
Munitions de chasse
286
légères, en général moins chères que les luxueuses carabines de grande chasse, on peut en
distinguer plusieurs types :
• le fusil juxtaposé où deux canons se situent l'un à côté de l'autre. C'est le fusil de
chasse classique, jadis le plus utilisé,
• le fusil superposé, plus lourd, où les deux canons sont l'un au-dessus de l'autre. C'est
aussi le fusil du bail trapp,
• les armes à un seul canon. Ce sont des armes semi-automatiques ou à répétition
manuelle comme le « fusil à pompe » ou fusil anti-émeute américain (Riot Gun). Ces armes
sont très dangereuses à courte distance, et leur emploi fréquent constitue un véritable fléau
aux États-Unis (Buckshot wounds) ;
- une mesure spécifique est affectée aux calibres des fusils de chasse à canons lisses.
Pour tirer une charge de plomb ou une balle pouvant aller jusqu'à 420 m/s, on peut distinguer
le calibre 10 (19,68 mm), le calibre 12 (18,54 mm), le plus utilisé, les calibres 16, 20, jusqu'au
calibre 410 américain. Les projectiles sont :
• du plomb, numéroté en France de 4 zéro (le plus gros) jusqu'à 11 (le plus petit).
Lorsque le nombre de plombs par cartouche est inférieur ou égal à 28 pour le calibre 12, il
prend le nom de chevrotine,
• des balles, de caoutchouc (anti-émeute), de plomb ou d'acier de différentes formes
pour canon lisse, appelées aussi « balles à sanglier ». Ces projectiles (Brenneke, Blondeau,
Prévost, etc.) sont très meurtriers jusqu'à plus de 200m;
- très fréquemment rencontrés, ces projectiles plus ou moins groupés selon la distance
obéissent à la loi du « tout ou rien » selon qu'ils sont pénétrants ou pas. De près, ils peuvent
causer un volumineux cratère de 10 cm de diamètre. Ces plombs sont séparés de la charge de
poudre par une bourre (liège, carton pressé, plastique, feutre graissé) qui pénètre dans le corps
lorsque l'on tire à courte distance (3-4 m). Ces bourres ne sont pas radio-opaques et, gorgées
de sang, elles sont fréquemment ignorées des chirurgiens qui n'ont pas été avertis de la
composition de la munition. Le diagnostic est alors évoqué devant une suppuration post-
opératoire tardive, traînante, due à ce corps étranger radiotransparent.
287
Munitions artisanales
II s'agit de projectiles artisanaux (balle de plomb ou morceau(x) de ferraille tiré(s)
avec un fusil de fortune) bricolés par des terroristes ou des combattants trop pauvres pour
acheter une arme. Ces armes peuvent aussi éclater dans les mains de leurs utilisateurs (plaies
graves de main, du visage, etc.).
Ces projectiles, sans formes définies, ont les mêmes effets mutilants que des gros
éclats. Ils sont le plus souvent tirés comme grenaille, réalisant un poly-criblage plus irrégulier
que les fusils de chasse. Ce type de munition tend à disparaître dans les conflits du tiers-
monde pour être remplacé par des balles le plus souvent militaires.
288
Le facteur majeur est la valeur fonctionnelle de chaque organe
Quel que soit le type de projectile, s'il touche une structure essentielle de l'organisme,
comme un gros vaisseau, le cœur, ou une région cérébrale stratégique, il met tout de suite en
jeu le pronostic vital. Si les atteintes par éclats peuvent atteindre de manière aléatoire
n'importe quelle partie de la surface corporelle d'un être humain, tel n'est pas le cas des balles:
- celles-ci sont potentiellement plus dangereuses pour les organes profonds que les
petits éclats qui sont, en général, moins pénétrants ;
- les tirs par balles sont quelquefois ajustés. L'agresseur vise alors le plus souvent le
corps, parfois la tête.
L'élasticité des tissus est variable lorsque se crée la cavité temporaire. Chaque
tissu mou de l'organisme a un coefficient d'élasticité qui lui est propre.
- Les tissus tels que le muscle, le poumon, l'intestin vide, sont élastiques et capables «
d'absorber » une cavité temporaire sans retentissement physiologique majeur. À refoulement
tissulaire égal, ces milieux vont « encaisser » l'impact ;
- à l'opposé, certains tissus peu élastiques tolèrent mal, voire pas, le refoulement
tissulaire de la cavité temporaire même quand le trajet du projectile ne les concerne pas
directement. Ce sont essentiellement les parenchymes tels que le foie, la rate, les organes
creux en état de réplétion (estomac, vessie, utérus, etc.). Par exemple, pour un même
projectile, un estomac peut n'être que transfixié de part en part s'il est vide, alors qu'il peut
éclater s'il est plein sous l'effet d'une cavitation temporaire.
289
Obstacle situé avant la cible
L'interposition d'un obstacle avant l'arrivée sur un milieu déstabilise le projectile.
- Les balles prévues pour basculer voient leur neck d'autant plus diminué que
l'obstacle préalable est résistant ;
- les balles qui champignonnent peuvent perdre leur forme, voire déjà se fragmenter ;
- les balles qui doivent fragmenter le font de façon plus précoce en réalisant un cône
de destruction plus élargi.
290
- dans l'organisme, les fragments osseux (mélangés éventuellement à des fragments de
projectile) constituent des éclats secondaires responsables chacun d'une attrition tissulaire
supplémentaire. Dans les statistiques civiles, on
Toute suspicion d'une atteinte osseuse impose des radiographies, afin de rechercher
une fragmentation du projectile associée à des débris osseux. Tous les intermédiaires sont
possibles entre un os mince ne modifiant ni le trajet, ni le comportement lésionnel d'une balle,
et une masse osseuse très dure, fracassée, responsable de la fragmentation d'un projectile qui
ne serait pas survenue en l'absence de contact osseux.
En fait, ce problème du contact osseux prend toute son importance quand l'os est très
proche de structures anatomiques importantes (crâne, face, os des membres à proximité de
vaisseaux ou de nerfs).
Revêtement cutané
L'examen de la peau, très élastique, peut avoir valeur médico-légale et permet
d'apprécier les dégâts survenus en profondeur. Si elle est possible, la description soigneuse
des orifices avant nettoyage et intervention chirurgicale est essentielle.
Orifice d'entrée
II est rond ou ovale pour les balles, irrégulier pour les éclats ou les balles qui ont
ricoché. Plus rare, si le tir est à bout touchant (appuyé) et s'il existe un plan osseux dur sous-
cutané (crâne), l'orifice d'entrée peut être étoile, éclaté, car la poudre et les gaz s'accumulent
sous les téguments. La confusion avec un orifice de sortie devient alors possible. Les orifices
d'entrée des balles présentent souvent une collerette d'essuyage dessinée par le projectile qui
s'est frotté contre la peau en laissant ses impuretés, et une collerette érosive qui correspond à
291
la distension de la peau lors de la traversée de la balle. La poudre de l'arme peut se déposer
autour de l'entrée (tatouage, incrustations, variables selon la distance et l'orientation du tir).
Orifice de sortie
Étoile, de taille variable, il dépend de la présentation du projectile à la sortie du corps.
Si celui-ci se présente de face ou par l'arrière, l'orifice de sortie est petit et étoile. S'il est de
travers, fragmenté ou si un os résistant vient d'être pulvérisé (membres et racines de membres
surtout), il existe un gros orifice de sortie en forme de cratère.
Orifice infecté
Cette circonstance, fréquente du fait des délais souvent importants d'évacuation,
empêche toute différenciation de l'orifice.
Extrémité céphalique
Le crâne et la face ont en commun d'être une mosaïque de pièces osseuses hétérogènes
et de parties molles. La juxtaposition de ces milieux différents explique pourquoi, à quelques
millimètres près, les résultats lésionnels peuvent, à projectile égal, être très différents.
Crâne
Le crâne est fait d'os de dureté hétérogène. Une partie du pronostic dépend de la
résistance de l'os au point d'entrée du projectile :
- si l'os est peu épais, et donc peu résistant, le projectile suit un trajet rectiligne (pour
ricocher éventuellement dans la boîte crânienne). L'os temporal, les sinus de la base du crâne
(entrée frontale ou intrabuccale) laissent facilement passer les projectiles ;
- si l'os est très dur, le projectile le fracasse, occasionnant une projection de fragments
osseux qui vont se comporter comme des projectiles secondaires, responsables d'une
aggravation des lésions sous-jacentes.
En cas de blessure par balle, quelle que soit la dureté de l'os, deux variétés
lésionnelles peuvent se rencontrer, isolées ou associées :
292
Phénomènes immédiats propres au contenu cérébral :
- la présence d'éléments vitaux et réflexogènes. Dans certaines zones cérébrales, la
plus petite transfixion entraîne une mort rapide (tronc cérébral, diencéphale, gros vaisseaux,
etc.) ;
- toute cavitation temporaire importante se traduit, pour le cerveau, par des lésions
majeures très souvent incompatibles avec la vie. Au maximum, comme on peut parfois
l'observer, il y a véritable éclatement du crâne (suicide par coup de fusil de chasse
intrabuccal) ;
- secondairement, l'œdème et l'hématome, dans une cavité close, vont rapidement
décompenser une situation déjà grave, en provoquant une hypertension intracrânienne. Là est
la principale cause des décès dans les heures qui suivent la blessure. Le meilleur facteur
pronostique des plaies cranio-cérébrales par projectiles est donc l'évacuation le plus
rapidement possible des hématomes. Le blessé a déjà été l'objet d'une sélection quasi naturelle
lorsqu'il a survécu quelques jours, voire quelques semaines après la blessure initiale. Le
problème posé alors est essentiellement celui du parage d'une ou de plusieurs plaie(s)
constamment suppurées.
Au total, un blessé par projectile intracrânien reçu en urgence présente des dégâts
cérébraux définitifs le long du trajet du projectile avec, parfois, une collection hématique et
œdémateuse débutante, prémice d'une hypertension intracrânienne irréversible. Deux facteurs
majeurs guident la conduite à tenir et influent sur le pronostic :
Face et œil
La face, milieu ouvert, hétérogène, bien vascularisé, abrite des cavités septiques
entourées de parties molles se défendant très bien contre l'infection.
293
face par chevrotines, l'urgence est l'intubation immédiate. Plutôt qu'une intubation rétrograde
difficile, la coniotomie permet de gagner un temps précieux avant une trachéotomie réglée ;
- une atteinte d'un gros vaisseau ou d'une collatérale généreuse peut nécessiter une
ligature de la carotide externe si un tamponnement appuyé et prolongé est inefficace.
L'œil obéit à la loi du « tout ou rien ». Il est en général perdu s'il est touché.
Tout autre est le devenir des éclats ou des balles expansives civiles susceptibles de
couper et/ou créer une cavité temporaire dans une région étroite et peu extensible, à l'origine
de phénomènes compressifs graves, par hématome et œdème.
La conduite à tenir en présence des plaies du cou par projectile n'est pas encore
déterminée avec précision. Certains préconisent une exploration systématique, d'autres un
attentisme « armé » dans lequel on n'intervient que sur des arguments cliniques évolutifs et en
fonction des résultats d'explorations complémentaires sophistiquées.
Région thoraco-abdominale
Les plaies du tronc par projectiles sont particulièrement graves pour les raisons que
nous avons exposées plus haut (abondance d'organes vitaux). La région thoraco-abdominale
présente deux caractéristiques. D'une part, il y a prépondérance de parties molles, qui vont
plus ou moins suivre les lois du profil lésionnel avec un coefficient de résistance des tissus
très variable ; d'autre part, si le projectile a pénétré sur une grande distance, des balles
blindées d'armes d'épaule au neck long peuvent complètement se retourner et réaliser alors
des lésions très importantes. Les trajets sont souvent thoraco-abdominaux (25 %), mais nous
séparerons ces deux régions dans un but didactique.
294
- habituellement, quand une côte est touchée, elle se casse avec un défect en emporte-
pièce accompagné de fragments osseux projetés localement. L'atteinte d'une côte est
susceptible de déstabiliser précocement certains projectiles et d'aggraver les lésions en aval ;
- la souplesse des côtes (surtout chez le sujet jeune) fait dévier en dehors ou en dedans
de nombreux projectiles pour peu que l'incidence soit tangentielle (plaie en séton). Ceci est
particulièrement net dans les polycriblages par plombs de chasse où ces derniers glissent sur
le gril costal. En revanche, un projectile tangentiel peut transmettre un choc très violent et
bref, responsable d'une contusion pulmonaire grave ;
- les espaces intercostaux n'offrent aucune résistance aux balles. La lésion d'un
pédicule intercostal est souvent hémorragique, et peut donner lieu à un hémothorax
volumineux.
Plèvre et poumons
Tout projectile qui pénètre dans le thorax lèse systématiquement la plèvre et le
poumon. Certaines lésions volumineuses, comme celles provoquées par une décharge de
chevrotines à bout portant par exemple, peuvent provoquer un thorax soufflant. Aux
urgences, ce type de lésion est aussi spectaculaire qu'exceptionnel. Il ne faut pas obturer
hermétiquement, mais laisser l'air sortir (pansement à trois sparadraps).
Le poumon est très mou, élastique ; il oppose peu de résistance aux projectiles. Les
necks sont donc spontanément allongés et le refoulement tissulaire bien amorti. C'est le
retentissement des lésions vasculaires ou aériennes éventuelles qui détermine ici le pronostic.
Une décharge de chevrotines, ou une fragmentation importante peut cependant entraîner une
attrition volumineuse nécessitant une résection parenchymateuse.
Les voies aériennes et l'œsophage se comportent comme les organes creux. Leurs
lésions ne sont, en général, jamais isolées et elles s'accompagnent d'un hémopneumothorax.
Dans le thorax supérieur, les lésions de la trachée sont le plus souvent associées à des
atteintes de l'œsophage, à l'origine d'un emphysème médiastinal et d'un hémomédiastin. Une
médiastinite d'installation rapide est quasi constante. L'œsophage, très élastique, résiste bien à
l'expansion car il « fuit devant la balle ». Cette élasticité, comme pour la peau, explique, lors
de trajet transfixiant, la présence de très petits orifices d'entrée ou sortie qui échappent
souvent à l'endoscopie. C'est parfois seulement devant un tableau de médiastinite gravissime
que l'on évoque une perforation de l'œsophage.
295
En résumé, les plaies thoraciques restent graves. Le pronostic peut être amélioré par la
mise en place, dès le ramassage des blessés, d'un drain thoracique avec valve anti retour et
poche à autotransfusion pour évacuer un hémopneumothorax en formation, et éviter une
décompensation cardio-respiratoire pendant l'évacuation.
Abdomen
La cavité abdominale se compose :
- du péritoine. Le problème qui se pose parfois est de savoir s'il y a pénétration ou non
de cette barrière chirurgicale du « ventre mou ». Une technique simple, en cas de doute et si
le temps presse, est l'exploration au doigt ganté d'un orifice suspect. Les règles de la chirurgie
de guerre imposent cependant la laparotomie devant toute suspicion de plaie pénétrante. Si, à
la radiographie, on retrouve un projectile fragmenté, il faut craindre des lésions étendues ;
- d'organes peu tolérants à l'expansion, comme le foie ou la rate, que l'on peut
considérer comme des organes vitaux, car leur atteinte est souvent létale chez le blessé de
guerre. Au niveau du foie, une blessure provoque une hémorragie, voire un éclatement local
en cas de cavitation temporaire responsable d'une hémorragie interne de pronostic très
sombre.
- d'organes très élastiques, mais de façon variable selon leur état de vacuité ou de
réplétion comme les anses grêles, le côlon ou l'estomac. Le contenu des anses peut se
répandre dans la cavité abdominale à l'origine d'une péritonite. Il faut séparer :
Région rétropéritonéale
Les plaies balistiques urétéro-rénales se caractérisent par la fréquence des lésions
associées (foie, rate, côlon, vertèbre, etc.) qui font toute la gravité du pronostic, les plaies
rénales isolées étant rarement mortelles. Soupçonnée par la reconstitution théorique du trajet
du projectile, l'atteinte rénale est souvent découverte lors d'une laparotomie en urgence après
exploration d'un volumineux hématome rétropéritonéal. Les reins supportent mal une
cavitation balistique, et leur atteinte rend habituellement nécessaire une néphrectomie plus
souvent totale que partielle. Les uretères, fuyant le projectile, sont rarement directement
touchés. En revanche, ils sont fragiles et sensibles à une cavitation temporaire violente, très
proche du trajet du projectile. La blessure se manifeste alors par une chute d'escarre
secondaire.
296
Le pronostic des atteintes de l'aorte thoraco-abdominale est aussi sévère
que les plaies du cœur. Les blessures de la veine cave inférieure, jamais isolées, se révèlent
par un collapsus dans un cas sur deux seulement, du fait de l'hémostase compressive
provoquée par un volumineux hématome rétropéritonéal (le système porte n'a pas cette «
chance »). En fait, ces lésions sont rarement vues en urgence, car elles sont le plus souvent
mortelles d'emblée. Si le patient arrive vivant, le pronostic reste encore très sombre et il est
d'autant plus grave que la lésion est haut située, avec 30 % de mortalité pour les blessures de
la veine iliaque primitive, et jusqu'à 80 % pour les veines sus-hépatiques, en raison des
lésions des organes de voisinage et du temps nécessaire pour leur contrôle chirurgical.
Plaies abdomino-pelvi-fessières
Dans cette région il existe de très nombreux éléments défavorables responsables de
complications hémorragiques et infectieuses. Les projectiles sont déstabilisés et/ou
fragmentés par un entourage osseux très dur, les blessures colorectales sont très septiques,
avec des germes virulents, en particulier anaérobies. Ces germes colonisent d'importantes
masses musculaires contuses et de graisse. Cet ensemble de facteurs péjoratifs est à l'origine
de complications infectieuses secondaires gravissimes si le patient a survécu au choc
hémorragique. En effet, ce dernier est particulièrement fréquent car il existe dans cette région
une vascularisation artérielle et veineuse importante. Ces lésions s'accompagnent
d'hémorragies diffuses avec choc hémorragique sévère, souvent réfractaire aux moyens de
réanimation même modernes.
Plaies vertèbre-médullaires
Les plaies vertébro-médullaires sont des blessures de guerre peu fréquentes (0,25 à 5
%). Ce faible pourcentage de survivants s'explique par l'extrême gravité de ce type de lésions.
Ainsi, en cas d'afflux massif de blessés, les plaies vertébro-médullaires ne sont pas
sélectionnées lors du triage (s'ils ont survécu aux lésions associées). On distingue plusieurs
mécanismes lésionnels.
297
externe par corset ou minerve si le rachis est instable. Dans les lésions médullaires hautes,
l'atteinte des centres respiratoires impose une trachéotomie rapide ;
- le pronostic, demeuré effroyable pendant des siècles, a été bien amélioré par les
méthodes modernes de réanimation. Quand elles existent, les lésions associées, traitées en
priorité, guérissent en général sans séquelle mais l'atteinte de la moelle est responsable d'une
para- ou d'une quadriplégie définitive s'il y a eu section médullaire. Il est impossible, sauf
constatation per-opératoire d'une section franche, de déterminer dans l'immédiat le pronostic.
En fait, celui-ci reste pratiquement toujours très sombre sur le plan fonctionnel, même si
quelques cas de récupérations partielles inespérées ont été décrits.
Le pronostic est cependant bien meilleur pour les plaies de la queue de cheval, en
dessous de Ll, les racines « fuyant en souplesse » l'agression du projectile.
Les statistiques de guerre font ressortir une mortalité très basse des plaies de
membres. Actuellement se pose encore le problème de l'amputation, même si la hantise de la
gangrène gazeuse mortelle a disparu avec les progrès de l'antibiothérapie, du fixateur externe
et des techniques de réparation vasculaire en urgence.
Axes vasculo-nerveux
Les artères sont très souples et très résistantes, du moins chez le sujet jeune. Leur
capacité d'« encaisser » l'effet de distension brutale d'une cavité temporaire est importante.
Quand bien même il se produirait des lésions intimales ou de la paroi, l'expérience des séries
cliniques et artériographiques à long terme montre qu'il y a le plus souvent guérison
spontanée de l'artère lésée. Il faut donc soigneusement palper les pouls et, si ces examens sont
réalisables, ne pas hésiter à pratiquer un Doppler ou une artériographie avant de décider une
exploration chirurgicale.
Les nerfs, peu fragiles, sont en général épargnés, sauf s'ils sont directement lésés par
le projectile, ou s'ils se trouvent refoulés par une cavité temporaire violente, à proximité
immédiate du trajet. Les nerfs récupèrent parfois rapidement après une période de sidération
immédiate, parfois au bout de plusieurs mois, quel que soit le type de projectile. À l'inverse,
des atteintes neurologiques plus tardives sont possibles, si le nerf est engainé au sein d'une
fibrose péri-neurale organisée.
Os
Comme pour le crâne, l'atteinte directe de l'os par le projectile peut être lourde de
conséquences.
298
faits d'un broyât d'os, de muscles à l'origine d'un fracas ouvert peuvent être très volumineux
(Fig. 13.14). Les fixateurs externes ont nettement amélioré la prise en charge des lésions
osseuses, mais il en va tout autrement de l'atteinte des axes vasculo-nerveux. Même si ces
éléments résistent relativement bien à une cavité temporaire, leur atteinte met en jeu la vitalité
du membre. Ce sont en général les lésions du nerf qui, en fin de compte, font le pronostic
fonctionnel.
Il faut « traiter la plaie et non l'arme qui a tiré ». Ce principe s'applique pour tous les
tissus (vaisseaux, intestin, muscle, etc.), quel que soit le projectile. Il faut retirer
soigneusement toute souillure (débris de terre, de vêtements, de projectiles... et ne pas oublier
de chercher une bourre radiotransparente de cartouche de chasse). Il faut abandonner la
classique « loi des 4 C » (couleur, contractibilité, consistance, pouls capillaire), et enlever les
débris détachés (par des irrigations de sérum) et les tissus qui semblent manifestement
nécrosés. Dans le doute, il convient généralement de laisser le tissu suspect, et les limites de
ce doute restent, en dernier ressort, du seul jugement du chirurgien. Il faut rester très
conservateur vis-à-vis des esquilles osseuses et n'enlever que les plus petites qui sont
dévascularisées.
Les gros fragments, même libres, doivent en revanche être conservés car ils se
comporteront comme un greffon. Le drainage doit être généreux, et il ne faut pas fermer les
orifices. Ainsi, sous antibiothérapie systématique, Mère nature fera tranquillement le tri entre
le vif et le mort qui s'évacuera par des drains efficaces. Cette méthode sage nécessite souvent
des parages itératifs lors des pansements pratiqués sous anesthésie générale.
Conclusion
L'étude de la balistique lésionnelle soulève encore bien des passions
En voulant simplifier, la balistique lésionnelle pourrait se résumer à cet aphorisme : «
La gravité de la blessure dépend plus du type d'organe touché que du type de projectile
vulnérant ». Retenons pour conclure que :
- le blessé de guerre est avant tout un blessé par polycriblage par des petits éclats
responsables de polyblessures ;
- il n'y a pas, d'une part, de balles à haute vitesse responsables de « dégâts explosifs »
avec lésions à distance par une onde de choc, et, d'autre part, toutes les autres balles. Il n'y a
que des projectiles conçus pour un usage précis obéissant à des lois de bio-mécanique
lésionnelle en milieu homogène mou. La plupart des plaies par balles actuelles sont encore
causées par l'AK 47 Kalashnikov et, depuis longtemps, on peut aussi se procurer des armes
tirant des balles de calibre 5,56 mm qui se fragmentent. Très certainement, les plaies par la
nouvelle balle de calibre 5,45 mm qui bascule précocement devraient se multiplier.
299
L'attitude devant les plaies par projectile dépend du délai
d'évacuation et de l'équipement dont on dispose sur place
Le plus rationnel devant une plaie par projectile est d'avoir une attitude réglée et
souple, sans a priori, quel que soit le type d'agent vulnérant :
300
Chirurgie et terrorisme
J.-L. PAILLER
« Le terrorisme est une des données de base de la guerre politique de notre temps. » (R.
Marcellin)
Le terrorisme, comme celui qui s'est abattu par vagues à Paris, crée des situations et
pose des problèmes particuliers que nous allons tenter de décrire ici.
Enfin, nous donnerons un aperçu des suites et des séquelles de ces blessures, avec les
différents problèmes d'indemnisation qui se posent.
Terrorisme
Le terrorisme n'est pas un phénomène nouveau mais il a connu un essor tout
particulier avec les événements en Europe et au Proche-Orient, pour atteindre de nos jours
une dimension internationale qui a fait dire de lui qu'il allait devenir la troisième guerre
mondiale.
Définition
Le terrorisme consiste pour un ou plusieurs individus à peser sur le cours des
événements par la violence, dans le but de provoquer la mort. Plus que l'acte terroriste en soi,
son objectif est l'impact médiatique qu'il peut avoir.
La victime est autant le messager que la cible car c'est au bout du compte des
gouvernements qu'il faut faire fléchir, en visant l'opinion publique qu'il faut terroriser.
Actuellement il vise le plus souvent les citoyens, véritables détenteurs du pouvoir dans les
démocraties modernes, grâce au relais des médias. C'est tellement vrai que le terrorisme est
quasiment absent des pays où la liberté de presse n'existe pas.
Depuis 1980, on doit déplorer sur le territoire national environ 200 morts (sans
compter les 58 tués du contingent français de Beyrouth) et plus de 1 000 blessés.
301
Nous aborderons ici essentiellement le problème de l'attentat aveugle car c'est lui qui
nécessite une organisation rationnelle des secours.
L'attentat a toujours lieu de façon délibérée dans un quartier populaire, dans un lieu
public, à une heure de grande affluence, pour entraîner un, maximum de victimes et de
dégâts, et créer la panique.
Les victimes sont le tout-venant des piétons. Loin d'être des combattants des champs
de bataille, elles sont souvent des femmes et des enfants (majoritaires dans l'attentat de la rue
de Rennes).
Très rapidement, en quelques minutes les équipes de secours, les services de police et
les équipes de presse arrivent sur le site de l'attentat, et la suite des événements se déroulera
en permanence sous l'œil des caméras.
Les conditions de travail des équipes de secours sont alors particulièrement difficiles :
le grand nombre de victimes, l'encombrement des lieux, l'affolement des curieux, les
difficultés de circulation, rendent compte de la nécessité absolue d'une parfaite organisation
de la chaîne des secours. À cet attentat parfaitement préparé doit répondre une riposte
institutionnelle qui a été elle aussi minutieusement préparée, ne laissant aucune place à
l'improvisation.
Dans les grandes villes, les services concernés (sapeurs-pompiers, SAMU, police
secours) sont en relation permanente par le biais de leurs régulateurs, et par liaison radio.
Les soins aux blessés, comme en chirurgie de guerre, comportent trois étapes :
ramassage, mise en condition et évacuation.
Ramassage
II vise à regrouper tous les blessés vers le centre de tri. Il se fera sous la direction d'un
médecin qui fixe les priorités et dirige une équipe de brancardiers. Dès ce stade devront
intervenir une identification des blessés et un premier triage.
- L'identification d'un blessé dans ces conditions est parfois problématique, et l'on
devra alors l'étiqueter, lui, ses affaires et ses prélèvements ;
302
- le triage et la catégorisation sont ici plus simples qu'en temps de guerre car tous les
blessés sont rapidement pris en charge. Il importe, pour éviter la surcharge du centre de tri, de
distinguer les blessés graves de ceux qui ne le sont pas. Ce triage primaire grave/pas grave est
assuré dans des conditions d'urgence, bien souvent peu sereines.
Mise en condition
Minime pour les blessés légers, elle doit être rapide et permettre de maintenir les
fonctions vitales chez les plus gravement atteints. Ces gestes de sauvetage ou de réanimation
doivent répondre aux deux situations de détresse classiques :
C'est également au centre de tri que pourra être institué le traitement antibiotique
initial en prévention de la gangrène gazeuse.
Un geste particulier peut être nécessaire en cas d'ensevelissement sous les décombres
d'un bâtiment : l'amputation de désincarcération.
Évacuation
Elle ne peut être envisagée que lorsque l'hôpital d'accueil est prévenu et le transport
possible et sans danger.
Le directeur des secours médicaux, par l'intermédiaire des régulateurs et des moyens
radio, doit trouver absolument une place dans un hôpital pour chaque blessé. Pour cela, il doit
pouvoir fournir en quelques instants des détails sommaires sur la gravité des blessures et que
l'hôpital d'accueil soit apte à prendre en charge ce polyblessé.
L'état du blessé et l'heure d'arrivée prévue sont indiqués. Il faut alors évaluer l'état du
blessé et le temps dont on peut disposer jusqu'à l'arrivée à l'hôpital. On peut alors définir
quelle est la meilleure modalité de transport en fonction de la gravité, de l'éloignement, des
disponibilités. Là, comme en temps de guerre, le moyen de transport le plus efficace pour les
blessés lourds est peut-être l'hélicoptère médicalisé. Le directeur des soins médicaux doit
impérativement avoir des compétences en réanimation chirurgicale.
303
Traitement à l'hôpital
À l'arrivée à l'hôpital, dûment prévenu, il faut que l'équipe d'accueil, compétente,
suffisamment nombreuse et équipée du matériel nécessaire, soit prête. En règle générale les
possibilités de traitement sont suffisantes mais il ne faut pas saturer les services d'accueil par
évacuation d'un nombre excessif de blessés, même légers. C'est ici que le régulateur joue un
rôle essentiel. D'après notre expérience, une solution généralement satisfaisante est d'adresser
les blessés lourds dans un centre (en s'assurant qu'ils pourront être accueillis) et les blessés
légers dans un autre.
- définir les priorités, organiser l'équipe et préciser l'action de chacun, prévoir les
locaux et en particulier les salles d'opération, et désigner les personnels de transmission. Une
équipe constituée de deux infirmières-anesthésistes, deux chirurgiens, deux anesthésistes-
réanimateurs, semble idéale ;
- identifier les blessés, éventuellement en les numérotant.
Dès l'arrivée à l'hôpital un nouveau bilan s'impose, mais sans qu'il y ait interruption
des soins commencés sur le site de l'attentat et pendant le transport. Il faut ici insister sur
l'impérative nécessité d'une coordination étroite entre réanimateur de terrain et réanimateur
hospitalier.
Types de blessures
Les blessures des victimes d'attentat sont parfois extrêmement sévères, ce qui les a fait
comparer aux blessures de guerre.
Les lésions multiples sont habituelles, tant dans leur localisation que dans leur nature,
et ce d'autant plus que le blessé était proche du site de l'explosion :
- plaies projectilaires ;
- brûlures ;
- lésions par blast ;
- éventuellement écrasement ;
- voire une ou plusieurs amputations traumatiques.
Le cumul de ces lésions rend compte de la gravité de l'évolution immédiate. Le décès
immédiat peut être dû :
- à une hémorragie massive ;
- à l'asphyxie ;
- à un traumatisme cranio-facial majeur ;
- ou à une contusion myocardique et pulmonaire par blast.
Les traumatismes thoraciques graves font courir des risques très rapides de détresse
circulatoire et respiratoire faisant de ces blessés des « morts en sursis ». L'existence de ce type
de blessés, inconnus sur les champs de bataille, s'explique par la précocité et l'efficacité de la
réanimation immédiate. Pour optimiser la prise en charge de ces blessés multiples, recourir à
une échelle de gravité est particulièrement utile.
Aux États-Unis, une telle échelle existe depuis quelques années pour quantifier
l'importance des blessures des accidents de circulation. À partir de cette cotation des lésions
304
AÏS on peut calculer pour chaque blessé un score de sévérité ISS qui, lui, tient compte des
trois lésions les plus graves. Ces scores permettent de déterminer un pronostic chez des
blessés présentant des lésions différentes. On a pu constater qu'ils étaient bien corrélés avec la
fréquence des décès et que, utilisés a posteriori, ils permettaient d'apprécier l'ampleur d'un
attentat donné. Recourir systématiquement à ces scores devrait permettre d'améliorer la prise
en charge de ces blessés et d'analyser plus rationnellement les conséquences des attentats.
Anatomie pathologique
Nous avons retenu cinq types lésionnels.
- le polycriblage « superficiel » dans lequel les lésions sont toujours très étendues en
surface ;
- le polycriblage « profond », qui concerne les blessés proches du lieu de l'explosion.
Les projectiles dispersés sont animés d'une grande énergie et peuvent déterminer
plusieurs plaies pénétrantes, dont la gravité dépend de leur profondeur mais surtout de leur
localisation. Ainsi, les lésions cranio-faciales, hémorragiques, asphyxiques, sont gravissimes
tant dans l'immédiat que dans les suites. Les lésions thoraco-abdominales pénétrantes sont
responsables de thorax soufflants, d'éviscérations, de lésions hémorragiques. Les lésions par
projectiles des parties molles des membres sont souvent étendues et d'emblée infectées. Le
risque de gangrène est maintenant bien contrôlé avec l'utilisation judicieuse des antibiotiques,
mais l'ostéite reste un problème préoccupant.
Blast primaire
Le blast primaire atteint les organes hétérogènes contenant de l'air, et donc tout
particulièrement la sphère ORL. La perforation tympanique est la lésion classique du blast
aérien (quasi constante chez les blessés proches de l'explosion). Le larynx ébranlé par l'onde,
peut, lui, présenter des pétéchies qui sont un signe d'alarme devant faire systématiquement
rechercher un blast pulmonaire.
Le blast pulmonaire représente une lésion, non par surpression, mais d'impaction de la
paroi thoracique brusquement comprimée sur son contenu. Il s'ensuit une contusion
pulmonaire sur laquelle on peut parfois distinguer l'empreinte des côtes ; cette contusion
pulmonaire, en fait assez rare, peut aller de simples pétéchies superficielles à l'hépatisation
complète des poumons avec possibilité de pneumothorax et de ruptures artério-veineuses.
305
Le blast abdominal intéresse les viscères digestifs creux contenant de l'air et peut
provoquer des hématomes intramuraux, voire des déchirures-dilacérations plutôt que de
véritables perforations à 1'emporte-pièce. Les lésions sont plus fréquentes au niveau du
caecum et du rectum (un des blessés de l'attentat de Mark & Spencer présentait une lésion de
ce type).
Enfin, le scrotum s'avère très exposé et nous avons rencontré deux cas d'émasculation
par blast.
Lésions d'écrasement
Ces lésions s'observent après l'effondrement d'un bâtiment soufflé par l'explosion.
Nous ne décrirons ici que les lésions par écrasement compatibles avec la survie.
Brûlures
Les brûlures sont très fréquentes chez ce type de blessés.
Amputations traumatiques
Les explosions au cours d'attentats peuvent provoquer de véritables arrachements de
membre par effet de souffle. Elles concernent le plus souvent les blessés proches de
l'explosion, et l'atteinte de plusieurs membres est malheureusement habituelle.
Ces lésions sont très hémorragiques, provoquant des chocs rapides, et les blessés ne
pourront gagner l'hôpital que si les gestes d'hémostase (garrot) ont été rapides et efficaces.
306
Moyens d'investigation
Le problème qui se pose ici n'est pas tellement la disponibilité des moyens
diagnostiques, souvent suffisante, mais l'urgence thérapeutique, toute perte de temps pouvant
avoir des conséquences dramatiques.
L'examen, déjà commencé sur les lieux de la catastrophe, est repris et complété à
l'admission.
Cet examen clinique doit être complet, sous l'angle chirurgical et de la réanimation. Il
peut parfois être complété par une échographie sur le chariot pour tenter d'éviter une
laparotomie inutile.
Il faut signaler que cet examen est difficile, et ce pour deux raisons principales.
D'abord, il doit être rapide et ne pas faire différer les décisions thérapeutiques. Ici se pose le
problème des examens radiologiques, même standard, des lésions ostéo-articulaires ou
thoraciques. Ensuite, il peut être difficile à interpréter chez un blessé inconscient ou ayant
reçu des sédatifs (on a pu ainsi méconnaître un hémothorax de 2 1). Enfin, cet examen peut
être complété en per-opératoire, voire diriger l'exploration chirurgicale (recherche d'éclats par
exemple). C'est dire que, dans certains cas, la priorité est le transfert urgentissime au bloc
opératoire, même si le bilan reste extrêmement sommaire.
Traitement
Le traitement des blessés par attentat en centre urbain en temps de paix répond à trois
principes : urgence absolue, multidisciplinarité et prise en charge de la totalité des soins, pour
tous les blessés.
Les gestes de première urgence ayant été accomplis sur place, la réanimation à
l'hôpital va poursuivre et prolonger le traitement antérieur.
307
- d'abord, il est parfois difficile de s'assurer du groupe sanguin, non seulement en
raison de l'urgence, mais aussi parce que la détermination du groupe peut être sujette à
caution chez un patient hémodilué et dont l'identité est incertaine. On peut parfois être amené
à transfuser du sang O-Rh" ;
Ensuite, une fois résolus ces problèmes de première urgence, le bilan lésionnel réalisé
au bloc opératoire permet de hiérarchiser les gestes à entreprendre. L'idéal est ici de réaliser
ces différents gestes de façon simultanée, par plusieurs équipes. En premier lieu, les lésions
vasculaires. L'hémostase définitive sera assurée soit par ligature qui peut parfois être
transitoire, avec possibilité de réparation secondaire une fois le cap critique passé (nous avons
pu réaliser des greffes veineuses chez 2 des 38 blessés que nous avions reçus), soit, cas
malheureusement fréquent, par amputation primaire de nécessité due à l'association quasi
constante de lésions vasculo-nerveuses à des lésions ostéo-articulaires et des parties molles
sur un même membre. Les lésions thoraciques relèvent en première intention d'un
drainage de la cavité pleurale s'il existe un épanchement.
Un grand volet pariétal mobile pourra être immobilisé par SPI mais il ne faut pas
négliger la possibilité de lésions pulmonaires sous-jacentes.
Les lésions du grêle méritent plus souvent une résection qu'une suture simple, en
raison de la fréquence des lésions mésentériques associées.
Les lésions colorectales méritent, à notre avis, une chirurgie prudente en deux
temps.
308
Les lésions pariétales doivent être explorées chirurgicalement et le dogme de la
laparotomie systématique ne pourra être transgressé, devant une plaie pénétrante minime, que
sous réserve de possibilités conséquentes de surveillance.
Enfin, les lésions de la peau et des parties molles, même si elles sont
superficielles, peuvent poser de difficiles problèmes lorsqu'elles sont étendues. L'association
criblage-plaie-brûlure fait de ces blessés de véritables écorchés vivants. Le parage, l'ablation
des corps étrangers sont à la base de leur traitement.
Suites opératoires
Elles se dérouleront dans un service de réanimation et seront quasi immanquablement
marquées par des complications et des interventions itératives. En effet le traitement primaire
n'est bien souvent que la première étape d'un long parcours thérapeutique où les embûches et
les obstacles pourront surgir à tout moment.
309
Enfin, les complications intracrâniennes sont dominées par l'œdème cérébral et
l'hématome sous-dural.
Le scanner, qui doit être systématique, permettra de différencier ces deux lésions
devant toute altération de l'état neurologique détectée lors de la surveillance.
Complications de la réanimation
Elles sont sur ce terrain particulièrement fréquentes, en raison de la gravité des lésions
initiales et de la lourdeur de la réanimation.
Enfin, les complications septiques de tous ordres pourront entraîner une défaillance
multiviscérale, mettant parfois un terme à plusieurs semaines de soins intensifs.
Bien souvent on se trouve pris dans une véritable « spirale infernale » de traitements
et de complications itératives.
Séquelles
Les résultats d'une enquête épidémiologique menée par l'INSERM montrant qu'il
existait des séquelles graves (entravant les activités de la vie quotidienne) chez une victime
sur deux n'ont rien de surprenant. Dans 75 % des cas, les victimes ont déclaré que l'attentat
avait bouleversé leur vie.
Les séquelles respiratoires et digestives n'ont rien de très particulier mais elles sont
particulièrement fréquentes.
Les séquelles motrices sont présentes à l'esprit de tous. Ce sont les raideurs et les cals
vicieux, les foyers septiques osseux et articulaires qui feront l'objet d'interventions
orthopédiques secondaires itératives. Les moignons d'amputation nécessiteront souvent des
retouches chirurgicales et des greffes pour améliorer l'appareillage. Le syndrome du membre
fantôme pose parfois des problèmes difficiles.
310
Toute blessure est susceptible de laisser des séquelles, dont les plus sévères sont dues
aux brûlures, en particulier par la longueur et le caractère particulièrement astreignant de leur
traitement qui vont ajouter aux séquelles psychiques sur lesquelles je voudrais insister
maintenant.
Ce ne sont pas les moindres. Elles sont de plusieurs types. La névrose post-
traumatique survient volontiers après un temps de latence ou de maturation de plusieurs
semaines ou mois et se caractérise par un constant état d'alerte, un syndrome de répétition où
le blessé revit dans ses cauchemars la situation traumatique. Les symptômes de conversion, la
sinistrose, les revendications paranoïaques majorent volontiers les séquelles réelles qui n'ont
pas ou mal été indemnisées et qui retardent la réinsertion de ces blessés. Tous ces troubles
psychiques ont motivé, à Paris, la création d'une structure de soutien psychologique des
victimes d'attentat, qui intervient immédiatement sur le lieu même de l'attentat, au sein du
SAMU, et qui assure un suivi à long terme.
N'a-t-il pas fallu en effet que ce soit sous l'impulsion d'une paraplégique que se crée
une association des victimes d'attentats qui a abouti le 9 septembre 1986 à l'adoption par
l'Assemblée nationale d'une loi proposée par le gouvernement prévoyant l'indemnisation des
dommages corporels et matériels résultant d'actes de terrorisme et d'attentats par un système
reposant sur le mécanisme de l'assurance ?
Là est peut-être une modification du regard que porte la société sur ces blessés. Il ne
faut plus que ce blessé anonyme, qui a donné tant de soucis à la période initiale, reste une
victime anonyme souvent délaissée au stade des séquelles
.
Conclusion
« Un être qui s'habitue à tout, voilà la meilleure définition de l'homme » a pu dire
Dostoïevski.
De fait, le terrorisme est une réalité incontournable à laquelle la société doit faire face.
Il revient bien sûr aux responsables politiques de lutter contre lui. Pour les citoyens des villes,
l'observation de règles de sécurité parfois contraignantes, l'acquisition de nouveaux réflexes
de prudence, sont devenues une nécessité. Pour les responsables des secours, il a fallu mettre
au point une organisation et une coordination entre tous les intervenants permettant d'apporter
très rapidement et le plus efficacement possible les soins aux blessés. Cette riposte adaptée
rassure la population. Elle reste une des meilleures parades aux objectifs terroristes.
Là, une structure multidisciplinaire est la seule apte à faire face aux lésions de ces
polyblessés. Paradoxalement, la spécialisation des services chirurgicaux dans les hôpitaux des
311
grandes villes ne leur permet pas d'accepter n'importe quel type de blessé. Les formations
multidisciplinaires sont ici les plus performantes mais, même une équipe extrêmement bien
organisée, compétente et disposant de tout le matériel, peut être prise en défaut. En effet, des
blessés graves continuent de mourir au sein de l'hôpital. Il nous faut donc rester humble, et
toujours tenter d'imaginer de nouvelles méthodes thérapeutiques et d'améliorer l'organisation
des soins que l'on se doit d'apporter aux victimes d'attentats.
312
Blessés graves de guerre
Individualisation et principes
de prise en charge
P. HOUDELETTE
La « chirurgie de la violence »
Nous allons tenter ici de préciser les particularités de la prise en charge médicale et
logistique des blessés graves de guerre en soulignant, au passage, l'évolution progressive des
circonstances des conflits, souvent de plus en plus urbanisés, et des conditions tactiques et
techniques, réelles ou souhaitables, de ce que Livingston appelle de façon plus générale la «
chirurgie de la violence ».
Ces blessés graves, dont nous esquisserons une nosologie, ne peuvent survivre que si
se trouvent réunis des moyens et des compétences logistiques et médico-chirurgicales de haut
niveau. C' est dire que leur existence est rapidement compromise en situation précaire.
Toutefois, l'analyse des contraintes qu'ils posent esquisse les contours d'une évolution dans
certains conflits ou certaines situations civiles récentes ou actuelles, et désignent des défis
pour l'avenir.
La « part du feu »
« Pour un médecin, écrivait J.-P. Meyrueis, se battre c'est soigner les blessés. »
- 20 % de blessés multiples ;
- 14 % d'atteintes de tête-cou-face ;
- 12 % de plaies d'abdomen-thorax ;
- 54 % de plaies des membres dont 36 % pour les membres inférieurs seuls.
Cette prédominance des plaies des membres explique le grand nombre des blessés que
l'on doit prendre en charge au stade de séquelles. Ces statistiques rendent compte en revanche
du « gommage » des victimes les plus graves, précocement décédées, qui ont longtemps et
avec un peu de fatalisme constitué la « part du feu », les « non-arrivés vivants » à l'échelon
chirurgical, simplifiant de fait la tâche du réanimateur et du chirurgien.
Parmi ces blessés, nous allons donc décrire la prise en charge des plus graves, ceux
qui ont souvent fait et font parfois encore les frais de la non-médicalisation et des délais
imposés par la logistique. Ces blessés, les plus difficiles à prendre en charge, étaient bien
313
souvent abandonnés au profit du plus grand nombre, et ce sont ceux qui posent actuellement
les plus grands défis aux réanimateurs.
Hardaway avait montré en 1978 que quand l'intervalle entre une blessure grave et
l'hospitalisation dépasse 10 h la mortalité peut atteindre 75 % des blessés relevés vivants. On
retrouve là la notion d'importance vitale des premières heures : les golden hours de la
traumatologie routière.
Les conflits récents ont en effet précisé certains visages particuliers de la chirurgie de
guerre actuelle : pour rester didactique, nous décrirons la prise en charge de ces blessés dans
ces grandes lignes, sans entrer dans les détails.
La première silhouette qui se dessine est celle d'un champ de bataille, d'apparence
classique, mais dans lequel on peut constater l'efficacité de la guerre moderne, avec ses
conceptions de « guerre automatisée », fondée sur l'électronique des capteurs ou de
l'observation par satellite et « traitant » le terrain avec des armes déflagrantes qui témoignent
de l'imagination des concepteurs : bombes aériennes (à fragmentation à sous-munitions :
cluster bombs, projectiles guidés par laser), missiles balistiques ou tactiques, bombes et obus
antipersonnel (Shrapnells de jadis, bombes à billes actuelles, parfois radiotransparentes pour
compliquer ultérieurement les soins), mines et grenades diverses.
Toutes les analyses démontrent que plus un conflit est « moderne », plus s'accroît le
pourcentage de plaies par éclats : Première Guerre mondiale : 35,3 % ; Seconde Guerre
mondiale : de 70,9 % (Europe) à 83,1 % (Méditerranée) ; Corée : 85 % ; Viêt-Nam : 76 %
(caractère « mixte » du conflit). Pendant la guerre israélo-arabe de 1973 (Yom Kippour),
environ 63 % des soldats blessés le furent par des munitions à fragmentation : 40 % par obus,
10 % par bombes d'avion, 3 % par mines et grenades, pour 15 % du fait des armes légères.
Ce concept de l'Air Land Battle de Morelli et Don Starry de 1981 a trouvé son
application optimale dans le conflit ONU-Irak. Dans la récente opération Tempête du désert,
le déroulement de l'action explique le très faible pourcentage dans les deux camps de
blessures par arme individuelle. La nouveauté de ce conflit où, comme le souligne Ph. Turpin
« le poids des armes l'a emporté sur celui des effectifs », a été « la révélation des armes
intelligentes », puisqu'il a pu être réglé au prix d'un emploi massif d'armes déflagrantes
guidées : près de 300 missiles de croisières Tomahawk à charge conventionnelle, environ 4
000 armes guidées laser, pour l'essentiel des bombes, dont une bonne partie tirée par le
chasseur-bombardier furtif F 117 A, plus de 1 000 missiles antiradar, en grande majorité des
Harm, plus de 5 000 missiles air-sol Maverick de divers types, environ 8 000 missiles
antichar.
314
pertes humaines avoisinant celles que pouvaient provoquer des bombes nucléaires tactiques
et, sur le plan sanitaire, à une massification des urgences. Elle génère les blessés les plus
difficiles à prendre en charge, que nous allons maintenant décrire.
Ces blessés « complexes » sont aussi les victimes des blindés comme l'a démontré la
guerre du Sinaï en 1973, celles des explosions sur les navires de guerre.
En fait, il faut tenir compte de l'évolution des blessures : « La grande majorité des
blessures subies dans les guerres modernes est due aux munitions à fragmentation et la
plupart d'entre elles résultent des fragments eux-mêmes plus que des effets de souffle ou
incendiaires».
Le chirurgien sera donc confronté à des lésions par projectiles, dans leurs
configurations balistiques les plus complexes. La survie de ce type de blessés dépend avant
tout de l'acte opératoire. La difficulté de leur prise en charge chirurgicale naît de l'urgence
(collapsus, interventions « de sauvetage », voire « de ressuscitation »), de problèmes
techniques inhabituels et des régions anatomiques concernées (« confins », atteintes
multiples, trajets complexes, gros vaisseaux profonds, etc.).
Certes « les armes n'ont jamais fait bon ménage avec la chair humaine » nous dit
l'historien anglais John Keegan dans son livre Anatomie de la bataille mais, comme le
souligne V. Graberek du Service de Santé allemand, « en comparant les taux de mortalité du
315
passé avec ceux des campagnes les plus récentes, chacun s'accordera à constater que le
pouvoir destructeur croissant des projectiles a été plus que contrebalancé par les progrès
réalisés depuis A. Paré dans les soins prodigués aux blessés ».
Si la létalité des armes déflagrantes dont souffrent au premier rang peut-être les
populations civiles, otages des guerres, reste inévitable, la survie des blessures les plus graves
par armes individuelles reste possible, comme l'a démontré notamment l'expérience
chirurgicale balistique nord-américaine. Ce home front - ce front à domicile - puisque les 30
000 morts et 300 000 blessures annuelles par projectiles aux États-Unis sont l'équivalent des
pertes américaines au combat pendant la guerre du Viêt-Nam de 1965 à 1972, est à l'origine
d'une expérience de la prise en charge des lésions balistiques encore inégalée et d'une portée
pédagogique exceptionnelle pour le chirurgien d'armée.
Nous ne reprendrons pas le détail de ces études dont l'intérêt dépasse tout ce qui avait
été publié jusque-là, mais soulignerons la qualité des résultats obtenus et évoquerons quelques
modalités thérapeutiques devenues monnaie courante, voire véritables doctrines dans les
trauma centers : thoracotomies expéditives de ressuscitation, usage de la CEC en
hémodilution, autotransfusion de routine et tactiques opératoires des plus hardies, notamment
dans les plaies vasculaires médiastinales, aux plus rustiques en réhabilitant le tamponnement
des plaies hémorragiques abdominales. Nous aborderons également la tactique en deux temps
(le damage controï).
Ce savoir-faire, même s'il reste impuissant face à certaines lésions gravissimes, est
d'un grand intérêt technique. En effet, la chirurgie de guerre, si elle est le plus souvent une
chirurgie « faite dans de mauvaises conditions », rejoint parfois dans ses résultats ceux de la
chirurgie de la violence civile nord-américaine.
La seconde question posée était : la survie des blessés les plus graves est-elle possible
dans certaines situations de guerre ?
Les guerres urbaines, comme celle de Beyrouth avec son infrastructure sanitaire, et
qui a fourni pendant 15 ans un terrain d'observation de la prise en charge précoce des blessés,
sont aussi riches d'expérience.
La série personnelle de A.T. Zakharia - qui à Beyrouth traita, de 1969 à 1982, 3 000
blessés thoraciques et cardio-vasculaires comportant notamment 285 plaies du cœur (avec 73
% de survie), plus de 1 700 plaies thoraciques (avec 55 % d'interventions et 310 résections
pulmonaires réglées) et 1 008 blessures vasculaires périphériques dont 50 % (504 cas) au
niveau de l'axe fémoro-poplité -, montre bien que l'on est loin des statistiques lésionnelles des
conflits précédents.
316
habitants de la planète habiteront dans les grandes mégalopoles. Qui plus est, les guerres
modernes aéroportées et leur absence de front feraient des grandes villes de « l'arrière » le
soutien médical des champs de bataille, faisant probablement augmenter l'activité hospitalière
de guerre dans les structures sanitaires du temps de paix.
Blessés graves par risque hémorragique majeur : nous insisterons peu sur
les lésions des axes vasculaires des membres que l'analyse classique sépare en « garrottables
» (c'est-à-dire contrôlables ou maîtrisables par un pansement compressif) et « non garrottables
» représentées par les atteintes des racines des membres pour lesquelles, si le saignement
contenu procure parfois quelques délais, seule une prise en charge thérapeutique rapide -
associant correction du choc hémorragique et hémostase opératoire par une voie large
permettant le contrôle de l'axe artériel en amont de la lésion - permettra la survie.
En 1991, Burch et Mattox ont signalé, par ordre décroissant des atteintes : la veine
cave inférieure, les artères iliaques, les gros vaisseaux splanchniques, les artères rénales,
l'aorte, les autres vaisseaux, puis le cœur ; parmi les organes solides, le foie (une fois sur
deux) puis le rein, le pancréas et la rate ; enfin, les fractures ouvertes du pelvis (une fois
sur vingt mais mortelles une fois sur deux).
Les blessés en état critique tels que ceux présentant une plaie du foie grade V ou
des lésions vasculaires abdominales multiples peuvent nécessiter des transfusions de 20 à
40 unités par heure. Les problèmes de réanimation sont ceux de l'hémorragie massive :
décès pré- ou per-opératoire par exsanguination, syndrome de polytransfusion avec sa «
triade létale » (hypothermie, acidose, coagulopathie) cercle vicieux auto-aggravé par la
persistance du saignement et les efforts de compensation, aboutissant à l'arythmie
ventriculaire et au décès rapide.
Le chirurgien peut, face à ces situations, être amené à choisir une tactique
inhabituelle substituée à la procédure traditionnelle d'hémostase et de réparation idéales ;
bien souvent il faut privilégier la brièveté de l'intervention, en assurant une hémostase
rapide même si elle reste rustique, comme par des tamponnements par exemple.
Le deuxième cadre nosologique est la blessure complexe, dont l'exemple type est
la blessure unique, par projectile, avec lésions viscérales multiples, ayant des
317
conséquences différentes (hémorragiques, infectieuses, respiratoires) et posant des
problèmes complexes d'abord et de tactique opératoire.
Le troisième grand groupe de blessés est celui des blessés complexes. « Inventions
» de la réanimation moderne à laquelle ils doivent leur éventuelle survie, ce sont les
polytraumatisés, polyblessés et polyagressés que les agents vulnérants et les lésions
permettent d'individualiser.
Le polyblessé présente des blessures multiples dues à un même type d'agent agressant
(éclats ou projectiles d'armes automatiques).
Nous l'avons vu, les conceptions classiques du triage et du rendement opératoire avec
leurs taux horaires et quotidiens sont ici sans valeur.
Sur le plan de l'organisation logistique, ces blessés graves sont les « parents pauvres »
de la doctrine sanitaire classique avec sa caractéristique fondamentale de prise en charge
échelonnée de l'avant vers l'arrière, compromis efficace, soulignons-le, entre d'une part les
nécessités de la conduite des combats et les impératifs sanitaires (répondant à la nécessité de
« désencombrer l'avant » et de traiter en zone sûre, le Service de Santé étant le seul service en
318
temps de guerre à fonctionner de l'avant vers l'arrière) et d'autre part le grand nombre de bles-
sés à secourir avec des moyens de soins limités. Avec ce type d'organisation apparaissent, en
zone de combat, des sections de ramassage, assurant les premiers soins et amenant les blessés
au poste de secours, une « petite noria » de l'avant les transportant aux sections de triage
situées à 20-30 km vers l'arrière chargées de leur enregistrement, leur catégorisation (triage)
et leur mise en condition (réalisant ainsi la règle des 3 E « étiqueter, emballer, expédier ») ; la
« grande noria » réalisant leur évacuation soit sur les hôpitaux mobiles de compagnes (HMC)
accueillant les blessés en urgence absolue (extrêmes urgences + premières urgences devant
être opérées avant 6 h) soit vers les hôpitaux d'infrastructure.
Mignon, chirurgien militaire du premier conflit mondial, remarquait déjà avec justesse
que le triage ne remplit pas son objectif essentiel si les blessés à opérer d'urgence ne le sont
pas. Seul un sort particulier, dérogatoire de cette doctrine, pourrait - le conditionnel s'impose
car, après l'enjeu logistique, l'enjeu médico-chirurgical reste entier et aléatoire - permettre la
survie des blessés les plus graves.
Dans le passé, on avait déjà signalé l'existence de ces situations exceptionnelles bien
différentes de celles des derniers conflits mondiaux avec sa chirurgie sous tente.
L'organisation sanitaire américaine au cours du conflit vietnamien est restée la référence de
toutes les réflexions. Citons, en un résumé très idéalisé : médicalisation des premiers soins,
disparition du triage préalable à l'évacuation (concept « tous ramassés, tous évacués, tous
traités »), disponibilité tactique de l'hélicoptère et autonomie logistique du Service de Santé,
triage à l'arrivée à la structure sanitaire de l'avant (« hôpital de combat ») en deux groupes, les
« instables prioritaires » et les « blessés stabilisés », et évacuation secondaire sur des centres
hautement qualifiés. Les péripéties de ce conflit (ni bataille « en ligne », ni guerre de
mouvement), le contrôle permanent de l'espace aérien, le suréquipement technique en font un
conflit de nature exceptionnelle, mais l'expérience acquise en fait un modèle d'étude et
d'application.
En dehors des guerres proprement dites, nous avons souligné que, de plus en plus
fréquemment, on peut être amené à prendre rapidement en charge des blessés des combats
urbains ou périurbains dans les grands centres hospitaliers des villes, avec des possibilités
médico-chirurgicales proches de celles du temps de paix ; à Beyrouth, pendant les 15 années
de guerre, la qualité des soins avait presque rejoint celle des trauma centers nord-américains.
319
Par-delà la planification, la puissance logistique, la compétence des équipes
médico-chirurgicales, les circonstances dicteront le choix des grandes lignes de la
méthode de prise en charge des blessés les plus urgents, en recourant à trois conceptions
schématique:
Le bilan des grandes fonctions dépiste les risques vitaux immédiats et détermine
les gestes urgents de réanimation : prise en charge d'une détresse respiratoire (liberté des
voies aériennes supérieures, assurer une ventilation correcte), circulatoire (contrôle des
hémorragies externes ou internes, d'un choc traumatique qui doit systématiquement être
prévenu, d'une tamponnade cardiaque éventuellement par péricardiocentèse et
plasmorragie des brûlures) et neurologique (levée d'un hématome intracrânien, lutte
contre l'œdème cérébral dans les plaies cranio-encéphaliques).
Au terme de ce bilan initial, qui doit être répété, deux notions guident la marche à
suivre : sur le plan physiopathologique, la détermination du trouble prioritaire ; sur le plan
anatomique, celle de la lésion dominante, la plus urgente.
320
rapide des plaies des viscères aux abdominaux), d'amputation, de fermeture de la paroi
thoracique, d'une chirurgie limitée au traitement des lésions vitales à haut risque.
En chirurgie de guerre, les possibilités techniques limitées ont bien souvent fait
préférer, par nécessité et non par choix tactique, un traitement immédiat des lésions vitales,
les autres lésions (face, membres) ne faisant l'objet que de mesures conservatoires.
Inventée en 1983 par Harlan Stone, puis théorisée par M.F. Rotondo sous le nom de
damage control, cette laparotomie abrégée comporte trois temps. Dans le premier, qui doit
être le plus rapide possible, s'effectue le contrôle chirurgical de l'hémostase et de la
contamination, les réparations définitives étant différées et la laparotomie refermée de façon
simplifiée et temporaire.
321
intensive comportant le réchauffage, la correction de la coagulopathie, l'amélioration des
constantes hémodynamiques et respiratoires, et doit être efficace en moins de 48 h. Dans un
troisième temps, une ré intervention permet le traitement définitif des lésions intra-
abdominales.
Décider d'une telle tactique n'est pas toujours facile. La décision doit être rapide avant
qu'une hémorragie massive ne nécessite une transfusion massive. Féliciano retient comme
critère la présence d'une ou plusieurs lésions vasculaires associées à deux ou plusieurs lésions
viscérales d'organes pleins ou creux, en sachant que la lésion d'un organe plein, avant tout le
foie, est capable d'entraîner un saignement équivalent à celui d'un axe vasculaire.
Cette tactique de contrôle lésionnel (damage control) électivement utilisée sur les
lésions hépatiques et rétropéritonéales, permettrait de faire passer la survie de ces blessés de
11 à 77 %.
Recourir à cette tactique en chirurgie de guerre, ce qui a été le cas de façon limitée à
Sarajevo (J.-M. Andreu - groupement médico-chirurgical), n'est pas sans soulever des
problèmes complexes : maintien des blessés dans la structure chirurgicale initiale, nécessité
d'une réanimation lourde, choix du moment de l'évacuation et complexité médicale de la prise
en charge médicalisée.
Conclusion
Les chances de survie des blessés graves dépendent essentiellement de l'organisation,
des mesures d'urgence, des possibilités d'évacuation et d'une façon plus globale de
l'efficacité et de la flexibilité du dispositif sanitaire.
Soulignons, mais nous avons dans ce chapitre choisi une perspective différente,
qu'en temps de guerre les soins optimaux ne peuvent être procurés à chacun, et que c'est à
la sauvegarde du plus grand nombre que s'adressent nos efforts. Ce concept garde toute sa
valeur mais il ne justifie en aucun cas de se contenter de moyens rustiques dans la
logistique sanitaire et la formation du personnel. À la guerre, ce serait faire trop belle la «
part du feu ».
Dans une civilisation qui n'accepte qu'un risque limité - n'oublions pas la notion
moderne du conflit « zéro mort » - la volonté de prise en charge des blessés les plus
gravement atteints devient légitime. Véritable défi, elle impose aux équipes d'anesthésie-
réanimation et de chirurgie des efforts majeurs : d'actualisation des connaissances,
d'entraînement, de pédagogie, d'évaluation sur le plan des personnels, de prévision et de
mise au point logistique.
322
Plaies de l'abdomen
Traitement chirurgical
en situation de précarité
C. DUMURGIER
Si le traitement chirurgical des plaies de l'abdomen h est plus discuté en cette fin de
e
XX siècle, les conditions de précarité vont influer sur la prise en charge des blessés, sur les
techniques chirurgicales proposées, sur les résultats.
La chirurgie est une partie de la médecine, dont le but est la guérison par des moyens
physiques, mains et instruments. Aussi, les techniques chirurgicales devraient pouvoir être
employées avec succès dans les situations les plus précaires.
• la première est liée aux progrès de la chirurgie moderne qui sont tels que la réussite
d'une intervention donnée ne dépend plus seulement du talent opératoire ou du discernement
des seuls chirurgiens mais de plus en plus :
• de la mise au point de nouvelles technologies,
• des progrès immenses de l'anesthésie-réanimation qui ont transformé les soins pré-,
per- et post-opératoires, facilitant l'acte opératoire, voire autorisant des interventions
autrefois impossibles, mais nécessitant des moyens matériels considérables, d'autant plus
fragiles que performants,
• de la constitution d'équipes soignantes très homogènes, tant au bloc opératoire que
dans les unités de soins intensifs ;
• la seconde a trait aux stratégies de développement sanitaire, avec les orientations et
les recommandations des grands organismes qui restent pratiquement muets sur le rôle du
chirurgien dans le développement de la santé. Tout se passe comme si la chirurgie moderne,
dont bénéficient les pays industrialisés, est un produit d'exportation de luxe, auquel ne
peuvent prétendre les pays pauvres. Ainsi, à la conférence d'Alma-Ata (1978) organisée par
l'OMS et l'UNICEF, pas une discussion, pas une recommandation n'a intéressé la chirurgie :
la priorité a été donnée aux soins de santé primaires. À côté d'avantages plus théoriques que
réels, les inconvénients ne furent pas longs à apparaître sur le terrain :
• la notion de soins de santé primaires risque d'occulter les autres niveaux
d'intervention (secondaires et tertiaires),
• les soins de santé primaires peuvent être dispensés assez facilement dans un village
de brousse, au sein d'une communauté villageoise, par des agents de santé villageois. Mais,
du fait de l'urbanisation galopante (Tab. 16.1) avec ses transferts de population, la
déstructuration sociale, culturelle, familiale, on ne peut prétendre améliorer le niveau de
santé d'une population que par l'accès aux trois niveaux de santé. La santé est un tout
indissociable,
• dans les quartiers surpeuplés, la réussite chirurgicale, en particulier dans le
domaine de la traumatologie, contribue à renforcer la confiance dans la médecine moderne
et, partant, à mieux faire accepter la médecine préventive (règles d'hygiène et vaccinations).
323
Cette situation est en train de changer, car les organismes gouvernementaux et non
gouvernementaux sont de plus en plus sollicités pour évaluer et mettre en place des projets
de réhabilitation des services chirurgicaux.
Instabilité politico-militaire
Dans les pays africains, sud-américains, asiatiques et même européens à faible PNB,
guerres civiles, guérillas et insécurité se sont multipliées. Les besoins des populations
bombardées, sur les routes d'exode, sont avant tout des besoins chirurgicaux et de médecine
d'urgence. Dans de telles conditions de précarité, les urgences abdominales, gynécologiques
sont d'autant plus graves que les évacuations sont plus retardées, à cause de Vinsécurité. A
l'inverse, les programmes de vaccinations sont plus difficiles à mettre en place (PEV : plan
élargi de vaccinations).
Difficultés économiques
Elles sont multiples et se sont encore aggravées en Afrique dans les anciennes
colonies françaises par la dévaluation du franc CFA : les médicaments, le matériel
consommable, les instruments chirurgicaux proviennent presque exclusivement en 1995 des
pays industrialisés et, en pratique, les coûts en ont doublé. Concrètement, cela se solde par
une diminution considérable de l'accès aux soins dans des hôpitaux dont l'infrastructure
pourrait pourtant être satisfaisante, car le malade ou sa famille doivent payer eux-mêmes les
anesthésiques, les honoraires des chirurgiens, des anesthésistes, etc.
Il faut ici rappeler les caractéristiques et les conditions du traitement chirurgical des plaies
de l'abdomen, afin de définir les conditions dans lesquelles le chirurgien et son équipe auront
à traiter le maximum de patients avec la morbidité la plus faible.
324
pourcentage respectif des viscères touchés est à peu près identique, comme le sont les
différentes régions anatomiques intéressées chez les polytraumatisés. Enfin, il ne faut pas
oublier que, même en situation de précarité, il faut assurer la formation du personnel local.
Pour décrire les conditions chirurgicales de traitement des plaies de l'abdomen dans ces
circonstances, il nous faut donc aborder successivement les points suivants :
- les moyens en personnel et matériel, et comment définir les conditions minimales autorisant
le traitement des plaies de l'abdomen ;
- les compétences particulières d'un chirurgien devant opérer dans des circonstances
difficiles ;
- les techniques chirurgicales simples, fiables, reproductibles, pour traiter les plaies de
l'abdomen ;
- les conclusions qu'il faut en tirer.
La chirurgie des plaies de l'abdomen requiert des moyens simples, peu onéreux, mais
il existe un seuil minimal, en dessous duquel la chirurgie devient impossible, le chirurgien
devenant un spectateur impuissant, et nous pouvons en donner deux exemples récents :
- L'équipe chirurgicale est implantée dans un hôpital plus ou moins neuf, mais sans
budget de fonctionnement. L'hôpital a été inauguré clef en main mais on n'y trouve pas une
seule compresse, pas d'alcool, pas de sparadrap, pas de carburant pour le groupe électrogène,
pas d'eau s'il y a nécessité de suppresseurs. Investissement lourd par une coopération
bilatérale, pour une efficacité nulle. Cette situation absurde n'est pas exceptionnelle. Après
évaluation des besoins, cette structure peut devenir très rapidement opérationnelle si on peut
disposer de kits chirurgicaux, tels qu'ils ont été mis au point par certaines organisations
humanitaires (MSF). Dès stockage et déballage du matériel, il est possible d'intervenir, sous
réserve de disposer de consommables. Le degré de précarité dépendra alors des moyens en
consommables ;
325
- le plus souvent, on est amené à opérer dans une structure chirurgicale ancienne, bien
adaptée aux conditions locales : hôpital « en dur » avec eau, électricité, instruments
chirurgicaux. Avec des adaptations sommaires et un approvisionnement en consommables de
première nécessité (pansements, ligatures, produits anesthésiques, etc.), on pourra intervenir
rapidement avec efficacité. L'exemple type en est les hôpitaux des districts, qui existent par
centaines en Afrique francophone et anglophone ;
- très différents des deux premiers cas, auxquels on est souvent confronté en situation
d'isolement, se trouvent les contextes de chirurgie des grandes catastrophes, comme les
tremblements de terre (Arménie, Amérique du Sud) et les exodes massifs de population
(Rwanda, Soudan, etc.). Dans de telles circonstances, les moyens manquent quand ils sont le
plus nécessaires, à cause de la soudaineté des événements (tremblements de terre) et bien
souvent de l'imprévision des États, des grands organismes internationaux (Rwanda).
Quel que soit le contexte (catastrophe, guérilla urbaine, guerre civile), quelles que
soient les structures chirurgicales, il faut essayer de définir la liste minimale des moyens dont
il faut disposer pour traiter les plaies de l'abdomen.
- deux salles d'opération (l'une propre, l'autre septique, cette dernière pouvant être une
chambre d'hospitalisation aménagée avec un minimum de moyens) ;
- une climatisation est souhaitable ;
- eau à volonté ;
- électricité avec un groupe électrogène autonome en cas de panne, ce qui suppose un
approvisionnement et un stockage de carburant ;
- tables d'opération polyvalentes ;
- aspirateurs mobiles électriques puissants, ou même à pédales ;
- un bistouri électrique est utile mais non indispensable ;
- matériel de stérilisation : dans la plupart des cas, il existe des Poupinels pour la
stérilisation des instruments ou, beaucoup plus rarement, des autoclaves dont la maintenance
est beaucoup plus lourde (électricité et eau à volonté). La seule solution en l'absence de
moyens de stérilisation est l'emploi de matériel à usage unique, ce qui est paradoxal en
situation de précarité !
326
les locaux, ni l'eau, ni l'électricité, ni les médicaments, ni même certains matériels
sophistiqués (nécessaires pour hémodialyse, prothèses, etc.), mais où on ne disposait ni de
compresses, ni de bandes, ni d'antiseptiques. Or, dans ces conditions d'exercice, les plaies
sont les pathologies chirurgicales le plus souvent rencontrées. Si dans beaucoup de cas on
peut limiter les pansements, en particulier pour les plaies opératoires (ce qui offre l'avantage
d'une économie de temps et, d'après le principe anglo-saxon no pain, no fever, no dressing,
une diminution des risques de contamination) beaucoup de plaies nécessitent des pansements
(péritonite, abcès, etc.), donc une grande consommation du matériel de pansements.
Les soins post-opératoires constituent un des principaux facteurs militants dans une
structure chirurgicale en situation de précarité, où les soins comprennent tous les stades du
traitement d'une plaie :
- pansements jusqu'à guérison complète puisque, dans la grande majorité des cas, la
structure chirurgicale constitue l'unique maillon de la chaîne de soins, contrairement à la
chirurgie de guerre classique qui comprend plusieurs maillons quand cela est possible :
Si l'on souhaite acheter du matériel, il faut toujours choisir le plus robuste et celui qui
pourra être réparé sur place en cas de panne. Le problème est plus simple quand les antennes
sont installées pendant une période suffisamment longue. L'équipe qui succédera à la
première équipe sera renseignée des contraintes et des besoins et, sauf afflux massif de
blessés, on peut prévoir et avoir en stock les quantités de consommables nécessaires pour une
période de deux ou trois mois. Il suffira de renouveler régulièrement le matériel existant.
327
ou trois décennies être envoyé sur le terrain. En huit ou dix semestres d'apprentissage
chirurgical, il avait des dizaines de fois vu pratiquer la plupart, voire tous les gestes
chirurgicaux d'urgence ou de chirurgie réglée (colostomie, colectomie, gastrotomie,
gastrectomie, hystérectomie, hépatotomie, thoracotomie, cystostomie, etc.). Il avait, sous la
direction de ses supérieurs hiérarchiques, lui-même pratiqué ces interventions de chirurgie
générale. Au cours du ou des semestre(s) de pratique en service d'urgences, il avait été
confronté à presque toutes les urgences chirurgicales chez l'adulte et l'enfant : diagnostic,
indications, résultats.
Sur le plan théorique, plusieurs diplômes ont été créés en Suisse, en Belgique, en
France (diplôme d'université de Chirurgie en situation de précarité par exemple), et il existe
également des séminaires et des congrès comme « Chirurgie en situation d'exception » à
Marseille (Pharo). Des réunions avec des chirurgiens plus anciens sur des thèmes consacrés à
la pathologie la plus fréquemment rencontrée dans ces circonstances (péritonites, gangrènes,
etc.) sont aussi organisées.
Sur le plan pratique, rien ne remplace l'expérience sur le terrain. Un premier séjour,
même bref, permettra non seulement d'affronter les premières difficultés chirurgicales en
situation de précarité, mais aussi les contraintes de la précarité : logistique, climatologie et
surtout environnement humain parfois hostile.
Pour cette première expérience, la meilleure solution est de travailler en binôme, avec
un jeune chirurgien et un de ses confrères plus expérimenté.
Dans tous les cas, le chirurgien doit être formé sur le plan des relations humaines. En
effet, toute action, même chirurgicale, dans un pays étranger, doit éviter tout esprit de
supériorité, d'autosatisfaction, d'arrogance technologique, et doit se faire dans un esprit de
respect de l'autre, de ses coutumes, de ses traditions...
328
Plaies de l'abdomen : techniques chirurgicales
Plus les moyens matériels sont faibles, plus la compétence théorique et pratique du
chirurgien doit être étendue.
Cela a été résumé en quelques phrases par James Marrion Sims, après la guerre de
Sécession aux États-Unis : « Exploration douce et aseptique de la cavité péritonéale suivie de
l'exécution des gestes nécessaires :
- hémostase ;
- suture des plaies intestinales ;
- toilette de la cavité péritonéale. »
Cette conduite thérapeutique ne deviendra la règle que près d'un demi-siècle plus tard,
permettant d'abaisser la mortalité des plaies perforantes de l'abdomen :
Etiologie
Les plaies de l'abdomen par arme blanche (couteau, flèche) sont relativement bénignes
si elles sont traitées rapidement et s'il n'y a pas atteinte d'un gros vaisseau entraînant une
hémorragie interne massive.
À l'inverse, les plaies par armes à feu, quand elles sont pénétrantes, atteignent un (ou
plusieurs) viscère(s) dans plus de neuf cas sur dix, surtout avec les projectiles à grande vitesse
(armes de guerre) qui provoquent des lésions étendues.
Quant aux fusils de chasse, l'importance des dégâts tissulaires dépend de la distance
entre l'arme et la victime. À bout portant, les lésions sont maximales.
329
Ces données balistiques confèrent une première orientation, mais seuls l'examen
clinique et l'exploration chirurgicale permettront le bilan exact des lésions et leur traitement.
Examen clinique
La prise en charge du blessé comporte, avant l'examen clinique proprement dit, les
premiers gestes de réanimation :
L'examen clinique sera donc fait de la tête aux pieds (tête, cou, thorax, membre) pour
se terminer au niveau de la région abdominale. S'il s'agit d'une plaie de l'abdomen isolée,
l'examen comporte plusieurs étapes.
Les touchers pelviens sont systématiques, puis l'on met en place des sondes
gastriques, urinaire (noter la couleur des urines).
Enfin, l'examen de la plaie elle-même est capital, surtout dans le contexte de précarité
où les blessés sont souvent des hommes jeunes et minces : on explore digitalement le ou les
orifice(s) (d'entrée et de sortie) à l'aide d'un doigt ganté et stérile.
• en cas d'atteinte d'un organe creux (grêle, côlon) les anses sont affaissées et non
distendues,
• en cas de lésion parenchymateuse d'un organe plein (la convexité hépatique), on
perçoit à l'aide de l'extrémité du doigt le contact avec le tissu hépatique (intégrité de la
capsule de Glisson ?).
L'examen peut orienter sur l'atteinte de certains viscères. Le doigtier peut ramener du
sang mais aussi du liquide bilieux ou intestinal, des débris stercoraux, etc.
330
Après les gestes de réanimation pré-opératoire (perfusions, sondes, etc.), l'exploration
chirurgicale est indiquée dès que possible en cas de plaie de l'abdomen isolée et si
l'hémodynamique est instable.
Exploration chirurgicale
Voie d'abord
Le plus souvent l'incision est médiane sus- et sous-ombilicale. C'est la voie la plus
rapide, la plus adaptée, permettant des contre-incisions vers le thorax si nécessaire.
Exploration
L'exploration commence par l'étage sus-mésocolique (quadrants supérieurs) puis par
les quadrants inférieurs de droite à gauche.
Elle doit être complète quelles que soient les conditions opératoires, car le bilan
lésionnel doit être le plus exact possible.
331
imagerie, etc.). Parfois les blessés sont nombreux et il faut pouvoir en traiter le plus grand
nombre, avec la morbidité la plus faible, ce qui pose souvent le problème des moyens
disponibles.
Il faut examiner avec douceur toute la surface du jéjunum et de l'iléon en enlevant les
caillots, les dépôts fibrineux, les débris, à l'aide d'une compresse et de sérum physiologique. Il
faut étaler le mésentère à la recherche d'hémorragie de petites artères, d'hématomes, surtout
au niveau de sa zone d'insertion.
Les lésions du mésentère peuvent entraîner par ischémie une nécrose segmentaire du
grêle, suivie de perforation et de péritonite généralisée (dévascularisation intestinale).
Plaies coliques
Statistiquement deuxième ou troisième organe atteint, le côlon occupe les quatre
quadrants de la cavité abdominale et il peut être atteint par des projectiles dont l'orifice
d'entrée est parfois très éloigné de l'abdomen (cou, thorax, fesses, etc.).
À côté des plaies classiques, punctiformes, transfixiantes, sont apparues avec des
projectiles à haute vitesse de véritables colectomies traumatiques, associées à des lésions
mésocolique majeures.
332
- sutures simples avec ou sans colostomie de protection d'amont ;
- extériorisation du segment lésé s'il s'agit d'une partie du côlon mobile (transverse ou
sigmoïde) ;
- résection en cas de plaies délabrantes ou de colectomie traumatique.
Deux attitudes sont alors possibles avec les extrémités coliques saines, bien
vascularisées :
- dérivation terminale (colostomie), si l'état hémodynamique est instable, si
l'intervention est faite au-delà de la 6e h ou si les plaies sont multiples (foie, grêle, etc.) ; en
chirurgie de guerre, en cas d'évacuation vers les hôpitaux de l'arrière, il faut
systématiquement pratiquer une intervention de Hartmann ou une stomie, même si certains
ont proposé dans certains cas la colectomie idéale ;
- en situation d'isolement, si les conditions sont favorables (délai, plaies isolées,
hémodynamique stable), il semble licite de rétablir la continuité immédiatement, après
résection, ce qui présente plusieurs avantages : la contamination est minime, l'intervention est
plus courte que pour une double colostomie, les suites opératoires sont plus simples et mieux
tolérées par les familles et le blessé et, surtout, le suivi post-opératoire (température, reprise
du transit) devant être effectué par le chirurgien qui a opéré le blessé car celui-ci ne peut être
évacué, les gestes opératoires sont parfaitement connus. Dans les cas favorables, bien
sélectionnés, nous avons obtenu des résultats satisfaisants.
333
Plaies du foie
Troisième organe atteint par ordre de fréquence, il est peu accessible au traitement
chirurgical en situation d'isolement. Les lésions sont rarement isolées (trajet projectilaire) et la
seule exploration per-opératoire ne permet pas de toujours faire le bilan lésionnel exact et
donc d'entreprendre le traitement idéal. Les possibilités de compenser l'hémorragie sont
limitées, voire nulles.
- les plaies superficielles qui saignent sont le plus souvent traitées par un débridement
économique et adossement des deux berges hépatiques sur des lames de Surgicel fixées par
des points en U sur attelles. Les points ne sont pas trop serrés ;
- les plaies profondes avec hémostase spontanée sont difficiles à explorer si on ne
dispose pas de possibilités de transfusion. On doit se contenter d'un tamponnement (packing)
avec des compresses abdominales (hémostase temporaire) et traiter les lésions associées
(plaies des organes creux) ;
- dans certains cas, il faut effectuer des gestes de résection réglée ou atypique, si le
projectile a provoqué une avulsion parenchymateuse telle (explosion d'un lobe d'un segment
par exemple) qu'il n'y a plus qu'à régulariser les berges et compléter par un tamponnement ;
- la cholécystostomie de décharge est rarement nécessaire.
Plaies de la rate
Cet organe plein, profond, est plus rarement atteint que le foie. L'atteinte peut être
isolée, par arme blanche, mais elle est le plus souvent associée à d'autres lésions intra-
abdominales en cas de plaies par projectiles. L'exploration chirurgicale recherche des lésions
de la queue du pancréas, du diaphragme, de l'estomac, du côlon gauche, du rein, etc.
Plaies de l'estomac
L'exploration en cas d'atteinte gastrique est complète, du cardia au duodénum, avec
étude de la face antérieure et postérieure, après ouverture de l'arrière-cavité des épiploons
(possibilité d'orifices multiples).
Les plaies sont avivées et suturées en deux plans à points séparés pour rapprocher les
deux berges. Une sonde gastrique doit être laissée en place une semaine.
Beaucoup plus rarement, une gastrectomie atypique est nécessaire (perte de substance
pariétale trop étendue ne permettant pas de rétablir une filière gastrique fonctionnelle).
Plaies duodéno-pancréatiques
L'intimité des rapports anatomiques entre la tête du pancréas et le cadre duodénal fait
qu'en cas de plaies par projectiles, les lésions ne concernent rarement que l'un ou l'autre
organe, contrairement aux plaies par arme blanche. L'exploration du pancréas à ciel ouvert est
souvent très difficile (hématome +++).
334
La manœuvre de Kocher permet de bien examiner le cadre duodénal et la tête du
pancréas. Le traitement dépend de l'importance des lésions.
Plaies rétropéritonéales
Toute plaie pénétrante de la loge rénale doit en général être explorée chirurgicalement.
Comme pour tout organe plein, sauf s'il s'agit de lésions superficielles qui peuvent être
parées et suturées, on ne peut que rarement par le simple examen per-opératoire envisager une
chirurgie conservatrice (pas d'imagerie médicale). Après s'être assuré de l'existence du rein
controlatéral, on doit réaliser une néphrectomie totale.
Les lésions urétérales sont très rares et le plus souvent méconnues si elles sont isolées.
Si une lésion est découverte lors d'une exploration abdominale pour lésions multiples,
on effectue une suture, une résection-suture de l'uretère sur sonde modelante.
Les lésions vésicales sont fréquentes et doivent être traitées par parage et suture de la
paroi vésicale sur sonde de cystostomie.
Lésions vasculaires
Les lésions des gros vaisseaux intra-abdominaux (artères mésentériques) ou
rétropéritonéaux sont exceptionnellement isolées : et, en situation d'isolement, les patients ne
parviennent pas au bloc opératoire. En cas d'hématome rétropéritonéal (+++), les troubles de
la coagulation sont très difficiles à corriger dans de telles conditions. En l'absence de
possibilité transfusionnelle, il faut, en cas d'hématome rétropéritonéal associé à des lésions
intra-abdominales :
Lésions pariétales
Elles posent des problèmes souvent difficiles, si les dégâts cutanéo-muscu-lo-
aponévrotiques sont majeurs.
335
Premièrement, il faut choisir la voie d'abord (laparotomie atypique centrée sur la perte
de substance, laparotomie médiane ou incision latérale de décharge) qui permet la fermeture
de la paroi.
Ensuite le positionnement des stomies peut être délicat. Elles doivent être à distance
de la médiane et des zones de parage de la paroi abdominale.
En cas de délabrements pariétaux se pose le problème de la fermeture, d'autant plus
qu'il n'y a généralement pas de possibilité de ventilation assistée. Si le parage est tardif, il faut
laisser la plaie ouverte mais fermer la cavité péritonéale, parfois à l'aide du grand épiploon et
de grands pansements bétadinés.
