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DROIT ADMINISTRATIF DES BIENS

Schématiquement présentée, la discipline traite de trois questions juridiques cruciales se


rattachant aux principaux biens utilisés par les personnes publiques dans l'exercice de leurs
missions : celle du statut de ces biens (la domanialité publique), celles des travaux dont ils
peuvent faire l'objet (les travaux publics), celle de leur acquisition éventuelle par une
procédure exorbitante (l'expropriation).
Le cours sera donc divisé en trois parties correspondant à cette distinction
traditionnelle.

PREMIERE PARTIE : LE DOMAINE PUBLIC

Dans le cadre de la distinction classique entre droit public et droit privé, on pourrait être
tenté d'assimiler le domaine public au patrimoine des personnes publiques en l'opposant à un
domaine privé constitué par les propriétés des particuliers.
I1 n'en va pas ainsi : dans la terminologie juridique habituelle, les biens des particuliers
sont généralement désignés comme propriétés privées, alors que la notion de domanialité est
réservée aux biens des personnes publiques, que l'on divise en domaine public et domaine
privé.
Soumis en principe à un régime juridique analogue à celui des propriétés privées, le
domaine privé n'est pas dépourvu de particularités qui pourraient justifier des développements
assez longs à son sujet. Pourtant, il n'est en général évoqué que subsidiairement, par
opposition au domaine public qui, compte tenu du caractère exorbitant de son statut, constitue
l'objet principal de notre discipline.

L'étude du domaine public implique une double démarche:


- en premier lieu, il convient de déterminer, parmi les biens des personnes
publiques, ceux qui relèvent de la domanialité publique (titre I)
- en second lieu, il convient d'analyser le régime juridique applicable à ces biens
(titre II).

Titre I: la notion de domaine public.


Avant d'aborder ses critères (chapitre I) et son étendue (chapitre II), on exposera ses
origines dans un bref préliminaire.

Les origines de la domanialité publique :


La distinction entre les biens des personnes publiques, si elle fait aujourd'hui l'objet
d'une construction théorique élaborée, est née de longue date, en vue de faire face à des
difficultés concrètes, notamment afin de protéger certains d'entre eux contre l'aliénation et la
prescription acquisitive.
Sous l'Ancien Régime, déjà, le domaine de la Couronne, bien que propriété du Roi, ne
pouvait en principe être aliéné, le monarque n'en étant qu'une sorte d'administrateur (édit de
Moulins, 1566). Cependant, certains théoriciens (Loyseau, Domat) avaient esquissé une
distinction, en estimant que seuls les biens affectés à l'usage du public devaient bénéficier
d'une protection étendue.

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Sous la Révolution, le domaine de la Couronne devient le domaine national, régi par la
loi des 22 nov. et 1er déc. 1790 qui, tirant les conséquences de la conception idéalisée d'une
nation infaillible et souveraine, indique dans son préambule que "la maxime de
l'inaliénabilité, devenue sans motif, serait préjudiciable à l'intérêt public ”, et autorise le
législateur à céder, dans l'intérêt général, les éléments d'un patrimoine appelé tantôt domaine
national, tantôt domaine public.
Cette terminologie variable, initialement justifiée par le seul souci d'éviter dans le texte
des répétitions fastidieuses, a été l'amorce d'une distinction juridique. En effet,
progressivement, au sein du domaine national, la doctrine a séparé les biens en fonction de
leur intérêt pour la collectivité et de la protection qui devait ainsi en résulter. Ebauchée par
certains des premiers commentateurs du Code Civil (Pardessus, Duranton), la théorie a
notamment été exposée par Victor Proudhon, qui, dans son Traité de droit public, de 1833,
distingue le domaine public, inaliénable et imprescriptible, et le domaine de l'Etat, soumis au
droit privé.
La loi du 16 juin 1851 sur la propriété en Algérie a confirmé cette construction, si bien
qu'en 1877, Ducroc (cours de droit administratif) peut écrire : " le domaine national se divise
en deux parties distinctes: le domaine public et le domaine de l'Etat, ou domaine privé de
l'Etat ".
Avec l'accession progressive des collectivités locales à l'autonomie, la distinction ne
pouvait s'appliquer exclusivement aux biens de l'Etat, si bien que les appellations initiales, au
demeurant assez ambiguës, ont évolué, pour finalement partager les biens appartenant aux
personnes publiques entre domaine public et domaine privé. Cependant, une fois le principe
de cette séparation admis, il restait à déterminer ses critères.

Chapitre I : Les critères de la distinction entre domaine public et domaine privé.

L'article 538 du Code Civil, reprenant presque intégralement les termes de la loi de
1790, disposait, en 1804 que "sont considérés comme des dépendances du domaine national
les chemins, routes et rues à la charge de l'Etat, les fleuves et rivières navigables et flottables,
les rivages, lais et relais de la mer, les ports, les havres, les rades, et, généralement, toutes les
portions du territoire français qui ne sont pas susceptibles de propriété privée ". L'article 539
ajoutait à cette liste tous les biens vacants et sans maître.
En 1807, l'idée de nation s'étant dépréciée, le terme "national" avait été remplacé par
"public". Il était donc envisageable de définir la notion de domaine public à partir de
l'énumération du Code Civil. Toutefois, cette définition législative présentait l'inconvénient de
lier la portée de la distinction entre domaine public et domaine privé au contenu d'un texte
rédigé longtemps avant son apparition. Manifestement, les rédacteurs du code avaient pour
seul souci d'opposer les biens publics à ceux des particuliers (d'où leur référence aux biens
insusceptibles de propriété privée), et n'entendaient pas consacrer des différences de statut au
sein du patrimoine public.
Faute de loi applicable, c'est finalement la doctrine qui, avec la jurisprudence, sera à
l'origine des critères de la distinction au sens où on l'entend actuellement.

Section I : La genèse des critères.

L'évolution des critères du domaine public témoigne d'une tendance à l'extension


progressive de la protection accordée par la domanialité publique à des biens de plus en plus
nombreux.
Dès les origines de la notion, deux conceptions complémentaires se sont affrontées.
Elles prenaient toutes deux en considération l'affectation (l'utilité) des biens pour justifier leur

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inclusion dans le domaine public, mais divergeaient dans l'appréciation de son étendue. La
plus restrictive a d'abord prévalu, jusqu'à ce que la plus extensive s'impose elle aussi.

1) La conception restrictive initiale:


Défendue par Proudhon, puis par quelques pères fondateurs du droit administratif
français (Th. Ducroc, Berthélémy not.), elle intègre dans le domaine public les biens des
personnes publiques insusceptibles de propriété privée, les autres constituant le domaine
privé.
Cette conception se réclamait parfois de manière peu convaincante des formules de l'art.
538 du Code Civil, ou de la nature purement physique des biens concernés, qui les rendrait
matériellement insusceptibles de propriété privée. Le plus souvent, cependant, ses tenants se
référaient à l'utilisation du bien, son affectation à l'usage de tous.
Ainsi, dans leur Traité de la fortune publique (1850), Macarel et Boulatignier écrivaient
: " L'une des branches du domaine national à laquelle on donne le nom de domaine public
comprend toute cette portion des biens qui restent en jouissance commune et dont les
étrangers peuvent profiter eux-mêmes comme les nationaux ".
L'usage est ici entendu comme l'utilisation effective par la collectivité des citoyens, et
non comme une simple utilité. C'est pourquoi cette conception intègre essentiellement dans le
domaine public les lieux de circulation: voies navigables, rivages, voies publiques. En
revanche, les bâtiments publics, même affectés à l'intérêt général (mairies, écoles, etc.), et
utilisés par le public, sont considérés comme ne différant pas suffisamment des biens des
personnes privées. Pour Berthélémy, par exemple (Traité élémentaire de droit administratif,
1902) "une école publique ne se distingue pas, à la vue, d'une école privée, un presbytère ne
se distingue pas d'une maison d'habitation quelconque; une forêt domaniale ne se distingue
pas d'un bois particulier". Ces biens, malgré leur utilité, n'étaient pas "hors commerce",
estimait-on.
La jurisprudence a longtemps consacré cette conception restrictive. Ainsi, à propos de
la qualification d'un hôtel de préfecture, la C. A. de Paris affirmait: " loin de soustraire au
droit commun les propriétés de ce genre, la loi les soumet expressément aux mêmes
prescriptions que les propriétés particulières ce qui implique qu'elles sont dans le commerce
; l'affectation à un service public de constructions susceptibles, par leur nature, d'une
destination différente, n'en change pas le caractère " (18 fév. 1854, Préfet d'Eure et Loir, D.
1854 p.178).

2) La conception extensive:
Elle intègre dans le domaine public non seulement les biens affectés à l'usage direct
du public, mais aussi ceux affectés à une activité d'intérêt général. C'est pourquoi elle a
été développée par l'école dite du service public. Pour Hauriou, par exemple, "toute la
domanialité publique repose sur l'idée de l'affectation des choses à l'utilité publique". Duguit,
lui aussi, considère que "le fondement de la domanialité publique est l'idée d'une affectation à
un service public".
I1 reste que l'adoption d'un critère aussi extensif risque d'entraîner l'intégration dans le
domaine public de la quasi totalité des biens des personnes publiques, et, donc, un
alourdissement excessif de leur gestion, compte tenu de la protection dont ils devraient
bénéficier. Aussi les tenants de cette conception ajoutent-ils généralement à l'affectation un
critère complémentaire : pour Hauriou, par exemple, ce doit être une décision administrative
expresse de classement dans le domaine public ; pour Jèze ou pour Waline, ce doit être un
rôle essentiel, indispensable dans le service, concrétisé par un aménagement spécial.
Ce sont ces deux conceptions que tentera de synthétiser, en 1947, la commission créée
pour réformer le Code Civil, dans un projet qui prévoit d'intégrer dans le domaine public les

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biens des personnes publiques, soit lorsqu'ils sont mis à la disposition directe du public
usager, soit lorsqu'ils sont affectés à un service public à caractère administratif, à condition
qu'ils soient, "par nature ou par des aménagements particuliers, adaptés exclusivement ou
essentiellement au but particulier de ces services ".
Demeuré sans suite, ce projet n'en inspirera pas moins fortement les solutions du droit
positif.

Section II : Les actuels critères de la domanialité publique.

Aujourd'hui encore, il n'existe toujours pas de critère légal exploitable de la


domanialité publique. En effet, le Code Civil qui s'y réfère dans ses articles 538 et 539 est,
on l'a vu, inutilisable, puisque sa rédaction est antérieure à la définition du concept. Quant au
Code du domaine de l'Etat, adopté en 1957, il dispose bien, dans son article 2 al. 1er, que
"ceux des biens (…) qui ne sont pas susceptibles d'une propriété privée en raison de leur
nature ou de la destination qui leur est donnée sont considérés comme des dépendances du
domaine public national", mais il ne fait que renvoyer à des éléments flous, la nature et la
destination des biens, qu'il ne définit pas.
Sans doute quelques textes particuliers classent-ils expressément certains éléments du
patrimoine des personnes publiques dans l'une ou l'autre des deux catégories. C'est en général
la loi, compétente aux termes de l'art. 34 de la Constitution pour déterminer les principes
fondamentaux du régime de la propriété et des droits réels, qui procède à cette répartition.
Ainsi, la loi du 28 nov. 1963 relative au domaine public maritime incorpore dans
celui-ci le sol et le sous-sol de la mer territoriale et les lais et relais futurs. De même la loi du
17 avril 1955 a-t-elle disposé (art.2) que "les autoroutes font partie du domaine public de
l'Etat", solution confirmée par le Code de la voirie routière (art. L 121.1), alors qu'à l'inverse,
le même Code range les chemins ruraux dans le domaine privé des communes (art. L 161.1).
Pour le reste, c'est à dire un nombre important de biens publics, c'est le juge qui, au cas
par cas, opère la qualification. Il ressort de l'évolution des solutions qu'il a adoptées que les
critères jurisprudentiels de la domanialité publique cumulent trois conditions, inspirées,
semble-t-il, des propositions faites en 1947 par la Commission de réforme du Code Civil:
l'appartenance à une collectivité publique, l'affectation à une fonction d'utilité générale,
et un aménagement spécial.

1) L'appartenance à une collectivité publique:


C'est une condition obligatoire, même si certains arrêts peuvent donner à penser, à
première vue, qu'une personne privée peut posséder un bien du domaine public: par exemple,
l'Hôtel Terminus de la gare de Lyon Perrache, appartenant à la SNCF, à l'époque société de
droit privé, n'a été classé dans le domaine public par le Conseil d'Etat que parce qu'il devait
revenir à l' Etat en fin de concession ( CE 5 fév. 1965 Sté lyonnaise de transports, RDP 1965
p.493 concl. Galmot).
Ainsi, une église appartenant à une association ne peut faire partie du domaine public (CE (S) 19 oct.
1990 Assoc. Saint Pie V et Saint Pie X de l'Orléanais, Rec. p.285). Il en va de même pour le mur de soutènement
d'une voie publique bâti sur une propriété privée (CE (Ass.) 12 mai 2004, Commune de La Ferté-Milon, à
paraître au Recueil).
De ce fait, lorsque des biens appartenant au domaine public d'une personne publique sont transférés à une
personne privée, ils sont déclassés : c'est ce qu'a prévu par exemple la loi du 9 août 2004 "relative au service
public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières" (art. 10) à propos des ouvrages du
réseau public de distribution d'électricité, remis à une société nationale gestionnaire.
L'application de cette première condition suscite certaines questions, dont deux méritent
d'être succinctement évoquées.

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A - La question de la nature du droit de la personne publique sur son bien.
Aux origines de la distinction entre domaine public et domaine privé, la doctrine
estimait que le droit exercé par les collectivités publiques sur leur domaine privé était le droit
de propriété classique, mais que la domanialité publique était incompatible avec l'idée de
propriété définie par le droit romain ("jus utendi, jus fruendi, jus abutendi") et par l'article 544
du Code Civil.
Proudhon considérait, en 1833, que l'Etat, sur son domaine public, n'avait "que la garde,
la surintendance, avec mission de le conserver aux générations à venir". Berthélémy, en
1902, affirmait: "sur les dépendances du domaine public, personne n'a le jus abutendi; le jus
fruendi ne se conçoit qu'à titre exceptionnel et insignifiant, le jus utendi, enfin, appartient à
tout le monde, et même aux étrangers".
Cependant, dès le début du siècle, certains auteurs, tel Hauriou, s'appuyant sur la
formulation parfois adoptée par le Conseil d'Etat (v. p.ex. CE 17 janv. 1923 Piccioli, S.
1925.III. p.17 note Hauriou) défendaient la thèse du droit de propriété. La controverse est
aujourd'hui terminée: tant les textes que la jurisprudence et la doctrine s'accordent à consacrer
le droit des personnes publiques sur leur domaine public comme un droit de propriété.

B - La question des biens des établissements publics.


On a longtemps considéré que seules les collectivités publiques à base territoriale (Etat,
régions, départements, communes) pouvaient avoir un domaine public. Les établissements
publics, eux, bien que personnes publiques, se voyaient refuser cette possibilité, à moins
qu'une loi ne la leur ouvre expressément (ainsi, la loi du 31 déc. 1966 instituant les
communautés urbaines prévoyait des transferts de propriété du domaine public des communes
regroupées, au profit de celui de ces établissements publics de coopération). Les
établissements publics ne pouvaient donc gérer des biens intégrés au domaine public que dans
la mesure où ils leur avaient été confiés par une collectivité territoriale, notamment dans le
cadre d'un contrat de concession. En revanche, leurs biens propres relevaient toujours du
domaine privé. Ainsi, statuant sur la détérioration d'un câble souterrain appartenant à EDF, le
Tribunal des Conflits attribuait l'action en réparation au juge judiciaire (T.C. 2 déc. 1968 EDF
c/dame Faucher, JCP 1969 II 15.908, note Dufau). De même, la loi du 30 déc. 1982,
d'orientation des transports intérieurs, transformant la SNCF de société d'économie mixte en
établissement public industriel et commercial, distinguait les biens qui lui étaient remis en
pleine propriété, et ceux remis en dotation par l'Etat, ces derniers seuls faisant partie du
domaine public.
Les raisons de cette discrimination entre les personnes publiques étaient assez obscures.
On invoquait en général les impératifs de la protection du domaine public, qui impliqueraient
que les autorités représentant les collectivités publiques propriétaires disposent, sur les
dépendances domaniales, d'un pouvoir de police permettant d'assurer leur conservation. Ce
pouvoir, reconnu aux autorités territoriales (p.ex. art. l 3221-4 CGCT: "le président du
Conseil Général gère le domaine du département. A ce titre, il exerce les pouvoirs de police
afférents à cette gestion"), n'appartiendrait pas aux organes directeurs des établissements
publics. Il serait donc inopportun de leur attribuer un domaine public qu'ils ne pourraient pas
protéger.
En réalité cette justification était doublement contestable. D'une part, elle partait de
constatations erronées: en effet, certains directeurs d'établissements publics bénéficient de
pouvoirs de police pour protéger leur patrimoine (cas, p.ex. d'Aéroport de Paris). D'autre part,
elle était fondée sur un raisonnement d'une logique douteuse: on prétendait refuser la
domanialité publique et la protection qui s'y rattache aux biens des établissements publics en
se fondant sur l'impossibilité de les protéger, en négligeant de s'interroger plutôt sur l'intérêt
de les protéger.

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Il semble que les véritables raisons de la restriction aient été avant tout d'ordre pratique:
la rigidité du statut de la domanialité publique semblait peu compatible avec la souplesse de
gestion souhaitée pour certains établissements publics (notamment industriels et
commerciaux). En outre, on craignait que l'intégration des biens des établissements publics
dans le domaine public n'entraîne, compte tenu de leur nombre, une explosion du contentieux
devant les juridictions administratives, déjà surchargées.
Finalement, sous la pression des faits, on en viendra à admettre que les établissements
publics peuvent posséder un domaine public, mais en conservant beaucoup de réticence à
l'égard de cette solution. Ainsi, après avoir solennellement refusé, contrairement à ce que
proposait son commissaire du gouvernement, de reconnaître la domanialité d'une maison de
retraite appartenant à un syndicat de communes (CE (Ass.) 3 mars 1978 Lecoq, AJDA 1978
p.581, concl. Labetoulle), le Conseil d'Etat, très discrètement, l'a admise pour le logement du
concierge d'un collège appartenant à un autre syndicat de communes (CE 6 fév. 1981 Epp,
non publié au Recueil), et, même, pour la dalle centrale de la Défense, appartenant à
l'établissement public d'aménagement, pourtant qualifié d'industriel et commercial (CE 21
mars 1984 Mansuy, CJEG 1984 p.247).
Les biens des établissements publics ne sont donc pas systématiquement exclus de
la domanialité publique, sans pour autant y être intégrés de plein droit. Parfois, c'est la
loi qui leur donne un domaine public. Ainsi, le Code de l'environnement (art. L 322-9)
prévoit-il que le domaine relevant du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres
établissement public de l'Etat chargé de mettre en œuvre une politique foncière de sauvegarde
de l'espace littoral et de respect des sites naturels et de l'équilibre écologique :"est du domaine
public à l'exception des terrains acquis non classés dans le domaine propre". A défaut, c'est
le juge qui, cas par cas, et très restrictivement, leur en accorde de temps à autre le
bénéfice (v. p. ex. pour le refus d'admettre la domanialité publique des biens d'EDF: CE
(Ass.) 23 oct. 1998 EDF, RFDA 1998 p.1017, concl. Arrighi de Casanova).

2) Le critère alternatif de l'affectation à l'utilité publique.


Il peut prendre deux formes: ou bien l'affectation à l'usage du public, ou bien
l'affectation à un service public. La distinction, bien que consacrée par le droit positif, s'avère
en réalité assez malaisée à mettre en pratique.

A - L'affectation à l'usage du public.


Initialement, c'était le seul critère retenu. Il permet d'intégrer au domaine public les
biens utilisés par les particuliers, collectivement ou même privativement, à raison de l'intérêt
qu'ils présentent par eux-mêmes, par exemple les rivages de la mer, y compris les havres et
les rades et les étangs salés (CE 4 déc. 1931 Pellé-Bouguenot, Rec. p.1071), les voies
publiques, ou les cimetières (CE 28 juin 1935 Marécar, D. 1936 III p.20 concl. Latournerie).

B - L'affectation à un service public.


Elle a été admise comme critère par le Conseil d'Etat en 1956 (19 oct. 1956 Sté le
Béton, GAJA), bien que l'arrêt ne mentionne pas expressément les termes "service public" et
s'en tienne à ceux d' "objet d'utilité générale". Ainsi ont pu être intégrés dans le domaine
public les biens non utilisé pour eux-mêmes, mais ne faisant l'objet que d'un usage indirect,
par l'intermédiaire des services publics qu'ils permettent de dispenser: les hôtels de ville,
palais de justice, dépôts d'autobus, etc.
La consistance du domaine a donc pu évoluer en fonction de l'appréciation du juge sur
l'utilité collective de certaines activités. Par exemple, si le Conseil d' Etat a jugé que le stade
municipal de Toulouse, "édifié en vue de permettre le développement d'activités sportives et
d'éducation physique présentant un caractère d'utilité générale" était bien "affecté à un

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service public" (CE 13 juill. 1961 Ville de Toulouse, AJDA 1961 p.467), cette solution n'a
pas été retenue pour les équipements servant au sport-spectacle: Parc des Princes à Paris (CE
26 fév. 1965 Sté du vélodrome du Parc des Princes, RDP 1965 p.506 concl. Bertrand) ou
hippodrome d'Auteuil (T.C. 10 juill. 1956 Sté des steeple-chase de France, S. 1956 p.156
concl. Chardeau), le juge semblant répugner à reconnaître ce type d'activité comme service
public.
Compte tenu du flou des notions utilisées, il arrive que des dépendances analogues
soient intégrées dans le domaine public par référence à l'une ou l'autre branche du critère
alternatif. Ainsi, les promenades publiques sont considérées tantôt comme "affectées à l'usage
du public" (CE (Ass.) 22 avril 1960 Berthier, Rec. p.264), tantôt comme "affectées à un
service public de caractère culturel et touristique" lorsqu'elles comportent des monuments
historiques (CE 11 mai 1959 Dauphin, Rec. p.294: à propos de l'allée des Alyscamps à Arles).