Conclusion
On pourrait multiplier les descriptions des lésions anatomo-pathologiques, les
techniques chirurgicales les plus adaptées. En situation d'isolement, grâce à des moyens
simples, peu onéreux, on peut explorer et traiter efficacement une plaie perforante de
l'abdomen.
Exploration
Elle est uniquement chirurgicale. Elle doit donc être complète et guidée par les trajets
projectilaires. En cas de lésions multiples, l'exploration des organes creux est en général
relativement simple mais elle doit être complète. Sinon, toute plaie méconnue nécessitera une
reprise chirurgicale, très aléatoire en l'absence de moyens de réanimation post-opératoire
(choc septique, anurie, etc.).
L'exploration des organes pleins (foie surtout, pancréas) doit rester limitée, surtout s'il
y a hémostase spontanée. Il faut alors espérer que le tamponnement sera efficace. Dans les
lésions spléniques et rénales les gestes d'hémostase sont habituellement radicaux.
- organes creux : du parage à la résection des tissus lésés, suivi ou non d'un
rétablissement de continuité. Dérivation colique en cas de plaie colique ou rectale ;
- organes pleins : parage a minima, tamponnement temporaire, exceptionnellement
exérèse sauf si lésions rénales, spléniques ou du pancréas caudal ;
336
- lésions associées qui posent le problème de la stratégie chirurgicale, surtout en
situation d'isolement et grèvent très sévèrement le pronostic (plaies thoraco-abdominales,
plaies abdomino-pelvi-fessières, plaies à distance).
Les résultats, même s'ils sont moins favorables que ceux obtenus en chirurgie civile
dans les centres hospitaliers ou en chirurgie de guerre, dans les formations hospitalières de
l'avant, sont encourageants : guérison de la majorité des blessés au prix de séquelles minimes
si on les compare aux plaies des autres régions anatomiques traitées, dans les mêmes
conditions d'isolement, en particulier les lésions ostéo-articulaires et les délabrements
musculo-cutanés, où la mortalité initiale est moindre mais où les séquelles sont très
importantes.
337
Traumatismes balistiques
de la face
La face, ou partie antérieure de /'extrémité céphalique, est à la fois une zone mal
protégée et exposée car toujours à l'affût. Elle est donc très souvent atteinte par les
projectiles d'arme à feu, immédiatement après les membres. Cette structure fragile abrite
l'extrémité supérieure des voies aériennes et digestives ainsi que cinq récepteurs de nos six
appareils sensoriels.
Tout cela explique d'une part la gravité potentielle des lésions de cette région -
pouvant mettre en jeu immédiatement le pronostic vital -, d'autre part l'importance des
séquelles fonctionnelles et réparatrices qui peuvent en découler. Ces données plaident en
faveur d'un traitement initial bien codifié.
Conduite à tenir
Anatomie
La face est une entité anatomo-fonctionnelle, pôle d'intérêt multidisciplinaire.
Une charpente légère, composée d'une mosaïque d'os petits, immobiles, minces, fixés
sous la base du crâne, forme une structure polyédrique, cavitaire et symétrique. Sur ce
squelette vient s'articuler le seul os impair et mobile de la face : la mandibule. La mandibule
répond au maxillaire avec lequel elle s'engrène par l'intermédiaire des dents.
On distingue habituellement trois étages dans le massif facial :
- l'étage supérieur, en fait cranio-facial, protège les fosses cérébrales antérieures. La
lame criblée de l'ethmoïde constitue une zone de faiblesse et la dure-mère, particulièrement
adhérente à ce niveau, peut être lésée lors de traumatismes centro-faciaux, même lorsque les
lésions osseuses sont mineures ;
- l'étage moyen est fixé à la base du crâne par des ancrages multiples. Cette structure
légère destinée à ne recevoir des contraintes que verticalement est constituée de piliers
encadrant les orbites, les fosses nasales et les sinus maxillaires. Les orbites abritent les globes
oculaires et leurs annexes (les glandes et voies lacrymales). Le départ des voies aériennes
supérieures (VAS) est composé des fosses nasales et des cavités sinusiennes, cavités
septiques tapissées par une muqueuse de type respiratoire très vascularisée. Les fracas de
l'étage moyen doivent faire redouter une obstruction des VAS par recul des structures décrites
ou inondation par hémorragie artérielle ou muqueuse ;
- l'étage inférieur, composé essentiellement par la mandibule, s'articule avec l'étage
moyen grâce à une triple articulation temporo-mandibulo-dentaire, dont le respect ou la
réparation est un des points essentiels du traitement. La cavité buccale contient la langue,
muscle richement vascularisé, protégé par le rempart alvéolo-dentaire.
338
Tour à tour les dents pourront servir de référence anatomique lors de la réduction
d'une fracture occluso-faciale, de point d'ancrage à un traitement orthopédique, mais aussi se
comporter comme le point de départ d'une contamination infectieuse, comme un corps
étranger en cas de luxation complète.
Il existe aussi, dans les lésions du massif facial inférieur, un risque asphyxique, soit
par rupture des ancrages du massif lingual (fracture plurifocale de la mandibule), soit par une
parésie du muscle (trouble de conscience) entraînant une glossoptose.
Enfin, elle délimite des orifices (narinaires, oculaires, auriculaires, buccal) qu'il faudra
savoir préserver. La frontière entre peau et muqueuse constitue un repère important, à ne pas
négliger lors de la reconstruction. Les plaies cutanéo-muqueuses de la lèvre, du bord libre des
paupières, de la queue du sourcil par exemple, doivent être suturées sans aucun décalage.
La vascularisation de la face est assurée par les branches de l'artère carotide externe
que sont l'artère linguale, l'artère faciale et l'artère maxillaire interne ; l'artère transverse de la
face, quant à elle, est une branche de l'artère temporale superficielle. Des anastomoses
existent entre les réseaux droit et gauche, mais aussi entre les branches terminales de l'artère
sphéno-palatine issue de l'artère maxillaire interne et l'artère ethmoïdale provenant du réseau
de la carotide interne.
La vascularisation des téguments est assurée par l'artère faciale qui, après avoir
cravaté le rebord basilaire de la mandibule, vient se terminer au niveau de l'aile du nez dans
78 % des cas. Mais plus que la topographie et la terminaison exacte de cette branche de la
carotide externe, il est intéressant de noter la richesse de la vascularisation des téguments de
la face, procurant une excellente résistance à l'infection, propice à une cicatrisation rapide.
Les parages doivent donc être le plus économiques possible.
La face est entourée d'éléments vitaux, expliquant que certaines lésions ne soient pas
compatibles avec la survie. Les éléments de voisinage sont la boîte crânienne et le système
nerveux central (SNC) en haut, le cou en bas avec les gros troncs artério-veineux.
339
Étio-pathogénie
Les projectiles sont de plusieurs types. L'étude balistique est importante : la balistique
intérieure et intermédiaire reste l'apanage des ingénieurs de l'armement, mais la balistique
terminale concerne tout chirurgien.
Éclats
Ils englobent les éclats d'armes à fragmentation, mais aussi les projectiles secondaires
mobilisés par l'effet de souffle (pierres, débris divers, souillures telluriques). De taille
variable, ces éclats peuvent être à l'origine de lésions diverses : vaste délabrement ou
polycriblage, perte de substance transfixiante ou non.
Balles
Toutes ne sont pas équivalentes. Il n'y a rien de commun entre les lésions
occasionnées par un fusil de chasse ou une arme de dissuasion (pistolet à grenailles) et celles
produites par les armes de poing de fort calibre, voire les fusils d'assaut. Remarquons que ces
armes de guerre sont utilisées même en temps de paix par certains milieux tels que le grand
banditisme ou le terrorisme.
Les balles classiques de fort calibre (9 mm), de faible vitesse de propulsion (inférieure
à 300 m/s) ainsi que les projectiles secondaires, sont responsables de lésions constituées d'un
orifice d'entrée, d'un trajet et d'un orifice de sortie, si leur énergie est suffisante. Les lésions
anatomiques sont limitées à ce parcours, et leur gravité est en général mineure lorsqu’aucun
organe vital n'est touché.
Il n'en est pas de même pour les plaies occasionnées par les fusils de guerre actuels.
Ces armes utilisent des balles de petits calibres, mais dont la vitesse initiale est grande. De ce
fait, de nouveaux phénomènes apparaissent dans le milieu traversé qui vont accompagner la
balle et accroître son pouvoir vulnérant.
De plus, la trajectoire de ce type de balles n'est pas rectiligne, uniforme. Les rayures
du canon lui impriment un mouvement de rotation afin de conférer stabilité et précision au
vol. Par rapport à son centre de gravité, la balle est animée d'oscillations qui se décomposent
en deux mouvements :
340
Les dégâts provoqués par ces balles ne se limitent plus aux lésions directes. La surface
de l'impact est plus importante et la décélération du projectile est plus rapide, le transfert
d'énergie complet et brutal après l'impact majorant les lésions secondaires.
Anatomo-pathologie
Les lésions anatomo-pathologiques sont complexes, d'autant plus que le milieu
traversé est hétérogène. Elles varient en fonction du type de projectiles décrits plus haut. D'un
point de vue pratique, on différenciera les effets locaux, les effets régionaux et les effets à
distance.
Effets locaux
Les éclats sont à l'origine d'une perte de substance cutanée importante, non
systématisable. L'orifice d'entrée est de taille supérieure au projectile. Le plus souvent il
n'existe pas d'orifice de sortie. La plaie est souillée par des débris telluriques et des corps
étrangers divers. Les balles des fusils d'assaut déterminent un orifice d'entrée plus petit,
ponctiforme, parfois difficile à mettre en évidence.
Sur le trajet de l'agent vulnérant, l'étendue des lésions diffère également suivant le
type d'arme. Avec une arme conventionnelle, les dégâts sont limités au trajet de la balle. On
peut donc se les représenter et les explorer entre les orifices d'entrée et de sortie.
Les balles de petit calibre, à grande vitesse initiale, sont en revanche responsables de
phénomènes de cavitation générateurs de lésions à distance que nous analyserons plus loin
(effets régionaux). La cavité résiduelle correspond à la cicatrice de la cavité temporaire : elle
ne rend pas compte de l'étendue et de la richesse des lésions.
Effets régionaux
Ils sont apparus avec l'utilisation des balles à haut transfert d'énergie. L'onde de choc
accompagnant la balle et l'énergie libérée immédiatement après l'impact sont à l'origine d'un
ébranlement des tissus avoisinants. De manière extrêmement fugace, il se crée une cavité dont
les limites dépassent celles du cône d'attrition. À l'intérieur de cette cavité, des lésions
gravissimes apparaissent : dégâts musculaires (tissus mortifiés), osseux (fractures
comminutives avec perte de substance corticale et spongieuse, fractures irradiées). La limite
des parties molles assurément vouées à la nécrose est difficile à apprécier d'emblée . Elle ne
sera jugée qu'avec 48 à 72 h de recul sur des critères de couleur, de vascularisation, de
contractilité des tissus.
341
Effets à distance
Les vaisseaux et les nerfs résistent bien sur le plan anatomique à l'expansion de cette
cavité. Ils peuvent cependant présenter de nombreux désordres structuraux se soldant par des
thromboses secondaires et des dévitalisations retardées aggravant encore les lésions initiales.
Ainsi, avec ces projectiles, reconstruire mentalement le trajet entre les orifices d'entrée
et de sortie ne suffit plus. Les lésions cliniques et infracliniques sont nombreuses, variées,
immédiates mais aussi retardées. Ces constatations anatomo-pathologiques nous conduisent à
modifier le schéma thérapeutique habituel. En dehors des gestes salvateurs, il ne faudra pas,
comme en traumatologie routière par exemple, vouloir réparer tôt, tout, totalement, en un
temps, règle des 4 T instaurée en traumatologie « conventionnelle », même si les
circonstances s'y prêtent.
Sur le terrain
Des complications aiguës peuvent engager le pronostic vital. Elles appellent des
gestes salvateurs immédiats permettant d'attendre l'arrivée d'une équipe médico-chirurgicale
qui prendra en charge le patient et assurera son transport.
Si ces mesures sont inefficaces, il faut à tout prix rétablir la liberté des voies aériennes
par :
- une intubation oro - ou naso-trachéale après avoir éliminé une lésion du rachis
cervical ;
342
- une trachéotomie expéditive (coniotomie) ou réglée selon le degré d'urgence et
l'importance des dégâts locorégionaux.
Hémorragies
Si impressionnantes qu'elles soient, les hémorragies faciales ne provoquent
qu'exceptionnellement un choc hypovolémique lorsqu'elles sont isolées.
Une plaie vasculaire peut être à l'origine d'une hémorragie interne, externe ou mixte.
Les hémorragies artérielles ou veineuses s'expriment différemment par des hémorragies en jet
ou en nappe.
Face à l'une de ces situations, il faut apporter une réponse adaptée au cadre de
l'urgence :
343
Choc traumatique
Les associations lésionnelles sont fréquentes (fracas des membres, lésions
neurologiques) et doivent faire redouter un choc traumatique. La douleur, l'hypothermie,
l'anxiété s'ajoutent à l'hypovolémie.
Lésions neurochirurgicales
344
• fracture irradiée avec brèche ostéo-méningée et fistule de liquide céphalo-rachidien
(LCR). Secondairement, d'autres complications risquent de survenir : hypertension
intracrânienne (HTIC), méningite.
Lésions ophtalmologiques
Les plaies de la région oculaire sont nettoyées afin de mieux apprécier leur étendue
avant la survenue d'hématome et œdème, toujours importants. Cet examen du globe oculaire,
des paupières et de leurs annexes permet d'explorer les plaies franches ou contuses des
paupières, cutanées pures ou transfixantes, avec ou sans perte de substance, atteignant ou non
la cornée.
L'acuité visuelle, le champ visuel sont évalués œil par œil. Les pupilles sont
examinées à la recherche d'une mydriase, d'un myosis, et les réflexes pupillaires sont testés à
la recherche de lésions ophtalmologique ou neurologique centrale.
- une ptôse du globe oculaire ou une énophtalmie faisant suspecter une lésion du
plancher ;
- une exophtalmie secondaire à un hématome rétrobulbaire ;
- un télécanthus ou épicanthus signant des lésions osseuses multiples des cadres
orbitaires ou du complexe naso-ethmoïdo-maxillo-fronto-orbitaire (CNEMFO).
L'examen dynamique teste l'oculo-motricité des globes oculaires dans les quatre
quadrants, avec apparition ou non d'une diplopie lors de l'élévation du regard. Cette
dysfonction du muscle droit inférieur plaide pour une fracture du plancher orbitaire, avec
incarcération des structures périorbitaires.
Sur le terrain, l'examen ophtalmologique débouche sur des gestes simples ne risquant
pas d'aggraver les lésions au niveau local (pansement binoculaire mettant l'œil au repos,
blépharroraphie assurant la protection du globe oculaire) et l'orientation du blessé vers un
centre spécialisé.
Examen maxillo-facial
II débute par un interrogatoire du patient si possible, des témoins ayant assisté à
l'accident, de la famille, afin de réunir les antécédents médicaux et chirurgicaux du blessé et
les circonstances de l'accident.
345
Un examen exo-buccal
- Les signes fonctionnels sont la douleur ainsi qu'une perturbation des différentes
fonctions que sont la respiration, la déglutition, la mastication, la phonation (polypnée,
sialorrhée avec écoulement dû à l'incompétence labiale, économie du langage, etc.).
L'inspection note les asymétries et déformations des rebords osseux qui peuvent être
masquées par les œdèmes et les ecchymoses (péri-orbitaires en lunettes, jugaux, frontaux,
labiaux) survenant en quelques heures. Les plaies sont examinées :
Un examen endo-buccal
L'inspection et la palpation sont menées de pair, en débutant par l'examen du
contenant, paroi après paroi, puis du contenu. Les lésions muqueuses sont inventoriées :
plaies vestibulaires, pelvilinguales, jugales, palatines, vélaires.
L'engrènement des arcades supérieures et inférieures peut être perturbé et on peut être
confronté à plusieurs situations (Fig. 17.2) :
- l'une des arcades est déviée dans son ensemble et il faut suspecter une fracture
rétrodentée de la mandibule, une disjonction cranio-faciale ;
346
- une arcade est déformée par un chevauchement, une angulation, un décalage, signant
une fracture à ce niveau.
Examen général
L'examen général doit se faire membre par membre à la recherche de fractures,
luxations, etc., et appareil par appareil pour rechercher les conséquences d'un traumatisme
thoracique ou abdominal fermé ou ouvert.
Du bon contrôle des fonctions vitales, des lésions faciales et des lésions associées que
nous venons de décrire, découlent la mise en condition d'évacuation et la catégorisation de
cette urgence.
347
Mise en condition d'évacuation
Les plaies débarrassées des corps étrangers sont abondamment lavées avec du sérum
physiologique, puis avec un antiseptique iodé de type polyvidone iodée (Bétadine). Un
pansement occlusif est mis en place.
- blocage intermaxillaire sur arcs vestibulaires fixés par des ligatures péridentaires au
fils d'acier 4/10 ou sur ligature d'Ivy. Ce blocage réclame une surveillance particulière du
blessé car il peut devenir urgent de libérer rapidement les voies aériennes supérieures en cas
de détresse respiratoire aiguë. Une paire de ciseau de type Beebee doit donc toujours
accompagner le patient ;
Ainsi préparé, le blessé est évacué en position latérale de sécurité (PLS) ou en position
demi assise si son état général le permet. Le décubitus dorsal est toujours mal supporté chez
le traumatisé facial.
Les fonctions vitales doivent être surveillées durant le transport. Une sonde naso-
gastrique est nécessaire afin de permettre la réhydratation et l'alimentation du patient en
court-circuitant les lésions buccales, ou l'aspiration du contenu gastrique en cas de
vomissement chez un patient dont la mandibule est bloquée.
Le choix du centre spécialisé vers lequel est dirigé le blessé est dicté par :
348
À l'arrivée à l'hôpital un nouvel examen clinique est pratiqué, afin de réévaluer l'état
du patient et de dépister des lésions passées inaperçues. Il hiérarchise les demandes
d'examens spécialisés.
Examens radiologiques
Si les clichés simples pratiqués dans les trois dimensions de l'espace sont toujours de
mise lorsque l'on suspecte une lésion des structures nobles, un scanner pratiqué en première
intention sera un gain de temps précieux. Il faut vérifier l'intégralité du rachis cervical si on
désire mettre le patient en position debout ou si on veut effectuer des clichés nécessitant
l'hyperextension du rachis cervical (incidences frontales, coupes coronales au scanner et
cliché en incidence de Hirtz). S'il est impossible d'étendre le rachis cervical, seules des coupes
axiales seront possibles. Des reconstructions scénographiques coronales, de moins bonne
qualité, pourront cependant aider le chirurgien suspectant une brèche dure-mérienne, une
fracture du plancher de l'orbite avec incarcération des muscles oculo-moteurs.
Le bilan radiologique standard comprend des clichés pratiqués dans les trois
dimensions de l'espace.
Formes cliniques
Formes anatomo-pathologiques
La systématisation des lésions maxillo-faciales est difficile. Tout au plus peut-on
dégager quelques tableaux cliniques les plus fréquents, et ce en fonction du point d'impact.
Si l'impact est antéro-postérieur, vertical ascendant, ce qui est souvent le cas des
tentatives de suicide par arme à feu, deux types d'associations lésionnelles se rencontrent :
- l'impact se situe sous le menton, l'étage inférieur de la face est ouvert comme un
livre, avec un défect osseux mandibulaire et maxillaire ;
349
- l'orifice d'entrée se trouve dans la bouche, et c'est alors le 1/3 vertical médian qui est
atteint, avec perte de substance osseuse et muqueuse du plafond buccal, valgisation des
malaires et des os propres du nez qui sont soufflés.
Si l'impact est latéral, ce qui est souvent le cas des blessés de guerre, il peut être :
Formes étiologiques
Elles varient avec le type d'armes utilisées. Nous les avons décrites plus haut.
Les lésions occasionnées sont très différentes et peuvent aller du polycriblage (arme
d'autodéfense à grenaille), au trajet simple sans lésion majeure (arme de poing), jusqu'aux
lésions les plus mutilantes (fusil d'assaut), non compatibles avec la survie si le tir intervient à
moins de 400 m et atteint la face.
Formes évolutives
- Complications précoces : un polytraumatisé pourra présenter des lésions
neurochirurgicales, orthopédiques, viscérales qui feront passer le traitement des lésions
maxillo-faciales au second plan. Des gestes simples, que nous détaillerons plus loin, devront
cependant être mis en œuvre précocement afin de préparer les étapes de reconstruction.
Du point de vue maxillo-facial, l'infection est moins fréquente mais possible compte
tenu des phénomènes de dévitalisation retardée (lambeau cutané, séquestre osseux) et de la
communication avec des cavités septiques ;
Traitement
L'extrême urgence étant réglée et les fonctions vitales contrôlées, on pourra passer au
traitement des lésions maxillo-faciales proprement dites.
350
Plusieurs dogmes doivent être ici impérativement respectés. Contrairement à l'attitude
habituellement prônée en traumatologie courante, le traitement ne pourra ici être radical, en
un temps, ni précoce. Les lésions décrites au chapitre Anatomo-pathologie dictent cette
conduite. Le traitement primaire consiste en une mise à plat des lésions préparant les étapes
futures.
Le parage doit être économe, car la face est très vascularisée, avec un excellent
potentiel de cicatrisation, mais il faut rester prudent en raison de la possibilité de
dévitalisation secondaire à court ou moyen terme.
Parage
II doit être ni trop généreux, ni trop modeste. Il pourra être effectué en plusieurs
temps, en fonction de l'évolution des lésions secondaires.
Les esquilles osseuses seront éliminées mais le parage osseux sera le plus
conservateur possible, évitant tout dépériostage inutile.
Les déplacements osseux sont réduits manuellement ou par traction sur fil d'acier, sur
arc vestibulaire ou sur un groupe dentaire. L'objectif est de restaurer l'occlusion dentaire
antérieure.
351
des élastiques durant les premiers jours s'il persiste un petit décalage dans l'articulé (contact
prématuré par exemple).
La contention utilisera des moyens extra focaux ou transfocaux, évitant dans ces
circonstances les ostéosynthèses intrafocales.
352
- une canthopexie transnasale au niveau des os propres du nez.
Traitement tégumentaire
La règle des 6 h imposée par Friedrich et Policard peut être transgressée grâce à une
antibiothérapie à large spectre entreprise précocement et la vitalité particulière des tissus de la
face.
Le traitement secondaire devra être le plus précoce possible, lorsque les structures
osseuses seront stabilisées et l'environnement tissulaire favorable.
353
si nécessaire, suture sur tuteur ou abouchement à la muqueuse des canaux lacrymaux ou du
canal de Sténon par exemple.
Grâce à ce traitement, les lésions osseuses sont stabilisées et les parties molles sont
cicatrisées en général en trois semaines à un mois. Le traitement secondaire débutera dès que
possible, sans attendre les rétractions toujours à redouter. Il met en œuvre toutes les
techniques habituellement utilisées en chirurgie plastique et reconstructrice utilisant des
lambeaux locaux, régionaux ou à distance, simples ou composites, pédicules, libres,
revascularisés ou non.
Thème clinique
Afin d'illustrer notre propos, nous allons envisager le cas d'un traumatisme balistique
de la face, dont l'impact latéral lèse à la fois les étages moyen et inférieur du massif facial. Ce
type clinique est généralement le résultat d'une agression par arme à feu, différent des lésions
médianes sagittales habituelles dans les tentatives de suicide.
Ce patient ayant reçu les premiers soins arrive à l'hôpital le plus proche dans les
meilleures conditions et la prise en charge chirurgicale est immédiate. Avant d'aborder le
traitement initial de ces lésions, il nous semble nécessaire de présenter un rappel anatomique
plus particulièrement abordé sur le plan traumatologique.
Rappel anatomique
Les structures anatomiques de la face ont été décrites précédemment et nous ne
reprendrons ici que les données ayant directement trait à la thérapeutique. De plus, la
complexité des lésions en rapport avec un traumatisme balistique rend caduques les
différentes notions d'architectonie habituellement évoquées. Au cours d'un traumatisme
balistique, les lésions anatomiques sont très complexes, et les descriptions classiques de
l'architecture de la face perdent de leur intérêt. En effet, la puissance de l'agent vulnérant se
joue des lignes de force et les traits de fracture différents de ceux habituellement rencontrés.
Dès lors, il est nécessaire pour décrire l'ensemble des dégâts de faire appel à des cadres
nosologiques plus vastes. Ainsi, les traumatismes s'étudient secteurs par secteurs, la face étant
divisée en trois tiers verticaux (latéral droit, médian, latéral gauche) et trois étages (inférieur,
moyen, supérieur).
Du point de vue osseux, le massif facial est une superstructure composite comportant
13 os de composition différente : os cortical, os spongieux, os papy-racé. Seules les zones de
résistance verticales (piliers canins et consoles maxillo-malaires, ainsi que leurs ancrages sur
la base du crâne) et horizontales (plateau palatin, continuité mandibulaire) méritent
réparation. Cette structure répond aux contraintes biomécaniques de la mastication, à travers
les dents qui représentent à la fois une référence de l'anatomie antérieure et un point
d'ancrage, pilier des traitements chirurgicaux et orthopédiques.
354
Cette structure rigide, appendue à la base du crâne, abrite de nombreux éléments
vitaux et sensoriels que sont les voies aériennes supérieures, les voies digestives avec la
langue, les globes oculaires et leurs annexes, les glandes salivaires, les pavillons auriculaires.
L'ensemble est recouvert par la peau, que l'on ne doit plus comme autrefois négliger
car des délabrements inesthétiques ont des répercussions importantes sur les plans
psychologiques et sur la personnalité. Sa coloration, sa texture, sa mobilité, sa pilosité varient
d'un secteur à l'autre. Elle délimite les orifices naturels cités plus haut. Les frontières peau-
muqueuse doivent faire l'objet d'une attention particulière : calibrage, alignement.
Sous ce revêtement cutané, les muscles peauciers jouent un rôle fonctionnel majeur
malgré leur faible volume. Ils sont innervés par le nerf facial et régissent la mimique. Cet
ensemble de muscles symétriques forme le système musculo-aponévrotique superficiel, ou
SMAS, de localisation péri-orificielle et présentant des insertions profondes para-osseuses, et
superficielles hypodermiques.
Dans le cas que nous allons décrire, les lésions sont nombreuses et étendues, non
systématisables ; elles concernent les secteurs moyen et inférieur de la face, et sont
latéralisées au tiers médian et latéral. Les dégâts osseux, bien analysés par l'imagerie médicale
moderne, ne demanderont pas tous une réparation ad integrum. Quant à l'atteinte des parties
molles, son exploration minutieuse ne sera possible que sous anesthésie générale.
Prise en charge
Dès l'arrivée à l'hôpital de ce patient ayant reçu les premiers soins, on peut être
confronté à plusieurs situations.
Les fonctions vitales peuvent être menacées immédiatement et leur traitement en salle
de déchocage s'impose. Elles peuvent à l'inverse être stables, un examen clinique rapide mais
complet a alors pour but de déterminer la priorité et la chronologie des gestes à entreprendre.
Complications immédiates
Détresse respiratoire
La liberté des voies aériennes supérieures peut être menacée de multiples façons :
Chacune de ces situations réclame une réponse adaptée. Après aspiration des
différentes sécrétions, écouvillonnage doux, exérèse des corps étrangers, un abord direct des
voies aériennes supérieures sera le plus souvent nécessaire.
355
Une intubation par les voies naturelles, c'est-à-dire par la cavité buccale très délabrée,
est toujours possible mais gênera le geste chirurgical. L'intubation naso-trachéale n'est pas
non plus retenue car la probabilité de lésion de l'étage moyen irradiant vers l'étage antérieur
de la base du crâne n'est pas négligeable, elle est donc dangereuse sans examen radiologique
précis. On court également le risque que la sonde suive un trajet sous-muqueux.
Trachéotomie réglée
Elle s'exécute sous anesthésie locale et prémédication non dépressive, ou sous
anesthésie générale, avant le geste chirurgical. Le patient est placé en décubitus dorsal, tête en
hyperextension.
Défaillance circulatoire
Si impressionnantes qu'elles soient, les pertes sanguines d'origine maxillo-faciale ne
sont que rarement à l'origine d'hypovolémie. L'hémostase sera cependant soigneusement
contrôlée, ainsi que les constantes cardiocirculatoires :
Bilan pré-opératoire
356
L'examen clinique a pour but d'évaluer l'étendue des lésions pluritissulaires et
d'orienter les examens complémentaires.
L'orifice d'entrée du projectile réalise une perte de substance concernant toutes les
tuniques du soufflet jugal. Cette plaie s'étend jusqu'à l'orifice buccal par une perte de
substance labiale et commissurale. La localisation de cette perte de substance laisse présager
une atteinte du canal de Sténon, ainsi que des rameaux buccaux et mentonniers du nerf facial.
La douleur et l'œdème rendent difficile l'examen de la mimique faciale.
À l'étage mandibulaire, plusieurs dents sont également absentes dans les secteurs
prémolaire et molaire. Une fracture comminutive de la branche horizontale, ouverte du côté
endo-buccal, est responsable d'un trouble de l'articulé dentaire. La langue présente une perte
de substance intéressant la partie latérale de la pointe, en avant du V lingual. Enfin, un
volumineux hématome occupe l'hémi-plancher buccal homolatéral.
Devant ce tableau, un bilan radiologique est demandé. Il comprend les clichés simples
suivants :
- incidences de Blondeau et de Waters ;
- incidence face basse ;
- incidences des maxillaires défilés droit et gauche ;
- incidence de Hirtz centrée puis latéralisée du côté des lésions ;
- un ortho-pantomogramme.
Si l'on suspecte une atteinte de l'étage antérieur (lame criblée) ou de l'étage moyen de
la base du crâne (fracture du rocher), de la cavité orbitaire, il faut demander un scanner en
complément des clichés simples. Sur chacune des localisations suspectes, des coupes
bimillimétriques axiales et coronales permettent de visualiser les traits de fracture, les
déplacements des segments osseux, des éventuelles lésions des organes nobles de voisinage
(dure-mère, péri-orbite, nerf facial).
Dans notre exemple, un scanner du massif facial avait été demandé d'emblée, pour
gagner du temps et parce que le plateau technique le permettait. Les lésions étaient les
suivantes :
357
préparer les différents temps de chirurgie réparatrice. Ce traitement initial doit intervenir le
plus tôt possible, ou être différé de 5 à 6 j après la phase inflammatoire aiguë.
Traitement initial
Matériel
Les instruments nécessaires à l'intervention sont les suivants :
Installation
L'intervention est programmée sous anesthésie générale. Le problème de l'intubation
ne se pose pas car le patient est trachéotomisé. Le sevrage de la trachéotomie doit être le plus
rapide possible, dès que la liberté des voies aériennes est rétablie.
Intervention Parage
Le premier temps est le nettoyage minutieux de la plaie opératoire avec une solution
antiseptique iodée. Cette toilette ne doit pas se limiter au plan superficiel mais, bien au
contraire, être méthodique, de la surface vers la profondeur, idéalement sous irrigation
abondante et brossage appuyé. En superficie, les abrasions dermo-épidermiques sont
nettoyées avec soin ; plus en profondeur, les lambeaux cutanés, musculaires et les fragments
osseux sont déplacés afin de retirer tous les corps étrangers, fragment dentaire ou prothétique.
Cette première étape de parage permet de faire un bilan exhaustif des lésions. Il doit
être le plus économique possible.
Au niveau cutané et muqueux ne sont excisés que les lambeaux assurément nécrosés ;
sur le plan osseux, seuls les fragments libres de petite taille dépériostés, c'est-à-dire privés de
vascularisation, seront éliminés. Afin de ne pas majorer les pertes de substance, ce geste
devra être le moins traumatique possible, en évitant les décollements et dépériostages inutiles.
Dans le cas présent, la perte de substance jugale de pleine épaisseur est située en avant
du muscle masséter. La parotide n'est concernée que par l'intermédiaire du canal de Sténon
qui est interrompu avant son ostium et s'abouche dans la plaie opératoire. La perte de
358
substance linguale est parée, et l'hémostase de sa tranche de section faite soigneusement au
bistouri électrique sur pinces.
La suture sera soulagée par de larges points en U. L'hématome du plancher buccal est
évacué et divers fragments et corps étrangers sont aspirés. La mandibule présente une perte de
substance de l'os cortical et spongieux rendant impossible une reconstruction immédiate
restaurant la continuité mandibulaire.
Contention
Les fractures du pilier canin et du cintre maxillo-malaire sont ostéosynthésées par des
fils d'acier ou par plaques fixées par quatre vis unicorticales de 7 mm. Ces plaques sont
modelées extemporanément au relief de l'étage moyen. On peut assurer la contention de la
mandibule de plusieurs manières :
La contention stable des foyers de fracture par des moyens intra- et périfocaux
présente plusieurs avantages :
359
revascularisée en maintenant les espaces, en évitant les rétractions cutanéo-muqueuses à
l'origine de brides jugales et commissurales qui compliqueront le traitement secondaire ;
Fermeture
La fermeture se fait en sens inverse du parage, de la profondeur vers la périphérie.
Les voies d'abord vestibulaires sont suturées à l'aide de fils à résorption rapide. La perte
de substance est pérennisée en suturant la peau à la muqueuse. L'abouchement du canal de Sténon
est dérivé sur drain tuteur, afin de créer un nouvel ostium situé en muqueuse saine. L'extrémité
prémassétérine de la plaie est protégée par un large point en U noué sur bourdonnets.
Soins post-opératoires
L'antibiothérapie à large spectre et à bonne diffusion osseuse (associant pénicilline-
métronidazole ou amoxicilline-acide clavulanique), débutée en pré-opératoire, est poursuivie en
fonction des données cliniques. On y associe une corticothérapie brève mais intensive. Le blocage
est laissé en place durant 5 j, pour améliorer les suites post-opératoires immédiates (diminution de
la douleur, des œdèmes, etc.). Dès la libération de ce blocage, et à condition que les sutures soient
de bonne qualité, l'alimentation par sonde naso-gastrique sera remplacée par une alimentation
liquide per os. Les lavages-irrigation de la cavité buccale doivent être pluriquotidiens.
La lame de drainage est laissée en place le minimum de temps, elle permet des lavages du
trajet balistique avec des solutions antiseptiques. Ces manœuvres ne doivent pas être poursuivies
sous peine de pérenniser un orostome.
La cicatrisation complète doit survenir dans un délai de trois à quatre semaines. C'est à ce
moment que doit être proposé un nouveau geste chirurgical, afin de rétablir la continuité osseuse
mandibulaire et d'effectuer une reconstruction jugale et commissurale.
Le traitement initial des délabrements faciaux, aujourd'hui mieux codifié, doit être
effectué avec le souci constant de préserver l'avenir, en tentant de simplifier autant que possible
les interventions futures. Il doit aussi tenir compte de préoccupations esthétiques, pour minimiser
au maximum les cicatrices, et rendre plus rares les « gueules cassées » issues des derniers conflits
mondiaux.
360
Plaies du thorax
en situation d'exception
La prise en charge d'une plaie du thorax peut, en conditions précaires, être une
situation extrêmement angoissante, compte tenu de la gravité immédiate potentielle de
certaines de ces plaies et de l'appréhension que peut avoir un chirurgien à réaliser une
thoracotomie d'hémostase s'il n'a pas l'habitude de cette chirurgie.
Tous ces éléments font que la prise en charge d'un blessé du thorax en situation
précaire sera souvent difficile et en tout cas différente de ce que l'on connaît dans nos
structures européennes.
Agents vulnérants
Les plaies thoraciques sont généralement dues à des armes blanches ou des
projectiles.
361
La fréquence des plaies par armes blanches (poignards, lances, sagaies, machettes) est
très variable selon le type de conflit : elle est généralement faible mais peut parfois être
prédominante comme cela a pu être observé lors du récent conflit du Rwanda. Le pronostic
est souvent assez bon si le patient a pu arriver vivant jusqu'à l'hôpital.
- les balles ont fait l'objet de nombreuses études balistiques sur leur trajet et les lésions
qu'elles peuvent provoquer en fonction de leur calibre et de leur vitesse (voir chapitre 14).
Ces notions de balistique sont en fait plus utiles pour les concepteurs d'armes qui veulent
connaître leur pouvoir vulnérant que pour le chirurgien. En effet, ces notions théoriques
perdent toute leur valeur si la balle a touché un obstacle dur avant de pénétrer dans le corps
(gilet pare-balles, ricochet sur un obstacle, etc.) ou dans le corps même (côte, sternum,
vertèbre pour le thorax). Dans ce cas, la reconstitution du trajet est très hasardeuse et même la
notion classique de petit orifice d'entrée et de gros orifice de sortie peut être mise en défaut.
En fait, pour le chirurgien, la détermination du projectile n'a pas d'intérêt pratique réel : on ne
traite pas un projectile mais les lésions qu'il provoque. Le plus important est d'essayer de faire
le bilan des lésions dues au projectile, quel qu'il soit, une attention toute particulière devant
être portée à la possibilité de passage dans la cavité abdominale ou de trajet transmédiastinal ;
- les fusils de chasse, souvent utilisés actuellement dans les conflits à type de guerre
civile, donnent des lésions variant avec la distance de tir et le calibre des plombs ; un tir à
moins de trois mètres avec de la chevrotine provoque de très grosses lésions pariétales ; dans
les tirs plus distants, les projectiles sont plus dispersés, donnant un aspect de polycriblage
posant les mêmes problèmes que ceux d'une plaie par éclats : chaque orifice peut
correspondre à une lésion potentiellement grave.
Lésions
Elles peuvent concerner toutes les structures anatomiques thoraciques.
Une atteinte pleurale peut faire apparaître un thorax soufflant ayant de graves
conséquences physio-pathologiques lorsqu'elle accompagne une grosse plaie pariétale ;
lorsque l'orifice s'est collabé, il peut alors y avoir un hémopneumothorax fermé qui, surtout
362
s'il s'accompagne de fuites aériennes importantes, risque de devenir compressif, pouvant
entraîner un arrêt cardiaque.
Les lésions pulmonaires peuvent être directes avec hémorragies et fuites aériennes ;
les lésions du hile (concernant souvent les artères ou veines pulmonaires) sont pour la plupart
rapidement mortelles et sont rarement vues par le chirurgien. Le plus souvent donc, il faut
prendre en charge des lésions touchant les branches périphériques des bronches ou des
vaisseaux. Le parenchyme pulmonaire est souvent dilacéré. À côté de ces lésions pulmonaires
directes, il existe aussi des lésions indirectes, à type de contusion pulmonaire, qui peuvent
être graves secondairement car elles font courir de gros risques de surinfection et de
perturbation de la ventilation. Ces lésions nécessitent normalement une ventilation prolongée,
souvent illusoire en situation précaire.
Les plaies du médiastin, compte tenu de l'importance des organes que celui-ci
contient, répondent le plus souvent à la loi du « tout ou rien ». Les plaies des cavités
cardiaques ou des gros vaisseaux sont habituellement rapidement mortelles ; lorsqu'elles
arrivent au chirurgien, il s'agit souvent de plaies du cœur peu délabrantes (alors plus souvent
par arme blanche que par balle) dans lesquelles un hémopéricarde a pu réaliser une hémostase
provisoirement salvatrice. Sans traitement (péricardiocentèse ou ponction), cet hémopéricarde
évolue vers une tamponnade mortelle. Les plaies de l'œsophage sont rares mais très graves
car, sans possibilités d'endoscopie, elles restent généralement méconnues et provoquent
secondairement des médiastinites gravissimes.
Au terme de cet examen, on peut individualiser quatre tableaux dont trois imposent (si
les conditions le permettent) un geste immédiat :
- tableau de détresse circulatoire majeure par hémothorax massif qui nécessite à la fois
une réanimation lourde et une thoracotomie d'extrême urgence ;
363
- tableau de tamponnade avec une plaie isolée de l'aire cardiaque évoquant une plaie
du cœur qui impose une sternotomie ou une thoracotomie d'hémostase en urgence,
éventuellement précédée d'une ponction péricardique ;
- tableau de détresse respiratoire, soit avec un thorax soufflant évident, qu'il faut
obturer et drainer, soit avec des signes de pneumothorax important justifiant un drainage ou
une exsufflation en urgence.
Le quatrième tableau est. celui d'un blessé du thorax relativement stable sur le plan
circulatoire et respiratoire, et chez qui on peut réaliser un bilan un peu plus poussé avant de
décider d'un geste thérapeutique.
Réanimation
La réanimation dans ces circonstances précaires se borne souvent à la mise en place
de voies veineuses et de perfusion.
Drainage
Le drainage est le geste de base devant toute plaie du thorax. Les quatre qualités du
drainage sont d'être :
364
orifice fait communiquer le bocal avec l'atmosphère : ainsi, tout reflux d'air est impossible
lors des mouvements inspiratoires mais une remontée liquidienne reste possible lors de
mouvements très amples. Pour l'éviter, il faut que le bocal soit au moins à 40 cm en dessous
du thorax du patient ; au fur et à mesure que le niveau du liquide monte, l'aspiration devient
moins efficace et il faut changer le bocal ou remonter le tuyau qui plonge dans le liquide.
Méthodes d'aspiration
On peut ne pas aspirer et laisser ainsi en siphonage simple les dispositifs précédents.
Il est toujours préférable de maintenir une aspiration branchée directement sur la valve
de Heimlich ou sur le dispositif à un bocal (les dispositifs à deux voire trois bocaux, plus sûrs
mais plus complexes et plus volumineux, sont peu réalistes dans ce type de situation) :
- ce sera au mieux une aspiration continue par une source de vide (vide mural,
aspirateur électrique), rare en fait dans ces conditions ;
- ce peut être une aspiration discontinue par le personnel utilisant un aspirateur à pied
type Pédavid ou un aspirateur portable et faisant régulièrement le tour des blessés drainés du
thorax ;
- ce peut être la traite régulière de la valve de Heimlich (que l'on peut enseigner à un
membre de la famille ou à un accompagnant).
- les thoracotomies « de ressuscitation » sont en fait rares car soit le blessé est décédé
pendant le transport, soit les moyens de réanimation lourde et de remplissage faisant défaut,
l'intervention est vouée à l'échec. Pour décider d'une telle thoracotomie, il faut tenir compte
non seulement des possibilités techniques locales mais aussi du contexte social, politique ou
culturel (un décès sur table peut être interprété soit comme un échec que l'on pourra reprocher
au chirurgien, soit, inversement, comme la preuve d'avoir fait tout ce qu'il pouvait devant une
telle situation). Il est donc impératif, avant l'intervention, de prévenir l'entourage des très
fortes probabilités de décès ;
- une tamponnade témoigne souvent, comme nous l'avons vu, de plaie assez limitée
des cavités cardiaques et justifie un abord chirurgical qui peut sauver le patient au prix d'un
geste relativement simple qui sera éventuellement précédé d'une ponction péricardique ;
365
- pour les autres plaies avec hémothorax, les indications de thoracotomie nous
paraissent devoir être plus larges dans ce type de circonstances car elle offre plusieurs
avantages : d'abord, elle permet de limiter la réanimation et les besoins de remplissage d'un
hémothorax qui continue à saigner ; ensuite, on peut immédiatement faire un bilan lésionnel
et traiter précisément les lésions en assurant une hémostase et une pneumostase soigneuse ;
enfin, on peut s'assurer de la bonne position des drains, ce qui simplifie grandement la
surveillance post-opératoire dont nous avons vu les difficultés dans les drainages « à
l'aveugle». Cette attitude plus interventionniste permet également de limiter les complications
infectieuses et les séquelles à distance. Elle a été en particulier appliquée lors des conflits
tchadiens (Dumurgier, Courbil, Malchair) et la proportion de thoracotomies a pu atteindre 68
% dans la série de Dumurgier (thèse Emanuely). Il est difficile de définir des critères stricts
d'indication qui dépendront beaucoup des conditions d'exercice mais il nous semble que toute
plaie du thorax avec pneumothorax et hémothorax de moyenne abondance, même stable sur
le plan hémodynamique, justifie une thoracotomie de « mise au propre ». En effet, ce geste ne
s'accompagne que d'une faible morbidité (lorsqu'il n'y a pas d'exérèse majeure), contrairement
à un drainage inefficace ;
- pour les plaies thoraco-abdominales : au moindre doute sur la possibilité d'une plaie
abdominale, il est indispensable de réaliser une laparotomie de principe. On rejoint ainsi le
principe de la laparotomie systématique devant toute plaie de l'abdomen en chirurgie de
guerre. Cette laparotomie permet de confirmer ou d'infirmer le diagnostic de plaie
pénétrante : si la pénétration abdominale est confirmée, elle permet de traiter une lésion
abdominale associée et de réparer la lésion diaphragmatique ; même si on ne retrouve pas de
lésion, la laparotomie a l'avantage de simplifier la surveillance ultérieure, car on ne sera pas
préoccupé par la possibilité d'une telle lésion. Cette laparotomie sera associée soit à un simple
drainage, soit à un abord thoracique.
Technique chirurgicale
Sur le plan anesthésique, l'intubation sélective est rarement possible dans ce type de
situation mais peut toujours s'avérer intéressante si l'on a la chance de disposer d'une sonde
type Carlens et surtout d'un anesthésiste habitué à ce type d'intubation.
Voies d'abord
Pour une thoracotomie « de ressuscitation » la thoracotomie antérolatérale sous le
grand pectoral est la seule voie possible, compte tenu de l'impossibilité de mettre ce patient en
décubitus latéral. A gauche, elle permet en outre le clampage de l'aorte thoracique
descendante.
366
Pour une plaie thoraco-abdominale, la voie d'abord sera, après drainage thoracique,
une laparotomie médiane pour la plaie abdominale généralement traitée en premier. Si un
abord thoracique est jugé nécessaire, il pourra se faire soit par une petite thoracotomie
antérolatérale chez le patient laissé en décubitus dorsal, soit, en cas de difficultés
importantes, par un grand élargissement en thoraco-phréno-laparotomie.
Gestes intrathoraciques
Une fois réalisée la thoracotomie, il faut :
Drainage - fermeture
Le drainage est indispensable ; il sera assuré au mieux par deux drains, l'un
antérieur et l'autre postérieur. Le temps de fermeture sera parfois long, dominé par la
nécessité d'obtenir l'étanchéité : fermeture de la thoracotomie, mais aussi fermeture du ou
des orifice(s) qui sera parfois difficile en cas de délabrement important. Il faut
éventuellement s'aider de « synthèses » costales par des fils et utiliser les masses
musculaires pariétales pour assurer cette étanchéité.
Suites opératoires
Elles font toute la difficulté de cette chirurgie et l'on peut là aussi évoquer la loi du
« tout ou rien » : soit le blessé peut être rapidement extubé et aucune complication
infectieuse majeure n'émaille l'évolution, et les suites seront relativement simples, soit des
complications respiratoires liées à la contusion et/ou à la surinfection apparaissent, et elles
seront alors souvent fatales car toute ventilation ou réanimation prolongée est
habituellement impossible. Dans les suites il faut :
367
- mettre en place l'antibiothérapie dont on dispose ;
- appareiller et surveiller le drainage comme nous l'avons évoqué plus haut ;
- assurer une kinésithérapie est illusoire mais aider le patient à tousser, faire du
clapping, éduquer l'entourage pour le faire est possible et peut s'avérer très utile.
Les complications que l'on redoutera seront :
- une reprise hémorragique ;
- un huilage prolongé témoin d'une brèche broncho-pleurale persistante pour
lequel il faut savoir être patient car un drainage prolongé pourra souvent en avoir raison ;
- des complications infectieuses, avec pyothorax surtout, pouvant nécessiter
drainages itératifs et lavages pleuraux ;
- à distance, ce seront les séquelles : persistance de corps étrangers
intrathoraciques souvent psychologiquement très mal ressentis dans certains pays et pour
lesquels il faudra résister à la demande d'ablation parfois très pressante du patient ou de
son entourage ; constitution d'une poche pleurale enkystée, plus ou moins infectée, ou
d'un pneumothorax chronique qui seraient alors l'indication théorique d'une décortication
pulmonaire ; il s'agit cependant d'une intervention parfois difficile, souvent hémorragique,
dont il faut poser les indications avec circonspection en tenant compte du plateau
technique, de l'état général du patient et des compétences du chirurgien.
Conclusion
En situation d'exception, avec des possibilités très limitées de réanimation, les
plaies du thorax par arme blanche ou par balles peuvent être graves soit immédiatement,
et alors souvent mortelles, soit secondairement en particulier par les complications
infectieuses liées aux difficultés de drainage et de surveillance. L'indication, plus large
qu'en chirurgie « civile », de thoracotomies de « mise au propre », nous paraît pouvoir
faciliter la prise en charge de ces blessés et limiter les complications et séquelles par
rapport aux simples drainages.
368
Indications et limites de la chirurgie
dans les plaies pelvi-périnéales
Dans le cadre plus vaste des plaies de l'abdomen, il faut faire une place particulière
aux plaies pelvi-périnéales, qui représentent 5 % des plaies abdominales. Elles associent des
lésions vasculaires ou viscérales intra-pelviennes et une ouverture périnéale, ce qui rend
compte de leur particulière gravité.
Anatomie
Là est le premier de ces facteurs : elle explique en particulier les fréquentes
associations lésionnelles, le risque hémorragique et le risque septique.
Mécanismes lésionnels
369
Dans les plaies pelvi-périnéales les traumatismes sont très fréquemment violents.
Les fractures du bassin sont fréquentes, avec rupture de l'anneau pelvien et déplacements
parfois importants qui exposent au traumatisme indirect des organes qui transitent dans le
pelvis. Le mécanisme est soit un choc frontal (motocycliste, piéton) soit un choc vertical
(chute d'une grande hauteur), soit enfin un écrasement sous un bâtiment ou un véhicule.
Les plaies pénétrantes périnéales directes résultent soit d'un empalement, soit d'une
blessure par arme blanche ou projectile, qui tous entraînent les lésions multiples et
septiques.
Les lésions périnéales par blast (mines antipersonnel ou autres explosifs) sont
toujours associées à des lésions graves des membres inférieurs.
Difficultés du diagnostic
Le troisième facteur péjoratif des plaies pelvi-périnéales est la difficulté d'établir
un bilan lésionnel précoce et complet. Le retard au diagnostic est parfois imputable à une
évacuation tardive, mais aussi à la difficulté de l'exploration clinique de ces lésions dans
le contexte traumatique. Le diagnostic relève d'un examen clinique soigneux, mais il y a
une place pour des examens complémentaires simples, pourvu qu'on dispose d'un appareil
de radiographie.
La plaie périnéale doit a priori être recherchée chez tout traumatisé de l'abdomen
ou du bassin, mais aussi chez tout polyblessé ou écrasé, par un examen systématique du
périnée. En cas de douleur très vive ou de lésion associée interdisant tout examen, celui-ci
sera réalisé sous anesthésie générale, après rasage périnéal, pour ne passer à côté d'aucune
plaie, même minime, même à distance. Le périnée antérieur, les organes génitaux
externes, la racine des cuisses et la paroi abdominale doivent eux aussi être inspectés.
Les lésions de la filière anorectale font l'objet d'un examen clinique : une
plaie de l'anus, du sphincter ou du rectum doit être suspectée a priori lorsqu'il existe une
plaie du périnée ou un traumatisme violent du bassin.
370
Les lésions de la filière uro-génitale doivent également être recherchées. Les organes
génitaux externes doivent être examinés avec soin : il faut se rappeler de la fréquence des
lésions du scrotum et de son contenu dans les blessures par explosifs, et leur atteinte
secondaire en cas de cellulite ou de gangrène périnéale. Le vagin fera l'objet d'un examen au
spéculum et au toucher vaginal.
Une uréthrorragie. Une hématurie, une rétention aiguë d'urine ou une fistule urinaire
précoce doivent faire évoquer une atteinte des voies urinaires. Pour la prouver, il faut réaliser
un sondage uréthro-vésical prudent et dans de bonnes conditions d'asepsie :
Indication chirurgicale
371
En l'absence de moyens sophistiqués d'imagerie, l'indication d'une exploration
chirurgicale doit être très large. Il faut intervenir précocement en cas de :
Dans tous les cas, il faut que l'intervention soit complète d'emblée, permettant donc
une exploration exhaustive des organes intra-abdominaux et de leur portion sous-péritonéale
et périnéale. Le blessé doit donc être installé de façon à permettre la laparotomie et l'accès au
périnée. Les membres inférieurs, soutenus par des supports bien capitonnés (pour éviter une
compression vasculaire, nerveuse ou musculaire prolongée), sont écartés et modérément
surélevés. Le sondage urinaire, s'il n'a pas été mis en place auparavant, est pratiqué de façon
aseptique. Après rasage et toilette, on isole le champ opératoire par deux champs séparés.
Gestes d'hémostase
La présence d'un hématome sous-péritonéal n'impose pas systématiquement une
hémostase chirurgicale. Seule une hémorragie en cours ou une augmentation évidente du
volume de l'hématome en cours de laparotomie doit faire explorer la région sous-péritonéale
du côté qui saigne. Ce geste peut s'avérer très difficile en cas de plaie(s) veineuse(s), et
conduire, si l'hémostase directe reste inefficace, à une ligature d'une ou des deux artères
hypogastriques (efficacité respective de 10 et 80 %), voire à la mise en place précoce d'un
tamponnement intrapelvien à l'aide de champs textiles secs - éventuellement après
cathétérisme des uretères pour prévenir leur compression. Il faut très rapidement, dès le début
de l'intervention, décider de recourir ou non au tamponnement, une fois l'exploration viscérale
terminée, et avant que ne surviennent les troubles de la coagulation. Si l'on recourt au
tamponnement, une fois l'hémostase obtenue, on referme la paroi abdominale et on
programme une nouvelle laparotomie après 48 ou 72 h, en fonction de l'état du blessé, pour
l'ablation des champs.
Toute lésion ano-rectale impose la réalisation d'une dérivation digestive d'amont, qui
constitue le geste digestif essentiel. La colostomie doit être pratiquée au site électif, dans la
fosse iliaque gauche. C'est une colostomie latérale sur baguette, à laquelle on doit adjoindre
deux gestes complémentaires importants :
- une vidange complète du segment digestif d'aval, grâce à l'irrigation par une sonde à
ballonnet et la vérification de la vacuité du rectum par une dilatation anale au doigt ;
- une « terminalisation » de la dérivation à l'aide d'une bourse de fil ou d'un agrafage
immédiatement en dessous de la stomie. Ainsi, on s'assure qu'aucune contamination ne pourra
venir empêcher la cicatrisation des lésions ano-périnéales.
372
Ce n'est que dans certains cas que l'on pourra traiter d'emblée les lésions ano-rectales :
- suture directe d'une déchirure sphinctérienne au fil résorbable, lorsque les lésions
sont nettes et qu'elles ne dépassent pas une hémicirconférence du sphincter ;
- suture directe en un plan, après parage, d'une plaie du canal anal ou du rectum sous-
péritonéal, par voie transanale ;
- suture directe au cours de la laparotomie d'une plaie nette du rectum, après
mobilisation éventuelle de la charnière recto-sigmoïdienne et du rectum jusqu'aux releveurs.
Dans le cas exceptionnel d'un délabrement rectal important, on peut être amené à pratiquer
une résection réglée de type Hartmann ;
- dans tous les autres cas, la plaie anale ou rectale ne doit pas être suturée d'emblée, et
il faut drainer les espaces périrectaux par des lames caoutchoutées après colostomie.
La réparation définitive des lésions des voies urinaires est le plus souvent un geste
secondaire qui incombe à l'urologue, à distance du traumatisme (urétrotomie endoscopique,
urétroplastie, cure de fistule vésicale ou recto-vési-cale).
Conclusion
Les plaies pelvi-périnéales sont de véritables urgences chirurgicales, car elles peuvent
avoir un pronostic vital, soit d'emblée lorsque les lésions hémorragiques prédominent, soit
secondairement par le développement d'infections (cellulites gangreneuses ou non)
entretenues par la contamination fécale. Les séquelles sont fréquentes du fait des associations
lésionnelles. L'expérience des conflits récents permet de dégager une attitude thérapeutique
univoque, valable en pratique civile, dont les principes généraux sont l'exploration
chirurgicale précoce, le drainage d'amont des lésions urinaires, la colostomie terminalisée, le
drainage large des parties molles et le traitement réparateur sélectif de la lésion ano-rectale.
373
Plaies de guerre de la hanche
Les plaies articulaires de guerre ont un pronostic bien différent selon qu' elles siègent
sur une articulation distale, intermédiaire ou proximale.
Dans le premier cas, comme au niveau du poignet et du pied par exemple, seul le
pronostic fonctionnel est en jeu. Dans le deuxième cas (coude, genou), le devenir du membre
est engagé. Dans le dernier cas enfin (racines des membres, épaule ou hanche) s'ajoute le
problème du pronostic vital.
Les plaies de guerre de la hanche représentent l'ensemble des lésions ouvertes par
projectiles de guerre avec effraction de V articulation coxo-fémorale.
Elles sont toujours graves car elles engagent le pronostic fonctionnel, le pronostic du
membre et le pronostic vital.
Leur expression clinique est extrêmement variée car les lésions associées sont
particulièrement nombreuses : atteintes nerveuses, vasculaires et viscérales. La plaie de
hanche en temps de guerre est en quelque sorte la « plaie articulaire de toutes les spécialités
chirurgicales ».
II faut, lorsque l'on étudie les plaies de guerre de la hanche, reprendre l'évolution de
leur prise en charge puis, à la lumière de données balistiques, replacer cette prise en charge
dans un contexte moderne. Les rapports anatomiques de la hanche permettent de comprendre
les données anatomo-pathologiques des lésions et de décrire quatre principaux tableaux
cliniques.
À ces quatre principaux tableaux cliniques correspond une attitude thérapeutique qui
dépend des lésions rencontrées et du contexte chirurgical. Parfois, il faut passer par des
gestes chirurgicaux à distance pour obtenir un résultat fonctionnel optimal.
Historique
La prise en charge des plaies de guerre de la hanche est passée par trois périodes.
374
La première était celle du fatalisme. Pendant les guerres d'Empire, Larrey, Blandin et Perret
côté français, Cooper et Guthrie côté anglais, pratiquaient la désarticulation coxo-fémorale
avec une effroyable mortalité. Legouest, après la guerre de Crimée, a condamné cette
intervention. Au cours de la guerre de Sécession, la mortalité était de 85 %, quel que soit le
traitement. Langenbeck, après la guerre de 1870, a publié une série de blessés de guerre de la
hanche avec 77 % de mortalité.
Vient ensuite la période euphorique qui commença au début du siècle puis se continua
au cours de la Grande Guerre. L'amélioration de l'asepsie et une meilleure connaissance des
techniques chirurgicales a permis d'abaisser la mortalité en dessous de la barre des 50 %.
L'apparition de la réanimation de l'avant et l'avènement de l'antibiothérapie vont alors
bouleverser les données, à tel point que l'on a péché par excès d'optimisme : les Américains
n'ont plus systématiquement exploré les plaies de guerre de la hanche à la fin de la guerre
1939-1945. Au début des années soixante, ils réalisaient en urgence des arthroplasties
prothétiques.
Cette attitude a provoqué bien des déboires à moyen terme et a conduit à l'époque
actuelle où l'on semble bien avoir enfin trouvé l'attitude rationnelle. Les plaies de guerre de la
hanche restent redoutables, mais par une prise en charge primaire bien codifiée et une
chirurgie réparatrice secondaire de plus en plus performante on en minimise beaucoup les
séquelles.
Anatomie
La hanche est la plus volumineuse énarthrose de l'organisme. Elle met en présence
l'extrémité supérieure du fémur et la face exo-pelvienne de l'os coxal. Ce sont les pièces
osseuses de l'articulation.
Cette articulation est profonde, recouverte par d'abondantes masses musculaires qui se
répartissent en trois groupes : antérieur, externe et postérieur. Le groupe antérieur, avec le
pectine bordant en dedans l'articulation et le psoas iliaque tapissant la capsule, forme un
375
matelas protecteur. Plus en avant, le droit antérieur et le couturier limitent avec les précédents
l'entonnoir fémoral. Le groupe externe est constitué d'avant en arrière du tenseur du fascia
lata, du petit fessier et du moyen fessier dont le rôle est fondamental pour la stabilisation de la
hanche. Le groupe postérieur, très vascularisé, comprend les pelvitrochantériens, rotateurs
externes et le grand fessier.
L'articulation de la hanche est donc profonde en avant et en arrière, et relativement
superficielle en dehors.
Anatomie pathologique
L'impact de l'agent vulnérant sur la hanche va déterminer des lésions anatomo-
pathologiques que nous décrirons d'abord sur le plan analytique puis synthétique, permettant
de définir les grands tableaux anatomo-cliniques.
Étude analytique
Par définition, la plaie de guerre de la hanche va associer de manière « certaine » des
lésions cutanées, musculaire et aponévrotique, capsulaire et synoviale. Les lésions osseuses
sont « probables » et les lésions vasculo-nerveuses et viscérales « possibles ».
Lésions certaines
Les lésions cutanées varient en fonction de l'agent vulnérant. Tous les types de
lésions sont possibles, de la plaie punctiforme au vaste délabrement, mais la transfixion est
exceptionnelle. Une lésion tient une place particulière : le polycriblage. En effet, cette lésion
multi-orificielle d'allure superficielle peut cacher une pénétration articulaire par un micro-
éclat. Le diagnostic en est difficile.
Les lésions musculaires : on retrouve à des degrés divers les lésions traumatiques
suivantes : contusion, dilacération, ischémie et nécrose. Seule cette dernière est définitive,
irréparable, mais toutes ces atteintes participent à la déperdition sanguine, à favoriser
l'infection et aux séquelles fonctionnelles.
376
Les lésions synoviales jouent un rôle important. La synoviale assure, par son rôle
de « porte-vaisseaux », la vascularisation de la tête fémorale. Les lésions dangereuses sont
celles touchant la frange postéro-supérieure de la synoviale, interrompant le pédicule
principal postéro-supérieur qui assure les 3/4 de la vascularisation de la tête fémorale.
Lésions probables
Ce sont les lésions osseuses, qui manquent rarement mais, là encore, elles sont très
diverses. Elles peuvent toucher le massif trochantérien ou le col fémoral. Elles peuvent porter
sur une zone cartilagineuse, la tête fémorale ou le cotyle engageant à terme le pronostic
fonctionnel.
Lésions possibles
Les lésions nerveuses peuvent être transitoires ou définitives. Les nerfs peuvent
effectivement être comprimés par un hématome, par une esquille osseuse. Ils peuvent aussi
être directement lésés (plaie ou avulsion), posant alors le problème d'une chirurgie réparatrice
secondaire.
Les artères : leur lésion peuvent mettre en jeu immédiatement le pronostic vital. Il
peut s'agir de simple compression mais aussi de rupture sous-adventitielle, d'une plaie voire
d'une avulsion avec une conséquence physiologique commune : l'ischémie d'aval.
Les veines peuvent être le siège de lésions hémorragiques mais aussi avec
interruption du retour veineux s'il s'agit de la veine fémorale avec exclusion vasculaire du
membre.
Les organes pelviens peuvent également être concernés. Il peut y avoir des
ruptures vésicales sous- ou intrapéritonéales. Les atteintes urétérales (plaies ou avulsions)
sont traitées définitivement par des interventions réparatrices secondaires. Les plaies rectales
sont toujours de traitement délicat. Enfin, chez la femme, l'utérus et le vagin peuvent être
atteints.
Cette étude analytique montre la grande diversité des lésions accompagnant ces
plaies de guerre de la hanche.
Étude synthétique
On peut, à partir des différentes associations lésionnelles, définir quatre grands
tableaux anatomo-cliniques :
- la plaie articulaire pure : l'orifice d'entrée est antéro-externe ou externe. Les lésions
osseuses, musculaires et articulaires, sont très prédominantes ;
- la plaie à ambiance vasculaire : l'orifice d'entrée est antéro-interne, exposant aux
lésions les vaisseaux fémoraux ;
- la plaie à ambiance vasculo-nerveuse : l'orifice d'entrée est postérieur, avec risque
d'atteinte du sciatique, des vaisseaux et des nerfs fessiers ;
- la plaie à ambiance pelvienne : l'orifice d'entrée est interne, postérieur ou antérieur.
Ces plaies se confondent avec les plaies pelvi-abdomino-fessières dont elles représentent une
des formes anatomo-cliniques.
377
Ces différents tableaux anatomo-cliniques présentent une unité : leur caractère
septique.
L'ensemencement est massif par des germes banaux mais il peut être spécifique par le
Clostridium, expliquant jusqu'au début du siècle la grande fréquence des décès par gangrène
gazeuse parmi les blessés qui survivaient à la blessure initiale. Ces tableaux cliniques sont en
revanche très divers quant à leur pronostic. Les plaies articulaires pures n'engagent que le
pronostic fonctionnel, mais les plaies à ambiance pelvienne sont de pronostic vital. Les plaies
à ambiance vasculaire engagent, elles, le pronostic vital et le pronostic du membre. Cette
diversité explique la catégorisation de ces plaies de guerre de la hanche, catégorisation qui
évolue avec le temps et dépend des lésions associées. Les lésions vasculaires avec choc sont
des extrêmes urgences nécessitant une prise en charge chirurgicale immédiate.
Les plaies à composante pelvienne sont des premières urgences et doivent être gérées
dans les 6 h. Les plaies articulaires pures, sont, elles, des deuxièmes urgences.
Traitement
La hiérarchie des objectifs thérapeutiques répond au degré d'urgence de ces plaies :
ces objectifs sont sauver la vie, sauver le membre, préserver la fonction.
La réanimation est un préalable indispensable avant tout geste chirurgical. Elle est
poursuivie et adaptée en per- et en post-opératoire. Elle est à visée hémodynamique et anti-
infectieuse, faisant appel à une prévention des infections, globale mais aussi spécifique de la
gangrène gazeuse. L'association classique de pénicilline G et de métronidazole est la plus
utilisée.
Son but est d'éradiquer la nécrose et l'infection sans créer de mutilation excessive. Il
doit être marginal et parfois itératif. Par marginal on entend un parage qui doit emporter les
tissus nécrosés mais respecter le reste, en particulier les zones périfocales ischémiées qui,
sous couvert d'une réanimation efficace et d'une antibiothérapie, peuvent récupérer. Le parage
doit parfois être itératif, c'est-à-dire complété à la 24e ou 48e h ; en pratique, avec un opérateur
expérimenté, cette deuxième exploration se résume bien souvent à un simple pansement sous
anesthésie générale.
Le parage proprement dit peut concerner toutes les structures anatomiques traversées
par l'agent vulnérant. Au niveau de la peau, l'orifice d'entrée est paré à la limite de l'attrition.
On agrandit alors la voie d'abord, pour bien pouvoir explorer l'articulation.
Le tissu adipeux doit être largement réséqué. Les aponévroses sont non seulement
réséquées sur le trajet de l'agent vulnérant mais également largement ouvertes dans l'axe du
378
membre pour éviter des lésions compressives par l'œdème et permettre l'évacuation des
hématomes.
Les muscles doivent être rincés abondamment avec des solutions antiseptiques, puis il
faut exciser complètement toutes les zones nécrosées, en préservant les zones saines ou
ischémiées mais encore contractiles. L'hémostase des tranches de section doit être soigneuse
par points en X, sans utiliser le bistouri électrique.
- On peut ensuite refermer les lésions en suturant la capsulotomie sur deux drains de
Redon autorisant soit un drainage simple, soit une irrigation-lavage. Dans les parties molles il
faut placer de gros drains, voire des lames, et refermer la peau par des points lâches.
- L'immobilisation est impérative pour mettre l'articulation en détente complète. La
traction transtibiale à l/7e du poids du corps, hanche fléchie à 30°, paraît la méthode la plus
simple. Elle doit être maintenue pendant trois semaines en poursuivant l'antibiothérapie
pendant cette période.
Lésions osseuses
Dans les plaies de la hanche, les lésions osseuses sont probables. Si les fractures
ou les avulsions de la région du grand trochanter ne présentent pas de grands dangers, il
n'en est pas de même avec les lésions de la région cervico-céphalique. Le parage de cette
région doit rester minimal, mais il faut savoir que les fragments de col détachés et surtout
les fragments céphaliques sont voués à la nécrose. Au maximum, le parage (en un ou
plusieurs temps) peut conduire à la résection de la tête du fémur.
Ces lésions osseuses doivent, après avoir été parées, être fixées :
- dans le cas le plus rare où il faut réséquer la tête, l'objectif est de maintenir un
espace « articulaire » autorisant une chirurgie réparatrice secondaire. Pour cela, une
simple traction peut suffire, à condition qu'elle soit importante, de l'ordre de 10 kg ;
- quand, cas le plus fréquent, il existe une ou plusieurs fractures de l'extrémité
supérieure du fémur, il faut assurer une immobilisation parfaite favorisant la consolidation
osseuse, et pour cela utiliser impérativement un fixateur externe. Dans ces lésions
épiphysaires, seul un montage en ligamentotaxis pontant l'articulation est possible. D'un
point de vue technique, il faut réaliser une fixation ilio-fémorale. Le fixateur externe du
Service de Santé des Armées permet grâce aux fiches à os spongieux et aux colliers munis
de réducteurs un ancrage iliaque solide, l'ancrage fémoral étant assuré par une barre
379
classique de diamètre 18 à 4 fiches. Le système de liaison utilise un montage en V par des
barres d'union ou des tubes de 18 montés sur double collier.
- les lésions vasculaires sont réparées s'il s'agit de gros vaisseaux. L'hémostase des
parenchymes pleins peut être obtenue par compression ;
- les lésions digestives sont traitées par une résection-exclusion sans rétablissement
immédiat de la continuité. La dérivation digestive n'est impérative que pour les lésions
rectales ;
- l'élimination des urines se fait par dérivation.
Désarticulation
Nous n'avons envisagé jusque-là que le traitement chirurgical conservateur, mais
quelle est à l'heure actuelle la place de la désarticulation de hanche, opération vedette des
guerres d'Empire ? Elle peut en fait être primitive ou secondaire. Primitive, la
désarticulation est un véritable geste de réanimation, correspondant à un parage que l'on
pousse à son extrême, devant des lésions majeures qu'il est impossible de systématiser.
Les désarticulations secondaires peuvent, quant à elles, être précoces ou tardives. Les
désarticulations secondaires précoces peuvent être décidées dans les jours qui suivent la
blessure, pour traiter un choc qui peut être infectieux (résection de la hanche en période
fébrile) ou métabolique (par lésions de revascularisation par exemple). Les
désarticulations secondaires tardives, au-delà du premier mois, sont psychologiquement
extrêmement mal supportées. Elles sont cependant parfois inévitables devant un échec de
revascularisation, devant des ostéo-arthrites subaiguës non contrôlables ou devant des
délabrements séquellaires majeurs des parties molles.
380
Pronostic
Traitement conservateur
L'évolution peut se faire vers la guérison complète mais aussi vers des
complications au retentissement fonctionnel important, avec :
- arthrites chroniques ;
- nécrose de la tête fémorale ;
- arthrose.
Désarticulation de hanche
Le suivi psychologique de ces patients est fondamental. Les appareillages de ces
désarticulés font appel à des orthèses à double recurvatum et n'autorise qu'une marche «
approximative ».
Conclusion
II faut souligner deux points particuliers concernant les plaies de hanche :
- elles sont graves, beaucoup plus que les plaies articulaires courantes, et nécessitent
des équipes chirurgicales multidisciplinaires ;
381
Pieds de mine
Utilisées de plus en plus du fait de leur coût dérisoire (de 5 à 150 F pièce), de leur
facilité de mise en œuvre, de leur efficacité à polluer toute une zone, elles ralentissent la
progression de l’adversaire. Depuis les années soixante-dix, ces engins se retrouvent sur tous
les théâtres, qu'il s'agisse de guerre civile, de guérilla, de révolution ou de guerre
internationale.
Si leur pose est facile, le déminage est une opération délicate et dangereuse,
mobilisant des moyens importants en personnels. On estime le coût du déminage à 5 000 F
par mine... De tels coûts expliquent pourquoi les mines sont souvent laissées sur place,
restant efficaces pendant des dizaines d'années, devenant un danger permanent et sournois
pour les populations civiles, en particulier rurales et pour les enfants. Plus de cent millions
de mines sont actives dans le monde aujourd'hui.
Définition
Le pied de mine (land-mine injury des auteurs anglo-saxons) est une entité regroupant
classiquement une lésion du pied et de la jambe par blast localisé avec atteinte ostéo-
articulaire et des parties molles dans un sac cutané intact. Le pied de mine, dans sa définition
classique, est fermé. En fait, les lésions ouvertes par explosion de mines sont actuellement de
loin les plus fréquentes. Cependant, on gardera le terme classique de pied de mine en
élargissant la définition qui associe à une unité étiologique (la mine et l'onde de choc) un
polymorphisme anatomo-clinique.
Historique
Les chirurgiens de la Marine ont été les premiers à décrire ces lésions du pied lors de
l'explosion de chaudières dans les soutes de navires ou de mines sous le bateau, dès la
Première Guerre mondiale. La gifle de pont (desk-slap) entraîne une fracture fermée du
calcanéum. Devant la multiplication des blindés
au cours de cette guerre, on a mis au point et utilisé à grande échelle des mines antichar,
également pourvoyeuses de FDM fermés.
La Seconde Guerre mondiale sera la période de développement et d'utilisation des
mines antipersonnel, en particulier, déjà, en Extrême-Orient par les Japonais. L'association du
piégeage au minage et l'usage de Dispositifs explosifs improvisés (DEI), véritable bricolage
382
diabolique, ajoutera au raffinement de ces guerres pour créer une psychose chez les
combattants comme chez les civils. Le piégeage des matériels (armes, radios, caisse de
munitions, véhicules, etc.) ainsi que des corps des soldats tués deviendra monnaie courante.
Les mines ont fait des ravages dans bien des conflits. En Indochine, comme en
Algérie, les chirurgiens militaires français eurent surtout à traiter des lésions fermées. Pour les
Américains au Viêt-Nam, les mines ont représenté 40 % des causes d'amputation des
membres. En 1982, aux Malouines, la moitié des 19 Britanniques amputés du membre
inférieur avaient été blessés par mine antipersonnel au cours du débarquement. Enfin,
l'expérience du Service de Santé des Armées français au Tchad de décembre 1986 à janvier
1988 a porté sur 33 blessés dont 31 avaient des lésions ouvertes.
Oubliées pendant de nombreuses années par les Européens, et même par les
chirurgiens militaires, ces lésions sont donc redevenues d'actualité avec le nombre grandissant
de mouvement de résistance ou de libération. On estime, actuellement, à 18 000 le nombre de
victimes des mines antipersonnel par an dans le monde, soit une cinquantaine par jour...
Mines
Tout à fait opposées aux munitions d'artillerie plus classique (obus, bombe, missile),
les mines « attendent leur client » aussi longtemps qu'il le faut. On distingue différentes
catégories de mines selon l'usage qui en est fait
383
Mines antipersonnel (Fig. Zl.l)
II en existe plus de 300 modèles. Elles ont une action limitée entraînant en général des
lésions localisées sur l'individu qui a déclenché l'explosion. Indétectables ou détectables à
volonté, elles contiennent de 50 à 100 g d'explosif et explosent sous une pression de 5 à 10
kg. Elles peuvent aussi être mises à feu par action sur des fils de traction.
Déclenché involontairement, cet engin pyrotechnique est plus destiné à mettre hors de
combat, à mutiler, qu'à tuer. Atteinte physique du blessé, atteinte psychologique de
l'entourage et des sauveteurs, immobilisation de 4 à 5 personnes pour le brancardage, coût des
soins sont les éléments recherchés par le poseur de mines. Un blessé doit être pris en charge,
un mort est rapidement enterré...
Mines antichar
Contenant 4 à 5 kg d'explosif, elles arrivent à soulever et à détruire un blindé. C'est ce
type de mines qui provoque le FDM fermé par effet de souffle à travers le plancher du
véhicule.
Autres mines
Nous ne décrirons pas ici les mines éclairantes ni les mines bondissantes et les mines à
fragmentation et à effet directionnel dont les conséquences sont le plus souvent
immédiatement mortelles dans un rayon de 50 à 100 m.
L'origine des mines est très diverse. Tous les pays en fabriquent : ceux de l'Est,
comme les pays occidentaux, engageant leur responsabilité... Il s'agit d'un marché florissant
où l'évolution des techniques, l'augmentation de la puissance des explosifs sous un plus faible
volume, l'utilisation de matériaux indétectables rendent ces munitions encore plus efficaces.
Pathogénie
Trois phénomènes se succèdent lors de l'explosion d'une mine.
384
Un dégagement de chaleur
II provoque des brûlures superficielles et des marques de tatouage.
Anatomie pathologique
L'onde de choc engendre un véritable « tremblement de terre moléculaire » aux
conséquences multiples.
Lésions osseuses
Parfois minimes, elles sont en fait le plus souvent considérables. Selon la zone de
pression du pied sur la mine, elles siègent sur l'arrière pied, l'avant-pied, les bords ou
l'ensemble du pied.
385
L'onde de choc peut se poursuivre vers le haut pour s'épuiser progressivement,
atteignant l'astragale, le pilon tibial, la jambe, voire plus haut, fracturant tous ces os.
Type antérieur
L'atteinte des métatarsiens ou des phalanges les fracture ou les ampute. L'atteinte des
interlignes articulaires disloque ou fracture la médio-tarsienne (interligne de Chopart) ou la
tarso-métatarsienne (interligne de Lisfranc).
Si l'appui sur la mine est latéralisé, la lésion siège sur le bord interne ou externe de
l'avant-pied en fonction du côté de l'appui.
Type mixte
Les lésions possibles sont ici extrêmement multiples : fractures complexes des os du
pied, atteinte étagée du tarse et de la jambe, amputation du pied et même de la jambe, etc.
Atteinte cutanée
Elle est constante, et on distingue le FDM fermé et ouvert.
386
L'hémorragie, si elle existe, est rarement importante, et n'est généralement pas la
cause des décès.
On a proposé une artériographie en urgence, mais elle est le plus souvent irréalisable.
Le doppler est d'un usage beaucoup plus aisé dans une structure d'urgence.
Dianogstic
II est évident au vu des circonstances. L'interrogatoire ne fait que préciser les délais
entre la blessure et la prise en charge, et si possible le type de la mine ou du piège.
FDM fermé
Extrêmement douloureux, le pied est énorme, tuméfié, violacé, froid, insensible.
L'aspect est typique d'une oblitération artérielle aiguë avec un pied tendu. La palpation des
pouls est difficile et le doppler prend toute sa valeur.
Après examen clinique général, le bilan radiographique est indispensable lorsqu'il est
possible. Il montre l'importance des lésions osseuses sous-jacentes dans ce « sac de noix »,
FDM ouvert
Tous les degrés de gravité sont possibles mais il s'agit au moins d'un stade III de
Cauchoix et Duparc, IV de Méchelany ou 3B de Gustilo et Andersen.
Le blast peut d'ores et déjà avoir provoqué une amputation traumatique, en particulier
au niveau de l'avant-pied, exposant les os du tarse. Le pied peut aussi pendre, éclaté, rattaché
par un lambeau antérieur ou postérieur ; parfois il a été complètement arraché, ainsi que le
pilon tibial.
Même dans ces lésions majeures, le choc hémorragique reste rare et la régularisation
ou l'amputation, en bonne place, règle le problème. L'infection est en revanche constante.
387
La plaie vasculaire parfois contro-latérale ou la plaie pénétrante périnéo-abdominale
sont des urgences chirurgicales. Les plaies du scrotum ou de l'urètre, les plaies de la fesse
dont on connaît le risque infectieux rendent impératif un examen général. Tout blessé par
mine doit être systématiquement et rapidement déshabillé pour faire l'inventaire des lésions.
L'examen radiographique de face et de profil de l'abdomen, à la recherche d'éclats, est une
aide importante au diagnostic.
Traitement
Prise en charge d'un blessé par mine sur les lieux de l'accident
II est impératif de se rappeler que l'explosion d'une mine signifie que l'on se situe dans
une zone dangereuse. À titre d'exemple, les consignes du Guide sur les mines de la Force de
protection des Nations unies en Bosnie-Herzégovine énoncent :
Ramassage
II détermine le pronostic mais ses possibilités dépendent des moyens sur place. Il
faut :
- extraire le blessé de la zone minée ou exposée aux tirs pour que les sauveteurs
puissent agir dans les conditions le plus sûres possible ;
- calmer la douleur ;
- faire un premier bilan des lésions du pied et à distance, en déshabillant la victime ;
- nettoyer les plaies avec des antiseptiques liquides et les recouvrir de pansements
stériles ;
- immobiliser le membre par un moyen adapté, même de fortune ;
- débuter une antibiothérapie, au mieux par voie IV, sinon par voie IM ou per os. La
pénicilline G (5 à 10 MUI/j) et le métronidazole (1 500 mg/j) restent encore les plus adaptés.
388
Prise en charge à l'accueil à l'hôpital
Un nouveau bilan clinique des lésions locales et à distance est réalisé, ainsi qu'un
examen général à la recherche d'un polycriblage. Si une intervention chirurgicale s'impose en
urgence, le pansement de l'extrémité lésée ne sera refait qu'au bloc opératoire.
L'antibiothérapie par voie IV est entreprise ou poursuivie, ainsi que les antalgiques.
À ces moyens s'ajoutait autrefois un traitement pour lutter contre l'ischémie des FDM
fermés. L’injection intra-artérielle s de Novocaïne, les infiltrations du sympathique lombaire
n'ont pas donné les résultats escomptés. La sympathectomie lombaire chirurgicale proposée
par certains est souvent impossible à réaliser quand les conditions sont précaires. En
revanche, les vaso-dilatateurs par voie générale peuvent être utiles. De même, la rachi-
anesthésie par son action sympathoplégique et antalgique a peut-être une place dans les
premières heures du traitement des FDM fermés. Ce geste connu des anesthésistes-
réanimateurs, doit être enseigné aux infirmiers-anesthésistes appelés à travailler dans ces
zones de conflit. Il facilite les premiers soins, participe efficacement pendant quelques heures
à lutter contre la douleur, et donc indirectement contre le choc, et facilite le transport de la
victime.
En urgence relative
L'intervention est effectuée sous garrot pneumatique et anesthésie locorégionale ou
générale.
Le parage chirurgical, temps essentiel comme pour toutes plaies de guerre, doit être
limité à une intervention de propreté au niveau des tissus dévitalisés, cutanés, musculaires et
aponévrotiques, de résection osseuse, de toilette des débris de toute sorte ; il est initialement
le plus conservateur possible, puis répété si nécessaire.
Ces parages itératifs de toutes les lésions sont indispensables à la lutte contre
l'infection et au bourgeonnement local. La conservation du plan de couverture cutané est un
souci constant.
389
En urgence différée
Devant des lésions moins graves ou en l'absence de chirurgien disponible ou d'afflux
de blessés, il est possible de temporiser quelques jours. Des soins locaux bien conduits
réalisent un véritable débridement chimique comme le propose Mario Duran. Utilisant des
lames de Delbet introduites le plus profondément possible et une irrigation abondante ou des
bains prolongés avec antiseptiques (permanganate et eau de Javel à 5 %, etc.), cette technique
procure plusieurs avantages :
Amputation
Elle s'impose parfois. De nécessité, elle s'effectue au niveau même de la lésion à ce
premier stade chirurgical (avant-pied, pied, jambe voire cuisse). Il ne faut jamais refermer les
loges, et laisser suffisamment de muscles pour que l'os ne soit pas exposé et afin d'éviter la
rétraction cutanée. Un pansement à plat non compressif termine cette intervention,
Immobilisation
En cas de FDM fermés et en l'absence de fixateur externe, l'immobilisation dans une
attelle plâtrée la plus confortable possible permettra de faire passer le cap de la première
phase, mais rend difficile la surveillance du pied. Les lésions osseuses seront alors traitées au
stade des séquelles.
Soins post-opératoires
Les pansements sont refaits tous les deux jours sous anesthésie au début puis sous
antalgiques. L'antibiothérapie est poursuivie pendant plusieurs jours. La prévention de la
phlébite est systématique si l'on dispose des agents nécessaires.
Indications
II faut toujours se rappeler qu'« explosion » veut dire « projection » et donc rechercher
les lésions associées, parfois plus graves que l'atteinte évidente du membre inférieur.
390
FDM fermé
Le traitement chirurgical a peu de place mais le traitement médical (antalgique,
antibiotique et vaso-dilatateur) est systématique.
FDM ouvert
Pied conservable
II s'agit habituellement d'un fracas ouvert du pied, largement souillé, souvent au-delà
des classifications habituelles. Le parage économique initial est le garant d'un résultat
fonctionnel satisfaisant. Le parage par irrigation d'antiseptiques est très utile lorsque la
chirurgie n'est pas réalisable en urgence. La fixation externe est réalisée de façon simple en
urgence par montage tibio-métatarsien. Trois ou quatre fiches tibiales sont solidarisées aux
fiches mises en place dans le premier et le cinquième métatarsiens,
Dans les cas intermédiaires, il faut tenir compte du contexte local, en sachant les
difficultés à faire accepter une amputation secondaire après les espoirs mis dans la
conservation. L'expérience du chirurgien sera ici son seul guide...
Complications et séquelles
Comme dans les fracas osseux ouverts de la pratique civile, les principaux problèmes
de suites sont les difficultés de consolidation et de cicatrisation pouvant parfois faire décider
d'une amputation. Le devenir de ces blessés est donc une succession de temps chirurgicaux de
greffe osseuse et cutanée.
391
de l'accident, après régression de tous les phénomènes infectieux, permettent la cicatrisation
des zones à problème comme le quart inférieur de jambe ou la plante du pied ou après échec
de la greffe mince.
Malgré une prise en charge rapide, l'amputation reste parfois l'ultime recours, les
blessés devant alors être appareillés secondairement.
Conclusion
Lésion grave de l'extrémité distale du membre inférieur, le pied de mine est de nos
jours le plus souvent ouvert. Il associe des lésions des os, des parties molles et un
polycriblage.
- conserver tous les éléments vivants, en particulier cutanés, dans les fracas ouverts ;
392
- obtenir la consolidation, de préférence par fixation externe ;
- obtenir la cicatrisation.
Ce n'est que dans un second temps que seront traitées les séquelles, éventuellement
révisée l'amputation et envisagé l'appareillage.
Tout chirurgien en mission militaire ou humanitaire, quelle que soit sa spécialité, peut
être confronté au pied de mine. Il doit savoir le prendre en charge.
393
Traitement des plaies des parties molles
par blessure de guerre
P. HOUDELETTE
La plaie de guerre des parties molles (ppm) est une « solution de continuité des tissus
» (plaie), due à un agent vulnérant et suffisamment grave pour mettre le blessé « hors de
combat ». Nous exclurons ici les plaies posant des problèmes lésionnels spécifiques d'organe,
c'est-à-dire les plaies pénétrantes du thorax, de l'abdomen, du crâne et les lésions osseuses.
Ces lésions font l'objet d'autres chapitres.
Même si nous excluons ici les lésions spécifiques d'organe, il faut noter que les
principes du traitement des plans de couverture restent les mêmes pour toute plaie de guerre.
Le traitement, essentiellement chirurgical, repose sur un maître mot, le parage des plaies, et
sur un concept général : ne jamais fermer immédiatement une plaie de guerre. Les plaies des
membres supérieurs et inférieurs sont les blessures de guerre les plus fréquentes : elles ont
représenté 65 % des blessures durant la Seconde Guerre mondiale, 67 % durant la guerre de
Corée, 54 % durant la guerre du Viêt-Nam. Au cours de ce conflit, 60 % de ces plaies ne
concernaient que les parties molles.
Leur traitement repose sur des bases historiques rappelées ailleurs et justifiant
l'attitude actuelle, bases anatomo-pathologiques, dans lesquelles on effectue un bilan
topographique des lésions, bases physio-pathologiques ensuite, dans lesquelles on évalue le
risque infectieux en fonction de l'ancienneté de la blessure. Nous ne décrirons pas ici les
plaies des parties molles présentant des lésions infectieuses spécifiques (gangrène gazeuse,
phlegmon diffus, tétanos).
L'aspect classique servant de modèle de description est la plaie par éclat avec son «
cône d'attrition » de Policard qui comporte une zone centrale de destruction tissulaire directe
par le projectile et une zone périfocale de dévitalisation conique à base périphérique.
Pour chaque plan tissulaire, les lésions ont des caractéristiques propres.
Au niveau des téguments (résistants et élastiques), l'orifice d'entrée (OE) est en règle
plus petit que le projectile, plus ou moins déchiqueté en étoile, avec parfois tatouages de
394
poudre, brûlures superficielles, criblage par microprojectiles secondaires ; l'orifice de sortie
(OS) est classiquement plus large que l'orifice d'entrée, parfois éclaté.
Les aponévroses sont solides mais inextensibles, créant des phénomènes de loge
(risque de compression musculaire avec ischémie) et de cavité close (développement de
germes anaérobies). Des lésions locales banales et limitées (trou, déchirure) cachent souvent
des lésions sous-jacentes plus importantes.
Les muscles, très fragiles, sont le siège de lésions habituellement extensives, toujours
plus considérables que ne le laissent prévoir l'orifice d'entrée et la perforation aponévrotique.
Elles sont classiquement de forme conique, avec des lésions centrales de destruction (tunnel
de pénétration du projectile et chambre d'expansion contenant l'éclat, parfois « foyer vidé »
par un large orifice de sortie), et des lésions périphériques de dévitalisation par contusion,
blast (projectile air) ou ischémie (infarcissements musculaires, hématomes, infiltrat séro-
hématique en « gelée de groseille » des espaces cellulo-adipeux ; parfois compression dans
une loge ostéo-fasciale inextensible).
Une très grande énergie cinétique initiale des projectiles, leur poids et volume parfois
considérables (de quelques grammes à quelques kilogrammes), leur nombre parfois très grand
(micropolyéclats), leurs surfaces irrégulières, déchiquetées, coupantes, entraînant souvent des
projectiles secondaires (vêtements, équipements), leur souillure tellurique fréquente rendent
compte de la diversité de leur présentation clinique et de leur fréquente gravité évolutive.
Pour ce qui concerne les projectiles d'armes individuelles, nous évoquerons, sur le
plan historique, la prétendue « balle humanitaire » (plaie en séton avec tunnellisation de petit
diamètre, simple, à parois régulières, peu dévitalisées, sans lésion extensive), notions en fait
inexactes en raison de la déstabilisation, la déformation, le morcellement, le calibre, une
masse importante, la souillure du projectile et surtout la haute vélocité de certains projectiles
modernes. Dans leur mécanisme vulnérant, on a incriminé l'onde de choc (« projectile
immatériel » de Lorain et Ferrard) et la création d'un « effet explosif » (de Woodruff) à
l'origine d'un phénomène de « cavitation temporaire ». Dans ces types de lésions, il est
possible de distinguer une zone centrale de « cavitation permanente » d'attrition maximale, et
une zone périphérique de « cavitation temporaire » où la dévitalisation tissulaire reste
partielle, potentielle voire différée. L'importance de cette cavitation temporaire a parfois été
exagérée, tant dans son ampleur que dans ses sanctions chirurgicales.
395
Sur le plan général, le choc non spécifique lié à la douleur et le choc hémorragique
sont rares en cas de ppm sauf s'il existe des délabrements musculaires étendus ou des lésions
associées.
Cette infection peut être banale (phlegmon diffus). Elle peut aussi être due à des
anaérobies, réalisant la « gangrène gazeuse », la « plaie des plaies de guerre » dont nous
décrirons ici la prévention. Enfin, le tétanos qui réalise plus un tableau toxique qu'infectieux
demande une prise en charge particulière. En fait, il est efficacement prévenu chez les
combattants par la vaccination.
Indication opératoire
Quand faut-il donc opérer ? Sur le plan individuel, dès que possible ; sur le plan
collectif, en fonction des impératifs du triage s'il existe de nombreux blessés. Le degré
d'urgence augmente pour les plaies avec garrot non toujours justifié et souvent aggravant, les
plaies avec atteinte ischémique du membre (lésion artérielle, compression prolongée), les
atteintes des grosses masses musculaires (cuisse et fesse) et les plaies localisées en des sites
très septiques (périnée par exemple).
Bases cliniques
Le recueil des données cliniques doit établir un diagnostic de gravité et comporter :
396
La présence de gaz dans les tissus n'implique pas forcément une gangrène gazeuse,
toujours évidente cliniquement et en per-opératoire. Les projectiles à haute vélocité peuvent
être responsables d'une infiltration gazeuse décelable cliniquement et radiologiquement
autour du trajet lésionnel.
Traitement
Le traitement est médico-chirurgical, une grande place étant dévolue à la chirurgie.
Traitement médical
Le traitement médical doit procurer une protection locale et générale contre
l'infection.
L'utilisation de l'antibiothérapie dans les plaies de guerre reste classique pour assurer
la prophylaxie de la gangrène gazeuse : il faut associer ici la pénicilline G à fortes doses (5 à
20 MUI/j, soit une injection de 5 MUI toutes les 6-8 h) et le métronidazole (1,5 à 2 g/j).
Traitement chirurgical
Sur le site même de la blessure, il faut recouvrir la plaie d'un pansement protecteur,
qui doit être compressif en cas d'hémorragie.
397
Parage
Le parage est par définition un nettoyage mécanique de la plaie aux ciseaux et au
bistouri de façon à « parer », c'est-à-dire exciser tous les tissus contus et mortifiés qui sont des
foyers de pullulation microbienne.
Un garrot est classiquement mis en place, non serré, à la racine du membre. Pour
Coupland, un garrot pneumatique a une valeur inestimable dans la chirurgie initiale des plaies
distales des membres. Sa mise en place avant l'ablation du premier pansement minore la perte
sanguine, et il procure un champ opératoire exsangue, ce qui facilite le parage. « Avant de
donner du sang, écrit Brisgand, il faut éviter d'en perdre. »
L'instrumentation devra prévoir un double jeu d'instruments (un pour les tissus de
surface a priori souillés, un autre pour les tissus profonds).
Technique
II faut, lors du parage, respecter un certain nombre de principes classiques :
- « La technique d'un parage correct ne peut être apprise qu'en salle d'opération ; »
- procéder de la surface à la profondeur. Éviter de mettre en contact une zone déjà
parée et une zone encore souillée ;
- faire l'hémostase à mesure ;
- l'excision totale de tous les tissus dévitalisés est obligatoire, mais il faut respecter
tous les éléments vitaux tels que nerfs ou vaisseaux sanguins majeurs ;
- la restauration des axes vasculaires est prioritaire ;
- tous les corps étrangers doivent théoriquement être enlevés mais il ne faut pas perdre
de temps ou créer des délabrements supplémentaires en recherchant des éclats métalliques ;
- les tendons souillés et lacérés sont parés, mais leur continuité ne doit être rétablie
que secondairement.
- l'excision : elle doit être parcimonieuse, débordant de 2-3 mm les bords contus. Cela
facilite la fermeture ultérieure tout en évitant les pertes de substance imposant le recours à
une chirurgie itérative ;
398
- le débridement : ce terme a été pour la première fois utilisé par Ledran au XVIII e
siècle. Le débridement consiste à agrandir la plaie par une ou deux incisions habituellement
longitudinales à partir de la plaie, en évitant tout abord surplombant une surface osseuse sous-
cutanée. Le tracé d'incision sera décroché en baïonnette au niveau d'un pli de flexion.
Le tissu sous-cutané est excisé en bloc, avec la peau, dans les mêmes limites.
Les aponévroses sont des éléments anatomiques susceptibles de provoquer des
complications car elles sont de faible vitalité et enserrent les muscles dans des loges
inextensibles. En cas d'œdème musculaire, il y a risque de « syndrome des loges » dans lequel
la pression dans le tissu musculaire augmente, avec apparition d'une ischémie pouvant d'une
part créer des lésions irréversibles, d'autre part faire apparaître un milieu propice au
développement des germes anaérobies avec possibilité de gangrène. Tout ce qui est dilacéré
doit être largement réséqué, et toute attrition des plans profonds impose de larges
débridements dits « aponévrotomies » permettant l'indispensable exposition des lésions sous-
jacentes.
L'aponévrose profonde doit être incisée sur toute la longueur de l'incision cutanée afin
d'exposer les lésions profondes. Ajouter un refend transversal à une des extrémités de cette
incision permet souvent d'améliorer l'exposition.
Au cours de l'exploration, il faut éviter d'utiliser un stylet explorateur qui peut créer
des faux trajets, et donc privilégier l'exploration par parage et l'exposition pas à pas. Le geste
classique, efficace, reste l'exploration au doigt ganté qui permet d'apprécier trajets et
décollements, d'évacuer les caillots, les débris libres, les esquilles, les amas collectés, les
corps étrangers.
Le parage ne doit pas être excessif (« carcinologique » a-t-on même pu dire), il doit
rester marginal. Les masses musculaires nécrosées laissées en place sont à l'origine de
complications ultérieures. Coupland souligne que lorsqu'un groupe musculaire est atteint, ne
sont visibles que les muscles conservés ou partiellement sectionnés. Une transsection
musculaire complète s'accompagne d'une rétraction des deux extrémités à distance de la plaie.
Seuls un abord et une dissection suffisants permettent alors l'exposition des extrémités
dévitalisées.
L'extraction des corps étrangers doit être aussi complète que possible mais sans être
délabrante.
Rich, dans son étude portant sur 750 blessures de guerre au Viêt-Nam, a noté qu'«
approximativement 2/3 des patients avec plaies pénétrantes restaient porteurs après le parage
soit du projectile lui-même soit de ses fragments ».
399
L'exploration digitale de la plaie peut permettre de localiser ou d'extraire un corps
étranger. La localisation clinique ou radiologique d'un projectile peut faire choisir un abord
d'extraction séparé et limité, préférable à une exploration par la plaie existante si elle risque
d'être inutilement délabrante pour les muscles non lésés.
Au total donc :
- on débride la peau ;
- on débride et on excise l'aponévrose ;
- on excise le foyer musculaire.
Une fois terminé, il doit être systématiquement suivi de lavages répétés et d'irrigations
au sérum physiologique. Les solutions antiseptiques ne sont pas de mise ; elles ne pallient pas
l'insuffisance d'un parage. « Le traitement des plaies de guerre est chirurgical et non chimique
» (Coupland).
Toutes les plaies doivent donc être laissées largement ouvertes, mais un axe
vasculaire, un nerf, un tendon, une extrémité articulaire doivent être recouverts.
La troisième couche réalise une contention non compressive par un pansement large
adhésif ou des bandes élastiques souples. Il faut éviter tout bandage circulaire inextensif
susceptible de devenir compressif en cas d'œdème postopératoire d'un membre.
Le membre doit être fixé en position physiologique, soit par une attelle, soit par un
plâtre bien capitonné qui sera fenêtre en regard des lésions et fendu en long et comportera les
renseignements concernant la plaie (date, niveau). Le membre sera surélevé.
400
Les lésions, après le traitement chirurgical initial, peuvent être quantifiées et codifiées
en utilisant la classification de la Croix-Rouge qui se réfère à 6 paramètres (EXCFVM) : E
(pour entry, en centimètres), X (pour exit, en centimètres ; X = 0 en l'absence d'orifice de
sortie), C (pour « cavité » C = 0 ou C = 1 selon que la cavité est supérieure ou inférieure,
avant parage, à deux travers le doigt), F (pour l'existence d'une fracture, simple : FI, ou
comminutive : F2), V (pour l'atteinte d'une structure vitale : VO ou VI) et M, (MO, 1, 2 selon
l'absence ou l'existence d'un ou plusieurs corps étrangers métalliques).
L'évacuation « fait partie, en chirurgie de guerre, du traitement ». Les plaies des
parties molles sont des urgences relatives différées. Classiquement, il s'agit de deuxièmes
urgences, autorisant un délai d'évacuation de 18 h, ou de troisièmes urgences, si le parage a
pu être réalisé sur place.
Toutefois, des critères de gravité particulière (atteinte des grosses masses musculaires
de la fesse, cuisse, importance du délabrement, de la souillure), justifiant un traitement avant
la 6e/12e h, doivent la faire classer en première urgence.
Les gros délabrements musculaires, une lésion des gros vaisseaux, peuvent convertir
ces plaies en urgences absolues.
E.D. Churchill, sur le théâtre italien de la Seconde Guerre mondiale, traita par parage
et suture secondaire 25 000 plaies avec 95 % de cicatrisation sans amputation ni décès et 5 %
d'échec par rétention de tissus infectés. Des résultats identiques ont été obtenus à l'Est par les
chirurgiens soviétiques comme Burdenko, Dobichin, Krivorotov, Jelanski, avec des séries de
9 520, 13 550, 12 163, 22 000 cas. La validité de ces principes reste entière.
401
- confiance exclusive dans la thérapie antibiotique prophylactique ;
- contamination secondaire par le contact du blessé avec le personnel porteur de
bactéries pyogènes ;
- présence d'une maladie métabolique, comme le diabète, qui prédispose au
développement et à l'extension de l'infection. »
II n'est pas rare que l'état général des patients interdise un parage initial complet.
Dé même, une altération per-opératoire de l'état général peut faire interrompre le geste.-
- Un séton superficiel peut être mis à plat entre ses deux orifices s'ils sont
rapprochés. En règle, son traitement consiste en l'excision cutanéo-graisseuse des deux
orifices et le nettoyage par écouvillonnage de l'un à l'autre à l'aide d'une compresse
imbibée d'antiseptique (pull through technique). Un drainage de part en part sera laissé en
place.
402
Soulignons que la petite taille de l'orifice de sortie ne permet pas d'affirmer qu'il
n'existe pas de dégât sous-jacent. Un projectile ayant perdu son énergie peut ne créer qu'un
orifice de sortie modeste. L'erreur d'appréciation est donc ici possible et la négligence d'une
attrition musculaire profonde majeure et non drainée peut être cause d'infection grave ou de
gangrène. Au moindre doute (séton profond, loge musculaire tuméfiée), un débridement
cutané et une aponévrotomie permettront de déterminer précisément s'il existe des lésions
profondes.
- Une incision typique complétant les incisions de parage orificielles peut être
nécessaire pour l'exploration d'un axe vasculaire ou d'un os.
- Les plaies vues tardivement : le traitement initial est le plus favorable avant 12 h,
avant 24 h en cas d'antibiothérapie. Au-delà et si la plaie est manifestement infectée il faut
éviter le parage extrafocal qui disséminerait l'infection aux tissus sains ; « on ne devance plus
la lyse tissulaire, on ne devance plus la pullulation microbienne et son extension. Force est de
reculer d'un pas dans la hiérarchie des traitements des plaies de guerre. Il faut revenir aux
pratiques de débridement et d'antisepsie » (Talbot).
Du fait de l'exsudation de ces plaies, les pansements seront refaits une à plusieurs fois
par jour. Les parages répétés sont ici souvent nécessaires. La fermeture secondaire est
fréquemment retardée de quelques jours par rapport à celle d'une plaie vue précocement.
403
- Atteintes massives : dans les atteintes massives, les lésions multiples sont fréquentes,
et il est rarement possible d'entreprendre ce traitement optimal. On se contentera, si les
conditions le permettent, de simples incisions de débridement de la peau et de l'aponévrose
autour des plaies importantes, voire d'un simple pansement protecteur.
- La notion de plaie par projectile à haute vélocité doit-elle faire modifier le parage ?
« Croire que les projectiles à haute vélocité sont à l'origine de plaies où les lésions
vont "au-delà de ce qui est visible" et que, dans leur excision, le chirurgien doit être
davantage agressif, allant au-delà de ce que son jugement lui dicterait, est une erreur répandue
et dangereuse » (Fackler). Il faut d'autant plus tenir compte de cette opinion que, dans 1/3 des
plaies de pratique civile, la nature de l'arme responsable n'est pas connue et que l'on ne peut
donc en tirer aucune conclusion pratique.
« De plus, ajoute Fackler, ce n'est pas parce qu'un projectile à haute vélocité bien
particulier est capable de créer une atteinte musculaire massive qu'il en est de même pour tous
les projectiles à haute vélocité ni que si l'atteinte n'est pas évidente c'est qu'elle doit être
occulte.
Chez le porc, des études concernant le traitement des plaies des parties molles ont bien
montré l'inopportunité d'un parage large systématique, pour peu qu'une bonne couverture
antibiotique soit mise en place le plus précocement possible. »
Toutes ces données font que, à l'heure actuelle, il ne faut plus se fonder sur les notions
de parage élargi de principe, de parage différé, de parage en deux temps, qui avaient été
proposées devant l'étendue et l'évolution de l'atteinte tissulaire créées par ces projectiles.
404
Le parage doit rester marginal et être parfois itératif. Il convient donc de toujours
garder en mémoire le principe de Lindsey selon lequel il convient de « toujours traiter la plaie
et non l'arme ».
Nous ne ferons qu'évoquer ce problème. Par définition, la plaie des parties molles ne
concerne pas l'os. Cependant, les atteintes osseuses sont fréquentes dans les lésions des
membres, et il semble donc nécessaire de les aborder. Le parage osseux sera limité aux
esquilles libres, les fragments pédicules devant être reposés sur leurs attaches musculo-fascio
périostées ; les irrigations seront abondantes. L'immobilisation osseuse s'impose ; l'ostéo-
synthèse intrafocale est prohibée par le risque infectieux, et il faudra donc recourir à un
fixateur externe.
Pendant la guerre du Viêt-Nam, les chirurgiens américains ont souvent différé la pose
de fixateurs externes : « La chirurgie réparatrice et reconstructive n'a pas sa place dans un
hôpital chirurgical de l'avant et la présence d'un orthopédiste entraîné, à ce niveau, était un
luxe et non une nécessité » (a nicety and not a necessity)... L'immobilisation de réduction et
d'évacuation a toujours pu être obtenue par plâtre, écrivait Byerly.
Le problème est actuellement considéré comme résolu dans le Service de Santé des
Armées, en raison d'une part de la disponibilité d'un fixateur externe de concept de type I
(fixation simple, réduction initiale approximative, modification ultérieure possible), d'autre
part de l'entraînement des chirurgiens militaires - « généralistes » - à sa mise en place
immédiate ; en l'absence de fixateur, l'immobilisation plâtrée reste la ressource classique...
Certains continuent cependant à prôner une mise en place secondaire. Pour Coupland,
l'excision de la plaie est gênée par la fixation. La mise en place d'un fixateur externe est
moins prioritaire que le parage de la plaie et devrait être différée au premier pansement, 4 à 5
j après. Cela facilite un éventuel parage secondaire, avant l'immobilisation par fixateur. En
première intention, il suffit d'immobiliser le membre par une attelle plâtrée ou une mise en
traction. Selon cette conception, la fixation externe apparaît être une démarche ultérieure de
routine et non une procédure d'urgence.
405
Les compartiments ostéo-faciaux indemnes de toute atteinte directe doivent parfois
être ouverts pour éviter une ischémie par l'hyperpression due à l'œdème. Au niveau sural, la
fasciotomie ou aponévrotomie d'abord doit être prolongée pour obtenir une « décompression
» complète de la loge. Pour certains auteurs toute atteinte grave d'une des loges tibiales
impose de principe l'aponévrotomie de l'autre (loges tibiales antérieures et postérieures). Le
syndrome de loge est particulièrement fréquent au niveau de la loge antéro-externe ; il faut le
redouter dans toute plaie en dessous du genou, qu'il y ait ou non fracture tibiale. Une
aponévrotomie par une ou deux incisions latérales de jambe, réalisée au cours de la première
intervention, préviendra la survenue de ces lésions. Secondairement, par ces ouvertures
aponévrotiques, on peut dépister une nécrose des muscles d'une loge qu'il faudra alors
réséquer.
Tout chirurgien de guerre doit être averti de cette nécessité de réaliser ces
aponévrotomies ouvertes systématiques de jambes lors du parage initial.
Pour les plaies de guerre de la main également, l'ouverture des compartiments ostéo-
fasciaux est un geste essentiel.
Ces dernières années, l'utilisation de plus en plus répandue du phosphore dans les
projectiles et les roquettes est à l'origine de brûlures avec intoxication systémique gravissime
par résorption (toxicités hépatique, rénale et hématologique). Localement, le phosphore blanc
produit des brûlures du second et du troisième degré. Il s'enflamme spontanément au contact
de l'air, même dans l'épaisseur des tissus où il peut être retrouvé plusieurs jours après la
blessure.
Le principe le plus important dans la prise en charge de ces patients est l'ablation la
plus précoce possible de toutes les particules de phosphore résiduelles au niveau de la peau et
des tissus profonds. L'irrigation de la plaie par une solution de sulfate de cuivre à 5 %
empêche l'ignition au contact de l'air et minore les lésions. Cette solution est toutefois toxique
et son utilisation doit être prudente. Après parage et lavage au sérum salé isotonique,
recouvrir la lésion d'un pansement imbibé en permanence de percarbonate de soude,
substance inactivant le phosphore, est l'attitude actuellement recommandée.
Fermeture secondaire
Premier pansement
Après parage correct d'une plaie fraîche, le pansement n'est pas refait dans les
premiers jours jusqu'à la 5 date élective de fermeture. L'apparition d'une douleur excessive,
d'un œdème, de signes locaux ou généraux d'infection, peuvent rendre nécessaire une révision
de la plaie, sous anesthésie, en salle d'opération, et le plus souvent une reprise du parage des
tissus mortifiés et du drainage.
406
- entre le 3e et le 5e j, un tissu granuleux précoce apparaît à la surface du coagulum
fibrineux.
Protocole opératoire
Le premier pansement est donc refait au 4-5e j, sous anesthésie, en salle d'opération.
Les berges sont séparées avec douceur, les caillots éventuels enlevés avec précaution et la
plaie est irriguée avec du sérum physiologique. Il faut alors examiner soigneusement la plaie
et réséquer tout fragment tissulaire mortifié ; l'hémostase doit être obtenue par compression
douce ou par quelques points en X. Aucune suture profonde ne doit être pratiquée, et il faut
éviter les drainages.
Si nécessaire, les berges cutanées peuvent être clivées, pour permettre une suture sans
tension des berges. Cette méthode reste valable pour une plaie profonde de 6-8 cm.
L'hémostase doit être soigneuse et il faut autant que l'épaisseur des tissus où il peut être
retrouvé plusieurs jours après la blessure.
Le principe le plus important dans la prise en charge de ces patients est l'ablation la
plus précoce possible de toutes les particules de phosphore résiduelles au niveau de la peau et
des tissus profonds. L'irrigation de la plaie par une solution de sulfate de cuivre à 5 %
empêche l'ignition au contact de l'air et minore les lésions. Cette solution est toutefois toxique
et son utilisation doit être prudente. Après parage et lavage au sérum salé isotonique,
recouvrir la lésion d'un pansement imbibé en permanence de percarbonate de soude,
substance inactivant le phosphore, est l'attitude actuellement recommandée.
Fermeture secondaire
Premier pansement
Après parage correct d'une plaie fraîche, le pansement n'est pas refait dans les
premiers jours jusqu'à la 5 date élective de fermeture. L'apparition d'une douleur excessive,
d'un œdème, de signes locaux ou généraux d'infection, peuvent rendre nécessaire une révision
de la plaie, sous anesthésie, en salle d'opération, et le plus souvent une reprise du parage des
tissus mortifiés et du drainage.
407
Date élective de fermeture
Cette période du 3e au 5e j constitue, pour le même auteur, le moment optimal pour la
fermeture secondaire. Cette date a d'abord été fixée empiriquement, puis confirmée ensuite
par la pratique. Les échecs thérapeutiques seraient plus fréquents pour les plaies fermées
avant le 3e j ou après le 5e j.
Protocole opératoire
Le premier pansement est donc refait au 4-5e j, sous anesthésie, en salle d'opération.
Les berges sont séparées avec douceur, les caillots éventuels enlevés avec précaution et la
plaie est irriguée avec du sérum physiologique. Il faut alors examiner soigneusement la plaie
et réséquer tout fragment tissulaire mortifié ; l'hémostase doit être obtenue par compression
douce ou par quelques points en X. Aucune suture profonde ne doit être pratiquée, et il faut
éviter les drainages.
Si nécessaire, les berges cutanées peuvent être clivées, pour permettre une suture sans
tension des berges. Cette méthode reste valable pour une plaie profonde de 6-8 cm.
L'hémostase doit être soigneuse et il faut autant que possible refermer les espaces morts.
Toute tension est à proscrire lors de la suture cutanée, sous peine de désunion secondaire.
Après 4-5 j, l'œdème musculaire s'est résorbé et il est possible (et justifié) de refermer,
s'il n'y a pas de perte de substance cutanée et sous-cutanée et même en présence d'un
bâillement des berges. Si la plaie est étendue, elle sera refermée autant que faire se peut, le
reste étant recouvert d'une greffe cutanée mince.
La plaie suturée ou greffée est alors pansée. Si la lésion siège au niveau d'un membre,
celui-ci sera placé dans une attelle plâtrée bien rembourrée jusqu'au 10-14e j ; aucun autre
traitement n'est nécessaire, sauf indication particulière.
Pour Owen-Smith, 95 % des plaies par projectile relèvent d'une fermeture différée et
cicatrisent sans complication dans plus de 90 % des cas.
Conclusion
La plaie des parties molles de guerre est un domaine essentiel de la pathologie
balistique : c'est en effet la lésion la plus fréquente et la première composante de toutes les
plaies complexes.
Le parage reste ici le facteur fondamental pour éviter les complications infectieuses
graves, parmi lesquelles la redoutable gangrène gazeuse demeure au premier plan. Ce geste
est malaisé mais là est la première étape de l'apprentissage du chirurgien nouvellement
confronté à la chirurgie de guerre.
408
Prise en charge chirurgicale
d'une brûlure grave en situation précaire
II est classique de dire qu'une brûlure est grave quand elle menace à plus ou moins
brève échéance le pronostic vital. Il ne faut pas pour autant méconnaître qu'elle peut
également l'être si la fonction d'un organe (œil en particulier) est altérée, même isolément, ou
encore si celle d'un membre est compromise (brûlure circulaire par exemple). Les gestes de
réanimation (en particulier le remplissage vasculaire) ne tolèrent parfois aucun délai, mais
là n'est pas le seul traitement, et ce plus encore dans des conditions difficiles. Il faut savoir
exécuter, si la situation l'impose, quelques gestes « salvateurs » simples, immédiatement
efficaces.
Le but de ce chapitre est de les détailler et d'indiquer pour certains quand et comment
les réaliser. Pour d'autres, il ne sera fait état que de quelques particularités, dictées par le
type de la brûlure en cause. Volontairement, nous faisons abstraction de toute notion de
réanimation et de traitement médical. Seule la conduite à tenir, au plan chirurgical, sera
abordée.
Histopathologie de la brûlure
Les critères de gravité d'une brûlure concernent son étendue, sa profondeur et sa
localisation.
Surface
L'étendue de la brûlure joue un rôle essentiel dans le pronostic vital de la brûlure et
dans la stratégie chirurgicale au stade de l'excision-greffe. La détermination de la surface
corporelle est décrite dans le chapitre 5.
Profondeur
II faut impérativement la connaître pour le pronostic chirurgical d'excision-greffes, à
réaliser en centre spécialisé. Schématiquement, on distingue :
- le premier degré : il correspond à une atteinte dermique superficielle.
Cliniquement, il s'agit d'un érythème fugace qui évolue vers la guérison en 2 à 4 j laissant
place à une fine desquamation ;
- le deuxième degré : on lui distingue deux stades anatomo-pathologiques :
409
• le deuxième degré superficiel : il est caractérisé par une nécrose de l'épidémie
jusqu'à la couche basale de Malpighi. Cliniquement, il se traduit par une phlyctène séreuse et
douloureuse qui guérit en moins de 12 j,
• le deuxième degré profond : il correspond à une nécrose épidermique totale qui
laisse intact le derme profond et les annexes épidermiques situés à ce niveau. Cliniquement, il
se traduit par une lésion plutôt blanchâtre, piquetée de rouge, dont le sous-sol est souple. La
cicatrisation spontanée est possible et se fera en plus de 21 j à partir des enclaves
intradermiques des annexes pilo-séba-cées, mais aussi à partir de la métaplasie des cellules
myo-épithéliales des glandes sudoripares.
Entre ces deux degrés existe une entité (le deuxième degré intermédiaire) qui mêle les
deux tableaux cliniques du fait de la destruction quasi totale de la couche basale et du respect
des crêtes épidermiques. Son évolution dépend de facteurs extérieurs tels que l'infection et la
qualité des pansements. Par conséquent, la cicatrisation peut survenir en moins de 21 j mais
parfois plus ;
Indices de gravité
Au total et en pratique, il est important d'établir rapidement les indices de gravité
d'une brûlure. Ces scores conditionneront bien sûr le type de réanimation mais aussi la
rapidité d'évacuation vers une structure spécialisée.
- la règle de Baux : créée par S. Baux en 1961, elle consiste à additionner l'âge et la
surface brûlée exprimée en pourcentage : le pronostic est sombre quand l'indice dépasse 100
(10 % de survie) ;
- le taux UBS : indice quantitatif, le taux UBS (Unit Burn Standard) associe surface
et profondeur des lésions. Défini en 1969 par Sachs et Watson, il est calculé en additionnant
la surface brûlée totale (en pourcentage) et trois fois la surface brûlée au troisième degré (en
pourcentage).
410
Ainsi, pour un adulte jeune, les taux UBS sont :
Lésions associées
Elles conditionnent la stratégie thérapeutique chirurgicale et peuvent influer sur le
pronostic vital. En effet, les brûlures de la région cervico-faciale sont particulièrement graves
par leurs atteintes fonctionnelles, essentiellement respiratoires, et générales et ce d'autant plus
que l'accident est survenu en espace clos avec inhalation de fumées. Ces brûlures respiratoires
vont majorer les complications générales et imposer d'emblée une intubation naso-trachéale,
bien souvent suivie d'une trachéotomie. Les brûlures de la région péri-oculaire justifieront une
tarsorraphie de protection des globes oculaires. De même, des brûlures profondes circulaires
des membres, du cou ou du tronc imposeront les incisions de décharge ou des escarrotomies
dans les meilleurs délais pour préserver la vascularisation périphérique distale (doigts) et la
compliance pulmonaire.
Enfin, il ne faudra pas sous-estimer dans la prise en charge du patient les facteurs
aggravants que sont les traumatismes associés (brûlé et polytraumatisé).
Soins locaux
Ils intéressent l'ensemble des surfaces brûlées et ont un double objectif, le nettoyage
des lésions et la détersion des phlyctènes.
Cette phase doit être réalisée de la façon « la plus propre possible » avec des gants
stériles et sous sédation analgésique. Les antiseptiques communément utilisés à cet effet sont
la Bétadine Dermique (solution de polyvidone iodée à 10 %) ou l'Hibitane (chlorexidine)
dilué chez l'enfant. Les phlyctènes sont alors réséquées avec des pinces à disséquer et des
ciseaux.
411
Incisions de décharge ou escarrotomies
Introduction
La réalisation d'incisions de décharge (ou escarrotomies) est l'un des gestes
chirurgicaux urgents que tout médecin devrait pouvoir pratiquer chez un brûlé grave lors
de la préparation à l'évacuation.
Les incisions de décharge sont parfois vitales au niveau du cou et du thorax car
elles sont susceptibles de maintenir la liberté des voies aériennes et d'améliorer
l'ampliation pulmonaire. Au niveau des membres, elles peuvent permettre de prévenir des
ischémies distales en cas de brûlures circulaires qui peuvent réaliser de véritables garrots.
Leurs indications doivent être larges, les escarrotomies prophylactiques étant tout à
fait licites si les conditions de prise en charge et de surveillance du brûlé sont aléatoires
(temps de crise, avec afflux massif de blessés et difficultés d'évacuation). On les décide
essentiellement sur des données cliniques, même si des examens complémentaires comme
le doppler peuvent se révéler utiles. Elles sont en général techniquement simples, et nous
les décrirons en détail pour chaque région anatomique.
II faut donc effectuer des incisions de décharge dans l'axe des membres ou du
tronc pour supprimer l'effet de carcan et permettre l'expansion de l'œdème. Seules les
incisions de décharge permettent d'éviter l'augmentation des pressions tissulaires sous-
jacentes.
412
Le plus souvent, le seul examen clinique suffit à poser l'indication. Il faut d'abord
apprécier la surface corporelle brûlée et la profondeur des lésions. La « règle des 9 » de
Wallace est la plus couramment utilisée en urgence. Rappelons que toute brûlure
profonde, estimée à plus de 20 % de la surface corporelle totale chez l'adulte et 10 % chez
l'enfant, impose des mesures de réanimation rapides, dont les modalités sont décrites dans
le chapitre 5.
Porter une indication d'escarrotomie est simple devant une brûlure circulaire à
l'évidence profonde, avec des téguments cartonnés et indolores, dont la couleur blanc
nacré, rouge ou brune, tranche sur la peau saine, et dont les phanères se détachent sans
effort.
Le diagnostic clinique peut toutefois être plus difficile devant des téguments
d'aspect faussement normal, à peine rosés ou décolorés. La palpation est alors essentielle
pour mettre en évidence l'insensibilité des lésions, la disparition de l'élasticité cutanée et
l'absence d'adhérence de l'épiderme et des annexes. Les brûlures « en mosaïque », qui
associent brûlures superficielles et profondes, sont également très difficiles à évaluer.
Les escarrotomies doivent être pratiquées avant que n'apparaissent les signes de
compression aérienne ou vasculaire.
Les examens paracliniques ne sont pas utiles, à notre avis, pour porter l'indication
d'escarrotomie. L'examen doppler des flux artério-veineux est théoriquement possible sur le
terrain grâce aux appareils simplifiés et miniaturisés mais il est difficile à réaliser et
interpréter sur des téguments brûlés et œdématiés. La mesure des pressions intra tissulaires ne
présente pas d'intérêt pratique chez le brûlé, de même que les examens IRM. Les incisions de
décharge doivent être systématiques devant toute suspicion de brûlure profonde et
circulaire, à titre prophylactique, sans attendre l'apparition des signes de compression
profonde.
413
Comment pratiquer des escarrotomies ?
Principes généraux
Une escarrotomie peut toujours être pratiquée hors d'une salle d'opération, mais un
minimum de matériel est nécessaire :
Aucune anesthésie n'est en principe nécessaire puisque le geste est réalisé au niveau
d'une escarre insensible mais, en pratique, il faut le plus souvent procurer une sédation.
L'escarre est incisée le long de l'axe du membre, du cou ou du tronc afin de permettre
le drainage de l'œdème vers les veines centrales. Au niveau des plis de flexion, les incisions
seront au contraire transversales pour optimiser la décompression des axes vasculo-nerveux à
ce niveau.
Il est préférable de progresser depuis la racine du membre vers son extrémité afin
d'éviter de blesser les veines superficielles turgescentes avant la levée de l'obstacle.
414
En profondeur, l'incision doit atteindre le fascia superficialis, mince couche
conjonctive qui sépare en deux plans, superficiel et profond, le tissu adipeux sous-cutané. Il
n'est pas nécessaire d'atteindre l'aponévrose qui recouvre les muscles sous-jacents,
excepté dans le seul cas des brûlures électriques où les lésions musculaires profondes
peuvent être assimilées au crush syndrome (Fig. 23.1).
Le geste ne doit pas être pratiqué à main levée, même par un opérateur entraîné. Il faut
maintenir une garde, bord cubital de la main en appui sur la peau à inciser, un mouvement
brutalement trop ample ou trop profond risquant de blesser les structures sous-jacentes. Il
faut être tout particulièrement prudent au niveau des zones où le revêtement cutané est
mince : face interne du bras et de la cuisse, face antérieure de l'avant-bras, articulations
digitales.
- l'écartement franc des berges de l'incision par les tissus sous-jacents œdématisés;
- l'exsudation de liquide interstitiel au niveau de l'escarrotomie ;
- la recoloration de l'extrémité du membre et la réapparition des pouls distaux et
capillaires ;
- une meilleure efficacité respiratoire et l'amélioration de l'hématose pour les incisions
cervicales et thoraciques.
L'hémostase doit être draconienne au niveau de l'escarrotomie :
- ligature par fil noué des principaux pédicules veineux ;
- électrocoagulation des capillaires dermiques et sous-dermiques ;
- protection de toute l'incision par des compresses hémostatiques, avant la réalisation
du pansement de la zone brûlée.
Au niveau cervical
Le principal danger est le rameau mentonnier du nerf facial et les veines jugulaires
externes. En pratique, il faut éviter d'inciser à l'aplomb des angles mandibulaires (Fig. 23.2).
415
Au niveau thoracique
Les escarrotomies thoraciques ne posent pas de problème particulier, à condition de
respecter la région sus-claviculaire et le sommet du creux axillaire, point de passage des
éléments vasculo-nerveux.
Les incisions sont d'abord réalisées sur les deux lignes axillaires antérieures, environ 1
cm sous la clavicule et jusqu'au bord inférieur du grill costal. On les double éventuellement
d'incisions parallèles, plus internes ou plus externes, ou d'une incision horizontale sous le
rebord costal, pour encore améliorer la compliance thoraciques. Pour des raisons esthétiques,
toutes ces escarrotomies thoraciques doivent éviter le mamelon (Fig. 23.3).
Au coude, l'incision est transversale pour débrider les vaisseaux huméraux au niveau
du pli de flexion. Elle peut se poursuivre à la face postérieure en cas de brûlure circulaire,
sans ouvrir toutefois la gouttière des tendons épitrochléens qui protègent le nerf cubital.
416
À la main, les incisions sont radiaires, dans l'axe des métacarpiens. Au niveau des
doigts, elles sont effectuées sur la face latérale un peu postérieures (à la jonction peau
palmaire - peau dorsale) pour éviter les paquets vasculo-nerveux collatéraux. Elles doivent
également éviter les commissures digitales, dont la reconstruction chirurgicale ultérieure
serait difficile (Fig. 23.3).
417
À la jambe, les incisions sont internes et externes pour ne pas découvrir la face
antérieure du tibia.
Surveillance post-opératoire
La reprise du saignement au niveau des berges de l'incision est un phénomène
fréquent, par labilité tensionnelle ou décollement du caillot si l'exsudation est majeure.
L'hémostase doit être reprise comme nous l'avons signalé plus haut : ligatures, thermo-
coagulation ou compresses hémostatiques.
Rappel anatomique
Les paupières supérieures et inférieures sont deux voiles musculo-membraneux qui,
en se fermant, protègent le globe oculaire contre les agents extérieurs. Par ailleurs, elles
assurent l'hydratation permanente de la cornée, en étalant le film lacrymal.
Les paupières sont formées de la profondeur à la superficie par : un plan muqueux (la
conjonctive), un plan fibro-élastique (le tarse), un plan musculaire (le muscle orbiculaire des
paupières) et un plan cutané.
418
Figure 23.5 : Coupe parasagittale de la région orbito-palpébrale passant par le milieu
du globe. 1. muscle releveur de la paupière supérieure ; 2. peau palpébrale ; 3. muscle
orbitaire ; 4. cul-de-sac conjonctival supérieur ; 5. tarse ; 6. bord libre de la paupière ; 7. cil ;
8. cornée ; 9. paupière inférieure.
Les voies lacrymales drainent vers les fosses nasales les larmes sécrétées par la glande
lacrymale située dans l'angle supéro-externe de l'orbite.
Les points lacrymaux (punctum lacrimale) supérieurs et inférieurs sont situés sur le
bord libre de chaque paupière, à 6 ou 7 mm de l'angle interne de la fente palpébrale. Ces
orifices sont petits mais peuvent être vus à l'œil nu.
De ces orifices naissent les canalicules lacrymaux supérieurs et inférieurs qui s'unissent
puis gagnent le sac lacrymal.
419
Figure 23.6 : Vue antérieure de la région orbito-palpébrale droite après résection de la
moitié externe de la paupière supérieure.
1. iris ; 2. globe oculaire ; 3. trajet des larmes ; 4. glande lacrymale droite ; 5. muscle
orbiculaire en coupe ; 6. tarse en coupe ; 7. hémi-paupière supérieure (moitié interne) ; 8.
point lacrymal supérieur ; 10. sac lacrymal ; 11. canalicule lacrymal inférieur ; 12. canal
lacrymo-nasal ; 13. point lacrymal inférieur.
Devant toute brûlure de la région orbito-palpébrale, il faut suspecter une lésion du globe
oculaire et la traiter en conséquence.
420
défection de son système de protection. Elle devra être réalisée chaque fois que l'occlusion
palpébrale est incomplète.
Technique opératoire
Le matériel nécessaire comprend :
- un fil monofilament non résorbable, décimale 1,5 (soit calibre 4/0), serti sur aiguille
courbe triangulaire 3/8e de cercle (Surgipro, Prolène, etc.) ;
- un porte-aiguille fin ;
- un cathlon veineux souple de 1 mm de diamètre.
Nous limitons cette blépharorraphie, dite de protection, aux 2/3 externes des
paupières. Ne pas suturer le 1/3 interne de la fente palpébrale permet de conserver un abord
oculaire pour les soins locaux (instillation de collyres, voir plus bas).
Le trajet de l'aiguille entre ces points d'entrée et de sortie doit impérativement être
dans le plan situé en avant du tarse et ne pas être transfixiant afin d'éviter une irritation
cornéenne par frottement du fil.
421
Un segment de cathlon initialement préparé est enfilé sur l'aiguille et le fil (Fig. 23.9),
puis on fait pénétrer l'aiguille de nouveau 5 mm plus en dedans, toujours à 2 mm au-dessus du
bord libre, pour la faire ressortir 5 mm plus en dedans (Fig. 23.10).
422
Les deux extrémités du fil sont ensuite nouées sous une tension qui ne doit pas être
excessive (risque de cisaillement des tissus par les fils) mais toutefois suffisante pour
mettre en contact les bords libres des deux paupières, ce qui permet de protéger la cornée
(Fig. 23.12).
Il faut placer le nœud en dehors (en regard du canthus externe) pour qu'il ne risque
pas de traumatiser la cornée. Il faudra s'assurer également qu'il n'y ait pas enfouissement
de cils au contact de la cornée qui serait un facteur irritant.
Si nécessaire, l'occlusion peut être complétée par 2 à 3 points séparés placés côte à
côte.
Trachéotomie
Elle est souvent indiquée de principe devant une brûlure cervico-faciale avec lésions
d'inhalation de l'arbre trachéobronchique. Aux brûlures cutanées faciales s'associent des
atteintes muqueuses nasales voire buccales, avec fréquemment présence de suie ou de
vibrisses calcinées. La muqueuse bucco-laryngée est érythémateuse et rapidement le siège
d'un œdème. L'intubation naso-trachéale est urgente et la trachéotomie doit suivre dans un
délai si possible inférieur à 24 h. En effet, au-delà, un œdème majeur est constant après des
brûlures cervico-faciales, et il rend la trachéotomie beaucoup plus difficile. Donc, plus la
trachéotomie sera précoce, plus elle s'apparentera à une trachéotomie réglée avant la survenue
de la phase œdémateuse. Nous ne détaillerons pas cette technique opératoire bien connue de
tous les chirurgiens rompus à l'exercice en situation d'urgence ou de catastrophe. Nous
423
préciserons simplement quelques points de détail importants pour la facilité du geste
chirurgical et des suites opératoires (changements de canules).
- La voie d'abord cutanée cervicale antérieure est verticale et d'autant plus grande que
le cou est œdémateux.
- Les volets trachéaux devront être montés sur fils tracteurs qui seront eux-mêmes
amarrés aux muscles du losange de la trachéotomie pour faciliter le changement de canule,
l'orifice trachéal se trouvant très rapidement au fond d'un puits (œdème).
- Il faut toujours mettre la sonde la plus grosse possible au stade initial, celle-ci jouant
ainsi le rôle de « conformateur endo-trachéal ».
- Enfin, il faut autant que faire se peut refermer partiellement la voie d'abord cutanée
au-dessus et en dessous du puits trachéal. On évite ainsi de laisser ouvertes à l'infection des
zones anfractueuses qui rapidement pourraient évoluer en fonte purulente. La sonde de
trachéotomie sera fixée à la peau par deux fils de suture solides pour éviter les extubations
intempestives pendant les pansements ou la phase d'évacuation.
Pansement final
Le pansement chez le brûlé a plusieurs objectifs : minimiser les pertes thermiques qui
font courir le risque d'hypothermie, diminuer les pertes liquidiennes par exsudation, lutter
contre l'infection et préparer le sous-sol lésionnel pour d'éventuelles greffes ou une
cicatrisation dirigée. L'infection est incriminée dans plus de la moitié des décès chez les
brûlés, les germes étant originaires soit de l'environnement, soit du patient lui-même.
Il est maintenant classique de traiter d'emblée les patients brûlés par des topiques
dérivés de la sulfadiazine argentique (Flammazine) :
424
- si elle est supérieure à 30 % de la surface corporelle, le Flammacérium (Flammazine
+ nitrate de cérium) est recommandé car plus efficace sur la flore bactérienne à Gram négatif.
En l'absence de ces topiques, un pansement gras (Tulle Gras, Jelonet, etc.), additionné
si possible de crème à la polyvidone iodée (Bétadine) fera tout aussi bien l'affaire.
Enfin, devant des conditions de dénuement matériel extrême, un simple pansement sec
stérile (compresses, champs stériles, etc.) permettra de recouvrir
Enfin, il faut souligner qu'une part essentielle du traitement des brûlés graves repose
sur la réanimation, décrite dans le chapitre 5 et que nous ne reprendrons pas ici. Rappelons
toutefois qu'il faut de principe administrer une couverture antibiotique devant toute brûlure
supérieure à 15 % de la surface corporelle, qui doit être évacuée. Au départ, cette
antibiothérapie doit être dirigée contre le staphylocoque (pénicilline G par exemple), puis par
la suite adaptée.
Conclusion
Connaître et effectuer les quelques gestes chirurgicaux fondamentaux dans le
traitement des brûlures graves ne doit pas être relégué au second plan sous prétexte que seule
la réanimation parentérale est ici une urgence.
Une tarsorraphie de protection peut sauver un œil, une escarrotomie éviter une
amputation d'un membre, un pansement bien conduit favoriser une cicatrisation et surtout
éviter l'infection.
Autrement dit, le traitement de tels brûlés, gravement atteints, ne sera efficace que
sous certaines conditions. Il ne doit pas se cantonner à un seul aspect de la prise en charge, et
plus il sera multidisciplinaire (chirurgie, réanimation, prévention des complications, etc.),
plus les perspectives d'avenir de ces blessés seront favorables.
425
PARTIE 3
Chirurgie tropicale.
426
Avant-propos
L.-J. COURBIL
« La chirurgie est une » disait Lecène, et il n'a jamais été dans l'intention de cette
école de créer une spécialité chirurgicale supplémentaire, mais d'apporter une information
sur les problèmes chirurgicaux spécifiques à la pratique en pays tropical.
De façon générale, la chirurgie sous les tropiques revêt plusieurs points particuliers :
427
Ce sont ces conditions d'exercice qui posent les problèmes les plus délicats. Limité par
sa propre expérience et ses moyens matériels, le chirurgien hésitera souvent entre plusieurs
attitudes qui peuvent aller, aux extrêmes, de l'abstention chirurgicale pure et simple, avec ou
sans évacuation, jusqu'aux indications opératoires les plus démesurées... Seul devant ses
responsabilités, si faciles en général à faire partager en Europe, il prendra ses décisions en
totale autonomie, sur des critères qui lui sont propres. Sans vocation chirurgicale particulière,
tel médecin devra prendre le bistouri, tandis que tel autre, pourtant motivé et déjà
expérimenté, sera déçu par les limites qu'il devra s'imposer.
Les origines, les nationalités et les statuts de ces chirurgiens sont très divers. À Dakar,
le CHU sélectionne ses chirurgiens sur des normes classiques (internat, assistanat) et l'hôpital
principal selon les critères des hôpitaux militaires français. Hors de Dakar, les normes sont
très souples... Cette diversité caractérise tous les pays d'Afrique noire d'expression française,
où la Chine, les deux Corées, l'Union soviétique, les pays de l'Est et Cuba, ont envoyé des
missions médicales. Elle nuit évidemment à la cohésion de l'activité chirurgicale générale, les
indications et les techniques étant différentes selon l'origine et la formation des chirurgiens.
Mais il n'y a pas que les médecins (et les chirurgiens) qui opèrent. Dans certains
postes, des infirmiers ont une activité importante. À Saint-Louis et à Kaolack par exemple,
nous connaissions personnellement deux infirmiers très anciens, excellents opérateurs, qui
réalisaient la chirurgie courante (hernies, césariennes) avec une compétence et une conscience
professionnelle dignes d'éloges.
L'enquête a enfin pu montrer que, dans l'immense majorité des cas, les malades sont
d'origine autochtone. À cette époque de l'année, période des congés, les étrangers sont rares
au Sénégal.
Nous avons choisi cette période chaude et humide car les pathologies spécifiques aux
tropiques y sont bien évidemment plus fréquentes. Le Sénégal a des climats assez variés
puisque le nord est sahélien, tandis que le sud a des zones forestières, que la côte est favorisée
par les vents alizés et que l'intérieur, continental, est très chaud.
428
L'étude qualitative et quantitative de cette pathologie nous a permis de dégager trois
éléments :
Chirurgie d'urgence
Elle dominait l'activité quotidienne et recouvrait plusieurs spécialités.
Chirurgie réglée
Elle occupe le temps que veut bien lui laisser l'urgence chirurgicale. C'est dire que, par
manque de personnel et de locaux, les programmes opératoires fixés à l'avance sont
fréquemment perturbés. Dans les grands hôpitaux, une liste d'attente est courante pour les
interventions usuelles : se faire opérer d'une hernie suppose, de la part d'un paysan du Ferlo,
patience, persévérance et... une dépense importante. Comme on peut le constater
pratiquement partout dans les pays en développement, la chirurgie est un luxe, accessible à
une seule minorité.
429
Chirurgie spécifiquement tropicale
Elle n'est pas négligeable et, là encore, il faut différencier la chirurgie urgente de la
chirurgie réglée.
Chirurgie d'urgence
Plusieurs interventions urgentes ont été réalisées : péritonites, l'une due à une amibiase
colique perforée, associée à un abcès du foie, l'autre à des perforations multiples du grêle
d'origine typhique ; occlusion relevant d'une étiologie mixte, mécanique et fonctionnelle chez
un polyparasité (ascaridiose en particulier). De nombreuses infections des muscles et des
articulations étaient staphylococciques, réalisant des tableaux (myosites) spécifiques aux pays
en voie de développement.
Chirurgie réglée
Quatre amputations, qui auraient pu être évitées avec des diagnostics et des
traitements plus précoces, ont été réalisées : l'une pour ulcère phagédénique cancérisé ; une
autre pour mycétome ; deux enfin pour mal perforant plantaire lépreux. En outre, ont été
effectuées des interventions pour paralysies séquel-laires de la lèpre et de la poliomyélite,
pathologies que l'on ne retrouve plus en Europe, une cure de rétrécissement uréthral chez un
bilharzien, de nombreuses réfections de périnée qui, comme les fistules vésico-vaginales,
relèvent d'une mauvaise surveillance obstétricale, et deux exérèses de chéloïdes majeures.
Ce sont les conditions d'exercice de cette chirurgie sous les tropiques qui déterminent
le dernier élément sur lequel nous insisterons.
Différentes hypothèses ont été proposées pour expliquer cette faible consommation
chirurgicale :
430
Plusieurs mémoires réalisés par des volontaires du service national ces dernières
années en Afrique et adressés au Pharo ont confirmé les chiffres de cette enquête.
Cependant, à ce propos, les données les plus précises ont été obtenues par G. Fournier,
chirurgien et épidémiologiste, qui, en 1989, a étudié sur le plan statistique et géographique les
dystocies obstétricales au Sénégal. Département par département, il prenait en compte la
population, les naissances attendues, les césariennes réalisées, le nombre attendu de
césariennes pour sauver la mère (1 % en principe) et l'enfant (5 %), ainsi que les décès par
défaut d'intervention.
II a relevé l'origine géographique précise des césariennes, des ruptures utérines et des
fistules vésico-vaginales. À partir de ces données, il a pu déduire les insuffisances des
consultations prénatales et définir les « zones à risque » où le dépistage des dystocies n'était
pas systématique. Dans ces zones, il a proposé la création ou la réactivation de petites unités
de chirurgie d'urgence et le recyclage de certains personnels, voire des mutations.
Il appartient à tout intervenant dans les situations précaires qui font l'objet de ce livre
de bien connaître la place des techniques de base de la chirurgie d'urgence, ses indications et
ses limites, savoir indispensable pour le personnel de santé responsable des postes du « bout
de la piste ». En effet, dans les cas où la vie est en danger immédiat (dystocie majeure, hernie
étranglée, rupture de rate), il n'y a pas d'alternative au geste chirurgical d'urgence. La
médecine traditionnelle, universellement répandue et à laquelle les populations ont de plus en
plus recours, a certes des réussites indiscutables dans le domaine de la phytothérapie et dans
les maladies psychosomatiques, auxquelles s'ajoutent certains succès reposant sur un système
élaboré de croyances métaphysico-religieuses. Dans le domaine chirurgical en revanche, la
médecine traditionnelle est très pauvre : je n'ai guère vu que des fistules stercorales des
bourses témoignant d'une ouverture délibérée par un tradipraticien d'un phlegmon herniaire et
des éviscérations abdominales par corne de buffle, protégées par un fragment de calebasse
cousu aux bords de la plaie. J'ai eu surtout quelques conflits, au Tchad en particulier, avec un
guérisseur « titré » passant la nuit auprès des blessés de guerre pour appliquer quelque
emplâtre sur des fracas ouverts, parés et immobilisés par fixation externe.
On remarquera à juste titre que nous nous référons ici essentiellement à l'Afrique. Les
différents auteurs de ce deuxième chapitre y ont passé une grande partie de leur vie
professionnelle et le corps de santé militaire y a une expérience d'un siècle de présence
ininterrompue, et une vue géographique très large basée non sur des frontières d'État très
artificielles mais sur des zones bien définies : le Sahel, la savane, la forêt. Les leçons de
Jamot garde toute leur actualité : elles ne portent plus sur la maladie du sommeil, mais restent
valables pour d'autres pathologies comme le Sida. Le pronostic des perforations du grêle est
toujours sévère, depuis cinquante ans, des rives du Niger à celles du Congo.
431
synthèse sur les chirurgies sous les tropiques, comme la Clinique chirurgicale des pays
chauds, de Botrau-Roussel (éd. Masson, 1936) ou, plus près de nous, les Urgences en
chirurgie tropicale de Carayon (dans le traité des urgences chirurgicales de Detrie, éd.
Masson, 1985).
Ainsi, en Asie du Sud-Est où nous sommes de nouveau présents après avoir été
(presque) totalement oubliés, nous retrouvons dans les hôpitaux du Viêt-Nam et du
Cambodge la pathologie que décrivait Meyer May dans son livre La Chirurgie tropicale
d'urgence (éd. Masson, 1940). Dans sa statistique de 1 144 urgences abdominales relevées en
trois ans à Hanoi, il notait que 353, le quart environ, présentaient un aspect propre aux
tropiques. Il y avait 7 % de ruptures utérines, 3 % de torsions de kystes ovariens, 5 % de
perforations d'ulcères gastro-duodénaux et 5 % de péritonites typhiques. Un demi-siècle plus
tard, ces chiffres restent les mêmes, dès qu'on s'éloigne des grands centres.
Finalement, l'urgence chirurgicale sous les tropiques pose partout les mêmes
problèmes, toujours difficiles à résoudre dans la précarité, où les examens paracliniques et les
moyens de réanimation sont bien souvent rudimentaires.
Les grands syndromes abdominaux, péritonéaux et occlusifs sont souvent des formes
asthéniques, mal identifiées par l'auxiliaire médical et donc adressées tardivement au
chirurgien. On sera très attentif au cas particulier de la femme présentant une grossesse
connue, probable ou « possible ».
On peut pécher par défaut et temporiser parce que des parasitoses (amibiase,
bilharziose, ascaridiose) camouflent d'authentiques indications opératoires (volvulus,
perforations d'origine infectieuse). Mais on peut aussi pécher par excès et intervenir pour ces
« syndromes abdominaux aigus pseudo-chirurgicaux » auxquels Merle à Abidjan a consacré
un excellent livre (éd. Doin, 1961).
432
Chirurgie en situation de catastrophe
en Afrique tropicale
A. MACKOUMBOU-NKOUKA
Contexte sociopolitique
Depuis plusieurs années, l'Afrique, surtout sub-saharienne, est le théâtre de plusieurs
affrontements : guerres de libération, guerres civiles, affrontements tribaux. Certaines de ces
guerres durent depuis longtemps : l'Angola est en guerre depuis 30 ans, et le Soudan connaît
depuis 1983 une guerre qui ravage le sud du pays avec 600 000 morts. En Somalie, au
Libéria, en Sierra Leone, des conflits civils et ethniques continuent leurs ravages. La guerre
vient à peine de s'éteindre au Mozambique, en Erythrée. Le drame le plus affreux est celui du
Rwanda en avril 1994, qui a fait 500 000 morts environ, entraînant un véritable génocide qui
dépasse l'imagination.
La fin de la guerre ne signifie pas toujours l'absence de blessés, car sur le terrain sont
disséminés des mines terrestres et des engins explosifs qui gardent leur potentiel destructeur
bien après la fin des conflits ; en Angola, on compte environ 10 millions de ces engins
répandus dans tout le pays.
Contexte médical
Aucun État de la région n'a l'organisation ni les ressources nécessaires pour prendre en
charge ces blessés. En effet, dans tous ces pays, il n'existe pas de personnel spécialisé pour
cette chirurgie en situation de catastrophe et le matériel fait souvent défaut. C'est ici qu'il faut
louer l'action des organisations humanitaires (MSF, CICR, MDM, AMI), de certaines unités
433
spécialisées de pays occidentaux (EMIR de la DCSSA) dont le travail mérite la
reconnaissance des Africains.
Cet accroissement de l'infection par le VIH complique donc la chirurgie, mais elle
constitue aussi un danger pour le personnel soignant. Dans la pratique courante de la chirurgie
dans les pays du nord, le risque de contamination après exposition à du sang VIH positif est
faible puisque estimé à 0,3 % ou 0,4 %, mais il devient non négligeable dans le contexte de la
chirurgie en situation de crise dans nos régions. En effet, outre la forte prévalence de
l'infection par le VIH, il n'est pas toujours possible de mettre en œuvre toutes les mesures de
prévention.
Pathologies observées
Différentes statistiques, comme celle du WHO/GPA/TCO/SEF/94.4, ont permis au
cours de ces conflits de déterminer la fréquence respective des lésions observées.
Le plus souvent ces blessures étaient dues à des projectiles d'armes d'assaut et à des
éclats d'obus. Une dernière arme, redoutable, vient de faire son apparition dans l'arsenal
guerrier africain : c'est la machette, utilisée dans le dernier conflit du Rwanda et du Burundi.
434
Conduite thérapeutique
Lésions ostéo-articulaires des membres
Le plus souvent, en raison des délais d'évacuation, la chirurgie était une chirurgie
de l'infection, avec en particulier hématomes infectés, voire franchement purulents.
Le traitement de ces lésions doit obéir aux règles de la chirurgie de guerre et rester
le plus simple possible. Il repose sur le parage économique, mais enlevant tous les tissus
mortifiés. Le lavage se fait à la solution de Dakin car les autres moyens ne sont pas
disponibles : lame de Delbet, drain aspiratif. Les membres étaient immobilisés par un
appareil plâtré le plus souvent. Ce plâtre, confectionné en bonne position, était fenêtre au
niveau de la plaie dans un délai de 48 h. Les autres techniques de stabilisation, traction
transosseuse, fixateur externe, ont rarement été utilisées.
Chez certains blessés vus tardivement, face à des tableaux associant fièvre, état
confusionnel et anémie, la seule solution était l'amputation, que l'on effectuait en tissus
sains, le moignon étant laissé ouvert. La suture primaire était réalisée entre le 3e et le 7e j
post-opératoire, à condition que le moignon soit propre. Dans tous les cas, nous avons
entrepris une sérothérapie antitétanique et une antibiothérapie de couverture à la dose de 5
millions d'UI de pénicilline par jour.
Ces lésions ont parfois évolué vers une consolidation de première intention, mais
une reprise chirurgicale par plaque ou par clou ou autres gestes (greffes cutanées,
séquestrectomies) a ailleurs été nécessaire.
Plaies de l'abdomen
Les plaies de l'abdomen, plaies pénétrantes par des projectiles de petit calibre ou
éviscérations par coups de machette, étaient les secondes en fréquence.
Le traitement des lésions doit autant que possible rester simple. Par une
laparotomie médiane à cheval sur l'ombilic, on explore minutieusement le contenu
abdominal et on suture d'emblée les plaies simples du grêle. Quand elles sont complexes
ou étendues, on résèque les zones atteintes, puis on rétablit la continuité par une
anastomose terminoterminale. Au niveau du côlon, seules peuvent être traitées d'emblée
les plaies punctiformes, toute autre lésion imposant une dérivation à la peau, technique
simple, sûre et rapide. Les plaies du rectum sont suturées, avec colostomie gauche d'amont.
Les plaies hépatospléniques peuvent engager très rapidement le pronostic vital car elles sont
souvent très hémorragiques, dépassant nos capacités de compensation. Les atteintes
spléniques sont traitées par splénectomie, et les plaies hépatiques par suture avec des points
larges en U. Dans ces conditions d'exercice, il faut noter que les abcès de paroi sont fréquents,
imposant un drainage post-opératoire.
Plaies du thorax
Les plaies thoraciques qui arrivent aux chirurgiens sont pour la plupart des plaies
pénétrantes avec pneumo-hémothorax. Elles sont traitées par drainage à l'aide d'un drain de
Joly ou d'un trocart de Monod, qui sont introduits soit à un niveau antéro-latéral, entre ligne
435
axillaire antérieure et moyenne, à mi-hauteur des 4e ou 5e espaces intercostaux, soit à mi-
hauteur de la ligne unissant le milieu de la clavicule au mamelon. Le drain est raccordé de
façon étanche à un tube souple qui plonge dans un bocal rempli d'une solution de Dakin, dont
le niveau initial est repéré. Nous n'avons que rarement utilisé une valve de Heimlich, car non
disponible.
Les hémothorax dont le drain débite beaucoup nécessitent une thoracotomie
d'hémostase de pronostic souvent réservé.
Conclusion
La chirurgie en situation de crise en Afrique tropicale se pratique encore de nos jours
dans des conditions fort précaires :
436
Urgences chirurgicales abdominales
en Afrique
J. RICHARD
Il n est donc pas rare que le tableau clinique ne comporte plus les premiers signes
fonctionnels de la maladie, car la plupart des patients arrivent aux urgences au stade de
péritonite ou d'occlusion que nous décrirons ici. A Ouagadougou, dans le service des
urgences chirurgicales que j'avais créé, 60 % des urgences viscérales étaient des occlusions
et des péritonites évoluées. Le reste se répartissait entre les grossesses extra-utérines, les
hernies étranglées (avant le stade de l'occlusion franche) et la traumatologie abdominale.
Les appareils de radiologie sont relativement répandus, mais les films peuvent
manquer, et il n est pas rare de ne pas pouvoir disposer d'un ASP. L'écho graphie, qui n' a
pas cet inconvénient, prend de plus en plus d'importance, et elle aide énormément au
diagnostic direct. C'est un examen facile et peu onéreux. Tous les examens radiologiques
spécialisés utilisant des produits de contraste ont en revanche des coûts prohibitifs,
interdisant souvent leur emploi en dehors des grands centres. Enfin, pathologie évoluée est
synonyme de malade fragile, nécessitant un minimum de réanimation, sous peine d'une
lourde mortalité per- ou post-opératoire précoce.
C'est en tenant compte de ces caractéristiques particulières qu'il faut aborder les
urgences abdominales chirurgicales en Afrique.
437
Péritonites
Définition
Le péritoine est une séreuse qui tapisse la cavité péritonéale et se réfléchit sur les
viscères abdominaux, délimitant ainsi une cavité virtuelle à multiples récessus. Cette cavité
contient normalement quelques millilitres de liquide, perpétuellement renouvelé, qui facilite
la mobilité des viscères. La péritonite, inflammation aiguë du péritoine, est toujours grave et
impose un traitement énergique et précoce.
Étiologie
Péritonite secondaire à une contamination hématogène
Ces péritonites comprennent de nombreuses formes chroniques et des formes aiguës.
Ces dernières, qui ne constituent guère plus de 1 % de l'ensemble des péritonites aiguës, sont
le plus souvent liées au développement d'un germe spécifique.
Les causes traumatiques relèvent des contusions et plaies abdominales (que l'impact
soit abdominal ou non). On y rattache les atteintes péritonéales des avortements provoqués et
les péritonites post-opératoires, ces dernières constituant une entité particulière en raison des
problèmes diagnostiques et thérapeutiques spécifiques qu'elles posent ;
Physiopathologie
Le péritoine est un feuillet séreux qui tapisse viscères et paroi abdominale. La surface
de cette membrane, égale à la surface corporelle, explique que le retentissement clinique de
ses atteintes soit précoce et rapide. Sa capacité d'absorption est grande. Il sécrète
438
normalement quelques millilitres de liquide séreux riche en leucocytes et histiocytes. En cas
de péritonite, cette sécrétion peut devenir abondante et le péritoine peut réabsorber 8 % du
poids du corps par heure. On comprend alors la gravité du syndrome toxique des péritonites.
Anatomie pathologique
À l'ouverture de l'abdomen, et dans les formes moyennement évoluées, on trouve des
anses intestinales distendues, rouges, épaissies, immobiles, fragiles, saignant au contact, plus
ou moins recouvertes de fausses membranes (blanc d'œuf cuit), le tout baignant dans un
liquide trouble qui se collecte aux points déclives (culs-de-sac de Douglas, coupoles
diaphragmatiques, région sous-hépatique).
À un stade plus évolué se forment des agglomérats d'anses intestinales réunies par des
adhérences de plus en plus « solides » qui peuvent transformer l'iléus réflexe initial en une
occlusion mécanique.
439
Signes fonctionnels
La douleur est généralement d'apparition brutale et elle est permanente avec des
paroxysmes. Son siège initial et ses irradiations ont une grande valeur pour localiser son
origine ; il faudra y porter une grande attention pour le choix de la voie d'abord chirurgicale.
Les vomissements sont souvent précoces, d'abord alimentaires puis bilieux ; ils
contribuent à majorer la déshydratation.
L'arrêt des matières et des gaz est généralement net et absolu car la péritonite entraîne
un iléus paralytique (occlusion réflexe).
Signes physiques
Le maître symptôme est la contracture abdominale (Mondor). Le ventre « ne respire
plus ». Le malade ne peut tousser (toux avortée). Il existe une hyperesthésie cutanée que l'on
met en évidence par effleurement de la paroi abdominale.
La palpation doit être douce (chez ce malade qui redoute le palper de son ventre
douloureux), les deux mains étant réchauffées et posées bien à plat. Elle met en évidence la
contracture abdominale qui est une résistance musculaire permanente, invincible et
douloureuse qui s'accentue lorsque la palpation tente de devenir plus profonde. La
décompression brutale est douloureuse. Parfois localisée au début, la contracture se généralise
ensuite à tout l'abdomen réalisant le classique « ventre de bois », immobile et contracture,
parfois rétracté (ventre en bateau).
Examens complémentaires
L'hyperleucocytose confirme le syndrome infectieux.
L'échographie abdominale peut montrer des zones de collection qui aide au diagnostic
et oriente l'acte thérapeutique.
440
Survenant 2 à 3 j après la phase initiale, c'est la péritonite asthénique au cours de
laquelle le diagnostic est plus difficile car les signes abdominaux sont atténués.
Stade terminal
La principale caractéristique est ici l'altération majeure de l'état général, aboutissant au
décès par toxémie, collapsus cardiovasculaire et septicémie.
Au total, le diagnostic de péritonite aiguë est assez simple et doit imposer une
intervention chirurgicale en urgence.
Traitement
II est chirurgical et toujours urgent, le délai d'intervention conditionnant le pronostic.
Il a une importance vitale et comporte plusieurs gestes standard :
La laparotomie doit être large, afin de permettre plusieurs gestes : déterminer la cause
de la péritonite (perforation, abcès, etc.), la traiter et assurer une toilette péritonéale soigneuse
et abondante avec des solutions antiseptiques.
Enfin, certaines pathologies nécessitent des gestes spécifiques. Pour l'ulcère perforé,
une aspiration peut suffire en période initiale, mais la surveillance doit être étroite. Le geste
chirurgical consiste à suturer la perforation et il doit se doubler d'un traitement médical bien
adapté comportant des antihistaminiques H2, des inhibiteurs de la pompe à proton et/ou une
anti-biothérapie pour éradiquer Helicobacter pylori. Dans les formes résistantes à un
traitement médical bien mené, on pourra effectuer une vagotomie avec ou sans vidange
gastrique.
441
Elle doit s'accompagner d'une réanimation la plus intensive possible, tant pré-
opératoire (préparation à l'intervention) que per- et post-opératoire, et d'une antibiothérapie
adaptée à la cause de la péritonite.
Formes cliniques
Les péritonites secondaires (généralement par perforation d'un
organe creux)
La douleur Coup, en « coup de poignard » et dont le malade peut préciser l'heure, est
d'abord épigastrique ; elle s'étend ensuite vers la fosse iliaque droite. Les vomissements sont
inconstants, le plus souvent absents (le malade vomit dans son ventre). Le malade est prostré,
mais l'état général est bon. La température est normale au début.
À l'examen, la contracture est nette ; elle débute en général au creux épigastrique mais
les premiers signes peuvent se situer dans la FID simulant une appendicite.
La perforation de l'ulcère peut se colmater (ulcère perforé bouché) par des adhérences
ou l'ulcère peut s'ouvrir dans l'arrière-cavité des épiploons. Les signes cliniques sont alors
atténués, trompeurs, et il n'y a pas de pneumopéritoine.
Péritonites appendiculaires
On distingue ici les péritonites localisées (abcès appendiculaire de diagnostic
relativement facile avec, outre les signes classiques appendiculaires, la perception d'une
masse de la fosse iliaque droite) et les péritonites généralisées. Celles-ci sont de plusieurs
types : primitives (péritonite progressive par diffusion), péritonite en deux temps par
perforation d'un appendice gangrené, et péritonite en trois temps par rupture d'un abcès
appendiculaire. En faveur de l'origine appendiculaire, on retiendra le mode de début avec un
maximum de signes dans la fosse iliaque droite, le syndrome infectieux sévère et l'absence de
pneumopéritoine.
Péritonites biliaires
Le plus souvent lithiasiques, elles sont exceptionnellement traumatiques ou post-
opératoires. Elles sont rares mais graves. La perforation peut survenir en un (péritonite
d'emblée) ou deux temps (péritonite secondaire par perforation d'une cholécystite aiguë). Il
peut également exister des cholépéritoines sans perforation (vésicule distendue de laquelle on
voit sourdre la bile).
442
Le tableau associe un choc marqué, un sub-ictère et des urines foncées, une douleur
maximale dans l'hypochondre droit, irradiant dans l'épaule droite et les lombes, des
vomissements constants et une contracture débutant dans l'hypochondre droit.
Il existe des formes frustes avec tableau d'iléus paralytique et atteinte marquée de
l'état général.
Péritonites post-opératoires
Apparaissant chez un malade affaibli mais protégé par la réanimation et les
antibiotiques, ces péritonites se manifestent essentiellement par des signes généraux :
fébricule, retard à la reprise du transit, tendance au collapsus, pression artérielle pincée,
hyperazotémie non expliquée. Il s'agit d'une complication grave, de diagnostic toujours
difficile, qui impose une réintervention délicate.
Pelvi-péritonites
Les pelvi-péritonites d'origine gynécologique sont très fréquentes. Le tableau est
typique d'une péritonite, mais les signes se localisent dans une zone abdominale limitée au
443
pelvis. Elles naissent d'une affection de proximité, par diffusion (salpingite, métrite), par
perforation d'un pyosalpinx ou par complication traumatique d'un avortement.
Péritonites primitives
Elles sont rares, consécutives à l'ensemencement par voie hématogène du péritoine à
partir d'un foyer à distance. La distinction se fait à partir d'un foyer à distance. On les
différencie en fonction du germe responsable :
Définition
L'occlusion intestinale aiguë est l'arrêt brutal, complet et persistant, du transit des
matières et des gaz.
L'obstacle peut siéger sur le grêle ou sur le côlon. Les causes en sont multiples mais
on distingue les occlusions mécaniques, fonctionnelles et inflammatoires.
L'occlusion est toujours grave et son traitement est le plus souvent chirurgical, après
préparation médicale et réanimation.
Physiopathologie
L'occlusion entraîne la constitution à l'intérieur du tube digestif d'un troisième secteur
liquidien qui se fait au détriment des secteurs liquidiens normaux de l'organisme. Cette stase
liquidienne d'une part aggrave l'occlusion causale, d'autre part provoque un déséquilibre
hydroélectrolytique et métabolique, puisque le liquide qui passe dans la lumière intestinale
n'est pas réabsorbé.
Par ailleurs, pour ce qui concerne la motilité intestinale, après une phase
d'hyperpéristaltisme, l'intestin se dilate et devient atone, entraînant par un déséquilibre du
système nerveux végétatif une chute du débit sanguin qui ne fait qu'aggraver les
conséquences de l'occlusion.
444
Si l'occlusion est négligée peuvent survenir des complications locales (nécrose, stase,
etc.) et générales (tableaux toxique, infectieux, etc.).
Diagnostic
II passe par quatre étapes : affirmer l'occlusion, préciser son siège, préciser son
mécanisme et, enfin, affirmer sa cause.
Affirmer l'occlusion
Le tableau clinique d'occlusion peut être très polymorphe mais on y rattache toutefois
un syndrome type, le syndrome occlusif, comportant trois symptômes fonctionnels (douleurs,
vomissements, arrêt des matières et des gaz) et un symptôme clinique (météorisme). Les
douleurs, parfois brutales, violentes, variables dans leurs sièges et leur intensité, s'installent
le plus souvent progressivement. Leur siège initial a peu de valeur localisatrice. Elles peuvent
évoluer par crises, entrecoupées de périodes d'accalmie, mais d'un seul tenant, sans intervalle
libre. Les vomissements, d'abord alimentaires puis bilieux et enfin fécaloïdes, sont
inconstants, pouvant être remplacés par de simples nausées ou une intolérance gastrique. Ils
sont d'autant plus précoces et abondants que l'occlusion est haut située. L'arrêt des
matières et des gaz est signe cardinal puisque c'est celui qui définit l'occlusion. L'arrêt des
gaz est plus fiable. En effet, il est parfois difficile d'affirmer l'arrêt des matières en raison de
la vidange possible du segment situé en aval de l'obstacle. Le météorisme abdominal, plus
ou moins précoce, consiste en une augmentation variable du volume de l'abdomen mais sans
contracture. Il faut en préciser l'étendue, la symétrie et la mobilité, ce qui oriente le diagnostic
topographique et étiologique.
Ces différents signes peuvent coexister à des degrés divers ; leur importance donne
une idée du temps d'évolution et de la gravité.
L'examen doit être complet. Les touchers pelviens (TR, TV) vérifient la vacuité de
l'ampoule rectale, recherchent un fécalome ou une tumeur recto-sigmoïdienne. Ils constituent
un élément important dans le diagnostic. La palpation des orifices herniaires doit être
systématique, à la recherche d'une hernie étranglée. Ce diagnostic peut ne pas être facile dans
l'hernie crurale étranglée de la femme obèse. Enfin, il faut examiner l'abdomen à la
recherche de cicatrices qui peuvent faire évoquer une occlusion sur bride.
Les signes généraux sont une altération de l'état général plus ou moins précoce.
Son intensité dépend du siège et de la cause de l'occlusion et sera jugée sur le faciès,
l'importance de la déshydratation, la TA et la diurèse. Elle est d'autant plus rapide que
l'occlusion est haut située sur l'intestin grêle.
445
entraînent hypochloronatrémie, hypokaliémie, hyperglycémie et hyperazotémie. Outre ces
éléments constants, il est fréquent de rencontrer une hyperprotidémie, une hyperleucocytose,
une acidose métabolique et une élévation de l'hématocrite.
Il existe plusieurs variantes au syndrome occlusif typique. Une occlusion franche peut
évoluer sur un mode aigu ou subaigu. Dans le premier cas, les douleurs apparaissent
brutalement et l'évolution est rapide avec apparition précoce des signes de gravité. Dans la
forme subaiguë, l'évolution se fait à bas bruit et les signes généraux vont progressivement
occuper le devant du tableau. Il existe par ailleurs des formes frustes, avec une
symptomatologie incomplète. Ce « camouflage » peut être dû à la localisation (occlusion
haute à ventre plat), à l'étiologie (cancers plus ou moins sténosant ou péritonites) ou à
l'évolution (asthénique).
Diagnostic différentiel
II faut ici surtout éliminer les autres syndromes abdominaux aigus, qu'ils soient
médicaux ou chirurgicaux.
Des occlusions réflexes peuvent survenir au cours des coliques néphrétiques, des
coliques hépatiques, des pancréatites aiguës et des infarctus mésentériques.
Diagnostic positif
Préciser le siège de l'occlusion, grêle ou colique
L'occlusion du grêle se manifeste cliniquement par un début brutal, des douleurs
violentes et des vomissements précoces. L'arrêt des matières et des gaz est tardif, et le
retentissement général et biologique est précoce et intense. À l'examen, le météorisme est
modéré, du moins au début. Sur le plan radiologique, on retrouve des images hydro-aériques
centrales multiples, plus hautes que larges, indépendantes les unes des autres, d'autant plus
nombreuses que l'obstacle est bas situé. Le lavement baryte permet d'affirmer l'intégrité du
cadre colique.
446
L'occlusion colique s'oppose pratiquement point par point à l'occlusion du grêle. Son
début est insidieux et progressif, les vomissements sont rares et de toute manière tardifs.
L'arrêt du transit est plus net. Les douleurs sont peu intenses. L'état général est longtemps
conservé. En revanche, le météorisme est précoce et majeur, parfois asymétrique. Sur le plan
radiologique, il existe des images hydro-aériques sur les clichés sans préparation, plus hautes
que larges et d'aspect bosselé. Ces images « coliques » encadrent parfois des images grêles.
Le lavement baryte affirme souvent l'obstacle colique par un arrêt de la colonne barytée. Il en
précise le niveau et, quelquefois, la cause exacte.
Mécanisme de l'occlusion
Préciser le mécanisme d'une occlusion est capital pour déterminer l'attitude
thérapeutique à adopter. En effet, les occlusions mécaniques compromettent à plus ou moins
brève échéance la vascularisation et la vitalité d'un segment intestinal et doivent être
rapidement opérées, alors qu'un traitement médical plus long peut se justifier dans d'autres
formes.
Occlusions mécaniques
Elles sont de deux types, occlusion par obstruction et occlusion par strangulation.
Dans les occlusions par obstruction, le début est progressif avec des crises
douloureuses paroxystiques. Les signes fonctionnels (vomissements et arrêt des matières et
des gaz) sont progressifs mais nets. Il existe un ballonnement diffus associé à des contractions
péristaltiques. On note de nombreux niveaux hydro-aériques à la radiologie.
Occlusions inflammatoires
Ces occlusions sont liées à un phénomène inflammatoire intra-abdominal, la plupart
du temps d'origine infectieuse. Leur début est progressif avec des douleurs vagues, peu
intenses, et un météorisme plus ou moins important. Aux signes de l'occlusion s'ajoutent les
signes de l'affection en cause, comme une fièvre, une hyperleucocytose, une défense ou une
contracture.
Occlusions mixtes
Ce sont les occlusions dans lesquelles les deux mécanismes s'intriquent, rendant le
diagnostic difficile.
Étiologie
Occlusions coliques
Volvulus du côlon sigmoïde
447
Le plus fréquemment en cause dans les occlusions coliques, il correspond à une
torsion de l'anse sigmoïde non accolée autour de son axe mésentérique. Cette occlusion est
favorisée par une longueur anormale de l'anse. On retrouve dans les antécédents une
constipation, souvent des crises douloureuses subocclusives spontanément résolutives.