3) L'exigence complémentaire d'un aménagement spécial.


Il semble qu'initialement, lorsque le juge appliquait le seul critère de l'affectation à
l'usage du public, il ne posait aucune autre condition supplémentaire à l'incorporation dans le
domaine public. En revanche, lorsqu'il a également admis comme alternative l'affectation à un
service public, il a ressenti le besoin de l'assortir d'un critère réducteur, afin de ne pas intégrer
au domaine public tous les biens utilisés par les services publics.
D'aucuns ont proposé d'exiger, en outre, que le bien présente un caractère essentiel,
irremplaçable pour le service. D'autres préconisaient la recherche d'aménagements spéciaux
rendant le bien propre à sa fonction. C'est finalement cette solution que retiendra le Conseil
d'Etat, dans un arrêt qui, malgré sa rédaction plutôt embarrassée et alambiquée, est
généralement présenté comme fondateur du critère de l'affectation au service public assortie
d'un aménagement spécial (CE 19 oct. 1956 Sté le Béton précité).
Ainsi, faisant application de cette condition supplémentaire, le Conseil d'Etat jugera,
deux mois plus tard, qu'une cité SNCF, à supposer qu'elle soit nécessaire au fonctionnement
du chemin de fer, ne peut faire partie du domaine public, faute d'aménagement spécial (CE
(S) 21 déc. 1956 SNCF c/ époux Giraud, Rec. p.492).
En revanche, un hôtel de ville est "spécialement aménagé en vue du groupement des
services publics municipaux auxquels il est affecté" (CE 17 mars 1967 Ranchon, Rec. p.131).
Ce critère jurisprudentiel est parfois expressément consacré par la loi pour des
dépendances particulières: ainsi, la loi du 30 déc. 1982 d'orientation des transports intérieurs
dispose (art. 20) que "les biens immobiliers affectés au service public du transport ferroviaire
et aménagés spécialement à cet effet ont le caractère de domaine public".
L'exigence complémentaire de l'aménagement spécial aurait pu demeurer cantonnée aux
biens utilisés par les services publics. Toutefois, le Conseil d'Etat, sans doute dans un
souci d'unification et de simplification, l'a progressivement étendue également à ceux
affectés à l'usage du public, du moins lorsqu'ils ont été artificiellement créés, par
exemple aux promenades publiques (CE 22 avril 1960 Berthier, Rec. p.264: place publique
"affectée en ladite qualité à l'usage du public et aménagée à cette fin"; CE 14 juin 1972 Eidel,
Rec. p.442: bois de Vincennes), ou aux plages publiques situées au delà des limites normales
du rivage (CE (S) 30 mai 1975 Dame Gozzoli, Rec. p.325).
Dès lors, il n'est pas étonnant que la référence à cette condition s'apparente souvent à
une pure clause de style. L'aménagement spécial peut ainsi résulter simplement de la situation
géographique du bien: le dépôt d'autobus de la RATP à Saint Ouen, par son emplacement et
ses dimensions, est "spécialement adapté à l'exploitation" (CE 6 mars 1963 Ville de St Ouen,
Rec. p.241), l'hôtel Terminus de la gare de Lyon-Perrache, situé à proximité immédiate de
celle-ci, est, de ce fait, spécialement aménagé pour la commodité des voyageurs (CE (S) 5
fév. 1965 Sté lyonnaise de transports, RDP 1965 p.493 concl. Galmot). Même les eaux

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captées par une ville en vue de l'alimentation de ses habitants peuvent "à raison de leur
affectation et de leurs aménagements" être classées dans le domaine public (CE (S) 16 nov.
1962 Ville de Grenoble, Rec. p.611).
Une telle démarche pourrait aboutir à une extension illimitée de la domanialité
publique. C'est pourquoi le juge ne l'utilise qu'à l'égard des biens auxquels le statut protecteur
qu'elle implique semble adapté. Ainsi, si, comme on l'a vu, le bois de Vincennes fait partie du
domaine public, le Conseil d'Etat a refusé cette qualification aux massifs forestiers exploités
par l'Office National des Forêts, même ouverts au public et aménagés pour la promenade (CE
(S) 28 nov. 1975 ONF c/ Abamonte, Rec. p.602; sur la question, toujours d'actualité, de la
recherche d'un critère réducteur de la domanialité publique, v. l'étude sous ce titre de F.
Melleray à l'AJDA 2004 p. 490).

4) La question du caractère mobilier ou immobilier du bien.


La conception initiale du domaine public n'admettait que le classement de portions de
territoire dans cette catégorie. On l'a par la suite étendue aux immeubles bâtis, en refusant en
revanche d'admettre que des meubles, même précieux ou essentiels, puissent en faire partie.
Ainsi, pour Berthélémy (1902) "il ne saurait être question d'un domaine public mobilier: les
tableaux des musées, les livres et les manuscrits des bibliothèques ne sont pas des
dépendances du domaine public". Les juridictions administratives elles aussi semblent
aujourd'hui encore éprouver certaines réticences à admettre expressément les biens mobiliers
dans le domaine public (v. p.ex. TA Paris 3 mars 1981 SNCF, Rec. p.519: bien qu'affecté à un
service public, le matériel roulant des chemins de fer est un bien mobilier, et, de ce fait, ne
peut être une dépendance du domaine public; CE 28 mai 2004, Aéroports de Paris, AJDA
2004 p.1214: les matériels informatiques et logiciels, biens mobiliers, ne sont pas des
dépendances du domaine public).
Il est vrai que la plupart des meubles utilisés couramment par les personnes publiques
présentent un caractère remplaçable justifiant qu'ils ne bénéficient d'aucune protection
renforcée. Mais certains d'entre eux jouent un rôle déterminant dans les services publics dont
ils constituent parfois la seule raison d'être. Aussi, de longue date, font-ils l'objet de
réglementations spécifiques qui, même si elles ne les intègrent pas expressément dans le
domaine public, les préservent de manière équivalente des destructions et aliénations. Déjà,
la loi du 30 mars 1887 réglait "la conservation des monuments et objets d'art ayant un intérêt
historique et artistique". Aujourd'hui, le Code du patrimoine, adopté par ordonnance en 2004,
soumet certains meubles publics tels les archives (art. L 211-1 et s.) ou les "biens culturels
maritimes" ( art. L 532-1: épaves et autres vestiges) à un régime protecteur.
Après que la Cour de Cassation ait à plusieurs reprises classé dans le domaine public
des objets mobiliers appartenant à des musées (v. not. Civ. 1ère 2 avril 1963 Montagne,
AJDA 1963 p.486 note Dufour, à propos d'un dessin acquis par la Réunion des Musées
Nationaux, incorporé par le juge au domaine public; v. ég. Crim. 4 fév. 2004, D. 2004 p. 735
à propos de tableaux volés au musée de la ville de Roubaix), le Code du patrimoine de 2004 a
confirmé cette solution en disposant que "les biens constituant les collections des musées de
France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce
titre, inaliénables" (art. L 451-5). Le Tribunal administratif de Paris a adopté la même
solution à propos d'un fragment de la colonne Vendôme détruite lors de la Commune de Paris,
qualifié de "bien meuble du domaine public de l'Etat" (TA Paris 9 avril 2004, Mme Mercier,
AJDA 2004 p. 1709 note Le Bot)

Chapitre II: L'étendue du domaine public.

8
Qu'il résulte du classement par un texte exprès (domanialité publique par détermination
de la loi), ou de l'application des critères jurisprudentiels, le domaine public est en général
subdivisé en deux grandes catégories: domaine public naturel et domaine public artificiel.
La première catégorie est constituée de dépendances exclusivement immobilières, dont
l'existence et l'état résultent de phénomènes naturels. La seconde de dépendances
essentiellement immobilières dont l'existence et l'état sont la conséquence de l'intervention
humaine.
On a parfois voulu attacher à cette distinction des conséquences juridiques, notamment
quant aux conditions d'incorporation des biens au domaine public. Les dépendances naturelles
seraient incorporées automatiquement, du fait de phénomènes purement physiques, alors que
les dépendances artificielles seraient incorporées à la suite d'un acte juridique concret
(affectation, classement).
En réalité, cette analyse n'est guère convaincante: les biens rangés dans le domaine
public naturel sont sans doute le produit de phénomènes purement naturels, mais leur
classement dans la catégorie résulte de règles de droit, au même titre que ceux du domaine
public artificiel, soit par détermination de la loi, soit par application de critères
jurisprudentiels. A l'inverse, le classement exprès d'une dépendance artificielle peut être
dépourvu d'effet sur sa qualification, puisque le juge n'hésite pas à le remettre en cause s'il
l'estime inadapté. Ainsi, alors qu'une délibération d'un conseil municipal avait classé une halle
dans le domaine privé de la commune, le Conseil d'Etat, la déclarant affectée au service
public pour lequel elle a été spécialement aménagée, l'a rangée dans le domaine public (CE
(S) 22 avril 1977 Michaud, AJDA 1977 p.441 concl. Franc, note de Laubadère).
La distinction entre les deux catégories du domaine public est donc dépourvue de réel
intérêt pratique, même si elle est couramment mentionnée. Nous nous bornerons donc à
recenser les principaux biens composant le domaine public (sect. I), en exposant ensuite
comment sont fixées leurs limites (sect. II).

Section I: Les principaux biens composant le domaine public.

On les regroupe généralement en catégories simples, d'intérêt purement didactique, ne


produisant en elles même aucun effet juridique.

1) Le domaine public maritime.


Il appartient exclusivement à l'Etat, qui cependant, peut, depuis la loi du 27 fév. 2002
(art. L 322-6 du Code de l'environnement) en affecter gratuitement une partie au
Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. Traditionnellement, à une époque où
les activités liées à la mer se limitaient, outre la navigation, à des pratiques de cueillette telle
la pêche, l'extraction du sel, du sable, des galets, ou le ramassage des algues, il était constitué
par les rivages de la mer.
Puis, le développement de nouvelles activités d'intérêt collectif (tourisme, exploitation
sous-marine des ressources naturelles, industries consommatrices d'eau de refroidissement
telles les centrales nucléaires...) a rendu nécessaire la protection des biens dépassant les
limites des seuls rivages. Aussi, une extension importante du domaine public maritime a eu
lieu par la loi du 28 novembre 1963, dans une double direction:
- vers le large: la loi incorpore au domaine public le sol et le sous-sol de la mer
territoriale
- vers la terre: la loi incorpore également au domaine public les lais et relais futurs
de la mer, c'est à dire les parties du rivage qui, par les effets de l'alluvionnement ou
du soulèvement des sols, émergent au dessus du niveau des eaux et ne peuvent plus
être considérées comme rivages.

9
Compte tenu de cette extension qui tend à consacrer la substitution de la notion de
littoral à celle de rivage (v. p. ex. la loi du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la
protection et la mise en valeur du littoral), le domaine public maritime comprend
actuellement:

A – Les rivages de la mer.


Ce sont les terrains alternativement couverts et découverts par les flots par le jeu des
marées, des laisses de basse mer (point le plus bas découvert à marée basse) au niveau des
plus hautes eaux. Pour mesurer ces niveaux, deux systèmes ont longtemps coexisté, selon les
côtes concernées.
- Sur les côtes méditerranéennes: on appliquait le droit romain (la loi 112 du Digeste de
Justinien) qui considérait comme rivage la partie du bord de mer habituellement recouverte
par le plus haut flot d'hiver (époque où la mer est la plus haute), sans prendre en compte les
niveaux atteints lors de tempêtes ou de marées exceptionnelles.
- Sur les autres côtes, on appliquait l'ordonnance de Colbert sur la Marine, du 9 août
1681, selon laquelle "sera réputé bord et rivage de la mer tout ce qu'elle couvre et
découvre pendant les nouvelles et pleines lunes et jusqu'où le plus grand flot de mars se
peut étendre sur les grèves".
Le Conseil d'Etat, dans un arrêt d'Assemblée (12 oct. 1973 Kreitmann, RDP 1974
p.1150, concl. Gentot), a finalement unifié les règles applicables, en abandonnant le droit de
Justinien dont la survivance était injustifiable, puisque l'ordonnance de Colbert était aussi
applicable en Méditerranée. Mais il a donné de cette ordonnance une interprétation très libre:
en effet, elle avait pour but, comme le texte de Justinien, d'étendre au maximum le domaine
public, mais l'époque de référence qu'elle fixait avait été déterminée sur la foi d'observations
erronées contredites quelques années plus tard par les lois de Newton sur les marées. Ainsi,
prenant acte de ce que les plus hauts flots de mars ne sont pas ceux permettant d'étendre au
maximum le domaine public, le Conseil d'Etat a décidé que l'ordonnance de 1681 doit être
entendue "comme fixant la limite du domaine public maritime, quel que soit le rivage, au
point jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre, en l'absence de perturbations
météorologiques exceptionnelles".
Ces règles s'appliquent même aux propriétés pouvant se prévaloir de titres antérieurs à
l'ordonnance de 1681: ainsi, les limites d'un terrain privé fixées par une ordonnance de
Charles le Chauve de 844 et une charte de Carloman de 881 ne peuvent être prises en compte
dès lors qu'elles empiètent sur les rivages de la mer ainsi définis (CE 9 mars 1984 Min. du
budget c/ Cie des salins du midi, D. 1984 p.480).
La fixation des limites relève de l'appréciation souveraine du juge du fond et ne peut
être discutée en cassation (CE 8 avril 1998 Ayala, D. 1998 I.R. p.132).
Le domaine public maritime comprenait en outre, dans les anciennes colonies, une
bande de terrain de 81,20 m à partir du rivage, la zone "des 50 pas du Roi", devenue "des 50
pas géométriques", pour les besoins de la défense. Le décret du 30 juin 1955 a fait passer
cette zone dans le domaine privé dans les départements et territoires d'outre-mer, jusqu'à sa
réincorporation dans le domaine public par la loi "littoral" du 3 janvier 1986.

B – Le sol et le sous-sol de la mer territoriale.


L'eau de la mer, elle, ne fait pas partie du domaine public (ainsi, sa pollution par un
égout ne constitue pas une atteinte à l'intégrité du domaine public: CE 27 juill. 1984 Min. de
la mer c/ Galli, AJDA 1985 p.47) .
Les limites de la mer territoriale, initialement fixées de manière coutumière à 3 milles
marins (portée extrême approximative du tir d'un canon), ont été étendues à 12 milles par la
loi du 24 déc. 1971.

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Le plateau continental, défini par la convention de Genève du 29 avril 1958, ne fait pas
partie du domaine public. Il est d'ailleurs exclu du territoire des Etats, qui n'ont sur lui que des
droits d'exploitation et d'exploration. Il en va de même pour la zone économique, crée par la
loi du 16 juill. 1976, susceptible de s'étendre jusqu'à 188 milles marins au delà des eaux
territoriales.

C – Les lais et relais de la mer.


Les lais sont les dépôts laissés par la mer et non recouverts par les plus hautes marées,
les relais sont les terrains d'où la mer s'est définitivement retirée. Jusqu'en 1963, on
considérait ces dépendances comme faisant partie du domaine privé. La loi du 28 novembre
1963 a incorporé automatiquement au domaine public les lais et relais futurs, et prévu
l'incorporation éventuelle des lais et relais anciens, par arrêté ministériel, si l'intérêt public le
justifie.

D – Les terrains gagnés sur la mer par endigage.


Il s'agit des lais ou relais artificiels. Jusqu'à la loi de 1963, ils faisaient partie du
domaine privé, et pouvaient être facilement aliénés. Désormais, ils sont incorporés au
domaine public. Toutefois, la loi réservait la possibilité de "dispositions contraires d'actes de
concession", et cette faculté a largement été utilisée au profit de promoteurs chargés de la
construction de marinas et ports de plaisance par des concessions d'endigage.
Dénoncée par les défenseurs de l'environnement et la Cour des Comptes, cette pratique
a fait l'objet de restrictions progressives. Une circulaire du ministre de l'Equipement du 3
janvier 1973 a d'abord limité son utilisation à la construction d'équipements collectifs (ports,
hôtels...) en interdisant au demeurant toute appropriation privée. Le Conseil d'Etat a
habilement conféré à ce texte la valeur d'une directive, qualification la plaçant à l'abri d'un
recours en annulation, puisqu'elle n'est pas un acte réglementaire, mais imposant aussi à
l'administration d'en tenir compte (CE (S) 18 nov. 1977 Sté entreprise Marchand, Rec. p.442).
Puis un décret du 29 juin 1979 relatif aux concessions d'endigage et d'utilisation des
dépendances du domaine public maritime maintenues dans ce domaine en dehors des ports a
confirmé ces restrictions en n'autorisant les concessions à venir que si les terrains doivent être
affectés à l'usage du public, à un service public ou à une opération d'utilité générale, et pour
une durée maximale de 30 ans. Ce texte a été abrogé par le décret du 29 mars 2004 relatif aux
concessions d'utilisation du domaine public maritime en dehors des ports, qui reprend les
mêmes principes, en les précisant (durée limite de 30 ans, occupation non constitutive des
droits réels susceptibles d'être reconnus sur les autres dépendances du domaine public de
l'Etat, ne conférant pas la propriété commerciale, etc.).

2) Les cours d'eau et lacs domaniaux.


Ils sont généralement regroupés sous la dénomination de domaine public fluvial.
Initialement, le critère de la domanialité publique était fondé sur le caractère navigable
ou flottable ( par radeaux ou trains de bois, et non "à bûches perdues" ) des cours d'eau (art.
538 Code Civil): à l'époque l'utilité pour les transports était, avec la richesse halieutique, leur
intérêt le plus apparent. Mais, compte tenu de la taille variable des bateaux, la navigabilité
était susceptible d'appréciations sensiblement différentes. C'est pourquoi en pratique, le
classement était opéré sous forme d'une liste (par ex. l'ord. du 10 juill. 1838 établissait déjà
une nomenclature des cours d'eau navigables).
Par la suite, on a pris conscience de la nécessité de protéger certaines eaux
indépendamment de leur caractère navigable, notamment lorsqu'elles constituent en elles-
mêmes une richesse commune du fait de leur rareté. On trouve une bonne formulation de ces
préoccupations d'ordre écologique avant la lettre dans le rapport sur la loi du 16 juin 1851 sur

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la propriété foncière en Algérie, qui, pour expliquer le classement dans le domaine public de
l'ensemble des cours d'eau, indiquait: "si le gouvernement dépasse la mesure du droit
généralement établi, il ne fait que se soumettre aux inévitables et permanentes nécessités du
climat et du sol, là où la vie, autant que la fortune de tous, dans l'avenir et dans le présent, est
intéressée au suprême degré à ce que les eaux, cet élément indispensable de salubrité et de
production, dispensées d'une main si avare, ne puissent jamais être détournées des propriétés
communes".
La dissociation entre domanialité et navigabilité sera définitivement consacrée par la loi
du 8 avril 1910, et, surtout par celle du 16 déc. 1964, relative au régime et à la répartition des
eaux, qui, abandonnant toute référence au caractère navigable et flottable, évoque seulement
les "cours d'eau et lacs domaniaux".
Ainsi, sont inclus dans cette catégorie ceux figurant sur la liste des voies et lacs
navigables et flottables, mais également ceux qui ont été radiés de cette liste, tout en étant
expressément maintenus dans le domaine public. En outre, s'y ajoutent les cours d'eau ou lacs
classés par décret en vue de leur utilité collective (alimentation en eau des voies navigables
ou des populations, satisfaction des besoins agricoles ou industriels, production d'énergie). En
toute hypothèse, c’est l’Etat seul qui a compétence pour décider qu’un cours d’eau non
navigable et flottable sera incorporé au domaine public, au besoin après que la propriété lui en
ait été transférée (CE (Ass.) 15 oct. 1999 Cne de Lattes et région Languedoc-Roussillon,
AJDA 1999 p.1044).
Pour les voies navigables, la domanialité s'étend du point où ils deviennent navigables
jusqu'à leur embouchure ou confluent.
Pour l'ensemble des dépendances, elle comprend les eaux, le lit, et les berges, au niveau
des plus hautes eaux en dehors des crues exceptionnelles (v. p.ex. pour le lac de Genève: CE
(S) 23 fév. 1979 Assoc. Synd. des copropriétaires du domaine de Coudrie, AJDA (nov.) 1979
p.35 note Davignon), ainsi que tous les terrains (îles, lais ou relais) couverts par les eaux dans
ces limites.
Jusqu'à la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et
naturels et à la réparation des dommages, le domaine public fluvial ne pouvait appartenir qu'à
l'Etat. Désormais, il peut aussi être la propriété de collectivités territoriales, par création,
acquisition ou transfert (nouvel art. 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation
intérieure).

3) Le domaine public terrestre.