L'abdomen sans préparation objective une image gazeuse, arrondie, avec un niveau
liquide généralement unique. Le lavement baryte confirme le diagnostic en montrant l'arrêt de
la progression de la baryte, plus ou moins proche du caecum.
L'occlusion est ici progressive, avec des douleurs paroxystiques mais peu importantes,
et un ballonnement diffus. Dans les antécédents, on retrouve des crises semblables
spontanément résolutives, un amaigrissement, une alternance de diarrhée et de constipation.
Parfois, on relève des rectorragies qui orientent d'emblée vers le diagnostic.
Le diagnostic est affirmé par la radiologie, pas tant par le cliché sans préparation qui
montre des images hydro-aériques d'obstruction colique, mais surtout par le lavement baryte
448
montrant un rétrécissement irrégulier, excentré, avec des images d'invagination (image en
culotte de golf), parfois une sténose complète. Cancer du côlon droit
La symptomatologie est sensiblement la même. Il n'est pas rare de palper une tumeur
dans le flanc droit. Là encore, la clef du diagnostic est le lavement baryte.
Occlusions du grêle
Volvulus du grêle
C'est la cause la plus fréquente des occlusions. En général, il existe un obstacle qui
fixe l'anse qui « capote » autour ou en amont de cette fixation. La nature de cette fixation est
variable : brides congénitales, adhérences dues à une inflammation locale (appendicite,
salpingite ou sigmoïdite), adhérences ou brides post-opératoires pouvant suivre toute
intervention intra-abdominale, en particulier en sous-méso-colique.
Le début est brutal, par une douleur violente médio-abdominale profonde, et les
vomissements sont rapides ainsi que l'arrêt des gaz, sinon des matières. L'altération de l'état
général est rapide, avec déshydratation et oligurie.
Iléus biliaire
II s'agit d'un accident rare lié à la migration d'un calcul biliaire (le plus souvent
vésiculaire) dans le tube digestif à la faveur d'une fistule bilio-digestive (cholécysto-
duodénale le plus souvent). Ce calcul, le plus souvent volumineux, vient se coincer dans les
dernières anses grêles et provoque une occlusion par obstruction.
La clinique est typique : survenue brutale d'une crise abdominale douloureuse, chez un
enfant de 4 à 8 mois, garçon le plus souvent, à « état florissant ». La douleur évolue par crises
entrecoupées de périodes d'accalmie. L'enfant refuse son biberon. Il n'a pas de fièvre ni
d'altération de l'état général.
449
À l'examen, l'abdomen est souple en dehors des crises douloureuses. On s'attardera à
rechercher le boudin d'invagination qui est pathognomonique ; malheureusement, il est
rarement perçu et on retrouve souvent en revanche une fosse iliaque droite vide. Le toucher
rectal peut ramener du sang.
Occlusions fébriles
Elles sont l'apanage du sujet âgé. Le plus souvent les occlusions fébriles sont dues à
une appendicite qui réalise un syndrome occlusif complet avec fièvre élevée et
hyperleucocytose. À l'examen, les signes prédominent dans la fosse iliaque droite. Quoi qu'il
en soit, toute occlusion fébrile doit faire évoquer une appendicite. Plus rarement, la cause en
est une cholécystite aiguë (antécédent de lithiase, signes prédominants dans l'hypocondre
droit) ou une péritonite.
Occlusions particulières
Ce sont des occlusions mécaniques comme les occlusions dues à des paquets d'ascaris
qui peuvent faire capoter une anse grêle, ou les occlusions saisonnières, comme celles dues à
des amas de grains de raisin, etc. De toute manière, même si on ne les suspecte pas, le
diagnostic sera per-opératoire car leur traitement est chirurgical.
Traitement
Quel que soit le type d'occlusion, le traitement comporte deux étapes :
450
Dans tous les cas, quand la dilatation des anses est importante, il peut être utile de
réaliser une vidange du grêle par expression vers l'amont ou l'aval, par entérotomie ou par la
bouche d'une éventuelle résection, ce qui facilitera la fermeture et accélérera la reprise du
transit.
451
Traumatologie en milieu tropical
M. Di SCHINO
Ce qui caractérise une « situation précaire », c'est l'absence d'adéquation entre les besoins
des patients et les moyens de diagnostic et de traitement. Cela peut être lié à un afflux de blessés
dépassant les capacités d'un centre de soins, à la destruction des infrastructures (catastrophe
naturelle, guerre...) ou à une situation chronique due à la pénurie des moyens et à l’absence de
consommables suffisants. La précarité est fréquente en milieu tropical.
Ce travail, destiné à des chirurgiens plus ou moins expérimentés placés dans des conditions
difficiles, ayant un but pratique, nous n'envisagerons que les aspects particuliers de la traumatologie
tropicale, d'autant plus que les traitements des traumatismes nécessitent des réactions immédiates
sinon urgentes. Nous insisterons sur les moyens dits « de fortune » que les conditions européennes
d'exercice interdisent. Il est bien évident que si on dispose du matériel adéquat, il faut l'employer, et
ne pas se référer aux « recettes » que nous décrivons ici.
452
Buts des traitements.
Plus les conditions sont difficiles plus le but du traitement doit être modeste :
Moyens de traitement
Tractions
Au membre inférieur
Divers matériels peuvent être confectionnés avec des matériaux locaux et par un
forgeron de village ou un mécanicien.
453
Fabrication d'une attelle de Brown Bope (Fig. 26.2)
Les dimensions correspondent à une attelle pour adulte. Deux fers ronds de 185 cm
sont courbés en forme de U asymétrique, un fer rond de 165 cm est courbé en forme de U et
l'ensemble est réuni par des points de soudure, puis renforcé par deux traverses en bout et
deux traverses en croix. Le berceau est fait à l'aide d'une bande large. Cet ensemble est conçu
pour que ni le membre ni le pied ne soient en contact avec le matériel métallique. La stabilité
peut être améliorée en ajoutant deux expansions latérales à la base. Les cordes de tractions
peuvent coulisser sur les fers ronds au bout de l'attelle en l'absence de poulie. Une attelle du
même type de 15 cm de haut et 50 cm de long peut être fabriquée pour l'enfant (la traction est
alors collée) ;
Une traction collée est placée sur le membre. Celui-ci est installé verticalement sous la
barre. La corde passe dans la poulie ou sur la barre horizontale, puis sur le bas du berceau.
454
Les poids sont calculés de façon à ce que la fesse de l'enfant soit décollée du plan du lit ; il
faut pouvoir passer la main à plat en dessous (environ 1/10 poids du corps).
Indications : chez l'enfant jusqu'à six ans ou 30 kg environ pour les lésions du fémur et
de la hanche.
455
Matériel. Plaquette de bois de 7,5 x 7,5 cm percée d'un trou en son centre, rouleau de
bande adhésive, bande Velpeau, corde de 1,5 m et poids, ciseaux.
Étaler la bande sur un plan lisse. Placer la plaquette de bois en son centre. Couper un
autre morceau de bande adhésive de 30 cm, et l'appliquer sur la plaquette qui est ainsi fixée
entre les adhésifs. Percer un trou dans les adhésifs en regard de l'orifice central de la
plaquette. Passez-y la corde de 1,5 m et faites un nœud du côté adhérent, de façon à ce qu'il se
bloque dans l'orifice lorsqu'on exerce la traction.
Indications. La traction collée est très utilisée chez l'enfant, et pour un temps limité
chez l'adulte (transport avec attelle de Thomas par exemple).
Surveillance. Des lésions de compression sur les malléoles et la tête du péroné avec
paralysie du nerf sciatique poplité externe sont possibles, ce qui impose de protéger ces
points. De même, il faut éviter la rotation externe, source de compression du nerf sciatique
poplité externe. Si la traction glisse, des abrasions cutanées peuvent survenir, et la bande
Velpeau peut s'appuyer sur le dos du pied et créer une compression. Il faut vérifier chaque
jour la position de l'ensemble.
456
Traction transosseuse (Fig. 26.5, 26.6 et 26.7)
Matériel
Disposé sur une table recouverte d'un champ stérile, le matériel permettant la mise en
place de la fiche comporte :
457
- une attelle de Brown Bope ou, pour un court laps de temps, de Thomas ;
- une corde de 1,5m reliée à des poids : pour exercer une traction sur la hanche ou le
fémur, les poids sont de 1/10 du poids du corps, et de 1/20 pour une traction
transcalcanéenne. Ces poids sont augmentés progressivement lors du suivi. Des sacs de sable
ou des briques conviennent parfaitement.
458
Traction transcondylienne fémorale. Le danger est le paquet vasculaire
poplité. Les repères pour l'introduction sont l'interligne tibio-fémoral externe, le bord
postérieur du condyle externe et le bord externe de la rotule. Le point d'introduction se situe à
la face externe du genou, à 2,5 cm au-dessus de l'interligne et à 2 cm en arrière du bord de la
rotule. Il faut veiller à ne pas introduire la fiche trop en arrière pour éviter un passage dans
l'échancrure intercondylienne. Les indications sont les mêmes que celles de la traction
transtibiale haute.
459
Au membre supérieur
Traction collée
Le matériel et la technique sont identiques à ceux décrits pour les membres inférieurs
mais les indications en sont plus larges du fait que les poids utilisés sont plus faibles. En
particulier, une traction collée au zénith peut être utilisée pour les fractures de l'humérus chez
les polytraumatisés alités.
Traction digitale
Les « doigtiers » japonais sont bien connus. Toute traction au long cours sur les doigts
par des matériels « de fortune », anneau ou autres, est déconseillée car elle fait courir des
risques d'ischémie. Provisoirement, on peut recourir à une traction verticale par des
bandelettes passées autour du poignet et du pouce, et à un contrepoids sur le bras pour
faciliter la réduction des fractures de l'avant-bras.
Traction cranio-cervicale
Traction par étrier (Fig. 26.8)
Le matériel ici nécessaire est un étrier de traction crânienne type Cône ou Crutchfield,
une chignole à main, une mèche à butoir spéciale, un bistouri, une seringue et aiguille stériles,
un anesthésique local, une cordelette, une poulie et des poids.
Après rasage et badigeonnage du cuir chevelu par des antiseptiques, on détermine les
points de repère, en traçant sur le crâne une ligne médiane sagittale et une ligne frontale
réunissant les deux mastoïdes (à 1 cm en arrière du conduit auditif). On place l'étrier de façon
à ce que son milieu soit en regard de la ligne médiane et ses deux pointes sur la ligne frontale
(Fig. 26.8). On marque alors l'emplacement des pointes de l'étrier et on repère leur direction.
Après anesthésie locale, on incise au bistouri les tissus mous jusqu'à l'os. Ensuite, on perfore
la table osseuse externe à l'aide de la chignole et de la mèche à butoir en forant l'os sur une
profondeur de 4 mm. En l'absence de mèche à butoir, on utilise une mèche à os classique
460
stérile de diamètre de 2,7 mm que l'on passe dans un drain de redon stérile Charière n° 12
sectionné à 4 mm de la pointe pour éviter une pénétration trop profonde. On crée ainsi un
butoir, mais il faut rester prudent car le redon peut se déplacer ou se raccourcir en s'appuyant
sur l'os. Les pointes des étriers ne sont pas perpendiculaires au crâne mais obliques. Il faut
respecter cette obliquité lorsqu'on fore la corticale externe. Enfin, on met l'étrier en place, en
plaçant ses pointes dans les orifices que l'on vient de creuser dans la table externe et en le
serrant modérément pour assurer la prise. Bloquer le montage en mettant la vis de blocage en
place pour éviter un serrage intempestif. Augmenter légèrement le serrage au bout de 24 h.
Ensuite, on exerce une traction dans l'axe avec la cordelette, une poulie et des poids
(de 1/20 à 1/10 du poids du corps) que l'on peut ensuite augmenter progressivement à 1/7 du
poids du corps si nécessaire (pour réduire une luxation par exemple).
Le patient est placé dans le lit en position déclive, rachis cervical en extension, un
champ roulé sous les épaules. La poulie est fixée en tête de lit à une hauteur respectant l'axe
de traction.
On réunit ensuite les deux fourreaux de chaque côté par une cordelette nouée à 5 cm
de part et d'autre du cou. L'anneau ainsi formé autour du cou est rembourré et lâche, mais pas
suffisamment pour passer autour de la tête.
461
Enfin, on réunit les deux bouts libres des Jersey aux extrémités d'un « porte manteau » ou
d'une barre de bois de 30 cm de longueur puis on applique la traction au milieu du « porte
manteau » et on installe le malade comme précédemment.
La traction mentonnière est bien supportée chez l'enfant chez qui on l'utilise
systématiquement devant toute cervicalgie post-traumatique. Chez l'adulte, elle est
cependant moins confortable qu'un étrier. Ce mode de traction est indiqué dans les
fractures du rachis cervico-dorsal, pour réduire progressivement les luxations du rachis
cervical et pour mettre au repos le rachis en cas de spondylodiscite infectieuse cervico-
dorsale haute.
Plâtres
Critères d'un bon plâtre- Ne pas être serré pour éviter toute compression.
- Être ajusté pour assurer une bonne immobilisation et maintenir la réduction de la
lésion.
- Ne pas être en contact avec les saillies osseuses pour éviter les escarres.
- Laisser le membre en position de fonction.
- Prendre les articulations sus- et sous-jacentes pour une fracture.
- Prendre l'articulation concernée pour une entorse ou luxation.
462
Confection de bandes plâtrées
Des bandes plâtrées de 5, 10, 15, 20 cm de largeur sont commercialisées. Lorsqu'on
n'en dispose pas, plusieurs solutions sont possibles.
On peut utiliser des rouleaux de tarlatane (gaze enduite de colle qui devient adhérente
au trempage) découpés en bandes de 500 cm x 15 cm et du plâtre de Paris (présenté sous
diverses formes, jusqu'au fût de 50 kg). On déroule une bande de tarlatane de 15 cm de large
et sur une longueur de 1 m environ, sur une surface sèche et régulière, et on saupoudre sur sa
surface une couche mince de plâtre de Paris sec (le plâtre doit représenter 90 % environ du
poids de l'ensemble). On fait pénétrer le plâtre dans les mailles de la tarlatane, puis on enroule
le mètre de bande préparée et on renouvelle l'opération mètre après mètre sur toute la
longueur de la bande. Celle-ci peut alors être conservée dans un endroit sec, enroulée dans du
papier, et utilisée ultérieurement comme des bandes plâtrées du commerce. On peut préparer
d'avance plusieurs bandes.
Verser du plâtre de Paris dans une cuvette, puis progressivement de l'eau jusqu'à
obtenir la consistance d'une pâte liquide. Si le mélange est trop pâteux, la gaze ne s'imprègne
pas ; s'il est trop liquide, beaucoup de plâtre tombe et le séchage est très long.
Tremper l'attelle de gaze dans le plâtre pour l'imprégner. Mettre l'attelle en place.
Maintenir le membre en position de fonction jusqu'au durcissement du plâtre.
Afin de limiter les risques de compression, recouvrir le membre d'une couche de coton
cardé de 0,5 cm d'épaisseur. Les saillies osseuses doivent être particulièrement protégées en
raison du risque d'escarre.
463
Préparation d'une attelle plâtrée (Fig. 26.10)
Étaler la bande plâtrée en couches successives sur une surface sèche et plane de façon
à former un trapèze. La longueur du côté proximal est égale aux 2/3 de la circonférence de la
base du membre, et celle du côté distal au 2/3 de la circonférence de l'extrémité du membre.
Les côtés latéraux sont de 10 % plus longs que la longueur du plâtre à effectuer.
Pour le membre supérieur, percer au bistouri à travers l'attelle une ouverture linéaire à
proximité de l'extrémité distale, pour laisser passer le pouce.
Tremper l'attelle dans un seau d'eau jusqu'à ce qu'elle s'imprègne, puis la maintenir
verticalement pendant qu'un aide la lisse à deux mains pour l'exprimer sans la tordre.
Positionner l'attelle sur le membre et bander avec un rouleau de gaze. Maintenir la position
jusqu'à ce que l'attelle soit durcie.
Plâtre circulaire
Le plâtre circulaire doit être absolument évité :
464
- devant un membre très œdémateux car, lorsque l'œdème disparaît, la contention n'est
plus efficace et il y a risque de déplacement secondaire.
Pour confectionner un plâtre circulaire, on place d'abord une attelle comme décrit ci-
dessus. Ensuite, on trempe une bande plâtrée dans l'eau jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de bulle,
on l'exprime sans la tordre et on la déroule sans la serrer autour du membre et de l'attelle.
L'appareil est alors moulé sur le membre sans le serrer et en l'appliquant sur les points d'appui
que l'on a préalablement choisi pour qu'il ne glisse pas. La tenue du plâtre dépend de son
ajustement. Une fois le plâtre confectionné, surélever le membre.
Le principe du plâtre pendant est que le poids exerce une traction continue sur
l'humérus quand le sujet est en position verticale (assis ou debout). Il ne peut donc être utilisé
chez le patient alité. Cette technique est indiquée dans les fractures de l'extrémité supérieure
de l'humérus et de la diaphyse lorsqu'existe un chevauchement.
465
Les plâtres « armés » (Fig. 26.11)
Intermédiaire entre plâtre, fixateur externe et traction, le plâtre armé est surtout utilisé
au niveau de la jambe. Son avantage est le contrôle de la rotation et la traction correcte entre
les fragments osseux. Pour le confectionner, il faut disposer de clous de Steinman ou de
broches de Kirschner, et du matériel de confection de plâtre.
On place d'abord deux clous de Steinman comme dans les techniques des tractions
transtibiales haute et basse (voir plus haut).
Si la fracture est ouverte, parer les plaies comme décrit dans le paragraphe Plaies des
parties molles. Réduire la fracture en exerçant une traction sur les deux clous. Effectuer alors
un plâtre cruro-pédieux circulaire noyant les broches. Ouvrir des fenêtres en regard des plaies
dès qu'il est sec. Compléter éventuellement la réduction par gypsotomie.
On introduit dans cette ouverture une pince distractrice afin d'écarter progressivement
le plâtre, ce qui permet de réduire l'angulation. Un morceau de bouchon de liège coupé à
l'épaisseur adéquate maintient l'écart. Enfin, on place circulairement une bande plâtrée pour
refermer le plâtre.
466
Surveillance des plâtres
Elle comporte plusieurs éléments :
Raideur et ankylose
La rançon du plâtre est la raideur articulaire. La récupération est la règle chez l'enfant
mais, chez l'adulte, une limitation des amplitudes articulaires, surtout en l'absence de
rééducation, n'est pas rare. Le membre doit être immobilisé en position de fonction. Les
articulations qui ne sont pas sous plâtre, surtout à la main, doivent être mobilisées
régulièrement. Les métacarpophalan-giennes s'enraidissent très rapidement si elles sont mises
en extension.
Les lésions ischémiques portent sur les muscles, les nerfs et les vaisseaux. Leur
étendue dépend de l'importance et de la durée de l'ischémie. En quelques heures, les muscles
467
sont gris, pâles et non contractiles. En quelques jours, une rétraction musculaire irréversible
se constitue.
Signes cliniques. Le début est brutal. Quelques heures après la confection du
plâtre, il apparaît une douleur vive à type de constriction ou de brûlure, irradiant vers la
périphérie et exacerbée par l'extension des doigts ou des orteils. Ceux-ci sont froids,
cyanoses, œdémateux, en demi flexion, peu sensibles au piqué et peu mobiles. Le pouls radial
n'est pas toujours absent.
Conduite à tenir. C'est une urgence thérapeutique : il faut enlever le plâtre, retirer
tout bandage circulaire, réduire le mieux possible et stabiliser la fracture par une attelle non
compressive ou une traction et surélever modérément le membre. Si celui-ci est hyperfléchi
comme dans la méthode de Blount, il faut diminuer la flexion. Aucun traitement
médicamenteux ne peut remplacer ces gestes mais les anti-inflammatoires, les anticoagulants
et les vasodilatateurs sont des adjuvants utiles.
Pour être efficace, l'aponévrotomie doit être précoce, avant que la nécrose ne soit
définitivement constituée. L'inconvénient est de laisser de vastes plaies opératoires, avec un
risque d'infection locale. Les chirurgiens qui en ont l'expérience préféreront une
aponévrotomie percutanée.
468
On peut d'abord, dès la conception du plâtre, prévoir son ablation future à l'aide de deux
méthodes :
- soit placer un tuyau de caoutchouc souple (arrosage) sur le membre avant de circulariser.
Retirer le tuyau lorsque le plâtre commence à être sec. Le tunnel ainsi confectionné permet de passer
facilement des ciseaux forts (Fig. 26.13) ;
- soit fendre au bistouri le plâtre sur toute sa longueur avant la fin du séchage et écarter les
deux berges de 5 mm, puis le maintenir par une bande de gaze. Le plâtre pourra facilement être retiré
en écartant ses berges par une pince (Fig. 26.13).
- ne jamais recourir à des outils agressifs : scie électrique ou scie à main par exemple ;
- ne jamais ouvrir le plâtre en regard d'une saillie osseuse ;
- amorcez la coupe à la surface du plâtre sans atteindre le coton sous-jacent avec un
instrument tranchant (gouge, ciseaux à bois, etc.). Puis scier le dernier millimètre de l'épaisseur avec
un instrument peu agressif et contrôlable (couteau à dents à bout rond), et si possible de l'intérieur vers
l'extérieur ;
- on peut aussi tremper le plâtre pendant 15 min dans une mare, baignoire ou bassine, ce qui
permet de le dérouler comme une bande, ou de le sectionner proprement au bistouri en glissant le
tranchant de l'intérieur vers l'extérieur.
Positions de fonction
469
- (1) Pouteau Colles = flexion du poignet 20°
- (2) Lésion extenseurs = extension des doigts
- (3) Lésion appareil extenseur = extension du genou
- (4) Lésion tendon d'Achille = équin du pied
470
Pour les fractures ouvertes, les durées moyennes citées ci-dessus doivent être
augmentées de 50 % environ.
Fixateurs externes
Principe
Maintenir la réduction entre les fragments osseux à l'aide de broches ou « fiches »
transosseuses extrafocales solidarisées entre elles par un matériel rigide. Celui-ci est à
distance de la fracture et de la peau.
Indications
Stabilisation des fractures ouvertes des membres, après le parage de la plaie qui est le
geste essentiel. En situation précaire, toute ostéosynthèse intrafocale d'emblée d'une fracture
ouverte, quels qu'en soient le stade et le délai de prise en charge, est dangereuse.
Avantages
L'utilisation d'un fixateur externe en situation précaire doit être comparée aux plâtres
fenêtres, aux plâtres armés et aux tractions. Le fixateur externe offre les avantages suivants :
Matériel
Cohésion entre les fiches transosseuses. Elle peut être assurée par :
- des bandes de plâtre, du ciment acrylique dentaire ou chirurgical. Tous ces
matériaux ont en commun leur modelabilité mais ils risquent de se déplacer pendant le temps
du séchage et de s'user au niveau du contact des broches avec le temps, ce qui les rend peu
fiables ;
- des matériaux « traditionnels » comme les cadres de bois ou bambou, etc. Ils sont
légers mais peu rigides et rapidement usés par les broches métalliques, voire les termites... La
fixation des broches sur le cadre n'est pas très stable (fil de fer, clous cavaliers) ;
- des matériaux « modernes » de quincaillerie ou chantier : PVC, mais qui est peu
rigide et difficilement stérilisable, ou métalliques.
471
Fiches transosseuses.
- Au niveau des extrémités. Les matériaux les plus adaptés sont les broches de
Kirschner, de différents diamètres. À défaut, les rayons de bicyclette, stérili-sables et que l'on
peut facilement couper en biseau à l'aide d'une pince coupante, sont assez couramment
utilisés. Mais ils sont souples et difficiles à orienter correctement. Ils ne sont pas destinés à
rester longtemps dans l'os, même s'il n'a jamais été décrit d'intolérance.
- Au niveau des segments de membres « sollicités ». On ne peut utiliser les rayons de
bicyclette que si l'on dispose de fixateurs circulaires de type Illisarov. Sinon, il est impératif
de recourir à des implants plus volumineux et rigides : broches de Kirschner de grand
diamètre, fiches de fixateurs externes du commerce, clous de Steinman. Je n'ai
personnellement jamais osé utiliser des implants intra-osseux volumineux non
chirurgicalement « licites ».
II faut préparer une boîte stérile comprenant des tubes de différentes longueurs, voire
diamètres, pour pouvoir les utiliser pour des os différents. Ces tubes sont perforés
préalablement à l'aide d'une mèche à métal et d'une chignole, de part en part et à intervalles
réguliers de 2 ou 3 cm (Fig. 26.14). Le diamètre des perforations doit correspondre à celui des
clous de Steinman dont on dispose : le clou doit pouvoir coulisser sans forcer mais « juste »
dans l'orifice. Ce travail peut être effectué dans un atelier de mécanique. Il faut que les
perforations soient les plus parallèles possible, surtout dans le plan du tube, sinon les clous de
Steinman ne seront pas alignés dans le plan de l'os.
Le premier, le plus important, est le parage de la plaie (voir Plaie des parties
molles).
472
Le second est la réduction du foyer. Si nécessaire, la plaie est agrandie en haut et en
bas pour bien exposer le foyer. Éviter de dépérioster les extrémités osseuses. La réduction est
maintenue provisoirement à l'aide de daviers, broches, et par traction par les aides opératoires.
Le troisième temps est la mise en place du fixateur qui comporte plusieurs étapes :
- on dispose à 3 cm de la peau, parallèlement à l'os aligné et réduit, un tube perforé de
longueur adéquate ;
- on place ensuite les deux clous de Steinman les plus distants du foyer en premier, en
les faisant pénétrer dans la peau et les muscles, jusqu'au contact osseux. Ensuite, à l'aide de la
chignole, on fait pénétrer le clou plus avant jusqu'à ce que la deuxième corticale soit
traversée. Il faut éviter une échappée transfixiante de la pointe qui pourrait menacer un axe
vasculaire. On place en premier lieu les clous proches du foyer, puis les clous intermédiaires
au-dessus et en dessous du foyer.
Les clous « coincent » généralement dans les orifices prévus à leur diamètre exact car
les perforations de fabrication artisanale ne sont en général pas parfaitement parallèles, mais
cela laisse présager d'une bonne stabilité de l'ensemble. Au niveau du fémur, les clous sont
introduits à la face externe de la cuisse de dehors en dedans. À la jambe, ils sont placés soit à
la face antéro-interne du tibia que l'on perçoit sous la peau, soit à la face externe de dehors en
dedans, 1 cm en arrière de la crête. Pour l'humérus, le danger est le nerf radial qui cravate sa
face externe de haut en bas et d'arrière en avant. Les fiches sont placées de dehors en dedans
en raison du paquet vasculaire humerai interne mais doivent éviter le tiers moyen du bras.
473
À la fin de l'intervention, il faut parachever la cohésion du système. En effet, le
tube n'est solidarisé aux fiches que par « coincement ». Il faut éviter qu'il ne glisse sur ces
axes. Il existe pour cela plusieurs méthodes : cerclage au fil d'acier, pose d'un petite bille de
ciment acrylique sur la fiche au niveau des orifices du tube ou d'un bouchon de liège planté
sur la fiche en dehors du tube. Personnellement, j'ai utilisé un ruban de « chatterton » étroit
toile, collé sur chaque fiche contre l'orifice et entouré en 8 autour de la fiche et du tube.
Un fixateur de fortune doit rester simple. Nous avons décrit ici un fixateur
d'alignement monobarre. Sa rigidité tient au nombre et au diamètre des clous de Steinman. La
cohésion du foyer tient dans la qualité de la réduction initiale.
On peut envisager des montages à deux barres en V, plus complexes mais plus rigides.
Un montage en cadre transfixiant au niveau de la jambe serait plus stable mais il est
impossible à monter avec du matériel de fortune : le parallélisme imparfait des perforations
des barres métalliques et la flèche prise par les clous font qu'il est impossible de pénétrer
exactement dans les orifices d'une barre placée du côté opposé, et il est contre-indiqué si un
lambeau de couverture est envisagé.
Au niveau métacarpien
Un domino électrique stérilisé au formol et de la longueur du métacarpien est posé en
regard de l'os. On fait pénétrer des broches de Kirschner successivement dans les orifices du
domino, la peau et les deux corticales osseuses, en évitant les tendons extenseurs, puis on les
bloque à l'aide du tournevis d'électricien par les vis du domino.
Les doigts sont enroulés autour d'une petite boule de compresses placée dans la
paume, métacarpophalangiennes fléchies à 90°, interphalangiennes libres permettant une
mobilisation précoce. Si le diamètre des broches est suffisant et si tous les orifices du domino
sont occupés, le montage est stable (Fig. 26.15).
474
Une autre technique est celle de Mitz : le métacarpien fracturé est solidarisé au voisin
(cinquième avec le quatrième ou troisième avec le deuxième) par deux broches transversales
placées à distance du foyer.
Au niveau de l’avant-bras
Deux dominos électriques sont placés de part et d'autre de la fracture sur des broches
de Kirschner transosseuses. L'ensemble est scellé dans une barre de plâtre ou de ciment
acrylique (Fig. 26.15). La plaie doit être protégée pendant qu'un aide effectue cette
manipulation. Le plâtre tient mieux les dominos que les broches isolées et on peut de plus le
renforcer par une tige métallique coupée et coudée de façon à ce que les coudes se trouvent
face aux dominos. La tige métallique est coudée pour ne pas glisser dans le plâtre.
475
Au niveau des phalanges
Les dominos électriques sont trop volumineux. On peut les utiliser différemment (Fig.
26.16).
Une broche de Kirschner est coudée en forme de U. La distance entre les deux
branches du U est égale à celle qui séparera les deux fiches transosseuses. On introduit une
branche du U dans le premier domino au contact de la première fiche. La barre horizontale du
U est parallèle à la phalange, proche de la peau. On serre alors la vis du domino. Un
deuxième domino est ensuite placé sur la deuxième branche du U. Par son orifice, on met en
place la deuxième fiche transosseuse et on serre la vis de blocage. Il faut impérativement
respecter cet ordre de montage car il est impossible de réaliser un U de longueur exacte
lorsque les fiches sont en place et la fracture se déplace lorsqu'on serre les vis.
Les doigts sont enroulés autour d'un cylindre de compresses. Les extrémités sont
laissées libres et la mobilisation des phalanges doit être précoce. La rigidité dépend du
476
diamètre et de la longueur de la broche utilisée pour le U. La montage peut être doublé « en
V».
Remarque
Après le parage, devant une fracture ouverte fraîche de l'avant-bras ou de la main,
datant de moins de six heures, propre, peu délabrée, de dedans en dehors, avec une ouverture
minime, il est plus simple de maintenir une réduction chirurgicale par deux petites broches
intrafocales et une attelle plâtrée sous couverture antibiotique. Le faible volume du matériel
peut autoriser cette technique. Mais il ne faut pas oublier qu'en conditions précaires, il faut
autant que possible limiter les ostéosynthèses internes.
Conduites à tenir
Plaie des parties molles
Prévention de l'infection
La prévention du tétanos repose sur la sérothérapie selon la méthode de Besredka et la
vaccination antitétanique.
Pendant le temps de pose du garrot, on retire les débris, on excise les zones
manifestement dévitalisées, on nettoie la plaie, on réduit la fracture et on parachève
l'exploration.
477
Parage chirurgical
II doit être adapté à chaque lésion : trop économe, il laisse évoluer des nécroses ; trop
large, il peut aboutir à une perte de substance excessive, empêchant par exemple la couverture
osseuse, alors qu'un parage plus économique aurait pu la permettre.
Il doit laisser une plaie propre et sans zone nécrotique. On excise plan par plan : la
peau contuse, le tissu cellulaire sous-cutané puis les zones musculo-aponévrotiques
dévitalisées jusqu'à obtenir un saignement de qualité. Les muscles doivent être rouges et se
contracter sous la pince.
Il faut enlever tous les débris vestimentaires, métalliques ou telluriques, explorer les
pédicules vasculo-nerveux en évitant de les léser s'ils sont intacts et nettoyer au sérum
physiologique.
S'il existe une fracture ouverte, nettoyer minutieusement les extrémités osseuses.
Veiller à ne pas détacher des fragments pédicules et viables mais enlever toutes les esquilles
libres. Réduire la fracture sous contrôle de la vue et recouvrir si possible le foyer fracturaire
de muscles sains. La conduite à tenir pour la contention est décrite au paragraphe Fractures
ouvertes des membres.
Couverture
Les aponévroses sont laissées ouvertes pour éviter un syndrome des loges.
478
Cicatrisation dirigée. Si la perte de substance expose le muscle, la cicatrisation
dirigée est la meilleure méthode. Elle vise à obtenir un bourgeonnement propice à une
cicatrisation par progression des berges ou à recevoir une greffe cutanée en cas de grosse
perte de substance. On effectue des pansements d'abord humides (Dakin, sérum salé) puis,
lorsque la plaie est propre, des pansements gras renouvelés tous les 48 h. On obtient une
surface régulière rouge et saignante, propre à recevoir la greffe. Cette méthode a des limites :
un os dépériosté, un tendon ou une aponévrose ne sont pas aptes à donner un sous-sol
greffable. L'exposition du foyer de fracture, d'un pédicule vasculo-nerveux ou de tendons
contre-indiquent la méthode. Il faut alors recourir à une couverture par lambeau local.
- Lambeau musculaire : un corps musculaire voisin est amené dans la plaie par
rotation ou translation. Il procure une vascularisation importante. Le lambeau jumeau interne
est particulièrement utile dans la moitié supérieure de la jambe.
- Lambeau fascio-cutané : le transfert inclut ici l'aponévrose, le tissu cellulaire
sous-cutané et la peau. Utile à la jambe, il est contre-indiqué en présence de phénomènes
infectieux.
- Lambeau cutané : il ne peut couvrir que des pertes de substances cutanées, en
particulier au membre supérieur (Fig. 26.17).
- plus un lambeau est long, plus sa base doit être large, sous peine de voir son
extrémité se nécroser ;
- les lambeaux les plus simples s'effectuent par rotation. Ils doivent se mettre en place
sans aucune traction ;
- après un parage laissant un foyer fracturaire ou des axes vasculo-nerveux découverts
dans une plaie propre, si les éléments anatomiques de voisinage le permettent, il faut couvrir
l'os de préférence par un corps musculaire. Une cicatrisation dirigée permettra ultérieurement
de le recouvrir par une greffe ;
479
- devant une perte de substance, il faut choisir la méthode de couverture la plus simple
et qui ne « coupe pas les ponts ».
- papaye : la papaye fraîche écrasée appliquée entre deux gazes provoque une
détersion de la plaie ;
- sucre en poudre : poser une gaze mouillée sur la plaie et la recouvrir de sucre jusqu'à
ce qu'il ne se dilue plus. Il fait rougir et bourgeonner la plaie.
- si une évacuation vers un centre équipé est possible, repérer les deux extrémités du
nerf par un fil placé sur la gaine et coupé long. Parer et panser la plaie et évacuer le blessé
sous antibiothérapie ;
- quand l'évacuation est impossible, il faut traiter sur place. La suture d'emblée est
possible si la plaie est franche (verre, arme blanche, etc.), peu contuse et peu souillée. Sinon,
il faut rapprocher les deux extrémités des nerfs et les fixer par un point de fil 5/0 entre la
gaine et un élément de voisinage pour éviter leur rétraction. La suture nerveuse est effectuée
secondairement, « à froid », après pansements et antibiothérapie, entre huit jours et six
semaines lorsque la plaie sera propre.
Matériel
II faut utiliser un fil monobrin non résorbable le plus fin possible et une aiguille 1/3 de
cercle si possible. Un fil 5/0 ou 6/0 peut être manipulé sans microscope ni matériel spécifique.
Il faut également disposer d'un bistouri, de pinces à disséquer, de ciseaux, d'un porte-aiguille
fin.
Technique d'une suture épipérineurale
Rappel
Les fibres nerveuses sont groupées en fascicules entourés par une gaine conjonctive,
le périnèvre. Entre les fascicules se trouve un tissu conjonctif, l'endonèvre. L'ensemble est
480
entouré d'une gaine résistante, l'épinèvre (Fig. 26.18). Le mésonèvre est une fine lame porte-
vaisseaux qui rattache l'épinèvre aux tissus voisins.
Technique
L'intervention s'effectue sous anesthésie générale et garrot. La dissection et la
manipulation du nerf doivent être atraumatiques : les pinces ne doivent saisir que l'épinèvre. Il
faut éviter une dissection étendue et dévascularisante.
La suture doit être faite sans tension. Si nécessaire, la flexion des articulations amène
les extrémités en contact. Celles-ci sont nettoyées au sérum puis orientées pour que les
fascicules d'amont correspondent à leurs homologues en aval. Pour cela, on se base sur la
forme de la tranche de section, la position des vaisseaux qui parcourent la superficie du nerf,
le diamètre des fascicules ou la position du mésonèvre.
Une recoupe la plus économique possible des extrémités du nerf avec une lame de
bistouri neuve permet d'affronter les extrémités saines. Le premier point au fil 5/0 sur
l'épinèvre rapproche et oriente le nerf (Fig. 26.18).
La suture proprement dite est effectuée par 4 à 5 points pour un gros nerf : il est
inutile de multiplier les points car on multiplie également les risques de réactions à corps
étranger autour de chaque fil. S'il s'agit d'un petit nerf digital par exemple, 1 à 2 points
suffisent. Chaque point de fil monobrin 6/0 charge l'épinèvre puis le périnèvre d'un gros
fascicule à une extrémité, puis le périnèvre du fascicule correspondant et l'épinèvre à l'autre
extrémité. Les points ne doivent pas être trop serrés pour ne pas créer de « bourrelet ».
Après fermeture, il faut immobiliser les articulations en flexion modérée par une
attelle pendant trois semaines, afin d'éviter toute traction sur la suture. Le nerf repousse à la
vitesse de 1 mm par jour.
481
Traumatisme des tendons
Lésions fermées
Des ruptures tendineuses peuvent survenir au cours d'efforts brusques ou de
contusions, en particulier sur des tendons dégénératifs. Les tendons les plus souvent
concernés sont le tendon d'Achille et les tendons extenseurs des doigts.
Plaies tendineuses
Elles sont fréquentes et d'étiologie variée. Fréquemment, l'atteinte concerne les
tendons de l'avant-bras ou de la main que ce soit au cours des accidents domestiques, du
travail, ou de l'usage inconsidéré des « coupe-coupe », machettes et sabres d'abattis.
Devant une plaie en regard d'un tendon, on recherche un déficit des mouvements
actifs correspondants. Les plaies du fléchisseur profond des doigts et du long fléchisseur du
pouce se caractérisent par l'absence de flexion de la dernière phalange. Celles d'un fléchisseur
superficiel par le défaut de flexion de P2 sur PI, la dernière phalange étant étendue. Mais
seule l'exploration systématique de la plaie au cours du parage permet le bilan exact des
lésions.
Rappel
Un tendon est formé de faisceaux de fibres collagènes parallèles. Il est entouré d'une
mince enveloppe, l'épitendon. Au niveau des poulies de glissement, il est entouré d'une gaine
séreuse.
Une lésion tendineuse cicatrise en trois semaines si les deux extrémités sont
maintenues en contact. Des adhérences peuvent apparaître, surtout si la gaine séreuse a été
réséquée et l'articulation immobilisée. Le matériel de suture entraîne des réactions
inflammatoires.
482
En cas de section franche, l'extrémité dirigée vers le muscle a tendance à se rétracter.
Lors de l'exploration, il faut la rechercher à distance de la plaie cutanée.
Suture tendineuse
Matériel. On utilise des pinces à disséquer, des ciseaux et bistouri fins, un fil
lentement résorbable (polyglycolique). Son diamètre est variable selon le tendon : 4/0 (déc 1)
pour un tendon de la main, à décimal 4 pour un tendon d'Achille.
Suture. De nombreuses techniques ont été décrites. Il faut éviter les sutures
parallèles aux fibres tendineuses qui les dilacèrent et sont peu fiables. Les sutures
transversales résistent mieux aux forces de traction musculaire longitudinales. Ce sont les
sutures en cadre, en laçage ou par boucle d'ancrage (Fig. 26.19).
On fait pénétrer l'aiguille dans une tranche de section tendineuse, on la fait sortir
quelques millimètres plus hauts dans le corps du tendon, puis traverser transversalement le
tendon, pénétrer à nouveau dans son corps pour revenir à la tranche. La même manœuvre est
répétée du côté opposé. Le nœud ne doit pas être serré pour ne pas créer de bourrelet. Si le
tendon est dilacéré, on rétablit son aspect tubulaire par quelques points superficiels de fils
résorbables fins.
Indications. Lorsque la plaie est propre, il faut toujours réparer d'emblée une lésion
tendineuse. Si elle est souillée, contuse et surtout lorsqu'elle s'accompagne d'avulsion
empêchant une couverture, il faut recourir à une suture « secondaire précoce ». Elle reste
possible plusieurs semaines. L'anastomose du bout distal à un tendon synergique intact peut
être une alternative de rattrapage.
483
Plaie des extenseurs des doigts
484
II faut réparer ces trois éléments. Le poignet est immobilisé en extension, MP
légèrement fléchie, doigt en extension pendant quatre semaines.
Plaies distales. En aval du milieu de P2 n'existe que le seul FCP, proche de son
insertion sur P3. On peut suturer ce tendon si le fragment distal est suffisamment long ou
réinsérer l'extrémité sur la base de P3, mais il ne faut jamais risquer de sacrifier la fonction du
fléchisseur commun superficiel, s'il est intact, pour réparer un fléchisseur commun profond.
L'immobilisation est de quatre semaines, poignet fléchi à 40°, MP fléchie à 70°, IPP
fléchie à 40°, IPD en extension. Si la réparation immédiate est impossible, on peut recourir à
une stabilisation secondaire de l'IPD.
Toute réparation d'emblée est interdite si la plaie ne peut pas être fermée ou si des
fractures associées empêchent une mobilisation précoce. La gaine fibreuse doit si possible
être préservée et reconstituée après la réparation tendineuse mais elle ne doit pas
compromettre le jeu des tendons par un rétrécissement.
La main est immobilisée par la technique de Kleinert (Fig. 26.20) : attelle postérieure,
poignet fléchi à 30°, MP fléchie à 60°. L'attelle recouvre en arrière la deuxième phalange.
Elle empêche l'extension complète des doigts et du poignet mais ne gêne pas la flexion des
485
doigts. Un fil est fixé sur l'ongle. Il est relié à la face antérieure distale du poignet par un
élastique fixé sur une bande qui entoure l'attelle. L'élastique est dans le plan du flexion du
doigt. Il doit être tendu de façon à ne pas empêcher l'extension active jusqu'au niveau de
l'attelle mais il doit assurer une flexion passive. Une mobilisation semi-active doit être
précoce. L'appareil de Kleinert est enlevé au 25e jour.
486
Plaie articulaire
Une plaie articulaire est définie comme une effraction de la synoviale, quelle que soit
son importance. Les articulations les plus souvent concernées sont le genou et les
articulations des doigts.
Mal traitée, elle évolue vers une arthrite infectieuse. Toute plaie en regard d'une
articulation synoviale doit être explorée et parée.
Les plaies vues tardivement se présentent comme une arthrite infectieuse : douleur,
fièvre, articulation chaude et tendue. Toilette, drainage articulaire, prélèvements,
antibiothérapie et immobilisation sont les éléments du traitement.
Traumatisme vasculaire
Une plaie vasculaire peut être évidente, avec une hémorragie extériorisée contenue par
un pansement compressif, un garrot ou un hématome pulsatile. Elle peut aussi être plus
trompeuse : ce sont les « plaies sèches » liées au spasme artériel et au caillot. Toute plaie
siégeant sur un trajet vasculaire doit être explorée.
487
veineuses et on compense les pertes sanguines, de préférence avec des colloïdes (voir chapitre
5 Anesthésie et réanimation en situation précaire).
Devant une interruption artérielle isolée incomplète, l'attitude doit être moins radicale.
Lorsque l'ischémie est modérée, en l'absence de paralysie et s'il existe une circulation
collatérale suffisante pour assurer une perfusion de la périphérie du membre, il faut se
baser sur la surveillance clinique. Le problème n'est plus ici une question d'heures mais de
bon sens.
Ligature
Certaines artères peuvent être liées en raison de l'importance du réseau anastomotique.
Si le niveau lésionnel l'autorise, on effectue une simple ligature en amont et en aval au plus
près de la plaie artérielle.
Au niveau distal, on peut lier une artère si les autres axes sont intacts : radiale ou
cubitale, tibiale antérieure ou postérieure.
Au niveau proximal, on peut lier les artères fémorale profonde et numérale profonde.
La ligature des artères sous-clavière moyenne et humérale basse peut laisser des séquelles
mais elle reste possible s'il faut assurer rapidement une hémostase.
Dans les autres cas, il faut rétablir la continuité.
Technique
Préparation à l'intervention. Le membre doit être entièrement préparé pour
pouvoir prolonger l'incision. Éventuellement, il faut également préparer une cuisse pour
prélever un greffon saphène.
488
Abord de la lésion. Les lésions des gros axes vasculaires doivent être abordées
avec prudence pour ne pas être surpris par une hémorragie per-opératoire.
- Un garrot est mis en place si l'emplacement de la plaie le permet. Il peut être gonflé
pour le parage et doit être dégonflé pour le temps de réparation, lorsque la plaie artérielle est
reconnue et l'artère contrôlée en amont et en aval.
- Une plaie artérielle, surtout en l'absence de garrot, doit être abordée à distance. Il
faut commencer par l'amont, en contrôlant l'artère par un clamp bull-dog ou à défaut par un fil
passé deux fois autour de l'axe vasculaire et tendu par une pince. Ensuite, on effectue le
contrôle en aval. C'est seulement à ce stade que l'on découvre la lésion en enlevant les caillots
qui parfois sont les seuls à assurer l'hémostase.
Le premier point rapproche les deux extrémités. Le fil, coupé long, est tenu par une
pince. Le second point est diamétralement opposé, et le fil est là encore laissé long. La
traction sur les deux fils affronte l'artère. Des points séparés prenant toute l'épaisseur de la
paroi sont effectués sur une face d'un fil tracteur à l'autre, puis sur l'autre face.
Avant de serrer les deux derniers points, on relâche le clamp d'amont quelques
instants pour vérifier le flux, puis le clamp d'aval pour vérifier le reflux. Cette manœuvre
expulse les caillots résiduels. On termine la suture, on enlève les clamps et on parachève
489
l'hémostase en assurant une compression avec une compresse humide pendant quelques
minutes.
- En cas de plaie latérale, il faut veiller à ce que la suture n'entraîne pas une sténose
importante, sinon il faut interposer une pièce (Patch) prélevée sur la paroi, d’une veine.
- En cas de lésion contuse nécessitant une large recoupe ou devant une perte de
substance, la suture terminoterminale ne peut être effectuée sans tension. Il faut alors prélever
un greffon veineux saphène interne à la face interne de la cuisse. Lier ses collatérales. Il faut
inverser le greffon en raison des valvules veineuses : le haut du greffon est suturé à l'artère
distale et le bas du greffon à l'artère proximale.
La réparation veineuse
Les veines sont en général liées mais la ligature d'une grosse veine de retour, fémorale
par exemple, peut être à l'origine de thromboses et d'œdèmes. Si les conditions le permettent,
une suture peut être effectuée, comme nous l'avons décrit pour les artères. Cependant, la paroi
veineuse est fine et fragile et la suture en est délicate.
490
Suites opératoires
Après l'intervention, il faut surélever le membre et surveiller sa couleur, sa chaleur, les
pouls, l'œdème. Il doit être dégagé pour cette surveillance.
L'antibiothérapie est systématique mais les anticoagulants ne le sont pas. Ils doivent
être maniés avec prudence surtout si des lésions viscérales sont associées, et en l'absence de
laboratoire. L'héparine intraveineuse nécessite une surveillance attentive. Les héparines de
bas poids moléculaire sont plus aisées à manipuler, à doses préventives.
Il faut immobiliser le membre, bien sûr en cas de fracture, mais aussi si la plaie siège à
proximité d'une articulation, afin de minimiser les risques de tension sur la suture si elle était
mobilisée.
Pronostic
La mortalité immédiate d'une plaie artérielle tient au choc hémorragique.
La mortalité secondaire peut être due à l'ischémie tissulaire quand elle concerne des
organes nobles ou aux accidents de revascularisation comparables au « crush syndrome » des
ensevelis qui associe acidose, hyperazotémie, hyperkaliémie, myoglobinurie et néphropathie
secondaire allant jusqu'à l'anurie. Sur le plan local, il se manifeste par un choc au moment du
rétablissement de la continuité artérielle, puis d'un œdème du membre. Plus tardivement
encore, les décès peuvent être dus à l'infection, en particulier septicémies et surtout gangrène
gazeuse sur nécrose ischémique.
Brûlure
La conduite à tenir devant une brûlure est décrite dans le chapitre 23.
491
deux broches ou une vis doublées d'une contention plâtrée fenêtrée valent mieux qu'une
plaque infectée. Tractions et plâtres gardent ici une place prépondérante.
Chez l'enfant
Même en Europe, le traitement orthopédique est le plus souvent indiqué et donc bien
sûr toujours en conditions précaires. L'enfant n'est pas un petit adulte. La consolidation
osseuse est plus rapide, le périoste étant épais et très actif. Il ne faut pas systématiquement
rechercher une réduction osseuse parfaite. En effet, la croissance permet le remodelage des
angulations fracturaires si elles ne sont pas trop importantes. Les défauts de rotation en
revanche se corrigent mal.
492
Membre supérieur
Fracture de la clavicule
493
Chez l'enfant, il en existe plusieurs types.
- Fractures de la palette humérale. Très fréquentes, elles font partie du « syndrome du
manguier », quand les enfants tombent des arbres à la saison des fruits.
494
Technique de la méthode de Blount : un aide étend le membre en tirant sur la
main. On empaume le bras, les deux pouces placés derrière la partie distale de l'humérus, puis
on pousse le fragment inférieur en bas et en avant en exerçant un mouvement de rotation des
poignets. On maintient ce fragment pendant que l'aide fléchit le coude jusqu'en position de
Blount. Attacher alors le poignet sous le menton par un jersey ou un bandage non agressif
pendant 4 semaines. Surveiller le pouls radial et les doigts pendant 48 heures. Les erreurs les
plus fréquentes sont la correction insuffisante du varus (cal vicieux en cubitus varus) et de la
rotation. Ne faites jamais de plâtre, surtout circulaire, en flexion (Fig. 26.23).
• IV : les deux fragments ne sont plus en contact. Ce stade nécessite normalement un
abord chirurgical postérieur et une ostéosynthèse par deux broches. En l'absence de cette
possibilité, tenter une réduction par la méthode de Blount décrite ci-dessus. Vérifier l'état
vasculo-nerveux.
- Fractures de l'épicondyle, du condyle interne et de l'épitrochlée. Leur traitement est
normalement chirurgical. En situation précaire, si elles ne sont pas déplacées, effectuer un
plâtre BAB pendant 3 semaines
Enfin, dans les fractures multifragmentaires, on effectue chez l'adulte une ablation
chirurgicale de la tête radiale. Chez l'enfant, il faut conserver la tête radiale. En l'absence
d'amplificateur de brillance, les fractures déplacées imposent un traitement à foyer ouvert.
495
ensuite immobilisé par un plâtre BAB en position de réduction. Ces fractures sont souvent
instables et leur traitement idéal est souvent chirurgical. L'immobilisation est de 60 à 90 jours.
Chez l'enfant, la réduction se juge à l'alignement des os. L'accrochage d'une seule
corticale suffit. Ces fractures sont instables et il faut répéter les contrôles radiologiques sous
plâtre. Le membre est immobilisé coude à 90°, avant-bras placé dans la position où l'on
obtient la meilleure réduction. La consolidation est longue, et il ne faut pas retirer trop tôt le
plâtre car il y a risque de fractures itératives. Le plâtre BAB doit être gardé au moins 60 jours
et jusqu'à 90 jours.
Fracture de Monteggia
Elle associe une fracture du cubitus et une luxation de la tête radiale. La réduction,
sous anesthésie générale, s'effectue en exerçant une traction forte sur le poignet, coude fléchi,
l'avant-bras étant en supination pour réduire le cubitus. Dans le même temps, le pouce appuie
sur la tête radiale pour la réintégrer. On pose ensuite un plâtre BAB en supination forcée.
Transférer si possible le malade en cas d'échec.
Fracture de Galéazzi
Elle associe une fracture du radius et une luxation cubitale inférieure. En situation
précaire, on réduit orthopédiquement la fracture radiale sous anesthésie générale et on pose
un plâtre à 90° pendant six semaines.
496
Chez l'adulte, il existe plusieurs types de fractures, souvent plurifragmentaires. La
réduction sous anesthésie locale (par injection de lidocaïne (Xylocaïne) dans le foyer
fracturaire à la face postérieure du poignet) s'effectue par traction et modelage. On
désengrène la fracture en tirant sur le pouce, et on corrige la bascule externe puis la bascule
postérieure. Lorsqu'il existe un fragment unique avec chevauchement, on peut recourir à la
méthode décrite chez l'enfant (voir ci-dessous). La réduction est de bonne qualité si les axes
sont corrects dans le plan frontal (disparition du dos de fourchette) et si la styloïde radiale est
en position plus distale que la styloïde cubitale, de 13 mm environ chez l'adulte. Sur la
radiographie de contrôle de profil, la surface articulaire radiocarpienne doit faire un angle à
10° avec l'axe du radius : elle « regarde » en avant. L'immobilisation est ensuite assurée par
une attelle BAB tant que l'œdème est menaçant, puis par un plâtre circulaire pour une durée
totale de 45 jours. On peut immobiliser avec une légère flexion du poignet les fractures de
type Pouteau Colles (position de « Judet »). Les doigts doivent être mobilisés précocement.
Chez l'enfant, ces fractures sont fréquentes. À la rigueur, on peut se contenter
d'une anesthésie locale en cas d'angulation simple que l'on réduit en poussant sur le fragment
inférieur. Dans les fractures avec chevauchement, il faut, sous anesthésie générale, accentuer
l'angulation de la fracture jusqu'à 90°, pousser fortement le fragment inférieur vers le bas,
accrocher les corticales et basculer le fragment sur cette charnière (Fig. 26.24).
L'immobilisation est assurée par attelle BAB les premiers jours, puis par plâtre circulaire
lorsque l'œdème disparaît. Dans les fractures de type Pouteau Colles, le poignet est
immobilisé en flexion à 20°. Dans celles en motte de beurre, on pose une manchette pendant
trois semaines. Enfin, dans les décollements épiphysaires, le traitement dépend du type du
décollement : dans le stade 1 de Salter non déplacé, on pose un plâtre BAB pendant trois
semaines. Dans les stades 2, 3 et 4, on réduit orthopédiquement la fracture sous anesthésie
locale et on pose un plâtre BAB pendant trois à quatre semaines. Dans les fractures des deux
os, après réduction orthopédique, le plâtre BAB est laissé en place pendant quatre semaines.
Fracture du scaphoïde
Chez l'adulte, on place un plâtre BAB pendant 45 jours puis une manchette plâtrée
là encore pendant 45 jours, prenant le pouce en abduction dans la position « de la bouteille ».
Ces fractures ne sont pas toujours visibles précocement, ce qui explique l'intérêt de la
radiographie une semaine après le traumatisme.
Chez l'enfant, ces fractures sont rares et sont traitées par manchette plâtrée
maintenue 60 jours.
497
de rotation, ce que l'on apprécie en pliant les doigts. Ceux-ci doivent être parallèles, ne pas se
chevaucher et les ongles doivent rester dans le même plan. Si la fracture est instable, on
immobilise ensuite par une manchette plâtrée prenant la première phalange MP en flexion
pendant quatre semaines. IPP et IPD doivent être mobilisées précocement. Si la fracture est
stable, on peut se contenter d'une syndactylisation : réunir le doigt correspondant au
métacarpien fracturé et un doigt adjacent, à l'aide de deux cercles de sparadrap. Le premier
cercle est placé sur les premières phalanges et le deuxième plus distal. Ils ne doivent pas créer
de striction. Puis la mobilisation des doigts est entreprise précocement.
Chez l'enfant, on replie les doigts sur une boule de compresse, et on immobilise les
MP à 90° pendant trois semaines.
Les fractures des troisième phalanges sont fréquentes (doigt dans une porte ou coup de
marteau). Si un hématome soulève l'ongle il faut l'évacuer : chauffer un trombone de
papeterie tenu par une pince sur un réchaud et appliquer rapidement la pointe portée au rouge
sur l'ongle. Dès que l'ongle est traversé l'hématome s'évacue. L'ongle constitue la meilleure
attelle pour la fracture. S'il est arraché, sous anesthésie en bague, nettoyer et suturer son lit et
le reposer en le maintenant par quatre points transfixiants.
Membre inférieur
Fractures du bassin
Les fractures du cadre obturateur sont fréquentes. Il faut vérifier l'absence
d'hématurie (rupture de l'urètre). Le blessé est laissé en décubitus pendant dix jours.
Les fractures du cotyle, quand elles sont peu déplacées, sont traitées par traction
transtibiale haute de 1/10 du poids du corps, pendant 45 jours chez l'adulte. Il faut ensuite
respecter un délai de 45 jours sans appui. Chez l'enfant, le délai est raccourci à 30 jours et 30
jours. En cas de déplacement, le traitement est chirurgical.
498
Fractures du col du fémur
Chez l'adulte, une fracture non déplacée, déplacée en valgus ou engrenée peut être
traitée par traction transtibiale haute de 1/10 du poids du corps pendant 90 jours. Si elle est
déplacée en varus, le traitement est chirurgical.
Chez l'enfant, cette fracture est rare et en général traitée chirurgicalement en
Europe. En situation précaire, si elle est peu déplacée, poser une traction collée pendant 30
jours, au zénith si l'enfant est petit, et dans l'axe du lit s'il dépasse 30 kg. On pose ensuite un
plâtre pelvi-pédieux pendant 60 jours.
499
Fractures de la rotule
En l'absence de déplacement ou s'il n'y a pas d'interruption de l'appareil extenseur, on
recourt à une genouillère plâtrée en extension pendant trois semaines chez l'enfant, et six
semaines chez l'adulte.
Dans les fractures transversales interrompant l'appareil extenseur avec écart inter-
fragmentaire, on peut utiliser une technique comparable à celle décrite pour l'olécrâne. Sous
anesthésie locale, et après asepsie, on place transversalement une broche dans le fragment
supérieur, à proximité de sa face antérieure, le fragment étant bien tenu entre deux doigts. On
place ensuite une broche parallèle à la première dans le fragment inférieur. Le genou est mis
en extension. Les deux broches sont coudées et réunies par deux élastiques forts. Si le
contrôle de profil est correct, on pose une attelle en extension pendant 30 à 45 jours, puis on
conseille une mobilisation progressive. Sinon, il faut si possible évacuer le malade.
500
La fracture isolée du tibia évolue chez l'enfant vers un varus du fragment inférieur. On
pose un plâtre cruro-pédieux en valgus du pied et légère flexion du genou.
Fractures du calcanéum
Chez l'adulte, une fracture non déplacée doit être mobilisée immédiatement sans
appui pendant deux mois. Les résultats sont meilleurs qu'avec une immobilisation. En cas
d'enfoncement important, tenter un « modelage » sous anesthésie générale puis poser une
botte plâtrée pendant 30 jours et une mobilisation sans appui pendant 45 jours. Sinon, évacuer
le patient.
Chez l'enfant, ces fractures sont rares. On peut les traiter par immobilisation en
botte pendant trois semaines ou, si l'enfant est suffisamment grand pour marcher avec des
cannes, préconiser simplement trois semaines sans appui.
501
La pseudarthrose est définie comme l'absence de consolidation osseuse après un
délai de six mois. Elle peut être due à une mobilité du foyer ou à une absence de contact ou de
compression entre les fragments osseux. On la prévient en assurant une bonne réduction
initiale, et une immobilisation correcte et de durée suffisante. Pour les fractures transversales
des membres inférieurs, lorsque le cal est apparu, un appui partiel entre deux cannes est
indiqué pour favoriser l'impaction du foyer.
Intérêt pratique
Les plaies de type 1 traitées avant la sixième heure, peu souillées, de dedans en dehors
présentent peu de risques infectieux. En Europe, ce type de fracture est assimilé à une fracture
fermée. On recourt ici à une ostéosynthèse intrafocale et une fermeture primitive. En
condition précaire, on peut proposer une fermeture après le parage et la réduction sous
contrôle de la vue, éventuellement sur un drain aspiratif. Il faut en revanche rester
extrêmement prudent vis-à-vis d'un matériel intrafocal volumineux. Une fois la fracture
réduite, une contention orthopédique adaptée reste le moyen le plus sûr.
L'os doit être si possible couvert à la fin du parage par du muscle sain mais il ne faut
jamais fermer les aponévroses ni la peau de façon hermétique, même sur un drainage. Mieux
vaut un pansement « à plat » sur une plaie qu'une pullulation de germe en dessous. Une
fermeture secondaire ou une greffe de peau est proposée ultérieurement lorsque l'état de la
plaie le permet.
Une fois le parage effectué, la fracture est réduite ou alignée sous contrôle de la vue.
Le foyer doit être immobilisé par un fixateur externe, par des broches noyées dans le plâtre ou
502
par un plâtre fenêtre si la réduction est stable. Une traction permet également de maintenir
l'alignement du membre et les pansements de la plaie.».
Pseudarthroses infectées
C'est la complication la plus grave : elle associe une infection osseuse et une absence
de consolidation du foyer. L'infection est une cause de non-consolidation.
Conduite à tenir
Tout d'abord, le bilan lésionnel lors du parage doit être précis, sous anesthésie
générale, car il existe des lésions trompeuses. On retrouve ici schématiquement deux grands
tableaux bien distincts.
- L'axe vasculaire est intact, les nerfs peuvent être mis en continuité, les muscles sont
sectionnés et rétractés mais il n'y a pas de grande perte de substance. L'aspect impressionnant
du membre est lié à l'importance de la plaie et au raccourcissement par chevauchement
osseux, mais le rétablissement des axes par traction permet de rétablir des rapports
503
anatomiques acceptables. La périphérie du membre est viable et chaude. Ce tableau, qui
correspond à un stade III de Cauchoix et Duparc, doit faire tenter de conserver le membre, si
nécessaire au prix d'un raccourcissement osseux modéré.
Cette décision ne peut être systématisée : elle dépend des associations lésionnelles, de
l'expérience du chirurgien et des moyens dont il dispose.
Il ne faut pas omettre qu'une tentative de conservation mal justifiée peut exposer le
patient à des phénomènes infectieux de pronostic parfois vital, et qu'après des mois de
traitement laborieux et aléatoire la « réussite » de la conservation peut aboutir à un membre
non fonctionnel, raccourci, insensible ou douloureux et aux articulations figées.
Les fracas des membres posent le problème des amputations traumatiques. En
condition précaire, les indications d'amputation pour fracas sont d'autant plus larges que les
capacités techniques permettant d'envisager une conservation sont faibles. L'appareillage est
par ailleurs souvent limité.
Amputations d'urgence
Elles sont effectuées dans trois circonstances :
Matériel
Le matériel d'amputation comporte bistouri, couteau à amputation, bistouri électrique,
pinces à hémostase, fil bobine non résorbable (lin), pinces à disséquer, ciseaux, rétracteur de
Larrey, scie à main, lime.
Amputations traumatiques
La règle générale est d'amputer en tissu sain mais le plus bas possible. La limite entre
tissu sain et contus est parfois difficile à déterminer dans l'urgence. Chez l'enfant, il faut
toujours couper au plus bas et épargner les cartilages de conjugaison.
504
section cutanéo-musculaire. La règle de la section « au plus bas » peut poser un problème
quant à l'appareillage ultérieur. En Europe, on effectue une « amputation en deux temps »
pour bien adapter le moignon à l'appareillage. En pays démuni, le choix entre appareillage
classique, par emboîture, succion ou contact se pose peu et les circonstances ne permettent
pas toujours un deuxième temps. On adopte donc généralement les attitudes suivantes :
- plus haut, les masses musculaires permettent une bonne couverture osseuse. Les
niveaux d'amputation appareillables (Figure 26.25) sont, chez l'adulte :
- à la jambe : limite supérieure = 4 cm sous la TTA (tubérosité tibiale antérieure),
limite inférieure = 20 cm sous la TTA ;
- à la cuisse : limite supérieure =15 cm sous le grand trochanter, limite inférieure = 10
cm au-dessus de l'interligne du genou.
505
Technique
La technique est identique pour toutes les amputations. Seules changent les données
anatomiques, les groupes musculaires, l'emplacement des axes vasculaires.
La peau : il faut conserver les lambeaux. S'ils se nécrosent, ils pourront être excisés
secondairement. Il faut empêcher la rétraction cutanée par une traction collée ou un jersey
tubulaire collé par du vernis chirurgical en amont du pansement exercée par un poids de 1 kg
au bout du lit. La fermeture cutanée ou une greffe peuvent être réalisées tardivement.
Les aponévroses et muscles : il faut enlever tous les tissus dévitalisés (voir plus
haut paragraphe Parage chirurgical). Si les muscles ne peuvent être recouverts par la peau,
une greffe sera effectuée ultérieurement.
Les vaisseaux : il faut lier les gros vaisseaux au fur et à mesure de leur découverte
avec un fil non résorbable (lin), séparément et au plus bas, et faire l'hémostase. Si un garrot
est placé sur le membre, il faut l'enlever avant la fermeture pour compléter l'hémostase.
Les nerfs : ils sont sectionnés par un bistouri neuf ou une lame de rasoir,
franchement et le plus haut possible pour éviter les névromes proches de l'extrémité.
506
Amputations vasculaires
En cas de syndrome de revascularisation ou d'oblitération vasculaire traumatique, le
niveau de l'amputation dépend du site de la lésion artérielle. Si elle correspond à un niveau
appareillable, on peut effectuer d'emblée deux valves musculocutanées permettant de
matelasser l'os comme dans les amputations réglées, en veillant à se trouver dans un muscle
sain. Les valves, dont la longueur doit être égale aux 2/3 du diamètre du membre, sont
effectuées de façon à ce que la suture soit postérieure au membre supérieur, dorsale au pied,
et postérieure à la jambe et à la cuisse (Fig. 26.25). Il faut ruginer au contact osseux jusqu'au
niveau de la base de la valve.
La section de l'os se fait à la scie à main. Afin de ne pas être gêné par les parties
molles, il faut les refouler vers l'amont, soit avec un rétracteur du Larrey, soit avec une bande
stérile large passée autour du moignon (Fig. 26.25). À l'avant-bras et à la jambe, il faut
sectionner la membrane interosseuse et chacun des os séparément. Le péroné doit être coupé
plus court que le tibia pour éviter qu'il ne pointe à l'extrémité du moignon. Les aspérités
osseuses sont enlevées à la gouge et à la lime.
Entorses et luxations
Entorses
Elles résultent toujours d'un traumatisme indirect par mouvement forcé. Sur le plan
lésionnel, ce sont des déchirures plus ou moins profondes et étendues du plan capsulo
ligamentaire. Les articulations les plus concernées sont les chevilles, les genoux, les poignets
et les doigts.
507
Luxations
C'est la perte des rapports anatomiques entre les extrémités osseuses dans une
articulation, sans lésion de l'os proprement dit. Toutes les luxations
Luxations de l'épaule
Les luxations antérieures sont les plus fréquentes : 50 % de toutes les luxations,
95 % de celles de l'épaule. Elles se manifestent par des douleurs, une impotence et un coup de
hache humeral. Il faut vérifier l'état vasculo-nerveux. Si le malade se détend et si la luxation
est récente, la réduction est souvent possible sans anesthésie, le cas échéant sous sédatif
(diazépam). En cas d'échec, recommencer la manœuvre sous anesthésie générale.
- Méthode de Kocher : le malade est en décubitus dorsal, un champ est placé dans
l'aisselle et un aide le maintient en tension vers le haut. On plie le coude à 90°, puis on tire
fortement sur le bras dans l'axe en effectuant doucement une rotation externe en se servant de
l'avant-bras fléchi comme levier (Fig. 26.26).
- Manœuvre d'Hippocampe : elle est plus brutale et en général mutile. Placer la
plante du pied dans le creux axillaire et effectuez une traction et une rotation externe sur
le membre.
508
La réduction se manifeste par un claquement perceptible et une mobilisation
immédiatement restaurée et indolente. Il faut si possible la contrôler par radiographie.
L'immobilisation se fait coude au corps pendant trois semaines. Il existe des formes
récidivantes de luxation antérieure de l'épaule. Normalement, on propose une intervention
chirurgicale après trois récidives.
Les luxations postérieures sont rares, faisant parfois suite à une crise d'épilepsie.
Sur la radiographie de face, la tête humérale se projette sur la glène.
La réduction est en général facile sans anesthésie, le cas échéant sous sédatif, par
traction en abduction et rotation externe. En revanche, ces luxations sont instables : il faut
éviter la récidive en immobilisant l'épaule avec le coude décollé du corps et le bras en rotation
externe.
Luxations du coude
Ce sont en général des luxations postérieures par chute sur la main. Les rapports
anatomiques du triangle olécrâne, épicondyle, épitrochlée sont perdus. Vérifier la fonction du
nerf cubital.
Sans anesthésie, le patient est installé en décubitus ventral, le bras posé sur la table,
l'avant-bras pendant dans le vide. On attache au poignet un seau que l'on remplit
progressivement d'eau. Si le malade est détendu cela peut suffire. En cas d'échec, la réduction
s'effectue sous anesthésie générale, par traction dans l'axe du membre légèrement fléchi et
pression directe sur l'olécrâne (Fig. 26.26). On immobilise ensuite le coude à 90° par écharpe
ou attelle plâtrée postérieure, pendant trois semaines. Rappelons qu'un coude traumatisé ne
doit jamais être traité par massage ou mobilisation passive sous peine d'ostéomes
Luxations métacarpophalangiennes
Elles sont en général postérieures. La réduction se fait sous anesthésie locale, en
exagérant la dorsiflexion et en pressant sur la base de la phalange luxée. Le doigt est ensuite
ramené et immobilisé en flexion modérée de la méta-carpo-phalangienne. Ces luxations se
fixent rapidement, la réduction devenant difficile après quelques jours.
Luxations de hanche
La luxation postérieure est la plus fréquente et survient en général après un
traumatisme violent (choc du tableau de bord). Le membre est raccourci en adduction, flexion
et rotation interne. L'association avec une fracture de la paroi postérieure du cotyle ou de la
rotule et des lésions viscérales ou crâniennes est fréquente. Dans 10 % des cas, il s'y associe
une paralysie sciatique habituellement régressive après réduction.
La réduction est effectuée dès que l'état général le permet, et impérativement sous
anesthésie générale. En décubitus dorsal (le patient est parfois placé à même le sol), la hanche
et le genou sont pliés à 90%. L’opérateur change le creux poplité (sur son épaule si le blessé
est sur une table) pendant qu'un aide maintient le bassin. Il soulève verticalement le membre
inférieur en effectuant un mouvement de rotation interne de la cuisse (Fig. 26.26). La
réduction se signale par un ressaut. L'immobilisation se fait par traction transtibiale pendant
509
30 à 45 jours. La marche sans appui est autorisée à la sixième semaine, puis avec appui à la
douzième semaine.
Traumatismes du rachis
Rappelons que devant toute suspicion de traumatisme du rachis, celui-ci ne doit pas
être mobilisé avant qu'un bilan lésionnel ait été réalisé. Toute mobilisation d'un traumatisme
rachidien doit être effectuée « en bloc ».
510
Entorses. Sur le cliché initial de profil, on ne note pas de lésion osseuse ni de
luxation. Il faut systématiquement poser un collier pendant 10 jours. Au 10e jour, on effectue
une radiographie du rachis de profil en flexion (cliché dynamique). S'il n'existe pas de «
glissement » d'une vertèbre, l'entorse est bénigne, et on maintient le collier 10 jours de plus.
Si en revanche on constate une instabilité d'une vertèbre par rapport à la vertèbre sous-jacente
(écart interépineux augmenté, découverte des articulaires supérieures de la vertèbre
inférieure, avancée de la vertèbre supérieure) (Fig. 26.27), la lésion est grave. Il faut alors si
possible transférer le patient sous couvert d'une minerve (Fig. 26.27).
Luxations. Dès le cliché initial, on constate une anomalie de position d'une vertèbre
(Fig. 26.27). Le traitement repose sur une traction cranio-cervicale, cou en hyperextension,
augmentée rapidement à 1/7 du poids du corps. Cela permet en général de réduire la luxation
en quelques heures. Le risque d'une instabilité résiduelle étant très important, mieux vaut si
possible transférer le malade sous couvert d'une minerve, après réduction.
Rachis dorso-lombaire
Devant tout traumatisme dorso-lombaire, il faut vérifier l'absence d'hématurie. Il peut
exister un iléus réflexe qui empêche une alimentation orale les premiers jours.
En l'absence de paraplégie le patient doit rester en décubitus au lit sur un plan dur
pendant un mois, puis le lever est autorisé sous un corset plâtré pendant deux mois.
Une autre attitude est de confectionner au bout de quelques jours un plâtre de Böhler :
le patient sous sédation est placé en décubitus ventral en extension entre deux tables, l'une
sous le bassin, l'autre sous le haut du thorax. Un grand plâtre, s'appuyant sur les ailes iliaques,
le sacrum, le pubis, le haut de la colonne dorsale et du sternum est effectué. Il ne doit pas être
serré mais moulé. Il faut placer une grosse boule de coton cardé sous le jersey devant
l'abdomen pour le « garde manger ». Le coton est enlevé lorsque le plâtre est sec et cet espace
permet d'éviter une compression due à l'alimentation. Le plâtre de Bohler (Fig. 26.27) permet
de réduire partiellement le tassement vertébral s'il est fait assez tôt, de mobiliser plus
facilement le patient et d'autoriser le lever dès la troisième semaine.
511
Avec lésion médullaire
Les lésions médullaires peuvent être transitoires : il ne faut pas risquer de les
aggraver. Les patients doivent être mobilisés en bloc. Si possible, les déplacer à plat sur une
planche et un matelas. Des lésions de contusions et d'écrasement médullaire peuvent
coexister. Une paralysie partielle ou une dissociation sensitivomotrice témoignent d'une
lésion médullaire incomplète. Dans les contusions, la régression de la paralysie débute en 48
heures et peut être totale en quatre à six semaines selon le niveau.
À l'inverse, si la moelle est sectionnée, la réapparition d'un réflexe anal sans signe de
récupération sensitive ou motrice est de mauvais pronostic. En 4 semaines, un réflexe cutané
plantaire en extension apparaît, ainsi que des signes de spasticité : réflexes exagérés, clonus,
sans amélioration de la sensibilité. En cas de quadriplégie, l'atteinte de la capacité respiratoire
rend le pronostic très sombre.
Dans tout traumatisme médullaire, les seuls gestes possibles sont les soins de «
nursing ». Ils doivent être commencés immédiatement :
- décubitus dorsal sur « plan dur » (une planche placée sous le matelas) ;
- soins cutanés et prévention d'escarres des talons et du sacrum. Eviter que les draps
ou les pagnes forment des plis. Mobiliser le malade en bloc toutes les 3 heures, et le tourner
d'un côté et de l'autre. Apprendre à l'entourage à effectuer cette mobilisation correctement et
régulièrement. Frotter les zones d'appui (dos, sacrum) et les sécher à l'alcool. Protéger les
talons (pansements américains ou peau d'orange évidée) ;
- rééducation vésicale : dans les premiers jours existent un iléus intestinal et des
mictions par regorgement sur une vessie distendue. Placer aseptiquement une sonde vésicale à
demeure. Clamper la et vider la vessie toutes les quatre à six heures. Au bout de trois
semaines, apprendre au patient à déclamper sa sonde et à vider manuellement sa vessie par
pression sus-pubienne ou à déclencher une miction par tapotements sur la vessie pleine. Une
fois ces réflexes acquis, enlever la sonde et insister pour que le patient continue à vider sa
vessie régulièrement ;
- le contrôle intestinal : il peut être obtenu si un réflexe anal persiste. Les premiers
jours, provoquer les défécations par laxatifs à heures régulières, puis par pression manuelle
sur l'abdomen ;
- mobilisation articulaire : mobiliser les articulations plusieurs fois par jour, et éviter
les positions vicieuses. Enseigner aux paraplégiques à mobiliser eux-mêmes leurs membres
inférieurs à l'aide des deux mains ;
- marche : lorsque la lésion est consolidée au bout de 60 à 90 jours, les paraparétiques
peuvent parfois être mis en position verticale avec des appareillages.
Muscler les membres supérieurs en position assise. Faire marcher le malade de façon
pendulaire entre deux barres parallèles ou deux aides puis avec deux béquilles.
Traumatismes crâniens
Fractures du crâne
Fractures fermées de la voûte
En l'absence de signe neurologique ou de perte de connaissance initiale, les
traumatismes crâniens avec ou sans fracture ne nécessitent pas de mesure particulière. La
fracture ne fait que refléter que la violence du choc.
512
En Europe, la présence d'une embarrure (enfoncement osseux) fermée fait proposer
une intervention pour relever le fragment. En conditions précaires en revanche, s'il n'y a pas
de signe neurologique justifiant un abord chirurgical, l'embarrure ne revêt aucune urgence et
mieux vaux laisser l'enfoncement que de le transformer en fracture ouverte.
L'hématome pariétal chez le nourrisson est fréquent et ne doit pas être incisé.
Plaies de la voûte
Les plaies du cuir chevelu saignent abondamment mais leur infection est rare.
Elles justifient à elles seules un parage sous anesthésie locale et une suture hémostatique par
un surjet passé sur la tranche ou des points de fermeture appuyés sur des « bourdonnets ».
Dans les plaies tangentielles (scalps) on réalise d'abord l'hémostase, puis on replace le scalp
après toilette soigneuse pour obtenir une couverture. Si l'hémostase est difficile à obtenir,
prendre les berges de la plaie dans des pinces : il existe des pinces spéciales (en T de Martel).
En leur absence, utiliser les pinces « en cœur » qui se trouvent dans toute boîte d'abdomen.
Suturer alors la tranche par un surjet pas à pas en enlevant une pince après l'autre.
S'il existe une embarrure ouverte, la plaie réalisant un abord, il faut relever le
fragment enfoncé. La difficulté est de relever la table interne car la spatule sépare
fréquemment les tables interne et externe. Il est difficile de passer un instrument sous le
fragment enfoncé. Il faut généralement ronger la berge de l'orifice à la gouge pour permettre
le passage de la spatule et relever le fragment en faisant levier sur la berge, ou effectuer un
trou de trépan à proximité pour passer la spatule.
Il existe cependant ici une exception importante : ne jamais manipuler une embarrure
située sur la ligne médiane, car elle surplombe le sinus veineux longitudinal. Si le patient est
vivant c'est qu'il n'est pas perforé. En tentant de relever l'embarrure, on risque de léser le sinus
et de se trouver face à une hémorragie grave qui nécessite expérience et rapidité pour pouvoir
être contrôlée par un patch aponévrotique.
Il faut ici assurer la liberté des voies aériennes, nettoyer le conduit auditif mais sans le
mécher. Placer le patient en position demi assise et administrer des antibiotiques traversant la
barrière méningée (triméthoprime-sulfaméthoxazole) tant qu'un écoulement persiste et au
moins dix jours. Si les radiographies montrent la présence d'air intracrânien et que son
volume augmente, transférer si possible le patient.
513
Lésions intracrâniennes
Ce sont les lésions neurologiques et non les lésions osseuses qui font la gravité des
traumatismes cranio-encéphaliques. Ce sont elles qui dirigent la conduite à tenir et c'est
l'examen clinique qui dicte les décisions.
Examen clinique
Interrogatoire. Il existe des comas non traumatiques : médicamenteux, éthyliques,
épileptiques ; l'interrogatoire de la famille oriente vers l'étiologie. Devant une cause
traumatique, il faut rechercher s'il a existé un « intervalle libre » (avec épisode initial de perte
de connaissance, suivi d'une phase de conscience normale ou subnormale, puis une
disparition de la conscience, une confusion, une somnolence, avec parfois vomissements,
etc.) ou s'il y a eu coma d'emblée.
514
hypovolémique dont il faudra rechercher l'origine. En revanche, une hypertension artérielle et
une bradycardie peuvent témoigner d'une hypertension intracrânienne.
Tableaux cliniques
Absence de perte de connaissance ni initialement, ni après.
La conscience est normale et il n'y a pas de signe de localisation. Aucune mesure n'est
indiquée.
Faire un bilan rapide : groupe sanguin, hématocrite. Si l'état du patient le permet, faire
une radiographie qui peut montrer un trait de fracture pariétal en regard de l'aire de l'artère
méningée moyenne (espace décollable de Gérard Marchand). Si le patient est comateux,
assurer la liberté des voies aériennes, placer une sonde urinaire et deux voies veineuses.
Préparer l'intervention et prévoir un moyen de remplissage vasculaire.
- assurer la liberté des voies aériennes soit en évacuant le contenu de la cavité buccale
et en posant une canule de Guedel si le patient respire spontanément, soit par intubation
endotrachéale si le coma est profond. L'intubation permet des aspirations répétées mais elle
peut être délicate en cas de fractures de la face. En cas d'échec, une trachéotomie peut
s'imposer mais il faut toujours essayer de l'éviter ;
- placer une sonde urinaire qui permet de surveiller la diurèse et d'apprécier le
remplissage ;
- placer une voie veineuse : il ne faut pas perfuser plus de 1,5 à 2 litres de liquides par
24 h car une hyperhydratation augmente l'œdème et l'hypertension intracrânienne (bien
entendu, les conditions de température locale et d'hygrométrie doivent être prise en compte, et
il faut s'aider de la diurèse horaire pour adapter cette donnée) ;
515
- placer une sonde nasogastrique pour vider l'estomac et éviter les vomissements. Elle
peut permettre ultérieurement une réalimentation orale (le SRO, soluté de réhydratation orale
convient au début) ;
- sur le plan médicamenteux
II faut éviter les sédatifs puissants qui peuvent masquer des signes de réveil et
provoquer une hypoventilation, alors que l'on ne dispose pas toujours des moyens de
ventilation artificielle. En cas de convulsion : injecter par voie IM de la phénytoïne sodique,
200 mg/12 heure chez l'adulte, 100 mg chez l'enfant ou du diazépam. Pour lutter contre
l'œdème cérébral, après avoir éliminé un hématome sous-dural ou en post-opératoire, éviter
l'hyperhydratation, perfuser du mannitol à 20 %, à raison de 0,25 g/kg toutes les trois heures
pendant 24 heures (maximum 250 g pour un adulte). Ne pas utiliser de corticoïdes. Éviter une
hyperglycémie. Une analgésie efficace (qui évite l'agitation) et le maintien du patient en
position semi-assise permettent également de lutter contre l'hypertension intracrânienne.
Indications chirurgicales
Trépanation (trou de trépan)
But : rechercher, évacuer un hématome et assurer l'hémostase.
Indications : troubles de conscience avec signes de localisation succédant à un
intervalle libre ou signes de localisation et d'hypertension intracrânienne chez un traumatisé
crânien dans le coma.
Technique. Le patient est placé de façon à ce que sa tête soit en bout de table. On rase
le crâne et on prépare le champ opératoire (asepsie large et pose des champs). L'intervention
peut être effectuée sans anesthésie si le blessé est dans le coma ou sous anesthésie locale.
- Choix du côté : celui de la mydriase, et celui opposé aux signes déficitaires. Si les
signes de localisation ne sont pas francs et si le premier trou n'apporte pas de confirmation de
l'hématome, on peut être amené à effectuer une craniotomie controlatérale. Le côté de la
fracture est certes évocateur mais n'est pas toujours un critère absolu, car il existe des
hématomes controlatéraux par contrecoup.
- Choix du site de trépanation (Fig. 26.28) : le trou de trépan est creusé en zone
temporale, sur la zone décollable de Gérard Marchand, dans l'aire de l'artère méningée
516
moyenne, toujours au moins à quatre travers de doigts de la ligne médiane pour ne pas léser le
sinus longitudinal veineux supérieur.