Il est le plus souvent artificiel, et les biens qui le composent y sont généralement
intégrés en application de critères jurisprudentiels classiques, à moins que leur classement ne
résulte d'un texte exprès (par ex. pour les autoroutes et les routes nationales l'art. L 121-1 du
Code de la voirie routière).
On se bornera à répertorier succinctement les dépendances les plus connues.

A - Biens affectés à l'usage du public.


Font par exemple partie du domaine public les voies publiques (sauf les chemins ruraux,
classés dans le domaine privé des communes), les halles, marchés, lavoirs, cimetières, les
édifices du culte appartenant aux personnes publiques, les "usoirs" lorrains (bandes de terrain
situées dans les communes rurales entre les voies publiques et les habitations et
coutumièrement affectées à la fois à la circulation des tiers et au dépôt d'objets appartenant
aux riverains (TC 22 sept. 2003, Grandidier c/ Cne de Juville, AJDA 2004 p. 930 note Jurie).

B - Biens affectés aux services publics.

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On y trouve par exemple les chemins de fer, les aérodromes et installations de
navigation aérienne, les ouvrages de défense militaire, les établissements d'enseignement
public, les mairies, palais de justice, musées, bibliothèques, etc. Il convient cependant
d'observer que depuis une ordonnance du 19 août 2004 prise en application de la loi du 2
juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit, font désormais partie du domaine
privé de l'Etat et de ses établissements publics leurs immeubles à usage de bureaux sauf
"s'ils forment un ensemble indivisible avec des biens immobiliers appartenant au domaine
public", et les immeubles dans lesquels sont effectués les contrôles techniques des
véhicules.
Soumis au régime général de la domanialité publique, chacun des biens peut aussi
relever d'un régime spécifique correspondant à sa situation particulière. D'où, parfois, des
difficultés de qualification, fréquentes notamment pour les voies publiques, qui peuvent se
superposer à d'autres dépendances domaniales. Ainsi, le Conseil d' Etat a jugé que les ponts
ne constituent pas des éléments accessoires des cours d'eau qu'ils traversent, mais, assurant la
continuité du passage entre les parties des voies qu'ils relient, se rattachent à celles-ci (CE 27
mai 1964 Chervet, JCP 1964 II 13936 concl. Rigaud; CE 26 sept. 2001, Département de la
Somme, RFDA 2001 p. 1319). A l'inverse, le sol d'un passage à niveau appartient au domaine
public ferroviaire, et non au domaine public routier (CE (S) 8 déc. 1950 Cie gale des eaux,
Rec. p.616 : "si le sol d'un passage à niveau fait l'objet d'une double affectation à la voie
publique et à la voie ferrée, cette dernière affectation revêt un caractère prédominant").

4) La question du domaine public aérien.


L'atmosphère dans laquelle nous vivons constitue un espace sans consistance matérielle
tangible. Aujourd'hui encore, son statut demeure relativement indéterminé. Sans doute, est-il
admis que malgré l'article 552 du Code Civil, qui dispose que "la propriété du sol emporte la
propriété du dessus", elle ne peut être divisée en fonction des limites des propriétés terrestres.
D'aucuns considèrent qu'elle relève de l'article 714 du Code Civil, selon lequel "il est des
choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est commun à tous". D'autres en font
une res nullius, insusceptible de propriété.
L'évolution des analyses a suivi celle des utilisations de l'espace atmosphérique.
Longtemps limitées aux seules constructions et plantations, celles-ci se sont ensuite dissociées
de l'occupation du sol, avec la navigation aérienne et les télécommunications. Sans doute, à la
différence des dépendances terrestres, le ciel semble-t-il difficilement aliénable: l'application
du régime protecteur de la domanialité publique peut donc paraître moins justifiée. Toutefois,
son affectation croissante à l'usage du public impose de toute évidence une multiplication des
réglementations organisant son utilisation.
Déjà, en 1919, la Convention de Paris stipulait dans son article 1er que "l'Etat a la
souveraineté complète et exclusive sur l'espace atmosphérique au dessus de son territoire". A
l'occasion d'une affaire d'interdiction des amerrissages d'hydravions sur la Seine, un
commissaire du gouvernement pouvait affirmer, en 1930, que "la condition juridique du
domaine aérien est d'être un domaine public national". Mais le Conseil d'Etat, sans consacrer
expressément cette qualification, se bornait à reconnaître au ministre un pouvoir de police
spéciale de la navigation aérienne (CE (Ass.) 7 mars 1930 Cie aérienne française, Rec. p.257
concl. Dayras). La même incertitude subsistait après une affaire relative cette fois à
l'utilisation de l'espace hertzien, le commissaire du gouvernement argumentant en faveur de la
domanialité publique, et le Conseil d'Etat éludant la question (CE 6 fév. 1948 Sté Radio
Atlantique, RDP 1948 p.244 concl. Chenot).
Il reste que des textes exprès, notamment l'article 22 de la loi du 30 septembre 1986 sur
l'audiovisuel, rangent les fréquences radioélectriques disponibles sur le territoire de la
République dans le domaine public de l'Etat. En outre, le Conseil constitutionnel, (décis. du

13
28 déc. 2000, loi de finances pour 2001, JOLD 31 déc. 2000 p. 21 194) à propos des licences
de téléphonie mobile dites "de 3ème génération" (UMTS), et le Conseil d'Etat (CE ord. réf. 27
mars 2003, JCP 2003.II.10 189 note Chaminade), à propos du réaménagement des fréquences
nécessaire à la télévision numérique terrestre, estiment eux aussi que l'utilisation des
fréquences radio-électriques sur le territoire de la République constitue un mode d'occupation
privative du domaine public. On pourrait sans doute s'interroger sur la portée de cette
qualification, limitée aux longueurs d'ondes attribuées à la France par des accords
internationaux, et sur l'opportunité de l'étendre à l'ensemble de l'espace aérien. La doctrine
semble majoritairement favorable à cette solution.

Section II: La fixation des limites du domaine public.

Le problème de la détermination du contenu du domaine public n'est pas entièrement


résolu lorsque ont été répertoriés les biens qui le composent. Il convient aussi de rechercher
jusqu'à quelles limites s'étendent ces biens.

Parfois, la délimitation géographique a lieu par un acte exprès. Parfois, elle est établie à
l'occasion d'un litige, par le juge. Dans tous les cas, elle fait intervenir un principe favorable à
l'extension du domaine public, et des procédures exorbitantes du droit commun.

1) Un principe extensif: la théorie de l'accessoire.


Il permet d'incorporer au domaine public des biens qui, pris isolément, n'en possèdent
pas les critères, mais peuvent être considérés comme accessoires indispensables d'un autre
bien, qui, lui, en fait partie.
Cette théorie n'est toutefois applicable qu'aux biens appartenant à une personne
publique, puisqu'une personne privée, on le sait, ne peut posséder une dépendance du
domaine public (CE 13 janv. 1933 Chemins de fer de Paris-Orléans, D. 1934 III p.14 concl.
Michel: à propos d'ouvrages fortifiés accessoires du domaine public ferroviaire; CE (S) 28
mars 1969 Dames Février et Gatelet, AJDA 1969 p.359 concl. Kahn: refus d'intégrer au
domaine public un mur de clôture construit par un propriétaire privé sur le mur de
soutènement d'une voie publique).
L'accessoire du domaine public ne doit pas simplement être au contact ou à
proximité du bien principal: il doit en être indissociable, ou bien en constituer un
complément utile.
A - L'accessoire indissociable.
Le caractère indissociable peut être entendu aussi bien physiquement (les deux biens
sont matériellement liés), que juridiquement (l'accessoire est indispensable à l'utilisation de la
dépendance domaniale).
Ainsi, un immeuble à usage de magasin pour le déchargement des péniches navigant sur
le canal de l'Ourcq constitue "un accessoire indispensable de la voie d'eau faisant partie du
domaine public " (CE 31 juill. 1992 Assoc. des ouvriers plombiers-couvreurs-zingueurs, Rec.
p.957).
De même, le contrat de bail du "Café-tabac de la gare" à Avignon a été reconnu comme
contrat d'occupation du domaine public puisque l'établissement était construit sur une dalle,
elle-même coulée sur une voûte recouvrant un égout: l'égout, affecté au service public de
l'assainissement, fait partie du domaine public communal, la voûte également, puisqu'elle
"concourt à rendre l'ouvrage propre à sa destination", ainsi que la dalle, "indissociable de
cette dernière" (CE 28 janv. 1970 Consorts Philips Bingisser, Rec. p.58).
On peut, certes, s'étonner de cet enchaînement logique aboutissant, comme l'observait
de Laubadère, à faire d'un café l'accessoire d'un égout. En réalité, la solution est révélatrice

14
des difficultés éprouvées par la jurisprudence lorsque sont en cause des biens
superposés.
Longtemps, en effet, le Conseil d'Etat a considéré que la totalité du sous-sol situé à la
verticale d'une parcelle incorporée au domaine public en était l'accessoire indissociable ( v.
p.ex. CE (S) 26 nov. 1937 Préfet du Maine et Loire, Rec. p.971, à propos de galeries utilisées
comme champignonnières, situées loin sous une voie publique). Cette démarche simpliste
semblait assez irréaliste (devait-elle être appliquée jusqu'au centre de la terre, voire au delà ?),
alors que la Cour de Cassation, de longue date, avait admis, statuant en matière
d'expropriation, que "le dessous peut être détaché du sol par fractions qui forment à leur tour
et par elles-mêmes une chose essentiellement distincte" (Civ. 1er août 1866, D. 1866 I
p.305).
Le Conseil d'Etat, tardivement, a fini par se rallier à ce point de vue: pour être considéré
comme indissociable, l'accessoire doit non seulement être physiquement lié au principal, mais
également être indispensable à son utilisation et à sa conservation (CE (S) 17 déc. 1971
Véricel, Rec. p.783: des galeries abandonnées situées à une dizaine de mètres sous une voie
publique n'en sont pas l'accessoire).
Cette solution empirique permet de résoudre plus aisément les questions posées par
l'urbanisme moderne, qui superpose souvent constructions publiques et privées, en mêlant de
manière parfois inextricable habitat, activités économiques, circulation, stationnement,
services publics divers. Puisqu'ils apparaissent juridiquement complexes, les ouvrages qui en
résultent sont décomposés en volumes, auxquels s'appliquent des régimes distincts. Mais leur
division est elle-même une source de nouvelles difficultés. Ainsi, cloisons ou dalles
séparatives peuvent-elles, selon leurs faces, relever ou non de la domanialité publique.
B - Le complément utile.
Même s'il n'est pas à proprement parler nécessaire à l'existence et à la conservation de la
dépendance principale, un équipement peut en faciliter l'utilisation ou l'entretien.
Ainsi, pour les biens affectés à l'usage du public, tels les voies publiques, sont
considérés comme accessoires les arbres, bornes kilométriques, balises, poteaux indicateurs,
corbeilles à déchets, colonnes d'affichage, etc. (CE (S) 20 avril 1956 Ville de Nice, RDP 1956
p.575 concl. Long).
Pour les biens affectés à un service public, sont considérées comme accessoires les
installations constituant un complément normal des prestations assurées, par exemple les
stands-vitrines de la gare Saint Lazare (CE 8 janv. 1960 Lafon, Rec. p.15), buffets de gare
(CE 24 avril 1959 SNCF c/ Burfin, Rec. p.264), la buvette du Palais de Justice de Paris (CE
23 oct. 1968 époux Brun, Rec. p. 503), le logement d'un instituteur dans un groupe scolaire
(T.C. 7 juil. 1975 Debans, Rec. p.797), les stations-services et boutiques d'un parc public de
stationnement souterrain (CE 24 janv. 1973 Spiteri et Krehl, AJDA 1973 p.496 note Dufau),
etc.
On observera qu'en usant alternativement de ces deux critères, la jurisprudence pourrait
réduire sensiblement la portée de l'ordonnance du 19 août 2004 transférant dans le domaine
privé tous les immeubles de l'Etat à usage de bureaux, à l'exclusion, toutefois, de ceux
" formant un ensemble indivisible avec des biens immobiliers appartenant au domaine
public "(nouvel art. 2 al. 2 du Code du domaine de l'Etat).

2) Les procédures de délimitation du domaine public.


Elles varient selon les dépendances en cause, mais sont toujours exorbitantes du droit
commun. En effet, à la différence du domaine privé, le domaine public n'est pas soumis à la
procédure de l'action en bornage prévue par l'article 646 du Code Civil à défaut d'accord
amiable sur la délimitation.

15
Pour les riverains d'une dépendance domaniale, l'ignorance de ses limites exactes peut
entraîner de graves inconvénients puisqu'un éventuel empiétement peut être pénalement
sanctionné comme contravention de grande voirie. C'est pourquoi le Conseil d'Etat leur
reconnaît un droit à obtenir de l'administration une mesure de délimitation (CE 5 janv. 1955
Decloitre, Rec. p.1 concl. Grévisse: annulation du refus implicite d'un préfet de délimiter un
cours d'eau domanial).
Le juge administratif ne peut être saisi directement d'une demande de bornage: c'est à la
personne publique propriétaire qu'il revient d'abord de prendre unilatéralement une décision
sur les limites de la dépendance (CE 10 déc. 1982 Pagotto, Rec. p.415). Cela dit, la question
pourra en dernier ressort lui être soumise. D'une part il peut être saisi d'un recours contre la
décision de délimitation: après avoir initialement considéré celle-ci comme un acte
discrétionnaire insusceptible d'être discuté au contentieux, le Conseil d'Etat a, de longue date,
admis qu'elle pouvait faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (CE 27 mai 1863 Drillet
de Lannigou, D. 1863 III p.63). D'autre part, il lui revient de se prononcer directement
lui-même en l'absence de toute délimitation préalable, lorsque celle-ci s'avère nécessaire.
Ainsi, saisi de poursuites pour contraventions de grande voirie contre des riverains du lac
Léman accusés d'avoir établi des constructions empiétant sur le domaine public, le Conseil
d'Etat a fixé le niveau des plus hautes eaux à la cote 372,97 m (CE (S) 23 fév. 1979 Assoc.
Synd. des copropriétaires du domaine de Coudrée, précité).
Depuis la réforme du contentieux administratif, la Haute Juridiction, juge de cassation,
laisse au juge du fond le soin de fixer les limites en appréciant souverainement les faits, sous
réserve de ne pas les dénaturer et de ne pas faire une fausse appréciation des règles relatives à
la délimitation du domaine public (CE 1er fév. 1995 de Bray, Rec. p.60).
Si ces principes généraux s'appliquent à l'ensemble des dépendances domaniales, des
règles particulières régissent la délimitation selon qu'elle concerne les biens du domaine
public naturel ou ceux du domaine public artificiel.

A - Pour les biens du domaine public naturel.


La fixation des limites est censée se borner à prendre acte de phénomènes naturels en
fonction des critères retenus. Elle prend la forme d'un acte déclaratif (ni réglementaire, ni
individuel), susceptible de contestation à tout moment, puisqu'il "a pour objet la constatation
d'une situation de fait susceptible de changements ultérieurs" (CE (S) 6 fév. 1976 SCI Villa
Miramar, Rec. p.88). C'est pourquoi elle a lieu, selon les formules employées par le juge,
"sous réserve des droits de propriété", ou "sous réserve des droits des tiers". Il en résulte
parfois des situations et des contentieux d'une grande complexité.
Ainsi, selon l'évolution du cordon littoral les séparant de la mer, les étangs salés
peuvent être intégrés dans le domaine public (rupture établissant une communication avec la
mer), ou restitués à leur propriétaire privé (reconstitution aboutissant à une fermeture: v. p.ex.
Cass. (Ass. plen.) 23 juin 1972, D. 1972 p.705 concl. Lindon). De même, en fonction des
phénomènes d'érosion, des parcelles appartenant à des propriétaires privés peuvent être
incorporées au domaine public maritime. Cette dépossession n'ouvre pas droit à indemnité,
même si l'extension des limites du domaine public ne résulte pas d'un phénomène naturel (CE
(S) 18 juin 1976 Ménard, Rec. p.322 concl. Genevois: propriété privée située sur le littoral du
Calvados recouverte par la mer par suite de l'arasement d'une digue endommagée lors du
Débarquement). Toutefois, lorsque l'Etat a été à l'origine de l'évolution, il doit réparer le
préjudice causé au propriétaire dépossédé (CE 22 déc. 1976 Sté foncière Biarritz-Anglet,
RDP 1977 p.881: indemnisation à 50% du propriétaire de terrains incorporés au domaine
public à cause à la fois de l'érosion naturelle et de travaux d'aménagement entrepris par l'Etat).
Il convient également de noter que les effets radicaux de cette jurisprudence défavorable aux
propriétaires privés peuvent être atténués lorsque les conditions dans lesquelles leurs terrains

16
sont affectés constituent un risque naturel majeur et permettent de faire jouer l'article L 561-
1 du Code de l'environnement. Selon ces dispositions, "lorsqu'un risque prévisible de
mouvements de terrain, ou d'affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une
marnière, d'avalanches ou de crues torrentielles menace gravement des vies humaines, l'Etat
peut déclarer d'utilité publique l'expropriation par lui-même, les communes ou leurs
groupements, des biens exposés à ce risque, dans les conditions prévues par le code de
l'expropriation pour cause d'utilité publique et sous réserve que les moyens de sauvegarde et
de protection des populations s'avèrent plus coûteux que les indemnités d'expropriation
(…) pour la détermination du montant des indemnités qui doit permettre le remplacement
des biens expropriés, il n'est pas tenu compte de l'existence du risque".
S'il s'avère que la délimitation est illégale et a abouti à incorporer au domaine public des
propriétés privées qui ne devaient pas l'être, il appartient au juge judiciaire, si la dépossession
est définitive, d'indemniser le propriétaire concerné, l'opération s'analysant en une emprise
irrégulière (TC 11 janv. 1873 de Pâris Labrosse, D. 1873 III. p.70 concl. David). Mais le juge
administratif doit se prononcer au préalable sur la validité de l'acte de délimitation,
conformément au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.

B - Pour les biens du domaine public artificiel.


La procédure de délimitation varie selon les dépendances concernées (domaines publics
ferroviaire, militaire p. ex.), et, comme pour le domaine public naturel, présente dans la
plupart des cas un caractère déclaratif: on constate les limites physiques du bien.
Toutefois, un régime particulier, exorbitant des règles normales de délimitation,
s'applique à une catégorie essentielle des dépendances domaniales, les voies publiques. Leurs
limites sont déterminées par la procédure de l'alignement, qui, compte tenu de son originalité
et de sa vocation à s'appliquer à un grand nombre d'intéressés, mérite d'être précisée.

La délimitation des voies publiques: l'alignement.

La procédure d'alignement est un héritage du droit de l'Ancien Régime: ses principes


ont été posés dans un édit du 16 déc. 1607, puis repris par des textes ultérieurs (lois de 1807
et 1836 notamment). Ils sont actuellement réglés par le Code de la voirie routière.
A la différence des autres mesures prises pour la délimitation du domaine public,
l'alignement ne se borne pas à constater unilatéralement les limites existantes: il permet aussi
à l'administration de les modifier, et de déposséder éventuellement les propriétaires riverains.
Ses effets ne sont donc pas purement déclaratifs, ils peuvent être aussi attributifs.
La procédure fait intervenir deux phases successives combinant des mesures générales
et impersonnelles d'abord, puis des mesures individuelles.

a) le plan d'alignement.
Selon les termes de l'article L 112-1 du Code de la voirie routière, il détermine "la
limite entre voie publique et propriétés riveraines". Il peut concerner une voie ou un
ensemble de voies et les tracés actuels ou futurs.
Préparé par des techniciens, il est obligatoirement soumis à l'enquête publique. Puis il
est approuvé, par arrêté préfectoral ou par décret (selon que l'avis du commissaire enquêteur
est favorable ou défavorable) pour les routes nationales, par délibération du conseil général ou
du conseil municipal pour les voies départementales ou communales. Une fois publié, il entre
en vigueur et peut être contesté devant le juge administratif.
Selon le cas, il peut ou bien confirmer les limites préexistantes ou bien prévoir leur
modification, sans que l'administration ait pour autant l'obligation de réaliser ses projets: le

17
plan demeure en principe en vigueur tant qu'il n'y est pas mis fin, sans que son inexécution
entraîne sa désuétude.
Si la confirmation des limites existantes ne soulève pas de problèmes particuliers
d'application, le régime exorbitant de la procédure d'alignement apparaît lorsque leur
rectification est prévue. Deux hypothèses différentes peuvent alors être envisagées:

1 - ou bien la voie est rétrécie: la partie abandonnée est déclassée, et, de ce fait, sort du
domaine public. On la désigne habituellement sous la dénomination de "délaissé de voirie", et
elle peut être aliénée. Les riverains, qui bénéficient d'un droit de préemption en cas de vente,
peuvent demander la cession de la parcelle située au droit de leur propriété. Le contentieux du
refus relève des tribunaux judiciaires (CE 15 fév. 1980 Melle Lacombe, Rec. p.725).

2 - ou bien la voie est élargie: sa nouvelle emprise empiète sur les propriétés privées
riveraines. Il en résulte des conséquences variables selon les immeubles concernés.

Sur les terrains non bâtis et non clos de murs, le plan d'alignement entraîne
immédiatement transfert de propriété et incorporation au domaine public, moyennant
indemnité fixée à l'amiable, ou, à défaut, par le juge judiciaire comme en matière
d'expropriation.
Sur les terrains bâtis ou clos de murs, le plan n'entraîne pas immédiatement
transfert de propriété. Mais toute la portion incluse dans les nouvelles limites de la voie est
frappée d'une "servitude de reculement", particulièrement contraignante, puisqu'elle interdit
aux propriétaires tous travaux confortatifs, ou, à plus forte raison, toute construction nouvelle,
en n'autorisant que les simples travaux d'entretien courant (ainsi, un ravalement de façade est
en principe impossible).
Ces prescriptions rigoureuses permettent à l'administration d'acquérir les terrains
nécessaires à l'élargissement des voies publiques à un faible coût, puisqu'elles provoquent la
lente dégradation, et, donc, la dévalorisation des biens qu'elles frappent. C'est pourquoi leur
application est soumise à certaines restrictions.
Ainsi, l'alignement peut servir à l'élargissement ou à la rectification du tracé des voies,
mais non à leur déplacement par changement d'axe. De plus, son impact sur les propriétés
riveraines ne doit pas entraîner le bouleversement des aménagements intérieurs des
immeubles en rendant malaisée leur utilisation (CE (S) 16 nov. 1983, Tribier Rec. p.457):
l'alignement ne doit pas être un substitut commode de l'expropriation, qui garantit mieux les
droits des propriétaires dépossédés.
Il reste que ces restrictions ne s'appliquent pas dans les communes dotées de plan
d'occupation des sols: les nouveaux alignements qu'ils prévoient sont pris en compte même
sur les voies nouvelles à créer, et quelle que soit l'importance de l'emprise sur les propriétés
privées. Les propriétaires peuvent toutefois demander à la collectivité l'acquisition de leurs
biens dans les trois ans.

b) I 'arrêté individuel d'alignement.


Délivré selon le cas par le maire, le président du conseil général ou le préfet, il indique
au riverain les limites de la voie par rapport à sa propriété. Il doit être obligatoirement
demandé en cas de travaux sur les immeubles (en pratique, la procédure est regroupée avec
celle du permis de construire). L'administration ne peut le refuser, sauf absence de
changement depuis un alignement antérieur.
C'est un acte purement déclaratif, qui se borne à constater les limites, telles que le
plan les détermine, ou, faute de plan, telles qu'elles existent. Bien qu'ayant un caractère

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individuel, il ne fait pas naître de droits acquis, et l'administration peut le retirer ou le
modifier à tout moment pour rectifier ses erreurs (CE 19 nov. 1980 Giraud, Rec. p.592).

Titre II: Le régime juridique du domaine public.

L'application aux biens du domaine public d'un régime spécifique, exorbitant du droit
commun, est la justification exclusive de leur classement dans cette catégorie. Ainsi se
distinguent-ils des biens appartenant au domaine privé, soumis au droit applicable aux
particuliers. Les traits essentiels de cette spécificité concernent à la fois la protection dont ils
bénéficient et les conditions dans lesquelles ils peuvent être utilisés: ces deux aspects
seront abordés dans deux chapitres, après que dans un chapitre préliminaire, on ait
succinctement évoqué le caractère relatif de la répartition des questions domaniales entre le
droit public et le droit privé.

Chapitre préliminaire: Le difficile partage de la domanialité entre droit public et


droit privé.

La distinction, au sein du domaine des personnes publiques, entre dépendances


publiques et privées entraîne, en principe, des conséquences relativement simples. Mais sa
mise en œuvre est rendue complexe lorsqu'elle interfère avec d'autres constructions juridiques
susceptibles de la contredire.

Section I: Des principes apparemment simples.

Résultant de textes épars, et, surtout, de solutions jurisprudentielles, ils soumettent les
biens appartenant au domaine public à un régime de droit public, appliqué, en cas de litige,
par les juridictions administratives, et, à l'inverse, le domaine privé à un régime de droit
commun relevant du contentieux judiciaire.

A - Il en va ainsi d'abord pour la qualification de la dépendance, et la fixation de ses


limites, qui constitue, pour le Tribunal des Conflits, un "acte d'administration" (TC 11 janv.
1873 de Paris Labrosse précité) quand elle porte sur le domaine public, et appartient au juge
judiciaire quand elle concerne le domaine privé (CA Lyon 8 fév. 1968, D. 1968 p.483).

B - Les mêmes principes régissent le contentieux de la protection des biens. Ceux


appartenant au domaine public relèvent d'un régime exorbitant découlant de la loi du 28
pluviose an VIII, qui prévoyait que les Conseils de préfecture statueraient "sur les difficultés
qui pourront s'élever en matière de grande voirie": les atteintes qui leur sont portées sont
souvent sanctionnées pénalement comme "contraventions de grande voirie" par les
juridictions administratives. Celles-ci sont également compétentes pour ordonner l'expulsion
d'un occupant sans titre du domaine public après résiliation de la convention autorisant
l'occupation (TC 24 sept. 2001, Sté BE Diffusion c/ RATP, RFDA. 2002 p. 425). Les biens
appartenant au domaine privé relèvent du droit commun, et les actes administratifs ayant pour
objet d'assurer leur protection doivent être soumis aux juridictions judiciaires (CE 27 mai
1991 Epoux Campagne, Rec. p.212: arrêté municipal interdisant l'accès des véhicules à une
place classée dans le domaine privé communal).

C - Les actes de gestion des dépendances sont, eux aussi, soumis à la même répartition.
Ainsi, les contrats d'occupation du domaine public sont administratifs en application de
l'article L 84 du code du domaine de l'Etat, même si par ailleurs ils ne remplissent pas les

19
conditions habituelles, notamment s'ils sont passés par des personnes privées
concessionnaires agissant pour leur propre compte ( v. CE (S) 29 mars 1957 Roger, AJDA
1957 p.105 concl. Grévisse: convention entre la SNCF et un particulier pour l'occupation d'un
local de la gare d'Austerlitz, v. ég. a contrario TC 15 mars 1999 Schmitt c/ Assoc. Lorraine
d'exploitation et de modélisme ferroviaire, JCP 1999 IV p.1269). Ainsi, ils n’entrent pas dans
le champ de la compétence du Conseil de la Concurrence (Cass. Com. 16 mai 2000 Chambre
syndicale nationale de la vente et services automatiques, JCP 2000 Act. n°23 : à propos de la
soumission à redevance de l’exploitation des distributeurs automatiques sur le
marché d’intérêt national de Rungis). A l'inverse, la gestion du domaine privé n'étant pas un
service public (CE (S) 26 janv. 1951 SA minière, Rec. p.49), même passés par une personne
publique, les contrats d'occupation du domaine privé relèvent du droit commun et sont soumis
à la législation sur les baux civils et commerciaux (T.C. 24 mai 1965 Epoux Ponce, AJDA
1965 p.483 note Drago). Ce ne sont donc pas des documents administratifs communicables au
sens de la loi du 17 juillet 1978 (CE (S) 26 juill. 1985 Amadou Robert, RFDA 1986 p.179
concl. Jeanneney).

D - Le régime de responsabilité applicable en cas de dommages imputable aux biens


variera lui aussi selon leur appartenance à l'un ou l'autre domaine. Ainsi, les dégâts causés par
des lapins de garenne provenant du domaine public (en l'occurrence le lit de la Loire) doivent
être appréciés par le juge administratif (T.C. 22 avril 1985 Belouet et autres, AJDA 1985
p.507 note Richer), alors que ceux causés par des cerfs d'une forêt appartenant au domaine
privé relèvent du juge judiciaire (CE 20 juill. 1971 Bolusset, AJDA 1971 p.527).
Malgré cette répartition apparemment rigide, en réalité, le contentieux des dépendances
domaniales s'avère assez complexe.

Section II: Un contentieux complexe.

Les limites normales des compétences respectives du juge judiciaire et du juge


administratif sont d'une grande souplesse, et, sur les questions domaniales, des interventions
concurrentes peuvent avoir lieu (v. not. sur cette question C. Lavialle: Le juge administratif et
l'exception de propriété, RFDA 2004 p. 497).

A - Ainsi, en ce qui concerne la qualification même des biens concernés, l'application


de la théorie de l'acte clair permet à une juridiction d'intégrer un bien dans la catégorie qui ne
relève en principe pas de sa compétence. Le Conseil d'Etat, par exemple, constate qu' "il
ressort des pièces versées au dossier" qu'un ancien chemin vicinal est un chemin rural
appartenant au domaine privé d'une commune (CE 20 janv. 1984 S.C. du domaine du Bernet,
Rec. p.12). A l'inverse, la Cour de Cassation, considérant que "les tribunaux judiciaires
peuvent affirmer la domanialité lorsqu'il n'existe aucune difficulté sérieuse" range dans le
domaine public un tableau de Seurat appartenant à la Réunion des Musées nationaux (Cass. 2
avril 1963 Montagne, AJDA 1963 p. 486, note Dufau). On ne peut manquer d'observer que
dans cette affaire, la référence commode à la théorie de l'acte clair permet en réalité à la Cour
de trancher, à propos des biens susceptibles d'être intégrés au domaine public, deux questions
sur lesquelles la jurisprudence administrative était pour le moins réservée: celle de leur
caractère mobilier, et celle de leur appartenance à un établissement public.

B - En ce qui concerne la fixation des limites matérielles, la décision rendue par une
juridiction à propos d'un bien relevant de sa compétence affecte toujours indirectement les
propriétés voisines, même si elles dépendent de la compétence de l'autre ordre: le juge
administratif, lorsqu'il se prononce sur la domanialité publique de terrains, pose le plus

20
souvent, par contrecoup, les bornes des propriétés privées riveraines. On s'était interrogé sur
la possibilité, pour le juge judiciaire, d'adopter une démarche analogue en appréciant la
domanialité publique d'un bien à l'occasion d'une action intentée par un particulier en
revendiquant la propriété. Le Tribunal des Conflits, dans un arrêt rendu sur recours d'un
marquis se plaignant de l'inclusion de ses terrains situés en bordure de l'Yonne dans le
domaine public l'a admis, au motif qu' "il appartient à l'autorité judiciaire, lorsqu'elle est
saisie d'une demande en indemnité formée par un particulier qui soutient que sa propriété a
été englobée dans le domaine public par une délimitation inexacte, de reconnaître le droit de
propriété invoqué devant elle, de vérifier si le terrain litigieux a cessé, par le mouvement
naturel des eaux, d'être susceptible de propriété privée, et de régler, s'il y a lieu, une
indemnité de dépossession" (T.C. 11 janv. 1873 de Paris Labrosse, précité). Il est vrai que cet
arrêt a été accueilli avec beaucoup de réserve, et que l'on s'accorde à considérer que le juge
judiciaire ne peut se prononcer ainsi que si la solution s'impose à l'évidence: à défaut, il doit
soulever une question préjudicielle, renvoyée au juge administratif.

C - En ce qui concerne le contentieux de la protection, une partie importante du


domaine public échappe au régime administratif de répression des contraventions de grande
voirie. En effet, depuis le décret du 28 nov. 1926, les tribunaux judiciaires sont seuls
compétents pour connaître de toutes les infractions à la police de la circulation et à la police
de la conservation des voies publiques.

D - Pour les actes de gestion domaniale, il est assez fréquent que les questions
relatives au domaine privé soient soumises au juge administratif. Ainsi, un contrat
d'occupation d'un bien du domaine privé pourra être administratif s'il remplit les conditions
habituelles, par exemple s'il contient des clauses exorbitantes du droit commun (T.C. 17 nov.
1975 Leclert, Rec. p.800: occupation d'un terrain du domaine privé situé dans le polygone
d'essais de Bourges, à titre précaire et révocable ; TC 15 nov. 1999 Cne de Bourisp, D. 2000
IR p.42 : cession par une commune de ses pistes de ski, avec clause d’accès à demi-tarif à ses
habitants et à leurs héritiers désignés par le conseil municipal). La Cour de Cassation était
même allée jusqu’à considérer que la gestion du domaine privé constitué par les forêts de la
ville de Strasbourg est un service public administratif, avec pour corollaire la qualité d’agents
publics des personnels qui en sont chargés (Cass. 2ième Civ. 29 avril 1998 Jung c/ Ville de
Strasbourg, D. 2000 II p.232 note Schmitt). Toutefois, le Tribunal des Conflits a désavoué
cette analyse (TC 18 juin 2001, Lelaidier c/ Ville de Strasbourg, D. 2001 IR p. 2560: l'activité
"n'est pas, par elle-même, constitutive d'une mission de service public", et les agents
l'exerçant sont dans une situation de droit privé).
En matière d'aliénation, l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII donne compétence
aux tribunaux administratifs pour se prononcer sur le contentieux de la vente de tous les
immeubles appartenant à l'Etat. Cette disposition, adoptée en vue de rassurer les acquéreurs
des "biens nationaux" et de les garantir contre les anciens propriétaires concerne
indistinctement les biens du domaine public et du domaine privé. De plus, la jurisprudence a
ouvert une autre possibilité d'extension de la compétence administrative à la gestion du
domaine privé en recourant à la notion d'acte détachable.
Ainsi, la délibération d'un conseil municipal refusant de vendre une parcelle du domaine
privé communal est-elle détachable de la gestion proprement dite, et constitue un acte
administratif (CE (S) 17 oct. 1980 Gaillard, AJDA 1981 p.312 concl. Labetoulle: selon le
commissaire du gouvernement, "la jurisprudence qui tire de la distinction entre domaine
public et domaine privé des conséquences en termes de répartition des compétences
juridictionnelles nous paraît discutable, et dépassée l'idée selon laquelle, en gérant son
domaine privé, l'administration se comporte comme une personne privée"; v. ég. CE (S) 10

21
mars 1995 Cne de Digne, Rec. p.124). De même, relève des juridictions administratives la
délibération d'un conseil municipal relative au droit de préemption des riverains en cas de
vente d'un chemin rural (CE 9 fév. 1994 Epoux Lecureur, Rec. p.62).

E - Pour le contentieux de la responsabilité, il n'est pas rare que les dommages


imputables au domaine privé relèvent des juridictions administratives. En effet, le juge peut
souvent placer au second plan la nature de la dépendance concernée, en se référant à d'autres
notions qui, elles, justifient la compétence administrative. Ainsi, des dommages causés par un
incendie de forêt peuvent être rattachés au mauvais fonctionnement du service public de
surveillance (T.C. 3 nov. 1950 Giudicelli, Rec. p.534). De même, nombre de biens du
domaine privé peuvent également être qualifiés d'ouvrages publics relevant du régime des
dommages de travaux publics, qui, comme on le verra dans la deuxième partie du cours, est
soumis au droit administratif (v. p.ex. CE (S) 20 nov. 1964 Ville de Carcassonne, AJDA 1965
p.183 concl. Bertrand: compétence administrative en cas de dommage subi par un camion
enlisé par suite de l'affaissement de la chaussée d'un chemin rural).
Ainsi, la séparation des statuts et des contentieux respectifs des deux domaines,
théoriquement claire et tranchée, s'avère en réalité assez tourmentée. Toutefois, malgré le flou
relatif de la distinction, le régime applicable au domaine public diffère sensiblement dans ses
grandes lignes de celui du domaine privé. Nous étudierons dans deux chapitres les aspects
essentiels de cette spécificité, qui concernent d'une part sa protection (chapitre I) d'autre part
son utilisation (chapitre II).

Chapitre I: La protection du domaine public.

Elle est assurée grâce à diverses règles et procédures visant à garantir que les
dépendances domaniales répondront toujours, et le mieux possible, aux besoins auxquels elles
sont affectées. Cette finalité a d'abord été esquissée comme exigence constitutionnelle par le Conseil
Constitutionnel, pour qui "il incombe au législateur lorsqu'il modifie les dispositions relatives au domaine
public de ne pas priver de garanties légales les exigences constitutionnelles qui résultent de l'existence et de la
continuité des services publics auxquels il est affecté" (Décis. du 21 juill. 1994, AJDA 1994 p. 786 note
Gondouin); v. not. E. Fatome: A propos des bases constitutionnelles du domaine public, AJDA 2003 p. 1192).
Elle a été ensuite formulée plus explicitement par le Conseil d'Etat, pour qui "en vertu de l'article 17 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, auquel se réfère le Préambule de la Constitution, la protection
du domaine public est un impératif d'ordre constitutionnel" (CE 21 mars 2003, Syndicat intercommunal de la
périphérie de Paris pour l'électricité et les réseaux, RFDA 2003 p. 903 note Soulié).
Compte tenu de cet objectif, la protection du domaine public revêt deux aspects:
- elle vise à garantir le maintien du bien dans son affectation à l'utilité générale
(usage du public ou service public)
- elle vise à garantir la conservation matérielle du bien, afin de permettre son
utilisation conformément à son affectation.

Section I: La protection en vue de garantir l'affectation à l'utilité générale.

Pour atteindre cet objectif, la construction théorique établie autour de la domanialité


publique implique un certain nombre de contraintes, s'imposant tant à la collectivité
propriétaire, qui ne peut aliéner son bien, qu'aux riverains, qui doivent supporter certaines
servitudes.

1) Le principe de l'inaliénabilité du domaine public.


C'était pour Hauriou la raison même de l'invention de la notion de domaine public. Il
tire ses origines du droit de l'Ancien Régime, notamment de l'édit de Moulins de 1566, qui

22
déclarait inaliénables les bien de la Couronne, afin de prévenir leur dilapidation par le Roi.
Formulé d'abord par la doctrine, puis consacré en droit positif par la jurisprudence, il est
actuellement expressément confirmé par l'article L 52 du Code du domaine de l'Etat, selon
lequel "les biens du domaine public sont inaliénables et imprescriptibles". Invité à plusieurs
reprises à consacrer expressément sa valeur constitutionnelle, le Conseil s'y est cependant
jusqu'à présent refusé, en se bornant à constater que si les auteurs de la saisine invoquaient la
violation du "principe selon eux à valeur constitutionnelle de l'inaliénabilité du domaine
public", les lois contestées prenaient soin de n'ouvrir une possibilité d'aliénation qu'après
transfert dans le domaine privé, et donc, que l'argument manquait en fait (v. p. ex. décis. du
23 juill. 1996 – loi relative à l'entreprise nationale France Télécom –, Rec. p. 99 ).

A - La portée du principe.
A la différence du droit de l'Ancien Régime, inspiré par le souci d'éviter la dilapidation
de richesses de la Couronne, le régime protecteur moderne a lié l'inaliénabilité du bien à son
affectation à l'utilité générale et non à sa nature même. Que cette affectation prenne fin, et le
bien, sortant du domaine public, deviendra aliénable.
On trouve une illustration significative de ce raisonnement dans la démarche suivie par
le Conseil d' Etat à propos de la vente à des agriculteurs des eaux sortant d'un lavoir, en
Corse: "si pendant le temps où elle se trouve dans le lavoir pour y servir aux fins auxquelles
correspond cet ouvrage, l'eau doit être regardée comme étant une dépendance du domaine
public, il ne saurait en être de même une fois qu'elle a cessé d'être affectée à l'usage public en
vue duquel a été créé ledit ouvrage"; elle est donc aliénable à sa sortie (CE 13 fév. 1953
Susini, Rec. p.67). De même, le Conseil Constitutionnel trouve la source de ce qu'il qualifie
d'"exigences constitutionnelles qui s'attachent à la protection du domaine public" notamment
dans "l'existence et la continuité des services publics dont ce domaine est le siège, dans les
droits et libertés des personnes à l'usage desquelles il est affecté "(décision du 26 juin 2003 –
loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit – Rec. p. 382).
Puisque l'inaliénabilité disparaît avec l'affectation, les personnes publiques peuvent
aliéner leur domaine public, à condition de changer sa qualification en le désaffectant. Le
Conseil d'Etat, initialement, admettait que les deux opérations pouvaient être simultanées,
l'acte d'aliénation constituant en même temps l'acte de désaffectation. Mais cette solution, qui
revenait en fait à supprimer purement et simplement la règle de l'inaliénabilité, a finalement
été abandonnée (v. CE 9 mai 1958 Delort, AJDA 1958 p.331 concl. Long: nullité de la
délibération d'un conseil municipal aliénant une place affectée à l'usage du public sans
intervention préalable d'un acte de déclassement).
Ainsi le bien reste-t-il dans le domaine public tant que l'acte de déclassement n'a pas été
pris, même si, en fait, il n'est plus affecté à l'utilité publique: il ne peut y avoir de
déclassement implicite, même quand à l'origine, le bien a été affecté à l'utilité générale sans
décision expresse de classement (v. p.ex. CE 9 nov. 1956 Sté des forges d'Hennebont, Rec.
p.667: inaliénabilité de la plate-forme d'une ligne de chemin de fer alors que la voie a été
déposée).
Cela dit, l'obligation du déclassement préalable s'avère souvent purement formelle:
en général, la compétence appartient à la collectivité propriétaire, qui peut donc, sous réserve
de procéder à cette formalité, disposer de sa dépendance domaniale, d’autant plus facilement
que le juge, parfois appelé à contrôler la procédure, se borne souvent à entériner des situations
de fait. En témoigne, par exemple, sa relative indulgence à l’égard des déclassements de
lignes de chemin de fer (v. not. CE 6 nov. 2000, Comité Somport d’opposition totale à
l’autoroute Caen-Rennes, AJDA 2001 p. 574 note Braud : impossibilité d’utiliser l’exception
d’illégalité de la décision de fermeture de la ligne à l’exploitation à l’occasion du recours
contre le décret de déclassement, qui n’en est pas une mesure d’application; contrôle

23
minimum sur l’opportunité). Dans la perspective de l'ouverture, sous l'impulsion du droit
communautaire, du marché du courrier, la loi du 11 déc. 2001 portant mesures urgentes de
réformes à caractère économique et financier (dite MURCEF) a déclassé (art. 22) les biens
immobiliers appartenant jusque là au domaine public de La Poste, qui peuvent désormais
"être librement gérés et aliénés dans les conditions du droit commun", sous réserve de la
surveillance exercée par l'Etat.