- Incision (Fig. 26.28) : elle est arciforme entre l'orbite et l'oreille. Verticale, elle se
recourbe en haut à quatre travers de doigt au-dessus de l'oreille. Inciser la peau et l'épais tissu
sous-cutané. L'hémorragie est importante. Effectuer l'hémostase sans s'attarder au bistouri
électrique. Si on dispose d'une série de pinces en T ou de pinces en cœur abdominales plus
communes, accrocher les berges de l'incision entre leurs mors. Elles assurent l'hémostase le
temps de l'intervention et la rendent plus simple à la fin. L'aide expose la plaie en écartant
les deux rangées de pince. Inciser au bistouri l'aponévrose du muscle temporal, et séparer
au ciseau les fibres du muscle pour atteindre l'os. Exposez l'os en incisant le périoste et en
ruginant de chaque côté. Maintenez l'ouverture par deux écarteurs ou un écarteur
autostatique.
517
- Fermeture : elle se fait sur un gros drain de redon sans aspiration. Un surjet «
passé » facilite l'hémostase de la tranche de scalp. Le drain sera enlevé quand il ne donne
plus.
Difficultés de l'intervention.
Plusieurs difficultés peuvent apparaître :
Plaie cranio-encéphalique
La peau, l'os et la dure mère sont ouverts, par divers mécanismes : instrument
contondant, plaie par balle... L'intervention s'effectue sous anesthésie générale ou à défaut
locale avec administration de sédatifs.
Parage. Retirer les caillots, les corps étrangers, les esquilles osseuses libres.
Agrandir l'orifice osseux si nécessaire pour accéder aux berges rétractées et déchirées de la
dure mère. L'encéphale fait généralement hernie sous l'effet de l'œdème. À l'aide d'une
seringue et de jets de sérum tiède enlevez la matière cérébrale déchiquetée et contuse. On
peut être amené à en retirer une quantité inquiétante. Sauf quand l'atteinte est localisée dans
les zones motrices ou sensitives, on est parfois surpris du peu de séquelles observées. Il faut
cependant rester au maximum économique.
Réaliser l'hémostase au bistouri électrique avec des pinces bipolaires (ou, en leur
absence avec une très basse intensité) ou à l'aide de fils fins. Les saignements veineux sont
difficiles à contrôler : on utilise une compression temporaire, de la gélatine résorbable ou un
lambeau de muscle temporal appliqué sur la plaie veineuse.
518
Régulariser les berges de la dure mère. Sa fermeture est impossible en raison de
l'œdème sous-jacent et on la rapproche donc lâchement. Placer un drain non aspiratif et à
distance de la substance cérébrale. Couvrir le cerveau avec le muscle temporal si la plaie est à
ce niveau ou avec la peau, même au prix d'un petit lambeau de rotation. Les zones de crâne
dénudées par le lambeau sont recouvertes de tulle gras.
- la douleur peut être atténuée ou projetée (douleur du genou pour une atteinte de la
hanche par exemple) ou s'exprimer par une attitude pseudo-paralytique chez le jeune enfant ;
C'est donc sur un faisceau d'argument que l'on évoque habituellement le diagnostic.
Arthrite infectieuse
Elle est fréquente dans la petite enfance. La douleur siège sur l'articulation dont la
mobilisation est très douloureuse voire impossible. Il existe un gonflement articulaire plus
moins évident. On trouve en général une notion de porte d'entrée en regard ou à distance,
surtout chez l'enfant. Le syndrome infectieux est important, avec forte fièvre. La biologie est
perturbée mais la radiographie est normale au début.
519
- si l'articulation est facilement accessible et si la quantité du liquide le justifie, un
abord chirurgical permettant sa toilette et son drainage est indiqué.
Ostéomyélite
II faut différencier ostéite par infection de contiguïté (fracture ouverte, plaie) et
ostéomyélite qui survient en dehors d'une ouverture cutanée, par voie hématogène.
Ostéomyélite aiguë
La douleur siège en-dehors de l'articulation. Un examen patient permet de constater
que la mobilisation de l'articulation n'est pas la cause de la douleur mais que celle-ci est
provoquée par la palpation à quelque distance, au niveau de la zone métaphysaire. Les
syndromes infectieux et biologique sont plus ou moins marqués. La radiographie est normale
au début puis apparaît rapidement un liseré périoste et enfin un aspect flou, grignoté de l'os.
Il faut cureter l'os concerné dès qu'il existe des risques cliniques ou radiologiques
évoquant la formation d'un abcès péri- ou intra-osseux. Ces curetages sont de plus en plus
520
supplantés en Europe par des traitements « conservateurs ». Mais le diagnostic y est souvent
fait fort précocement. Le curetage permet les prélèvements en regard de la métaphyse et
l'évacuation des collections. En situation précaire il reste très utile, surtout à un stade précoce
suppuratif.
Le matériel pour curetage comporte une chignole, une mèche, des curettes, un drain.
L'abord de l'os se fait sous anesthésie générale. Les tissus nécrotiques sont évacués et
l'os est perforé à l'aide d'une chignole puis cureté en ayant soin de ne pas léser le cartilage de
croissance chez l'enfant. Le curetage doit être assez large pour permettre une évacuation
satisfaisante du pus intra-osseux. L'incision est ensuite fermée lâchement sur un drainage.
L'évolution de l'ostéomyélite aiguë est variable. Précocement traitée, elle guérit sans
séquelles. Si le cartilage de conjugaison est atteint, une perte de longueur est inévitable. Mal
traitée, elle évolue vers une ostéomyélite chronique et beaucoup d'enfants sont
malheureusement vus à ce stade dans les pays en développement.
Ostéomyélite chronique
C'est une suppuration chronique, avec multiples fistules et séquestrations osseuses,
déformation, raccourcissement, fractures pathologiques.
Il faut rechercher le germe en cause sur les fistules, surélever le membre, drainer les
abcès et retirer les séquestres visibles sur les radiographies.
Tuberculose osseuse
Non exceptionnelle dans les pays en développement, elle concerne le plus souvent le
rachis (mal de Pott), la hanche et le genou.
Le mal de Pott. Il s'agit d'une spondylodiscite se manifestant par une douleur, une
cyphose progressive et l'atteinte géodique ou la disparition d'un corps vertébral sur les
radiographies. Elle se complique plus tardivement d'une paraplégie.
En milieu précaire, le traitement repose sur le décubitus dorsal prolongé sur plan dur
accompagné d'un nursing et une antibiothérapie antituberculeuse : pyrazinamide, rifampicine
et isoniazide pendant deux mois puis rifampicine et isoniazide pendant quatre mois. Le
décubitus doit être strict durant au moins trois mois puis, lorsque le lever est autorisé, ce
dernier se fait sous couvert d'un corset pendant trois mois.
521
La récupération des signes neurologiques est spectaculaire. La cyphose par contre
persiste et va même s'aggraver avec la croissance chez l'enfant jeune.
Le plus souvent, les patients sont vus alors qu'existent déjà des lésions radiologiques à
type de géodes, voire des déformations épiphysaires.
En conditions précaires, les conditions d'hygiène des services chirurgicaux ne sont pas
toujours satisfaisantes, les patients ne comprenant pas toujours la nécessité de mesures de
propreté de base. Parfois même, le personnel n'en a pas pleine conscience. Les gants
chirurgicaux, les boîtes d'instruments, les plateaux d'instruments, etc. peuvent manquer.
Grande peut alors être la tentation de « faire sans ». La pénurie ne justifie pas le laxisme.
Protéger le personnel
- Placer les aiguilles et lames de bistouri jetables dans des récipients ne permettant pas
leur récupération.
- Ne jamais recapuchonner les aiguilles.
- Se laver les mains fréquemment à l'eau et au savon.
- Placer les aiguilles réutilisables (il en existe encore) dans un bocal contenant un
désinfectant pendant une heure avant que d'autres personnes ne les manipulent pour les laver
et les stériliser.
- Porter des gants épais pour ces manipulations.
522
- Porter des gants chirurgicaux pour les pansements.
- Porter des gants pour manipuler les draps, champs et compresses souillés.
- Informer le personnel des méthodes de prévention personnelle (voir plus bas). Ne
pas omettre d'informer tout nouvel arrivant.
Se protéger soi-même
- Si vous présentez une plaie cutanée, la protéger par des pansements étanches.
- Si vous recevez un liquide corporel dans l'œil, le rincer immédiatement à grande eau
ou au sérum physiologique pendant dix minutes.
- Si vous vous coupez pendant une intervention, l'interrompre, enlever les gants,
nettoyer largement la plaie au dakin, faire tremper pendant dix minutes. Se relaver les mains,
remettre des gants et reprendre l'intervention.
- Ne pas se rincer trop fréquemment les mains à l'alcool car cela peut entraîner des
lésions cutanées.
- S'il est arrivé à beaucoup de chirurgiens d'opérer sans gant par nécessité, les temps
actuels ne le permettent plus.
Conclusion
Ficelle, bouchons de liège, bouchons de flacons de perfusion, rayons de bicyclettes,
fers ronds, plâtre de Paris, chignole, dominos d'électricien, tubes métalliques, chatterton, sacs
de sable...
Tout cela évoque plus une encyclopédie du bricolage que le matériel élégant et
onéreux que nous utilisons en Europe.
523
Néanmoins, les recettes décrites ici peuvent permettre de faire face à bien des
situations difficiles.
L'important est d'obtenir le résultat le plus acceptable possible lorsqu'on est démuni. Il
faut parfois savoir renoncer, et ne pas entreprendre des interventions si l'on ne dispose pas du
plateau technique suffisant.
524
Urgences en obstétrique
J.-C. CAZENAVE
Ce chapitre est destiné au médecin qui n'a jamais fait d'obstétrique et est appelé en
urgence pour un accouchement difficile, circonstance au cours de laquelle il est illusoire
d'ouvrir un quelconque traité d'obstétrique, même le meilleur.
Pour tout geste médical, l'étape initiale est de connaître et savoir reconnaître ce qui
est normal et, dans le cas de la femme sur le point d'accoucher, si la grossesse est à terme et
si le travail a commencé. Rappelons d'abord quelques définitions :
- la femme est en travail quand il existe des contractions vraies six à sept fois par
heure. Il est impératif de savoir depuis quand ce travail a commencé ;
- le terme est la date normale pour l'accouchement, soit fin du 9e mois ou 40 à 41
semaines d'aménorrhée. Il est parfois dépassé, nécessitant alors un examen particulier si on
dispose du matériel et du personnel nécessaire, l'amnioscopie. L'accouchement peut à
l'inverse débuter avant ce terme, et cest l'accouchement prématuré. Le principal risque est ici
la détresse respiratoire de l'enfant par immaturité du système pulmonaire. La date fatidique
est la 36e semaine d'aménorrhée (fin du 8e mois) ; au-delà, le système pulmonaire est
suffisamment mature. Nous commencerons par décrire l'examen d'une femme enceinte en
train d'accoucher.
Examen de la mère
Avant tout, il faut rappeler cette règle impérative : avec ou sans doigtier, il est
interdit de se précipiter sur une femme pour faire un toucher vaginal avant un examen
complet.
Examen de la femme
1. Recherche d'une anémie : en principe, la clinique suffit. Il faut regarder la
coloration de la conjonctive. Rappelons que la plupart des femmes des pays en voie de
développement ont une hémoglobine en dessous de 10 g et que toute spoliation sanguine peut
devenir rapidement grave.
525
2. La pression artérielle : elle doit être systématiquement mesurée. Si les chiffres sont
élevés en décubitus ventral (supérieur à 14 pour la maxima, égal ou supérieur à 9 pour la
minima), il faut placer la femme en décubitus latéral gauche et renouveler la mesure 5 min
après.
Une hypertension artérielle doit faire craindre les complications suivantes : hématome
rétro-placentaire, retard de croissance intra-utérin et éclampsie.
3. Pouls et température : tous deux doivent également être mesurés, surtout en zone
tropicale. En zone paludéenne, toute fièvre doit faire évoquer une crise de paludisme qui
nécessite alors une injection de Fansidar intramusculaire ou une injection de quinimax.
Une diarrhée fébrile doit faire penser à l'amibiase intestinale qui doit impérativement
être traitée pour éviter les nécroses coliques amibiennes.
4. Examen des membres inférieurs à la recherche d'un œdème. S'il existe un œdème
qui prend le godet, avec une pression artérielle élevée, il faut craindre une éclampsie. Vérifier
les urines : couleur, abondance, existence d'une dysurie.
5. Enfin, bien examiner l'abdomen à la recherche d'une cicatrice de césarienne,
parfois cachée dans des replis cutanés chez la femme obèse (risque de rupture utérine).
Examen obstétrical
Hauteur utérine
II doit toujours débuter par la mesure de l'utérus qui, à terme, avoisine 32 cm. La
mesure est prise comme le schématise la figure 27.1 : c'est la distance qui sépare le bord
supérieur du pubis et la main empaumant le fond de l'utérus.
526
4 cm/mois jusqu'au 1e mois inclus
+ 2 cm pour le 8e mois
+ 2 cm pour le 9e mois
Si la hauteur utérine est nettement plus élevée que ne le laisserait supposer la date de
la grossesse, il faut se méfier des grossesses gémellaires ou d'un hydramnios qui survient en
général avant le terme et qui témoigne d'une anomalie fœtale ou d'une macrosomie avec
risque de dystocie d'épaule.
Si à terme la hauteur utérine est moindre, il peut s'agir d'un retard de croissance intra-
utérin qui, quand il est associé à une hypertension artérielle, à des œdèmes, doit faire prévoir
un accouchement à risque : on préfère alors la césarienne à l'accouchement par voie basse. Il
peut également s'agir d'une présentation transverse (Fig. 27.2) : la recherche des pôles du
fœtus et des bruits du cœur sont ici impératifs.
Examen du bassin
À l'interrogatoire, il faut rechercher un antécédent de poliomyélite, très fréquente dans
les pays en développement et qui rend le bassin asymétrique, pouvant interdire
l'accouchement à terme par voie basse.
527
À l'examen, les ischions doivent être distants de 8 cm, ce qui témoigne d'un bassin
osseux normal. Le toucher vaginal appréciera ensuite le détroit supérieur (Fig. 27.3).
528
Une bradycardie fœtale, voisine de 110, témoigne d'une souffrance fœtale.
Une tachycardie témoigne le plus souvent d'une fièvre mais aussi d'un traitement
médical inadéquat : bêta-mimétiques à terme ou drogues locales de la pharmacopée
traditionnelle. Il faut alors interroger l'entourage.
Localiser les bruits du cœur dans la grossesse à terme permet de déterminer la position
du fœtus : s'ils sont entendus au-dessus de l'ombilic, il s'agit toujours d'un siège ; au-dessous,
la présentation est céphalique (Fig. 27.4 et 27.5). Dans la présentation transverse, les bruits du
cœur sont sous l'ombilic, c'est-à-dire au milieu.
S'ils sont très nets et de bonne intensité, le dos est en général en avant, position
favorable pour un accouchement par voie basse. S'ils sont faibles et d'intensité modérée, le
dos est en général en arrière : il s'agit alors d'une présentation avec tête défléchie (Fig. 27.6).
Palpation de l'utérus
La palpation utérine, en dehors des contractions, en refoulant le dôme utérin, permet
de sentir un des pôles fœtaux et souvent le dos. Cette manœuvre est utile pour prévoir la
présentation du fœtus quand on ne dispose pas d'échographie.
529
Toucher vaginal
Le toucher vaginal (Fig. 27.7) permet d'apprécier plusieurs paramètres :
- la largeur du bassin : on ne doit pas sentir le détroit supérieur ;
- l'état du col ;
- la présentation : soit elle est haute et refoulable (l'accouchement n'est alors pas imminent),
soit la tête appuie, notamment au moment d'une contraction, soit encore la tête est engagée (Fig. 27.8)
- enfin, l'état des membranes : il est utile d'effectuer un toucher vaginal lors d'une contraction
pour bien apprécier l'état des membranes (Fig. 27.9).
Accouchement normal
Dans l'accouchement normal, la présentation est céphalique.
Lorsque le travail a débuté, les contractions sont régulières. La tête appuie bien, c'est-à-dire
qu'on ne peut pas la refouler lors du toucher vaginal. Le col se dilate progressivement et
régulièrement, ce que l'on vérifie par des touchers vaginaux toutes les 30 min.
530
Après dilatation complète, il apparaît une envie de pousser et, si le rectum n'est pas
vide, il y a souvent une exonération de selles.
531
Anomalies - difficultés
Quelquefois, le rythme cardiaque fœtal peut diminuer de 140 à 100. Il s'agit
alors soit :
- d'un engagement trop rapide ;
- d'un enroulement du cordon, qui peut être simple ou double et, dans ce cas, à l'arrêt
de la contraction, les bruits du cœur remontent spontanément à 140. Lorsqu'il existe un
enroulement du cordon avec un tour de spire, il faut accélérer l'accouchement en utilisant des
spatules. Lorsqu'il existe un seul tour, on dégage une épaule puis une autre en passant le
cordon sur l'épaule. S'il existe deux circulaires, il faut sectionner le cordon lorsque la tête
apparaît à la vulve.
Parfois, la bradycardie fœtale peut être plus importante, avec un rythme cardiaque
inférieur à 60-80 par minute. Il s'agit alors d'une procidence ou d'une latérocidence du cordon.
Cette dernière est plus grave car on ne la détecte pas au toucher vaginal (Fig. 27.11). Il faut
effectuer une césarienne, soit un refoulement de la tête en haut et mettre la patiente en
procubitus.
Une autre difficulté possible est la stagnation de la dilatation du col, qui survient en
général entre 4 ou 5 cm de dilatation. Au toucher vaginal, l'ouverture du col est identique à ce
qu'elle était 30 min auparavant. Le col est souvent œdématié au niveau de sa lèvre antérieure
ou postérieure et, au niveau de la présentation, on perçoit une bosse séro-sanguine en
formation. Il s'agit ici toujours d'une présentation mal fléchie avec une tête qui n'arrive pas à
tourner spontanément sur le pelvis et sur les muscles releveurs. On peut mettre la patiente en
décubitus latéral gauche ou en position accroupie, si les bruits du cœur sont normaux entre
chaque contraction, et examiner de nouveau la femme après 30 min pour voir si ces mesures
se sont avérées efficaces.
532
Enfin, il peut y avoir une absence complète de dilatation malgré les contractions
utérines parfaitement régulières. Il s'agit alors d'une disproportion fœto-pelvienne. La tête ne
passera pas par voie basse et il faut recourir à la césarienne.
Ruptures des membranes : la rupture ne peut être effectuée que s'il existe une
présentation céphalique lors d'une contraction vers 4 à 5 cm de dilatation du col. Avec une
demi-pince de Kocher, il faut érailler la poche des eaux et contrôler la sortie du liquide avec
un doigt (Fig. 27.12) :
- liquide clair : normal ;
- liquide blanc + floconneux : prématuré dont la tête doit être protégée ;
- liquide noirâtre (méconial) : souffrances fœtales. Il faut accélérer l'accouchement
(spatules).
533
L'utilisation de spatules de Thierry est plus utile car, placées correctement à dilatation
complète sur une tête engagée, ne font courir aucun risque (sauf bien sûr pour les parties
molles) et elles permettent de tourner la tête en la tirant vers le bas avec des petits
mouvements d'asynchétisme qui doivent rester modérés. Il ne faut pas non plus exercer de
traction excessive.
La mise en place de ces spatules est expliquée dans la figure 27.13 : l'examen clinique
a permis en principe de repérer la position de la tête, de l'occiput et du dos. On place d'abord
la spatule de gauche, puis celle de droite. Ne pas oublier d'enfoncer profondément les spatules
pour avoir une prise la plus fiable et la moins traumatisante possible.
À dilatation complète, tête engagée, il faut attendre une contraction utérine. Dès que
celle-ci apparaît, il suffit dans la présentation la plus commune (oblique gauche antérieure) de
tourner d'un quart de tour dans le sens contraire des aiguilles d'une montre (Fig. 27.14a). Dans
la présentation droite antérieure, la rotation se fera d'un quart de tour dans le sens des aiguilles
d'une montre (Fig. 27.14b). Dans la position droite postérieure, soit la tête devra sortir en
occipito-sacré, faisant courir un risque majeur pour les parties molles, soit les conditions sont
favorables pour une grande rotation. La rotation se fera soit dans le sens des aiguilles d'une
montre pour les droite postérieure (Fig. 27.14c), soit au contraire dans le sens inverse des
aiguilles d'une montre pour une gauche postérieure (Fig. 27.14d).
Déterminer le sens de traction est souvent difficile. Si la petite fontanelle n'est pas
perçue, il est souvent conseillé d'effectuer la rotation dans le sens qui offre le moins de
résistance. On est alors souvent surpris de voir la tête descendre spontanément. Puis, en
essayant d'abord à droite et à gauche, la tête descendra facilement dans sa meilleure position,
la plus favorable.
534
Ensuite, par des mouvements de traction vers le bas, c'est-à-dire vers le sol, on peut
mobiliser et attirer la tête qui franchira ensuite la symphyse pubienne. On réalise alors une
épisiotomie verticale médiane, ce qui permet d'obtenir une expulsion plus rapide sans
occasionner de dégâts pour les parties molles.
535
Rétention de l'épaule
Une fois que la tête a franchi le périnée, elle est quelquefois « aspirée », comme
ventousée sur le périnée. Il s'agit d'une rétention de l'épaule antérieure qui est bloquée au
niveau de la symphyse pubienne. Le plus simple est ici d'appuyer au-dessus de la symphyse
pubienne pour dégager cette épaule en essayant simultanément par un mouvement de traction
vers la droite ou vers la gauche d'enrouler le tronc du fœtus pour la débloquer.
Surtout, il ne faut jamais rompre la poche des eaux car elle va permettre une
meilleure dilatation cervicale. Ce n'est qu'à la dilatation complète que l'on peut fissurer la
poche des eaux lors d'une contraction, si elle ne s'était pas spontanément rompue. Les
mouvements expulsifs lors de l'accouchement vont faire descendre le siège soit pieds en
avant, soit fesses en avant. Il ne faut surtout pas tirer, ni même retenir le fœtus. Il faut
laisser l'accouchement se réaliser tout seul.
Quand le tronc apparaît, le dos est toujours tourné vers l'opérateur, vers le haut. Il
faut à ce moment-là, à l'aide des deux mains, l'une sur le ventre l'autre sur le dos, dévisser
le tronc pour faire passer les épaules (Fig. 27.15). On dévisse d'abord le tronc vers la
droite en tirant vers le bas : l'épaule supérieure apparaît. Ensuite, on dévisse vers la
gauche, toujours en tirant vers le bas : les épaules se dégagent facilement.
Pour la tête, il existe plusieurs possibilités : soit ne rien faire si la progression est
spontanée. Sinon, la manœuvre de Mauriceau est la meilleure méthode pour dégager la
tête.
536
537
L'extraction d'un deuxième jumeau en position de siège constitue la grande extraction
du siège (Fig. 27.16).
Épisiotomie
II est toujours plus utile et plus facile de pratiquer une épisiotomie verticale, c'est-à-
dire sectionner avec les ciseaux sur 3 cm entre la fourchette naviculaire et l'anus. Il ne faut
jamais sectionner le sphincter anal mais, si cela survenait, on peut le suturer en plusieurs
plans sans aucun problème.
La suture de l'épisiotomie s'effectue par des points séparés de catgut ou par un surjet
au niveau du vagin, puis par des points séparés sur le muscle releveur avec du fil à résorption
lente, en commençant par le haut, puis en descendant progressivement vers le bas (Fig.
27.17). Ensuite, on effectue un surjet sous-cutané avec un fil à résorption lente et on termine
la réparation par un surjet cutané avec du fil à résorption très rapide. En l'absence de ce
dernier, on peut se contenter du surjet sous-cutané. Il n'y aura donc pas de points à enlever.
Plaie ano-vulvaire
En cas d'atteinte du sphincter anal, il faut suturer la muqueuse anale avec du fil de
catgut, puis les muscles, en portant une attention toute particulière au sphincter avec du fil à
résorption lente, enfin les fascias avec du fil à résorption lente. Les autres plans d'épisiotomie
sont alors suturés comme décrit ci-dessus.
538
Dystocies africaines
L. BELLIER
Nous allons maintenant décrire les dystocies africaines telles qu'on les observe
encore actuellement, surtout dans le but de préparer ces jeunes médecins à cette «
obstétrique sans monitoring ».
Définitions - généralités
II y a dystocie lorsqu'une ou plusieurs anomalies viennent perturber l'évolution du
travail, de l'accouchement.
Il existe plusieurs causes de dystocie qui peuvent avoir une importance et une gravité
variable, avec possibilité de retentissement fœtal, et on distingue les dystocies que l'on peut
corriger par des manœuvres obstétricales, autorisant un accouchement par voie basse, et
celles qui constituent un obstacle définitif, imposant une césarienne.
539
Enfin, chez une femme donnée, il faut distinguer la dystocie fortuite, qui caractérise
un seul accouchement, et la dystocie permanente qui imposera une nouvelle césarienne à
chaque naissance.
Il paraît donc utile d'aborder l'étude des dystocies africaines à partir de leurs causes,
des indications thérapeutiques qui en découlent et des résultats des césariennes pratiquées
dans une formation sanitaire donnée. Le nombre de césariennes effectuées reflète l'incidence
des dystocies, et il peut de prime abord apparaître relativement faible (moyenne « habituelle »
de 10 césariennes pour 100 accouchements), si l'on tient compte du fait que ces chiffres
reflètent l'activité d'une structure sanitaire dans laquelle sont transférés les cas difficiles. En
effet, la plupart des accouchements s'effectuent en dehors de toute structure sanitaire. Ces
chiffres sont retrouvés tant dans les postes isolés de brousse que dans les centres urbains.
L'étude rétrospective portant sur 1 000 césariennes pratiquées dans le même centre,
dirigé par l'auteur, permet de se représenter l'étendue actuelle du problème.
Rappel étiologique
On peut schématiquement distinguer trois types de dystocies qui peuvent d'ailleurs se
combiner ou se compliquer réciproquement :
540
En fait, une surveillance adaptée de la grossesse et de l'accouchement permet dans la
quasi-totalité des cas de corriger les causes de dystocie, qu'il s'agisse de bassins pathologiques
ou d'excès de volume fœtal (soupçonnables ou détectables avec un suivi soigneux de toute
grossesse), d'anomalies de la dynamique utérine (contractilité utérine, dilatation cervicale)
évaluées au cours du travail ou de la survenue de signes de souffrance fœtale aiguë. Cette
surveillance est essentiellement clinique et demande par chance habituellement peu de
matériel (mètre de couturière, stéthoscope de Pinard, tensiomètre et doigtiers), car
l'échographie, l'amnioscopie, voire la tocographie et l'enregistrement en continu du rythme
cardiaque sont bien souvent irréalisables.
Du 30 octobre 1992 au 29 mars 1995, soit sur une période de 29 mois, 1 000
césariennes ont été effectuées à la maternité de l'hôpital communautaire de Bangui
(République centrafricaine). Cette structure sanitaire, considérée comme la référence du pays,
draine la quasi-totalité des accouchements dystociques dirigés à partir des huit maternités de
quartier disséminées dans la capitale, celles-ci étant sous la responsabilité de sages-femmes et
d'assistantes accoucheuses de formation locale.
Il convient de préciser que dans l'immense majorité des cas la grossesse des femmes
que nous avons césarisées n'avait pas été suivie dans le service. Ces femmes étaient le plus
souvent reçues en urgence, généralement en travail parfois très prolongé, avec ou sans dossier
précisant les antécédents, la parité, le profil biologique (groupe, sérologies) et le résumé du
suivi de la grossesse actuelle et du travail en cours, ainsi que des médications prescrites
(ocytocique notamment) ou des manœuvres obstétricales déjà tentées.
Les tableaux cliniques étaient eux aussi variables : ici, l'hémorragie prédominait
(placenta praevia) ; là, le plus marquant était le choc (fréquence des ruptures utérines) ;
ailleurs, le principal problème était la dystocie (procidence d'un membre, du cordon, etc.).
541
Toutes ces constatations concordent bien avec ce que nous avons pu observer, le
retard pour effectuer les césariennes. De ces 1 000 césariennes, 230 n'ont pas permis de
sauver l'enfant (soit enfants décédés in utero, parfois en état de macération, soit enfant en
détresse néonatale réfractaire à toute tentative de réanimation, soit grands prématurés n'ayant
survécu que quelques heures ou quelques jours) (Tab. 28.1).
Résultats
Âge : les âges extrêmes étaient de 14 et de 46 ans.
Dystocies mécaniques
Dystocies liées au fœtus
Certaines présentations (siège, face) sont considérées comme eutociques mais peuvent
devenir parfois facteurs de dystocie. D'autres, véritablement dystociques, interdisent
l'accouchement par voie basse. Tel est le cas des présentations transversales ou de l'épaule,
dites encore épaules négligées : nous en avons recensé 92, avec fréquemment procidence du
bras : le diagnostic en est évident, et le recours à la voie haute impératif, une telle présentation
étant incompatible avec l'accouchement par voie basse (ce n'est qu'exceptionnellement qu'une
version grande extraction peut être tentée sur un second jumeau de petite taille). Nous avons
observé cette dystocie de l'épaule sur second jumeau à 43 reprises, les césariennes s'étant
alors accompagnées d'une forte mortalité fœtale.
542
Dystocies mécaniques 415
Présentations Epaules 92
Face 26
Front 15
Siège 28
543
Dystocies dynamiques
Anomalies portant sur la dilatation
Nous avons constaté 177 anomalies de la dilatation, dont des dystocies de démarrage,
des dilatations traînantes ou des stagnations de dilatation, des agglutinations et des œdèmes
du col.
Anomalies portant sur la contraction
Elles ont consisté en 52 inerties et 5 hypertonies utérines.
Procidences du cordon
La chute du cordon au-devant de la présentation est favorisée en cas de présentation
mal appliquée, anormalement haute ou anormalement petite, en cas de rétrécissement du
bassin, en cas de présentation irrégulière de l'épaule ou du siège, et en cas de placenta
prævia : nous l'avons observée 60 fois.
Au total, les dystocies les plus meurtrières (Tab. 28.3) ont été en ordre décroissant :
- les ruptures utérines, puisque parmi les 129 cas de menaces de rupture et de ruptures
franches, on a constaté 81 décès fœtaux et 5 morts maternelles sur table (la mortalité post-
opératoire n'a pas été comptabilisée). En ce qui concerne les ruptures utérines, leur fréquence,
estimée à 1/1 000 accouchements en pays industrialisé, était ici de 12,9/1 000, chiffre assez
voisin de celui observé en 1958 à Saint-Louis du Sénégal 15,7/1 000 ;
- les dystocies liées aux annexes fœtales, avec 46 décès fœtaux par placenta prævia
ou hématome rétroplacentaire et 19 où était intervenue une procidence du cordon ;
- enfin, 36 décès ont été imputés à une souffrance fœtale aiguë in utero (fœtus mort-
nés macérés) ou per partum.
544
Total de 236 enfants décédés au cours de 1 000 césariennes
- 81 après rupture utérine
- 50 après présentation transversale
- 46 après anomalie placentaire
- 36 par souffrance fœtale aiguë
- 19 procidences du cordon
- 4 de cause diverse
Conclusion
II est bien entendu illusoire de prétendre prévenir les dystocies, qu'elles fussent
mécaniques, dynamiques ou liées aux annexes fœtales, mais on doit s'astreindre en tout
premier lieu à les dépister.
- considérer toute grossesse chez la femme africaine comme une grossesse à risque
s'il n'y a pas eu de suivi régulier, en particulier pour les raisons suivantes : trop jeune âge,
répétition des grossesses, grande multiparité, grossesses multiples, infection materno-fœtale ;
- suspecter une rupture utérine et/ou une infection materno-fœtale chez toute patiente
non suivie venant « de brousse » ou même « du quartier », d'autant plus que le travail a été
plus traînant, plus prolongé ;
- bien poser les indications de césariennes pour en limiter le nombre comme on a pu le
constater ces dernières années en Europe et aux États-Unis. Leur réalisation doit être aussi
soigneuse que possible, particulièrement l'hystérorraphie ;
- munir toute femme antérieurement césarisée d'une « pancarte » ou carnet de santé
comportant le groupe sanguin et l'indication de (ou des) intervention(s) antérieure(s). La
surveillance du travail doit être particulièrement minutieuse car il faut au moindre doute
réintervenir afin de prévenir la rupture, si fréquente sur utérus cicatriciels, et si meurtrière ;
- tout faire pour convaincre les femmes enceintes de la nécessité du suivi périodique
de leur grossesse : information (centre de PMI, émissions radiodiffusées, télévisées),
multiplication des centres de soins de santé primaire et incitation à les fréquenter,
multiplication des séances d'éducation et des programmes de dépistage des grossesses à haut
risque, formation périodique du personnel soignant, amélioration de la surveillance des
femmes enceintes (partogrammes).
545
Traumatismes thoraciques
A. DELAYE, C. MALMEJAC
Lésions
Mécanismes
Le traumatisme thoracique grave est toujours violent : écrasement appuyé, heurt à
grande vitesse. Comme pour tout traumatisme fermé, les lésions sont consécutives à des
transferts d'énergie brutaux responsables d'un effet de cavitation. L'importance de l'énergie
nécessaire à ces grands traumatismes explique la fréquence des lésions multiples. Toutes ces
associations compliquent les tableaux cliniques et la démarche thérapeutique.
546
Types de lésions (Fig.29.1)
Le type de lésions dépend beaucoup de l'âge.
Chez le sujet jeune à thorax souple, le traumatisme provoque des fractures qui restent
habituellement rares, et les dégâts endothoraciques prédominent ; chez le sujet plus âgé,
les lésions pariétales sont plus importantes et absorbent davantage d'énergie cinétique.
547
Le volet est classiquement animé d'une respiration paradoxale, c'est-à-dire en
opposition de phase : impaction inspiratoire (avec diminution des pressions négatives
intrathoraciques), refoulement expiratoire ; mais il peut être flottant, animé de
mouvements anarchiques, engrené si la respiration est très superficielle (avec risque de
mobilisation secondaire quand l'encombrement, augmentant les résistances bronchiques,
va nécessiter un surcroît d'énergie ventilatoire), ou embarré en une thoracoplastie
immédiate ou progressive, vite irréductible. Le mouvement asynchrone du volet a
longtemps été considéré comme facteur principal de l'insuffisance respiratoire des
traumatismes thoraciques (théorie de l'air pendulaire). En fait, maintenant, on attribue
surtout le trouble de l'hématose à un épanchement, un encombrement bronchique, une
hypoventilation alvéolaire due à la douleur provoquée par les mouvements respiratoires qui
deviennent donc moins amples et/ou une contusion pulmonaire. Il n'en reste pas moins vrai
qu'un volet mobile peut nettement aggraver une hypoventilation alvéolaire et qu'il fait perdre
son appui costal à tout effort de toux.
Le comportement des volets costaux dépend en partie de leur localisation (Fig. 29.2).
Les volets postérieurs résultent soit d'une seule rangée de fracture siégeant sur la ligne
axillaire postérieure, soit de deux lignes fracturaires, l'une située à l'angle costal postérieur,
l'autre au niveau de l'arc moyen (Fig. 29.2a) ; ils sont peu mobiles, fixés par des masses
musculaires épaisses et la ceinture scapulaire, si elle est intacte. Rapidement, la douleur
devient moins intense et la toux possible. Ces volets peuvent cependant évoluer vers une
thoracoplastie très vite irréductible (Fig. 29.3).
Les volets axillaires, les plus fréquents (Fig. 29.2b), sont volontiers très mobiles ; ce
sont aussi les plus accessibles à une synthèse simple et immédiatement efficace sur la
cohésion pariétale et la douleur.
Les volets antérieurs (Fig. 29.2c) sont les plus complexes et les plus sollicités par les
mouvements respiratoires et la toux. Ils isolent soit un double plastron costal et sternal, soit
un plastron sternocostal articulé sur la jonction chondro-costale opposée ou une autre ligne de
fracture. Il peut s'y associer une fracture transversale du sternum et/ou une fracture
claviculaire (parfois bilatérale) entraînant une détresse cardio-respiratoire par « thorax en
entonnoir traumatique » mobile. La synthèse costale par broches y est délicate (appuis
instables sur des cartilages friables, risque ultérieur de chondrite chronique), et la synthèse
sternale, plus solide, ne résout pas toujours le problème costal ; la traction au zénith par étrier
trouve ici sa meilleure indication. Une fracture biclaviculaire doit être traitée par
ostéosynthèse. Enfin, devant toute lésion pariétale antérieure, il faut suspecter une lésion
cardio-péricardique sous-jacente. Les fractures du défilé thoracique ou une fracture
concomitante de la ceinture scapulaire doivent, elles, faire suspecter une lésion des gros
vaisseaux supra-aortiques ou de l'axe aérodigestif.
548
Le « thorax mou », par volet constitué de multiples esquilles, détruit toute
homogénéité pariétale ; sa gravité respiratoire immédiate impose une assistance
ventilatoire. Le bilan initial des lésions osseuses peut se révéler complexe.
Parfois, on retrouve le volet à la seule inspection (s'il est mobilisé, en cas d'effort
respiratoire, d'agitation, de toux, etc.), mais aussi à la palpation douce, par une seule main
posée à plat qui peut ressentir un crépitement osseux, une respiration paradoxale ou un impact
engrené ; les limites exactes de la lésion restent cependant indécises. Quand le volet est peu
ou pas mobile, il peut être masqué par les hématomes pariétaux et un emphysème sous-
cutané.
Au début, en fait, le volet est le plus souvent fixé par la contracture musculaire
antalgique et ce n'est que secondairement que peut apparaître la respiration paradoxale, sous
l'effet d'un traitement antalgique et/ou parce que l'hypoxie consécutive à une contusion
parenchymateuse sous-jacente est à l'origine d'une polypnée.
En urgence, les clichés thoraciques « standard » sont habituellement peu utiles car de
qualité médiocre : seuls les arcs postérieurs sont bien visibles, parfois en partie masqués par
les images pleuro-parenchymateuses : le plastron sternocostal est invisible de face ; de profil,
seul le sternum est nettement visualisé. Un cliché « dur » peut améliorer la qualité mais, en
pratique, il n'est pas indispensable de multiplier incidences et pénétrations pour tenter d'en
savoir plus : les renseignements fournis restent toujours incomplets.
Lésions musculo-aponévrotiques
Les lésions musculo-aponévrotiques et pleurales sont très fréquentes dans les
traumatism.es thoraciques : les muscles intercostaux sont dilacérés et désinserrés ; les
pédicules déchirés saignent dans la plèvre ; les grands muscles (dorsal, pectoral, dentelé) sont
le siège d'hématomes, de contusions, de suffusions, de lacérations. La plèvre pariétale,
déchirée par les biseaux costaux, peut aussi être décollée par un hématome sous-pleural.
Les ruptures diaphragmatiques sont plus fréquentes à gauche, mais aussi plus
souvent diagnostiquées qu'à droite où elles sont moins parlantes.
549
À droite, la rupture n'est symptomatique que si elle s'accompagne d'une hernie aiguë
du foie, de lésions de la veine cave inférieure ou des veines sus-hépatiques.
Traumatismes parenchymateux
Le parenchyme pulmonaire peut être le siège de lésions diverses à type d'effractions
corticales et de lésions plus ou moins étendues de contusion ; ce sont les causes directes les
plus fréquentes de morbidité et de mortalité.
Les embrochages corticaux sur les biseaux costaux ou les déchirures pleurales sur
brides avec effraction de la plèvre viscérale sont les plus fréquents. Ces lésions sont le plus
souvent superficielles et se traduisent habituellement par un hémopneumothorax. Isolées,
elles cicatrisent en quelques jours sous simple drainage aspiratif, à condition que rien
n'empêche une réexpension satisfaisante.
Le concept de contusion pulmonaire est mieux connu depuis ces vingt dernières
années tant au plan anatomopathologique que physiopathologique ; les lésions résultent d'un
traumatisme direct du gril costal sur le parenchyme pulmonaire. La gravité de la contusion
dépend de l'intensité et de l'étendue des lésions parenchymateuses qui peuvent déterminer une
insuffisance respiratoire irréversible. Seules les formes graves sont réellement connues et ont
fait l'objet de publications ; les formes mineures, peu étendues, sont sans doute fréquentes,
mais elles sont paucisymptomatiques et passent souvent au second plan dans le tableau
général.
550
« réfractaire ». Les transfusions abondantes et la surcharge hydrique sont des facteurs
nettement aggravant.
Le tableau initial est le plus souvent préoccupant, associant tous les signes de gravité
d'un traumatisme thoracique important. La première radiographie a peu de valeur pour
apprécier l'importance des lésions parenchymateuses. Le diagnostic repose en fait à ce stade
sur la clinique : hémoptysie, décompensation immédiate ou rapide d'un volet, hypoxémie
devant faire très rapidement recourir à une ventilation assistée. Les signes radiologiques
apparaissent secondairement ; ils sont parfois découverts à l'occasion d'un cliché de
surveillance d'un drainage : opacités alvéolaires inhomogènes et multiples, non systématisées,
réalisant au maximum le « poumon blanc ». L'hypoxie, mesurée par la gazométrie, reflète
mieux que la radiologie la gravité et l'étendue de l'atteinte parenchymateuse.
Dans les formes étendues, l'évolution est grave : en contexte équipé, le décès survient
une à deux fois sur quatre par défaillance respiratoire non corrigeable par la ventilation
mécanique. Passé le cap initial, elle peut se faire vers la « guérison », mais au prix d'une
fibrose pulmonaire parfois invalidante. D'autres complications peuvent survenir : constitution
d'un hématome de cicatrisation lente, surinfection avec abcédation, pneumatocèle, etc. La
responsabilité de ces lésions de contusion est aujourd'hui soulignée dans la genèse des
insuffisances respiratoires post-traumatiques immédiates et dans la mobilisation secondaire
d'un volet jusque-là engrené.
551
Épanchements aériques
Le pneumothorax, retrouvé dans 40 % des cas et où il domine parfois le tableau,
résulte le plus souvent d'une déchirure corticale du parenchyme (biseau costal, bride) et
exceptionnellement d'une rupture de l'axe aérodigestif des voies aériennes.
L'hémopneumothorax est sans doute plus fréquent que le pneumothorax isolé, d'autant
plus que l'épanchement aérique interdit la réexpension pulmonaire et son effet hémostatique.
L'air peut fuser à travers une déchirure des espaces intercostaux et des plans
musculaires, et faire apparaître un emphysème sous-cutané par dissection gazeuse des espaces
celluleux. L'emphysème est parfois très impressionnant par son volume et son extension, mais
il est sans gravité propre et ne reflète pas toujours fidèlement l'importance des lésions
causales. S'il persiste ou s'aggrave, il faut cependant évoquer un contrôle insuffisant de la
fuite responsable. Une fois la fuite aérique contrôlée, il est long à se résorber...
Épanchements sanguins
L'hémothorax, conséquence des délabrements pariétaux, des lésions des vaisseaux
intercostaux ou mammaires internes, d'embrochages ou de déchirures pulmonaires, plus
rarement de lésions des gros vaisseaux, y compris des vaisseaux hilaires, est pratiquement
constant dans les traumatismes thoraciques ; il est responsable de la symptomatologie initiale
dans 30 % des cas.
552
(exclusion d'une partie de poumon qui devient atélectasique) et hémodynamiques (qui
majorent l'hypoxémie hypovolémique).
L'évolution spontanée d'un hémothorax « isolé » n'est jamais simple car une réaction
inflammatoire précoce transforme le tableau en pleurésie hémorragique : poches pleurales
exclues, surinfection, récidives entretenues par une fibrinolyse locale sont alors habituelles. Si
le drainage s'avère insuffisant, la prévention de ces complications fait appel à une toilette
pleurale précoce, à ciel ouvert ou par thoracoscopie ; cette dernière démarche,
malheureusement pas toujours réalisable en situation précaire, a l'avantage de permettre un
bilan lésionnel, de pouvoir coaguler une lésion pariétale qui saigne et de décider ou non d'une
thoracotomie.
L'hémomédiastin peut être soit une suffusion hématique médiastinale diffuse soit, plus
souvent, un hématome localisé qui peut limiter pour un laps de temps variable une
hémorragie d'un gros vaisseau. S'il est compressif, il donne le tableau de « collapsus bleu »
avec dyspnée aiguë, hyperpression veineuse du territoire cave supérieur et dysphagie ; il est
ici exceptionnel. Il n'est pas toujours simple à apprécier radiologiquement (clichés excentrés,
décubitus dorsal, etc.) et son diagnostic est peut-être plus souvent posé par excès que par
défaut.
Encombrement broncho-pulmonaire
L'encombrement broncho-pulmonaire après traumatisme thoracique peut être précoce
(décompensation rapide d'une pathologie antérieure, saignement intrabronchique, inhalation
de liquide gastrique) ou plus souvent retardé (hypersécrétion, stase, surinfection).
L'hypercapnie, due à une diminution des surfaces d'échange alvéolaire, provoque une
hypersécrétion bronchique (cercle vicieux encombrement-hyper-capnie) qui, à son tour,
augmente l'encombrement et les résistances ventilatoire. Cela peut provoquer une
augmentation des pressions ventilatoires et une respiration paradoxale par mobilisation d'un
volet costal jusque-là engrené. L'hypercapnie est en elle-même source d'agitation, avec
perturbation de la ventilation et épuisement. Enfin, chez le sujet ventilé, les fortes pressions
d'insufflation peuvent faire passer de l'air dans l'estomac, avec risque de compression
diaphragmatique. Enfin, dès J3-J4, il peut y avoir une surinfection broncho-pulmonaire, avec
épaississement des sécrétions, apparition de foyers de broncho-alvéolite, gêne à la diffusion
des gaz au niveau alvéolaire, surinfection pleuro-pariétale secondaire et retentissement sur
l'état général.
553
Figure 29.3 : Traumatismes thoraciques fermés : genèse de l'insuffisance
respiratoire ; l'hypoventilation initiale peut être rapidement aggravée par un encombrement
broncho-alvéolaire entraînant une hypercapnie, elle-même facteur d'hypersécrétion
bronchique.
L'encombrement peut être évident (respiration bruyante, gros râles humides, audibles
et perceptibles à travers la paroi) ou discret bien que patent (sujet épuisé à ventilation
superficielle, bouchons mucosanglants adhérant et obstruant complètement, bronches
segmentaires ou lobaires avec alors silence respiratoire).
Rôle de la douleur
La douleur post-traumatisme thoracique joue toujours un rôle important dans la
pathogénie des complications et de la décompensation respiratoire.
Ainsi donc, la douleur qui a longtemps été négligée, est un facteur d'aggravation
incontestable, et elle doit être traitée vigoureusement.
Le premier temps peut être bref : c'est une phase d'hyperventilation avec hypoxémie et
alcalose respiratoire : SaO2 < 92%, discrète élévation du pH autour de 7,48, PaCO2 autour de
554
35 mmHg, HCO3- autour de 22 mEq/1. Ce profil gazométrique initial est aussi celui de la
contusion pulmonaire au tout début, mais l'oxygénothérapie seule est ici inefficace.
L'évolution spontanée se fait vers l'épuisement, en raison du surcroît de travail induit
par l'hypoxie et de la majoration progressive de la dette en oxygène. L'encombrement
broncho-pulmonaire puis la surinfection hâtent l'aggravation.
Une acidose installée doit faire perfuser rapidement du sérum bicarbonaté, d'autant
plus que la réouverture vasculaire s'accompagne immédiatement d'une mise en circulation des
ions H+ stockés en « périphérie ».
555
2. Il faut impérativement maintenir la liberté des voies aériennes pour contrôler
l'hématose et assurer une oxygénothérapie efficace (8-12 1/min avec humidification si l'on
dispose de ventilateurs).
L'aspiration bucco-pharyngée, puis naso-trachéale, et éventuellement sous
laryngoscopie directe, peuvent suffire. Il faut parfois intuber d'emblée, toujours après
aspiration et oxygénation généreuse (risque d'arrêt cardiaque si hypoxie profonde et
hypercapnie), et toujours après avoir drainé un éventuel épanchement compressif. Une
hémoptysie importante peut imposer une intubation sélective pour protéger le poumon sain et
le désencombrer correctement, mais ce geste nécessite du matériel très particulier et une
expérience poussée, facteurs rarement réunis dans des conditions précaires d'exercice.
La trachéotomie immédiate n'est indiquée que si l'intubation est impossible : fracas maxillo-
facial ou laryngé, brûlures hautes, etc.
4. La pose d'une sonde gastrique doit être un geste de routine pour prévenir ou traiter
une dilatation digestive réflexe très habituelle et diagnostiquer éventuellement une
éviscération diaphragmatique. Une sonde urinaire permet de contrôler simplement la fonction
rénale.
Traitement de la douleur
II faut prendre en charge la douleur dès l'orage initial contrôlé. La contention pariétale
par sparadrap élastique ou par bourdonnet doit être évitée : non seulement elle n'a que des
effets antalgiques mineurs mais elle diminue l'amplitude des mouvements respiratoires en
fixant le thorax. Au total, on obtient l'inverse de l'effet recherché.
Les antalgiques mineurs sont souvent insuffisants pour autoriser une ventilation ample. Les
opiacés par voie générale ont plusieurs inconvénients : ils dépriment la toux, sont émétisants
et font courir le risque de dépression respiratoire. Ils peuvent cependant être utilisés dans les
conditions idéales, c'est-à-dire chez un patient intubé et ventilé artificiellement, car les
aspirations trachéales sont possibles et les voies aériennes sont protégées par le ballonnet de
la sonde d'intubation.
L'anesthésie locorégionale par blocage des nerfs intercostaux est efficace mais
astreignante, car l'effet analgésique est relativement bref, obligeant à répéter les injections.
Pour pallier cet inconvénient, on peut poser d'emblée dans l'espace intercostal un cathéter
court, comme un cathéter épidural, ce qui autorise des réinjections. Elle reste cependant bien
souvent la meilleure solution, pratiquement toujours réalisable. L'analgésie qu'elle procure est
excellente, ce qui permet une ventilation efficace et la mise en œuvre d'une prévention vraie
des complications immédiates et des séquelles ; sous analgésie, on peut débuter très
précocement les massages de la paroi, la mobilisation scapulaire, les mouvements
respiratoires amples, le travail abdomino-diaphragmatique et le drainage bronchique. Cette
technique a cependant l'inconvénient de faire courir des risques de surdosage en
anesthésiques locaux, ce qui en limite l'intérêt dans les traumatismes thoraciques étendus.
556
L'injection est effectuée au niveau de l'angle costal postérieur, soit à 4 ou 5 cm en
dehors de la ligne des épineuses (et non dans le foyer fracturaire puisqu'il s'agit de réaliser un
blocage métamérique) : à ce niveau, le nerf qui se ramifie en ses branches perforantes
antérieure et postérieure tend à se localiser en avant du bord inférieur de la côte supérieure. Il
faut donc piquer au bord inférieur de la côte supérieure de l'espace jusqu'au contact osseux.
On retire ensuite l'aiguille d'un demi-centimètre, puis on la réenfonce d'une même longueur et
légèrement plus vers le bas de manière à passer juste sous le rebord costal (et en aucun cas à
plus de 2 mm sous le rebord). On aspire alors avec la seringue et, s'il n'y a pas de reflux de
sang, on peut pratiquer l'injection (Fig. 29.4). Avec cette technique, le risque de
pneumothorax est minime (mais il existe et il faut assurer une surveillance respiratoire après
tout bloc intercostal). Le geste n'est cependant pas toujours facile chez un sujet obèse ou en
cas d'emphysème sous-cutané important.
La lidocaïne, à raison de 3 ml par espace, procure une analgésie plus brève que la
buvipacaïne dont l'effet se prolonge de 6 à 8 h. La posologie de la buvipacaïne est de 2
mg/kg, soit une dose totale par injection de 24 à 30 ml d'une solution à 0,5 % (150 mg
environ pour 70 kg). À défaut de buvipacaïne, l'effet de la lidocaïne peut être renforcé et
prolongé par l'infiltration, dans le même temps, de 3 ml par espace d'alcool à 60° ; cette
injection d'alcool ne doit pas être répétée.
L'effet ne sera net que si l'on bloque au moins trois pédicules contigus. Il ne faut pas
réaliser de bloc en dessous du 7e espace, car il y a risque de paralysie des muscles
abdominaux.
557
Les injections sont surtout nécessaires au début pour faciliter la ventilation, puis
ensuite pour préparer le patient aux séances de kinésithérapie et d'expectoration qui
mobilisent toujours douloureusement les foyers fracturaires. Il faudra les répéter en fonction
des besoins pendant les 5 à 7 j qui suivent l'accident, terme au bout duquel les foyers
commencent à se fixer et à devenir moins douloureux...
L'ostéosynthèse enfin, si elle est indiquée, immobilise les foyers, ce qui atténue
rapidement la douleur et peut permettre une mobilisation effective et le lever dès la 48e h.
Traitement de l'encombrement
Le traitement de l'encombrement doit être une préoccupation immédiate et
permanente chez tout traumatisé du thorax ; il implique la participation effective du patient et
celle, conjointe et attentive, de l'équipe soignante. Il faut multiplier les séances déclives, les
aides à l'expectoration, sans toutefois saturer ni fatiguer le patient. Le pronostic dépend
beaucoup de cette seule astreinte.
- L'aspiration trachéale par voie nasale, chez le sujet conscient, plus que d'assurer une
véritable aspiration endoluminale déclenche en fait un réflexe de toux. Pénible et
douloureuse, elle n'est pas toujours vraiment efficace et demande une bonne dose de patience
de la part de l'opérateur.
• par une sonde d'intubation temporaire : elle se fait à l'aveugle, mais on peut la faire
précéder d'un décubitus latéral déclive qui peut en améliorer le rendement ;
• par un bronchoscope rigide : elle est efficace sur les grosses bronches et parfois
seule indiquée quand les sécrétions sont épaisses, quand il existe mucus et/ou sang séché ;
• par un fibroscope qui permet de laver plus précisément les orifices plus distaux.
C'est par le bronchoscope rigide que l'on peut le plus facilement extraire à la pince les
véritables corps étrangers que sont les caillots sèches ou le mucus concrète ; la fibroscopie,
bien supportée et de mise en œuvre moins lourde, peut être plus facilement répétée ; si
nécessaire, elle peut se faire à travers une sonde d'intubation.
Ces manœuvres ne doivent pas aggraver la dette en oxygène et le geste doit être
encadré par une oxygénation large et se faire si possible sous anesthésie locale. L'analgésie
pariétale préalable rend plus tolérables ces aspirations souvent douloureuses.
- La trachéotomie de seconde intention facilite les aspirations itératives, soit par une
simple sonde, soit sous fibroscopie. Chez un sujet asthénique, expectorant peu et supportant
mal la douleur, elle peut éviter la décompensation par inondation bronchique et le recours à
une assistance ventilatoire. Elle reste, dans ce contexte précis, un traitement de
558
l'encombrement non maîtrisé. Enfin, ses inconvénients sont moindres lorsqu'elle est utilisée
seule (sténoses orificielles moins fréquentes et de traitement plus simple) que lorsqu'elle
s'associe à une ventilation mécanique prolongée.
L'atropine, autrefois conseillée pour diminuer les sécrétions bronchiques, a des effets
non maîtrisables et peut dépasser les objectifs visés en créant de véritables concrétions
bronchiques obstructives, très difficiles à traiter, même sous bronchoscopie. Cet agent doit
être abandonné dans cette indication.
Les fluidifiants sont d'utilisation très discutée ; pour certains, ils fluidifient les
sécrétions, ce qui rend la toux plus efficace, au point de pouvoir entraîner une inondation
broncho-alvéolaire en cas de surdosage ; pour d'autres, ils sont parfaitement inutiles. Si les
sécrétions ont tendance à s'épaissir, le maintien d'une bonne hydratation générale et une
humidification permanente de l'air inspiré sont sans doute plus efficaces.
L'antibiothérapie doit être systématique tant les facteurs d'une surinfection sont
nombreux. En cas d'infection patente, elle doit dès que possible être dirigée par
l'antibiogramme.
Avant toute induction, il faut avoir rétabli une hématose correcte (perméabilité des
voies aériennes, vacuité des cavités pleurales, volémie satisfaisante). Douleur et hypercapnie
peuvent masquer une hypovolémie, et le remplissage vasculaire préalable est obligatoire pour
éviter un collapsus vasculaire. Le drainage des épanchements est impératif pour éviter de
majorer l'effet compressif d'un hémopneumothorax sur le médiastin lors de l'insufflation du
respirateur. L'oxygénation doit être généreuse pour compenser la dette. Une prémédication
n'est pas indispensable. Il faut éviter l'atropine et les dépresseurs de la ventilation. La mise en
décubitus latéral est un moment à surveiller (risque de collapsus par redistribution du volume
sanguin).
Traction-suspension pariétale
La traction-suspension a pour objectif de réduire et fixer un volet mobile, ou qui
risque de le devenir, par une méthode « non sanglante ». Elle est surtout indiquée dans les
fractures transversales du sternum (isolées ou dans le cadre d'un fracas antérieur) et dans les
volets latéraux (mais la technique est alors plus difficile). Elle est « rustique », mais peut
559
devenir complexe si l'on est obligé d'improviser vis-à-vis du matériel : il faut en effet disposer
d'un cadre externe solide fixé au lit, de poulies, de tables, de poids, d'étriers ou de pinces type
Museux de grande taille, de pinces d'Ombredanne ou de gros fil, soit de tout un matériel pas
toujours disponible quand la salle n'est pas spécialement équipée pour l'orthopédie.
Pour le sternum, il faut utiliser un étrier prenant largement les deux berges fracturaires
(type Vanderpooten, Couraud ou étrier façonné localement), ou deux étriers accouplés, ou
encore deux gros fils dec. 8 que l'on peut éventuellement doubler avant de les passer en rétro-
sternal, en amont et en aval de la fracture (Fig. 29.5). Le tout est mis sous traction au zénith,
sous 3 à 7 kg au début ; la force optimale dépend du déplacement sternal et du poids du sujet.
Localement, les incidents peuvent être multiples : si le montage n'est pas d'emblée
solide et si la stabilité est précaire, les prises peuvent progressivement déraper ; avec des fils,
le risque est une section des bords sternaux. Les autres inconvénients de cette technique sont
la contrainte des pansements la nécessité d'un nursing attentif et la possibilité de surinfection
cutanée avec risque d'ostéite.
En revanche, avec une technique et une surveillance correctes la méthode rétablit une
ventilation satisfaisante et améliore rapidement l'hémodynamique en cas de volet antérieur
avec respiration paradoxale. Elle peut éviter l'assistance respiratoire (c'est son objectif) ou
raccourcir nettement le temps de ventilation artificielle à quelques heures ou jours.
L'élargissement radiologique du médiastin contre-indique de principe cette méthode.
560
Pour un volet costal latéral, appliquer une traction efficace est bien plus complexe tant
les difficultés et complications peuvent être nombreuses : nécessité de multiples prises
costales pour immobiliser effectivement le volet, ce qui signifie montage délicat et « fragile »,
risque d'effraction pleurale lors de la mise en place, dérapage et/ou section progressive des
côtes sur le matériel de traction, infection à point de départ cutané avec possibilité
d'ostéochondrite traînante, même contrainte d'une immobilisation de 21 j, résultats
fonctionnels et physiques aléatoires (déformation, synostoses avec rigidité pariétale, douleurs
résiduelles).
Ostéosynthèse pariétale
L'ostéosynthèse costale a plusieurs intérêts : elle réduit le volet, rétablit la
morphologie et la cohésion de la paroi, conserve la mobilité physiologique, a un effet
antalgique presque immédiat (que l'on peut compléter en per-opératoire par un bloc
intercostal) et autorise une rééducation respiratoire précoce et efficace (toux et expectoration
rapidement acceptées).
La voie d'abord est une thoracotomie large pour contrôler aussi la face pleurale des
foyers de fracture, et elle sera donc postéro-latérale le plus souvent. Il faut éviter la mise en
place d'un écarteur autostatique qui risque d'aggraver les déchirures des espaces intercostaux ;
cependant, s'il est impératif d'obtenir un large écartement pour le temps intrathoracique, on
peut l'utiliser mais il faudra être le moins traumatisant possible. Même dans ces conditions, il
faut autant que possible préférer un écartement manuel.
561
La technique de l'enclouage centromédullaire est simple, et le seul incident habituel,
mais difficilement évitable, est la déchirure des gants sur les biseaux costaux, ce qui doit
inciter au port d'une double paire.
Pendant l'anesthésie
- Toilettage bronchique complet
- Reventilation des zones atélectasiées
- Toilette et drainage pleuraux optimaux
La libération des foyers fracturaires qu'il va falloir impacter doit être minutieuse pour
préserver au maximum le périoste porte-vaisseaux et éviter les
séquestres osseux « dévitalisés ». Les esquilles libres doivent être enlevées ; en revanche, les
fragments pédicules sur un lambeau de périoste viable doivent être conservés et
éventuellement fixés par une anse de fil d'acier.
La corticale costale est perforée à la pointe carrée ou directement avec la broche montée sur
l'outil en T, à 6-7 cm en avant du foyer fracturaire (Fig. 29.6). La broche introduite dans le
canal médullaire progresse à la rencontre du foyer de fracture, sans difficulté si elle reste
parfaitement dans l'axe ; les gestes doivent être prudents, pour éviter l'éclatement longitudinal
des corticales qui séparerait la côte en deux lames osseuses friables ; si cela survenait, on peut
recourir à un cerclage au fil d'acier, mais qui ne donne jamais un montage très stable.
Une fois le foyer atteint, la main gauche réduit la fracture et présente le canal
médullaire « distal », tandis que l'on continue à faire progresser la broche. Les deux surfaces
entrent au contact, et elles sont alors plus ou moins bien impactées, mais correctement
engrenées. Dans l'embrochage monofocal, la broche s'appuie sur la corticale opposée ; dans
562
l'embrochage bifocal, elle est poussée jusqu'à la perforer, pour sortir de 4 mm environ. Cette
dernière solution, plus stable, est préférable mais pas toujours possible
En utilisant l'élasticité de la broche, on peut parfois la plier pour fixer deux foyers
successifs sur la même côte (Fig. 29.7). En avant, le « trop de longueur » est sectionné à 4
mm environ de la corticale, de façon à laisser cette extrémité enfouie dans les plans profonds.
Il faut commencer par fixer les côtes les plus hautes et les plus basses pour terminer
par celles de la thoracotomie. L'embrochage est laborieux pour les premières et dernières
côtes (au-dessus de la 3e en haut et au-dessous de la 8e en bas). En fait, les arcs-boutants les
plus importants sont les côtes 3, 5 et 6.
En avant, il n'est pas nécessaire de décoller les plans musculo-cutanés pour pénétrer
les côtes hautes ou basses par rapport à l'incision : l'accès se fait par voie transcutanée et
toujours sous contrôle de la main gauche intrathoracique ; le geste doit être prudent car la
côte, aplatie, et plus encore le cartilage, sont friables et peuvent éclater sous les broches. On
peut encore réaliser la synthèse en cheminant à contre-courant, d'arrière en avant, et en
fichant l'extrémité de la broche sur le bord sternal, en monofocal.
À distance, les broches sont généralement bien tolérées. Elles peuvent cependant se
déplacer, parfois plusieurs mois après l'intervention et pointer sous la peau en provoquant un
petit hématome. Elles sont alors faciles à retirer sous anesthésie locale et avec une pince à
forte préhension.
D'autres matériels de synthèse sont proposés dans le commerce, parfois mieux adaptés
à certaines lésions. Les agrafes de Judet 29.8) en sont l'exemple le plus connu, mais il faut
563
disposer de tout un jeu de différentes tailles ; on trouve également d'autres attelles, mais de
diffusion assez « confidentielle ».
La fermeture de la voie d'abord n'est pas toujours simple lorsque le délabrement est
important : on assure l'étanchéité en appuyant les points intercostaux sur les muscles
superficiels. En cas de gros hématome pariétal, il est conseillé de poser un drain entre gril et
masses musculaires ; il ne sera pas relié au même bocal que les drains pleuraux aspiratifs.
Dans les volets engrenés, voire légèrement mobiles, avec une insuffisance respiratoire
mineure, il est possible d'éviter le recours à la ventilation assistée tant que la PaO 2 reste
supérieure à 60 mmHg en respiration spontanée à l'air libre, ou à 80 mmHg sous
oxygénothérapie.
564
Si la participation d'une contusion est certaine, la restriction hydrique initiale doit être
sévère (maximum de 1 1 par 24 h), puis les apports sont progressivement augmentés, sous
surveillance attentive ; seuls les colloïdes sont employés au début, les cristalloïdes risquant de
majorer l'œdème alvéolaire pulmonaire.
Une trachéotomie précoce n'est pas à exclure ; on tire ici profit de tous ses avantages :
réduction de l'espace mort avec moindre dépense énergétique ventilatoire, facilité de la
toilette trachéobronchique, diminution des à-coups de pression (efforts de toux en particulier)
pouvant mobiliser un volet.
Dans les atteintes respiratoires plus graves, on utilise une ventilation contrôlée avec
pressions expiratoires positives (PEP) ; la FIO2 de départ est < à 0,6 et doit être diminuée dès
que possible pour éviter la toxicité de l'oxygène sur le parenchyme contus. La PEP déplisse
les atélectasies, augmente la CRF et immobilise un volet en position inspiratoire de réduction
mais ses effets indésirables sont nombreux : le plus important est la baisse du débit cardiaque.
- Toxicité de l'oxygène
565
La réanimation, avec des gestes initiaux simples, niais aussi avec un appareillage de
surveillance sophistiqué, a définitivement pris le pas sur la chirurgie de première intention
dont les résultats étaient globalement extrêmement décevants ; les indications de la
thoracotomie sont dès lors devenues beaucoup plus précises et au total relativement rares.
Très schématiquement, les tableaux initiaux les plus classiques des traumatismes
thoraciques isolés reflètent une défaillance respiratoire et/ou circulatoire. La détresse
circulatoire peut être au premier plan, et il s'agit le plus souvent d'un choc hypovolémique «
pur » par hémothorax. Ailleurs, le tableau respiratoire prédomine, en particulier chez les
blessés vus tardivement. L'intolérance au décubitus reflète ici la gravité de l'atteinte avec, au
maximum, un patient assis, encombré et cyanose, et dont la polypnée superficielle ventile
l'espace mort. Les causes en sont multiples et peuvent parfois se cumuler : épanchement
pleural sous tension, obstruction des voies aériennes par des caillots et des sécrétions,
délabrement pariétal, contusion parenchymateuse étendue.
Plus rarement, le tableau évolue plus ou moins rapidement vers une décompensation
respiratoire, imposant d'emblée ou secondairement une intervention chirurgicale.
566
- si, après les gestes initiaux de réanimation et une correction effective de la volémie,
la fréquence respiratoire reste supérieure à 25, la fréquence cardiaque supérieure à 100, la
pression artérielle systolique inférieure à 100 ;
Dans les deux premiers cas la ventilation mécanique est obligatoire. Dans le troisième,
l'intubation peut n'être que temporaire ; il faut la remplacer par une trachéotomie si la
nécessité d'aspirations répétitives reste nette.
Indications chirurgicales
Sous réanimation, on décide en général d'intervenir chirurgicalement sur le constat
d'une évolution défavorable. Les indications chirurgicales sont énumérées dans le tableau
29.3. Les indications urgentes relèvent ici essentiellement d'un hémothorax : saignement
immédiat supérieur à 1,5 1, saignement continu sans tendance à l'amélioration avec débit situé
entre 50 et 100 ml/h.
567
Thoracotomie immédiate
- Rupture d'un gros vaisseau médiastinal
De nos jours l'ostéosynthèse d'un volet est moins indiquée qu'elle ne l'était auparavant
mais, quand il semble difficile de pouvoir assurer une réanimation respiratoire prolongée, ses
indications devraient rester assez larges. La cohésion de la paroi et l'analgésie que procure
l'immobilisation sont sans doute deux facteurs d'importance pour éviter une décompensation
respiratoire. Les indications de la synthèse sont résumées dans le tableau 29.4.
L'indication typique est le sujet sthénique ayant subi l'accident dans les 48 h, c'est-à-
dire avant l'installation d'un encombrement bronchique important et sa surinfection. On
recourt également plus volontiers à l'ostéosynthèse chez le sujet âgé, le patient non coopérant
ou l'insuffisant respiratoire, avec l'objectif de prévenir une décompensation et de raccourcir la
durée des soins. L'aggravation secondaire d'une thoracoplastie doit être rapidement décelée et
opérée avant J4 ou J5 au plus tard. Passé le 5e j, la réduction devient beaucoup plus difficile et
la surinfection pariétale majore le risque d'ostéite et de pleurésie purulente. La synthèse est
encore indiquée en « sortie » d'une thoracotomie d'indication autre.
568
En cas de volet
- Latéral, antéro-latéral, sternal,
et/ou mobile, ou impacté en thoracoplastie
569
Polytraumatismes
On peut être amené, dans les polytraumatismes, à modifier ces schémas
thérapeutiques.
Une laparotomie effectuée pour traiter une autre lésion abdominale prioritaire (organe
creux ou plein) risque de conduire à une décompensation respiratoire secondaire par
hypoventilation alvéolaire, atélectasies et encombrement, dyskinésie abdomino-thoracique et
parésie diaphragmatique. Un éventuel volet devra si possible être synthèse dans le même
temps, pour éviter sa mobilisation secondaire.
Dans le cas de fractures associées des membres, il faut si possible effectuer une
réparation en un temps ; l'objectif est de régler immédiatement le plus grand nombre de
problèmes.
Parfois, elles ne se manifestent que dans les jours qui suivent l'admission. Nous ne
ferons que les citer : traumatismes trachéo-bronchiques, plaies des gros vaisseaux
thoraciques, plaies et contusions cardiaques.
Principe
Par rapport au « zéro » de la pression atmosphérique, la pression pleurale inspiratoire
oscille de - 6 à - 40 cmH2O. Pour éviter toute entrée d'air dans la plèvre due à cette
dépression, le drainage pleural doit être protégé par un système à « soupape », ne permettant
un flux de gaz que dans le sens patient - bocal de recueil.
Avant toute mise en place d'un drain, on doit être certain de la réalité de
l'épanchement de la grande cavité (bilan clinique, radiographique et ponction exploratrice).
570
Deux solutions sont possibles
« Siphonage » ou « scellé sous eau » (Fig. 29.9) : le drain, par une tubulure
intermédiaire, est relié au tuyau qui plonge dans un volume connu d'eau (250 ml environ)
placé dans un bocal de recueil.
À l'inspiration, ce niveau empêche le reflux d'air dans la tubulure et donc dans l'espace
pleural. L'autre orifice du bocal est ouvert à l'air libre : il y a ici équilibration de la pression
pleurale avec le « zéro » atmosphérique ; le drainage se fait par débordement, dès que la
pression intrapleurale dépasse ce « zéro », mais aussi par simple gravité. L'oscillation
respiratoire de la colonne d'eau dans le tube plongeant témoigne des variations de la Ppl et de
la perméabilité du montage. Le bocal doit rester sous le niveau du thorax (à 60 cm environ) et
ne jamais être relevé au-dessus du plan du lit, car il y a risque de siphonage inverse.
Figure 29.9 : Le drainage thoracique peut se faire soit a) en « siphonage » (ou, mieux,
par scellé sous eau), ce système ne nécessitant qu'un bocal de recueil ouvert à l'air libre, ou b)
en aspiration, un second bocal (2) étant ici interposé en protection, entre bocal de recueil (1)
et manomètre d'aspiration.
Pour les épanchements purement aériques, une valve unidirectionnelle (Fig. 29.10) est
une alternative au siphonage, mais elle ne permet pas de surveiller le bon fonctionnement du
drainage (alors qu'un bullage en témoigne dans le système de scellé sous eau).
Aspiration (Fig. 29.9b) : le 2e orifice du bocal est relié à une aspiration (via un 2e bocal
protecteur). Encas d'hémopneumothorax, quand le drain ramène à la fois de l'air et du sang,
un montage à trois bocaux est utile : le moussage est alors cantonné dans le premier bocal et
n'envahit pas tout le système jusqu'au manomètre, risque possible avec le système à deux
bocaux.
571
Figure 29.10 : Valve unidirectionnelle de Heimlich (ici à double chambre) utilisée
dans les pneumothorax : branchée sur un simple sac en matière plastique (ou une poche à
urine) elle n'autorise la circulation d'air que dans le sens thorax vers l'extérieur et s'oppose à
toute entrée d'air dans la plèvre. Elle permet la déambulation.
La source d'aspiration peut être le vide central ou une pompe électrique ; pour réguler
et surveiller le niveau de pression, une valve de Jeanneret (Fig. 29.11) est beaucoup plus
fiable que les manomètres, souvent imprécis et qui ont tendance à se bloquer, indiquant alors
des niveaux de pression erronés.
L'aspiration, réglée habituellement autour de - 50/- 100 cmH2O, vise un triple objectif:
évacuer en continu les épanchements, favoriser la réexpension pulmonaire et rétablir la
solidarité poumon-paroi.
572
Matériel
On utilise un drain transparent souple de gros calibre (24-32 Fr, soit 8 à 10 mm de
diamètre externe chez l'adulte, et 14 à 20 Fr chez l'enfant, soit 4,6 à 6,6 mm), dont l'extrémité
est perforée d'œillets latéraux sur 4 à 6 cm de longueur ; un drain type Joly armé d'un trocart,
un trocart de Monod ou plus simplement un drain monté sur une pince courbe ; des raccords,
une tubulure, un bocal d'un minimum de 2 1 contenant 250 ml de solution antiseptique ; une
trousse type « petite chirurgie » contenant deux pinces assez solides pour clamper
efficacement le drain pendant les différentes manœuvres.
Site du drainage
Le patient est placé en décubitus dorsal (mal toléré en cas d'épanchement abondant)
ou en position semi-assise, bras en rétropulsion et surélevé pour ouvrir la région axillaire
inférieure et les espaces intercostaux (Fig. 29.12).
Voie d'abord
Sous asepsie chirurgicale, on effectue une anesthésie locale infiltrant tout le trajet,
insistant sur la zone sous-pleurale, signalée par le bord supérieur de la côte inférieure ; en fin
d'infiltration, l'aiguille pénètre la plèvre : une aspiration sur le piston de la seringue confirme
la réalité de l'épanchement.
573
On incise alors la peau sur 10 à 15 mm, puis on crée un cheminement pariétal jusqu'à
la plèvre et au ras de la côte inférieure ; il faut ouvrir un tunnel suffisant pour le diamètre du
drain, par dissection aux ciseaux ou à la pince type Kelly, ou encore au bistouri, la lame étant
orientée à plat et le doigt étant fermement maintenu sur le manche en guise de garde, jusqu'à
faire une moucheture sur la plèvre, ce qui est indispensable pour éviter de déchirer le feuillet
pleural lors de l'insertion du drain (Fig. 29.15a). On effectue alors une bourse périorificielle et
on place un fil d'attente sous l'incision (fil synthétique tressé dec. 4/1 monté sur aiguille
courbe triangulaire).
Insertion du drain
Le drain est inséré vers le haut et au ras du gril costal pour un pneumothorax, vers
l'arrière et le bas pour un épanchement liquidien (Fig. 29.13).
Figure 29.13 : Drainage d'un épanchement liquidien ; ici, lors de son insertion, le
drain doit être dirigé vers l'arrière et franchement vers le bas.
On a souvent tendance à placer le drain trop bas, ce qui peut d'une part se révéler
dangereux pour les viscères sous-diaphragmatiques (voir infrà) et d'autre part rendre le
drainage inefficace (Fig. 29.14).
L'utilisation d'un drain armé type Joly est en théorie dangereuse, mais c'est en
revanche la technique la plus simple (Fig. 29.16) ; on retire le mandrin de quelques
millimètres dès l'espace franchi, tout en le laissant appuyé sur la côte inférieure où il aide à
bien orienter le drain. Celui-ci est poussé de 3 à 5 travers de doigts (chez l'adulte) ; on retire le
trocart pendant que simultanément on clampe le drain en son milieu ; pour éviter qu'il ne
tombe, le drain est maintenu par un aide ; on le raccorde alors au bocal de siphonage et on le
574
déclampe pour vérifier l'efficacité du drainage ; ensuite, on le fixe en le ligaturant avec le fil
d'attente. Suivant les circonstances, le drain sera mis ou non en aspiration douce,
progressivement augmentée, et toujours sous surveillance.
Figure 29.14 : Insertion trop basse d'un drain pleurai : a) dans les épanchements
liquidiens, un drain placé dans le cul-de-sac costo-diaphragmatique peut s'exclure par
accolement du diaphragme à la paroi ; b) dans les épanchements purulents, il peut se situer au
sein de dépôts fibrineux qui vont rapidement l'obstruer et empêcher l'évacuation du contenu
liquidien sus-jacent ; c) dans les épanchements sériques, il peut « ventouser » le lobe inférieur
sans assurer l'évacuation de tout le contenu pleural, et créer ainsi une poche pleurale
supérieure.
Incidents/accidents
Ils restent exceptionnels si l'on s'astreint à des gestes doux :
575
- drain intermusculocostal (dans le creux axillaire !) : il s'agit d'une erreur technique,
et cette circonstance n'est pas exceptionnelle ;
- plaie des structures anatomiques avoisinantes : gros vaisseaux thoraciques, foie et
voies biliaires, estomac, rate, côlon gauche, etc. (tout a été décrit !) ; l'intervention est ici
urgente.
Figure 29.15 : Insertion d'un drain pleural : a) on peut dessiner le trajet du drain aux
ciseaux, à la pince de Kelly ou à l'aide d'un bistouri ; dans tous les cas, il faut ouvrir la plèvre
avant d'insérer le drain ; b) il peut être prudent de vérifier au doigt qu'il existe bien un espace
pleural (absence de symphyse).
Surveillance
Elle doit concerner le patient, les constantes vitales habituelles et l'émission par le
drain : qualité, quantité (courbes des liquides, intensité du bullage) le liquide recueilli par le
drain (courbes de volume, intensité du bullage).
576
des raccords, obstruction du drain par caillot moulant fibrino-cruorique ; dans ce dernier cas,
le drain devient inutile, et de fait un corps étranger qu'il faut enlever) ;
- en cas de bullage spontané permanent, il faut déterminer si la fuite aérique provient
du poumon ou d'un défaut d'étanchéité du système ; on vérifie l'étanchéité de la ligne de
drainage en clampant à différents niveaux de la tubulure à l'aide d'une pince ; la prise d'air
peut encore provenir d'un drain avec œillet latéral qui a glissé dans le pansement ;
- l'aspiration fonctionne correctement s'il y a bullage dans une colonne de Jeanneret ;
les manomètres sont en revanche beaucoup moins fiables et peuvent se bloquer en position
haute. Dans ce cas, pour s'assurer du bon fonctionnement du montage, il faut clamper un
instant le drain et le débrancher du premier bocal ; la tubulure plongeante bulle à gros
bouillons et le manomètre descend par perte de charge si l'aspiration fonctionne ; sinon, il y a
panne de l'aspiration qui équivaut à un clampage du drain, imposant une mise immédiate en
siphonage.
Figure 29.16 : Insertion d'un drain armé de type Joly : a) l'index de la main gauche est
posé en garde sur le drain pour éviter toute échappée brutale dans le thorax au passage de
l'espace ; b) le trocart n'est pas poussé dans le thorax mais reste en appui sur la côte inférieure
pour aider à bien orienter le drain.
Ablation du drain
II faut l'envisager devant des signes cliniques et radiologiques de retour à la paroi,
devant un drain muet depuis 24 h (après épreuve de siphonage ou, mieux, de valve antiretour
et déambulation) ou devant un drain exclu (caillotage).
Après section du fil de fixation, le drain doit être retiré par deux opérateurs qui
doivent agir de façon coordonnée : le premier doit retirer le drain d'un geste sec et continu
pendant que l'autre serre la bourse d'attente ; au préalable on aura demandé au patient de
bloquer sa respiration en fin d'expiration ou de réaliser une manœuvre de Valsalva, ce qui
577
positive les pressions pleurales et minimise le risque d'entrée d'air dans la plèvre lors de
l'ablation.
On peut également enlever seul un drain thoracique : la main gauche tend les chefs de
la bourse pendant que simultanément elle occlut l'orifice cutané à l'aide d'une compresse
imbibée d'antiseptique (ou de vaseline) ; le drain est enlevé de la main droite d'un geste sec et
la bourse est serrée en gardant ses chefs tendus. Là encore, il faut demander au patient de
bloquer sa respiration en fin d'expiration ou de réaliser une manœuvre de Valsalva pendant le
retrait du drain.
Points importants
Aucune complication ne doit venir émailler la mise en place d'un drain à condition:
- de se baser sur un examen clinique précis ;
- de lire attentivement les clichés radiologiques ;
- d'insérer le drain par voie axillaire ;
- de confirmer l'existence de l'épanchement par ponction préalable à la seringue.
578
Pied tropical
Cette action humanitaire s'est longtemps cantonnée à la médecine mais elle intéresse
de plus en plus la chirurgie, pratiquée par des chirurgiens qui exercent en zone tropicale soit
à titre personnel, soit au sein d'organisations non gouvernementales. Les impératifs pour ces
chirurgiens sont simples : être le plus efficace possible en connaissant certaines pathologies
spécifiques, ainsi que leur traitement qui doit combiner simplicité et efficacité.
Nous décrirons ici les principaux aspects de la pathologie du pied en milieu tropical
pour en montrer la diversité et en proposer quelques techniques chirurgicales simples et
fiables, permettant de résoudre l'essentiel des problèmes qui peuvent se poser.
Définition
Le pied tropical regroupe l'ensemble des lésions siégeant en dessous du plan du pilon
tibial, et dont la spécificité tient soit à leur étiologie, soit à l'environnement social, culturel et
technique dans lequel elles surviennent.
Pour étudier le pied tropical, il faut tenir compte de trois acteurs : l'agressé (le pied
avec les particularités du milieu tropical), l'agresseur (le facteur étiologique et ses
conséquences anatomo-pathologiques et cliniques) et le thérapeute (avec les moyens dont il
dispose, les techniques chirurgicales qu'il choisit, en fonction des indications thérapeutiques
qu'il pose).
579
Agressé
L'agressé, c'est le pied.
Anatomiquement, le pied est constitué d'une charpente osseuse recouverte de parties
molles, tendineuses, vasculaires et nerveuses, le tout étant enveloppé dans un double sac
aponévrotique et cutané.
D'un point de vue biomécanique, le pied joue un rôle statique de transmission des
contraintes en position debout. C'est alors le calcanéum et l'arche externe qui absorbent
l'essentiel des forces. À la marche, après l'appui taligrade solide et sans souplesse, survient
l'appui digitigrade où les contraintes se transmettent essentiellement par l'arche interne qui
joue le rôle de ressort de propulsion. Dans le contrôle de la répartition des zones d'appui du
pied, l'innervation de la sole plantaire joue un rôle fondamental.
Agresseurs
Ils doivent leur existence (ou leur particulière virulence) au biotope particulier du
milieu tropical, avec des conditions climatiques rudes et une flore et une faune souvent
agressives. Ils émergent aussi en raison de l'existence de facteurs socioculturels spécifiques,
avec une hygiène souvent rudimentaire, une sous-alimentation, facteurs ayant pour corollaire
le polyparasitisme et les multicarences. Enfin, il est caractérisé par le dénuement médical, le
recours aux guérisseurs, le retard au traitement et bien souvent la guerre.
Parasites
Ils sont spécifiques aux régions tropicales.
La puce chique, ou Tunga penetrans, est un ectoparasite vivant dans le sable. Elle
se fixe au bord d'un ongle du pied. « La sensation d'abord agréable devient ensuite
douloureuse jusqu'à l'extraction. »
580
À ce stade, le diagnostic est évident. Dans les formes précoces, il est affirmé par la
mise en évidence de microfilaires dans le sang (microfilarémie nocturne de W. bancrofti), la
découverte d'une hyperéosinophilie et le test thérapeutique à la méthylcarbamazine
(Notézine).
Le traitement médical par la Notézine est efficace dans les formes précoces (M. Pelât,
1992). Dans les formes tardives, seule la chirurgie se révèle efficace.
Mycétoines
Définition
Ce sont des tumeurs inflammatoires causées par des champignons (mycétomes
fungiques) ou des bactéries (mycétomes actinomycosiques) caractérisées par l'existence
d'abcès profonds interconnectés et de trajets fistuleux avec ulcérations cutanées. Au niveau
des foyers de suppuration, on trouve des grains de colonies mycosiques ou actinomycosiques
de taille et de couleur variables selon l'agent en cause. La présence de ces grains est
caractéristique de l'affection.