B - Les conséquences du principe.


Pour relative que soit sa portée, le principe d'inaliénabilité a des conséquences
importantes.

a) Nullité des ventes de biens du domaine public.


Elle est constatée par le juge judiciaire, et l'acquéreur ne peut bénéficier des principes
protecteurs habituels du droit civil. Ainsi, l'adage "en fait de meubles, possession vaut
titre"consacré par l'article 2279 du Code civil est inapplicable, non plus que l'article 2280
selon lequel "si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l'a achetée dans une foire ou
dans un marché, ou dans une vente publique, ou d'un marchand vendant des choses pareilles,
le propriétaire originaire ne peut se la faire rendre qu'en remboursant au possesseur le prix
qu'elle lui a coûté" (v. p.ex. Cass Civ. 2 avril 1963 Montagne, précité: esquisse de Seurat
classée dans le domaine public achetée par un brocanteur et revendue à la "Foire à la
ferraille ").
On a soutenu qu'en réalité l'inaliénabilité ne concernerait pas le bien, mais son
affectation: ainsi, en cas d'aliénation, l'acquéreur pourrait conserver la propriété du bien, mais
devrait en maintenir l'affectation. Cette analyse a été défendue par Capitant à partir de
l'interprétation d'un unique arrêt du Conseil d'Etat. Statuant sur un arrêté préfectoral
interdisant l'enlèvement des stalles d'une église vendues à un antiquaire par un conseil
municipal, la Haute assemblée avait rejeté le recours en annulation formé par la commune,
sans pour autant exclure expressément que l'acheteur demeure propriétaire (CE 17 fév. 1932
Cne de Barran, D. 1933 III p.49 note Capitant). Le commentateur en concluait que ce n'était
pas la chose qui était inaliénable, mais son affectation.
Cette démonstration originale a suscité une controverse doctrinale devenue un classique
de la théorie du domaine public. Elle n'a cependant jamais été confirmée par la jurisprudence
ultérieure, et on s'accorde aujourd'hui à reconnaître qu'elle exploitait habilement, mais
abusivement une simple imperfection rédactionnelle: en cas d'aliénation du domaine public,
c'est bien la vente qui est nulle. Mais cette nullité est simplement relative, et peut être
seulement invoquée par l'administration.
L'interprétation de l'affaire Commune de Barran par Capitant a cependant retrouvé une
récente actualité lorsque le gouvernement, désirant dégager des ressources en cédant des
éléments du patrimoine immobilier de l'Etat, a obtenu (art. 34 de la loi du 2 juill. 2003
autorisant le gouvernement à simplifier le droit) que le législateur l'habilite à prendre par
ordonnances les mesures législatives nécessaires pour modifier "les dispositions relatives à la
définition, à l'administration, à la protection et au contentieux du domaine public et du
domaine privé, mobilier comme immobilier, de l'Etat, des collectivités territoriales et des
établissements publics". Le Conseil Constitutionnel a validé cette disposition en considérant
qu'elle ne privait pas de garanties légales les exigences constitutionnelles s'attachant à la
protection de la domanialité publique puisqu'elle ne remettait en cause ni "l'existence et la
continuité des services publics dont ce domaine est le siège", ni "les droits et libertés des
personnes à l'usage desquelles il est affecté", ni "la protection du droit de propriété que
l'article 17 de la Déclaration de 1789 accorde aux propriétés publiques comme aux
propriétés privées" (décis. du 26 juin 2003 précitée). On sait (v. supra) que dans le cadre de

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cette habilitation a été prise l'ordonnance du 19 août 2004 transférant dans le domaine privé
un certain nombre d'immeubles de l'Etat affecté à des services publics. Ce texte a prévu qu'ils
pourraient désormais être "aliénés alors qu'ils continuent à être utilisés par les services de
l'Etat ou d'un établissement public", sous réserve que " l'acte d'aliénation comporte des
clauses permettant de préserver la continuité du service public"(nouvel art. L 54 du Code du
domaine de l'Etat). Ainsi, on pourrait considérer, dans la ligne de l'analyse de Capitant, que
des biens appartenant à une personne publique, que leur affectation à l'utilité générale devrait
normalement intégrer dans le domaine public, peuvent être aliénés à condition que celle-ci
subsiste. Il faut toutefois observer que pour sauvegarder les apparences, l'ordonnance a au
préalable procédé au tour de passe-passe juridique classique consistant à les ranger dans le
domaine privé! La construction théorique demeure donc intacte : la vente du domaine public
reste impossible.

b) Imprescriptibilité du domaine public.


La propriété d'un bien appartenant au domaine public ne peut être acquise par utilisation
ou occupation, même prolongée. Cette règle permet d'éviter une dépossession à l'insu de la
personne publique propriétaire. Ainsi, par exemple, le fait que l'administration ait toléré
l'occupation de certaines parcelles du domaine public par des personnes privées, en acceptant
une délimitation inexacte, ne crée aucun droit au profit des occupants. Le domaine public
maritime, compte tenu du caractère flou et mouvant de ses limites, est à l'origine de la plupart
des applications de ce principe (v. notamment à propos du bassin d'Arcachon CE (S) 13 oct.
1967 Cazaux, RDP 1968 p.887 note Waline: les bassins à huîtres des ostréiculteurs de la
Teste de Buch ne leur appartiennent pas, puisque les parcelles sur lesquelles ils sont
construits, "faisant partie du domaine public, étaient inaliénables et imprescriptibles"; v. ég.
T.C. 24 fév. 1992 Couach, Rec. p.479).
L'imprescriptibilité s'étend à l'action en revendication et à l'action en réparation des
dommages causés au domaine public.

c) Impossibilité d'exproprier le domaine public.


Même si la procédure d'expropriation, comme on le verra ultérieurement, est
conditionnée par l'existence d'une utilité publique, elle est impossible pour les dépendances
du domaine public, inaliénables même au prix d'une procédure exorbitante du droit commun.
La solution a été consacrée dès la fin du XIXème siècle, en particulier par un arrêt de la Cour
de Cassation (Civ. 20 déc. 1897 Chemin de fer d'Orléans et Etat c/ Ville de Paris, S. 1898 I
p.95: refus d'admettre que les voies publiques de la Ville de Paris utilisées pour prolonger la
ligne de Sceaux de Denfert-Rochereau à Luxembourg aient été expropriées tant qu'elles n'ont
pas été désaffectées; v. ég. CE 16 juill. 1909 Ville de Paris c/ chemin de fer d'Orléans, S. 1909
III p.97 note Hauriou: tirant les conséquences de l'absence de mutation de propriété, l'arrêt
indemnise la Ville dépossédée).
L'expropriation devient en revanche possible lorsque la dépendance est transférée
dans le domaine privé à la suite d'une procédure de déclassement. Elle peut même être
amorcée avant celle-ci : la jurisprudence admet en effet que l'inclusion dans une déclaration
d'utilité publique (acte ouvrant la procédure d'expropriation) d'un bien non déclassé au
préalable est légale, puisqu'elle n'entraîne pas par elle-même transfert de propriété, à
condition, toutefois, que le bénéficiaire de la déclaration d'utilité publique ait le pouvoir
de modifier l'affectation (v. p.ex. CE 13 janv. 1984 Cne de Thiais, Rec. p. 6: légalité de
l'inclusion dans une D.U.P. relative à la construction de l'autoroute A86 de terrains
appartenant au domaine public de la commune de Thiais, leur changement d'affectation
pouvant être prononcé par l'Etat, bénéficiaire de l'acte; CE (S) 3 déc. 1993 Ville de Paris c/
Parent et autres, RFDA 1994 p.583 concl. Bonichot: illégalité de l'inclusion de terrains du

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domaine public ferroviaire dans une D.U.P. relative aux opérations d'aménagement du secteur
de la Bibliothèque nationale de France, la Ville de Paris, bénéficiaire de l'acte, n'ayant pas
compétence pour prononcer leur déclassement).
Depuis la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, la nouvelle
rédaction donnée à l'art. L 11-8 du Code de l'expropriation, sans revenir sur ces solutions de
principe, permet d'en atténuer la portée pratique : les biens concernés ne changent pas de
propriétaire, mais leur gestion est transférée à l'expropriant par l'arrêté de cessibilité.

La loi peut également exproprier le domaine public, puisque le principe d'inaliénabilité


n'a pas été consacré avec valeur constitutionnelle. Mais les exemples -relativement nombreux-
de telles mutations de propriété ne peuvent être assimilés à des opérations classiques
d'expropriation: elles ont lieu exclusivement entre personnes publiques, et avec, souvent, pour
objectif, le transfert au nouveau propriétaire des charges d'entretien des dépendances
concernées. Ainsi, la loi de finances du 29 déc. 1971 avait déjà remis 55 000 km de routes
nationales aux départements, avec l'accord des conseils généraux. La loi du 13 août 2004
relative aux libertés et responsabilités locales les leur transfère en totalité, ainsi d'ailleurs que
d'autres dépendances domaniales importantes de l'Etat telles les aérodromes civils autres que
ceux d'intérêt national ou international et les ports maritimes autres que les ports autonomes;.
d) L'impossibilité de constituer des droits réels sur le domaine public.
Les droits réels sont des pouvoirs juridiques portant directement sur une chose. Outre le
droit de propriété, ils comprennent, par exemple, des droits tels l'usufruit, les servitudes, ou
des sûretés telles les hypothèques. Ils confèrent donc à leur titulaire, même s'il n'est pas
propriétaire du bien, un pouvoir très étendu sur celui-ci. C'est pourquoi ils sont considérés
comme incompatibles avec la domanialité publique. Ainsi, si une servitude a été constituée
antérieurement à l'incorporation d'une dépendance dans le domaine public, elle disparaît avec
celle-ci (v. p.ex. CE (S) 11 mai 1959 Dauphin précité: servitude de passage d'un riverain de
l'allée des Alyscamps à Arles). De même, les baux de longue durée tels l'emphytéose (bail
immobilier pouvant aller de 18 à 99 ans), ou le bail commercial (avec droit au maintien dans
les lieux) ont été également jugés "incompatibles avec les principes de la domanialité
publique" (v. CE 23 janv. 1976 Kergo, Rec. p.56: un commerce de fruits installé dans le
chevet de l'église Saint Eustache à Paris ne peut bénéficier d'un bail commercial; CE 6 mai
1985 Sté Eurolat Crédit Foncier de France, Rec. p.141: nullité des clauses d'un bail
emphythéotique concédé à une association, stipulant en outre qu'une hypothèque serait prise
sur les immeubles concernés, et la libre cession du "droit au bail" par son titulaire ; Cass. 3ème
Civ. 20 déc. 2000, Sté Quimper-plaisance, D. 2001, p. 480 note Rouquet : il en va ainsi même
si le contrat est conclu entre deux personnes privées – sous-location du domaine public
maritime pour installer des hangars à bateaux à Quimper).
Cela dit, aujourd'hui, le domaine public est considéré comme une richesse susceptible
de faire l'objet d'une exploitation économique, et sa valorisation implique souvent des
investissements hors de portée des seules personnes publiques auxquelles il appartient. C'est
pourquoi afin d'inciter les entreprises privées à s'associer à la réalisation d'opérations d'intérêt
collectif assises sur des dépendances domaniales, des lois successives ont assoupli les règles
interdisant la constitution de droits réels sur le domaine public, sans pour autant remettre
totalement en cause le principe d'inaliénabilité.
* La loi du 5 janvier 1988 (art. 13) a autorisé les collectivités locales et leurs
établissements publics à consentir sur leur domaine (public et privé) des baux
emphytéotiques, en vue de l'accomplissement d'une mission de service public ou de la
réalisation d'une opération d'intérêt général, en excluant cependant de cette possibilité les
dépendances entrant dans le champ d'application des contraventions de voirie. Le Conseil

26
d'Etat, précisant la portée de cette disposition, a jugé qu'elle permettait la passation de baux
emphytéotiques prévoyant une faculté de résiliation unilatérale par l'administration, et visant à
la réalisation d'un ouvrage mis à sa disposition (CE (S) 25 fév. 1994 SOFAP Marignan
Immobilier, RFDA 1994 p.510 concl. Arrighi de Casanova).
* La loi du 25 juillet 1994, relative à la constitution de droits réels sur le domaine public
a introduit dans le Code du domaine de l 'Etat (Livre II Titre I Chapitre 1er ) une section III
intitulée "occupations constitutives de droits réels", applicable exclusivement au domaine
public artificiel appartenant à l' Etat ou à ses établissements publics.
Elle permet, sauf exclusion expresse, la constitution, au profit du titulaire d'une
autorisation d'occupation du domaine public, d'un droit réel sur les ouvrages, constructions
et installations de caractère immobilier réalisés en vue de l'activité faisant l'objet de
l'autorisation. Ce droit réel produit pour son titulaire "es prérogatives et obligations du
propriétaire" (cession, transmission par héritage, prise d'hypothèques, etc.). Cependant, la
règle d'inaliénabilité subsiste: l'autorisation peut être retirée à tout moment, pour manquement
de l'occupant à ses obligations, ou dans l'intérêt général (il y a alors lieu d'indemniser les
créanciers). En toute hypothèse, la durée maximum de l'occupation est fixée à 70 ans: le
Conseil Constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle une disposition de la loi dépassant cette
limite. Pour le reste, il a jugé que l'article 17 de la Déclaration de 1789 s'applique à la
propriété privée comme à la propriété publique, et qu'il fait obstacle à ce que le domaine
public puisse être grevé de droits réels sans contrepartie appropriée à sa valeur et aux services
publics auxquels il est affecté (décis. du 21 juill. 1994, AJDA 1994 p.786 note Gondouin).
* Les lois des 29 août et 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice et la sécurité
intérieures (nouveaux articles L 34-3-1 et 34-7-1 du Code du domaine de l'Etat) autorisant le recours au bail à
construction et au crédit-bail pour faciliter la construction des commissariats de police et des établissements
pénitentiaires ont repris des principes analogues. En outre, autorisé par la loi du 2 juillet 2003 à créer de
nouveaux types de contrats pour la réalisation d'équipements publics, le gouvernement, dans l'ordonnance du 17
juin 2004 instituant les "contrats de partenariat" a prévu (art. 13) que "lorsque le contrat emporte occupation
du domaine public, il vaut autorisation d'occupation de ce domaine pour sa durée. Le titulaire du contrat a, sauf
stipulation contraire de ce contrat, des droits réels sur les ouvrages et équipements qu'il réalise. Ces droits lui
confèrent les prérogatives et obligations du propriétaire, dans les conditions et les limites définies par les
clauses du contrat ayant pour objet de garantir l'intégrité et l'affectation du domaine public".

En somme, la valeur désormais reconnue aux biens du domaine public soulève des
questions juridiques nouvelles, résolues par réception dans le droit administratif classique de
techniques importées d’autres systèmes normatifs (v. une étude intéressante de S. Nicinski :
" Lease " américain, équipements publics et droit administratif, AJDA 2001 p. 538; v. ég. C.
Combe: Les droits réels sur le domaine public. Ambiguïtés et limites. D.A. 2001, déc. p. 4; M.
Ubaud-Bergeron: Les contradictions du régime de financement privé des ouvrages publics sur
le domaine public de l'Etat, AJDA 2003 p. 1361).
Aux principes qui viennent d'être exposés, on ajoute parfois l'insaisissabilité du
domaine public. Mais cette caractéristique n'est pas propre à cette catégorie de biens, puisque
c'est tout le patrimoine des personnes publiques qui est insaisissable, compte tenu de
l'impossibilité d'utiliser à leur encontre les voies d'exécution du droit privé (v. Cass. 1ère civ.
1987 BRGM, GAJA).

2) Les servitudes de voisinage.


Elles sont imposées aux propriétés privées voisines des dépendances domaniales, afin,
généralement, de permettre une bonne utilisation du bien conformément à sa destination. I1
en existe, outre la servitude d'alignement, déjà évoquée, une multitude, souvent d'origine
ancienne, assorties parfois d'indemnités. On les répartit, traditionnellement, en trois

27
catégories, selon les obligations qu'elles imposent aux propriétaires des fonds qui en sont
grevés.

* Obligations de s'abstenir: interdisent de clore, ou de construire, ou de procéder à


certains autres travaux, ou de planter. Ainsi, les riverains du domaine public militaire ou
aéroportuaire supportent une servitude "non aedificandi" dans un certain rayon autour des
ouvrages concernés. Le juge administratif opère un contrôle normal sur l'appréciation de la
situation invoquée pour justifier la servitude (v. CE (S) 25 sept. 1998 Ministre de
l'équipement, JCP 1999 IV p.116 : eu égard aux perspectives d'évolution du trafic de
l'aéroport de la Rochelle, les contraintes imposées à un parc paysager de qualité situé à
proximité étaient excessives). De même, les riverains des domaines publics fluvial ou
maritime supportent des interdictions diverses (p. ex. de clore à moins de 9,75 m de la rive
d'une voie d'eau bordée par un chemin de halage, de construire à moins de 50 m de la limite
du domaine public maritime sur les terrains ni bâtis ni clos, etc. ).

* Obligations de supporter: imposent des contraintes variables selon les dépendances.


Ainsi, les riverains du domaine public maritime doivent (loi du 31 déc. 1976) laisser libre une
bande de terrain de 3 m de large au delà des limites du rivage, afin de permettre la circulation
des piétons (cette obligation, qui vise à rétablir l'ancien "sentier des douaniers" ne s'applique
en principe pas à moins de 15 m des habitations), ou accepter une utilisation publique de leurs
chemins privés pour permettre l'accès à la mer. Les riverains des voies publiques, eux, doivent
recevoir le dépôt des terres provenant du curage des fossés, et les eaux en provenance de ces
voies, accepter l'arasement de leurs talus gênant la visibilité. Les riverains du domaine fluvial
doivent supporter les charges imposées en ces termes par l'art. 15 du Code du domaine public
fluvial et de la navigation intérieure :
" Les propriétaires riverains des fleuves et rivières inscrits sur la nomenclature des
voies navigables ou flottables sont tenus, dans l'intérêt du service de la navigation et partout
où il existe un chemin de halage, de laisser le long des bords desdits fleuves et rivières, ainsi
que sur les îles où il en est besoin, un espace de 7,80 mètres de largeur
Ils ne peuvent planter d'arbres ni se clore par haies ou autrement qu'à une distance
de 9,75 mètres du côté où les bateaux se tirent et de 3,25 mètres sur le bord où il n'existe pas
de chemin de halage.
Les propriétés riveraines d'un cours d'eau domanial rayé de la nomenclature des
voies navigables ou flottables ou classé dans le domaine public par application de l'article 2-
1 ainsi que les propriétés riveraines d'un lac domanial sont grevées sur chaque rive de cette
dernière servitude de 3,25 mètres , dite servitude de "marchepied". Lorsqu'un cours d'eau est
déjà grevé de la servitude prévue par le décret n° 59-96 du 7 janvier 1959, cette dernière
servitude est maintenue. Tout contrevenant sera passible d'un amende de 274 euros et devra,
en outre, remettre les lieux en état ou, à défaut, payer les frais de la remise en état d'office
par l'Administration".
Le Conseil d'Etat a cependant jugé que la servitude de halage est subordonnée à la
double condition qu'il existe un chemin de halage et qu'il présente un intérêt pour la
navigation (CE 13 fév. 2002, Voies navigables de France, RJEP 2002 p. 606 concl.
Bachellier).
* Obligation de faire: elles concernent surtout les voies publiques, dont les riverains
ont, par exemple, l'obligation de supprimer les murs de clôture, ou de les remplacer par des
grilles (servitude de visibilité, art. L 114-2 Code de la voirie routière), l'obligation de se
raccorder au réseau d'assainissement, lorsqu'il en existe un (art. L 1331-1 Code de la santé
publique), et même, parfois, si les règlements locaux le prévoient, l'obligation de nettoyer, ou,
en hiver, de déglacer les voies et, surtout, les trottoirs.

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Section II: La protection contre les atteintes à l'intégrité du domaine public.

Afin que les dépendances du domaine public répondent toujours correctement aux
besoins correspondant à leur affectation, l'administration a d'abord l'obligation d'assurer leur
entretien, dont la charge est parfois expressément mentionnée comme dépense obligatoire (v.
p. ex. pour les communes l'article L 2321-2 du C.G.C.T., et, pour une illustration, CE 10 juil.
1987 Derez, Rec. p. 254: illégalité du refus d'une chambre régionale des comptes de mettre en
demeure une commune d'inscrire à son budget les crédits nécessaires à la réparation d'une
voie communale dégradée par la crue d'un torrent).
L'administration a également l'obligation de protéger ses biens contre les atteintes
portées par des tiers, qu'il s'agisse de déprédations, ou même, de simples utilisations
anormales ou non conformes à l'affectation.
Le régime protecteur du domaine public combine des mesures préventives (la police de
la conservation) et répressives (les contraventions de voirie).

1) La police de la conservation du domaine public.


Elle se distingue de la police administrative générale à la fois par son objet et par son
champ d'application, puisque alors que la police générale s'exerce sur la totalité du territoire,
y compris sur les propriétés privées en vue de maintenir l'ordre public, elle s'exerce sur le seul
domaine public, dont elle vise à préserver l'intégrité et l'affectation. Ainsi, elle autorise
l'interdiction d'un pont en mauvais état aux véhicules dépassant une certaine charge "afin de
garantir la conservation de cet ouvrage et ainsi la sécurité de ses usagers" (CE 22 oct. 2003,
Sté les sablières de la Perche, BJCL 2004, n° 3 p. 171 concl. Boissard)
En réalité, la distinction n'est pas sans susciter certaines difficultés. Ainsi, lorsque le
titulaire de la police de la conservation d'une voie publique n'a pas également le pouvoir de
police générale sur cette voie, il ne peut y réglementer la circulation qu'en vue de la seule
protection de son intégrité matérielle, et non de la sécurité: c'est le cas, par exemple, pour le
président du conseil général, qui aux termes des art. L 3221-4 du CGCT et L 131-3 du Code
de la voirie routière, est chargé de la police de la circulation sur les voies départementales
"sous réserve des attributions dévolues aux maires (...) et au représentant de l'Etat dans le
département". En revanche, dans sa commune, le maire cumule les pouvoirs de police
administrative générale et de police de la conservation des voies publiques communales. Il
peut donc prendre des réglementations de la circulation à double finalité. Mais celles-ci ne
sont possibles que pour les seules voies communales: sur les routes départementales ou
nationales traversant la commune, le maire ne peut exercer que la police générale.
On pourrait penser que l'utilité générale à laquelle sont affectées les dépendances
domaniales justifie que les personnes publiques propriétaires se voient reconnaître, de plein
droit, la police de la conservation. Il n'en est rien: celle-ci ne se présume pas, et peut
seulement s'exercer lorsqu'un texte l'a expressément prévue. Ainsi, par exemple, les bâtiments
administratifs, les cimetières, les édifices du culte n'y sont pas soumis, mais peuvent relever
de l'exercice de la police générale (v. p. ex. sur l'illégalité d'un arrêté municipal prétendant
réglementer les types de monuments et les plantations dans les cimetières par référence à la
police générale: CE 11 mars 1983 Cne de Bures sur Yvette, Rec. p.104).
Lorsque s'applique la police de la conservation, son titulaire ne dispose pas pour autant
du pouvoir d'intervenir d'office pour mettre fin aux atteintes à l'intégrité matérielle de la
dépendance: la nécessité de maintenir l'affectation à l'utilité générale ne justifie pas l'emploi
de l'exécution forcée, sauf urgence née d'un péril imminent (CE 20 mars 1968 Entreprise
Lioté, Rec. p.l95: enlèvement d'un panneau publicitaire justifié par l'urgence puisqu'il

29
compromettait la visibilité d'un carrefour de deux routes importantes), ou texte spécial (ainsi,
depuis la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière, l'art. L. 113-3 du
code de la voirie routière prévoit que "le gestionnaire du domaine public routier peut, dans
l'intérêt de la sécurité routière, faire déplacer les installations et les ouvrages situés sur ce
domaine aux frais de l'occupant dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat").
Cependant, même si elle porte atteinte au droit de propriété ou à une liberté
fondamentale, l'exécution forcée irrégulière consistant à détruire une installation illégalement
implantée sur le domaine public (ou même privé) n'est pas une voie de fait pour les
juridictions administratives (CE (S) 8 avr. 1961 dame Klein, Rec. p.216: destruction d'une
clôture empiétant sur un chemin rural; CE (S) 20 juin 1980 Commune d'Ax-les-Thermes,
AJDA 1980 p.551: destruction du socle d'une grue édifié sur une route nationale) : elle se
rattache au pouvoir général reconnu à l'administration, même sans texte, de protéger les biens
dont elle est propriétaire. La Cour de Cassation, elle, ne semble pas témoigner de la même
indulgence (v. Civ. 1ère 30 mars 1999 Commune de Kientzheim, D. 1999 IR p.121 : en
l'absence d'urgence, la reprise d'office d'une parcelle du domaine public sans intervention du
juge constitue une voie de fait). Quant au Tribunal des Conflits, il juge qu’une menace
d'expulsion du domaine public qui ne se fonde sur aucune décision juridictionnelle et
n’invoque ni urgence ni circonstances exceptionnelles, mais ne fixe pas une date d’exécution
précise n'est pas une voie de fait (TC 5 juill. 1999 Préfet du Calvados, D. 1999 IR p.233).
Les atteintes à la police de la conservation du domaine public doivent donc
normalement être déférées au juge, qui ordonnera qu'il y soit mis fin, et sanctionnera leurs
auteurs.
Compte tenu de l'habituelle lenteur de la procédure administrative contentieuse, il n'est
pas rare que ce soient les juridictions judiciaires, réputées plus rapides, qui soient saisies en
référé de demandes d'expulsion contre les occupants sans titre du domaine public. Le Tribunal
des Conflits a rappelé qu'elles sont généralement incompétentes, puisque relèvent "des
juridictions administratives, sous réserve de dispositions législatives spéciales, et sauf le cas
de voie de fait ou dans celui où s'élève une contestation sérieuse en matière de propriété, les
litiges nés de l'occupation sans titre du domaine public, que celle-ci résulte de l'absence de
tout titre d'occupation ou de l'expiration pour quelque cause que ce soit, du titre
précédemment détenu" (TC 24 sept. 2001, Sté BE Diffusion c/ RATP, RJEP avril 2002 p. 217
note Yolka : à propos de l'expulsion d'un commerçant occupant un local dans la station de
métro "Les halles"). La compétence de principe du juge administratif connaît cependant une
exception notable lorsque est en cause la protection du domaine public routier, dont l'art. L
116-1 du Code de la voirie routière confie le contentieux aux tribunaux judiciaires (v. p. ex.
TGI Paris, 11 janv. 2002, Ville de Paris c/ SARL la Grande Roue de Paris, AJDA 2002 p. 445
note Dufau, à propos de l'occupation du domaine public routier, place de la Concorde).
Afin de prendre des mesures protectrices rapides selon une procédure d'urgence, le juge
administratif des référés, qui, longtemps ne s'est reconnu que des pouvoirs très réduits, a
toujours fait preuve, sur ce terrain, d'une hardiesse particulière. Ainsi, il acceptait le recours
d'un maire même sans autorisation préalable de son conseil municipal (CE (S) 28 nov. 1980
Ville de Paris c/ Ets Roth, Rec. p.446 concl. Costa), et ordonnait l'expulsion des occupants
sans titre de la dépendance (CE (S) 28 nov. 1980 Sté d'exploitation des sous-produits des
abattoirs et autres, AJDA 1981 p.371 concl. Costa: expulsion immédiate des bouchers restant
installés dans les abattoirs de Versailles, fermés pour vétusté). Il acceptait également
d’ordonner la cessation provisoire de travaux portant atteinte au domaine public, sans pour
autant exiger la remise des lieux en leur état antérieur, car cette mesure préjudicie au principal
(CE (S) 25 janv. 1980 Sté des terrassements mécaniques, AJDA 1980 p.615, concl.
Rougevin-Baville: travaux d'extraction de galets du lit de la Durance). Les nouvelles

30
procédures de référé n’ont fait que confirmer ces solutions (v. pour une application du référé
conservatoire de l’art. L 521-3 CJA : CE 6 avril 2001, Min. de l’Education, RFDA 2001 p.
768 : injonction de quitter les lieux faite aux occupants sans titre d’un logement de fonctions
dans l’ancien Collège Sainte-Barbe sous astreinte de 500F par jour de retard, et expulsion
ordonnée à l’expiration d’un délai d’un mois). Afin qu'une éventuelle expulsion ne puisse être
ordonnée lorsqu'un occupant du domaine public a été déchu de son autorisation par un acte
dont il conteste la légalité, le Conseil d'Etat a jugé que le juge des référés doit rechercher si
l'illégalité invoquée est de nature à soulever une contestation sérieuse de la mesure demandée
par l'administration (CE (S) 16 mai 2003, SARL Icomatex, AJDA 2003 p. 1023).

2) Les contraventions de voirie.


L'expression désigne globalement le régime pénal sanctionnant les atteintes portées aux
règles régissant la protection du domaine public, même lorsqu'elles ont lieu sur des
dépendances autres que les voies publiques.
La répression des contraventions de voirie est soumise à un régime différent selon les
dépendances en cause. La distinction, au sein du domaine, de deux catégories de biens,
entraîne l'existence de deux types d'infractions.

A - Les contraventions de voirie routière.


Elles sanctionnent les atteintes à l'intégrité des voies publiques et de leurs accessoires.
Jusqu'en 1926, ces dépendances n'étaient soumises à un régime spécifique que pour la seule
"petite voirie", qui ne comprenait que les voies communales. Les autres voies relevaient du
régime général réprimant les atteintes à l'intégrité du domaine public.
Désormais, afin d'unifier le régime de répression des atteintes aux polices de la
circulation et de la conservation, les contraventions de voirie routière relèvent du juge
judiciaire (article L 116.1 code de la voirie routière), même si le dommage a été causé à
l'occasion d'un travail public (T.C. 25 avril 1994 Morelli, Rec. p.933).
Il peut s'agir, par exemple, de dégradations causées à la voie elle-même (v. not. CE 28
fév. 1977 Ville de Bagnères de Bigorre, Rec. p.665: affaissement d'un parc de stationnement
sous le poids d'un camion trop lourd), mais également d'atteintes aux équipements
accessoires de la voirie. Ceux-ci sont définis de manière nuancée par la jurisprudence: il ne
suffit pas qu'ils soient physiquement liés à la voie, encore faut-il qu'ils assument une certaine
fonction en relation avec la circulation. Ainsi, les feux tricolores, bornes lumineuses,
panneaux de direction, lampadaires, voire même les bacs à fleurs agrémentant un carrefour,
sont des accessoires de la voie publique, et leur dégradation constitue une contravention de
voirie routière. En revanche, ne sont pas accessoires les cabines téléphoniques (v. CE 24 oct.
1984 Ministre des P et T c/ Anselin, Rec. p.618), ou les barrières des passages à niveau (v. CE
4 mars 1936 Ministre des travaux publics, Rec. p.278).
Les contraventions de voirie routière, bien que relevant du juge pénal, sont soumises à
un régime présentant certaines particularités. Ainsi, si elles se prescrivent, comme les autres
contraventions, par un an, l'action civile en réparation, elle, est insusceptible de prescription
(art. L 116-6 code de la voirie routière), puisque le domaine public est imprescriptible.
On observera que le dispositif répressif ainsi établi ne donne pas au juge judiciaire une
compétence exclusive pour se prononcer sur les dégradations causées aux voies publiques. En
effet, le Code de la voirie routière prévoit également un régime spécial d'indemnisation pour
les routes départementales (art. L 131-8) ou communales (art. L 141-8) entretenues en état de
viabilité et habituellement empruntées par des véhicules dont la circulation entraîne des
détériorations anormales, sous forme de contribution obligatoire versée par les responsables,
réglée, à défaut d'accord amiable, par les tribunaux administratifs.

31
B - Les contraventions de grande voirie.
Elles relèvent d'un régime répressif spécial, exorbitant du droit commun, confié aux
juridictions administratives statuant, exceptionnellement, dans le cadre d'une fonction pénale
héritée des anciens conseils de préfecture qui en avaient été investis par les lois des 28
pluviôse an VIII et 29 floréal an X.

a) Les caractères généraux.


Le contentieux des contraventions de grande voirie présente, schématiquement, trois
particularités.
* Il est protecteur: sa finalité est moins de sanctionner le contrevenant que de réparer
au plus vite l'atteinte portée à la dépendance, en la rétablissant dans son affectation normale.
* I1 est objectif: il punit des faits matériels, et non des intentions ou des comportements
coupables. De longue date, il a été admis qu'il pouvait concerner des personnes morales, bien
avant que leur responsabilité pénale ne soit admise, devant les juridictions répressives
classiques, par le nouveau Code pénal.
* Il est mécanique, et laisse, de ce fait peu de marge d'appréciation au juge: les
poursuites sont exercées contre la personne, physique ou morale, privée ou publique
apparaissant objectivement à l'administration comme auteur de l'atteinte à la dépendance,
même si, en application des règles habituelles, elle ne peut en être tenue pour responsable.

b) Le régime juridique.
* Existence de l'infraction. L'infraction doit être constatée par procès-verbal, dressé
par un officier de police judiciaire, ou par des autorités variables selon la dépendance en
cause (p. ex. officiers de port pour les ports maritimes, contrôleurs des travaux publics de
l'Etat pour le domaine fluvial, agents assermentés de la SNCF, etc.). Compte tenu du caractère
pénal de la procédure, les exigences de l'article 6 de la Convention européenne des droits de
l'homme relatives aux droits des justiciables s'imposent. Ainsi, par exemple, la rédaction et la
notification d'un procès-verbal en français à un étranger ne comprenant pas cette langue
constituent une irrégularité justifiant la relaxe (TA Lille 30 mars 1995 Voies navigables de
France, Rec. p.574: relaxe du capitaine d'un automoteur ayant détérioré un poste d'accostage
sur un canal, puisque néerlandais, il soutenait n'avoir pas compris le procès-verbal qui lui
avait été notifié).
En toute hypothèse, le principe classique de notre droit pénal nullum crimen, nulla
poena sine lege limite les possibilités de poursuites aux cas prévus par des textes exprès.
Ainsi, par exemple, les articles L 282-1 à 17 du Code de l'Aviation civile prévoient la
répression des atteintes à l'intégrité du domaine public aéroportuaire, pour lesquelles "le
tribunal administratif dispose de tous les pouvoirs reconnus au juge des contraventions de
grande voirie" (art. L 282-14 al. 2). Il existe en revanche des dépendances domaniales qui
faute de texte sont insusceptibles d'être à l'origine de contraventions de grande voirie: c'est le
cas, comme il l'a été dit précédemment, pour les cimetières, les édifices du culte, ou les
bâtiments administratifs (v. p.ex. CE 27 mars 2000 Min. de l’Equipement c/Sinigalia, D. 2000
IR p.127 : la répression des contraventions de grande voirie en application de l’ordonnance
sur la Marine d’août 1681 n’est possible que pour les atteintes au domaine public maritime, et
ne peut donc être engagée contre une discothèque construite sur le domaine public, mais hors
des limites du domaine public maritime).Elles peuvent cependant donner lieu à des infractions
pénales classiques, telles, par exemple, que la dégradation de monuments publics (art. 322-2
NCP).
Ainsi, la loi du 26 juill. 1996 a mis fin à la protection particulière dont bénéficiaient les
biens de l’exploitant public France Télécom du fait du régime des contraventions de grande
voirie, dans un souci d’égalisation de la concurrence. L’atteinte aux installations de

32
télécommunications, quel que soit leur propriétaire, est désormais un délit pénal classique
(art. L 65 du Code des PTT ; v. CE (S) 23 avril 1997, Préfet de la Manche, Rec. p. 153)
* Déclenchement des poursuites. Il appartient aux autorités de l'Etat, et, plus
spécialement, au préfet, chargé par l'article L 774-2 du Code de justice administrative, de
notifier le procès verbal au contrevenant et de le citer à comparaître. Ainsi, au temps où
France Télécom avait encore un domaine public, bien que la loi du 2 juillet 1990 lui ait
transféré en pleine propriété l'ensemble des biens immobiliers du domaine public de l'Etat
attachés aux services relevant de la direction générale des télécommunications, en précisant
que le nouvel exploitant public dispose d'un domaine public, seul le préfet avait qualité pour
engager les poursuites en cas d'atteinte à l'intégrité et à la conservation du domaine public de
France Télécom. L'appel relevait de la compétence du ministre (CE (Avis) 2 mars 1994 Min.
des P et T c/ entreprise Plubel, Rec. p.107).
On a parfois constaté que l'administration, adoptant une attitude sélective, tendait à
poursuivre plus volontiers les atteintes mineures (p. ex. véhicule endommageant un pylône
électrique ou une cabine téléphonique), en laissant impunies des infractions plus sérieuses à la
protection du domaine public, notamment maritime. On s'est donc interrogé sur la marge
d'appréciation dont elle dispose quant à l'opportunité d'engager les poursuites.
Le Conseil d' Etat a apporté une réponse de principe dans un arrêt rendu sur recours
d'une association de protection d'un site breton demandant qu'un propriétaire privé accaparant
des parcelles du domaine public maritime soit mis en demeure de les restituer. De la décision
rendue à cette occasion (CE (S) 23 fév. 1979 Min. de l'équipement c/ Association des amis
des chemins de ronde, Rec. p.75 concl. Bacquet), ainsi que de la jurisprudence ultérieure, il
découle que les autorités compétentes ont l'obligation de veiller à l'utilisation normale du
domaine public, et doivent user de tous les pouvoirs dont elles disposent pour faire cesser les
atteintes à son intégrité, notamment les occupations sans titre, au besoin en saisissant le juge
des contraventions de grande voirie.
Le refus de saisine est susceptible de recours pour excès de pouvoir. Il est illégal s'il est
fondé seulement sur des raisons de simple convenance administrative : l'administration n'a
pas un pouvoir discrétionnaire d'apprécier l'opportunité des poursuites. En revanche, il est
légal s'il se prévaut de motifs tirés de l'intérêt général ou de l'ordre public.
Ainsi, le refus opposé aux Amis des chemins de ronde, non justifié par ces
considérations, était illégal. En revanche, celui opposé à une autre association incriminant
l'empiétement d'une conserverie sur le domaine public maritime était légal: l'entreprise,
installée depuis plus de vingt ans, devait être prochainement transférée ailleurs, et le préfet
pouvait prendre en compte les inconvénients économiques et sociaux devant résulter de
l'interruption immédiate de son activité (CE 6 fév. 1981 Comité de défense de la Forêt-
Fouesnant, Rec. p.745; v. ég. CAA Nantes 14 oct. 2003, Cacheux, AJDA 2003 p. 2007:le
refus de poursuivre Total-Fina-Elf pour contravention de grande voirie à raison de la
pollution des rivages de la mer par le fuel du pétrolier "Erika" est légal car la mise en oeuvre
de cette procédure répressive risquait d'avoir une incidence négative sur la négociation
amiable de l'indemnisation avec la compagnie).
Si le refus de poursuite cause un dommage, l'administration pourra être condamnée à le
réparer. En effet, s'il est illégal, il constitue une faute (v. CE 15 juin 1987 Sté navale des
chargeurs Delmas-Vieljeux, Rec. p.217: l'abstention des autorités de police de s'opposer aux
barrages de marins-pêcheurs obstruant le port du Havre constitue une faute lourde). S'il est
légal, il peut créer un préjudice anormal et spécial justifiant l'application d'un régime de
responsabilité sans faute, pour rupture de l'égalité devant les charges publiques (CE 22
juin 1984 Secrétaire d'Etat chargé de la mer c/ Sté Sealink UK ltd, Rec. p.246: indemnisation
de la requérante à raison de l'interruption du trafic provoquée par le blocage du port de
Boulogne par les marins-pêcheurs).

33
Le Conseil d'Etat a jugé que le déclenchement de poursuites pour contravention de
grande voirie n'interdit pas à l'administration d'engager parallèlement, une procédure de référé
de l'art. L 521-3 du Code de justice administrative tendant à l'expulsion immédiate de
l'occupant sans titre du domaine public (CE 26 juin 2002, Everaert, à propos de l'occupation
d'une maison d'éclusier appartenant à Voies Navigables de France)

* Personnes responsables. Selon les termes employés par le Conseil d'Etat, "la
personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est soit celle qui a
commis ou pour le compte de laquelle a été commise l'action qui est à l'origine de
l'infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l'objet qui a été la cause de la
contravention" (CE 27 fév. 1998 Min. de l'équipement c/ Sté Sogeba, RFDA 1998 p.459). Le
juge refuse donc de remonter dans l'enchaînement de la causalité, s'en tenant à une
détermination quasi-automatique du responsable, dans des conditions parfois choquantes.
Ainsi, alors qu'un tribunal maritime a reconnu la responsabilité d'un bateau pilote, dans
l'abordage d'un chalutier, c'est le capitaine de celui-ci qui a été reconnu responsable de la
contravention de grande voirie résultant de la pollution des eaux du port par le mazout
échappé de ses soutes (CE 1er juil. 1983 Lajarin, Rec. p.297).
De même, la jurisprudence administrative a longtemps refusé d'admettre que le
propriétaire d'un véhicule volé n'en est plus le gardien, et ne peut donc être tenu pour
responsable des dégradations qu'il provoque (CE (S) 12 fév. 1965 Chotard-Chavanon, Rec. p.
109: propriétaire d'un véhicule volé responsable de dommages causés à un passage à niveau),
alors que la Cour de Cassation, statuant sur des dégradations causées à la voirie routière (p.
ex. à des feux de circulation), retenait la solution inverse. Après avoir adopté une démarche
plus nuancée, tenant compte des circonstances du vol (v. not. CE 24 oct. 1984 Min. des PTT
c/ Anselin, Rec. p.618: responsabilité du propriétaire d'un véhicule laissé ouvert, clé de
contact au tableau de bord; CE, même réf. Min. des PTT c/ Infaillibile: relaxe pour le
propriétaire d'un véhicule laissé fermé, antivol verrouillé), le Conseil d’Etat a opéré un
revirement : le propriétaire d’un véhicule volé ne peut être tenu pour l’auteur de la
contravention de grande voirie dès lors qu’il n’en est plus le gardien (CE (S) 5 juill. 2000
Min. de l’Equipement c/Chevallier, Rec. p. 294 concl. Arrighi de Casanova).