Agents pathogènes
Maduromycètes : ils sont responsables des mycétomes fungiques. Ils sont
caractérisés par l'élimination de grains noirs, et leur sensibilité aux antibiotiques est nulle.
Andreu en 1986, et plus récemment Fahal et Hassan en 1992, ont montré l'efficacité relative
d'un antifungique, le kétaconazole.
Expression clinique
La contamination se fait par une piqûre d'épineux. Cela explique d'une part la
localisation préférentielle des lésions au niveau du pied, d'autre part la répartition
géographique en zone sahélienne.
L'extension de la lésion est centrifuge, tant en surface qu'en profondeur. Tous les
intermédiaires sont possibles entre le nodule sous-cutané et l'historique pied de Madura.
L'aponévrose oppose une barrière longtemps efficace à la dissémination mais, lorsqu'elle est
franchie, l'os va être atteint avec des images d'encoches, de lacunes et de condensation
osseuse. Ces mycétomes sont toujours surinfectés.
581
Expression clinique
Au début, la lésion est une ulcération nécrotique très douloureuse qui s'étend
progressivement, formant un cratère à bords surélevés dont le fond est recouvert de fausses
membranes. Le cratère évolue vers la cicatrisation sur fond de sclérose, mais celle-ci est
fragile et fait le lit de la récidive. Sans traitement, vont apparaître des complications locales à
type de rétractions tendineuses ou d'ostéite chronique. Mais surtout, le risque est la
cancérisation réalisant l'aspect classique d'ulcère phagénédique cancérisé. Ce
cancer est un épithélioma spinocellulaire infiltrant ou ulcérant qui s'étend localement (à l'os
en particulier), par voie lymphatique (ganglions) et générale (métastases hépatiques,
pulmonaires et cérébrales). Cette complication peut être rapprochée des cancers épidermoïdes
développés sur ostéite chronique décrit en France par Ch. Mabit ou des dégénérescences des
cicatrices rapportées en 1991 par Lefebvre et coll.
Pied neurologique
Parmi les maladies neurologiques responsables d'atteinte du pied, deux sont
particulièrement fréquentes sous les tropiques : la poliomyélite et la lèpre.
L'atteinte des nerfs respiratoires peut être mortelle. L'atteinte des nerfs du membre
inférieur se traduit, en l'absence de kinésithérapie, par la fixation en attitude vicieuse avec, au
niveau du pied, un valgus, un équin, un creux ou un talus isolés ou associés.
Ces déformations entrent dans le cadre plus large des déformations du membre
inférieur et posent le problème de leur traitement et de leur appareillage.
Le traitement médical de la lèpre est efficace mais fait appel aux antituberculeux qui
sont des médicaments chers.
- les réactions névritiques avec nécroses neuronales (souvent liées au traitement qui
entraîne une destruction massive du bacille avec phénomènes immunologiques intranèrveux);
- l'hypertrophie nerveuse des formes tuberculoïdes ;
- l'atteinte nodulaire des formes lépromateuses.
Les nerfs sont particulièrement exposés à ces lésions au niveau des canaux
ostéofibreux inextensibles : sciatique poplité externe au niveau du col du péroné, sciatique
582
poplité interne et sa branche tibiale postérieure au niveau du canal calcanéen. L'atteinte, au
niveau du pied, est motrice et sensitive.
Pied héréditaire
II est dû à la drépanocytose, hémoglobinopathie caractérisée par la présence
d'hémoglobine S dans laquelle la valine remplace l'acide glutamique comme 6e acide aminé
au niveau de Thème. L'hématie se trouve ainsi fragilisée, se déforme (elle est dite falciforme,
en forme de faux), se rigidifie et obstrue les capillaires. Cette hémoglobinopathie est
responsable d'une part d'une anémie hémolytique non spécifique, d'autre part d'un syndrome
vasoocclusif avec deux manifestations au niveau du pied :
- la crise vasoocclusive, rencontrée chez l'enfant homozygote avec le syndrome pied
main caractérisé par un gonflement et des douleurs au niveau de ces extrémités ;
- les ostéites, habituellement plus tardives. Les ostéites peuvent être staphylococciques
mais aussi et plus spécifiquement salmonéliennes. Le diagnostic bactériologique repose sur la
ponction des abcès périostiques et le traitement est médical, associé à l'immobilisation
plâtrée.
Pied congénital
La pathologie congénitale du pied en zone tropicale est dominée par le pied bot varus
équin (PBVE). Cinquante mille enfants en Afrique en seraient atteints. Cette affection a des
origines diverses qui peuvent de plus s'intriquer : mécanique, génétique et neuromusculaire.
On distingue cliniquement :
583
Pied traumatique
Les agents traumatiques en zone tropicale sont nombreux. Nous en retiendrons quatre.
Serpents
Quelle que soit leur espèce, vipéridés, colubridés ou crotalidés, les serpents venimeux
ont une toxicité générale et locale. La morsure, le plus souvent localisée au pied, n'est pas
forcément mortelle, mais elle provoque toujours des lésions locales par un mécanisme de
cytotoxicité. Il apparaît une nécrose qui peut s'étendre jusqu'aux parties molles, mettant à nu
les tendons ou la charpente osseuse. Bien souvent, cette nécrose s'auto-entretient par la
surinfection et la thrombose. Elle posera des problèmes de reconstruction.
Poissons
L'agressivité du requin ou du barracuda est connue. La toxicité de la piqûre de raie ou
de celle du poisson pierre dans les eaux chaudes du Pacifique peut être responsable de lésions
tégumentaires étendues. Le venin de ces animaux est injecté par une piqûre hyperalgique,
parfois syncopale entraînant la noyade. Localement, après une phase inflammatoire banale, va
se développer une escarre nécrotique dont l'élimination laissera une zone bourgeonnante de
plus ou moins grande taille. Contrairement aux morsures de serpents, cette zone n'a pas
tendance à s'étendre après la chute de l'escarre, mais son étendue initiale peut cependant poser
un problème de reconstruction.
Brûlures
Elles sont fréquentes, surtout chez l'enfant, la vie sous les tropiques s'organisant
autour du feu familial. Elles sont généralement plus graves que dans les pays occidentaux en
raison du retard apporté au traitement et, surtout, elles sont responsables de séquelles
fonctionnelles invalidantes à type de brides et de rétractions cutanées.
Pieds de mine
Les pays tropicaux, souvent politiquement instables, sont fréquemment en guerre. Le
pied paie son tribut sous forme du classique pied de mine. La puissance des mines modernes,
584
l'absence de protection du pied fait que les lésions rencontrées sont de véritables fracas plus
ou moins étendus et surtout aggravés par l'effet ischémiant du solid blast associé.
Quel que soit l'agresseur, on peut schématiser les lésions en fonction des structures
atteintes :
- la peau : elle est presque toujours lésée. C'est le problème majeur, d'autant plus
qu'elle est alors une porte d'entrée pour l'infection, en particulier la gangrène et le tétanos ;
- les parties molles sont souvent concernées, posant un problème de mobilité
articulaire ;
- l'os est parfois atteint, mais là n'est pas l'essentiel du problème.
Thérapeute
Face à ces différents types de lésions, le thérapeute doit agir en fonction des moyens
dont il dispose. La plupart du temps, on se trouve dans un grand dénuement, avec un plateau
technique extrêmement sommaire. Les techniques de base doivent donc rester simples et
efficaces.
Techniques de base
Réparation cutanée
Pour que la cicatrisation soit possible, quel que soit le type de plaie, il faut passer par
un premier temps de détersion et de nettoyage. Devant une plaie récente, le parage permet
d'atteindre ces deux objectifs. Devant une plaie chronique, le nettoyage et la détersion doit
faire appel à une technique ancienne : le « goutte-à-goutte percutant ». Ce goutte-à-goutte
nécessite, pour être efficace, une séance quotidienne de 3 h pendant au moins 5 j. La solution
est un mélange de sérum salé aseptisé par du Dakin. Après détersion, la cicatrisation d'une
perte de substance cutanée peut être conduite par cicatrisation dirigée. Si elle est trop
importante, il faudra faire appel à des greffes.
585
Les lambeaux fascio-cutanés peuvent être utiles s'ils sont simples. Le lambeau
saphène interne inversé est envisageable sous les tropiques. Il permet de couvrir les pertes de
substances antérieures du cou de pied. On peut aussi utiliser les lambeaux hétérojambiers en
cross leg. Le fixateur externe utilisé en Occident peut être remplacé par un appareil plâtré
nécessitant une surveillance attentive.
Les lambeaux pédiculés sont peu nombreux au niveau du pied. Nous en retenons
deux, réalisables sans matériel de microchirurgie : le lambeau pédieux couvrant les pertes de
substance du dos du pied et le lambeau plantaire interne couvrant les pertes de substance du
talon. Ce lambeau est particulièrement intéressant car il redonne au talon sa sensibilité.
Réparation osseuse
En ce qui concerne les lésions septiques, il faut impérativement respecter les grands
principes classiques de curetage et de résection jusqu'en zone saine, sauf pour les ostéites
drépanocytaires salmoléniennes qui doivent être traitées par ponction et immobilisation.
Toute lésion traumatique du pied, a fortiori ouverte, est à haut risque infectieux en
zone tropicale. Il faut donc bannir les ostéosynthèses intrafocales par plaques et faire appel
soit à des ostéosynthèses a minima par broches, soit à une exofixation par fixateur externe.
Ces modes d'ostéosynthèse sont également ceux qu'il faut utiliser pour fixer les arthrodèses et
les ostéotomies.
Orientations thérapeutiques
Amputation
C'est souvent le seul recours face à un traumatisme majeur, en particulier un pied de
mine. C'est également la solution logique face à un mycétome ayant franchi l'aponévrose. Elle
est souvent indiquée devant un ulcère phagédénique cancérisé et face aux ostéites évoluées de
l'avant-pied et du pied.
586
Les amputations posent, en zone tropicale, le problème de leur appareillage. Celui-ci
étant souvent impossible, il faut autant que possible conserver une coque talonnière. Les
amputations transmétatarsiennes et de Lisfranc sont bien tolérées. Les amputations de
Chopart le sont moins bien et nécessitent une arthrodèse tibio-astragalo-calcanéenne. Enfin,
l'amputation de Pirogoff modifiée par Camilleri avec arthrodèse tibio-calcanéenne, le
calcanéum étant verticalisé pour compenser partiellement le raccourcissement dû à la
résection de l'astragale, est une opération de sauvetage de l'appui qui donne de bons résultats
malgré l'inévitable inégalité de longueur.
Gestes palliatifs
Ce sont les transferts tendineux, les arthrodèses ou les ténotomies que l'on peut
proposer devant des pieds neurologiques lépreux ou poliomyélitiques. Dans ces indications, il
faut tenir compte de l'ensemble des déficits, en particulier sus-jacents, au niveau du genou et
de la hanche.
Le problème du pied bot varus équin fixé mérite d'être soulevé. Le programme
thérapeutique est trop lourd pour être envisagé en zone déshéritée ; l'abstention est de règle
dans ces conditions.
Gestes curatifs
Certains gestes curatifs sont cependant possibles.
Le pied bot varus équin jeune doit bénéficier si possible d'une prise en charge
identique à celle de l'Occident mais les problèmes qui se posent ne sont pas simples.
Les lésions limitées à la peau et au tissu cellulaire sous-cutané, comme les mycétomes
sus-aponévrotiques, les ulcères phagédéniques, les plaies par morsures d'animaux et les
brûlures, peuvent bénéficier des gestes plastiques décrits plus haut.
Conclusion
Ce panorama de la pathologie tropicale du pied montre sa diversité et son intérêt.
Certes, la médecine préventive fait des progrès sous les tropiques mais il reste, pour
longtemps encore, une place à la chirurgie tropicale dans ces zones instables, à bas niveau
socio-économique. Pour que le chirurgien soit pleinement efficace, il doit réapprendre une
pathologie souvent oubliée et surtout s'exercer à des techniques simples réalisables à moindre
frais.
587
Blessures par animaux marins
en milieu tropical
J. BAHUAUD
- soit essayer de synthétiser tout ce qui avait été décrit à travers le monde sur ces
blessures. Nous avons préféré éviter cette approche qui, tournant rapidement au catalogue,
ne peut donner qu'une idée très artificielle et théorique du sujet ;
- soit exposer une expérience vécue dans les zones les plus exposées du globe.
Introduction
Que l'archipel néo-calédonien rassemble bon nombre d'animaux marins susceptibles
d'infliger des traumatismes parfois sévères à l'homme n'a rien d'étonnant, puisque à 1 400 km
à l'ouest les côtes australiennes du Queensland, flanquées de la Grande Barrière dont la faune
est très voisine, offrent la plupart des observations mondiales de lésions par créatures
marines.
À la suite d'une étude que nous avons menée à l'hôpital Gaston-Bourret (Nouméa) et
dans les différents dispensaires, nous avons essayé de ramener à leurs justes proportions ces
blessures qui font l'objet de débats souvent passionnels, peu objectifs et où l'affabulation est
monnaie courante.
588
Matériel d'étude et méthodes
Notre matériel d'étude a été tiré des observations médico-chirurgicales de différents
services de l'hôpital Gaston-Bourret à Nouméa, des registres du service des urgences
chirurgicales et médicales, des observations adressées par les médecins-chefs des dispensaires
de la région et des observations rapportées par des médecins d'exercice privé, et cela sur une
période s'étalant de 1975 à 1979.
Nous décrirons ces blessures en précisant leur fréquence, leurs caractères puis nous
exposerons l'essentiel de leurs aspects.
Résultats et observations
Épidémiologie
Fréquence
Elle est difficile à apprécier du fait de l'absence de diagnostic étiologique ; l'agent
causal est en effet souvent ignoré, soit que le blessé ne l'ait pas vu, soit qu'il ne le connaisse
pas. De plus, on constate qu'une infime partie de ces blessures est médicalisée, surtout en
dehors des agglomérations.
Dans les dispensaires de l'intérieur et des îles, les médecins interrogés fournissent peu
d'observations, mais celles-ci sont toujours intéressantes. Les médecins de pratique privée et
les médecins du travail sont sollicités par les blessés de fin de semaine, en particulier le lundi
matin à Nouméa.
Sur place ou dans les populations autochtones, beaucoup de blessures sont traitées
avec des procédés ancestraux. Ainsi, par exemple, le docteur Zettelmaier de l'hôpital de
Koumac a réussi à faire établir la statistique du petit dispensaire d'Arama tenu par une
infirmière. En cinquante ans, ce dispensaire a reçu 38 blessés par animaux marins ; 7 étaient
venus consulter d'emblée et 31 secondairement, pour surinfection, après avoir été traités par
des moyens indigènes (un blessé sur cinq est donc accouru d'emblée au dispensaire).
On peut estimer que pour une population de 130 000 habitants, il existe environ 300
blessures par an (une centaine traitée en milieu hospitalier, une centaine pour le secteur privé
et une centaine par des méthodes traditionnelles).
589
Types de blessures
Ils sont très divers en raison de la multitude des animaux marins, mais également du
grand nombre de situations mettant en présence l'homme et la mer.
Étiologie
À l'hôpital G.-Bourret, les blessures les plus fréquentes sont celles dues à des animaux
marins venimeux.
Rascasses 33 %
(dont poissons-pierres) 7%
Raies 20 %
Méduses 5%
Oursins 5%
Piqûres par animal indéterminé 33 %
Morsures par poisson non venimeux 2%
Divers. 2%
Gravité
Elle dépend de trois facteurs :
Type
II dépend lui aussi de trois facteurs :
590
II existe de plus un facteur saisonnier évident ; les accidents sont plus fréquents de
novembre à février, c'est-à-dire en saison chaude.
591
doit être systématique, les plaies étant toujours septiques. La prophylaxie antitétanique est
obligatoire.
Requin
Caractères généraux et identification :
En dix ans, cinq observations de cas sérieux nous ont été rapportées par les médecins
des dispensaires.
L'espèce en cause serait souvent Carcharodon melanopterus car les accidents ont
essentiellement lieu sur le récif mais l'identification en est toujours difficile.
Il faut noter que la richesse animale du lagon minimise l'agressivité du requin vis-à-vis
de l'homme, bien que la région du nord semble plus exposée (peut-on ici évoquer des
accidents mortels anciens et surtout l'attaque de cerfs en pleine eau quand ceux-ci migrent
vers la Grande Terre, ce qui aurait en ce lieu « habitué » les requins à apprécier la chair de
mammifère ?).
Quoi qu'il en soit, la capture non exceptionnelle en plein port de Nouméa (baie de la
Moselle) de requins tigres d'une taille impressionnante, ainsi que la disparition périodique de
plongeurs, inquiètent toujours la population tournée vers le lagon.
Appareil vulnérant :
L'appareil vulnérant des requins est impressionnant. La peau, recouverte de denticules,
est abrasive et décolle les plans cutanés (épanchement type Morel Lavalée). Les mâchoires
portent des dents ou écailles phacoïdes modifiées et plantées en plusieurs rangées très acérées
et constamment renouvelées, constituant des « machines à saisir et à couper » dans
tous les sens.
592
Symptômes :
Cliniquement, les plaies sont profondes et contuses avec bouillie musculaire,
tendineuse et osseuse quelquefois. Sur d'autres zones cutanées, on trouve des lacérations
parallèles et des zones abrasées témoignant du contact avec le corps du requin.
- 1er degré : atteinte de deux gros vaisseaux. Le pronostic est rapidement fatal ;
- 2e degré : atteinte d'un gros vaisseau ou blessure abdominale avec éviscéra-tion.
Lésion grave à traiter d'urgence ;
- 3e degré : lésion d'une petite artère ou blessure superficielle. Le pronostic est bon
mais il faut traiter rapidement.
Conduite à tenir :
Prévention :
Le principal mode de prévention consiste à respecter les règles élémentaires de
prudence : ne pas porter de poisson capturé à sa ceinture et respecter la loi : « l'exercice de
la pêche sous-marine est interdit entre le coucher et le lever du soleil ».
Parmi les nombreux moyens proposés, seul le sac de survie, isolant complètement le
naufragé, serait efficace.
Pour se protéger en cas d'attaque, le mieux est se munir de flèches à tête explosive ou
de shark dart au CO2 dont devrait se munir tout plongeur professionnel (mais ces armes sont
vite débordées en cas d'attaque massive).
En cas de rencontre avec un requin (et rares sont les plongées en mer où l'on n'en
rencontre pas !), il faut faire face et se retirer doucement, ce qui n'est pas toujours aisé.
593
En fait, la littérature abonde sur les requins. En Nouvelle-Calédonie les accidents sont
rares, mais le danger ne doit pas être sous-estime. En Australie en revanche, le problème se
pose de façon plus aiguë. Les eaux, plus froides et plus proches de grandes métropoles,
comme Sydney, abritent en particulier le grand requin blanc (White Death) très agressif
envers l'homme.
Loche géante
Une seule observation de blessure par loche géante nous a été rapportée. La loche
géante, ou mère-loche, très répandue, est redoutée des plongeurs pour sa taille.
Tazard
Ces poissons, très prisés par les pêcheurs sportifs en Nouvelle-Calédonie, provoquent
fréquemment des blessures mais la plupart du temps hors de l'eau, particulièrement sur les
bateaux de pêche.
Son appareil vulnérant est constitué d'une gueule large et pourvue de dents acérées,
résistantes, triangulaires et très coupantes, expliquant les plaies nettes, larges, à 1'emporte-
pièce et découvrant de larges pertes de substance nécessitant parfois une greffe.
Barracuda
L'espèce la plus abondante est Sphyraena bleckeri (1,20 m) mais on trouve S.
barracuda, S. forsteri, S. génie, S. jello ; ces deux dernières espèces sont très agressives.
Les blessures sont rares ; quelques-unes ont été vues en tribu, mais aucune en milieu
hospitalier.
Son appareil vulnérant est constitué d'une mâchoire hérissée de dents coupantes et
pointues. Les blessures sont de larges lacérations souvent hémorragiques.
594
POISSONS
Soldat
Les Holocentridés sont appréciés des pêcheurs. Les genres Adioryx et Flamméo
possèdent une longue et forte épine à l'angle du préopercule sans glande à venin. Au plan
clinique, la piqûre (le plus souvent au doigt) est instantanément douloureuse. On peut la
soigner en administrant des antalgiques généraux et des anti-inflammatoire s locaux.
Batiste
Le Baliste fuscus a une forte épine à cran d'arrêt sur le dos, susceptible de provoquer
des blessures. Les mâchoires destinées à broyer les coquillages peuvent blesser dans certains
comportements agressifs.
Nason
Les nasons possèdent sur leur pédoncule caudal deux paires d'épines fixes et carénées
capables d'infliger de sérieuses blessures dans des comportements agressifs. On rencontre
dans le lagon sept espèces, dont Naso unicornis ou dawa. Nous avons traité une section avec
dilacération du tendon d'Achille provoquée par cet appareil vulnérant chez un chasseur sous-
marin. La manipulation de ce poisson doit être très prudente.
Orphie
On rencontre surtout ici Hemirhamphus far, Strongylura leiura et urvilli, Tylosurus
crocodilus (1,30 m). On conçoit que ces animaux puissants qui portent une mâchoire
supérieure et inférieure allongée en un bec robuste et pourvue de dents, et qui sont des
poissons sauteurs, peuvent entraîner des lésions parfois graves. Nous en avons constaté deux
cas dont l'un chez un véliplanchiste (perforation du mollet).
AUTRES
Tortue
Les populations indigènes qui chassent la tortue marine peuvent être blessées par le
bec acéré de certaines espèces (Eretmochelys imbricata et Caretta gigas) et cela dans deux
circonstances : lors de leur capture au moment des pontes quand elles sont sur le sable et lors
de la chasse, pratiquée le plus souvent par les Tahitiens, en crochetant leur aileron à l'aide
d'un croc muni d'un filin. Les lésions sont à type de section de doigt ou de coupure profonde
infectée d'emblée.
Bénitier géant
La taille de certains bénitiers est impressionnante ; on a décrit des cas où la main ou le
pied de plongeurs ont été saisis par les deux énormes valves dont la force de fermeture est
considérable. Dans ce cas, il faut sectionner les muscles qui les commandent.
595
Crustacés
Lors de la pêche au crabe, on a décrit des sections de phalanges ou de tendons. Les
langoustes et divers crustacés peuvent blesser avec leurs antennes et leurs pattes très
vulnérantes quand on les saisit dans de mauvaises conditions de visibilité.
Divers
La liste des blessures possibles est inépuisable ; à la limite, tout poisson peut piquer, et
tout mollusque bivalve peut blesser lorsque on l'ouvre. Plusieurs blessures au pied par peigne
de Vénus (Murex triremis) ont été décrites. Toutes ces blessures, souvent négligées, tendent à
se surinfecter.
Murène
Les espèces rencontrées, pouvant atteindre trois mètres pour certaines, attaquent
rarement sans provocation.
L'appareil vulnérant comprend deux mâchoires de dents acérées mais non venimeuses
(ce point a longtemps été controversé), mais sa salive a des propriétés neurotoxiques.
Cliniquement, ces blessures siègent aux extrémités et sont contuses ; nous n'avons
jamais remarqué les frissons, polypnée, anxiété et secousses musculaires signalés par d'autres
auteurs.
Octopus
Les Octopodidés du genre Hapalochlaena maculosa et lunulata ont provoqué sur les
côtes australiennes des blessures graves. Ils sont rares en Nouvelle-Calédonie.
Aucune blessure par cette petite pieuvre mesurant 10 à 15 cm n'a ici été signalée. Ses
glandes salivaires entourant l'orifice buccal au centre de ses huit tentacules contiennent une
maculo-toxine pouvant tuer en quelques minutes. La prudence est donc de rigueur.
Serpents venimeux
Les serpents du lagon soulèvent de nombreux commentaires car ils sont mal connus.
Redoutés par la plupart des habitués de la mer, ils font courir en fait un risque minime en
Nouvelle-Calédonie.
596
En réalité, comme nous le verrons, les morsures par serpents sont assez fréquentes et
toujours bénignes chez les indigènes qui les pèchent (Ouvéa). Ce fait n'a pas été assez
souligné pour « dédramatiser » le problème.
Cette relative bénignité n'est pas due à la faible toxicité du venin car celui-ci est très
dangereux, mais plutôt à la configuration de l'appareil venimeux adapté pour la capture des
petites proies.
À ce propos, nous avons pu vérifier sur place que les morsures n'étaient pas rares et
remarquablement bien tolérées par les pêcheurs quand il n'y avait pas injection du venin. En
cas d'injection, le tableau peut en revanche être grave.
Appareil venimeux
II est fait de crochets très petits (1,8 mm) souvent flanqués de glandes à venin ; la
mâchoire de ces serpents est trop petite et leurs crochets sont le plus souvent trop faibles pour
percer les téguments.
Le venin des serpents semble 2 à 10 fois plus toxique que celui du cobra ; c'est une
protéine thermostable non enzymatique qui bloque les effets de l'acétylcholine.
Clinique
Nous ne décrirons pas la simple morsure sans injection de venin car elle est bénigne et
n'a rien de particulier. Quand le venin a été injecté, la morsure laisse sur les téguments en
général quatre points correspondant aux crochets dont certains peuvent être nichés dans la
plaie.
Les signes généraux apparaissent après un laps de temps pouvant atteindre plusieurs
heures. Le tableau est très similaire à un syndrome de Guillain-Barré, avec paralysie
ascendante qui s'accompagne de nausées, de vomissements, de détresse respiratoire, de
défaillance cardiaque aboutissant au décès. Un syndrome myoglobinurique peut apparaître
597
avec insuffisance rénale. Curieusement, aucun cas mortel n'aurait été rapporté en Australie
mais, en Mélanésie par exemple, la mortalité est notable. Dans l'île d'Ouvéa, la
symptomatologie se résume à une fièvre avec vomissements cédant rapidement en quelques
heures.
Traitement
- Sur place : étendre le sujet et mettre un garrot au-dessus de la morsure.
- En milieu hospitalier : il faut hospitaliser ces blessés en réanimation. Le sérum
antivenin de serpent de mer doit être utilisé avec précaution : il faut d'abord le tester en sous-
cutané puis l'injecter par voie intraveineuse sous corticoïdes, antihistaminiques et adrénaline.
C'est un sérum de cheval polyvalent disponible à l'Institut Pasteur de Nouméa et qui doit être
stocké entre 2 et 10 °C.
Prévention
Elle concerne surtout les enfants à qui il faut interdire d'approcher ces serpents dont
certains pullulent sur les îlots.
En pleine eau, il faut éviter des gestes qui pourraient être interprétés par l'animal
comme agressifs et le laisser évoluer librement (certains nageurs peuvent paniquer, d'où
nécessité de connaître le problème).
Le dard est un véritable harpon : il pénètre facilement dans les téguments mais ne peut
être retiré qu'en dilacérant les tissus. Cette lacération favorise l'intoxication.
- la victime marche par inadvertance sur la raie dont la queue se rabat vers le lieu
du stimulus : la blessure siège le plus souvent à hauteur de la cheville ;
598
- la victime est attaquée en pleine eau : la raie, apeurée, fouette de son dard n'importe
quelle partie du corps ;
- la victime est blessée hors de l'eau par une raie morte ou apparemment morte.
Le venin est une toxine protéique d'un poids moléculaire de 100 000 Da contenant de
la sérotonine, de la 5e nucléotidase et de la phosphodiestérase. Elle est thermolabile et
hydrosoluble (notion essentielle).
Symptômes :
La douleur prédomine, très vive d'emblée, irradiant vers tout le membre. Elle disparaît
entre 6 et 48 h. Elle peut être spasmodique ou continue. Dans notre expérience, les lésions
n'ont pas excédé 3 cm : il s'agissait d'une simple piqûre d'une petite lacération ou plus souvent
d'une perforation tégumentaire à 1'emporte-pièce reproduisant la « coupe horizontale du
dard».
En revanche, la plaie est souvent profonde. L'œdème est habituel, le pourtour cyanose
puis rouge. La nécrose apparaît au voisinage probablement par une action protéolytique du
venin. La plaie peut saigner, ce qui atténue voire fait disparaître la douleur. Dans la plaie, on
trouve souvent une membrane noirâtre adhérente aux bords : c'est la gaine venimeuse du dard
qu'il faut essayer d'extraire. Ulcération et nécrose sont fréquentes, et la surinfection est
constante. Les lymphangites sont habituelles.
Dans 80 % des cas, le délai de guérison des plaies est anormalement prolongé en
raison des surinfections et des troubles trophiques. Les septicémies sont fréquentes. D'autres
complications peuvent être redoutables, en particulier les lymphœdèmes chroniques et les
névrites tenaces.
En milieu hospitalier a été décrit un cas de gangrène du pied (blessé initialement traité
traditionnellement par des plantes) nécessitant l'amputation rapide. La piqûre directe en une
cavité ou un organe vital est gravissime : thorax, foie, péritoine, cœur. La mort est alors
constante.
Traitement :
- Sur place : il faut laver la blessure (éliminer en particulier la membrane qui adhère
aux bords de la plaie), quelquefois extraire le dard mais cela n'est pas toujours possible, puis
la plonger dans l'eau chaude pendant au moins 1 h (théoriquement l'eau devrait être à plus de
50°C).
599
- En milieu hospitalier : outre les traitements ci-dessus (s'ils n'avaient pas été institués),
on peut calmer la douleur par une injection d'anesthésique local. Un pansement antiseptique
sera appliqué quotidiennement. Certains cas nécessitent une radiographie (un dard cassé dans
la plaie est un corps étranger redoutable). En cas de pénétration cavitaire, il faut opérer. Dans
tous les cas, il faut administrer une antibiothérapie et une protection antitétanique. Enfin si,
cas fréquent, l'évolution se fait vers la nécrose, on doit exciser chirurgicalement l'escarre et
quelquefois effectuer une greffe ultérieure. Le traitement est long (3 mois minimum).
Les injections d'essence, proposées par les praticiens autochtones, sont à proscrire
(toutes les plaies ainsi traitées se sont soldées par une infection grave). On peut réparer
électivement des structures atteintes (tendons).
Prévention :
La prévention consiste à éviter de marcher sans chaussures montantes dans les zones
suspectes.
Rascasses
Caractères généraux et identification :
Ces animaux marins sont responsables de la plupart des blessures (un tiers des cas).
Gail et Rageau (en 1956) ont étudié le venin de ce dernier à Nouméa. C'est une
protéine thermolabile d'un PM de 150 000 Da qui est une myotoxine entraînant une paralysie
600
musculaire et des troubles respiratoires et cardio-vasculaires (troubles du rythme). Le tableau
dépend de la dose de toxine qui est identique pour les trois genres.
Symptômes :
Les signes cliniques sont communs aux trois genres mais plus graves pour le genre
Synanceia.
- Localement : on note une, deux ou plusieurs piqûres, avec une douleur très vive
irradiant le long du membre atteint et un œdème parfois considérable. Apparaissent ensuite
une cyanose, puis une nécrose avec possibilité d'abcédation et de surinfection.
- Au plan général : la douleur s'accompagne quelquefois d'une agitation avec état
confusionnel, de paralysies diverses, de signes cardio-vasculaires (bloc auriculo-ventriculaire,
arythmie, fibrillation ventriculaire), de signes respiratoires (dyspnée), de pâleur, de
vomissements et de diarrhée. Le décès est possible mais reste exceptionnel.
Les piqûres chez l'enfant semblent redoutables et quand on voit la taille de certains
stone-fishes on ne peut que s'inquiéter quant à l'évolution d'une éventuelle blessure (rapport
quantité de venin/poids).
Traitement :
- Sur place : en urgence, il faut laver la plaie, étendre le sujet, appliquer un garrot au-
dessus de la lésion (avec les précautions habituelles) et plonger la zone concernée dans de
l'eau très chaude pendant 1 h au moins.
- En milieu médical : on injecte du sérum znii-stone-fish en milieu médical (1 ml
neutralise 10 ml de venin) : 2 ml en intramusculaire ou quelquefois en intraveineux
(Commonwealth Sérum Laboratories, Melbourne, Australia).
Ce sérum est réservé théoriquement aux formes sévères. Une antibiothérapie et une
protection tétanique sont systématiquement prescrites. Le transfert en réanimation peut se
révéler nécessaire.
Prévention :
La prévention est théorique : la population achète des chaussures dites
chinoises (en toile caoutchoutée), qui semblent efficaces pour marcher sans risque dans l'eau,
mais cela est astreignant.
Les habitats de ces animaux sont connus et doivent être évités, surtout par les enfants.
En pleine eau, il ne faut pas s'approcher de ces poissons qui attirent le baigneur par leur
beauté.
601
Enfin, soulignons que l'identification précise de l'animal est souvent difficile. On a
toujours trop tendance à parler de « poisson-pierre » alors qu'il s'agit la plupart du temps des
autres genres.
Mais, quoi qu'il en soit, le sérum anti-stone-fish est prescrit quel que soit le genre et
même sans identification lorsque les symptômes l'exigent. Mais il ne faut pas en abuser car
les accidents sériques sont notables.
Poissons chirurgiens
Leur appareil vulnérant, situé de chaque côté de l'appendice caudal, est fait d'une lame
érectile, tranchante comme un rasoir et acérée comme un scalpel, baignant dans une
dépression où est sécrété un mucus toxique. L'érection de ces épines se produit lorsque ces
poissons se sentent menacés. Les plaies peuvent être profondes et l'envenimation se traduit
par l'apparition de nausées et, surtout localement, par un aspect dévitalisé qui aboutit à
l'infection. Sur place, il faut traiter la plaie par l'eau chaude ou froide pour déstabiliser le
venin par lavage abondant. À la rigueur, on peut utiliser du permanganate de potassium, de
l'ammoniaque ou du vinaigre. L'essentiel est de lutter contre l'infection par une
antibiothérapie systématique.
Picots
Ces Siganidés portent 13 épines dorsales, 4 pelviennes et 7 anales. C'est la première
épine dorsale qui est le plus souvent en cause. Le venin sécrété par des glandes venimeuses
adjacentes est encore mal connu, mais on sait qu'il est thermolabile. La piqûre se produit
quand on saisit ces poissons très prisés pour la consommation. Elle est très douloureuse et
l'infection est assez fréquente à la main. Des cas mortels ont été décrits ailleurs mais, dans le
lagon, ces piqûres restent la plupart du temps bénignes. Il est préférable là aussi de prévenir
l'infection par antibiothérapie.
Poissons-chats
Ils sont représentés par Plotosus anguillaris. Ce Plotosidé mesure 30 cm à l'âge adulte
et 4 à 12 cm chez l'animal plus jeune ; il vit en pelote. Ses épines venimeuses (1 dorsale et 2
operculaires) provoquent des lésions très douloureuses à type de piqûre. Le venin renferme
une plototoxine à action neuro- et hémo-toxique. Les signes généraux restent cependant
exceptionnels. Le traitement est symptomatique et rejoint celui des blessures par raie.
Mollusques venimeux
Parmi les mollusques venimeux, les cônes occupent une place prépondérante ; les
lésions qu'ils produisent sont certes très rares mais très graves.
602
Espèces venimeuses
Les cônes piscivores seraient les plus dangereux pour l'homme. En Nouvelle-
Calédonie, Conus geographus a été incriminé dans quatre décès. En Australie et Polynésie, il
est le seul considéré comme mortel.
Ces éléments gagnent le pharynx prolongé par le proboscis qui sert à la fois par ses
propriétés extensives et rétractiles à l'alimentation et à la projection des dents.
Mécanisme de l'envenimation
C'est en manipulant les coquillages que la victime peut être piquée. Même en les
saisissants par la grosse extrémité, cela peut être dangereux car le proboscis extensible est
capable de rétroprojection.
Symptômes
Localement
La piqûre initiale va d'une simple gêne à une douleur très vive. D'abord blanche puis
cyanotique, elle s'accompagne presque toujours d'un œdème volumineux (spectaculaire à la
face) ; parfois, cette douleur irradie dans tout le membre, voire dans le reste du corps et ceci
en 10 min.
Signes généraux
Dans les formes bénignes, le tableau est souvent fruste. Il peut exister des céphalées,
des nausées et parfois des troubles visuels à type de diplopie. Une paralysie des muscles
squelettiques peut s'installer. Dans les formes graves, c'est la paralysie des muscles
respiratoires qui est responsable du décès qui survient en 2 h, parfois moins.
Évolution
Elle est variable mais souvent grave, rapide et aboutissant au décès dans 50 % des cas.
Dans le meilleur des cas, les troubles peuvent régresser en quelques heures, mais les douleurs
peuvent persister plus d'une semaine. Les décès sont dus à Conus geographus et concernent
surtout les enfants. On retrouve ici l'association de deux facteurs défavorables : le cône le plus
toxique et un des plus gros, atteignant un organisme de faible poids. Le rapport quantité de
venin/poids de la victime entre bien évidemment en ligne de compte.
603
Traitement
II est purement symptomatique. Il n'existe aucun sérum, aucun traitement spécifique.
Son but consiste donc à répondre à une situation d'extrême urgence visant à lutter contre les
effets rapidement irréversibles de l'envenimation (paralysie des muscles respiratoires
essentiellement).
- Sur place : il faut avant tout allonger la victime, essayer de débrider le point de
piqûre qui n'est pas toujours évident et, si possible, poser un garrot au-dessus de la lésion,
avec les précautions habituelles. Si la paralysie s'installe, on peut être amené à pratiquer une
respiration artificielle au bouche-à-bouche, voire un massage cardiaque externe si elle se
complique d'un arrêt cardiaque. En cas de piqûre par Conus geographus, tout dépend du lieu
d'éloignement et des moyens mis en œuvre pour l'évacuation. Le pronostic est sombre chez
l'enfant et tout doit être tenté pour retarder l'action du venin.
Prévention
La gravité du pronostic de ces piqûres par cônes venimeux doit inciter la population à
ne pas ramasser ces coquillages heureusement faciles à identifier.
Les enfants doivent être très avertis par des panneaux affichés dans les lieux publics et
les écoles.
Conclusion
Tout cône rencontré en Nouvelle-Calédonie et dans l'Indo-Pacifique en général doit a
priori être considéré comme dangereux.
L'enfant, par ses jeux, son imprudence, sa curiosité, est particulièrement exposé à la
piqûre.
604
Le traitement est purement symptomatique : réanimation intensive et rapide dans les
cas graves.
Échinodermes venimeux
Oursins
Les Diadematidés sont peut-être vénéneux car les douleurs que provoquent leurs
longues épines sont hors de proportion avec l'importance des piqûres. Mais ces lésions, très
fréquentes, sont bénignes.
Envenimation par de très nombreuses piqûres de petite taille Ces lésions sont
provoquées par les Cœlentérés.
Corail de feu
Ces Milléporidés, qui ont l'apparence de coraux de récifs, provoquent des brûlures qui
peuvent se surinfecter.
Physalie
Cette méduse à fil bleu ou portuguese man-owar, très répandue, provoque des
lacérations couvertes de vésicules avec possibilité de choc pouvant à l'extrême entraîner des
noyades.
Hydraire urticante
Ces Plumaridés donnent des brûlures de type urticariennes avec toujours des signes
généraux. L'évolution est bénigne.
605
Méduses
Elles sont fréquentes et banales, et peu de blessés consultent. L'identification de ces
Scyphozoaires est difficile. Exceptionnellement, certaines cubo-méduses ont été rendues
responsables de cas mortels en Australie, pour lesquels on prescrit un sérum.
Anémones de mer
II s'agit de lésions identiques aux précédentes avec également possibilité de choc.
Glaucus
Le Glaucus atlanticus est un mollusque qui ne dépasse pas 3 cm et se nourrit de
Cœlentérés venimeux. Le tableau est le même, sans lacération.
Traitement
Le traitement de toutes ces lésions est identique : sur place, on peut laver la blessure à
l'eau, au sable, à l'alcool (une boisson alcoolisée fait l'affaire) pour décoller certains tentacules
adhérents. On peut ensuite prescrire des pommades anesthésiantes ou aux corticoïdes. On
peut parfois être amené à traiter un choc. L'infection est prévenue par antibiothérapie.
Spongiaires venimeux
Ces porifères, dont l'identification est en cours, agissent par les cristaux de silice
qu'ils contiennent mais aussi par une toxine puissante. Une irritation simple peut
gravement se surinfecter.
Le traitement est ici dermatologique (en général, pommade aux corticoïdes et aux
antibiotiques).
Annelides venimeux
Fréquentes, ces blessures sont provoquées par les Amphinomioés, qui blessent par
leurs soies venimeuses, ou les Eucinidés par leurs mâchoires. Piqûres ou morsures
peuvent se surinfecter.
Les soies (aspect d'épines de cactus), peuvent être enlevées à l'aide d'une bande
adhésive. Ammoniaque et alcool sont des sédatifs.
606
Pour les morsures, il faut laver à l'eau salée ou bicarbonatée, ou encore par un
antiseptique. Il faut administrer une antibiothérapie.
Holothuries
Le Bohadshia argus (Échinoderme) émet des filaments collants qui contiennent
une holothurine, toxine hydrosoluble et thermolabile, pouvant provoquer des blessures
oculaires avec cécité temporaire. Il n'existe pas de traitement sauf le lavage à l'eau douce.
Conclusion
La liste des blessures possibles est inépuisable. Tout peut se voir dans cette
immense province biogéographique si riche en espèces dangereuses. La plupart des
blessures observées en Nouvelle-Calédonie et ses alentours sont rarement dues à des
comportements agressifs ou alimentaires de l'animal. Le lagon calédonien est un équilibre
où l'homme est toléré. Il y est agressé quand il dérange ou lorsqu'il néglige le
comportement naturel d'un hôte marin armé, pour se défendre de ce qui le menace,
moyens fournis par sa condition biologique finalement fragile.
Il faut laisser de côté le mythe du danger permanent et du monstre marin ; en fait,
une étude objective ne peut que montrer que les risques qu'encourent les Néo-Calédoniens
tournés vers la mer sont minimes, l'attrait l'emportant largement sur le danger.
607
Neurochirurgie d'urgence
en milieu tropical
A. DUCOLOMBIER
Lorsque l'on parle de neurochirurgie en milieu tropical, on ne se réfère pas tant aux
conditions climatiques qu'aux modalités d'exercice, à la fois inhabituelles et difficiles. Certes,
la pathologie rencontrée peut présenter des caractères propres à l'environnement ; certes,
l'insouciance proverbiale des malades explique l'existence de stades pathologiques devenus
plus qu'urgents. En fait, en définitive, le dénominateur commun de ces pays est la pauvreté
des infrastructures sanitaires et la précarité des moyens aptes à les faire fonctionner.
Il y a dans tout le pays 1 médecin pour 17 000 habitants, 1 infirmière pour 8 500
habitants (normes OMS : 1 pour 10 000 et 1 pour 300 respectivement) et 1 neurochirurgien
pour 15 millions d'habitants si l'on ajoute la population des pays voisins (1 pour 200 000 en
Europe). Le service de neurochirurgie est en fait le seul de toute l'Afrique de l'ouest et son
recrutement se fait dans les pays limitrophes, en Mauritanie, au Mali, en Gambie, en Guinée,
en Guinée Bissao, et dans des pays plus lointains francophones, Bénin et Togo.
En 1985, on comptait 7 510 lits avec 16 hôpitaux, 43 centres de santé, 347 postes de
santé, soit 1 hôpital pour 400 000 habitants, 1 centre de santé pour 150 000 habitants (normes
OMS : 1 pour 150 000 et 1 pour 50 000 respectivement).
608
Outre la faiblesse des crédits, le caractère essentiel du système sénégalais est la
disparité de l'offre sanitaire à travers le pays. Il y a peu ou pas de structures de ramassage des
blessés en dehors de la région du Cap-Vert, et l'intérieur des terres connaît une grave pénurie
de moyens techniques, de médicaments et de personnel médical. Les cases de santé, premier
échelon sanitaire au niveau du village, sont dirigées par un agent de santé communautaire,
hygiéniste ou secouriste. Le poste de santé se trouve dans le chef-lieu d'arrondissement ; il est
dirigé par un infirmier qui supervise les cases de santé. On ne trouve de médecins qu'au
niveau du centre de santé départemental.
Un scanner vient d'être implanté à Dakar en secteur privé, et ses coûts sont prohibitifs
pour la majorité de la population.
Pour des raisons techniques, ce service ne peut accueillir des urgences que pendant les
heures ouvrables. Le reste du temps, les patients sont dirigés sur le « CHU Le Dantec » ou sur
l'hôpital principal de Dakar où sont appelés les neurochirurgiens de garde. De ce fait, la
neuroradiologie est rarement utilisable en urgence et c'est la clinique qui reste toujours
déterminante pour poser les indications opératoires.
609
L'hôpital principal de Dakar est un hôpital militaire fonctionnant sur des normes
européennes et dirigé par des coopérants militaires français. Il ne reçoit que des patients
solvables, c'est-à-dire des fonctionnaires, des expatriés ou de riches commerçants. Les hautes
personnalités préfèrent se faire traiter en France.
Les infections sont les pathologies neurochirurgicales les plus fréquentes et les plus
graves en milieu tropical.
L'artériographie quand elle est possible confirme le diagnostic, mais une fois sur deux
seule la clinique guide le geste de trépano-ponction-drainage de la collection suppurée. On
peut utiliser l'échographie transfontanellaire chez le nourrisson ou une transcraniotomie chez
l'adulte pour localiser le processus. C'est un geste de sauvetage vital, parfois réalisé au lit du
malade.
Il faut ici noter la bonne sensibilité des germes aux antibiotiques usuels, comme la
pénicilline G en perfusion à la dose de 10 à 20 MUI/j qui reste heureusement encore efficace,
ce qui explique des résultats assez inespérés avec seulement un tiers de mortalité. Les
séquelles, en revanche, sont lourdes.
Les paraplégies pottiques constituent une urgence chirurgicale toute relative car il
est rare que les patients qui en sont victimes consultent rapidement.
610
Sur les 65 observations de spondylodiscite tuberculeuse avec paraplégie traitées en 5
ans à Dakar, de 1975 à 1980, 30 d'entre elles ont été opérées. Dans la genèse des troubles
neurologiques, la gibbosité et l'épidurite sont accessibles à un traitement chirurgical mais les
indications de celui-ci sont discutées. Certains opèrent systématiquement, d'autres jamais,
d'autres enfin réservent le traitement chirurgical à l'échec du traitement antibiotique.
Nous pensons qu'une décompression médullaire relativement urgente est utile quand il
existe une volumineuse épidurite et/ou une cyphose angulaire importante, de façon à faciliter
l'action des antibiotiques, l'idéal étant de pouvoir y associer une fixation par arthrodèse. Cela
permet de raccourcir la durée de l'antibiothérapie spécifique de 12 à 9 mois (mais les
problèmes de compliance thérapeutique sont fréquents). Les résultats à long terme sont pour
cette raison assez décevants.
Pendant la même période de dix ans, 212 processus expansifs intracrâniens (PEIC) ont
été observés à Dakar. La plupart étaient des tumeurs mais on avait aussi dénombré 16
processus infectieux chroniques, représentant 7,5 % des cas, dont 14 tuberculomes, 1
syphilome et 1 kyste hydatique. La proportion de ces diverses pathologies ne reflète que
l'activité du service et non leur incidence réelle dans la population, car la maladie est bien
souvent longtemps négligée et nombre de patients décèdent avant leur arrivée en service de
neurochirurgie.
En effet, dans plus de la moitié des cas, les malades souffrent d'HIC évoluée, avec
presque toujours une baisse importante de l'acuité visuelle souvent motif de l'hospitalisation.
La comitialité, présente chez 25 % des patients, permet parfois un diagnostic plus tardif.
Les méningiomes sont les tumeurs les plus fréquentes avec une incidence de 22 % des
cas. Cela reflète certainement leur évolution plus lente que celle des gliomes malins ou des
métastases qui représentent chacun 14 % des cas. L'incidence des gliomes bénins, 8 %, est
certainement sous-estimée car ils sont surtout diagnostiqués au scanner.
Les méningiomes se révèlent par une HIC progressive ou par une comitialité tardive,
ce qui laisse le temps aux malades d'arriver en neurochirurgie. Néanmoins, ces tumeurs sont
souvent très volumineuses et elles ont souvent envahi leur base d'insertion, en particulier au
niveau de la voûte où elles peuvent devenir accessibles à la biopsie superficielle. Lorsque l'on
doit opérer en urgence un méningiome pour décompensation rapide d'une HIC, le pronostic
est généralement sombre.
611
sont que palliatifs dans les tumeurs malignes. Ils ne peuvent être curatifs que dans les tumeurs
bénignes et les tuberculomes.
Sur les 1 200 cas de traumatismes du crâne hospitalisés de 1969 à 1980, il n'y a
donc rien d'étonnant à constater que seuls 83 blessés (50 hématomes intracrâniens et 34
plaies cranio-cérébrales) aient pu être opérés en urgence, avec une mortalité assez lourde
de 35 %.
Nombre Décédés
Hématome extradural 12 5
Hématome sous-dural aigu 11 7
Hématome sous-dural chronique 17 1
Hématome intracérébral 9 4
Plaie cranio-cérébrale 34 12
Total 83 29 soit 35 %
De même, dans 407 cas de lésions encéphaliques diffuses graves avec coma profond
sans signe de localisation, on a noté 22 décès à l'arrivée dans le service et 120 décès retardés,
soit ici encore 35 %.
Sur 90 cas de traumatismes graves du rachis cervical recueillis entre 1977 et 1981,
correspondant à la moitié des traumatismes rachidiens de la même période, 51 présentaient
des signes neurologiques déficitaires majeurs, ce qui est un bon critère d'une intervention en
urgence, mais une myélographie n'a pu être réalisée que trois fois en urgence.
Au point de vue thérapeutique, la mise en traction par halo crânien a été entreprise
d'emblée chez 45 blessés dont 40 avec signes neurologiques ; elle a toujours été le premier
geste chirurgical en cas de lésion déplacée et parfois le seul traitement chez les nombreux
patients décédés rapidement de troubles neurovégétatifs.
612
destinées à stabiliser par arthrodèse les luxations préalablement réduites et à traiter les hernies
discales. Dans tous ces cas, on a assuré une immobilisation stricte par 3 mois de minerve.
De 1975 à 1982, 64 cas ont été colligés, avec pour particularité principale le long délai
entre le saignement et l'hospitalisation en neurochirurgie, seuls 8 patients ayant été transférés
dans cette unité dans les premières 48 h. Le plus souvent en effet, ces patients sont traités en
première intention pour méningite, affection beaucoup plus fréquente sous ces latitudes.
Comme autre cause de ce retard, on peut évoquer la fréquence de l'hypertension artérielle en
Afrique, ce qui lui fait attribuer nombre d'accidents vasculaires cérébraux. Ce retard explique
pourquoi l'évolution naturelle de la maladie joue ici un rôle primordial : les cas les plus
graves décèdent avant tout traitement étiologique, et les survivants ont spontanément échappé
aux complications de la rupture anévrismale.
L'artériographie cérébrale est l'examen clé qui affirme l'existence et permet de préciser
le caractère anatomique de la malformation vasculaire. Elle seule permet de mettre en
évidence le type de complication, vasospasme, hématome et hydrocéphalie. La multiplication
des incidences, en particulier de trois quart, s'est parfois révélée nécessaire mais, pour des
raisons économiques, il n'a pas toujours été possible d'opacifier systématiquement l'ensemble
du réseau artériel intracrânien après visualisation de l'anévrisme présumé responsable du
saignement. Cela explique peut-être que l'on retrouve peu d'anévrismes multiples (8 % contre
20 % habituellement). Pour ces mêmes raisons économiques, la moitié des malades opérés
n'ont pas eu de contrôle agiographique postopératoire.
613
Les indications opératoires sont dictées par l'âge du patient, son état neurologique, son
délai d'admission en neurochirurgie et les résultats de l'artériographie. Dans cette série, la
majorité des 40 cas n'ont pu être opérés qu'au-delà de la 2e semaine, et la question de
l'intervention urgente ou différée ne s'est que peu posée.
L'intervention chirurgicale a été réfutée 24 fois pour diverses raisons : coma d'emblée
d'aggravation rapide, âge très avancé ou refus du patient.
Sur les 40 malades opérés, 9 sont décédés dans les suites opératoires par ischémie
cérébrale, par récidive hémorragique, par méningite, par embolie pulmonaire. Pour les 31
survivants, le résultat fonctionnel est donné ci-dessous :
Catégorisation Nombre
Total 31
Les meilleurs résultats ont été obtenus chez les sujets jeunes en bon état neurologique,
chez lesquels il n'y a pas eu de décès et où les séquelles sont restées minimes, même dans les
conditions assez précaires que nous avons décrites. Malgré des carences thérapeutiques
évidentes, comme l'absence de médications anticalciques, trop onéreuses, et des moyens en
réanimation peu importants, on peut obtenir des résultats que l'on peut considérer comme
satisfaisants.
Les 292 cas de malformation du système nerveux central observés de 1970 à 1980
s'expliquent par un taux important de consanguinité en milieu rural.
La malformation urgente la plus fréquente était le spina bifida aperta (44 cas). Il s'agit
d'un défaut de fermeture congénital de l'axe rachidien avec exposition de la moelle épinière
qui apparaît en surface sous la forme d'une plaque cruentée. Les autres types de dysraphies ne
doivent pas nécessairement être traités en urgence, sauf en cas de rupture.
614
L'intervention consiste à pratiquer une dissection de l'aire médulloradiculaire, qui est
ensuite placée à l'abri d'une couverture méningée et cutanée de bonne qualité. Ce geste n'a
aucun effet sur les déficits neurologiques qui préexistaient et qui resteront définitifs, mais il
laisse espérer une préservation du capital neurologique existant. De plus, seule cette
intervention, aidée par l'échographie, permettra de différencier une myélocèle, de piètre
pronostic fonctionnel, car la moelle est ici ouverte et étalée en surface, et une myélo-
méningocèle ulcérée, de meilleur pronostic, dans laquelle la moelle est normalement fermée.
Un entretien préalable avec la famille est indispensable car l'enfant présentera toujours
des séquelles, avec au minimum des troubles sphinctériens et souvent une paraplégie plus ou
moins complète. De plus, dans 10 à 20 % des cas il existe des malformations concomitantes :
hydrocéphalie, pieds bots, luxations congénitales de hanche, arthrogripose, malformations
cardiaques, pour ne parler que des plus fréquentes. L'intervention est récusée dans plus de la
moitié des cas, en raison des lésions incompatibles avec l'autonomie motrice.
La hernie discale est classiquement rare chez l'Africain qui souffre plus volontiers de
canal lombaire étroit. Dans cette expérience de dix ans n'ont été pris en charge que 83 hernies
discales et 27 canaux lombaires étroits, ce qui est relativement faible.
Dans cette série publiée, 23 interventions urgentes ont été motivées par une
hyperalgie, par un déficit moteur radiculaire ou par un syndrome de la queue de cheval plus
ou moins complet. Il faut souligner la valeur de la clinique qui permet dans bien des cas à elle
seule de poser le diagnostic et d'envisager l'intervention.
La chirurgie a ici un double intérêt : diagnostique car les lésions sont directement
visualisées, thérapeutique car elle permet une décompression. Il n'est pas rare de devoir
explorer un ou plusieurs étages adjacents lorsque la lésion constatée semble mal concorder
avec la symptomatologie.
Les résultats n'ont ici rien de particulier par rapport aux statistiques générales, sauf si
le patient est vu trop tardivement.
615
Conclusion
Pour ce qui concerne la neurochirurgie dans les pays en développement, les
perspectives paraissent au premier abord plutôt sombres en raison du sous-équipement, de la
faiblesse des crédits dans le domaine sanitaire et des politiques locales, peu concernées par
cette spécialité.
Cependant, il faut noter que la neurochirurgie peut être performante, même dans les
conditions assez précaires que nous avons décrites. Bien entendu, il est ici impératif de
sélectionner soigneusement la pathologie et le malade, et de disposer d'un minimum de
moyens techniques. On ne peut prétendre aux possibilités qu'offre le « confort » dont nous
disposons en Europe, mais on est loin d'être totalement démuni.
La précarité est une notion relative, car elle se réfère à des conditions qui peuvent être
meilleures ou à l'inverse, pires. Rien d'absolu ne contre-indique la pratique de la
neurochirurgie en condition précaire, ne réservant cette spécialité qu'aux pays aisés. On peut
toujours faire quelque chose, à condition de le vouloir et de s'adapter aux circonstances.
616
Infection par le VIH
(virus de l'immunodéficience humaine)
et chirurgie tropicale
R. LAROCHE
En 1996 si l'incidence de l'infection par le VIH se stabilise aux États-Unis et en Europe, elle
progresse inexorablement dans le monde tropical.
La diffusion épidémique de l'infection par le VIH chez l'homme remonte aux années quatre-
vingt ; elle est certainement en rapport avec des modifications récentes portant sur les milieux et les
comportements humains. Le « mal développement » dont souffrent de nombreux pays tropicaux a
pour corollaires l'exode rural, l'urbanisation sauvage, les migrations massives de populations suite
aux conflits et guerres, la déstructuration de la cellule familiale africaine, l'effondrement des
économies, etc.
Quant à la progression rapide de la séropositivité au stade de Sida avéré, elle s'explique par
quatre facteurs qui peuvent d'ailleurs s'intriguer :
- le virus : avec une plus grande incidence de souches plus virulentes (sous-type : A, E et C)
en Afrique et en Asie ;
- une hyperstimulation du système immunitaire comme c'est la règle dans les pays où
l'environnement infectieux est riche, multipliant ainsi le nombre de cellules cibles au VIH ;
- l'existence de maladies sexuellement transmises et ulcérantes;
- le multipartenariat sexuel.
Mais le dénominateur commun de la rapide dissémination du VIH dans les pays tropicaux
reste la pauvreté. Celle-ci favorise la propagation du virus, non seulement par les conditions de
vie qu’elle induit, mais aussi par la précarité et l'insuffisance des ressources sanitaires. En effet, le «
mal développement » a pour corollaire une mauvaise accessibilité aux soins qui, de plus, tendent à se
dégrader.
La chirurgie réglée cède souvent le pas à la chirurgie d'urgence, avec une place de
plus en plus importante de la traumatologie routière, la persistance de la chirurgie de guerre,
auxquelles viennent s'ajouter les classiques urgences gynéco-obstétricales et abdominales. Aussi les
points de rencontre entre l'acte chirurgical et le VIH se multiplient aujourd'hui.
617
Acte chirurgical et Sida
L'acte chirurgical, à l'heure de la pandémie de sida, génère de nouvelles situations à
risque.
Mais ce qui préoccupe surtout les équipes chirurgicales opérant sous les tropiques sont
les accidents d'exposition au sang (AES) lors de l'acte opératoire. L'appréciation du
risque professionnel de contamination sanguine pour le VIH repose
essentiellement sur les données occidentales car peu d'études probantes ont été menées dans
les pays en développement. L'exposition au VIH est importante pour les personnels de santé
exerçant dans les pays africains les plus touchés. Une enquête conduite en 1995 auprès du
personnel médical d'un hôpital tanzanien a montré que 30 % des membres du personnel ne
portaient pas de gants, que 50 % utilisaient des seringues mal ou non stérilisées et que 20 %
ne disposaient pas de désinfectants.
En 1995, 182 cas d'accidents d'exposition au sang ont été répertoriés dans le monde, et
seuls 66 ont été prouvés. Aux États-Unis, les 39 cas prouvés ont tous concerné des
infirmières, tandis que les 83 cas présumés affectaient deux chirurgiens et 81 infirmières.
618
En France, 30 cas d'infections professionnelles par le VIH ont été notifiés mais seuls 9
ont été prouvés. La crainte qui entoure l'infection par le VIH explique que les déclarations
soient bien effectuées, et proches de l'exhaustivité. Il est rassurant de constater que les
chiffres sont restés stables ces dernières années.
Les chirurgiens ont le plus fort taux d'accident d'exposition au sang, mais ce sont les
infirmières qui sont infectées dans les deux tiers des cas, puis viennent les techniciens de
laboratoires.
Les deux tiers des contaminations sont dues à des piqûres par des aiguilles creuses de
gros calibre qui sont responsables de la majorité des séroconversions en France.
Nombreux sont ceux qui exigent un dépistage systématique et, pour les équipes
de soins, la connaissance du statut sérologique des opérés.
Les mêmes principes éthiques en cours dans l'Hexagone doivent être appliqués sous
les tropiques. Après avoir recueilli le consentement éclairé du patient, le prescripteur est dans
l'obligation de l'informer du résultat du test et de lui proposer une prise en charge
adaptée ; mais le corps médical africain n'a le plus souvent, hormis sa compassion, rien à
offrir.
Aussi ces règles sont-elles régulièrement transgressées : le secret médical n'est pas
respecté, l'accès aux soins est aléatoire et l'annonce de la séropositivité souvent bien difficile
à assumer par des populations déshéritées. À Nairobi, seulement un tiers des femmes qui
apprennent leur contamination en avertissent leur(s) partenaire(s) de peur de représailles ;
d'autres revendiquent « le droit de ne pas savoir ».
Il n'est pas non plus certain que connaître le statut VIH du patient soit très utile.
Négatif, du fait d'une possible fenêtre sérologique, il génère une fausse sécurité. Positif, il
permet certes de prendre toutes les précautions pour une chirurgie réglée, mais ne résout en
rien les problèmes de l'urgence.
Il est de plus évident que la séropositivité d'un patient ne modifiera pas l'indication
opératoire posée par un praticien responsable devant un polytraumatisé, une grossesse extra-
utérine, une blessure de guerre, etc.
619
Prévention et conduite à tenir en cas de contamination
II existe donc un risque incontournable de contamination par le VIH lors de la
pratique chirurgicale en pays tropical, mais le respect de certaines règles permet d'en
diminuer l'impact.
- Le traitement précoce par l'AZT n'a pas fait la preuve de son efficacité et on se
dirige aujourd'hui vers l'administration précoce d'associations de molécules en bi- ou
trithérapie. On espère ainsi contribuer, conjointement aux défenses immunitaires, à éradiquer
le virus avant qu'il ne se multiplie.
Cependant, on estime que 64 % des accidents d'exposition au sang peuvent être évités
si on respecte les mesures préventives et si on adopte le recours systématique au matériel de
sécurité. Aux États-Unis, on a pu montrer que même les gants neufs ont des défauts et que les
perforations, qui passent souvent inaperçues, sont très nombreuses au cours des interventions
chirurgicales. Certaines mesures visent à mieux protéger le personnel soignant : systèmes de
prélèvement rétractables, utilisation d'orthèses par les infirmières, doubles gants, gants
anticoupures, etc. L'Agence nationale de recherche contre le sida (ANRS) prône la
fabrication en France d'un gant virucide et bactéricide. Beaucoup de recherches en cours
visent ainsi à améliorer la sécurité en procurant un matériel « sans risque ».
Pratiquée dans des conditions précaires, elle nécessite une grande maîtrise
technique, mais surtout elle exige, du fait de l'insécurité, beaucoup d'abnégation et de
courage.
620
PARTIE 4
Techniques
Chirurgicales.
621
Avant-propos
P. HOUDELETTE
« Ne vous exposez pas à tout mal faire, disait Farabeuf, en ne vous préparant à rien. »
Les « thèmes » qui vont suivre peuvent paraître bien incomplets en nombre et bien
particuliers dans leurs formes.
Les techniques exposées ici ne sont pas exhaustives, mais se limitent au domaine des
urgences ou aux interventions chirurgicales de nécessité absolue. Néanmoins, la
méthodologie du « thème de technique chirurgicale » est applicable à l'apprentissage de toute
pratique opératoire ou instrumentale.
Il ne s'agit pas ici de cérébraliser l'acte technique dans une fiction qui permettrait
d'opposer, parmi les opérateurs, d'un côté le « cérébral » et de l'autre le « manuel » ou, plus
crûment, dans l'argot du métier, le « médullaire », le « chirurgien tout en avant-bras » qui
n'aurait que faire de ce bagage ; il s'agit tout au contraire de définir et de fournir un SMIC - un
savoir minimum conseillé - et un plan d'action préétabli directement applicables.
622
« L'improvisation, nous disait un jour L. Zitrone, voilà la source de tous les maux...»
Épreuve reine de ces concours, elle exige du candidat un travail de préparation long et
régulier : préparation du discours, mise au point du montage texte-dessins (les adages et
recommandations sont nombreux : « un mot - un trait » ; ne dessiner que ce qui est utile à la
réalisation de l'intervention ; tout démontrer sur les dessins ; « opérer au tableau ») et
entraînement au tableau noir pluri-hebdomadaire au dessin anatomique associant un schéma
d'anatomie topographique régionale de face dit « schéma de prestige » et une coupe le plus
souvent horizontale, parfois sagittale ou frontale, « montée », c'est-à-dire dessinée élément
par élément, en parallèle au schéma précédent.
Cette étude anatomique permet dans un premier temps de mettre en évidence le bilan
lésionnel viscéral, par exemple, en cas de plaie, en reconstituant le trajet de l'agent vulnérant
(notamment par projectile entre les orifices d'entrée et de sortie ou le siège radiologiquement
défini de celui-ci), permettant ainsi de pressentir les lésions certaines ou possibles, les
conséquences pathologiques, les implications thérapeutiques et, sur ces bases, de définir une
voie d'abord, les cheminements opératoires, c'est-à-dire la compréhension des plans de
clivages, des décollements opportuns, les éléments concernés par la chirurgie dite « d'organe
» (loge et pédicules vasculo-nerveux) et les modalités tactiques du geste réalisé.
Cette épreuve permet donc d'ordonner une procédure opératoire en une séquence
logique.
Quels sont donc les « points de passage » obligés de cette méthodologie chirurgicale ?
Quatre « actes » peuvent être distingués : les préalables cliniques, les bases
anatomiques, le déroulement technique et les suites opératoires.
Les préalables cliniques, vite expédiés, doivent converger vers l'indication opératoire
précise. Citons : l'énoncé de la pathologie ou de l'intervention choisie, la description des
symptômes clés de la situation et leur interprétation, la définition et la localisation
anatomique du processus pathologique, la caractérisation de l'affection (forme anatomo-
clinique, stade, complication, évolution sans traitement), les buts du traitement, ses moyens
(médicaux, chirurgicaux avec pour chaque méthode ou procédé : son principe, ses indications
de choix, ses limites), l'indication retenue et sa pertinence (imposant de répondre aux
questions suivantes : est-elle logique ? adaptée à la situation, est-elle licite ? : force de
l'indication face à la gravité évolutive), le bilan pré-opératoire, le choix du moment opératoire
(réanimation, antibiothérapie préalables par exemple).
623
Du deuxième temps de cette procédure, le rappel d'anatomie topographique, dite
chirurgicale, nous avons déjà évoqué les contraintes techniques, la finalité et l'usage
didactique.
Soulignons pour le chirurgien l'importance du savoir anatomique qui trouve ici toute
sa justification dans cette mise en situation.
Sur cette langue morte des études médicales... et chirurgicales actuelles, la parole de
Vie d'Azyr citée par H. Mondor n'a cessé de se confirmer : « L'anatomie est peut-être de
toutes les sciences celle dont on a le plus célébré les avantages et dont on a le moins favorisé
les progrès ».
Pourtant : « Tout artisan est tenu de savoir ou cognoistre le sujet sur lequel il travaille,
autrement il erre en œuvrant... Il s'ensuit donc qu'il est nécessaire aux chirurgiens de savoir
l'anatomie » écrivait G. de Chaulliac (1300-1370, Chirurgia Magna). Propos qui ne datent
pas puisque N. Rich, chirurgien américain pendant la guerre du Viêt-Nam notait : « Savoir
l'anatomie est extrêmement important : il peut s'avérer nécessaire pour certains chirurgiens de
revoir leurs connaissances sur les régions anatomiques auxquelles ils ne sont pas
fréquemment confrontés », pour être à même de pratiquer comme le soulignait V. Nahas, à
propos de son expérience libanaise La Chirurgie de guerre dans toute sa variété anatomique.
Mais il est vrai que « science..., plus que toutes indispensables mais difficile à
l'extrême et requérant un pénible labeur » (A. Vésale, De Humant Corporis Fabrica, 1555)
s'il est agréable de la connaître, il est ardu de l'acquérir.
Cette épreuve de thème chirurgicale est donc l'occasion de la revoir « par le menu » et
en situation motivante.
Le chapitre essentiel, objectif de ces préalables, est constitué par une description
précise des temps opératoires énoncés puis décrits, « vécus » un à un.
Les variantes techniques, les difficultés per-opératoire s et les ressources possibles, les
complications éventuelles et la façon de les pallier précèdent le « repli en bon ordre » : toilette
et fermeture avec une mention particulière pour le drainage qui conditionne bien souvent la
sécurité des suites opératoires.
624
« Le dernier point ne termine pas l'opération », car le chirurgien ordonne les soins
post-opératoires, préside au suivi de l'opéré dont les phases habituelles (reprise du transit,
etc.) et les critères de surveillance généraux et locaux doivent être énoncés.
Nombreux sont bien évidemment les points abordés sans être démontrés. Citons pêle-
mêle, en une liste incomplète : le positionnement de l'opéré ; l'exposition du champ opératoire
qui exige un savoir-faire propre et conditionne l'aisance des actes ultérieurs, la qualité de
l'hémostase, « pont aux ânes » du jeune opérateur ; la maîtrise du rythme opératoire ; la
stabilité émotionnelle et la vigilance d'esprit de l'opérateur (« la vraie maîtrise, écrivait
Okinczyc dans son opuscule Les Petites Règles de la chirurgie parfaite, est une patience qui
ne fléchit pas ») ; la qualité de la gestuelle élémentaire (le « tour de main », la « patte » du
chirurgien) ; l'habileté dans les ligatures du bout des doigts (« sur les pointes ») ; l'intelligence
de la situation pathologique ; et la présence d'esprit, seule repartie à la hauteur de cette «
malice des choses » qui bien souvent tourmente l'opérateur.
625
- « ne pas avoir un dialogue de sourd avec son cerveau » et pour cela lui parler sa
langue : les images mentales et les produire par deux procédés ;
- la visualisation externe : en se voyant comme un personnage dans le scénario
projeté, facilitant ainsi la maîtrise de l'apparence, du « rôle » (les Anglo-Saxons ne parlent-ils
pas de « théâtre » à propos de la salle d'opération ?) ;
- la visualisation interne : où toute la préparation consiste à vivre fictivement l'action
projetée, à la rêver.
« Images mentales, sentiments, sensations, voici les trois voies pour se programmer. »
Peut-être n'est-il pas indifférent pour le résultat que celui qui souhaite accéder à la
maîtrise de cette discipline soit au préalable averti de sa portée.
Tel était, par-delà l'analyse didactique du procédé, l'objectif de ces quelques propos
dont chacun pourra faire son profit par l'adhésion ou la discussion.
626
Abord large du tronc ilio-fémoral
L. CADOR
Que ce soit parce que l'on redoute la complexité des blessures de guerre ou parce que
les moyens mis à disposition restent précaires, l'utilité de voies d'abord larges ou pouvant
être élargies s'opposant en tout aux classiques et étroites voies de la ligature artérielle ne fait
guère de doutes.
Le tronc ilio-fémoral :
Son système anastomotique est précaire, ce qui explique pourquoi il faut réparer ce
tronc chaque fois que cela est techniquement possible. Pour l'aborder, il faudra s'affranchir de
certains obstacles anatomiques, ce que nous illustrerons par un thème clinique.
Il suit ensuite un trajet oblique en bas, en avant et en dehors sur le bord interne du
psoas, marque un angle ouvert en bas et en arrière en franchissant la branche ilio-pubienne
sous l'arcade crurale et chemine immédiatement sous l'aponévrose superficielle dans le
triangle de Scarpa. Il se termine ensuite à un niveau très variable en fémorale superficielle
(nourricière de jambe) et fémorale profonde (nourricière de cuisse).
- l'intima qui peut être le siège de lésions isolées de diagnostic difficile dans les
conditions de l'urgence ;
- la média où se déposent les séquestres athéromateux qui peuvent modifier l'évolution
spontanée d'une lésion traumatique (collatéralité préexistante plus développée par exemple),
ainsi que la décision thérapeutique, en règle, plus difficile ;
- enfin, l'adventice toujours clivable, utilisée comme voie d'abord.
627
La plaie artérielle est définie comme l'atteinte simultanée des trois tuniques mais
sa nature et son évolution varient selon le type d'atteinte. Les parois artérielles, élastiques et
musculaires, ayant la capacité de se rétracter, l'hémostase spontanée d'une plaie complète,
circonférentielle, sera plus souvent possible que celle d'une plaie latérale, celle-ci étant
toujours éminemment précaire.
628
- Pour la partie fémorale, on trouve les artères circonflexe iliaque superficielle et sous-
cutanée abdominale, souvent nées d'un tronc commun antérieur, juste en aval de l'arcade
crurale d'une part, et les artères honteuses externes supérieure et inférieure d'autre part,
branches internes encadrant la crosse de la saphène interne.
Indications de l'abord
Par ces différentes branches, les anastomoses du tronc ilio-fémoral se font avec l'artère
sous-clavière homolatérale, l'aorte abdominale, l'artère hypo-gastrique, le tronc lui-même et
son homologue controlatéral pour ce qui concerne l'amont, et avec les artères fémorales
profonde et superficielle en ce qui concerne l'aval, mais toutes ces anastomoses ne sont
fonctionnelles que sur artère pathologique, lorsqu'elles ont pu se développer progressivement.
C'est dans cette indication et dans cette « ambiance » que nous décrirons l'abord large
du tronc ilio-fémoral.
Cette ligne s'infléchit ensuite pour se diriger vers le tubercule du troisième adducteur,
au-dessus et en dedans du genou.
629
Dans son trajet abdomino-pelvien, le tronc qui suit le détroit supérieur est satellite du
muscle psoas, à son bord interne ; c'est ici qu'on le cherchera.
Écueils
Ils sont, tout le long du trajet, veineux, lymphatiques ou nerveux : - la veine fémorale
superficielle monte en arrière, puis en dedans de l'artère et reçoit le confluent veineux fémoral
profond dans l'aisselle de la bifurcation artérielle, rapport dangereux lors d'un abord rapide
dans des tissus infiltrés ; la veine fémorale commune reçoit ensuite la crosse de la saphène
interne dont le tronc pourra être utilisé comme matériel de pontage si une lésion veineuse
associée imposait sa ligature (dans le cas contraire, on préférera la veine contro-latérale) ; au
630
plan iliaque, la veine, interne, devient progressivement postérieure, et il convient à ce niveau
de passer le dissecteur péri-artériel de dedans en dehors, la veine, fragile, restant ainsi sous le
contrôle de la vue ;
Nous y reviendrons.
- à l'origine, l'uretère qui croise à droite le tronc à 1,5 cm de son origine ; le gauche
croise l'iliaque primitive avant sa bifurcation ; lors du contrôle d'amont, il faut veiller à ne pas
léser les vaisseaux hypogastriques, en particulier la veine ;
- plus bas, le fascia transversalis s'invagine d'une part dans l'orifice profond du canal
inguinal, rapport supérieur et interne recevant le déférent et le pédicule spermatique qui vient
de surcroiser l'artère iliaque externe, d'autre part dans l'entonnoir fémorali-vasculaire dont la
pointe s'insère sur la gaine vasculaire au sommet du triangle de Scarpa ;
- l'artère traverse ici, avec la veine et le ganglion lymphatique de Cloquet, un canal
ostéo-fibreux entre arcade crurale au-dessus, ligament de Cooper au-dessous, bandelette ilio-
pectinée en dehors et ligament de Gimbernat en dedans ;
- elle chemine enfin dans le canal crural pour abandonner la fémorale profonde entre
moyen adducteur et pectiné.
Technique
Elle sera illustrée par un « thème clinique ».
Bilan
Le diagnostic, ici évident, de plaie artérielle impose :
- des gestes immédiats de réanimation :
• mise en place d'un double abord veineux de gros calibre,
• prélèvement d'échantillons sanguins (groupage, bilan sanguin, etc.),
631
• remplissage cristalloïdes, colloïdes, transfusions, etc.,
• oxygénothérapie au masque,
• réchauffement (patient et membre),
• sonde urinaire,
• antibioprophylaxie,
• contrôle et/ou mesures de prévention antitétanique ;
- un examen clinique rapide et complet :
• contrôle l'efficacité immédiate des premières mesures sur les signes généraux,
• vérifie le caractère pulsatile de la tuméfaction hématique inguinale,
• affirme surtout l'ischémie complète et globale du membre inférieur (« 4 P » de
Griffith : Pain, Paralysis, no Puise, Palor),
• recherche une lésion associée : locale (os, veine, nerf, brûlure, etc.) ou à distance, en
particulier crânienne, thoracique ou abdominale, une tare viscérale majeure.
Évolution
L'évolution spontanée est toujours péjorative :
- reprise hémorragique attendue : pronostic vital immédiat ;
- une gangrène ischémique d'apparition d'autant plus rapide qu'il n'existe pas de
collatéralité initiale, que l'attrition musculaire est importante, que les phénomènes de
compression œdémateuse dans les loges musculaires s'installent. Cette gangrène est d'autant
plus dangereuse que la plaie est souillée. Le pronostic vital et fonctionnel est alors
précocement engagé ;
- enfin, quand les lésions sont plus discrètes, le problème principal concerne le
pronostic fonctionnel tardif, par apparition de faux anévrisme, de fistule artério-veineuse, de
sténose artérielle ou de séquelles d'ischémie distale, etc.
Traitement
Le traitement est donc impératif et urgent en raison de la gravité du pronostic.
Parage
II n'a ici rien de particulier et doit concerner tous les tissus avant leur éventuelle
réparation.
632
Hémostase et restauration
Nous avons vu que la ligature comportait un risque majeur d'amputation secondaire ;
on ne doit donc y recourir que dans les formes tardives, quand les lésions sont irréversibles.
L'abord comportera une voie élargisable permettant le contrôle d'amont, puis d'aval et,
si nécessaire, l'exposition complète de l'axe vasculaire.
Dispositif opératoire
Intervention
Préparation à l'intervention
Le patient est placé en décubitus dorsal, dans l'idéal sur une table permettant de
prendre des clichés en per-opératoire. Le torse et les deux membres inférieurs sont rasés et
nettoyés, puis on isole par des champs stériles l'abdomen et les deux cuisses (un prélèvement
veineux contro-latéral reste possible). Il faut effectuer le rasage et la toilette du buste et des
deux membres inférieurs.
633
Temps opératoires (Fig. 34.3)
Contrôle d'amont
L'incision cutanée suit une ligne parallèle au bord externe de la gaine des droits,
depuis le rebord chondral du 10e arc costal jusqu'au pli inguinal ; cette incision s'arrête à deux
ou trois travers de doigt en dedans de l'épine iliaque antéro - supérieure.
634
Le seul écueil, ici, est de s'égarer en arrière du psoas si l'on n'a pas franchi d'emblée le
fascia transversalis. Il faut se diriger vers la colonne que l'on devine très proche.
Lors de ce temps, on repère les vaisseaux spermatiques d'abord, puis l'uretère ; ils
montent normalement avec le péritoine (ce n'est que dans les cas où on doit aborder l'axe plus
haut, au niveau de l'iliaque primitive, qu'il est préférable de laisser ces éléments vers l'arrière).
En suivant le relief du psoas, on atteint, sur son bord interne, l'artère que l'on aborde là
où elle est aisément accessible, au-dessus de l'infiltration hématique. Il faut bien rejoindre le
plan adventitiel et en profiter pour faire le tour de l'artère avec un dissecteur de dedans en
dehors puisque le danger est, ici, veineux. Un lac est alors passé, sous l'artère que l'on peut
d'ores et déjà clamper si nécessaire (clampage d'amont). Plus rarement, il peut être utile de
contrôler également l'axe veineux ; on se souviendra alors du danger majeur au niveau de la
convergence iliaque dont il faut rester à distance.
Contrôle d'aval
II est illusoire dans ce contexte de chercher à se repérer sur le battement artériel :
l'incision part au-dessus du milieu de la ligne de Malgaigne et se poursuit arciforme pour
rejoindre la ligne de ligature un bon travers de main plus bas, voire plus si nécessaire. En
pratique, elle doit être adaptée aux circonstances et, particulièrement ici, aux nécessités du
parage : elle peut soit l'englober, soit le contourner pour autoriser une fermeture «à distance»,
soit encore se situer plus bas sur l'axe artériel, pour atteindre, en zone saine, le fil conducteur
de la fémorale superficielle.
Dès que l'on entre en contact avec l'aponévrose, il faut contourner le couturier par en
dedans, en restant, autant que possible, hors de sa gaine (lésion du fémoro-cutané).
On reconnaît facilement la fémorale superficielle dans le canal crural (elle n'a pas de
collatérale). Sa veine, interne, tend à passer en arrière. On aborde alors le plan adventitiel, on
passe le dissecteur de dedans en dehors puis le lac autour de l'artère. Celle-ci peut alors être
clampée si nécessaire.
Quel que soit le mode de division fémorale, aucune collatérale antérieure ne naît au-
delà du tronc sous-cutané-circonflexe, immédiatement en aval de l'arcade crurale ; on peut
donc, à partir du lac inférieur, ouvrir rapidement les tissus situés en avant de l'artère (il existe
une collatérale de la veine saphène de contrôle simple) et repasser un lac à un niveau plus
haut situé, là où on pense être en fémorale commune ; en tirant simultanément sur les deux
lacs, on peut mettre en évidence le départ postérieur de la fémorale profonde (quelquefois
déjà bifurquée).
Ainsi contrôlés l'amont et l'aval, il est possible d'exposer sans risque la lésion et, si
nécessaire, d'élargir la voie.
635
Élargissement de la voie à" abord
L'incision cutanée complémentaire relie simplement par une courbe directe (ou plus
souvent, en complétant le parage de la plaie) les deux incisions précédentes.
On effectue alors un parage sous-cutané soigneux, une toilette, une désinfection, etc.
Pour prévenir une plaie latérale du tronc artériel, il faut sacrifier la circonflexe iliaque
superficielle avant de sectionner l'arcade crurale.
Bilan
II est mené simultanément au parage.
Sur l'artère, le parage doit conduire en zone saine, c'est-à-dire là où les trois tuniques,
y compris l'intima, retrouvent leur aspect normal, sans décollement.
Sur la veine, les nerfs et, bien sûr, le matelas musculo-aponévrotique, le bilan est
mené de façon habituelle.
Restauration (Fig.34.4)
La restauration artérielle obéit aux principes habituels de la chirurgie artérielle : il
faut utiliser des instruments (clamps et pinces) atraumatiques et du fil monobrin non
résorbable monté sur une aiguille 3 ou 4/8 de cercle, et avec une pointe ronde de calibre 5
ou 6/0. Le point est toujours passé de dedans en dehors sur la section distale de l'artère, pour
prévenir un décollement intimai et la constitution d'un « flap » source de thrombose précoce
post-opératoire. La suture peut se faire par points séparés, par deux ou trois surjets réunis ou,
plus simplement, si on en connaît bien la technique, par un surjet continu, « téléphone » qui
répartit bien la tension du fil.
Avant la suture, on aura vérifié la qualité des flux d'amont et d'aval et on aura, si
nécessaire, retiré un thrombus en passant une sonde de Fogarty n° 4 ou 5. Les axes artériels
sont alors héparinés (sérum héparine à 2 %o), puis on effectue un nouveau contrôle des flux
avant de poser le dernier point. Un clampage final permet de serrer le nœud sans tension
excessive. Le geste se termine par un déclampage d'aval, puis d'amont.
Très rarement, la plaie peut être réparée par suture simple sans sténose ; quelquefois,
il faut interposer un patch veineux.
636
complète. Si la perte de substance est plus importante, il faudra recourir à un pontage,
toujours veineux dans ce contexte.
Enfin, dans les gros délabrements ou les risques infectieux importants (couverture
impossible, etc.), il faudra parfois se résoudre à un pontage extra-anatomique déroutant le
trajet de l'artère native.