* Cas d'exonération. Le fait d'un tiers étant très rarement admis comme cause
d'exonération, la personne poursuivie peut tenter d'invoquer la force majeure, reconnue
restrictivement (v. cependant CE 31 janv. 1986 Payan, Rec. p.526: la grève surprise de la
totalité du personnel de manœuvre d'un navire a empêché l'exécution du mouvement
commandé par les officiers de port dans des conditions constituant une force majeure pour le
capitaine). Est également assimilé à la force majeure le fait de l'administration lorsqu'il
apparaît à l'origine de l'atteinte incriminée (v. p. ex. CE 9 oct. 1981 Nerguissian, Rec. p.746:
pont détruit par un camion de hauteur inférieure à 4m, alors qu'un panneau indiquait une
hauteur libre de 4,15m; CE 13 mai 1983 Sté Lambert, Rec. p.719: entreprise chargée de curer
une rivière endommageant un câble téléphonique immergé, non protégé et non signalé; CE 4
fév. 1983 Ministre des transports c/ Bleusse, RDP 1983 p.l678: fonctionnement défectueux
des barrières d'un passage à niveau automatique, etc.).
La personne mise en cause peut aussi, lorsque la contravention de grande voirie consiste
en une occupation du domaine public après retrait d'une autorisation, opposer l'exception
d'illégalité en contestant la mesure de retrait. Cette possibilité a été longtemps refusée à raison
du caractère mécanique du contentieux (v. p. ex. CE 22 Fév. 1955 Ministre des travaux
publics et port autonome du Havre, Rec. p. 87: "en admettant que le refus de renouveler
l'autorisation d'occupation précédemment accordée soit entaché d'illégalité, cette
circonstance n'est pas de nature à effacer la contravention de grande voirie résultant de

34
l'occupation sans titre du domaine public"). Puis elle a été admise à la suite d'un revirement
(CE (S) 26 juill. 1982 Boissier, Palanque et Henri, Rec. p.302 concl. Dondoux: occupants de
pontons sur les rives du chenal maritime du Grau du Roi dont les autorisations n'avaient pas
été renouvelées). L'exception d'illégalité n'est cependant pas perpétuelle: elle doit être
soulevée dans le délai du recours contentieux, condition limitant sensiblement son intérêt.

* La condamnation. Elle peut se décomposer en deux parties, l'une constituée par


l'amende proprement dite, l'autre correspondant à la réparation du dommage subi par
l'administration, qui peut demander le remboursement des frais de remise en état de la
dépendance et d'établissement du procès-verbal (au cas où aucun dommage n'a été causé, par
exemple circulation non autorisée d'un véhicule sur un chemin de halage, la condamnation
porte seulement sur les frais du procès-verbal).
Le prononcé de l'amende est soumis aux principes régissant la procédure pénale: il n'est
possible que s'il est prévu par un texte, et si l'infraction n'a pas été amnistiée ou prescrite
(s'agissant de contraventions, le délai de prescription est d'un an, mais l'action en réparation,
elle, ne s'éteint ni par l'amnistie ni par la prescription, compte tenu des caractères particuliers
du domaine public, notamment de son imprescriptibilité). Le juge, si l'infraction est
constituée, ne dispose d'aucun pouvoir d'appréciation, il doit prononcer l'amende, et ne peut
en dispenser le contrevenant, même s'il lui reconnaît des circonstances atténuantes (CE 9 fév.
1979 Secrétaire d' Etat aux P et T c/ entreprise Pages, Rec. p.58).
Prévues par des textes souvent anciens, les amendes d'un montant initialement élevé,
sont parfois devenues, au fil du temps, insignifiantes et peu dissuasives pour les
contrevenants. Lorsque l'administration a tenté d'obtenir que leur soient appliqués les taux
plus élevés prévus pour les contraventions de police, le Conseil d'Etat a refusé cette
substitution, au motif que "les contraventions de grande voirie, bien que sanctionnées par des
amendes pénales, ne sont pas, compte tenu de leur objet et de leur régime particulier,
notamment des règles de procédure et de compétence qui leur sont applicables, des
contraventions de police" (CE 22 juin 1987 Secrétaire d'Etat chargé de la mer c/ Rognant,
AJDA 1988 p.60 note Pretot: l'amende devant sanctionner le prélèvement de sable à l'aide
d'engins mécaniques sur une plage bretonne n'est pas celle prévue par le décret du 18 juillet
1980 régissant les 5 classes de contraventions de police, mais celle de la loi du 23 mars 1842,
soit 500 F). C'est pourquoi le décret du 25 février 2003 a expressément prévu que les
contraventions de grande voirie commises sur le domaine public maritime seraient
sanctionnées des peines applicables aux contraventions de 5ème classe.
Faute de pénalité significative, l'administration, à titre de compensation, tend parfois à
évaluer largement le montant du dommage. Le juge estime qu'il n'est pas nécessaire qu'elle
établisse avoir engagé une dépense équivalente pour assurer la remise en état, et ne remet en
cause l'indemnité demandée que si elle lui parait anormale (v. p.ex. CE 29 juill. 1983 Adam
et autres, Rec. p.343: 6000 F d’amende et 67 500 F de dommages-intérêts pour extraction de
sable sous-marin non autorisée).
Sur demande de l'administration, le juge peut également imposer au contrevenant
d'assurer lui-même la remise en état (CE (S) 8 mars 1968 Sté l'industrielle et commerciale de
la SAMIC, Rec. p.177), ou de mettre fin sous astreinte à l'occupation illégale de la
dépendance (CAA Paris 3 avr. 1990 Ministre des transports et de la mer c/ Andresz, Rec.
p.434: condamnation du propriétaire d'un bateau-habitation stationnant sans autorisation sur
la Seine à Puteaux, à évacuer non seulement l'emplacement occupé, mais également le
domaine public fluvial dans son ensemble).
On observera pour conclure sur ces questions soulevant en pratique des problèmes très
complexes, que le caractère composite du régime des infractions à la police de la conservation
du domaine public est parfois expressément consacré par la loi pour certaines dépendances:

35
ainsi le Code de l'environnement (art. L 218-10 à 31) réprime la pollution de la mer par les
hydrocarbures en divisant le contentieux: l'amende et l'emprisonnement sont prononcés par
les juridictions judiciaires, la réparation relève du juge administratif.

Chapitre Il: L'utilisation du domaine public.

Les conditions dans lesquelles est utilisé le domaine public varient selon les
dépendances, leur affectation, et les personnes auxquelles elles appartiennent. Généralement,
on les distingue en fonction de leur caractère collectif ou privatif. Ce sont ces deux modes
d'utilisation qui seront étudiés ici, après quelques indications sommaires sur les différents
éléments susceptibles de les affecter.

Section I: Les éléments déterminants: propriété, mise à disposition, affectation.

Dans le cas de figure le plus simple, la dépendance domaniale est la propriété d'une
collectivité publique, qui a compétence pour en définir l'affectation (la destination), et l'utilise
dans le cadre de ses activités. C'est donc la même personne qui possède le bien, lui attribue
une fonction déterminée, et en dispose.
Mais il existe également des cas, en nombre non négligeable, dans lesquels une
dissociation est opérée entre ces trois éléments. Cette pratique, en développement, est rendue
possible, pour l'essentiel, par l'inégalité existant entre les collectivités publiques dont l'une,
l'Etat, domine les autres, et peut leur imposer sa volonté quant à l'utilisation des biens du
domaine public, au nom de l'intérêt national.
Ainsi, parfois, la collectivité publique propriétaire n'est pas libre d'affecter elle-même
son bien: l'affectation lui est imposée par une autre collectivité, l'Etat.
Parfois, également, la collectivité propriétaire affecte le bien, mais à des activités
d'intérêt général qui sont assurées par une autre collectivité publique. Celle-ci obtiendra la
mise à disposition du bien, sans en devenir pour autant propriétaire.
Ces dissociations, connues habituellement sous le nom de "mutations domaniales",
soulèvent des questions complexes, puisqu'elles créent des relations juridiques croisées entre
les diverses collectivités concernées, en enlevant à la propriété certains de ses attributs
habituels. Elles contribuent ainsi à alimenter le débat sur la qualification du droit des
collectivités publiques sur leur domaine public.

1 - La possible dissociation entre droit de propriété et maîtrise de l'affectation.


Elle résulte toujours de la volonté de l'Etat. Celle-ci peut s'exprimer d'abord par voie
législative pour régler des cas généraux. Ainsi, les cimetières sont propriété des communes,
mais c'est le préfet qui autorise leur création, leur extension ou leur translation (CGCT art. L
2223-I). De même, les églises ouvertes au culte lors de l'adoption de la loi de 1905 restent
propriété des communes, mais leur désaffectation n'est possible que par l'Etat (décret ou loi
selon le cas, art. 13 loi 9 déc. 1905). Une solution analogue a été retenue pour le transfert aux
départements de la propriété de l'essentiel des routes nationales, prévu par la loi du 13 août
2004 "relative aux libertés et responsabilités locales" : l'Etat, ancien propriétaire, conserve la
maîtrise sur la cohérence et la qualité technique du réseau routier (nouvel art. 111-1 du Code
de la voirie routière).
La volonté de l'Etat peut également s'exprimer par voie administrative, pour
régler des cas particuliers. Cette possibilité a été confirmée à l'occasion de l'affaire, déjà
évoquée précédemment, de l'extension de l'ancienne ligne de Sceaux sur le territoire de la
Ville de Paris: un décret du 14 déc. 1889 avait imposé à celle-ci la transformation de certaines

36
de ses voies publiques en voies ferrées pour permettre le passage, jusqu'à son futur terminus
du Luxembourg, de cette ligne à l'époque gérée par la Compagnie de Paris à Orléans.
Dans ses conclusions sur une des nombreuses instances engendrées par cette affaire, un
commissaire du gouvernement expliquait que le principe d'inaliénabilité du domaine public,
qui interdit l'expropriation des biens immobiliers des collectivités territoriales, risquerait en
pratique de conduire à un blocage dans la réalisation d'équipements d'intérêt national en cas
d'opposition de celles-ci, sur lesquelles "le pouvoir central n'a pas d'action et à qui il ne peut
forcer la main". Le Conseil d'Etat, suivant ce raisonnement, a admis qu'il devait exister "une
servitude d'utilité publique" pesant sur le domaine public des collectivités locales au profit de
l'Etat (v. concl. Teissier sur CE 16 juill. 1909 Ville de Paris c/ Cie du chemin de fer d'Orléans,
Rec. p.707, S. 1909 III p. 97 note Hauriou). Hauriou, critique, dénonçait une doctrine
centralisatrice, qui, pour lui, procédait "de l'idée latente d'une sorte de domaine éminent que
conserverait l'Etat sur le domaine public des administrations locales", et s'élevait contre une
solution conservant un droit de propriété à son titulaire alors que l'affectation donnait à une
autre personne les effets utiles de ce droit: pour lui, en effet, "on est propriétaire ou on ne
l'est pas".
La libre administration des collectivités territoriales mentionnée à l'article 72 de la
constitution n'a pas remis en cause cette possibilité: le Conseil d'Etat admet aujourd'hui que
"sans que la propriété d'aucune partie du domaine public soit aliénée, celui-ci peut recevoir,
dans un intérêt public, une affectation différente" (avis Assemblée générale du 27 janv. 1977,
cité par le commissaire du gouvernement Genevois, concl. sur CE (S) 20 fév. 1981
Association pour la protection du site du vieux Pornichet, AJDA 1981 p.259). Ainsi, par
exemple, des biens appartenant à une commune peuvent, sans son accord, et sans
déclassement préalable, changer d'affectation par arrêté ministériel ou par décret, tout en
demeurant propriété communale (CE 13 janv. 1984 Cne de Thiais, Rec. p.6). De même,
comme on l'a vu plus haut, lorsqu'une dépendance du domaine public est incluse dans une
procédure d'expropriation, l'arrêté de cessibilité impose à la collectivité publique propriétaire
de l'affecter à l'opération prévue par l'expropriant, qui s'en voit transférer la disposition (art. L
11-8 Code de l'expropriation).

2 - La possible dissociation entre droit de propriété et disposition du bien.


Dans certaines hypothèses, la collectivité publique propriétaire conserve en principe la
compétence d'affecter le bien, mais, compte tenu de l'affectation choisie, en fait abandon
partiel à une autre collectivité, chargée d'assurer la fonction à laquelle il a été affecté.
Là encore, c'est l'Etat qui apparaît, en définitive, comme le seul maître du jeu.
I1 peut d'abord procéder par voie administrative, pour régler des cas particuliers,
par exemple en accordant à une commune la disposition d'une parcelle de son domaine public
maritime, en vue de la construction d'un ouvrage d'accès à un port de plaisance (CE (S) 20
fév. 1981 Association pour la protection du site du vieux Pornichet, précité). Les adversaires
du projet soutenaient que la commune aurait du être traitée comme un particulier, et obtenir
une concession d'occupation du domaine public, mais le Conseil d'Etat, dans un considérant
de principe, a jugé que "les dépendances du domaine public, y compris celles du domaine
public maritime, peuvent recevoir toute affectation compatible avec leur caractère domanial,
et, à cette fin, être remises sans formalité, et notamment sans enquête, à la collectivité
chargée de la conservation du domaine correspondant à leur nouvelle affectation"; v. ég. CE
23 juin 2004, Commune de Proville, AJDA 2004 p. 2150.
L 'Etat peut également procéder par voie législative. A cet égard les transferts
opérés, dans le cadre de la nouvelle répartition des compétences entre services centraux et
collectivités territoriales par les lois des 7 janvier et 22 juillet 1983 sont significatifs.

37
Ainsi, pour les activités de l'Etat transférées aux collectivités territoriales, la loi du 7
janvier 1983 prévoit (art. 19 al. l) que "le transfert d'une compétence entraîne de plein droit
la mise à la disposition de la collectivité bénéficiaire des biens meubles et immeubles utilisés,
à la date du transfert, pour l'exercice de cette compétence".
L'opération présente apparemment toutes les caractéristiques d'un transfert de propriété,
puisque selon l'article 20 de la loi, "la collectivité bénéficiaire de la mise à disposition assume
l'ensemble des obligations du propriétaire, (...) possède tous pouvoirs de gestion, (...) peut
autoriser l'occupation des biens remis, (...) peut procéder à tous travaux de reconstruction, de
démolition, de surélévation, ou d'addition de constructions propres à assurer le maintien de
l'affectation des biens" etc. Pourtant, le droit de propriété initial n'est pas éteint, mais est
seulement mis en sommeil pour la durée de l'affectation. L'article 21 dispose en effet qu' "en
cas de désaffectation totale ou partielle des biens (...) la collectivité propriétaire recouvre
l'ensemble de ses droits et obligations sur les biens désaffectés".
Ainsi, par exemple, la réforme de 1983 a confié aux départements l'action sociale et la
santé, entraînant mise à leur disposition des dispensaires et centres de protection maternelle et
infantile appartenant à l'Etat. Une solution identique a été retenue par la loi du 12 juillet 1999
pour les biens des communes affectés à des services désormais transférés aux établissements
publics de coopération intercommunale.
A l'inverse, certaines charges, supportées jusque là en matière de service public de la
justice ont été transférées à l'Etat par la réforme de 1983, et corrélativement, la loi du 22
juillet a prévu que les biens qui y sont affectés et " sont la propriété d'une collectivité
territoriale ou pris par elle à bail sont mis à la disposition de l'Etat".

Section II: Les types d'utilisation du domaine public et leurs caractères essentiels.

Compte tenu de la variété des dépendances domaniales, leurs modes d'utilisation sont
divers. La présentation habituelle distingue deux grandes catégories d'utilisations:
• Les utilisations collectives, lorsque la dépendance concernée est utilisée
anonymement, par la généralité des administrés, ou une certaine partie d'entre
eux.
• Les utilisations privatives, lorsque la dépendance concernée est réservée à une
ou des personnes déterminées.
Ces critères sont en apparence d'application aisée: ainsi, l'usage des rivages de la mer
par les baigneurs ou les promeneurs est une utilisation collective, alors que l'installation d'une
terrasse de café sur un trottoir, ou l'occupation de terrains sur les quais d'un port sont des
utilisations privatives. Mais, parfois, la frontière est plus délicate à déterminer, puisque
certains usages collectifs peuvent tendre à prendre un caractère privatif de fait. Sans s'attarder
sur l'exemple pittoresque des prostituées attachées à la portion de trottoir sur laquelle elles
évoluent, on peut observer qu'en matière de voies publiques, le stationnement d'un véhicule,
s'il est habituel et prolongé, peut s'analyser comme une occupation privative. La
réglementation des utilisations collectives s'efforcera d'ailleurs de les encadrer en restreignant
les risques de privatisation.

Sous section I: Les utilisations collectives.

Elles correspondent à l'usage considéré comme le plus normal pour le domaine public,
celui qui, à l'origine, était seul pris en compte par les premiers théoriciens de la domanialité.
Compte tenu de l'intérêt collectif présenté par ce type d'utilisation, on l'a initialement
soumis à un régime juridique très libéral, limitant l'intervention des autorités administratives
au strict nécessaire.

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C'est pourquoi on présente habituellement les conditions d'utilisation collective du
domaine public en les rattachant à trois principes directeurs, la liberté, l'égalité et la gratuité,
auxquels se réfèrent parfois expressément certains textes (la loi du 3 janvier 1986, relative au
littoral, dispose, par exemple dans son article 30 al.2 que "l'usage libre et gratuit pour le
public constitue la destination fondamentale des plages au même titre que leur affectation
aux activités de pêche et de cultures marines ").
L'analyse de l'application de ces trois principes révèle qu'en réalité, l'administration,
dépositaire de l'intérêt général, peut en limiter la portée, voire même les remettre totalement
en cause. Du moins fournissent-ils un cadre commode à l'étude des utilisations collectives du
domaine public.

1) Le principe de liberté.
Entendu largement, il impliquerait que l'utilisation du domaine public affecté à l'usage
de tous ne soit soumise à aucune contrainte dès lors qu'elle est conforme à sa destination
normale. En réalité, il n'en a jamais été ainsi. La liberté consistant, selon l'article 4 de la
Déclaration de 1789, à faire ce qui ne nuit pas à autrui, ses bornes pouvant être déterminées
par la loi, on admet de très longue date que l'utilisation du domaine public peut être restreinte,
en vue de sa protection matérielle, et également de celle des autres usagers.
Ainsi, par exemple, avant même que le développement de l'automobile ne justifie une
stricte réglementation de la circulation, la loi du 30 mai 1851 avait établi une police du
roulage, imposant des prescriptions relatives à la forme des roues, des moyeux, aux saillies
des essieux, au nombre des chevaux par voiture, au nombre des voitures formant un convoi,
au stationnement sur les routes, aux modes de chargement, aux freins, aux règles à observer
par les cochers. La répression des infractions à ces dispositions était répartie entre les
tribunaux des deux ordres selon qu'était en cause la protection du domaine ou celle des
usagers.
Aujourd'hui, le principe de liberté signifie simplement que la collectivité publique ne
peut interdire de manière générale et absolue l'utilisation collective du domaine public
conformément à sa destination, mais peut en revanche la réglementer, dans le cadre de ses
pouvoirs de police de la conservation et de l'ordre public, lorsque les circonstances le
justifient.
Ainsi, la liberté peut, schématiquement, faire l'objet de trois grands types de restrictions.

A - La liberté ne s'applique qu'aux utilisations conformes à l'affectation, ou, au


moins, compatibles avec elle.
Les dépendances domaniales peuvent, selon le cas, avoir une affectation large, ou, au
contraire spécialisée. Le principe de liberté, en toute hypothèse, ne peut être invoqué qu'à
propos des utilisations considérées comme conformes à leur vocation normale.
Ainsi, par exemple, estimant que la vocation normale d'un abattoir est la production de
viande de boucherie, le maire de Rouen avait interdit, dans l'enceinte de l'abattoir municipal,
l'"habillage" (apprêtage avant tannage) des cuirs et peaux des animaux abattus. Le Conseil
d'Etat a jugé que " ladite opération ne répond pas à l'affectation normale de cette dépendance
du domaine public; (...) ainsi, tout usager du domaine ne saurait prétendre avoir un droit à
l'effectuer " (CE (S) 2 nov. 1956 Biberon, Rec. p.403 concl. Mosset).
Les voies publiques, largement ouvertes à tous, pourraient se prêter à une multitude
d'utilisations. Toutefois, actuellement, leur affectation normale semble être essentiellement la
circulation des véhicules, qui, au besoin, doit prévaloir sur les autres usages. Ainsi, même si
le défilé d'une fête paroissiale présente un caractère traditionnel, un maire peut légalement
prendre une mesure l'interdisant sur certaines voies pour remédier à ses inconvénients sur la
circulation (CE 21 janv. 1966 Legastelois, AJDA 1966 p.435 note Moreau: curé

39
d'Equeurdreville contestant l'arrêté municipal interdisant le passage dans les deux rues
principales de la ville). De même, le Conseil d'Etat a jugé légal le refus d'autoriser la MNEF à
organiser des élections sur la voie publique, au motif qu' "aucune disposition ne fait
obligation aux maires de mettre la voie publique à la disposition des étudiants pour
l'organisation d'élections qui les concernent (...). Cette utilisation ne correspond pas à
l'affectation normale de cette partie du domaine public" (CE 3 mai 1974 MNEF, Rec. p.259).
On verra également que l'exercice d'activités professionnelles sur la voie publique peut être
soumis à diverses sujétions et restrictions lorsqu'il semble entraîner des effets différents de
ceux attendus d'une utilisation normale.