La restauration veineuse de l'axe veineux réussit rarement à ternie, mais elle doit
toujours être tentée afin de passer le cap difficile des premiers jours avec son risque de
syndrome des loges par développement d'œdèmes et de compression des éléments
anatomiques contenus dans les loges aponévrotiques
Contrôle et fermeture
Après déclampage, on contrôle, bien sûr, la réapparition des pouls périphériques, on
complète la toilette et on vérifie hémostase et lymphostase. On referme l'abord abdominal en
rapprochant séparément les plans musculaires par un fil lentement résorbable de bon calibre
(déc. 5), puis le tissu sous-cutané et la peau ; l'arcade crurale est soigneusement réparée lors
de ce temps ; au niveau du Scarpa, un premier plan est réalisé sur la lame ganglionnaire, un
deuxième pour le sous-cutané, puis un troisième pour la peau ; on place enfin un drain
aspiratif de Jost-Redon dans la profondeur des deux régions et, à la demande, en sous-cutané
si les circonstances le justifient (sujet obèse, décollements, etc.). L'ensemble est recouvert
d'un pansement sec.
637
Variantes
Les variantes de l'abord ne portent guère ici que sur son extension vers le haut, en
direction de l'artère iliaque primitive (l'abord transpéritonéal en urgence de l'aorte étant un
autre problème) ou vers le bas sur l'axe de la fémorale superficielle, plus rarement sur l'artère
fémorale profonde ou ses branches.
Complications post-opératoires
Elles peuvent avoir plusieurs origines.
Quand l'intervention a été tardive, un choc, une toxémie, un sepsis, une néphropathie
aiguë sont possibles, justifiant une réanimation attentive.
Les complications peuvent aussi être liées au geste chirurgical lui-même. Une récidive
hémorragique peut être précoce, liée à un défaut technique justifiant une reprise chirurgicale,
ou secondaire (10-12e jour), liée à un sepsis larvé à traiter par reprise chirurgicale et pontage
extrafocal. Une ischémie précoce est due à une thrombose. Si elle est complète, il faut
réintervenir en urgence. Si elle est partielle, une simple surveillance peut parfois suffire. Si
possible, on effectuera bien sûr une artériographie. En cas d'œdème extensif, il faut mettre en
œuvre un traitement médical et une physiothérapie attentive, et réaliser une aponévrotomie
précoce.
Enfin, il peut exister des complications à distance : faux anévrysme artériel, fistule
artério-veineuse, sténose résiduelle, séquelles de l'ischémie ou de la nécrose initiale, œdèmes
résiduels, etc.
En réalité
Les résultats de cette chirurgie sont, sous réserve de minutie, satisfaisants. Si la
mortalité globale, compte tenu des facteurs impondérables de l'urgence, est de 1 à 2 %, les
résultats fonctionnels restent à long terme excellents dans près de 95 % des cas. Il ne faut
donc pas hésiter d'exposer largement pour réparer au mieux ce type de lésions
638
Fracas diaphysaires de jambe
par projectile de guerre
J.-F. THIERY
Dans le cadre d'un conflit armé, un homme de 25 ans est admis 2 h après une blessure
par balle du tiers moyen de la jambe droite. Il présente une plaie étendue de la jambe avec
délabrement cutané et musculaire de la loge antéro-externe sur une surface de 8 cm2 à grand
axe vertical. La vitalité du membre est bonne, le retentissement sur l'état général est discret,
la radiographie révèle un fracas diaphysaire étendu sur 6 cm environ.
Cet homme de 25 ans est victime de la plus fréquente des blessures de guerre : le
fracas diaphysaire ouvert. Il pose le problème du traitement en urgence de cette lésion.
Le diagnostic positif est évident devant cet os exposé, explosé au sein d'une plaie du
tiers moyen de jambe.
Les premiers gestes thérapeutiques sont alors réalisés avec la pose d'une voie
veineuse permettant un remplissage et la mise en route d'une antibiothérapie à large spectre à
visée aéro-anaérobie. La plaie est recouverte d'un pansement antiseptique et on pose une
attelle radiotransparente pour immobiliser provisoirement le membre.
639
Au total, il s'agit d'un fracas diaphysaire ouvert de jambe par projectile de guerre avec
perte de substance cutanée axiale sans lésion vasculo-nerveuse associée (fig. 35.1). Cette
lésion correspond à un stade III de Cauchoix et Duparc, un type 3b de Gustilo-Anderson, un
type 3 de Byrd. Il s'agit d'une première urgence qui doit être traitée avant la 6e h.
Que s'est-il passé ? : Cette plaie de guerre confronte deux acteurs : l'agent vulnérant
et la cible.
- L'agent vulnérant est ici une balle. Les lésions induites par cette balle dépendent de
sa capacité vulnérante qui correspond à son énergie cinétique (E = 1/2 mV2). Il faut remarquer
le rôle primordial joué par la vitesse dans le déterminisme de cette capacité vulnérante. Trois
phénomènes constants coexistent dans ce type de blessure : l'aspiration, responsable de
souillures, la cavitation, responsable de nécrose plus ou moins étendue, et la fragmentation
responsable de la création de nombreux projectiles secondaires ;
- la cible : c'est la jambe qui, d'un point de vue anatomique, est constituée d'un sac
cutané, d'un squelette osseux et de parties molles :
• le sac cutané est largement ouvert puisqu'il existe une perte de substance de 8 cm2 :
c'est une porte d'entrée pour l'infection, qu'elle soit aspécifique ou spécifique comme la
redoutable gangrène gazeuse ou le tétanos,
• l'os est fracturé, multi-esquilleux, avec des décollements et des avulsions périostées
qui vont compromettre sa vascularisation,
• les muscles sont nécrosés, dilacérés, contus sur des étendues plus ou moins
importantes. Ces lésions peuvent mettre en jeu le pronostic fonctionnel. Elles représentent
surtout un excellent milieu de culture,
• les lésions des vaisseaux et des nerfs, a priori absentes ici, peuvent ailleurs mettre en
jeu le pronostic fonctionnel du membre,
640
• les aponévroses limitant les différentes loges sont inextensibles et des phénomènes
de compression peuvent apparaître secondairement par le développement d'un œdème
ou d'hématomes.
- la chirurgie radicale est l'amputation. Ce geste ne répond pas aux buts que nous nous
sommes fixés. C'est un geste de sauvetage ou de nécessité quand les lésions dépassent toute
possibilité thérapeutique ;
- la chirurgie conservatrice est la règle. Elle associe un geste d'éradication de tout
foyer infectieux potentiel, le parage, à la réduction et la stabilisation du fracas.
Cette stabilisation peut être obtenue par traction simple transcalcanéenne sur attelle de
Boppe ; elle est alors approximative. La méthode de Carlo Ré, associant une traction
divergente par broches noyées dans un plâtre fenêtre sur la plaie, peut rendre service en zone
défavorisée. Mais la meilleure solution dans ces conditions précaires est l'exofixation par
fixateur externe : il s'agit d'une ostéosynthèse rigide, modulable. L'appareil le mieux adapté à
l'utilisation en chirurgie de guerre et de masse est le FESSA (fixateur externe du Service de
Santé des Armées). Encore faut-il s'assurer, surtout si l'on est amené à traiter des populations
civiles, que l'on pourra garantir le suivi post-opératoire, en particulier jusqu'au retrait du
fixateur.
Dans le cas de notre blessé, l'indication opératoire est formelle après la mise en route
de l'antibiothérapie.
Comment opérer ?
Un rappel anatomique est ici nécessaire.
641
Après le parage, on mettra en place un fixateur externe dont les fiches vont perforer
les parties molles de part et d'autre du fracas et les extrémités osseuses au-dessus et au-
dessous du fracas diaphysaire. Sur deux coupes, aux tiers supérieur et inférieur de jambe, on
voit bien que les faces chirurgicales du tibia sont la face interne, plane, et la face antéro-
externe où seul le jambier antérieur sera transfixié.
Le montage pris comme type de description est le montage le plus rigide possible
associant deux tubes axiaux inclinés l'un par rapport à l'autre à plus de 90° et renforcé par des
tubes perpendiculaires. C'est un montage dit « triangulaire renforcé ».
Anesthésie
L'anesthésie sera générale, la seule envisageable en urgence.
Installation
Il faudra utiliser deux tables, la première pour le parage, la seconde pour la mise en
place du fixateur externe. Les instruments nécessaires sont pour le parage ceux de chirurgie
courante, avec un aspirateur et un bistouri électrique. Pour la pose du fixateur, il faut disposer
de l'ancillaire de pose que nous décrirons plus loin avec la technique de mise en place.
Préparation du membre
La préparation du membre commence par une toilette centrifuge de la plaie. Après
extraction des gros corps étrangers, cette plaie est rincée puis nettoyée à l'aide d'une brosse
stérile et d'une solution antiseptique. Le membre est ensuite badigeonné d'antiseptiques, puis
isolé par un champ de membre inférieur.
Parage
C'est un geste chirurgical majeur qui va en grande partie conditionner l'avenir. Il est
réalisé plan par plan-et doit rester marginal.
- Le temps cutané : il faut réséquer les lambeaux de peau dévitalisée et régulariser les
berges contuses pour obtenir des berges cutanées franches et propres.
- Le temps adipeux : le tissu graisseux peut être excisé largement.
- Les aponévroses sont réséquées sur le trajet de la balle et largement ouvertes en
prévention d'un syndrome des loges.
- Les muscles sont régularisés jusqu'en zone saine, contractile. L'hémostase doit être
soigneuse, au fil, en évitant le bistouri électrique.
- L'os doit autant que possible être préservé. Seules les esquilles osseuses totalement
dévascularisées sont enlevées. Attention au parage endo-canalaire.
Il faut éviter de laisser des esquilles corticales dans le canal médullaire car elles
vont évoluer vers la séquestration.
642
Au cours de ce parage, le site opératoire est abondamment rincé avec une solution
antiseptique.
Figure 35.2 : Méthode de stabilisation osseuse, dans les fracas diaphysaires de jambe
par projectile de guerre (FESSA).
643
Pose du FESSA
Le FESSA est un fixateur tubulaire de 18, 12 ou 8 mm de diamètre.
Le tube représente le corps du fixateur. Il est solidarisé à l'os par des fiches
transfixiant le tube.
• Pose d'une fiche : le tube est utilisé comme gabarit. Après moucheture de la peau au
bistouri, on introduit le guide-mèche à travers le tube. Un pointeau coulissant dans le guide-
mèche permet de perforer les parties molles jusqu'à ce que le guide-mèche vienne s'appuyer
sur l'os. On retire alors le pointeau et on introduit une mèche de 4 mm, montée sur une
chignole à main, dans le guide. On perfore alors les deux corticales puis on retire la mèche
avec son guide, sans modifier le sens du méchage, ce qui évite le bourrage du trajet. Une
fiche filetée autotaraudante de 5 mm est introduite à travers le tube et posée à la chignole à
main en prenant les deux corticales. Cette fiche est solidarisée au tube par deux vis à fond
plat.
• Pose du premier tube : elle s'effectue sur la face interne de jambe. Principes : le tube
doit être le plus près possible de la peau pour que le montage soit le plus rigide possible. Il
faut poser trois fiches de part et d'autre du foyer de fracture. Elles doivent être équidistantes.
• Pose du second tube : ce second tube doit faire avec le précédent un angle de plus de
90°. Sa technique de pose est identique à la précédente. Il faut légèrement décaler les fiches
vers le haut sur le segment distal pour pouvoir en poser six. La plaque et les daviers peuvent
alors être enlevés.
Fermeture-drainage
Lorsque le parage le permet, la fermeture primitive doit être la règle. Elle est réalisée
sur un double drainage aspiratif de diamètre 12 autorisant une éventuelle irrigation-lavage.
644
L'intervention s'achève en recouvrant la plaie et chaque fiche d'un pansement non
compressif.
Suites opératoires
645
- Les antibiotiques sont poursuivis au moins 3 semaines, et l'anti coagulation jusqu'à
reprise de l'appui.
- La surveillance comporte plusieurs éléments : pouls, pression artérielle, température
et vitalité du membre.
- En l'absence de signes d'appel infectieux locaux ou régionaux, le pansement est
refait au 3e j, date à laquelle on peut retirer les drains si l'aspect de la plaie est satisfaisant. S'il
apparaît des signes d'infection, il faut recourir à un débridement et un parage itératif.
- La dynamisation, c'est-à-dire la remise en charge progressive avec allégement du
fixateur, commencera à partir du 3e mois et s'étendra sur une période de 3 à 6 mois. L'ablation
définitive du fixateur pourra alors être envisagée, sous couvert d'une orthèse.
- Les complications sont essentiellement l'infection pouvant conduire à la
pseudarthrose septique. Un syndrome des loges est possible si l'ouverture des aponévroses a
été insuffisante.
- Le traitement de la pseudarthrose septique est long et difficile. Il faut assécher
l'infection et assurer une bonne couverture cutanée pour obtenir la consolidation. La
technique de base du traitement de cette pseudarthrose septique est la greffe intertibio-
péronière (GITP).
- Les séquelles : ce sont essentiellement les rétractions des parties molles, en
particulier des tendons, que l'on doit prévenir par une rééducation précoce, possible si le
montage est solide.
646
Amputation de jambe pour fracas
J.-F. THIERY
Soldat de 25 ans blessé deux heures auparavant par éclat d'obus au tiers inférieur de
la jambe droite. Admis à Vantenne chirurgicale, garrotté au-dessus du genou, pansé et
immobilisé sur attelle, son hémodynamique est stable et une voie veineuse périphérique est en
place. La fiche d'évacuation précise qu'il existe un vaste délabrement du tiers inférieur de
jambe avec une perte de substance pratiquement circulaire et qu' il y avait une vaste
hémorragie en jet.
Le blessé est déshabillé et, par un examen complet, on s'assure que cette blessure
est isolée. Dès lors, on peut centrer son attention sur la jambe. Le garrot étant laissé en
place, on examine la plaie pour évaluer l'importance du délabrement. La lésion est
circulaire, avec une perte de substance cutanée dont on précise la hauteur. On apprécie
également l'importance des lésions musculaires et, en particulier, l'existence de perte de
substance musculo-tendineuse et osseuse. L'examen de la continuité vasculo-nerveuse
n'est pas réalisable sans anesthésie. On pourra cependant prudemment lever le garrot
après alcalinisation pour mettre en évidence une hémorragie en jet. L'absence de cette
hémorragie ne signifie pas forcément intégrité vasculaire, l'hémostase provisoire pouvant
être assurée par un spasme ou une thrombose.
647
- du stade IIIc de Gustilo-Anderson ;
- du stade IV de Byrd.
De quoi s'agit-il ?
Ces lésions sont probablement celles les plus graves de l'appareil locomoteur. L'agent
vulnérant, ici un volumineux éclat d'obus, a véritablement broyé la jambe, avec lésions de la
peau, des parties molles et de l'os. Il s'agit pratiquement d'une amputation traumatique de
jambe. C'est une première urgence.
Quand opérer ?
648
On opère après un bilan général rapide et une mise en condition préopératoire qui
comporte deux aspects : technique, avec pose d'une voie veineuse centrale, mais aussi chaque
fois que possible psychologique : quelques minutes suffisent à expliquer, rassurer et
dédramatiser autant que faire se peut.
Les impératifs anatomiques sont essentiellement vasculaires et on voit, sur une coupe
au tiers moyen de jambe, que trois pédicules doivent être contrôlés :
- le pédicule tibial antérieur ;
- le pédicule tibial postérieur ;
- le pédicule péronier.
Le matériel est celui nécessaire à la chirurgie des parties molles, auquel on ajoute des
couteaux à amputation, un rétracteur à parties molles, une scie.
L'anesthésie est générale.
Il faut respecter les principes suivants : l'amputation en urgence n'est pas un geste
définitif mais au contraire une intervention de régularisation et de sauvetage. Le geste doit
donc tenir compte de l'appareillage ultérieur qui sera d'autant plus aisé que le bras de levier
distal sera long. Il faut donc conserver le plus possible d'étoffe distale.
Les parties molles ont toujours tendance à se rétracter en post-opératoire. Il faut donc
couper l'os plus haut que les parties molles.
Le contrôle des nerfs doit être rigoureux. Les moignons douloureux sont dus au
développement de névromes irritatifs. Pour les éviter, il faut que le névrome, qui est le terme
de la cicatrisation normale du nerf, se développe en zone saine et à distance des zones
d'appui. Le nerf doit donc être sectionné nettement au-dessus de la tranche d'amputation.
Protocole opératoire
Temps cutané
La régularisation cutanée se fait au bistouri froid. Elle est circulaire, suivant la limite
des lésions mais elle doit conserver les grands lambeaux bien vascularisés.
L'hémostase des grosses veines superficielles est réalisée par ligature au fil n° 3
décimal résorbable.
649
Temps antérieur
Le couteau à amputation, tranchant, fil légèrement incliné vers le haut, permet de
sectionner franchement les masses musculaires antérieures. Cette section se fait
progressivement jusqu'à repérer les paquets vasculo-nerveux. Ceux-ci sont isolés et disséqués.
Les artères et les veines sont contrôlées par ligatures appuyées au fil n°3 décimal, puis
sectionnées. Il faut ensuite tirer sur les nerfs, pour les sectionner le plus haut possible à la
pointe des ciseaux courbes après les avoir infiltrés à la Xylocaïne.
Temps osseux
Les parties molles étant sectionnées, il faut libérer sur quelques centimètres les fûts
osseux du tibia et du péroné. Cette libération permet de placer le rétracteur à parties molles.
L'aide tire fermement sur ce rétracteur et les os peuvent être sectionnés au ras de celui-ci. Si
l'on ne dispose pas de rétracteur, on peut utiliser un champ opératoire troué.
Contrôles
L'amputation est maintenant terminée et il faut à ce stade contrôler plusieurs points.
650
L'hémostase : le garrot est lâché et les hémostases complémentaires, en particulier
des tranches musculaires, doivent être faites. Le saignement est contrôlé provisoirement par
des pinces de Halstead puis chaque hémostase est faite au fil serti résorbable n°3 décimal. Il
ne faut pas utiliser le bistouri électrique.
Suites
II faut en post-opératoire poursuivre le traitement antibiotique et prévenir les
thromboses. Le pansement sera contrôlé à la 72e heure s'il n'est pas souillé.
651
- la reprise hémorragique par lâchage d'une hémostase relève d'une faute technique ;
- l'infection d'un moignon laissé ouvert relève d'une insuffisance de résection musculaire ;
- la rétraction cutanée avec exposition progressive des fûts relève d'une insuffisance de
résection osseuse.
Les variantes sont nombreuses et on y recourt en fonction des lésions rencontrées.
Retenons l'artifice décrit par Chauvet qui utilise un fixateur externe permettant de conserver
un bras de levier plus long en cas de lésion osseuse bifocale.
Le membre est ensuite appareillé, ce qui peut nécessiter des retouches chirurgicales. Il
faut bien entendu assurer tout au long de cette évolution un soutien psychologique.
Conclusion
Au total, devant un broiement de jambe, lorsque les conditions sont précaires, il faut
bien souvent savoir se résoudre à amputer, même si l'attitude doit être de tenter le plus
possible de conserver le membre. Une technique simple, sans ambition plastique, permet
habituellement d'obtenir des suites opératoires simples, autorisant d'aborder rapidement la
phase d'appareillage de ce membre amputé.
652
Plaie cranio-cérébrale
A. DUCOLOMBIER
653
arrive en état de coma stade II, avec une réactivité adaptée. Le score de Glasgow est à 6, il
existe une hémiparésie gauche mais, surtout, l'examen des nerfs crâniens découvre une
mydriase droite. On diagnostique un syndrome alterne par engagement temporal droit.
L'examen local, pansement ouvert, retrouve l'orifice d'entrée (Fig. 37.1), unique,
avec un gros délabrement cutané. On recherche avec un gant stérile l'issue de matière
cérébrale, l'écoulement de LCR, et on pose des pinces à hémostase sur les principales artères
du cuir chevelu pour contrôler d'emblée l'hémorragie externe.
Au total, le blessé présente une plaie cranio-cérébrale frontale droite par éclat d'obus,
avec orifice d'entrée borgne. L'aggravation, survenue après un intervalle libre de 2 h, fait
suspecter une complication suraiguë par hématome intracrânien et engagement temporal, il
s'agit d'une extrême urgence neurochirurgicale.
654
dans ce contexte de guerre, et le blessé doit être préparé à l'intervention, au moins par un
groupage sanguin et des tests d'hémostase.
L'éclat d'obus a créé une plaie cranio-cérébrale (Fig. 37.3) avec effraction du cuir
chevelu, de la voûte du crâne, de la dure-mère et une lésion cérébrale. Il s'est produit une
chambre d'attrition frontale avec des esquilles osseuses, des débris de casque, des cheveux, de
la bouillie cérébrale, qui constituent un excellent milieu de culture bactérienne.
655
Les complications infectieuses sont plus tardives et justifient un parage minutieux des
lésions avec fermeture de la dure-mère.
Les méthodes médicales sont représentées par la réanimation qui sera débutée en
pré-opératoire et qui préparera le malade à l'intervention : traitement anti-œdémateux
cérébral, mannitol et corticoïdes, équilibration ventilatoire et circulatoire avec oxygénation,
antibio-thérapie, anticomitiaux.
Les principes reposent sur l'excision des tissus dévitalisés, au mépris de la fonction,
l'ablation des hématomes et l'hémostase soigneuse, la fermeture de la dure-mère et du cuir
chevelu. L'ablation du projectile est plus accessoire. On a le choix entre un parage à la
demande de la cheminée d'attrition avec respect de l'éclat, et une lobectomie frontale si la
lésion est polaire, en cas d'éclatement du lobe frontal, avec ablation de l'éclat.
Faut-il opérer ?
L'intervention en urgence est ici indiquée, au vu du type de lésion, du fait qu'elle seule
puisse empêcher l'évolution gravissime, et devant le jeune âge du patient.
Quand opérer ?
656
L'indication opératoire est portée selon l'effet de la réanimation initiale : si la situation
s'améliore, il s'agit d'un œdème cérébral, le blessé est classé en première urgence, et on peut
temporiser de quelques heures, 6 h au plus. S'il n'y a pas d'amélioration, il faut opérer
d'emblée en extrême urgence.
Pour réaliser cette intervention, un rappel anatomique est nécessaire, avec une
vue latérale droite du cerveau (Fig. 37.5). Les obstacles sont les plans superficiels (Fig. 37.3),
cuir chevelu très vasculaire et hémorragique en raison de la présence de l'artère temporale
superficielle dont il faudra faire l'hémostase, muscle temporal et son aponévrose qu'il faudra
inciser et ruginer, plan osseux frontal et temporal qui sera trépané, dure-mère sur laquelle
transite l'artère méningée moyenne qu'il faudra clipper et coaguler.
Le risque opératoire est dû à la proximité des vaisseaux, des artères corticales pré-
rolandiques, du sinus longitudinal supérieur et des zones corticales fonctionnelles qu'il faudra
s'efforcer de respecter.
Comment opérer ?
Pour la voie d'abord, il y a deux possibilités :
Cette dernière est choisie ici en raison des conditions opératoires (guerre, afflux de
blessés, matériel réduit, extrême urgence, large plaie agrandissable facilement).
657
La préparation du patient comporte une anesthésie générale avec intubation
trachéale, et une réserve de sang isogroupe suffisante.
Temps osseux
- Forage d'un trou de trépan en zone saine, près de l'orifice d'entrée (Fig. 37.6) ;
- craniectomie large, circonscrivant cet orifice ;
- ablation des esquilles osseuses superficielles ;
- évacuation d'un hématome extradural éventuel ;
- hémostase des tranches osseuses à la cire de Horsley.
658
Temps dure-mérien
- Parage économique de la dure-mère, hémostase de ses vaisseaux ;
- complément d'ouverture durale par refends radiaires (Fig. 37.7) ;
- suspension des lambeaux duraux.
Temps cérébral
- Le parage cérébral se fait par une aspiration douce sur petits cotons d'une main et
une pince à coaguler ou une curette mousse de l'autre.
- exérèse de la bouillie cérébrale, des esquilles osseuses, des cheveux. L'éclat est
enlevé si cela ne pose pas de difficulté particulière ;
- évacuation des collections sanguines extra-, sous-durales ou intra-cérébrales ;
- lobectomie frontale de nécessité (Fig. 37.8) si l'œdème cérébral est important pour
traiter l'hypertension intracrânienne et réduire l'engagement temporal, si possible en avant de
la circonvolution frontale ascendante qui se trouve à 2 cm en arrière de la suture fronto-
pariétale ;
- hémostase soigneuse de tout le foyer opératoire, artères, veines et tranche de
substance cérébrale. Le sinus longitudinal supérieur doit être vérifié s'il est à proximité. Le
liquide de lavage doit revenir parfaitement clair ;
- lavage à l'eau oxygénée diluée à moins de 10 volumes pour 100 pour parfaire
l'hémostase et pour désinfecter le foyer opératoire.
Fermeture
- Drain intracavitaire non aspiratif en siphonage ;
- suture étanche de la dure-mère en s'aidant d'une plastic d'épicrâne. Suspension en
périphérie ;
- suture du muscle temporal et de son aponévrose ;
659
- suture étanche du cuir en deux plans, galéa et peau, grâce à la rotation des deux
lambeaux pour combler le défect cutané, sur drain de redon aspiratif sous-cutané.
Soins post-opératoires
- Antibiothérapie à fortes doses (ampicilline + flagyl) pendant 10 j en intraveineuse
puis 1 mois par voie orale ;
- anti-œdémateux et anticomitiaux ;
- drains enlevés à J+2, points à J+10 ;
- greffe cutanée au 10e j si perte de substance ;
- contrôle scanner en milieu bien équipé.
Complications post-opératoires
660
L'absence de réveil peut être expliquée par une lésion irréversible du tronc cérébral ou
par la lésion d'un gros vaisseau intracrânien.
Les infections, à type d'ostéite du volet, de méningite, d'abcès ou d'empyème, sont des
complications qu'il faut toujours rechercher en cas de fièvre post-opératoire.
Conclusion
Chez ce blessé grave, une intervention urgente et complète peut donner un excellent
résultat en dépit de ces multiples écueils. Le résultat définitif dépend directement de
l'importance des lésions initiales.
661
Hématome extra-dural
ALAIN DUCOLOMBIER
En effet, dès l'arrivée du blessé, Y examen neurologique constate qu'il est en état de
coma stade II, c'est-à-dire encore réactif et adapté, et surtout qu'il existe une mydriase gauche.
Ce tableau de souffrance aiguë du tronc cérébral doit faire pratiquer d'emblée des gestes de
réanimation : intubation trachéale, ventilation assistée, oxygénation, voie veineuse pour
perfusion de mannitol et de corticoïdes.
662
depuis resté obnubilé. Une telle chronologie fait évoquer d'emblée l'évolution en trois temps
de l'hématome extradural, d'autant plus que la radiographie du crâne présentée (Fig. 38.1)
objective un trait de fracture temporal gauche.
La poursuite de l'examen sera local, à la recherche d'un point d'impact sur le cuir
chevelu, facial pour étudier les autres nerfs crâniens, et général dans l'éventualité d'une lésion
associée. Une sonde urinaire est mise en place.
L'effet de masse exercé sur le lobe temporal a ensuite entraîné l'engagement de l'uncus
de l'hippocampe dans l'incisure tentorielle, avec compression du pédoncule cérébral gauche,
expliquant ainsi le coma, par compression de la substance réticulée, et la mydriase, par
compression du noyau du III (Fig.38.3).
663
En l'absence de traitement, l'évolution est rapidement fatale par troubles respiratoires
et nécrose du tronc cérébral. Une décompression chirurgicale d'extrême urgence est
impérative pour éviter ce drame et limiter les séquelles neurologiques.
Mais c'est la chirurgie qui est le traitement réellement curatif : il s'agit d'évacuer la
masse de l'hématome pour décomprimer le cerveau sous-jacent, d'assurer l'hémostase du
vaisseau qui saigne et de suspendre la dure-mère pour éviter sa récidive.
Faut-il opérer ?
L'intervention ne se discute pas ; elle seule est salvatrice.
Quand opérer ?
En extrême urgence, car le blessé est en état d'engagement temporal.
Comment opérer ?
Pour cela, un rappel anatomique (Fig.38.4) semble nécessaire, avec étude des
différents plans de couverture : cuir chevelu et galéa qui sont décollés avec la taille du scalp,
aponévrose temporale et muscle temporal qui sont incisés et ruginés, voûte osseuse temporale
qui sera trépanée avant d'atteindre l'espace extra-dural où siège l'hématome.
Sur une vue latérale, on remarque le siège de l'écaillé temporale et le trajet de l'artère
méningée moyenne dont on devra faire l'hémostase.
664
Pendant l'intervention, la réanimation sera poursuivie pour protéger au maximum le
cerveau.
Il n'y a qu'un seul problème chirurgical, celui de la voie d'abord : faut-il faire un volet
ou une craniectomie ?
En réalité, on peut combiner les deux méthodes, commencer par un trou de trépan
pour évacuer le principal de l'hématome et soulager le cerveau, puis confectionner un volet
temporal circonscrivant l'hématome. C'est l'intervention que nous réaliserons en pratique.
Préparation du patient
Elle comporte une anesthésie générale avec intubation trachéale et ventilation assistée.
Le patient est placé en décubitus dorsal, tête en rotation droite maximale (Fig.38.5).
L'instrumentation est celle d'une boîte d'urgence en chirurgie crânienne avec trépan et
craniotome pneumatiques, clips vasculaires, électrocoagulation, aspiration.
665
Protocole opératoire
II comprend plusieurs temps.
666
3e temps : fermeture.
- Suspension de la dure-mère à l'épicrâne adjacent par des points non résorbables sur
chaque angle.
- Drain de Redon aspiratif extra-dural.
- Reposition du volet osseux fixé par quatre points trans-osseux.
- Suture de l'épicrâne et de l'aponévrose temporale.
- Points séparés en deux plans sur le cuir et drainage sous-cutané aspiratif.
Soins post-opératoires
Le réveil du patient se fait classiquement sur la table d'opération.
667
L'extension antérieure ou postérieure de l'hématome oblige parfois à des contre-
incisions d'agrandissement, de façon à lever la totalité de la compression.
Complications post-opératoires
Un œdème cérébral ou une ischémie du tronc cérébral post-engagement peuvent
provoquer une absence de réveil. Un nouvel hématome est toujours possible, et le recours au
scanner est alors systématique. En l'absence de scanner disponible, les indications opératoires
sont posées sur la clinique.
Conclusion
Globalement, l'évolution est favorable dans 40-50 % des cas quand l'intervention
est pratiquée en urgence.
668
Césarienne
G. CHARLES
Tout médecin qui effectue des accouchements peut être amené à effectuer des
césariennes.
Indications
Les indications de la césarienne varient d'un pays à l'autre.
Indications formelles
La dystocie mécanique par disproportion fœto-pelvienne :
669
Les présentations non dystociques (siège, face) avec arrêt de la dilatation. Les
dystocies dynamiques, en présentation céphalique, quand il est impossible de recourir au
forceps :
- troubles de la contractilité utérine ;
- troubles de la dilatation du col.
Dans toutes ces circonstances, l'apparition d'une souffrance fœtale aiguë (bradycardie,
liquide méconial) peut faire hâter la décision.
Indications d'urgence
Ce sont les plus fréquentes dans les postes isolés ou en milieu obstétrical non
spécialisé.
L'éclampsie :
- en début de travail, si le col n'est pas dilaté, la césarienne permet d'extraire un enfant
vivant et souvent d'améliorer l'éclampsie de la mère ;
- en fin de travail, la césarienne est indiquée s'il apparaît une souffrance fœtale.
La souffrance fœtale aiguë au cours du travail quand la voie basse n'est pas possible.
La rupture utérine :
- sur un utérus fragilisé par une césarienne antérieure, l'extraction en urgence peut
sauver l'enfant ;
- chez une femme épuisée, évacuée d'un dispensaire de brousse, en travail depuis
plusieurs jours, l'intervention est réalisée pour sauvetage maternel (hystérectomie), le décès
fœtal ayant déjà eu lieu dans de telles circonstances.
670
Contre-indications
Césarienne sur fœtus mort (indication d'embryotomie).
Césarienne corporéo-segmentaire
Elle est réalisée à cheval sur le segment inférieur et sur le corps. Son avantage est
d'être relativement simple, et ses inconvénients sont les mêmes que ceux de la césarienne
corporéale. C'est une incision que l'on effectue en complément lorsque l'accès au segment
inférieur est insuffisant pour extraire le fœtus.
Césarienne segmentaire
L'incision est effectuée sur le segment inférieur, de façon transversale ou
longitudinale. L'incision transversale, réalisée dans 90 % des césariennes, a plusieurs
avantages : la perte sanguine est faible, les adhérences post-opératoires sont exceptionnelles,
la réparation est simple et le risque de déhiscence cicatricielle ultérieure est minime. Une
seule réserve existe lorsque le segment inférieur est mal amplié, car il y a risque de déchirure
latérale avec atteinte des vaisseaux des pédicules utérins. Dans ce cas, certains proposent une
incision verticale basse. Cette incision, qui doit rester théoriquement strictement segmentaire,
est plus difficile à réaliser car elle empiète souvent vers le haut sur la partie inférieure du
corps utérin. Vers le bas, il y a un risque, lors de l'extraction fœtale, d'extension de l'incision
vers le col, le vagin et la face postérieure de la vessie.
Quelle que soit la direction de l'incision, la césarienne segmentaire est celle qui
entraîne à l'heure actuelle le moins de morbidité. Sur le segment inférieur abordé en position
sous-péritonéale, le risque infectieux est moindre. La suture segmentaire est solide et la
cicatrice de césarienne transversale est d'excellente qualité.
Césarienne vaginale
Réservée au spécialiste, elle permet de se sortir de certaines situations obstétricales
difficiles (échec d'une interruption thérapeutique de grossesse, extraction pour mort fœtale in
utero après échec de la dilatation cervicale ou apparition d'une hémorragie grave).
Elle est simple et rapide pour l'opérateur entraîné à la chirurgie par voie vaginale et a
le mérite de préserver l'avenir obstétrical. Pour l'opérateur non expérimenté, elle expose- en
revanche à des complications (hémorragies du segment inférieur et plaies vésicales).
Anatomie
Les conséquences anatomiques de la grossesse sur le pelvis sont importantes : les
rapports de l'utérus gravide avec les organes pelviens sont modifiés, la vascularisation
671
artérielle et surtout veineuse est hypertrophiée et le segment inférieur se développe aux
environs du terme.
Segment inférieur
À terme, le segment inférieur s'individualise par distension progressive de la région
isthmique de l'utérus gravide. Ce n'est pas une entité anatomique définie (Lacomme), car sa
forme et ses limites anatomiques sont variables.
Le segment inférieur est moins vascularisé que le corps utérin. Au niveau artériel,
l'irrigation de la partie basse et centrale du segment inférieur est pauvre ; au niveau veineux,
les plexus sont transversaux mais ils sont peu abondants dans la partie basse du segment
inférieur.
Latéralement, le segment inférieur est en rapport avec la base des ligaments larges très
étalés sur 4 à 5 cm dans le sens antéro-postérieur. L'uretère ne constitue pas en principe un
danger lors de la césarienne car il reste collé sur la paroi pelvienne. Le segment inférieur
développé lui donne un trajet concave en dedans.
672
L'accroissement du volume utérin éloigne l'uretère de l'artère utérine. Elle le surcroise
à distance et sa boucle se situe à 2,5 cm au-dessus du cul-de-sac vaginal. Puis, l'artère utérine
s'accole plus précocement à l'utérus avant d'avoir donné ses branches cervico-vaginales.
Cependant, la dextro-rotation de l'utérus à terme peut modifier ces rapports : l'artère utérine
gauche et ses branches s'accolent à l'utérus plus en avant qu'à droite. Lors de l'agrandissement
latéral d'une hystérotomie transversale, c'est presque toujours le pédicule gauche qui est lésé.
C'est pourquoi il faut toujours commencer l'incision à gauche. Enfin, l'uretère gauche, dans le
cas d'une dextro-rotation trop prononcée, peut avoir un court trajet sur la face antérolatérale
du segment inférieur et être exceptionnellement blessé à ce niveau
L'état de gravidité confère aux artères et surtout aux veines une fragilité particulière
qui les expose à la rupture lors des déchirures du segment inférieur, à l'occasion d'extraction
fœtale laborieuse. Le risque de blessure urétérale en cas d'hémostase à la volée est alors
majoré (Fig. 39.2).
Technique
Préparation pré-opératoire
L'intervention doit être la plus rapide possible mais la préparation ne doit pas être
négligée. Une ou deux bonnes voies veineuses aux membres supérieurs, avec perfusion de
macromolécules sont nécessaires. Il faut prévoir éventuellement du sang isogroupe isoRH.
673
Il faut prendre certaines précautions pour minimiser le risque infectieux au cours de
cette césarienne réalisée en urgence :
Anesthésie
L'anesthésie obstétricale comporte des dangers et répond à des impératifs précis. Elle peut
être générale ou locorégionale.
L'anesthésie générale permet une induction rapide dans le cadre de l'urgence et n'entraîne
qu'une hypotension modérée. Ses inconvénients sont dus à la difficulté d'intubation,
surtout en milieu non spécialisé, au risque d'inhalation de liquide gastrique chez cette
femme enceinte considérée par les anesthésistes comme ayant l'estomac plein, à la
difficulté de la surveillance pendant le réveil, et à la dépression respiratoire qu'elle
entraîne chez le nouveau-né.
674
En poste isolé, on recourt le plus souvent à la rachianesthésie par ponction lombaire au
niveau de L4-L5. Elle est facile, rapide, échoue rarement et peut être réalisée en urgence.
675
Elle confère un bon silence abdominal. Elle a l'inconvénient de sa brièveté (1 h à 1 h
30) et entraîne une hypotension brutale. L'anesthésie péridurale est plus délicate et ne
convient pas à l'urgence ; elle est en revanche plus facile à contrôler sur le plan
hémodynamique.
Matériel
Le matériel nécessaire à cette intervention est une boîte de chirurgie abdominale, un
écarteur autostatique type Cotte, Gosset ou Ricard avec une valve sus-pubienne de Rochart.
Un aspirateur puissant est très utile. Le matériel de désobstruction, d'oxygénation et de
réchauffement du nouveau-né doit être prévu.
Installation
La patiente est en décubitus dorsal, avec une inclinaison latérale gauche de 15 à 20°,
réalisée avec un drap roulé sous la fosse lombaire droite pour éviter la compression de la
veine cave par l'utérus gravide.
Intervention
Laparotomie médiane sous-ombilicale
L'intervention débute par une laparotomie médiane sous-ombilicale par incision
cutanée, commencée à 2 cm au-dessus du bord supérieur du pubis et menée franchement
jusqu'à un travers de doigt sous l'ombilic (Fig. 39.3).
Cette paroi, amincie, est très facilement traversée et il faut être prudent, même chez
l'obèse.
Exposition
L'utérus n'est pas extériorisé mais on expose son pôle inférieur à l'aide d'une valve
sus-pubienne de Rochart placée au niveau de l'extrémité inférieure de l'incision. On isole le
champ opératoire de la cavité péritonéale par un champ abdominal imbibé de sérum chaud
placé dans chaque gouttière pariétale. pour éviter que du sang ou du liquide amniotique ne
pénètrent dans la cavité péritonéale.
676
Incision du péritoine viscéral (Fig. 39.4)
Le péritoine pré-utérin est décollé facilement de la face antérieure du segment
inférieur bien formé, à 2 à 3 cm au-dessus du relief vésical, puis incisé sans hésitation sur la
ligne médiane. À travers la boutonnière ainsi créée, on poursuit l'incision latéralement, en
direction des bords utérins après avoir glissé les ciseaux de Mayo fermés pour compléter le
clivage sous-péritonéal, très aisé, qui permet d'abaisser la vessie de la zone d'incision
segmentaire.
Extraction fœtale
Ce temps est le plus dangereux de l'intervention, spécialement en cas de présentation
engagée et fixée. Il ne doit pas être réalisé « à la volée » mais au contraire avec une lenteur
677
réfléchie. Lorsque le pôle céphalique est au-dessus de l'incision, on ne rencontre en général
aucune difficulté pour extraire l'enfant, après avoir enlevé la valve sus-pubienne. Lorsque le
pôle céphalique est plus bas, il faut introduire la main gauche dans l'hystérotomie ; elle
contourne le vertex pour s'appliquer au pôle inférieur de la présentation sur laquelle adhère la
partie distale du segment inférieur qui fait souvent ventouse. On supprime alors l'effet de
succion par un mouvement d'ascension de la main sur la présentation qui la libère du segment
inférieur et la désenclave du détroit supérieur. Il est alors facile de faire tourner la
présentation céphalique, nez en arrière occiput en avant, dans l'hystérotomie (le diamètre
sous-occipito-bregmatique est le plus petit : 9,5 cm).
À ce moment, en combinant une déflexion de la tête par la main gauche et une poussée
du fond utérin avec la main droite, on fait sortir la tête, ce qui permet d'aspirer
immédiatement la cavité buccale avec l'aide de l'aspirateur guidé par l'index droit. La tête
extraite, l'accouchement des épaules antérieures puis postérieure, et celui du tronc et des
membres inférieurs suivent sans difficulté. Le cordon est massé pour en exprimer le sang vers
le fœtus, clampé puis sectionné entre deux pinces de Kocher. L'enfant est confié à la sage-
femme qui l'enveloppe dans un champ stérile.
Extraction placentaire
L'anesthésiste injecte alors par voie intraveineuse une ampoule d'ocyto-cique lors du
dégagement de l'enfant, ce qui permet une délivrance assistée qui minimise les pertes
sanguines maternelles.
La face fœtale du placenta apparaît très vite dans l'incision ; d'une main, on tire
doucement sur le cordon, et de l'autre on décolle facilement les membranes à l'aide de pinces
en cœur pour éviter leur déchirure intempestive. Pendant que l'opérateur contrôle la vacuité
utérine en effectuant une révision à la main, le globe utérin se constitue instantanément.
Suture de l'utérus
Les berges de l'hystérotomie continuent à ce stade de saigner. Les gros vaisseaux,
branches des vaisseaux cervico-vaginaux, peuvent saigner près des angles de l'incision
utérine. Quatre pinces en cœur, une sur chaque berge de l'hystérotomie et une sur chaque
commissure de l'hystérotomie, assurent une hémostase temporaire et exposent les berges de
l'hystérotomie pour la fermeture. La suture utérine, qui est le temps délicat de l'intervention,
va assurer le tarissement définitif du saignement.
L'écarteur autostatique est mis en place, pour éloigner les berges de l'incision pariétale
et la valve sus-pubienne est reposée pour éloigner en bas le relief vésical.
On commence par placer les points d'angle. Un point en X total peut être effectué à ce
niveau pour assurer l'hémostase. Les chefs sont gardés longs pour pouvoir les tirer et mieux
exposer les lèvres de l'incision. Les points, prenant largement le muscle en évitant de
traverser la muqueuse, sont espacés d'1 cm.
678
Après avoir vérifié soigneusement l'hémostase utérine, la péritonisation viscérale est
effectuée à l'aide d'un surjet non passé de fil fin à résorption lente, ne prenant que le bord
libre des lèvres de la séreuse pour éviter les adhérences ultérieures. La qualité de la rétraction
utérine est contrôlée, éventuellement après massage du globe utérin.
Fermeture pariétale
Après ablation des champs abdominaux et des compresses qui seront recomptées,
toilette péritonéale minutieuse, notamment au niveau des gouttières pariéto-coliques, et
vérification des annexes, la paroi est fermée plan par plan sans drainage :
Variantes techniques
Technique d'ouverture pariétale
L'incision transversale, voie de choix en Europe, est plus esthétique. Elle est
moins recommandée en poste isolé ou sous-équipe, parce que l'anesthésie utilisée ou le degré
de l'urgence nécessitent souvent une extraction rapide. Elle crée des décollements des plans
musculaires et aponévrotiques, facteurs de sepsis post-opératoire en milieu défavorisé. Elle
augmente la durée de l'intervention et n'est pas à recommander aux opérateurs
inexpérimentés. En milieu équipé, elle permet une cicatrisation beaucoup plus solide,
minimisant le risque d'éventration post-opératoire.
L'incision de Mouchel est une incision transversale de tous les plans, qui donne
un jour important sur l'utérus. La section au bistouri électrique des muscles grands droits de
l'abdomen au-dessus des muscles pyramidaux n'intéresse que la moitié interne de leur corps.
Elle est rapide, ne nécessite pas de décollement, donc limite le risque d'infection et
d'hématome et peut être utilisée par un opérateur peu expérimenté, en cas de césarienne
itérative par incision transversale ou lorsqu'on craint une extraction fœtale difficile.
Extraction fœtale
Plusieurs cas peuvent ici se présenter.
679
Tête enclavée dans le pelvis
On peut alors soit faire refouler la présentation par voie vaginale mais cela fait courir
un risque infectieux soit, mieux, faire tourner la présentation céphalique occiput en avant et
appliquer un forceps de Pajot, qui doit toujours être disponible en salle d'opération.
Siège complet
Dans ce cas, on refoule le siège vers le haut et on fait de la main gauche tourner le
fœtus dos en avant. Avec prudence, on dégage alors, par les deux index introduits en crochet
sur la face antérieure des cuisses, le siège de l'hystérotomie pour extraire les deux membres
inférieurs.
Pour extraire les épaules, on saisit le thorax du fœtus, pouces sur les omoplates, et on
le fait tourner à gauche de 90°. L'épaule droite du fœtus apparaît dans l'hystérotomie. Avec
l'index droit glissé en attelle le long de l'humérus, on extrait le membre supérieur droit.
Ensuite, on effectue une rotation de 180° dans le sens contraire, de sorte que le moignon de
l'épaule gauche apparaisse dans l'hystérotomie, ce qui permet d'extraire le membre supérieur
gauche. C'est la manœuvre de Lovset, identique à celle effectuée pour l'accouchement des
épaules dans la présentation du siège.
Siège décomplété
On refoule ici le siège vers le haut, on fait tourner le fœtus dos en avant, puis, par les
index glissés en attelle le long des fémurs, on extrait avec douceur les deux membres
inférieurs et le tronc.
Le dégagement des épaules et de la tête s'effectue alors comme pour le siège complet.
Césariennes itératives
Sur des sutures utérines précaires, il existe un risque de rupture d'utérus gravide, qui
apparaît généralement après la troisième césarienne. Une stérilisation tubaire peut être
indiquée après une troisième césarienne devant un segment inférieur pellucide ou déficient.
Elle est souvent mal vécue et mal acceptée en Afrique. La parturiente devra être convaincue
de l'utilité du geste qui devra également recueillir l'assentiment du conjoint.
Suites opératoires
Soins post-opératoires
II faut assurer des soins de réanimation et une rééquilibration hydroélectrolytique
jusqu'à la reprise du transit, administrer des antipaludéens et une anti-biothérapie (ou la
poursuivre si la mère recevait auparavant des antibiotiques) en cas de fièvre maternelle.
680
Le lever doit être précoce et la mobilisation rapide au lit. Les agrafes ou les fils
sont retirés au 10e j post-opératoire.
Complications
Mortalité maternelle
Bien que très faible, la mortalité maternelle de la césarienne n'est pas nulle. Son ordre
de grandeur actuel est de 2 °/00. Les accidents responsables de décès encourus dans les suites
d'une césarienne sont l'inhalation de liquide gastrique, les septicémies, les syndromes
hémorragiques et l'embolie pulmonaire par migration d'un embole veineux ou amniotique.
Dans les pays en développement, ce chiffre est plus élevé. Cela tient à plusieurs
facteurs : manque d'éducation sanitaire, difficultés de communication entre les villages de
brousse et les centres médicaux ou hospitaliers, majorées lors de la saison des pluies,
faiblesse des parturientes due au confort plus que sommaire des évacuations sanitaires et
malnutrition souvent latente chez les femmes enceintes.
Complications per-opératoires
Les complications liées à l'anesthésie générale sont les plus fréquentes :
- accident respiratoire par bronchospasme ou inhalation bronchique ;
- accident hémodynamique allant jusqu'à l'arrêt cardiaque chez des patientes
choquées, insuffisamment réanimées.
Plaies des voies urinaires. La plaie vésicale est généralement évitée par une
bonne exposition du segment inférieur et en refoulant la vessie par une valve. Si elle survient
ou si on la suspecte, notamment en cas de césarienne itérative avec des remaniements
681
cicatriciels locaux, il faut la déceler par une révision minutieuse, au besoin en s'aidant d'une
injection de bleu de méthylène par la sonde urinaire.
La plaie urétérale, surtout du côté gauche, peut être réparée par suture au fil résorbable
3/0 sur sonde urétérale.
Plaies intestinales. Rares, elles ne surviennent qu'en cas d'adhérences des anses à
la paroi.
Complications post-opératoires
Elles sont cinq fois plus fréquentes que lors des accouchements par voie basse. Elles
restent en général bénignes, et sont dominées par les complications infectieuses.
Complications infectieuses :
- la pelvipéritonite, l'abcès pelvien, la septicémie éventuellement associée sont rares,
sauf en cas de césarienne tardive de sauvetage maternel, cas malheureusement fréquent en
Afrique ;
- l'infection urinaire, l'endométrite et l'infection pariétale sont beaucoup plus
fréquentes.
Les éventrations sont plus fréquentes dans la laparotomie médiane que dans les
incisions transversales qui donnent une cicatrice pariétale très solide.
Conclusion
La césarienne segmentaire avec abord abdominal par incision transversale, de
préférence selon la méthode de Mouchel, techniquement plus délicate que la césarienne
corporéale est plus fiable, car elle préserve l'avenir obstétrical. Cela est particulièrement
intéressant en conditions précaires où les conditions particulières de l'exercice obstétrical
rendent difficile et aléatoire la surveillance des parturientes porteuses d'un utérus cicatriciel.
682
Rupture de grossesse extra-utérine
G. CHARLES
Indications
Le degré d'urgence est variable selon le tableau clinique au moment du diagnostic.
Tout peut se rencontrer entre d'un côté l'hématosalpinx non fissuré qui, lorsqu'il est
diagnostiqué ou même simplement évoqué, impose une prise en charge rapide pour un
traitement conservateur par cœlio-chirurgie, et de l'autre la rupture tubaire cataclysmique à
l'origine d'un hémopéritoine massif, qui constitue une urgence chirurgicale dramatique,
mettant rapidement en jeu le pronostic vital. Elle nécessite l'hospitalisation au plus vite pour
laparotomie immédiate.
Actuellement rare dans les pays développés, la rupture se présente en Afrique comme
la forme évolutive habituelle des grossesses extra-utérines. C'est une urgence quotidienne
pour le chirurgien qui pratique outre-mer.
Thème clinique
À titre d'exemple, nous décrirons le cas d'une jeune Ivoirienne de 26 ans, mère de
deux enfants admise aux urgences de l'hôpital de Bouaké pour des douleurs abdomino-
pelviennes aiguës, ayant débuté 3 h auparavant après avoir fait une syncope au marché. La
patiente est en état de choc, comme en témoignent son faciès angoissé, sa respiration
superficielle, son pouls petit, rapide, filant, à 130, et sa pression artérielle abaissée avec
différentielle pincée à 8/6.
Diagnostic
Le diagnostic de rupture de GEU est évident.
Évoqué sur l'existence de ce syndrome douloureux abdomino-pelvien aigu apparu
brutalement, sans notion de traumatisme, d'un état de choc avec tableau d'anémie aiguë, sans
hémorragie extériorisée, il est suspecté rapidement par la notion de pertes sépia, après une
aménorrhée d'un mois et demi. À l'examen clinique, l'abdomen est ballonné, souple, jamais
683
contracture. La pression digitale brusque sur l'ombilic déclenche un cri de douleur (cri de
l'ombilic). Le toucher vaginal perçoit une masse latéro-utérine plus ou moins volumineuse et
surtout le bombement du cul-de-sac de Douglas. Son extrême sensibilité lors de l'exploration
arrache un gémissement à la patiente : c'est le « cri du Douglas », signant l'hémopéritoine
massif.
La laparotomie doit être la plus rapide possible pour assurer l'hémostase. Aucun
retard, aucune tentative de confirmation du diagnostic ne peuvent être admis.
La patiente doit être hospitalisée en réanimation chirurgicale pour mise en route d'une
réanimation immédiate.
Anatomie pathologique
Implantation de l'œuf hors de la cavité utérine, la localisation ectopique de la
grossesse est tubaire dans 99 % des cas. Le lieu d'implantation est le plus souvent ampullaire
(70 % des cas) ou isthmique (20 %) (Fig. 40.1).
Évolution
L'évolution se fait rarement vers la mort de l'œuf ou la guérison spontanée. Au
contraire, en grossissant, l'œuf finit par fissurer puis rompre la paroi tubaire, entraînant des
accidents hémorragiques. La rupture peut être intra-péritonéale ou se faire au bord inférieur
de la trompe, avec constitution d'un hématome du ligament large.
684
L'œuf se décolle et perd tout contact avec l'organisme maternel. Le lit trophoblastique
saigne et peut entraîner un hématome intra-tubaire (hématosalpinx), une hémorragie qui
gagne l'utérus avec extériorisation de sang noirâtre ou une hémorragie intra-péritonéale
progressive qui va constituer une hématocèle. Il peut se produire également une rupture
tubaire par un hématome expansif ou un avortement tubo-abdominal.
Traitement
But
II est double :
Méthodes
Médicales
La réanimation doit être entreprise dès le diagnostic d'anémie aiguë. Dans le même
temps, on se prépare à l'acte chirurgical :
Chirurgicales
En situation précaire, le traitement chirurgical de la rupture de GEU avec état de choc
s'effectue par laparotomie. La cœlio-chirurgie, outre le matériel adapté, non disponible en
poste isolé, impose une formation spécifique de l'opérateur aux techniques de l'endoscopie
opératoire. Elle n'est pas indiquée en cas d'inondation péritonéale par hémopéritoine massif.
685
Pour effectuer cette intervention, il faut connaître l'abord chirurgical de la trompe, sa
vascularisation et ses moyens de fixité.
- conservateur, très rarement possible devant une rupture franche, par résection tubaire
partielle et reconstruction.
Anatomie
La trompe et l'ovaire et leurs deux mésos, le mésosalpinx et le méso-ovarium, lames
porte-vaisseaux, constituent l'annexe qui représente la partie postéro-supérieure du ligament
large orientée normalement en arrière et en bas. La trompe est reliée au ligament large par son
méso ; normalement, elle est libre, non fixée. En cas d'adhérences, la trompe peut être fixée
en arrière à la face postérieure de l'utérus et du ligament large, voire sur le recto-sigmoïde ou
son méso.
Le mésosalpinx est formé par l'accolement des deux feuillets antérieur et postérieur du
ligament large qu'il est possible de séparer sous la trompe, ce qui rend possible une
péritonisation.
Technique
Nous décrirons la laparotomie pour hémopéritoine aigu, par rupture de GEU.
Préparation pré-opératoire
L'hémodynamique de cette patiente est instable, et elle doit donc être déshabillée avec
douceur (les changements de position peuvent être mal supportés) et installée sur table. On
pose deux voies veineuses et une sonde urinaire et gastrique en cas de suspicion d'estomac
plein. On rase les poils pubiens sur table.
686
L'anesthésie est générale, avec intubation à entreprendre si possible quand la pression
artérielle remonte sous l'effet de la réanimation (mais, encore une fois, il ne faut pas perdre de
temps à attendre que la pression artérielle remonte, et la patiente sera intubée même en état de
choc).
Il faut prévoir en moyenne quatre flacons de sang. Les techniques d'autotransfusion
sont particulièrement utiles, mais malheureusement pas toujours disponibles.
Matériel
II faut disposer d'une boîte de chirurgie abdominale, d'une valve de Rochard, d'un
écarteur autostatique à trois branches et, si possible, d'une aspiration et d'un bistouri
électrique. Les compresses abdominales et les petits champs abdominaux seront comptés. Il
faut également disposer de sérum physiologique tiède en abondance.
Installation
Le chirurgien se place à gauche de la patiente, un ou deux aides lui faisant face.
Intervention
L'incision est médiane sous-ombilicale. Peau, tissu cellulaire sous-cutané, aponévrose
au niveau de la ligne blanche sont ouverts successivement.
On ouvre ensuite le péritoine que l'on reconnaît à son aspect bleuâtre, signant
l'hémopéritoine, en le saisissant très superficiellement par deux pinces entre lesquelles on
pratique aux ciseaux une boutonnière. L'orifice péritonéal est alors agrandi aux doigts, puis
l'incision est étendue aux ciseaux vers le haut et le bas, sur deux doigts tendus qui soulèvent
les berges péritonéales. Il faut rester à distance des anses grêles vers le haut, et les doigts
présentent le relief vésical vers le bas. Dès l'ouverture, on note une irruption de sang rouge
dans l'incision.
La main droite saisit le fond de l'utérus et l'attire vers le haut, de façon à tendre les
annexes. À partir du fond utérin, la main se dirige latéralement d'un côté, puis de l'autre, en
suivant la trompe jusqu'à l'ovaire, pendant que l'aide commence à aspirer l'hémopéritoine.
Dès que la main sent, au cours de ce trajet, la masse boursouflée de l'œuf rompu, la
trompe correspondante doit être extériorisée au niveau de l'incision (plus de 90 % des
grossesses extra-utérines sont situées dans les deux tiers externes de la trompe et sont
évidentes à la palpation), ce qui permet de la visualiser, l'aide refoulant les anses intestinales.
Parfois cependant, aucune masse n'est décelée et il faut alors exposer l'utérus lui-même. Il
peut s'agir d'une grossesse isthmique, souvent de petit volume, mais très dangereuse car
particulièrement hémorragique.
687
Une fois l'œuf localisé et le bilan des lésions tubaires effectué, l'hémostase provisoire
est assurée par deux pinces placées sur la trompe et le mésosalpinx attenant de part et d'autre
de la masse sanguinolente. L'hémorragie étant provisoirement tarie, toute précipitation n'a
plus cours. Si l'anesthésiste le demande, on peut surseoir au geste opératoire d'exposition et
attendre que la pression artérielle remonte à un niveau correct. Dès que l'hémorragie est
contrôlée, l'état clinique de la patiente s'améliore en fait rapidement.
Exposition
II est alors possible d'aspirer le sang et les caillots, de faire une toilette péritonéale
avec du sérum physiologique, de transfuser la malade si nécessaire et de mettre en place un
écarteur de type Gosset en vérifiant bien avec la main que les branches ne prennent pas une
anse grêle sous la paroi.
La trompe pathologique est isolée de l'abdomen par des champs abdominaux, l'aide
maintenant l'utérus en traction.
Cette manœuvre préserve les arcades vasculaires repérées par transparence dans le
mésosalpinx et la vascularisation de l'ovaire. La libération de la trompe au niveau de la corne
utérine se fait par simple ligature tubaire au ras de celle-ci, avec un fil à résorption lente (Fig.
40.5).
688
La résection de la portion utérine de la trompe n'est pas recommandée car elle ne
prévient pas les grossesses cornuales et peut entraîner des lésions locales du myomètre,
compromettant des grossesses ultérieures. La pièce opératoire est alors examinée par
l'opérateur.
689
pariéto-coliques puis dans le cul-de-sac de Douglas, après avoir placé la malade en position
proclive. Des caillots individualisés sont aspirés ou décollés des anses intestinales à la
compresse ou la pince atraumatique. Le drainage est inutile.
Fermeture
Après avoir vérifié le compte des compresses, la paroi est suturée plan par plan :
- surjet de catgut ou de fils à résorption lente sur le péritoine pariétal ;
- points séparés de fils à résorption lente ou de Nylon sur l'aponévrose ;
- capitonnage sous-cutané au Catgut ;
- suture cutanée au Nylon 2/0 ou par agrafes métalliques.
Variantes techniques
On peut être amené à effectuer une salpingectomie rétrograde par section première de
la trompe et section progressive du mésosalpinx de dedans en dehors, à partir de la corne,
lorsque l'extrémité distale de la trompe est fixée en profondeur par des adhérences qui ne
peuvent être levées sans risque. Il faut parfois recourir à une annexectomie de nécessité
devant un magma indisséquable au niveau de l'ovaire et si l'ovaire controlatéral est sain, en se
méfiant de la ligature du ligament lombo-ovarien, proche de l'uretère pelvien.
Suites opératoires
690
Soins post-opératoires
Avant de déplacer la patiente, s'assurer que sa pression artérielle est stable, au besoin
poursuivre Sa réanimation.
Le lever doit être le plus précoce possible et la sonde urinaire sera retirée dès le
lendemain.
Complications post-opératoires
Hémorragiques par troubles de la coagulation. Occlusion intestinale.
Résultats à distance
Que le traitement soit radical ou conservateur, on note 50 % de stérilité et 15 % de
récidives.
Pièges
Parfois, l'éventualité d'une grossesse est niée par la patiente (situation fréquente en
Afrique chez les jeunes femmes ou les jeunes filles) ou paraît peu vraisemblable. Au moindre
doute, il ne faut pas tenir compte de ces facteurs et hospitaliser la patiente. Rappelons ici
l'adage précieux : toujours penser chez une femme jeune à une grossesse extra-utérine et,
même quand on y pense, on n'y pense pas assez.
Conclusion
Tout médecin confronté à une métrorragie ou à des troubles du cycle, dans un
contexte de retard de règles, doit penser en premier lieu à un début de grossesse anormal et,
en particulier, à une localisation ectopique de la grossesse.
691
Cette attitude permet de faire un diagnostic plus précoce même en poste sous-équipe,
autorise parfois un traitement conservateur et préserve ainsi la fertilité ultérieure. La
méconnaître c'est exposer la patiente à la rupture cataclysmique déjà fréquente spontanément
outre-mer, rançon de la négligence, qui met enjeu le pronostic vital et nécessite toujours une
chirurgie d'exérèse.
692
Hystérectomie obstétricale
G. CHARLES
L hystérectomie sur utérus gravide est une hystérectomie totale ou subtotale réalisée
au cours de la grossesse.
Indications
Les indications posées en poste isolé ou sous-équipe sont toutes « de nécessité », mais
on peut toutefois recourir à la classification classique (Zorn) distinguant l'hystérectomie « de
nécessité » et « d'opportunité ».
Hystérectomie de nécessité
Liée à une urgence obstétricale majeure, mécanique, hémorragique ou infectieuse, elle
est destinée à sauver la mère et son indication ne soulève guère de discussion.
Rupture utérine
De tous temps, les déchirures de l'utérus ont été connues. En Europe, leur pourcentage
par rapport au nombre d'accouchements a progressivement diminué pour atteindre un niveau
stable grâce à la surveillance de la grossesse et de l'accouchement, et aux précautions prises
pour obtenir des cicatrices de qualité lors des césariennes segmentaires.
En zone intertropicale, cet accident est beaucoup plus fréquent, atteignant parfois le
taux de 1 %, en raison des circonstances étiologiques particulières et des conditions actuelles
de la pratique obstétricale.
Ce sont surtout les multipares qui paient un lourd tribu à la rupture utérine.
693
- rupture provoquée, qui se produit surtout en présentation de l'épaule avec bras
procident. Elle est souvent le fait de manœuvres, d'expressions et de tractions sur le membre,
effectuées à domicile par des matrones. Dans les villages de la brousse africaine, ces
manœuvres de force sont encore de pratique courante dans les accouchements dystociques et
sont certainement un des principaux facteurs à l'origine de la rupture, de même que les
versions par manœuvres internes lorsque ne sont pas respectées les conditions indispensables
à leur réalisation : dilatation complète du col, présentation mobile, absence de rétraction
utérine et de dystocie osseuse.
La mauvaise utilisation des forceps sur des cols incomplètement dilatés ou des
présentations au détroit supérieur, et les injections abusives d'extraits post-hypophysaires ?)
chez les grandes multipares constituent les autres causes classiques de rupture utérine.
Hémorragie incoercible
L'hystérectomie d'hémostase doit être effectuée pour une hémorragie par décollement
placentaire ou trouble de la coagulation, car outre-mer un traitement médical adapté est
rarement possible.
L'hémostase peut être impossible à obtenir après la délivrance sur un placenta prævia
recouvrant. Une hémorragie masquée peut s'évacuer par le vagin, se collecter sous la table
d'opération ou entre les cuisses de la malade où elle reste méconnue, les champs la
dissimulant à l'opérateur occupé à suturer son hystérotomie.
Hystéreotomies d'opportunité
Dans ces circonstances, l'hystérectomie est plus discutable puisque la vie de la
parturiente n'est pas immédiatement en jeu.
Elle est alors réalisée pour une pathologie gynécologique associée (utérus
polymyomateux, néoplasie cervicale intra-épithéliale, cancer de l'ovaire au stade I a).
694
Thème clinique
Pour illustrer la technique de l'hystérectomie sur utérus gravide, nous décrirons le cas
d'une parturiente ivoirienne de 25 ans, 3e geste, 2e pare, évacuée de brousse sur le centre
hospitalier régional de Bouaké pour présentation de l'épaule négligée. En travail depuis 18 h,
la patiente présente à l'admission un état de choc. La palpation abdominale décèle un fœtus
situé immédiatement sous la peau et l'examen gynécologique une procidence du membre
supérieur. Les bruits du cœur fœtal ne sont pas perçus.
Chez cette parturiente, qui présente ce travail long et difficile malgré des contractions
utérines fortes, et une procidence du membre supérieur, l'interrogatoire pourrait retrouver la
notion d'une rupture sur l'existence d'une douleur suraiguë survenue après une phase de
contractions utérines fortes et d'une accalmie traîtresse secondaire. En fait, le diagnostic est
évident devant les simples données de l'examen clinique avec :
Anatomie pathologique
Chez cette parturiente, la longueur excessive du travail (18 h) marquée par des
contractions utérines intenses a fragilisé le muscle utérin.
La rupture utérine peut intéresser le corps de l'utérus (souvent sur une cicatrice
corporéale de césarienne antérieure). Entraînant une déchirure du péritoine, elle fait
communiquer directement la cavité utérine et la cavité abdominale. La rupture peut siéger sur
la face antérieure de l'utérus ou sur ses faces latérales où elle est beaucoup plus hémorragique,
car elle intéresse souvent les grosses veines du pédicule utérin.
Elle peut aussi intéresser le segment inférieur, n'entraînant pas obligatoirement une
déchirure péritonéale isolant ainsi la cavité utérine de la cavité péritonéale. Elle n'est
reconnue qu'à l'incision du péritoine du cul-de-sac vésico-utérin, effectuée devant la présence
d'un épanchement sanguin plus ou moins abondant.
695
L'aspect de la brèche peut aller de la petite rupture linéaire à la grande rupture
anfractueuse, étoilée, pouvant se poursuivre sur le col ou le vagin, avec des berges plus ou
moins sphacélées ou nécrotiques.
Physiopathologie
Sur le plan physiopathologique, la rupture utérine a un retentissement sur la mère et le
fœtus.
Cet état de choc s'installe d'autant plus facilement qu'il survient chez une parturiente
épuisée par un travail pénible et long, sur un terrain souvent altéré par une dénutrition, une
anémie chronique ou une polyparasitose et que l'évacuation sanitaire s'est souvent effectuée
dans des conditions sommaires.
Traitement
Toute rupture utérine reconnue ou soupçonnée, qu'elle soit survenue au cours du
travail avec alors décès du fœtus, comme dans l'observation clinique, ou qu'elle ait été
dépistée après l'accouchement par voie basse, l'enfant pouvant alors être vivant, doit être
opérée.
696
Traitement médical
La réanimation pré-, per- et post-opératoire conditionne en grande partie le pronostic
vital.
Ses modalités doivent dans l'idéal reposer sur des données biologiques et
bactériologiques mais ses possibilités sont extrêmement variables d'un centre à l'autre. Elle
comporte :
Les autres antibiotiques font souvent défaut dans les postes isolés. Il faut également
associer des antipaludéens.
Traitement chirurgical
II a deux composants : traitement de la rupture et drainage de l'abdomen.
Le traitement de la déchirure peut se faire soit par suture idéale, soit par
hystérectomie.
Elle doit être minutieuse : après excision des berges contuses, on effectue la suture à
points séparés de catgut chromé ou de fils à résorption lente, avec repéritonisation soigneuse
sur la suture.
Aussi, vu les conditions précaires, l'hystérectomie est le plus souvent la règle, et il faut
signaler l'existence de facteurs de gravité : évacuation secondaire, rupture remontant à
plusieurs heures, rupture large sur une paroi utérine de mauvais aîoi, infection patente,
multipare,
697
Le drainage de l'abdomen est indispensable, que la suture ait été idéale ou qu'il y ait
eu hystérectomie.
Après suture idéale du segment inférieur, le drainage se fait par une lame sous-
péritonéale après réparation au niveau du corps, il faut drainer le cul-de-sac de Douglas,
Anatomie
L'imprégnation gravidique facilite la dissection des plans de clivage. Le^ tissus sont
souples, ce qui explique que l'on puisse attirer aisément l'utérus et ta région cervicale hors du
pelvis. Toutefois, l'hystérectomie sur utérus gravide n'exclut pas la prudence car elle expose à
deux risques, l'hémorragie, en raison des dilatations vasculaires énormes, et les lésions des
voies urinaires puisque les rapports sont modifiés par l'utérus gravide et les lésions locales.
L'uretère est solidement fixé à la paroi vésicale et le tissu cellulaire qui le contient
peut être décollé latéralement du segment inférieur. Ce geste n'est pas hémorragique.
Plus le segment inférieur s'étire en hauteur, plus le point de rencontre entre artère
utérine et muscle utérin se trouve ascensionné et latéralisé, ce qui l'éloigné de l'uretère et du
cul-de-sac vaginal homolatéraux. Cependant, après l'évacuation utérine, les vaisseaux
reprennent en quelques heures un trajet proche de leur disposition habituelle.
L'anatomie peut être modifiée par des délabrements utérins, des suffusions
hémorragiques et des hématomes du ligament large.
Sur le plan vasculaire, les veines du col et du corps utérin aboutissent à un plexus
veineux important qui englobe l'uretère. En cas d'hémorragie veineuse difficile à contrôler,
celui-ci risque d'être accidentellement lésé si des pinces hémostatiques sont placées « à la
volée ». Le calibre des artères des ligaments ronds et des pédicules tubo-ovariens est
augmenté. Les veines ovariennes sont variqueuses, parfois monstrueuses, en fin de grossesse.
Leur ligature sans « ratage » est impérative sous peine de voir se développer des hématomes
rapidement extensifs, compliquant la poursuite du geste d'exérèse et aggravant la déperdition
sanguine.
698
Intervention
Le moment de l'intervention dépend de l'importance du choc et de sa réponse à la
réanimation. De toute façon, il ne faut pas trop attendre.
Position
La patiente est en décubitus dorsal. Le chirurgien se place à gauche, deux aides lui
faisant face. Abdomen et cavité vaginale sont badigeonnés d'antiseptiques.
Anesthésie
Le plus souvent, elle est générale avec intubation trachéale, mais on peut aussi
recourir à une anesthésie locorégionale (péridurale ou rachianesthésie).
Matériel
II faut disposer d'une boîte de césarienne ou d'hystérectomie, de matériel d'aspiration
d'une valve sus-pubienne de Rochart, d'un écarteur autostatique de Cotte, Ricard ou Gosset et
de sérum physiologique tiède.
Technique
Incision médiane sous-ombilicale
Elle est agrandie à la demande en sus-ombilicale. On incise la peau, le tissu sous-
cutané, l'aponévrose et le péritoine, en prenant garde lors de son ouverture aux anses
intestinales et, au bas de l'incision, au relief vésical.
L'extraction du fœtus mort et de son placenta ne posent guère de problème s'il est dans
l'abdomen au milieu des anses intestinales. S'il est intra-utérin, il faut l'extraire par la
déchirure si celle-ci est antérieure. La présentation transversale négligée avec épaule bloquée
dans le pelvis peut nécessiter une hystérotomie longitudinale à partir de la brèche utérine.
Bilan lésionnel
II est effectué après avoir attiré l'utérus vers le haut, et on peut retrouver plusieurs
types de lésions :
- rupture complète intéressant toutes les tuniques et ouvrant la cavité utérine dans la
cavité péritonéale ;
699
- rupture incomplète sous-péritonéale reconnue par la palpation et l'incision du
péritoine viscéral ;
- rupture compliquée d'une brèche vésicale.
Décider de la tactique chirurgicale est ici facile. Il faut effectuer une hystérectomie :
rupture remontant à plusieurs heures, évacuation sanitaire de brousse, infection patente du fait
de la mort fœtale, patiente multipare.
Hystérectomie interannexielle
Elle consiste en fait à compléter la rupture dont la réparation compromettrait le
pronostic vital maternel du fait du risque de lâchage de suture ou de l'infection secondaire.
L'utérus est extériorisé vers le haut par traction à l'aide de deux grandes pinces de
Kocher placées latéralement au ras de l'utérus, prenant trompes et ligaments ronds.
Cette hystérectomie est le plus souvent atypique car les délabrements tissulaires et
l'infiltration hématique rapidement extensible, lorsque les pédicules sont blessés, modifient
l'anatomie pelvienne. La dissection est souvent hasardeuse et fait courir un risque urétéral si
survient une hémorragie veineuse. L'état précaire de la patiente exige un geste rapide
interdisant une dissection trop basse du segment inférieur (risque hémorragique) et un clivage
vésical trop important. L'hystérectomie sera subtotale au niveau de la partie basse de la
déchirure sur le segment inférieur.
700
tracté au maximum vers le haut pour passer la pince de Jean-Louis Faure sur les vaisseaux
utérins, les mors de cette pince étant perpendiculaires au muscle utérin. La pince doit
s'appuyer sur le myomètre, à l'aide des doigts intra-utérins qui repèrent le relief du col et
exposent la prise segmentaire élective, sans risque pour l'uretère à ce niveau.
La même manœuvre est réalisée du côté opposé. On libère ensuite les pinces
hémostatiques utérines après avoir dégagé le bec de chaque pince de Jean-Louis Faure et
pratiqué une double ligature appuyée de chaque pédicule utérin au fil de Catgut chromé.
Clivage vésical
Dangereux, en raison de la déchirure, il doit être réduit au minimum, après
ouverture du cul-de-sac vésico-utérin, la courbure des ciseaux étant dirigée vers le fascia
utérin. Le cul-de-sac vésico-utérin est refoulé jusqu'à la partie basse de la rupture.
701
On effectue alors un surjet hémostatique sur chaque tranche de section
segmentaire, au Catgut chromé N°l.
On rapproche les deux lèvres par quelques points en x pour ne laisser qu'un orifice
médian, destiné à accueillir un gros tuyau de drainage que l'on fait sortir par le vagin et que
l'on fixe aux berges segmentaires antérieure et postérieure, par un point lâche transfixiant de
Catgut.
Variantes techniques
Hystérectomie totale
L'hystérectomie totale, lorsqu'elle est possible, paraît plus satisfaisante mais il ne s'agit
pas de faire courir à la malade des risques inutiles et il ne faut pas se faire trop d'illusions sur
la portée de ce geste. Dans le cadre de l'urgence, on laisse souvent en place une partie plus ou
moins importante du col, souvent difficile à individualiser en per-opératoire. On peut le
constater sur les pièces opératoires et à l'examen au spéculum après plusieurs mois. En milieu
sous-équipe, il est souvent illusoire de rechercher la perfection, et on se contente souvent
d'une hystérectomie subtotale de sauvetage maternel.
702
Hystérectomie après césarienne segmentaire
On peut être amené à y recourir dans le cadre d'une hystérectomie d'hémostase par
exemple. Si l'incision était transversale, la section utérine se fait de façon circulaire au niveau
de l'hystérotomie. Si l'incision segmentaire était verticale le niveau de section utérine part de
l'angle inférieur, souvent bas situé, et à l'aplomb latéralement de la crosse des artères utérines,
zone délicate qu'il vaut mieux contourner en remontant le niveau latéral de l'incision sur les
bords utérins.
Technique conservatrice
Si les critères locaux et généraux cités plus haut le permettent, on peut tenter de
réparer une brèche le plus souvent située à un niveau segmentaire bas antérieur, postérieur ou
latéral.
Le péritoine doit être bien disséqué de part et d'autre des berges, et la vessie refoulée
en avant est contrôlée pour éliminer toute plaie. L'hémostase d'une éventuelle lésion du
pédicule utérin est effectuée à la pince de Bengolea, en ne prenant pas trop de tissu adjacent
en raison du risque urétéral. Si les berges de la plaie sont irrégulières ou contuses, il faut les
parer et les régulariser aux ciseaux. La suture est effectuée en un plan au catgut chromé à
points séparés en x assez rapprochés pour l'étanchéité.
703
Complications peropératoires
Une plaie vésicale per-opératoire doit être exposée et refermée en deux plans au
Catgut chromé. Les difficultés d'hémostase ont été décrites au cours de la technique.
Suites opératoires
Soins post-opératoires
II faut poursuivre la réanimation par voie intraveineuse et laisser la sonde gastrique
jusqu'à la reprise du transit.
Complications post-opératoires
L'infection secondaire est la plus fréquente : infection urinaire et souvent
pariétale, voire abcès du pelvis. La septicémie post-opératoire est gravissime.
La mortalité de ces interventions est lourde dans des conditions précaires : 90 % pour
le fœtus, 20 à 30 % pour la mère.
Conclusion
La rupture utérine est une complication spectaculaire et redoutable de la dystocie en
Afrique noire.
704
Cystostomie et
ponction vésicale sus-pubienne
A. ALTOBELLI
Cystostomie
Lorsqu'elle est pleine, le dôme vésical recouvert du péritoine pelvien remonte au-
dessus du pubis, et la face antérieure de la vessie regarde directement la paroi abdominale
antérieure.
Il est donc préférable de réaliser la cystostomie sur vessie pleine, pour la placer à
distance de l'espace de Retzius en bas et de la cavité péritonéale en haut, par une voie
d'abord hypogastrique sus-pubienne.
Matériel
II faut disposer du matériel suivant :
705
Installation
Le malade, perfusé, est placé en décubitus dorsal, vessie pleine, table en léger
Trendelenburg.
Une anesthésie peut être générale, locorégionale ou locale (infiltration plan par plan à
la lidocame à 0.5 % : peau/ligne blanche et muscle droit/vessie).
Technique
L'abord se fait par voie médiane hypogastrique, l'incision étant débutée un travers de
doigt au-dessus de la symphyse pubienne, puis menée sur environ 5 cm (à adapter à la
morphologie du patient) (Fig. 42.2). La peau et le tissu sous-cutané sont incisés jusqu'à la
gaine des muscles grands droits, que l'on ouvre au niveau de la ligne blanche en restant
strictement médian. On refoule alors latéralement les muscles droits par deux écarteurs de
Farabeuf.
706
Figures 45.2 : Incision pour cystostomie.
Technique
L'abord se fait par voie médiane hypogastrique, l'incision étant débutée un travers de
doigt au-dessus de la symphyse pubienne, puis menée sur environ 5 cm (à adapter à la
morphologie du patient) (Fig. 42.2). La peau et le tissu sous-cutané sont incisés jusqu'à la
gaine des muscles grands droits, que l'on ouvre au niveau de la ligne blanche en restant
strictement médian. On refoule alors latéralement les muscles droits par deux écarteurs de
Farabeuf.
707
La sonde de Foley est introduite dans l'ouverture, son ballonnet est gonflé, et, par deux
points de Catgut passés autour de la sonde, on assure l'étanchéité (Fig. 42.4) (attention à ne
pas perforer le ballonnet en passant ces points).
708
Par deux points de fil à résorption lente, on charge la vessie et l'aponévrose des
muscles droits pour amarrer la vessie à la paroi abdominale antérieure.
On ferme alors l'aponévrose par des points de fil résorbable lent, puis la peau par des
points séparés autour de la sonde. La sonde est amarrée à la peau par une tresse de fil non
résorbable (Fig. 42.5).
Soins post-opératoires
Les suites opératoires sont habituellement simples. Les points cutanés et la tresse qui
maintient la sonde peuvent être ôtés à partir du 8e j.
La sonde doit être changée toutes les 3 semaines, ce qui ne présente pas de difficulté
puisqu'un trajet vésico-pariéto-cutané se constitue autour de la sonde.
Complications
Infection de la plaie, due au contact d'urines infectées avec la plaie au cours de
l'intervention ou à défaut d'étanchéité autour de la sonde. Ce risque justifie une antibio-
prophylaxie encadrant le geste chirurgical et utilisant un antibiotique à forte concentration
urinaire (b-lactamines, aminosides, fluoroquino-lones).
Phlébite qui doit être prévenue par le lever précoce et l'héparine thérapie.
709
Conclusions
La cystostomie est une intervention simple, autrefois classique, qui voit diminuer le
champ de ses indications.
Elle peut cependant être d'un grand secours, mais reste une sujétion lourde pour le
malade.
Matériel
II comprend :
- une aiguille longue (60 à 80 mm) montée sur une seringue contenant 10 ml de
xylocaïne ai % ;
- des champs et des gants stériles ;
- un bistouri ;
- une solution antiseptique et des compresses stériles ;
- un fil non résorbable ;
- un kit de drainage sus-pubien.
La diversité des kits de drainage sus-pubien commercialisés rend difficile l'exposé
d'une technique standardisée. Ces kits comprennent généralement :
- un cathéter de calibre variable (on utilisera habituellement un cathéter charrière 10 à
15) muni d'un raccord au système de drainage ;
- une aiguille de ponction, métallique, de longueur variable (à adapter à la
morphologie du patient) dans laquelle sera introduit le cathéter ;
- un système de drainage ;
- un système de fixation du drain, peu utile, auquel il faut préférer une fixation à la
peau par une tresse de fil non résorbable.
Technique
Le patient est en décubitus dorsal, impérativement avec la vessie pleine. Après rasage
et badigeonnage antiseptique de la paroi abdominale, de l'ombilic jusqu'au pubis, on repère le
point médian à un travers de doigt au-dessus du pubis (Fig. 42.6).
On effectue une anesthésie locale, plan par plan jusqu'à la vessie. La progression se
fait « le vide à la main » jusqu'à ce que l'aiguille pénètre dans la vessie (la pénétration
vésicale est marquée par l'issue d'urine dans la seringue). On effectue alors une incision
cutanée punctiforme, de la pointe du bistouri, puis on ponctionne la vessie à l'aiguille de
ponction qui doit rester strictement médiane et verticale pour éviter les dangers que sont la
cavité péritonéale en haut, les veines de l'espace de Retzius en bas (Fig. 42.7).
710
711
L'issue d'urine signe la pénétration vésicale, on introduit alors le cathéter dans
l'aiguille de ponction. Le cathéter doit être poussé suffisamment loin (jusqu'à 5 à 10 cm de
son extrémité) (Fig. 42.8). On retire alors l'aiguille de ponction en maintenant en place le
cathéter qui est raccordé au système de drainage (Fig. 42.9).
712
Un point de fil non résorbable dont les deux brins sont tressés autour du cathéter
permet de le fixer à la peau. Enfin, on effectue le pansement en veillant à ce que le cathéter ne
soit pas coudé.
Conclusions.
Aucune si l'on respecte les contre-indications (trouble de l'hémostase, traitements
anticoagulants en cours, foyer infectieux proche du site de ponction). En cas de cathétérisme
sus-pubien sur rétention aiguë d'urine, il existe un risque théorique d'hématurie en cas
d'évacuation trop rapide de la vessie (hématurie a vacuo), il est alors conseillé d'évacuer la
vessie par étapes, en obturant le cathéter durant 10 min tous les 500 ml.
713
Torsion du cordon spermatique
A. ALTOBELLI
La torsion du cordon spermatique est une rotation du testicule qui entraîne dans sa
course un volvulus de son pédicule. Elle met rapidement enjeu, par ischémie aiguë, la vitalité
du testicule et constitue donc une urgence chirurgicale.
Le testicule est appendu à son cordon contenant le canal déférent et les vaisseaux
nourriciers. Il est fixé dans la bourse par le cordon en haut, le gubernaculum en bas, la
réflexion de la vaginale testiculaire (ou mésorchium) en arrière. Des anomalies
(éventuellement bilatérales) de ces moyens de fixité rendent compte des possibilités de
mobilité anormale du testicule et expliquent les mécanismes de torsion. La torsion peut être
supra-vaginale (surtout chez le nouveau-né et le nourrisson) ou intra-vaginale (enfant,
adolescent, adulte), mais cette distinction anatomique n'a guère d'intérêt pratique.
Reconnaître la torsion
Dans son aspect typique, la torsion se présente comme un syndrome « orchite aiguë »
chez un enfant. La douleur, spontanée et brutale, est scrotale, unilatérale, irradiant vers l'aine,
la fosse iliaque, les lombes. Il n'existe pas de signes urinaires, et pas de fièvre au début.
L'examen, difficile, montre une grosse bourse inflammatoire. Le testicule est ascensionné à
l'anneau inguinal. Le toucher rectal est normal.
714
Évolution
La torsion détermine une ischémie aiguë du testicule. À partir de la 6e heure
d'ischémie, les lésions peuvent devenir irréversibles et aboutir à la nécrose et à la perte du
testicule.
Traitement
But
Le but est de sauver le testicule par détorsion et de prévenir la récidive homo- et
controlatérale. Si le testicule est irrémédiablement nécrosé, il faut en pratiquer l'exérèse. La
détorsion manuelle, qui ne permet pas de faire un bilan du testicule et ne prévient pas les
récidives, doit donc être proscrite. Le patient (ou ses parents) doit être prévenu avant
l'intervention du risque d'exérèse du testicule. L'intervention doit être menée dans un délai
maximal de six heures après l'apparition des signes, tout retard augmentant le risque de
nécrose irréversible.
Matériel
II faut disposer du matériel suivant :
Installation
Le malade, perfusé, est placé en décubitus dorsal.
L'anesthésie est générale ou locorégionale. Une anesthésie locale par infiltration des
cordons spermatiques et des téguments scrotaux est envisageable si nécessaire.
Technique
La voie d'abord est scrotale transversale, à cheval sur le raphé médian, ce qui permet
d'aborder successivement les deux testicules (Fig. 43.1). On ouvre les différentes tuniques
scrotales du côté atteint, jusqu'à la vaginale, dont l'ouverture donne issue à un liquide séro-
sanglant.
On peut alors détordre le cordon dans le sens inverse de la rotation, jusqu'à amener le
testicule dans sa position normale (le nombre de tours de spire est variable).
La conduite à tenir dépend alors de l'aspect du testicule. Soit il reste cynique, violacé,
même après l'avoir enveloppé de compresses tièdes, après avoir infiltré le cordon à la
lidocaïne et après une observation de 10 min, et il est alors voué à la nécrose et à l'atrophie.
715
On effectue alors une orchidectomie après ligature séparée au fil non résorbable des
éléments du cordon et du gubernaculum (Fig. 43.3). La bourse est refermée par un surjet de
fil résorbable sur le dartos et des points séparés sur la peau. Si l'intervention est tardive ou s'il
persiste un suintement hémorragique dans la bourse, il est souhaitable de mettre en place un
drain (redon aspiratif ou lame de Delbet) que l'on extériorise par une contre-incision.
À l'inverse, dans les cas favorables, le testicule reprend rapidement une coloration
normale (blanche). La conservation est possible.
Dans les cas douteux, le problème est difficile et la conservation risque de mener à
l'atrophie et à la fonte purulente du testicule imposant une réintervention d’exérèse-drainage.
716
Il faut toujours prévenir la récidive sur le testicule conservé, par une orchidopexie
fixant par 2 ou 3 points de fil fin non résorbable (Prolène 5/0) l'albuginée de la face interne du
testicule à la cloison médiane des bourses (Fig. 43.4).
Ensuite, par la même incision, on aborde le testicule controlatéral pour réaliser une
orchidopexie selon la même technique.
L'incision est refermée par surjet de catgut sur la vaginale testiculaire, surjet de fil
résorbable lent sur le dartos, points séparés sur la peau (enlevés à partir du 10e jour).
717
Plaies du globe oculaire
CH. BOUAT
Conduite à tenir
Face à une plaie récente du globe oculaire, le chirurgien doit :
- Évaluer les lésions oculaires et porter le diagnostic de plaie perforante ou non du
globe oculaire.
- Selon les lésions et la proximité d'un centre de soins spécialisés, décider de la
marche à suivre qui peut être soit de conditionner le blessé, pour une évacuation vers un
centre de soin spécialisé proche, soit suturer la plaie ou mettre en œuvre des gestes
d'urgence permettant de sauver l'œil, quand l'évacuation est impossible ou doit être différée.
- la chambre antérieure, remplie d'humeur aqueuse, qui peut se vider par la plaie
cornéenne ;
- l'iris, qui aura tendance à colmater la brèche, voire faire hernie à travers la plaie.
Dans ce dernier cas, des lésions de l'iris sont possibles. Si l'iris n'est pas concerné par une
plaie oculaire, il ne doit par être pris lors de la suture cornéenne (danger chirurgical) ;
- le cristallin, situé immédiatement en arrière de l'iris qui le protège. La plaie peut
intéresser le cristallin, réalisant une plaie capsulaire et entraînant une issue de masses
cristalliniennes dans la chambre antérieure ;
- le corps ciliaire, qui siège en arrière de la sclère et en périphérie du cristallin. Très
vascularisé, le corps ciliaire est une source d'hémorragie et il peut faire hernie à travers une
plaie sclérale ;
- le vitré, qui occupe la totalité de la partie rétro-cristallinienne de l'oeil ;
- enfin, plus en arrière, la choroïde et la rétine périphérique et équatoriale.
Ces plaies oculaires présentent l'avantage d'être antérieures, et donc de pouvoir être
abordées directement.
718
Figure 44.1 : Rappel d'anatomie. 1. anneau conjonctival ; 2. iris ; 3. paupière ; 4.
cornée ; 5. corps ciliaire ; 6. conjonctive ; 7. septum ; 8. limbe cornéo-scléral ; 9. releveur de
la paupière supérieure ; 10. capsule de Tenon ; 11. muscle droit supérieur ; 12. choroïde-
rétine ; 13. capsule de Tenon postérieure ; 14. muscle droit inférieur ; 15. chambre antérieure ;
16. pupille ; 17. cristallin ; 18. vitré.
719
Diagnostic de plaie du globe
Pour l'examen, le blessé doit être allongé et calmé. L'examen est aidé par l'instillation
d'une goutte de Novésine en collyre. Cette instillation ne présente aucun danger mais elle est
souvent difficile en raison de la douleur, d'un blépharospasme et d'une photophobie.
L'examen ne doit pas aggraver les lésions, et doit donc être doux et prudent.
- Plaie non perforante : le diaphragme irien est régulier, la pupille est centrée. Le test à
la fluorescéine est ici très utile. Lorsqu'on instille une goutte de cet agent, on remarque que la
fluorescéine imprègne la plaie mais qu'elle n'est pas rapidement lavée par l'humeur aqueuse
qui sortirait si la plaie était perforante.
L'iris, déformé, tend à colmater la brèche en s'y accolant, déformant la pupille. En cas
de grosse plaie, l'iris peut faire hernie entre ses berges.
Matériel
Théoriquement, la réparation d'une plaie cornéo-sclérale nécessite un matériel
microchirurgical : pince de Bonn, porte aiguille de Castroviejo, ciseau de Vannas, pince à
monofilament, canule de Rycroft et, pour suture, du fil monofilament 10/0.
720
Mais en situation précaire, il est rare de disposer de ce type de matériel. Il faut alors
utiliser les instruments disponibles les plus fins : une pince à disséquer à griffes fines, un
porte-aiguille à mors lisses et fins, des ciseaux à bouts fins, pointus ou légèrement mousses,
une canule à bout mousse, une seringue de 2 ml, et différents fils (soie noire 4/0 comme fils
tracteurs, soie noire 6/0 ou vierge 8/0 pour la suture ou Prolène 4/0, 6/0).
721
Figure 44.2 : Anesthésie locorégionale. a) Injection sous-conjonctivale. Espace sous-
conjonctival. b) Points cutanés d'injection. Injection pour péri- et rétrobulbaire. Anesthésie et
akinésie palpébrale. c) Trajets des aiguilles.
722
Anesthésie
L'anesthésie doit autant que possible être générale si le globe est ouvert. Si elle est
impossible, on peut recourir à une anesthésie locorégionale mais elle a pour inconvénient
d'entraîner une hyperpression sur le globe.
723
724
Ce traitement chirurgical doit se doubler du traitement médical local et général décrit
plus haut. Si possible, le malade sera ensuite évacué en position couchée, avec une fiche
d'évacuation précisant l'heure du traumatisme et de l'intervention, les circonstances, les
traitements médicaux et chirurgicaux entrepris. En milieu hospitalier, le traitement sera repris,
si besoin, avec des moyens microchirurgicaux.
725
Recouvrement conjonctival de Haik (sans désinsertion) (Fig. 44.5)
Techniquement plus difficile, il a l'avantage de maintenir devant la plaie une zone non
cruentée et donc d'éviter les adhérences. On injecte un mélange de Xylocaïne à 1 % et de
sérum physiologique en sous-conjonctival. Cela soulève la conjonctive que l'on suture par
dessus la cornée, par des points en « U » de soie noire 6/0. Le malade est ensuite évacué vers
le centre spécialisé, avec une fiche d'évacuation.
Blépharorraphie
Elle consiste à suturer les paupières devant le globe oculaire, et s'impose devant des
lésions importantes de la conjonctive empêchant le recouvrement. La technique de
blépharorraphie est décrite dans le chapitre 23.
726
Énucléation
CH.BOUAT
Indication opératoire
Le recours à une énucléation est actuellement exceptionnel dans les trauma-tismes du
oculaire globe en raison des progrès de la microchirurgie réparatrice. Mais elle est parfois la
seule solution devant un éclatement du globe oculaire avec atteinte grave des structures
anatomiques normales
Dans ce cas, l'intervention est une intervention de propreté, dont le but est de régler les
phénomènes inflammatoires, douloureux et hémorragiques, et de limiter le risque d'ophtalmie
sympathique et les problèmes infectieux locaux et généraux.
La capsule de Tenon est constituée par les expansions aponévrotiques des muscles
oculomoteurs et forme une cavité cotyloïde pour le globe. Il existe un plan de clivage entre le
globe et la capsule de Tenon (voie de cheminement chirurgical), jusqu'au nerf optique.
L'énucléation utilise ce plan de clivage, que l'on expose au fur et à mesure en faisant tourner
le globe dans sa cavité ténonienne.
Matériel
II faut disposer du matériel suivant :
- pince à disséquer à griffes - pince de Kocher ;
- paire de ciseaux à bout mousse ;
- paire de ciseaux à énucléation de 15 cm, courbe sur le plat ;
- blépharostat ou soie noire 4/0 (fils tracteurs) - deux crochets à strabisme ;
- suture : fils de soie noire 6/0 (non résorbable) ou Vicryl 5/0, Catgut 5/0 (résorbable).
727
L'anesthésie
L'anesthésie générale est préférable à l'anesthésie locorégionale mais elle n'est pas
toujours réalisable. L'anesthésie locorégionale repose sur une injection rétrobulbaire d'un
mélange de 6 à 8 ml de Xylocaïne à 2 % et de Marcaïne à 0,50 % (proportion 2/3 - 1/3).
Intervention
Pour décrire cette intervention, le plus simple est d'exposer l'énucléation sur globe
normal, ce qui permet d'en saisir les principes et de présenter les différents temps
opératoires.
Premier temps : dissection de la conjonctive (Fig. 45.1). Elle doit être circulaire,
proche du limbe. Après avoir réalisé une boutonnière, on introduit les ciseaux fermés et
on les ouvre in situ pour assurer le clivage conjonctivo-teno-nien. La section au limbe est
réalisée sur 360°. Il faut respecter au maximum la conjonctive (futur plan de
recouvrement).
728
729
730
Cette section postérieure évite de laisser un moignon scierai et notamment uvéal.
La pose d'un conformateur dans la cavité assurera la compression, le libre jeu des
paupières et garantira la possibilité d'une prothèse ultérieure.
- il faut laver la plaie au sérum physiologique tiède, retirer les caillots et éliminer les
corps étrangers ;
- la conjonctive doit être respectée au maximum. Il faut être avare en résection car
cette conjonctive constituera le futur plan de recouvrement et contiendra la prothèse
(conjonctive palpébrale et bulbaire) ;
- la sclère, blanchâtre, sert de repère et permet de localiser les muscles, le nerf
optique;
- surtout, il faut éliminer soigneusement tout débris uvéal (iris, corps ciliaire,
choroïde) d'aspect marron, noirâtre. Ces débris peuvent en effet être source
d'inflammation locale et de phénomènes uvéo-antigéniques secondaires pouvant menacer
l'autre œil. Ils doivent être recherchés minutieusement et réséqués systématiquement ;
731
- il faut ensuite repérer le nerf optique et le sectionner sans laisser un moignon
scierai et réaliser une hémostase efficace par tamponnement et électrocoagulation si
nécessaire ;
- enfin, il faut assurer un bon plan de recouvrement, d'abord par la capsule de
Tenon qui constitue un premier plan solide, puis par la conjonctive que l'on suture
soigneusement par dessus.
732
Suture-épiplooplastie
pour perforation d'ulcère duodénal
Patient de 30 ans, souffrant d'un ulcère duodénal depuis deux ans, présentant une
douleur épigastrique intense, en coup de poignard. A l'examen : douleur abdominale très
intense et contracture abdominale généralisée, TA : 9/5. ASP : croissant gazeux sous-
diaphragmatique.
Diagnostic
II est évoqué.
Il est confirmé.
733
Physiopathologie
L'ulcère gastroduodénal, ainsi que ses complications, sont très fréquents dans les pays
où les structures et le niveau d'éducation sanitaires restent bas. La principale complication est
l'hémorragie, puis la perforation.
Dans les perforations, le contenu gastrique (sécrétion acido-peptique + aliments
ingérés) entraîne dans les premières heures une péritonite chimique, responsable du
péritonisme immédiat ; cette réaction s'aggrave secondairement d'une pullulation microbienne
et de la constitution de fausses membranes et de foyers septiques intrapéritonéaux.
Quoi qu'il en soit, l'évolution spontanée de la péritonite ne peut être que péjorative, a
fortiori quand les moyens d'investigation et de surveillance sont très limités. Toute suspicion
de perforation d'organe creux doit être explorée et traitée chirurgicalement.
Traitement
Buts
Traiter la perforation elle-même, sa conséquence (la péritonite) et sa cause (la maladie
ulcéreuse).
Moyens
Médicaux
Débutés avant l'intervention, ils comportent :
734
Les fausses membranes doivent être retirées minutieusement, et de manière
atraumatique, en explorant toute la cavité péritonéale, étage par étage, organe par organe.
Le dernier temps est la fermeture, qui doit être particulièrement soigneuse pour le
plan musculo-aponévrotique (risque d'éventration majoré) et particulièrement lâche, voire
absente pour le plan cutané (risque d'infection pariétale majoré).
Traitement de la perforation
Elle peut se faire par suture simple ou par suture-épiplooplastie. Cette méthode a
l'avantage d'être la plus simple et de suffire pour le traitement de la perforation proprement
dite, mais l'inconvénient de ne pas agir sur l'évolution de la maladie ulcéreuse et ses
éventuelles complications.
735
Gastrectomie polaire inférieure emportant l'ulcère et vagotomie
tronculaire. Cette technique associe le minimum de récidives (< 1 %) au maximum de
morbidité et de mortalité (jusqu'à 15 % dans les interventions en urgence). Elle n'est utilisée
que lorsqu'elle est absolument nécessaire : hémorragie ulcéreuse associée, volumineux ulcère
calleux insuturable...
Indications. Plus la péritonite sera évoluée ou le terrain affaibli, plus les conditions
d'exercice (intervention, anesthésie, surveillance post-opératoire et réanimation...) seront
précaires, moindre sera l'expérience de l'opérateur en chirurgie digestive, et plus on
privilégiera une technique simple, « de sauvetage », ayant fait ses preuves. Le traitement de
fond sera alors reporté ultérieurement, dans d'autres centres de soins et avec des modalités
différentes.
C'est pourquoi, bien souvent dans ce contexte, il faudra choisir la suture simple
avec épiplooplastie, technique que nous allons maintenant décrire.
L'ulcère duodénal siège presque toujours sur la première portion. Dans l'étage sus-
mésocolique, après le pylore, celui-ci est parfois difficile à palper si les tissus sont très
inflammatoires, mais il est toujours bien repérable grâce à la veine pylorique transversale.
Situé avant le genu superius, le plus souvent dans la portion libre et plus rarement dans
la portion accolée, l'ulcère peut siéger au-delà, en D2, voire D3 ; il faudra alors s'attacher, en
post-opératoire, à rechercher une étiologie ulcérigène spécifique. Enfin, l'ulcère peut se
localiser sur la face duodénale antérieure, visible dès la libération de l'étage sous-hépatique,
sur un bord ou la face postérieure, contre le pancréas, accessible après ouverture de l'arrière-
cavité des épiploons. Le premier duodénum répond :
- en dehors, à l'angle colique droit fixé au plan postérieur par le « ligament hépato-
colique » qui est en réalité représenté par l'accolement supéro-droit du Toldt droit et la corne
droite du grand épiploon ;
736
Figure 46.1 : Schéma de la région hépatique, foie relevé et estomac écarté, construit
sans l'axe osseux postérieur pour montrer le pédicule hépatique dans sa disposition modale
(D'après nos anciens des Troupes de Marines...). 1. vésicule biliaire ; 2. canal hépatique droit ;
3. canal hépatique gauche ; 4. artère hépatique propre ; 5. artère hépatique commune ; 6.
artère gastro-duodénale ; 7. artère splénique ; 8. artère coronaire stomachique ; 9. artère
pylorique ; 10. veine cave ; 11. tronc porte ; 12. cholédoque ; 13. artère mésentérique
supérieure ; 14. veine mésentérique supérieure ; 15. mésocôlon transverse droit ; 16.
mésocôlon droit ; 17. fascia de Toldt droit. La flèche noire indique le passage du hiatus de
Winslow, en arrière du bord libre du petit épiploon.
737
- en bas, à la partie droite de la racine du mésocôlon transverse barrant
transversalement la tête pancréatique (le mésocôlon participe aux accolements péritonéaux
masquant la perforation) et, surtout, à la papille duodénale au bord interne de D2,
normalement à distance mais pouvant être considérablement rapprochée et menacée en cas
d'ulcère ancien, calleux et de duodénum cicatriciel ;
L'intervention peut se faire par laparoscopie (non décrite ici) ou laparotomie. Celle-ci
peut être sélective par incision sous-costale droite, transversale..., mais ici elle sera toujours
médiane en tant que voie royale de l'urgence permettant toute la chirurgie abdominale.
Dans ce cas en particulier, la voie médiane permet de corriger le diagnostic (péritonite
appendiculaire, perforation d'un autre organe creux...) et de traiter la péritonite généralisée.
Protocole opératoire
Le bilan pré-opératoire n'a rien de particulier. Le traitement médical que nous avons
cité plus haut est entrepris. Le malade est placé en décubitus dorsal, et on rase toute la région
thoraco-abdominale.
Intervention
L'anesthésie est générale, et le patient est intubé et ventilé. On pose une sonde naso-
gastrique et une sonde urinaire.
Le matériel comporte un cadre rigide que l'on place au-dessus des épaules, une boîte
de chirurgie abdominale (instruments longs), un rétracteur costal, un écarteur autostatique,
une valve de Leriche et une valve malléable, un bistouri électrique (si disponible...), un
aspirateur, du sérum physiologique (5 à 10 1), un chauffe sérum, des fils à résorption lente ou
à défaut non résorbables, des champs et des compresses qui seront comptés...
738
On recherche alors la perforation, souvent évidente quand elle se localise sur la
face antérieure, après décollement prudent des adhérences péritonéales inflammatoires au
doigt, au tampon monté ou du plat des ciseaux, après ouverture de l'arrière-cavité parfois et
séparation qui doit être extrêmement prudente, sans section, des organes de
voisinage. Parfois aussi, on retrouve une autre localisation, en redressant le diagnostic !
La toilette est menée chemin faisant et complétée pour travailler « au propre » sur un
champ isolé.
On pose un drainage par lames de Delbet ressortant par quatre contre-incisions des
flancs : supérieure droite (lame double sus- et sous-hépatique), inférieure droite (gouttière
pariéto-colique et Douglas), inférieure gauche (comme à droite), supérieure gauche
(hypochondre gauche).
La fermeture est souhaitable, mais non obligatoire pour le péritoine. Elle doit être
particulièrement soigneuse au niveau de la ligne blanche, lâche pour le tissu sous-cutané, et
très lâche, voire absente pour le plan cutané si la péritonite était évoluée (la cicatrisation
739
secondaire se fera alors rapidement et dans d'excellentes conditions, alors que l'abcès pariétal
conduira très souvent à l'éventration, voire à l'éviscération).
Incidents peropératoires
Parfois, rarement en fait, la suture peut se révéler difficile sur des perforations
énormes qui pourraient faire discuter une gastro-entéro-anastomose... Plus souvent, on
rencontre des incidents liés au lavage : dépéritonisation intestinale, voire effraction complète
à bien reconnaître et réparer par des points séparés extra-muqueux ; décapsulations
hépatiques et, surtout, spléniques qu'il vaut mieux prévenir par la douceur que traiter par
tamponnement (cinq minutes minimum) ou les moyens disponibles de conservation, voire
parfois par... splénectomie d'hémostase ! Ne pas méconnaître une suture qui aurait intéressé le
cholédoque ou la papille (cholangiographie ou injection de bleu de méthylène dans les voies
biliaires au moindre doute).
Soins post-opératoires
Ils comportent une réhydratation parentérale, une antibiothérapie probabiliste type «
pénicilline-métronidazole » que l'on adaptera si possible par la suite et un traitement
antiulcéreux. La sonde gastrique est retirée à la reprise du transit, et l'alimentation orale
reprise vers le cinquième jour.
Complications post-opératoires
Précoces, il peut s'agir de la persistance d'un foyer septique intra-abdominal et de la
constitution d'une péritonite post-opératoire diffuse ou localisée (abcès sous-phrénique).
Secondairement, une éventration sur la cicatrice de laparotomie peut se constituer.
Conclusion
Même si la perforation peut être la dernière manifestation d'une maladie ulcéreuse qui
ne se manifestera plus, il est certain que la suture simple ne met pas à l'abri d'une récidive (40
% environ des cas). Elle est cependant toujours réalisable, même en situation précaire et y
compris devant une péritonite évoluée. C'est un geste salvateur, simple, de chirurgie générale.
740
Colostomie pour plaie de guerre
du côlon gauche
A. CALLEC, L. CADOR
Evacué de la zone des combats où il avait été blessé cinq heures auparavant, cet
homme de 24 ans présente un faciès grisé et un état de choc objectivé par une pression
artérielle pincée à 916, un pouls à 120. L'examen clinique met en évidence une contracture
abdominale généralisée, une plaie punctiforme (orifice d'entrée) au bord externe du grand
droit gauche, une plaie anfractueuse (orifice de sortie) de la fosse lombaire gauche par où
s'écoulent des matières fécales. La radiographie de /'abdomen sans préparation ne retrouve
pas de lésions osseuses, pas de corps étranger décelable. La radiographie pulmonaire est
normale.
Chaque fois que les conditions le permettent, il faut considérer qu'une plaie de
l'abdomen est pénétrante jusqu'à preuve chirurgicale du contraire ; l'une des raisons d'être de
cet aphorisme réside dans la crainte de laisser évoluer une lésion d'organe creux source de
péritonite secondaire d'évolution redoutable. La même crainte fera de principe entreprendre
des gestes connus pour être rapides et sûrs, même chez des sujets dont les défenses naturelles
paraissent saines ; c'est ce qu'illustrera cet exemple.
Diagnostic
Ici, il est malheureusement trop évident dès l'examen clinique, qui permet de noter :
741
- une antibiothérapie systématique couvrant les anaérobies (association classique
pénicilline -métronidazole) ;
- l'administration d'oxygène au masque ;
- la prophylaxie antitétanique ;
- un sondage urinaire à demeure (contrôle des urines, d'emblée, puis de la diurèse lors
de la réanimation).
Évolution
La péritonite stercorale provoquée par la rupture, en plein ventre, des tuniques
coliques est d'emblée très septique, la plus septique des péritonites en un temps, et son
évolution spontanée est rapidement fatale par choc infectieux et défaillance multiviscérale.
Il faut se souvenir qu'en dehors de l'hémorragie active, toutes les autres lésions intra-
abdominales ont des conséquences immédiates moins graves que la péritonite stercorale dont
le traitement est urgent.
Traitement
But
Le but du traitement est d'interrompre l'évolution septique et de réparer les lésions. Il
faut donc faire un bilan lésionnel complet, réparer les lésions mises en évidence, nettoyer,
parer et drainer les espaces clos.
Moyens
Médicaux
La réanimation et l'antibiothérapie encadrant l'acte opératoire sont indispensables mais
insuffisantes en elles-mêmes ; en d'autres termes, on ne peut pas commencer l'intervention
avant qu'elles ne soient entreprises, même a minima, sous peine de risquer un choc
irréversible, mais il ne faut, à aucun prix, qu'elles retardent l'intervention, sous peine de
risquer des défaillances irrémédiables.
Chirurgicaux
Laparotomie exploratrice
742
Traitement des lésions coliques
Le parage est effectué, comme toujours, jusqu'en zone saine.
Ici, la péritonite est évidente, mais aussi la lésion du côlon gauche, qui en contexte de
guerre, fait formellement proscrire le rétablissement immédiat de la continuité.
Il faut donc ici recourir à des dérivations externes, sans suture intra-péritonéale. Il en
existe plusieurs types :
Il faut ensuite assurer le lavage péritonéal, dont l'efficacité ne dépend pas tellement
de la nature du produit utilisé (sérum physiologique à bonne température), ni de sa vigueur
vis-à-vis des fausses membranes (attention aux effractions passées inaperçues) mais de son
abondance : 4, 6, 10 litres... jusqu'à obtention d'un liquide d'aspiration parfaitement
clair.
Indication
L'intervention est bien entendu ici impérative, ne souffrant pas d'équivoque, mais il
faut rappeler, pour les cas moins évidents :
- qu'il faut garder à l'esprit les pièges représentés par les associations lésionnelles
(brûlures étendues, traumatisme thoracique ou crânien, fracas de membre...) qui retiennent
toute l'attention et risquent de faire méconnaître une lésion abdominale dont l'évolution
secondaire pourra faire le pronostic ;
- qu'il ne faut pas méconnaître un trajet qui peut paraître aberrant : plaie abdominale
dont l'orifice d'entrée se situe au cou, à la racine de la cuisse, etc. Chez un sujet alité, une
plaie du dos par exemple peut ne pas être détectée par un examen superficiel !
743
L'intervention est ici une première urgence, même en l'absence de phénomènes
hémorragiques patents. Elle doit être effectuée théoriquement dans les six heures, dès mise en
route de la réanimation.
Le type d'intervention dépend bien sûr des lésions existantes, mais elle comprendra
certainement, une dérivation externe.
Le matériel nécessaire consiste en une boîte de chirurgie courante (de « paroi »), une
boîte de chirurgie abdominale, comportant des instruments longs et atraumatiques, des valves
longues, des écarteurs autostatiques (rétracteur costal, Ricard ou Gosset...), des clamps
digestifs. Une boîte « vasculaire » doit être disponible dans la salle. Il faut également disposer
d'un chauffe-sérum, d'un aspirateur, d'un bistouri électrique, de fils monobrin lentement
résorbables Dec. 2 montés sur aiguilles courbes rondes, de champs et compresses qui doivent
être comptés.
Rappel anatomique
Avant d'entreprendre une telle intervention, il faut bien évidemment connaître les
voies d'abord et les cheminements. Nous nous centrerons ici plus particulièrement sur le
côlon gauche.
Situation
Aisément reconnaissable par ses bandelettes longitudinales (trois, puis deux pour le
sigmoïde) et à ses haustrations, le côlon gauche débute au tiers gauche du transverse, là où se
rejoignent théoriquement les vascularisations coliques droite et gauche ; il monte ensuite
rapidement et très haut dans l'hypochondre gauche (à hauteur de D12, soit de la traversée
diaphragmatique par l'aorte), où il forme l'angle colique gauche aigu et fixe, pour se diriger
verticalement vers le bas (côlon iliaque), postérieur dans l'abdomen, puis latéro-vertébral,
jusqu'au bord interne du psoas où il croise les vaisseaux iliaques et donne naissance à la
boucle sigmoïdienne de taille et de forme variables. Il se termine à la jonction recto-
sigmoïdienne, sur la ligne médiane, sous le promontoire, à hauteur de la deuxième ou
troisième pièce sacrée.
744
- le tronc des sigmoïdiennes, divisé, à son tour, en trois branches réunies entre elles et
à l'artère de l'angle par une arcade vasculaire qui se prolongera par la sigmoïda ima vers le
rectum ;
- une branche terminale, l'artère hémorroïdale supérieure qui chemine en avant de la
bifurcation aortique puis de la veine iliaque primitive gauche, vers le méso-rectum.
Il faut enfin se souvenir que la veine mésentérique inférieure suit le bord externe du
quatrième duodénum pour se jeter, dans la circulation porte, en arrière du pancréas dans la
veine splénique.
745
Fixité (Fig. 47.2)
Dans notre cas, chacune des trois portions coliques, transverse et sigmoïdienne peut
être intéressée par le trajet projectilaire.
En effet, deux portions sont mobiles, d'autant plus qu'elles sont plus « dolicho » et que
leur méso est développé et souple, circonstance habituelle chez le sujet noir :
- le transverse est relié au plan postérieur par le mésocôlon transverse dont la racine
barre transversalement l'abdomen de droite à gauche et de bas en haut, en suivant, à gauche,
le bord inférieur du pancréas. Il est, encore, relié à l'estomac par le ligament gastrocolique lui-
même poursuivi en avant et en dessous du transverse par le tablier épiploïque (décollement
colo-épiploïque possible menant à l'arrière-cavité des épiploons) et poursuivi, en haut et à
gauche, par le ligament gastro-splénique ;
746
- le sigmoïde, plafond du petit bassin, sur lequel il s'étale, est relié au plan postérieur
par son méso, à deux racines formant un angle dièdre ouvert en bas, en arrière et à gauche ; la
racine secondaire suit, classiquement, le bord interne du psoas (vaisseaux iliaques gauches) ;
la racine primitive, verticale et médiane se termine, avec le méso, à la jonction recto-
sigmoïdienne, en avant du sacrum.
Une portion est fixe, la portion descendante, iliaque, par l'accolement du mésocôlon
gauche (fascia de Todt gauche), classiquement de l'angle en haut au bord interne du psoas en
bas. Devant une plaie de ce segment, il faut bien entendu, chercher l'orifice de sortie jusqu'en
arrière, dans la zone accolée ; plus traître, encore, sont les rares plaies coliques entièrement
extra-péritonéales, dans la zone d'accolement, évoluant vers de redoutables cellulites
747
rétropéritonéales si elles sont méconnues par abstention chirurgicale (ventre « silencieux »)
ou par défaut d'exploration. Le décollement et l'ouverture de l'espace ne sont pas anodins lors
d'une péritonite putride, mais ils seront cependant nécessaires dans une deuxième
circonstance, fréquente, à savoir la nécessité de mobiliser le côlon en amont de la plaie pour
l'amener à la paroi. Cette mobilisation peut ou non intéresser l'angle gauche, partie la plus
fixe, par l'association de l'accolement de Todt, de la corne gauche du grand épiploon et du
sustentaculum lienis ; nous verrons comment réaliser ce décrochage sans risque pour les
organes de voisinage.
- avec le rein gauche (la surrénale au bord interne de son pôle supérieur) ;
- avec le corps et la queue pancréatique, formant la paroi postérieure de l'arrière-
cavité des épiploons ;
- avec l'uretère gauche et les vaisseaux spermatiques en arrière du mésocôlon, proches
de la veine mésentérique inférieure ;
- avec les gros vaisseaux centraux, mais surtout les vaisseaux iliaques gauches croisés
par l'uretère avant leur bifurcation ;
- avec des nerfs, des lymphatiques, des espaces celluleux...
Enfin, il établit des rapports pariétaux avec, d'arrière en avant, la colonne lombaire, les
dernières côtes, les muscles para-vertébraux et de la sangle abdominale, le tissu sous-cutané,
la peau...
C'est sur la base de ces rapport que l'on pourrait élaborer le catalogue des associations
lésionnelles qu'il est inutile de réciter : le dénominateur commun reste l'impérieuse nécessité
d'une réparation chirurgicale d'urgence...
Intervention
Premier temps : incision
En matière de chirurgie colique, quelques voies d'abord peuvent se discuter
(horizontales, latérales, cœlioscopiques et surtout médianes) mais, en matière de péritonite et
d'urgence en général, la médiane doit rester la référence, d'autant qu'ici le lavage doit être
soigneux et que l'exploration peut conduire à un geste dans l'hypochondre gauche ou dans le
bassin.
748
La seule discussion porte sur l'utilisation éventuelle de la plaie traumatique. Dans
notre cas, elle est trop latéralisée pour être comprise dans l'abord ; il ne faut cependant pas
l'oublier au cours de la « gestion pariétale », essentielle dans cette pathologie.
L'abord se fait donc par une large voie médiane, à cheval sur l'ombilic, voire une voie
xypho-pubienne. Après hémostase correcte de l'abord qui sera rapidement protégé par des
champs secs ou, s'ils sont disponibles des champs imperméables, on ouvre prudemment le
péritoine.
Par des champs abdominaux, on protège et on refoule les zones ou organes non
concernés par la réparation : hypochondre gauche, petit bassin, grêle.
Pour réaliser ce geste, et pour les temps suivants, il faut décoller, au moins
partiellement, le mésocôlon. Ce décollement est mené sous protection temporaire de la zone
blessée par des champs ou compresses, en tendant de la main gauche le côlon iliaque vers
l'intérieur et le haut et en sectionnant le péritoine dans la gouttière pariéto-colique depuis la
terminaison de la racine secondaire du méso-sigmoïde, en direction de l'angle gauche. Le seul
risque lors de ce décollement est de s'égarer en arrière du rein dont on palpe parfaitement la
convexité.
749
Le méso est ensuite sectionné progressivement entre ligatures (hémostase préventive)
sans chercher à s'éloigner de l'intestin.
L'intestin est sectionné franchement aux ciseaux droits, puis on extrait la pièce
opératoire.
- le plus simple, est d'effectuer un surjet rapide de fil monobrin dont les bouts sont
gardés longs pour la traversée pariétale ;
- la pince à viscérosynthèse (avant section) est très pratique, ainsi que le classique
écraseur de De Martel lorsqu'on en dispose.
Une fois ces temps réalisés, il faut refaire une nouvelle toilette péritonéale très
complète, d'abord dans la zone opératoire protégée, puis dans l'ensemble de l'abdomen ; on
utilisera ensuite des instruments « propres ».
Le segment d'aval, ici très long, devra également être abouché à la peau ; cela présente
le double avantage d'éviter toute suture intra-péritonéale et de faciliter le temps secondaire de
rétablissement de la continuité.
Lorsque les segments coliques sont suffisamment mobiles pour traverser sans tension
la paroi à l'endroit souhaité, on les adosse sur 3 à 4 cm par des points d'affrontement séro-
séreux (Fig. 47.4).
Le choix du site de l'orifice cutané est important pour l'appareillage : il doit être à
distance des reliefs osseux, de l'ombilic et des plis abdominaux ; il pourra être judicieux,
cependant, d'utiliser l'orifice d'entrée, paré, comme orifice de stomie ou, à défaut, comme
orifice de drainage.
Quel que soit le site, il faut retirer une pastille cutanée de 15 mm de diamètre environ,
reconnaître l'aponévrose du grand oblique, l'inciser en croix ou retirer la même pastille,
750
dilacérer, dans le sens de leurs fibres, petit oblique et transverse et franchir directement le
péritoine sans trajet sous-péritonéal car il s'agit, ici, d'une stomie provisoire.
Les deux extrémités coliques sont extériorisées par cet orifice qu'elles doivent
dépasser d'un bon centimètre et fixées, dans cette position, par quelques points de fil
lentement résorbable, d'une part au péritoine, par en dedans, d'autre part, à l'aponévrose, par
en dehors ; deux ou trois points sur chaque moignon peuvent encore être noués à la peau, à 1
cm au moins de leur terminaison.
La fermeture, après une péritonite, doit être particulièrement soigneuse sur le plan
fascio-musculaire, et particulièrement lâche, voire absente sur le plan cutané, évitant surtout
les espaces clos sous-cutanés source d'infection pariétale.
751
Septième temps : parage complémentaire
Si cela n'a pas déjà été effectué, il faut parer les orifices d'entrée et de sortie. Le
parage doit être économique au plan cutané, large au plan graisseux et aponévrotique, et aller
jusqu'en zone rouge au plan musculaire.
On peut tenter de traiter une éraflure splénique par les petits moyens (tamponnement
prolongé...). Malheureusement, il faut bien souvent se résoudre à sacrifier la rate quand les
conditions de surveillance postopératoire ou l'état du patient sont précaires.
Mais cette intervention comporte surtout une multitude de variantes, qui dépendent
des lésions rencontrées :
752
peut être assez basse pour interdire l'abouchement du moignon distal : on utilise alors
l'intervention de Hartmann, par suture soigneuse de ce moignon paré à l'aide de monofil
extra-muqueux en surjet ou points séparés (pince à viscérosynthèse...) ;
- variantes dans l'association lésionnelle : il peut s'agir de lésions mésentériques
hémorragiques difficiles à contrôler chez l'obèse, de lésions rénales ou spléniques
hémorragiques imposant une hémostase première d'extrême urgence, de lésions des vaisseaux
iliaques, plus rares, mais gravissimes, de la lésion « habituelle », simultanée du grêle, traitée
par parage-suture simple ou résection-anastomose, d'une lésion gastrique traitée par parage-
suture, de lésions osseuses nécessitant un parage large, une esquillectomie, un drainage, etc. ;
- ouverture d'emblée de la stomie, en fin d'intervention, en ourlant à la peau, de
manière « étanche », la muqueuse colique ;
- absence de drainage, ou drainage simple, si l'intervention, suffisamment précoce et le
lavage laisse un abdomen parfaitement propre, d'aspect normal et une hémostase
parfaite.
753
Soins post-opératoires (Ftg. 47.6)
Ils portent sur plusieurs points :
Le lever doit être précoce et l'alimentation est autorisée dès la reprise du transit.
Complications post-opératoires
Liées à l'acte opératoire. Elles n'ont rien de spécifique : éviscération, éventration
secondaire, occlusion post-opératoire comme toute chirurgie abdominale, et complications
liées aux éventuels gestes associés.
Liées à la pathologie. Elles dépendent de l'évolution des plaies et de la précocité de la
prise en charge de ce sepsis majeur ; le rétablissement de continuité est, dans l'idéal, à
reporter à trois mois de l'intervention initiale, mais il est parfois possible dès quinze jours.
Liées au terrain. Elles sont très variées : tout sépare l'état général d'un combattant
sélectionné et entraîné et le sujet fatigué et dénutri. Il faut tenir compte des tares individuelles,
des pathologies tropicales intriquées, etc.
Conclusion
Les conditions de précarité doivent faire respecter, plus que jamais, les dogmes de
sécurité de la chirurgie de guerre.
Il existe une limite admise à ce dogme, compte tenu des contraintes techniques
(difficultés d'appareillage...) ou des réticences culturelles : si, et seulement si, le péritoine est
propre (blessure vue tôt, lavage complet et efficace...), l'anastomose d'emblée est concevable
pour le côlon droit (soit jusqu'à la moitié du transverse).
754
Hernie inguinale étranglée
TH. BOULANGER
Homme de 60 ans, bon état général, porteur d'une hernie inguinale droite ancienne,
se présentant avec un tableau associant douleur de l'aine droite, arrêt des matières et des gaz
depuis 12 h, vomissements. ASP : niveaux hydro-aériques du grêle.
Toute hernie diagnostiquée doit être opérée pour éviter d'avoir à intervenir en
urgence à l'occasion de ses complications, dont la plus fréquente est l'étranglement.
Diagnostic
II est évoqué par la clinique :
- hernie inguinale droite connue ;
- douleur récente avec vomissements, arrêt des matières et des gaz depuis 12 h ;
- à l'examen, tuméfaction inguinale droite qui n'est plus expansive à la toux, plus
réductible et dont le collet est hyperalgique ;
- l'ASP confirme l'occlusion avec présence de niveaux hydro-aériques du grêle ;
- le bilan biologique va guider la réanimation de cette occlusion intestinale aiguë :
ionogramme sanguin, NFS, etc.
Physiopathologie
II existe une zone de faiblesse dans la paroi abdominale au niveau du canal inguinal.
Le sac péritonéal refoule devant lui le fascia transversalis et le traverse. Le sac herniaire ainsi
constitué peut contenir de l'épiploon, du grêle, une corne vésicale, du côlon, etc.
Dans le cas d'une anse grêle, par exemple, l'anneau fibreux du collet peut étrangler la
base du sac, avec stase puis oblitération vasculaire, à l'origine d'ischémie et de nécrose de
l'anse intestinale. L'évolution se fait vers la péritonite par perforation.
L'interruption du transit est à l'origine d'une distension intestinale d'amont avec son
retentissement propre : déshydratation, défaillance cardio-vasculaire, rénale.
Traitement
Buts
II faut d'une part lever l'occlusion et traiter sa conséquence, et traiter la hernie pour
éviter la récidive.
755
Moyens
Une part du traitement est médicale, avec réanimation et mise en place de voies
veineuses pour la réhydratation et d'une sonde nasogastrique dans l'attente du traitement
chirurgical.
Nous choisirons, ici, le procédé de Bassini, car il est plus simple à appréhender pour
des chirurgiens non rompus à la chirurgie herniaire ; la meilleure technique peut aussi être
celle que l'on connaît le mieux...
756
Rappel anatomique (Fig. 48.1,48.2 et 48.3)
Plans pariétaux
De la superficie vers la profondeur, les plans successifs sont la peau et le tissu
cellulaire sous-cutané, puis l'aponévrose du grand oblique. À son niveau, on peut facilement
palper l'orifice superficiel du canal inguinal, point de « sortie » du cordon spermatique.
757
les vaisseaux iliaques externes et épigastriques (à ne pas blesser) en dehors, et le ligament de
Cooper en dedans.
Cordon spermatique
II est constitué par la réunion, au niveau de l'orifice profond, du canal inguinal, des
éléments du pédicule spermatique, du canal déférent, des vaisseaux déférentiels et
éventuellement d'un sac herniaire (cas de la hernie oblique externe).
Ces éléments sont enveloppés dans la fibreuse du cordon, sur laquelle cheminent les
nerfs petits et grands abdominaux génitaux à ménager.
Protocole opératoire
Préparation pré-opératoire
L'intervention doit être effectuée en urgence, après bilan pré-opératoire et
rééquilibration hydroélectrolytique.
Intervention
Elle s'effectue chez un malade en décubitus dorsal, sous anesthésie générale ou
locorégionale, voire locale.
758
Le matériel comporte un écarteur de Beckmann, des clamps intestinaux, un lac, des
fils à résorption lente et des fils non résorbables.
Le plus souvent on effectue une kélotomie après repérage de l'épine pubienne (EP), de
l'épine iliaque antéro-supérieure (EIAS) et du bord externe du muscle grand droit. L'incision
classique de kélotomie est la bissectrice entre ce bord externe et la ligne de Malgaigne
unissant les deux premiers repères (EP et EIAS).
- ne pas laisser échapper l'anse intestinale étranglée pour pouvoir apprécier son état
lors de l'ouverture du sac ;
- ne pas blesser les nerfs abdomino-génitaux.
On ouvre alors l'aponévrose du grand oblique, dans le sens des fibres, en débutant à la
partie moyenne de l'incision par une petite moucheture, par laquelle on glisse les ciseaux sous
l'aponévrose, en direction de l'orifice inguinal. La section s'effectue alors sans risque, en
maintenant la hernie.
On ouvre alors prudemment le sac herniaire après avoir posé des champs protecteurs
de part et d'autre. Le contenu herniaire doit être maintenu fermement mais de façon
atraumatique. On repère alors le collet que l'on sectionne, ce qui permet d'exposer
l'anneau d'étranglement et les quelques centimètres d'amont et d'aval sur l'intestin. Le plus
souvent, le collet fibreux responsable de l'étranglement participe de la paroi musculaire et du
sac péritonéal lui-même, par un anneau scléreux qu'il faut fendre.
759
humide chaud et, après quelques minutes, si elle se recolore et si on perçoit les battements
artériels dans le mésentère, elle est réintégrée. Sinon, ou si elle est d'emblée nécrotique ou
perforée, elle est réséquée.
On met alors en place des clamps digestifs, à distance des zones de section (pour
faciliter le geste, sans encombrer le champ opératoire), sans mordre sur le mésentère, puis on
sectionne le mésentère, pas à pas entre ligatures pour hémostase préventive, au fil à résorption
lente, jusqu'aux zones de section intestinale choisie (zone saine).
On effectue alors les sections digestives d'amont et d'aval (et éventuellement une
vidange de l'intestin dilaté par le segment d'amont après lâchage du clamp et protection de la
plaie), puis une hémostase fine de la sous-muqueuse.
L'anastomose est effectuée par deux hémi-surjets au fil à résorption lente monobrin
3/0, monté sur aiguille courbe ronde (à défaut, au fil non résorbable) en plaçant au préalable
deux fils repères qui sont noués : l'un au bord mésentérique de l'anse, l'autre au bord
antimésentérique. On confectionne ensuite des surjets par passage des points en
extramuqueux. La suture peut aussi être réalisée par des points séparés, un hémi-surjet et des
points séparés... L'essentiel est d'obtenir un bon affrontement avec des points pas trop serrés,
qui ne coupent pas la paroi intestinale. Il faut bien « sentir » et voir la sous-muqueuse, seul
plan résistant, et ne pas hésiter à franchir la muqueuse, ce qui sera sans conséquence.
En cas de hernie directe, le sac est réséqué jusqu'à obtenir deux berges de fascia
transversalis qui peuvent être suturées sous légère tension, éventuellement en paletot comme
dans le procédé de Shouldice, en prenant garde, au niveau de l'orifice profond du canal
inguinal, aux vaisseaux épigastriques.
Ici, nous décrirons le procédé de Bassini, dans lequel il faut préparer les éléments
anatomiques à rapprocher. Ce procédé comporte plusieurs étapes :
760
- dissection, sur le versant interne du champ opératoire, du tendon conjoint qui sera
abaissé à l'arcade. Ce geste est facilité en passant un doigt sous le tendon et en faisant
quelques va-et-vient (attention à l'hémostase) ;
- mise en place de plusieurs points séparés de fil déc. 4 ou 5 non résorbable qui ne
sont temporairement pas noués et placés tous les centimètres environ, de l'épine pubienne en
dedans jusqu'à l'orifice profond du canal inguinal. Ces fils prennent l'arcade crurale en dehors
(attention à ne pas blesser les vaisseaux fémoraux lors des passages de l'aiguille : les
battements de l'artère peuvent être perçus sous l'arcade, mais c'est la veine qui est la plus
menacée, car plus interne) et le tendon conjoint en dedans, sur une bonne épaisseur. Ils
chargent, au passage, le fascia transversalis ;
- puis les fils sont noués en débutant par l'épine pubienne jusqu'à l'orifice profond du
canal inguinal, en ménageant un passage suffisant pour le cordon spermatique. L'orifice
reconstitué ne doit cependant pas être trop large pour éviter une récidive. En pratique, il doit
admettre la pulpe de l'index ou autoriser la mobilisation verticale du cordon dégraissé ;
Soins post-opératoires
II faut assurer une surveillance clinique, notamment de l'incision, du drainage
éventuel, de l'abdomen et de la reprise du transit. Dès sa reprise, on retire la sonde naso-
gastrique et on reprend l'alimentation.
Incidents per-opératoires
Une plaie des vaisseaux fémoraux est possible, et sera traitée par section de l'arcade
crurale et réparation. Une plaie des vaisseaux épigastriques sera ligaturée. Si l'exposition
s'avère difficile, il faut pratiquer une médiane sous-ombilicale.
Complications post-opératoires
Elles sont de plusieurs types :
- hématome ;
- sepsis de paroi et/ou scrotal ;
- fistule anastomotique, exceptionnelle ;
- nécrose testiculaire ;
- récidive herniaire.
761
Conclusion
Le geste « qui sauve » c'est, ici, la levée de l'occlusion. En ce qui concerne la cure
pariétale, en situation précaire, on privilégiera les thérapeutiques simples, ce qui fait souvent
choisir le procédé de Bassini, accessible à tous.
762
Splénectomie pour rate traumatique
TH. BOULANGEA
Dans les traumatismes fermés de l'abdomen, la rate est l'organe le plus souvent lésé,
engageant le pronostic vital par son caractère hémorragique.
Diagnostic
Le traumatisme fermé de l'abdomen est évoqué sur l'anamnèse. À l'admission, la prise
en charge doit être commune avec le réanimateur pour lutter contre l'état de choc :
L'examen recherche :
Il doit se compléter d'un examen général pour rechercher d'autres lésions, notamment
un hémopneumothorax.
763
Ce tableau de traumatisme fermé de l'hypochondre gauche avec état de choc oriente
vers la lésion d'un organe plein (rate, rein). La correction des troubles hémodynamiques
permet la réalisation rapide de deux examens sans que cela retarde le traitement :
Physiopathologie
La rate, organe plein de l'hypochondre gauche, présente un parenchyme friable, dont
toute atteinte est hémorragique. Les rapports osseux immédiats majorent le risque de lésion
splénique.
La loge splénique, constituée par les différents organes qui enveloppent la rate, peut
contenir l'hématome assez longtemps, mais elle peut secondairement se rompre. Ailleurs,
l'hémopéritoine est massif d'emblée. Dans les deux cas, le pronostic vital est engagé.
Traitement
Buts
II est de sauver la vie du patient en faisant l'hémostase, en conservant, si possible, du
tissu splénique.
Moyens médicaux
Ce sont les mesures de réanimation.
Moyens chirurgicaux
Nous ne décrirons ici que la splénectomie car, en situation précaire, les carences en
matériel et en personnel rendent difficiles les procédés conservateurs.
764
La rate est un organe fragile, haut situé dans l'hypochondre gauche.
La loge splénique est constituée par les différents organes qui l'enveloppent comme on
l'observe sur une vue de face de l'hypochondre gauche :
II faut rappeler l'anatomie des feuillets péritonéaux pour comprendre les temps de
décollement du mésogastre postérieur, de sagittalisation de la rate et d'hémostase temporaire
(Fig. 49.2).
Entièrement péritonisée, la rate peut être mobilisée, mais elle est fixée par son
pédicule vasculaire et par deux replis péritonéaux :
765
Des variations anatomiques de ces péritonisations peuvent rendre plus ou moins
difficile la sagittalisation de la rate : plus le pédicule est court et épais, plus la division des
vaisseaux est précoce, moins la ligature, en raison de la difficulté d'extérioriser l'organe, est
facile (Fig. 49.3).
Protocole opératoire
Préparation pré-opératoire
Elle comporte plusieurs éléments :
- bilan biologique ;
- toujours assurer une bonne fonction ventilatoire (drainage pleural si nécessaire) ;
- rasage thoraco-abdominal ;
- antibioprophylaxie à l'induction anesthésique.
766
Intervention
Elle s'effectue sous anesthésie générale avec intubation trachéale, et il faut disposer
d'une réserve de sang isogroupe, isorhésus.
Le malade est placé en décubitus dorsal, sans billot ni déclivité, et l'opérateur se place
à droite, un ou deux aides lui faisant face.
767
Enfin, on en arrive à la libération de la rate et à la splénectomie proprement dite :
- pôle inférieur : ligatures et section de la corne gauche du grand épiploon, du
sustentaculum lienis et abaissement de l'angle colique gauche ;
- épiploon gastro-splénique : section entre ligature des vaisseaux courts à distance de
la séreuse gastrique ;
- abord du pédicule splénique à nouveau par sa face postérieure avec ouverture aux
ciseaux du feuillet postérieur du mésogastre postérieur au ras de la rate ;
- dissection et sutures séparées des artères et veines en identifiant parfaitement la
queue du pancréas ;
- en cas de méso court, dissection du pédicule par en avant.
Variantes
Splénectomie rate in situ
Si la rate ne peut être mobilisée, avec un mésogastre postérieur adhérant au péritoine
pariétal postérieur et/ou un épiploon pancréatico-splénique trop court, il faut contrôler l'artère
splénique au bord supérieur du pancréas après ouverture du ligament gastrocolique, ou à son
origine, après ouverture du petit épiploon. Ensuite, la splénectomie s'effectue par dissection
dans le plan gastro-splénique, puis pancréatico-splénique. Cette technique, indispensable pour
la chirurgie conservatrice, est rarement nécessaire pour une splénectomie totale.
Hémorragie massive
II faut contrôler l'artère splénique comme nous l'avons décrit plus haut.
Incidents peropératoires
Des lésions de la grande courbure gastrique, de la queue du pancréas, de l'angle
colique gauche et de la coupole diaphragmatique sont possibles. Il faut bien entendu les éviter
mais, surtout, les dépister pour les traiter immédiatement.
Soins post-opératoires
Ils comportent plusieurs éléments :
- surveillance hémodynamique, température, abdomen, drainage, lever précoce,
kinésithérapie respiratoire ;
- vaccin antipneumo-coccique et antibiothérapie au long cours à discuter selon
possibilités ;
- surveillance NFS et surtout plaquettes si possible, en fonction des conditions
d'exercice ;
- prévention thromboembolique (surtout si plaquettes > à 1 000 000/mm3).
768
Complications post-opératoires
Liées à l'asplénie
Ce sont les complications infectieuses et la thrombocytose transitoire.
Conclusion
Les techniques conservatrices supposent, entre autres, une parfaite disponibilité de
l'imagerie et de la réanimation, et ne peuvent concerner que des lésions spléniques isolées et
pas trop complexes. Le terrain doit être favorable.
Il est bien clair qu'en situation précaire la splénectomie totale d'hémostase reste
souvent la méthode de sécurité.
769
Trachéotomie
J.-L. PONCET
Elle diffère de la trachéostomie qui implique une continuité souvent définitive entre
la peau cervicale et la muqueuse trachéale. Ses indications se discutent avec celles de /'
intubation trachéale qui doit être préférée chaque fois qu'elle est aisément réalisable et que
sa durée doit être brève (< 48 heures).
Dans ce dernier cas, si l'on décide tardivement d'une trachéotomie après intubation
trachéale de longue durée, on cumule les risques de ces deux techniques.
Thème
Appelé de 20 ans victime d'un accident de voiture il y a 24 heures avec traumatisme
du larynx. Ce patient présente une dyspnée laryngée aiguë avec bradypnée inspiratoire, tirage
sus- et sous-sternal et cornage, réalisant le tableau d'une dyspnée laryngée aiguë.
Cette dyspnée s'est aggravée ces dernières heures malgré un traitement par
corticoïdes IV à doses massives.
770
Le traitement médical par corticoïdes IV a échoué et l'intubation trachéale, même avec
une petite sonde, est dangereuse car elle fait courir un risque majeur de spasme laryngé qui
nécessiterait une trachéotomie expéditive périlleuse.
Quand opérer ?
Très rapidement. C'est une première urgence à réaliser dans un délai maximal d'une
heure.
Comment opérer ?
Un rappel anatomique va nous permettre de situer les différents éléments rencontrés au
cours de l'intervention (Fig. 50.1 ; 50.2 et 50.3).
771
Sa longueur varie avec l'âge (6 à 9 cm chez l'adulte) et la position de la tête en
raison de l'élasticité du conduit trachéal.
Ses rapports sont constitués par un obstacle antérieur, et des dangers vasculaires
latéraux et médians.
L'obstacle anatomique antérieur est le corps thyroïde dont l'isthme est extrêmement
variable tant dans ses dimensions que sa situation.
772
Enfin, la trachée et le corps thyroïde, ainsi que l'œsophage en arrière, sont contenus
dans une gaine viscérale commune. Celle-ci contient également les parathyroïdes et les nerfs
récurrents, et est reliée en arrière à l'aponévrose pré-vertébrale.
L'arcade sus-isthmique est constituée par des anastomoses des artères et des
veines thyroïdiennes supérieures. L'arcade sous-isthmique, elle, reçoit les artères
thyroïdiennes inférieures et l'artère thyroïdienne moyenne de Neubauer (inconstante).
Le risque vasculaire est en fait surtout veineux. En effet, les veines thyroïdiennes
inférieures, ou venae imae, qui constituent un plexus veineux important dilaté en cas
d'insuffisance respiratoire et destiné au tronc veineux brachio-céphalique sont proches. Le «
risque veineux » est surtout important dans les trachéotomies non médianes et bas situées
(trachéotomie sous-isthmique).
Dans un plan plus superficiel, l'anastomose des veines jugulaires antérieures chemine
dans l'espace sus-sternal de Gruber.
773
Les plans de couverture donnent la clef de l'abord chirurgical.
Le plan profond est constitué par les muscles sterno-thyroïdiens qui, engainés par
un dédoublement de l'aponévrose viscérale, se dirigent obliquement en bas et en dedans.
Le plan moyen est formé par les muscles sterno-cléido-hyoïdiens qui, sous-tendant
avec les omo-hyoïdiens l'aponévrose cervicale moyenne, ont une direction oblique en bas et
en dehors.
Les dangers sont surtout vasculaires (corps thyroïde et arcades sus- et sous-
isthmiques) et, tout particulièrement, le réseau veineux sous-isthmique (venae imae) qui se
jette dans le tronc veineux brachio-céphalique.
Intervention
Préparation pré-opératoire
Elle dépend du degré d'urgence.
Dans certains cas, le malade en position demi-assise est oxygéné avant l'intervention,
et de façon discontinue, au masque ou par des lunettes à embout nasal au débit de 4 litres par
minute.
Une voie veineuse permet d'administrer une solution tampon THAM pour lutter contre
l'acidose respiratoire.
774
Matériel
Le matériel nécessaire à la trachéotomie comporte :
Quoi qu'il en soit, avant de commencer l'anesthésie, le chirurgien doit choisir la canule
trachéale adaptée (modèle, taille) et vérifier son parfait état de fonctionnement.
Position du malade
Quand l'état respiratoire le permet, le malade est placé en décubitus dorsal, tête droite,
cou en hyperextension à l'aide d'un drap roulé placé sous les épaules, l'occiput reposant sur la
table.
Le chirurgien se place à droite s'il est droitier. Son aide lui fait face.
Anesthésie
La décompensation respiratoire brutale au cours des préparatifs est une extrême
urgence et la trachéotomie est alors effectuée sans aucune anesthésie locale. C'est la
trachéotomie de sauvetage, dite « expéditive », que nous décrirons plus loin avec les
variantes.
La trachéotomie d'urgence sur un patient conscient, non intubable, doit se faire sous
anesthésie locale, précédée éventuellement d'une prémédication non dépressive sur le plan
respiratoire, en accord avec l'anesthésiste qui doit être présent dans la salle.
775
Avec de la Xylocaïne à 1 % adrénalinée, on effectue quatre boutons anesthésiques
selon la technique proposée par Y. Guerrier (Fig. 50.4) :
Par les boutons d'anesthésie, on réalise une traçante sous-cutanée du losange ainsi
délimité et une infiltration profonde sur la ligne médiane jusqu'au contact de la trachée, après
test d'aspiration pour éviter une injection intravasculaire de Xylocaïne adrénalinée (20 ml de
Xylocaïne à 1 % adrénalinée au maximum).
776
Technique opératoire
Elle comprend quatre temps :
- incision ;
- abord de la trachée ;
- trachéotomie (taille trachéale) et mise en place de la canule ;
- fermeture.
777
L'incision horizontale, arciforme, et de 6 cm de long environ, est pratiquée dans
un pli du cou. Elle est effectuée à 3 cm au-dessus de la fourchette sternale.
Plus difficile à réaliser en urgence, elle a l'avantage de laisser une cicatrice peu visible
et de s'inscrire dans une incision latéro-cervicale en cas de cancer pharyngo-laryngé à traiter
secondairement.
Quelle que soit l'incision, elle intéresse la peau, le tissu cellulaire sous-cutané et les
muscles peauciers. L'hémostase des veines jugulaires antérieures n'est pas obligatoire si elles
ne sont pas blessées. Les muscles sous-hyoïdiens sont exposés sur la hauteur du losange
anesthésique et un écarteur autostatique, mis en place verticalement, expose la ligne blanche
sur une hauteur de 6 à 8 cm (Fig. 50.6 A).
Ensuite, on décolle légèrement les deux fragments isthmiques du plan trachéal pour
exposer la face antérolatérale de la trachée.
778
- l'incision verticale simple médiane est à déconseiller car elle favorise les risques de
fracture des anneaux trachéaux lors des changements de canule.
779
On la fixe alors par deux cordonnets, puis on vérifie l'hémostase. Une suture lâche est
effectuée autour de l'incision pour éviter l'emphysème sous-cutané (Fig. 50.6 K).
Une mèche iodoformée est placée dans l'espace sous canulaire pour 24 heures. Le
pansement comporte un carré de gaze perforé et glissé sous la plaque de la canule.
Un tissu imperméable isole le thorax des sécrétions bronchiques et une bavette placée
devant l'orifice canulaire permet de filtrer l'air inspiré.
Variantes
Trachéotomie réglée
Le type en est la trachéotomie réalisée chez un patient nécessitant une assistance
respiratoire prolongée qui contre-indique la ventilation par intubation nasotrachéale. La
trachéotomie réglée doit en principe être effectuée avant la 48e heure d'assistance respiratoire.
On utilise le plus souvent l'incision horizontale, arciforme, sauf s'il s'agit d'un
traumatisme laryngo-trachéal ouvert. Les autres temps opératoires sont superposables à ceux
de la trachéotomie d'urgence.
Trachéotomie difficile
Certaines conditions anatomiques, comme chez le sujet obèse ou en cas de cou court,
d'affections rhumatismales limitant les mouvements du rachis, d'obstruction tumorale
laryngée partielle, rendent l'intubation trachéale parfois difficile.
Trachéotomie en catastrophe
Elle n'obéit pas à des règles précises et reste fort heureusement exceptionnelle. Le
délai de grâce est de quelques minutes.
Si l'on est muni d'un « kit » prêt à l'emploi, on peut réaliser une laryngotomie
intercrico-thyroïdienne, ou coniotomie, qui peut être salvatrice avant une trachéotomie réglée
(avant la 6e heure). Sinon, il faut réaliser une trachéotomie expéditive : c'est la « course à la
trachée ».
Le larynx est saisi entre le pouce et le majeur de la main gauche, l'index chargeant le
cricoïde ; l'ensemble est attiré vers le haut.
Le bistouri, strictement médian, adossé à l'index incise d'emblée les plans superficiels,
se heurte à la résistance des anneaux trachéaux et les franchit, réalisant une incision de 3 cm.
780
L'ouverture trachéale se manifeste par l'apparition de bulles d'air au milieu du flux
sanguin. Après introduction de l'écarteur d'Aboulker St Paul, on met en place la canule.Cette
technique préserve le 1er anneau qui remonte avec le cricoïde et est protégé par la pulpe de
l'index. La filière aérienne est assurée, mais il convient de reprendre la méthode de
trachéotomie réglée pour vérifier l'hémostase et s'assurer que la trachéotomie a été réalisée au
lieu d'élection.
Incidents et accidents
Exceptionnels dans les trachéotomies réglées, ils sont dominés par l'hémorragie et
l'arrêt cardiaque.
La chute de sang dans la trachée est prévenue par une bonne hémostase et une
ouverture trachéale sous aspiration continue.
781
Suites opératoires
Simples
L'opéré, ramené dans sa chambre modérément chauffée (18-20° C), dans la semi-
obscurité, est placé en position demi-assise, au calme avec à portée du lit la sonnette et une
ardoise pour écrire. Le mandrin de la canule et le dilatateur trachéal doivent être placés dans
la chambre, et il faut régulièrement surveiller les constantes vitales : pouls, TA, température,
fréquence respiratoire.
Compliquées
Complications précoces
Hémorragie : elle reste en principe mineure mais elle est gênante. Elle est
souvent due à une mauvaise hémostase ou à une érosion des vaisseaux péri-orificiels. Si
elle est minime et diffuse, un simple tamponnement peu suffire. Si elle est plus
importante, il faut recourir à une hémostase chirurgicale.
782
Pneumothorax : il est dû à une blessure per-opératoire du dôme pleural, à des
efforts inspiratoires asphyxiques ou à une assistance ventilatoire trop vigoureuse. Il
survient surtout chez l'enfant de moins de 6 ans, et reste exceptionnel chez l'adulte.
Complications tardives
Fistule œso-trachéale : favorisée par un ballonnet trachéal trop gonflé chez un patient
porteur d'une sonde nasogastrique, elle expose aux bronchopneumopathies de déglutition
récidivantes. Le diagnostic repose sur la trachéoscopie et le traitement, chirurgical, est
difficile.
Sténoses trachéales : leur prévention repose sur le respect des principes que nous
avons cités. Un contrôle fibroscopique est indispensable lors de la décanulation et à distance
de celle-ci, surtout si une dyspnée apparaît secondairement.
Conclusion
La trachéotomie est un geste de sauvetage qui nécessite une technique rigoureuse et
des soins post-opératoires spécialisés bien codifiés. Sinon, en effet, on court le risque de voir
apparaître des complications graves pouvant de nouveau compromettre le pronostic vital en
post-opératoire, à un stade précoce, retardé ou tardif.
783
Thoracotomies
en situation d'exception
Pour tout chirurgien l'indication d'une thoracotomie peut se poser dans deux types de
circonstances, la thoracotomie réglée ou en urgence (thoracotomie d'hémostase), mais les
situations sont très différentes dans des centres bien équipés et en situation d'exception
(mission dans un milieu isolé, dénuement technique, précarité des structures hospitalières et
des populations...) :
784
de surveillance, mais aussi de diminuer les risques de complications infectieuses et les
séquelles tardives.
Rappel anatomique
Chez un patient en décubitus latéral et le bras pendant, il faut savoir que la pointe de
l'omoplate est située un peu au-dessus du cinquième espace intercostal. Ce cinquième espace
intercostal correspond à la grande scissure et constitue donc l'abord standard du thorax car il
est situé à égale distance du sommet et du diaphragme.
785
Pour toute exérèse pulmonaire systématisée, il faut connaître l'anatomie vasculaire et
bronchique des poumons, en sachant qu'elle peut être sujette à de nombreuses variations ; en
urgence, cependant, lobectomies et pneumonectomies sont exceptionnellement indiquées.
- à droite, le tronc de l'artère pulmonaire est situé en avant de la bronche que l'on
reconnaît à la palpation, et il faut savoir aller le chercher au-dessous de la veine cave
supérieure et au dessous de l'abouchement de la veine azygos. La veine pulmonaire
supérieure est située au-dessous de l'artère pulmonaire. Enfin, la veine pulmonaire inférieure
est située à la partie basse du hile et est facilement identifiable après section des deux feuillets
du ligament triangulaire (lieu de réflexion de la plèvre pariétale sur la plèvre viscérale) ;
- à gauche, le tronc de l'artère pulmonaire est situé sous la crosse de l'aorte, en avant
de la bronche ; la veine pulmonaire supérieure est en dessous de lui et la veine pulmonaire
inférieure est également située au sommet du ligament triangulaire.
Technique
Nous ne décrirons ici que la technique de la thoracotomie postérolatérale, voie de
routine du thorax. La thoracotomie antérolatérale qui se fait sous le relief du grand pectoral
chez un patient en décubitus dorsal n'a d'indication que dans la thoracotomie d'extrême
urgence dont nous avons vu le caractère très aléatoire. Elle est décrite dans le chapitre 19.
Installation
Le patient est placé en décubitus latéral, jambe inférieure fléchie et jambe supérieure
tendue. Un billot est placé sous l'aisselle pour permettre d'ouvrir les côtes, et le bras est
pendant en avant. Le patient doit être calé par des appuis : un postérieur au niveau de la partie
moyenne du rachis, l'autre antérieur, plutôt sternal que pubien. Il est important de vérifier,
avant de placer les champs, que l'installation est solide et stable, et qu'il n'y a de point de
compression, à aucun endroit (au niveau du bras pendant, entre les deux jambes, au niveau
des appuis).
786
Anesthésie
Elle sera toujours générale. L'intubation sélective est toujours préférable quand elle est
possible car elle permet de travailler beaucoup plus aisément, que ce soit en chirurgie
d'urgence ou en chirurgie réglée. Il faut en situation précaire disposer d'une sonde de Carlens
et que l'anesthésiste soit familiarisé avec sa pose. Si l'intubation sélective est impossible,
l'intervention utilise un protocole opératoire identique et l'on peut simplement demander à
l'anesthésiste de suspendre temporairement la ventilation au cours de certains temps
opératoires afin de permettre un geste plus précis.
Technique
La thoracotomie
La voie d'abord dans cette chirurgie d'urgence doit être large.
- le premier plan est constitué par le muscle grand dorsal qu'il faut sectionner d'arrière
en avant sur la totalité de l'incision en assurant l'hémostase des pédicules qui le traversent ;
l'incision sera poussée en arrière et permettra parfois d'entamer légèrement le muscle trapèze
qu'il n'est en principe pas nécessaire de sectionner ;
- l'incision du deuxième plan se fera en longeant en arrière le bord inférieur du
rhomboïde, parallèlement à lui, et elle progressera vers l'avant, en s'incurvant et en longeant
vers le bas le bord postérieur du grand dentelé. Cette incision sera poussée le plus bas
possible de manière à désinsérer le grand dentelé qu'il n'est habituellement pas nécessaire de
sectionner.
- le bord supérieur de la sixième côte est repéré, soit au préalable par comptage et
marquage avant l'incision cutanée, soit au cours de l'intervention, après section du deuxième
plan musculo-aponévrotique, en glissant la main sous l'omoplate et en sachant que la
première côte que l'on palpe en haut est toujours la deuxième côte (la première côte s'inscrit
dans la circonférence de la deuxième) : en comptant de haut en bas, on déterminera ce bord
supérieur de la sixième côte ;
- l'incision de l'espace intercostal se fera au bistouri électrique en raclant le périoste
du bord supérieur de la côte ; on sectionne ainsi le plan des muscles intercostaux jusqu'à
787
arriver sur la plèvre dont l'ouverture sera prudente, aux ciseaux, surtout s'il n'y a pas
d'exclusion pulmonaire ;
- une fois la plèvre ouverte, on prolonge l'ouverture de l'espace intercostal en avant et
en arrière, en protégeant au besoin le poumon par un tampon monté.
Cette incision sera poussée le plus loin possible en avant au bistouri électrique ou à la
rugine, et en arrière, en évitant cependant d'aller trop loin vers l'angle costo-vertébral où
l'hémostase des artères intercostales peut parfois se révéler difficile ;
- on met alors en place un écarteur type Finochietto que l'on ouvre progressivement ;
pour améliorer l'exposition, on peut s'aider d'un deuxième écarteur type Tuffier ou Gosset,
perpendiculaire au premier et permettant de récliner les niasses musculaires vers l'avant et
l'arrière.
Le temps intrathoracique
Nous ne décrirons ici que la thoracotomie d'hémostase :
Le traitement des lésions parenchymateuses sera parfois beaucoup plus délicat mais
l'opérateur ne doit pas se laisser impressionner par l'aspect des lésions et résister à la tentation
d'une exérèse qui n'est pratiquement jamais indiquée en cas de thoracotomie d'hémostase : un
parenchyme pulmonaire contus, « hépatisé » a de spectaculaires possibilités de récupération.
L'hémostase et la pneumostase peuvent être faites simplement, soit par des surjets (fil de
calibre 2/0 résorbable ou non) sur les zones lésées, soit par régularisation économiques des
zones contuses ou dilacérées en sectionnant sur une pince et en réalisant ensuite un surjet sur
la tranche de section. Il faut tenter de diminuer les fuites aériennes mais il est inutile de
s'acharner à obtenir une pneumostase parfaite qui est quasi impossible. L'existence d'une
hémorragie massive semblant venir du hile pulmonaire ou de la scissure (surtout une
hémorragie de sang noir qui signe une lésion de l'artère pulmonaire ou d'une de ses branches)
peut imposer un clampage vasculaire au niveau de l'artère et des veines pulmonaires pour
essayer de suturer électivement la lésion hémorragique. Très exceptionnellement, on peut être
amené à effectuer une exérèse à visée hémostatique, mais le pronostic devient alors très
défavorable dans ce type de circonstance.
Fermeture de la thoracotomie
Une fois l'hémostase satisfaisante et la pneumostase un peu améliorée, il faut mettre
en place deux drains par une contre-incision au niveau de la base (drains placés en avant de la
ligne axillaire moyenne pour éviter que le patient ne se couche dessus) : le drain postérieur est
788
poussé vers le sommet ; le drain antérieur peut être également poussé vers le sommet ou vers
le cul-de-sac costo-diaphragmatique postérieur. Les drains doivent être solidement fixés et un
fil d'attente en U mis en place pour permettre la fermeture de l'orifice lors du retrait du drain
(Fig. 51.2).
Le rapprochement costal se fera par trois gros fils (n° 2 résorbable si l'on en dispose, ou
non résorbable). Les fils peuvent être passés au bord supérieur des côtes sus- et sous-jacentes à la
thoracotomie ou éventuellement passer à travers la côte inférieure de la thoracotomie dans un trou
réalisé à la pointe carrée et au bord supérieur de la côte sus-jacente (Fig. 51.3).
789
Une fois les trois fils passés, le billot est enlevé et les fils sont noués, l'aide pouvant
pendant ce temps de nouage, rapprocher les côtes soit en tendant deux fils, soit à l'aide d'une
pince.
La fermeture des plans musculaires aponévrotiques se fait par surjets car il faut
obtenir une fermeture étanche : un premier surjet est effectué entre d'une part le grand dentelé
et le rhomboïde en arrière, d'autre part le feuillet jaune du fascia rhomboïdoserratique en
avant ; on effectue ensuite un deuxième surjet reconstituant le grand dorsal et éventuellement
le trapèze, puis un troisième sur les tissus sous-cutanés. La peau est ensuite fermée comme de
coutume.
Les suites
Elles sont dominées par les problèmes du drainage. Les deux impératifs d'un drainage
sont :
Ces complications sont plus fréquentes pour les hémopneumothorax traités par simple
drainage, argument en faveur de la réalisation de thoracotomies dans ce type de situation.
En conclusion
Devant une plaie du thorax en situation d'exception ou de précarité, l'indication d'une
thoracotomie peut être :
- soit une hémorragie majeure qui imposerait une thoracotomie en extrême urgence
dite de ressuscitation, effectuée par voie antérolatérale chez un sujet en décubitus dorsal, et
dont le résultat ne peut être que très aléatoire dans ce type de situation ;
- soit un hémothorax de moyenne abondance pour lequel la thoracotomie par voie
postérolatérale chez un sujet en décubitus latéral, souvent sans difficultés techniques
majeures, nous paraît avoir l'intérêt de réaliser un bilan lésionnel précis, une meilleure
hémostase, un bon contrôle de la position des drains et certainement de limiter les
complications post-opératoires à type de pyothorax ou de poche pleurale résiduelle avec leurs
séquelles fonctionnelles.
790
Index
A
Abdomen, plaies,
Accouchement
forceps,
présentation céphalique,
par le siège,
Actinomycètes,
Afflux de blessés,
Amputation
pour fracas,
d'urgence,
Anémones de mer, blessure par,
Anesthésie en situation précaire,
pour césarienne,
générale,
loco-régionale,
matériel de base,
période pré-anesthésique,
période per-opératoire,
période post-opératoire,
rachianesthésie,
rétrobulbaire,
Animaux marins, blessures par,
Annelides venimeux, blessure par,
Antenne chirurgicale militaire,
arrivée sur le terrain,
dotation en matériel,
personnel,
ravitaillement sanitaire,
Aponévrotomie,
Appareil plâtré, voir Plâtres Appendicite, perforation,
Artères, lésion des,
abord large du tronc iliofémoral,
Arthrite infectieuse de l'enfant,
tuberculeuse,
Atelle
de Brown Bope,
de Thomas,
Avant-bras, fixateur externe,
791
B
Baliste, piqûre de,
Balistique lésionnelle,
Balles,
Bandes plâtrées, voir Plâtres
Barracuda, morsure de,
Bénitier géant,
Blast,
Blessés graves de guerre,
afflux,
Bloc opératoire,
Blocs intercostaux,
Bronchospasme,
Bruits du cœur fœtaux,
Brûlures,
C
Cambodge, conditions d'exercice de la chirurgie,
Cancer colique, occlusion intestinale,
Cauchoix et Duparc, classification de,
Césarienne,
Chirurgie
abdominale d'urgence en Afrique,
et action humanitaire,
de catastrophe en Afrique tropicale,
de guerre,
formation,
obstétricale,
en situation de catastrophe,
en situation d'exception,
tropicale, particularités,
de la violence,
Cicatrisation dirigée,
Classification
de Cauchoix et Duparc,
de Salter et Harris,
Côlon
cancer,
occlusion,
perforation,
plaies,
volvulus,
Colostomie gauche pour plaie de guerre,
Coma,
Cônes, blessure par,
Corail, blessure par,
Cordon spermatique, torsion,
792
Crâniectomie pour hématome extra-dural,
Crustacés, blessure par,
Cystostomie,
D
Diaphragme, traumatisme,
Drainage pleural,
Drépanocytose,
Duodéno-pancréas, plaies,
Dystocies,
E
Eau, approvisionnement,
besoins,
traitement,
Éclats, plaies par,
Eléphantiasis tropical,
Encombrement broncho-pulmonaire, traumatisme thoracique,
traitement,
Entorses,
du rachis,
Énucléation,
Épisiotomie,
Escarrotomies,
Estomac, plaies,
Éthique, chirurgie et précarité,
Étoile de mer, blessure par,
Étrier, traction cranio-cervicale,
Étude "l'obstétrique sans monitoring",
Évaluation des conditions chirurgicales,
Examen obstétrical,
F
Face, traumatismes balistiques,
FESSA,
Fiches transosseuses,
Fièvre et occlusions intestinales,
Fixateurs externes,
Fixité colique, moyens de,
Forceps, accouchement par,
Fracas
diaphysaire de jambe par projectile de guerre, 2
des membres,
Fractures
793
avant-bras,
bassin,
deBennett,
calcanéum,
clavicule,
col du fémur,
complications
des fractures fermées,
des fractures ouvertes,
costales,
crâne,
fémur,
fermées des membres,
de Galéazzi,
humérus,
fracas de jambe per projectile de guerre,
métacarpiens,
métatarsiens,
de Monteggia,
olécrâne,
ouvertes des membres,
phalanges,
rachis,
radius,
rotule,
scaphoïde,
tibia,
voir aussi Fixateurs, Fracas des membres, Plâtres, Traction des membres
G
Glaucus, blessure par,
Globe oculaire
anatomie,
plaies,
Greffes cutanées,
Grêle
occlusion,
perforation,
volvulus,
Grossesse extra-utérine, rupture,
Groupes sanguins,
Guérilla,
chirurgie,
Gypsotomie,
794
H
Hanche, plaies,
Hauteur utérine,
Hématome
extra-dural,
intracrânien,
sous-unguéal,
Hématose, traumatisme thoracique,
Hémorragie utérine incoercible,
Hémothorax,
Hernie inguinale étranglée,
Hippocampe, manœuvre de,
Holothuries, blessure par,
Humanitaire
d'état, 1-7,
privé, 1-7,
ressources humaines,
Hydraire urticante, blessure par,
Hystérectomie obstétricale,
Hystérotomie,
I
Iléus biliaire,
Immobilisation des membres pour fracture et luxation, durées moyennes,
Incision de décharge,
Infections ostéo-articulaires de l'enfant,
Intestin grêle
perforation,
plaies,
Intubation trachéale,
traumatisme thoracique,
Invagination intestinale aiguë,
J
Jambe, fracas diaphysaire par projectile de guerre,
K
Kit, 9-11
de chirurgie, MSF,
Kocher, méthode de,
795
L
Laboratoire,
Lambeaux,
au niveau du pied,
Laryngospasme,
Lavage péritonéal,
Lèpre,
Loche géante, morsure de,
Loges, syndrome des,
Luxations,
coude,
épaule,
hanche,
métacarpo-phalangiennes,
rachis,
M
Maduromycètes, Mal de Pott,
Maxillaires, fractures,
Maxillo-faciales, plaies,
Méduses, blessure par,
Membres, lésions des, Mentonnière, traction cranio-cervicale,
Métacarpiens, fixateur externe,
Militaires, missions humanitaires
Mines, lésions par,
Morsures
animaux marins,
de serpent,
Murène, blessure par,
Mycétomes,
N
Nason, piqûre de,
Nerfs, plaies des,
Neurochirurgie,
O
Obstétrique, urgences en,
Occlusions intestinales aiguës,
Octopus, blessure par,
Oeil, plaies,
Olécrâne, fixateur externe,
796
Organisations non gouvernementales, 1-7,
Orphie, piqûre de,
Ostéites,
Ostéomyélite de l'enfant,
Ostéosynthèse thoracique, volets costaux,
Oursins, blessure par,
Oxygénothérapie,
P
Parage chirurgical,
fracas diaphysaire de jambe,
plaies cranio-encéphaliques,
Parties molle, plaies,
Pelvi-périnéales, plaies,
Pelvi-péritonites,
Perforation
d'ulcère duodénal,
de viscères creux,
Péritonites,
Phalanges, fixateur externe,
Phlébites sous plâtre,
Physalie, blessure par,
Picots, blessure par,
Pied-
de mine
tropical,
Plaie(s)
artérielle,
articulaires,
cranio-cérébrale,
du globe oculaire,
de guerre,
des nerfs,
des parties molles,
par projectiles
formes anatomo-cliniques,
mécanismes,
des tendons,
traitement,
vasculaires,
Plâtres,
ablation,
armé,
attelles plâtrées,
circulaire,
complications,
durées moyennes d'immobilisation,
pendant,
797
positions de fonction des membres,
surveillance,
Pneumothorax,
Poissons
chats, blessure par,
chirurgiens, blessure par,
piqûres et morsures de,
Poliomyélite,
Polyblessés,
Ponction(s)
articulaires,
vésicale sus-pubienne,
Poumons, traumatismes,
Précarité,
Pseudarthroses infectées,
R
Raie, blessure par,
Rascasses, blessure par,
Rate
plaies,
traumatisme,
Réanimation,
équilibre nutritionnel,
hémodynamique,
perturbations hydro-électrolytiques,
post-opératoire,
Recouvrement conjonctival,
Rectum, plaies,
Recueil des données,
fiche,
Requin, morsure de,
Rétention de l'épaule,
Rupture
de grossesse extra-utérine,
utérine,
Rwanda,
S
Salpingectomie pour rupture de grossesse extra-utérine,
Salter et Harris, classification de,
Segment inférieur de l'utérus,
Serpent, morsures de,
Soldat, piqûre de,
Splénectomie pour rate traumatique,
Spongiaires venimeux, blessure par,
798
Stabilisation osseuse, FESSA,
Stérilisation,
Suture-épiplooplastie pour ulcère duodénal,
Syndactylisation,
Syndrome
des loges,
de Volkmann,
T
Tazard, morsure de,
Tendons, traumatismes des,
traitement des lésions tendineuses du pied,
Terrorisme, chirurgie,
Thoracotomie,
d'hémostase et d'aérostase,
traumatismes thoraciques,
Thorax,
balistique lésionnelle,
plaies,
de guerre,
traumatismes fermés,
Torsion du cordon spermatique,
Tortue, blessure par,
Trachéotomie,
Traction(s) des membres,
attelles,
collée
membre inférieur,
membre supérieur, 6
cranio-cervicale,
digitale,
suspension, volets thoraciques,
transosseuse
membre inférieur,
membre supérieur, 7
au zénith,
Transfusion sanguine,
thérapeutique transfusionnelle,
Traumatismes
du rachis,
rate,
thoraciques,
voir aussi Fractures, Luxations, Plaies et au nom de chaque organe
Traumatologie en milieu tropical,
Trépanation,
Triage chirurgical,
Tronc artériel ilio-fémoral, abord large du,
Tuberculose osseuse,
799
Typhoïde, perforation digestive,
U
Ulcère
duodénal, perforation,
perforé,
phagédénique tropical,
V
Vagotomie,
Vascularisation colique,
Ventilation
contrôlée, traitement des volets costaux,
manuelle (masque ou ballon)
avec respirateur,
Vésicule biliaire, perforation,
VIH
infection par,
prévalence en Afrique tropicale,
prévention,
Voies veineuses,
Volet costal,
traitement,
Volkmam, syndrome de,
Volvulus
colique,
du grêle,
800
Ouvrage à l’intention de tous ceux qui s’intéressent,
cherchent, étudient, la médecine et ses applications
thérapeutiques afin de venir en aide à leur prochain.
801