B - La liberté doit être conciliée avec la conservation du domaine public et le


maintien de l'ordre public.
De multiples considérations d'intérêt général se rattachant tantôt à la conservation du
domaine public, tantôt au maintien de l'ordre public peuvent relever l'administration de son
obligation d'assurer la liberté d'utilisation. Ainsi, certaines dépendances peuvent s'avérer d'un
usage délicat justifiant que l'on impose des sujétions particulières à leurs utilisateurs. Par
exemple, le Conseil d'Etat a jugé légale l'obligation faite aux commandants de navires de
recourir à un pilote professionnel pour effectuer les manœuvres dans les ports (CE 2 juin 1972
Fédération française des syndicats professionnels des pilotes maritimes, AJDA 1972 p.647
concl. Rougevin-Baville). En revanche, il a considéré que l'exiguïté du port de Collioure ne
justifiait pas que le maire limite à cinq le nombre des autorisations d'accostage données aux
vedettes de transport public de passagers (CE 2 juillet, Commune de Collioure, AJDA 2003
p.2118 note Markus).
C'est probablement en ce qui concerne les voies publiques, qui constituent les plus
importantes des dépendances domaniales affectées à l'usage collectif, que le cumul des
pouvoirs de police administrative générale et de police de la conservation du domaine public
entraîne les conséquences les plus significatives. Les explications qui vont suivre porteront
donc exclusivement sur ce thème.
L'usage normal des voies publiques, ou des voies privées ouvertes à la circulation
publique implique, pour tous, la liberté de passage, sans autorisation préalable. Ainsi, par
exemple, la Cour de Cassation a-t-elle jugé illégal un arrêté interdisant aux prostituées de
stationner d'une manière prolongée ou de se livrer à des allées et venues répétées aux abords
des casernes, camps et arsenaux de tout le département du Rhône, et sur toutes les voies et
places publiques de certains secteurs de la ville de Lyon, au motif que "la liberté d'aller et
venir à son gré est un des aspects de la liberté individuelle, et se confond avec la liberté de
circuler sur la voie publique" (Cass. Crim. 1er fév. 1956 Delle Flavien, D. 1956 p.365, rapp.
Ledoux).
Pour les riverains, la liberté d'utilisation implique en outre des "aisances de voirie",
dans la mesure où l'affectation des voies publiques comprend, avec la circulation, la
desserte des propriétés riveraines. Ces droits sont limités à trois: l'accès, la vue, et
l'écoulement des eaux (ou l'égout). Ainsi, par exemple, un maire ne peut refuser au riverain
d'une voie l'autorisation d'y ouvrir un accès au motif que le terrain dispose déjà d'un accès sur
une autre voie ( CE 18 mars 1994 Malingue, Rec. p.1272). Et la carence dans l'usage des
pouvoirs de police en vue de faire respecter ce droit constitue une faute engageant la
responsabilité de la collectivité (CE (Ass.) 20 oct. 1972 Ville de Paris c/ Marabout, AJDA
1972 p.581). En toute hypothèse, même légale, sa suppression doit donner lieu à
indemnisation (CE 19 janv. 2001, Département du Tarn et Garonne, RFDA 2001 p. 517 : "
sauf dispositions législatives contraires, la qualité de riverain d'une voie publique confère à
celui-ci le droit d'accéder à cette voie ; que ce droit est au nombre des aisances de voirie dont
la suppression donne lieu à réparation au profit de la personne qui en est privée").

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Cela dit, les aisances de voirie ne s'appliquent pas sur les voies exclusivement affectées
à la circulation (autoroutes et routes express : articles L 122-2 et L 151-3 du code de la voirie
routière, pistes cyclables, sentiers touristiques, etc.).
La liberté d'utilisation pourrait cependant, lorsqu'elle s'exerce à l'occasion de certaines
activités, porter atteinte à l'intégrité ou à l'affectation des voies publiques, ou créer des risques
pour l'ordre public. C'est pourquoi elle peut faire l'objet de certaines restrictions. Il en va
notamment ainsi en cas d'usage d'un véhicule (circulation ou stationnement) ou lorsque la
voirie est prise comme assiette d'une activité professionnelle.

a ) La circulation des véhicules.


Si les embarras de la circulation ne datent pas de l'invention de l'automobile, celle-ci a
largement contribué à les accentuer, en rendant nécessaires des réglementations toujours plus
restrictives. Celles-ci ont d'abord émané des autorités administratives, et, compte tenu des
nombreux contentieux qu'elles ont engendré, ont été à l'origine de solutions jurisprudentielles
dont les principes ont en général été finalement consacrés par la loi.
Ainsi, à une époque où les constructeurs automobiles ne disposaient pas encore
d'installations d'essais privées, le Conseil d'Etat avait admis que les essais de vitesse sur les
routes puissent faire l'objet d'un régime d'autorisation préalable: cette activité, même si elle
consistait à circuler, ne semblait pas correspondre à la destination normale des voies
publiques, affectées avant tout au déplacement (CE 27 juill. 1928 Renault, Rec. p.969).
Par la suite, tout en appliquant les principes directeurs de son contrôle sur les mesures
de police, qui témoignent d'une certaine défiance à l'égard des restrictions trop générales et
absolues en exigeant qu'elles soient adaptées aux circonstances, le Conseil d'Etat a ouvert de
larges possibilités de limitations, imposées par la prévention des encombrements ou par des
besoins nouveaux.
Ainsi, il a admis la fermeture de certaines voies ou portions de voies à certaines
catégories d'usagers durant certaines périodes, voire même en permanence (v. CE 22 fév.
1961 Lagoutte et Robin, Rec. p.l35: interdiction de la circulation, dans la "zone bleue" créée à
Paris en 1955, des véhicules de plus de 300 kg de charge utile de 13h à l9h; CE 15 mars 1968
Syndicat national des automobilistes, AJDA 1968 p.355: institution, en 1964, à Paris, de
couloirs de circulation réservés; CE (S) 8 déc. 1972 Ville de Dieppe, AJDA 1973 p.53:
transformation d'une rue en "voie piétonne" une journée par semaine; CE 16 juin 1976 Ville
de Menton, AJDA 1976 p.568: interdiction de circulation dans certains secteurs d'une
commune touristique de 23h à 7h pour permettre le repos des résidents).
La loi du 18 juin 1966, modifiée à plusieurs reprises, et intégrée dans le code général
des collectivités territoriales (art. L 2213-1 à 5) a confirmé ces solutions.

b) le stationnement des véhicules.


A la différence de l'arrêt, qui implique que le conducteur reste aux commandes du
véhicule, ou à proximité immédiate, et qui constitue une modalité du droit d'accès aux
propriétés riveraines, le stationnement, qui implique l'immobilisation et l'abandon du
véhicule, est soumis à un régime restrictif, du moins lorsqu'il n'a pas lieu en des endroits
exclusivement prévus à cet effet.
Il peut en effet s'analyser, lorsqu'il se prolonge, comme une véritable occupation
privative du domaine public, susceptible en outre de nuire à l'affectation principale des voies
publiques: la circulation. Il n'existe donc pas à proprement parler une liberté du
stationnement, mais plutôt une tolérance, faisant l'objet d'un encadrement plus ou moins strict
en fonction des circonstances.
Parfois, il peut être organisé au détriment des piétons: le Conseil d'Etat a admis qu'à
Paris, l'insuffisance des emplacements disponibles justifiait une réglementation l'autorisant

41
sur les trottoirs, en considérant d'une part qu'il n'existe pas un principe général obligeant à
différencier entre la circulation automobile et celle des piétons, et d'autre part qu' "il
appartient à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures nécessaires pour
concilier à tout moment et en tous lieux les droits des usagers de la voie publique avec les
exigences de la circulation automobile" (CE (Ass.) 23 mars 1973 Association les droits du
piéton, RDP 1973 p.271 concl. Bernard).
Lorsque la configuration des voies ne le permet pas, le stationnement peut être
purement et simplement interdit (CE 14 mars 1973 Almela, Rec. p.213: interdiction absolue
de stationnement dans une rue de Saint Etienne). En revanche, s'il est possible, c'est souvent
sous réserve de multiples limitations, de lieu, de durée, et, on le verra plus loin, moyennant
paiement d'une redevance.

c) L 'exercice d'une activité professionnelle.


La liberté du commerce et de l'industrie, ou celle de l'activité professionnelle, sont
considérées par le Conseil d'Etat comme des libertés publiques (CE (S) 28 oct. 1960 Martial
de Laboulaye, Dt Soc. 1961 p.143 concl. Heumann; CE (Ass.) 22 juin 1963 Synd. du
personnel soignant de la Guadeloupe, Rec. p.386). Toutefois, lorsqu'elles s'exercent sur le
domaine public, elles peuvent porter atteinte à son affectation normale, à son intégrité, ou
créer des troubles à l'ordre public.
Leur réglementation peut donc s'imposer, quelles que soient les dépendances
concernées. Ainsi, la vente et le colportage de glaces, beignets, et "chouchous" sur les plages
d'une commune, très fréquentées en saison estivale, présentent tant pour la salubrité publique
que pour la tranquillité publique, des inconvénients justifiant leur interdiction (CE 21 fév.
1968 Cne d'Agde et Cne de Fleury d'Aude, Rec. p.425).
Compte tenu du grand nombre d'activités professionnelles susceptibles de s'y exercer,
ce sont les voies publiques qui donnent lieu aux restrictions les plus nombreuses.
Celles-ci peuvent d'abord porter sur des activités qui, bien que s'exerçant sur la voie
publique, sont sans rapport direct avec leur destination normale, le déplacement. Sans doute
ces activités, relevant de la liberté du commerce et de l'industrie, ne peuvent-elles être
soumises à autorisation préalable par l'administration, la mesure devant être prise par la loi
(CE 22 juin 1951 Daudignac, GAJA: illégalité d'un arrêté municipal soumettant à autorisation
préalable l'activité des photographes-filmeurs).
Du moins est-il possible de les encadrer, par exemple en les excluant de certains lieux, à
certaines époques ou à certaines heures où elles sont susceptibles de présenter les plus graves
inconvénients pour la circulation et l'ordre public (v. p.ex. CE (S) 25 janv. 1980 Gadiaga,
Rec. p.44 concl. Rougevin-Baville: interdiction des colporteurs de l0h à 20h, du 1er avril au
30 octobre, dans le secteur réservé aux piétons aux abords de la cathédrale de Strasbourg; CE
13 mars 1968 époux Leroy, Rec. p.178: interdiction des photographes-filmeurs pendant la
saison touristique sur la route d'accès au Mont Saint Michel et sur les aires de stationnement).
De telles mesures ne sont cependant légales que si elles sont réellement justifiées par des
circonstances particulières de temps et de lieu, et n'apparaissent pas, compte tenu de leur
généralité, comme des interdictions déguisées (v. p.ex. CE 4 juill. 1962 Ville de Rouen, Rec.
p.449; CE (S) 15 oct. 1965 Préfet de police c/ Alcaraz, AJDA 1965 p.662 concl. Kahn:
autorisation des photographes-filmeurs hors de toutes les voies les plus favorables à leur
activité).
Les réglementations peuvent également porter sur des activités qui, apparemment sont
en rapport direct avec la destination des voies, puisqu'elles font intervenir des véhicules en
circulation ou en stationnement, mais semblent différer d'un usage normal, en ce qu'elles
engendrent des risques accrus d'encombrement, surtout lorsqu'elles n'ont pas pour finalité
principale le déplacement. I1 en va notamment ainsi de la publicité ambulante s'exerçant par

42
affichage sur des véhicules spécialisés n'empruntant les voies publiques que pour s'offrir au
regard des usagers. Déjà, le Conseil d'Etat, au début du siècle, avait jugé légale l'interdiction,
à Paris, en 1897, des voitures-annonces attelées, "qui ne servent qu'à des exhibitions
d'affiches ”, puisque “les chaussées des voies publiques sont faites pour les besoins de la
circulation, et non pour l'exercice des industries étrangères à cette affectation" (CE 30 mars
1900 Hostein, Rec. p.248). Il n'en a pas moins annulé une réglementation soumettant d'une
manière générale cette activité à autorisation préalable (CE (S) 2 avril 1954 Petronelli, Rec.
p.208).
Aujourd'hui, la loi du 29 décembre 1979 sur la publicité prévoit (art. 14) que "la
publicité sur les véhicules terrestres, sur l'eau ou dans les airs peut être réglementée,
subordonnée à autorisation ou interdite", en excluant cependant de cette possibilité "la
publicité relative à l'activité exercée par le propriétaire ou l'usager d'un véhicule, sous
réserve que ce véhicule ne soit pas utilisé ou équipé à des fins essentiellement publicitaires".
De même, les auto-écoles, ou les loueurs de véhicules, par ailleurs soumis à une
réglementation professionnelle spécifique, peuvent se voir imposer, lorsque les circonstances
l'exigent, l'obligation de disposer de terrains ou de locaux pour y faire stationner leur parc de
véhicules (CE (S) 5 janv. 1968 Chambre syndicale des enseignants de la conduite des
véhicules à moteur, RDP 1968 p.905 concl. Fournier: auto-écoles parisiennes; CE (S) 9 nov.
1990 Ville d'Angers c/ Sté Auto 49, Rec. p.320: loueurs de voitures à Angers).

C - La liberté d'utilisation s'efface devant l'intérêt de la bonne gestion des services


publics.
Les autorités administratives ont rapidement découvert que l'exercice de leur pouvoir de
contrôle sur l'utilisation du domaine public pouvait leur permettre d'imposer des sujétions
d'intérêt général à certaines des activités économiques qui y ont leur assiette.
Le domaine public apparaissant comme une richesse collective à exploiter au mieux de
l'intérêt général, on a alors admis que la personne publique coordonne la gestion des
dépendances en faisant partie avec celle des services publics qu'elle a elle-même pris en
charge, en les exploitant en régie ou en les délégant. Ainsi, si la collectivité organise un
service public sur le domaine public, elle peut réglementer les autres utilisations collectives,
en vue de garantir, ou d'améliorer, le bon fonctionnement de ce service, en les subordonnant à
ses impératifs.
Cette fois encore, c'est le Conseil d'Etat qui a posé les principes de ces solutions dans un
arrêt relatif à la réglementation des transports en commun à Cannes (CE (S) 29 janv. 1932 Sté
des autobus antibois, D. 1932 III p.60 concl. Latournerie). Statuant sur un arrêté municipal
interdisant, sauf autorisation, à tout véhicule de transport en commun, de stationner, voire
même de s'arrêter ou ralentir pour prendre ou déposer des voyageurs dans l'agglomération
cannoise, le Conseil d'Etat l'a déclaré illégal compte tenu de son caractère général et absolu.
Mais il a également admis que le maire aurait pu, afin d'empêcher la concurrence
extérieure à l'égard de l'entreprise concessionnaire des transports en commun à Cannes, et
pour assurer la commodité de la circulation, "aménager dans la commune au mieux de
l'intérêt public les conditions de circulation des voitures de transport en commun assurant un
service intercommunal".
Cette faculté, précisait-il, autorisait par exemple le maire à interdire aux véhicules
interurbains le transport purement urbain des voyageurs, à prescrire des itinéraires spéciaux
pour la traversée de la ville, et à fixer des points d'arrêt obligés.
A la même époque, le commissaire du gouvernement Josse concluant sur l'affaire des
Tramways de Cherbourg, affirmait que "tous les efforts doivent être tentés pour sauver le
service" lorsqu'il est en difficulté, et qu' "il appartient au concédant de prendre les mesures
nécessaires pour que le concessionnaire puisse assumer la marche du service public dont il a

43
la charge" (CE (Ass.) 9 déc. 1932 Compagnie des tramways de Cherbourg, Rec. p.1050
concl. Josse).
Ainsi, faisant application de ces principes, le Conseil d'Etat a admis que le
gouvernement pouvait, par décret, attribuer d'importants avantages au service public de la
traction sur les canaux confié à un établissement public, l'Office national de la navigation,
puisqu'il lui appartenait "de prendre toutes mesures de nature à assurer la meilleure
utilisation du domaine public et, notamment, de subordonner à autorisation préalable
l'exploitation de la traction par des entreprises offrant leurs services au public, et, même de
refuser toute autorisation à celles de ces entreprises qui risqueraient, en faisant concurrence
au service public, de compromettre la bonne gestion de celui-ci" (CE (Ass.) 16 nov. 1956 Sté
Desaveines et Sté des grandes tuileries Perrusson et Desfontaines, RPDA 1957 p.1 concl.
Laurent).
De même, a pu être légalement établi un monopole du pilotage dans les ports maritimes,
en vue d'assurer la meilleure utilisation du domaine public portuaire (CE (S) 2 juin 1972 Féd.
Française des syndicats professionnels des pilotes maritimes, précité).
L'interdiction de toute concurrence qu'implique le monopole n'est, en toute hypothèse,
envisageable que si le service public s'exerce en totalité sur le domaine public. Ainsi, la
mer, même territoriale, n'étant pas incorporée au domaine public, le Conseil d'Etat, tout en
confirmant la possibilité d'apporter un appui et d'accorder des facilités à l'exploitant d'un
service public de transport maritime, a jugé illégal le monopole de l'utilisation des
installations du port de Toulon donné à un exploitant pour la desserte de l'île de Porquerolles
(CE (S) 9 oct. 1981 Chambre de commerce et d'industrie de Toulon et du Var, Rec. p.366).

On aurait pu présumer que ces solutions datant d'une époque où l'invocation


quasi-mystique du service public justifiait aisément des discriminations de traitement
entre activités seraient remises en cause par l'irruption du droit de la concurrence dans
la légalité administrative. En réalité, il n'en est rien, pour l'instant du moins. Ainsi, le
Conseil d'Etat considère-t-il encore aujourd'hui comme compatible avec les règles de
concurrence et la liberté du commerce et de l'industrie une réglementation de l'accès à des
installations portuaires favorisant sensiblement une régie départementale de transport
maritime chargée d'un service public (CE 30 juin 2004, Département de la Vendée, AJDA
2004 p. 2210 note Nicinski).

2) Le principe d'égalité.
I1 implique que les usagers du domaine public ne fassent pas l'objet de discriminations
injustifiées.
En réalité, on doit bien constater qu'il existe de nombreux régimes différents
d'utilisation collective des dépendances domaniales, notamment des voies publiques. Seul le
caractère très relatif du principe d'égalité permet de considérer qu'il s'applique encore à
l'utilisation du domaine public: on sait en effet qu'il n'interdit pas les discriminations, mais
exige simplement qu'elles soient justifiées par une différence de situation ou par les nécessités
de l'intérêt général.
Ainsi, compte tenu de la variété des activités s'exerçant sur les voies publiques, et de la
diversité des véhicules qui y circulent, à partir des années 1950, se sont multipliées les
réglementations visant à organiser le trafic automobile en différenciant des catégories
d'usagers. Faute de loi légitimant ces traitements distincts, c'est la jurisprudence
administrative qui s'est d'abord prononcée, en reconnaissant la légalité de réglementation à
l'époque sujettes à controverse, mais aujourd'hui devenues habituelles: les discriminations
qu'elles opéraient ont été généralement considérées comme justifiées par la situation
particulière de leurs bénéficiaires, ou de leurs victimes. Ainsi des couloirs de circulation ont

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pu être réservés à des catégories d'usagers prioritaires (transports en commun, taxis, etc.)
puisque "l'avantage assuré aux véhicules en question était justifié soit par les missions de
service public que ces véhicules sont appelés à remplir, soit par les obligations particulières
qui leur sont imposées pour leur permettre de satisfaire aux besoins du public"(CE 15 mars
1968 Synd. National des automobilistes, précité).
De même, a été jugée légale l'interdiction, à certaines heures, dans la "zone bleue" de
Paris, des véhicules destinés au transport des marchandises, alors que d'autres véhicules de
taille et de poids identique pouvaient y circuler librement: il s'agissait d'éviter les arrêts et
opérations de chargement et déchargement susceptibles de nuire au trafic (CE (S) 22 fév.
1961 Lagoutte et Robin, précité).
De même encore, a été admise la création d'emplacements de stationnement réservés à
certaines catégories d'usagers considérés comme pouvant légitimement faire l'objet d'un
traitement privilégié: convives des mariages, le samedi, à la mairie, par exemple (CE 26 fév.
1969 Chabrot Rec. p. 20; v. ég. CE 16 fév. 1972 Bernard, Rec. p.140 : illégalité du
stationnement réservé aux véhicules personnels des fonctionnaires; CE 6 juin 2001,
Commune de Vannes, Rev. jurid. de l'entreprise publique – anciennement CJEG – janv. 2002
p. 19 : illégalité de l'arrêté municipal interdisant aux taxis extérieurs à la commune le
stationnement sur les emplacements réservés aux taxis devant la gare de Vannes, "eu égard à
l'importance de la restriction ainsi apportée à l'exercice de cette activité professionnelle et au
fait que la fonction de desserte de la gare de Vannes dépasse largement le cadre de cette
commune").
Le législateur a confirmé ces solutions, en ouvrant encore d'autres possibilités de
différenciation (p. ex. la loi du 27 janvier 1993 - art. 85 - a prévu la possibilité
d'emplacements de stationnement réservés aux invalides).

3) Le principe de gratuité.
Bien que fréquemment invoqué à propos des utilisations collectives du domaine public,
il n'est en réalité consacré par aucune règle générale précise, et semble, de ce fait, pouvoir
subir de nombreuses limitations lorsque les nécessités de la protection et de la bonne gestion
des dépendances le justifient: il n'est pas rare que l'usage, même collectif, de certains biens
soit soumis au paiement d'un prix.
Plus que le pseudo-principe de gratuité, ce sont surtout les principes de liberté et
d'égalité, déjà évoqués, qui seront pris comme référence pour apprécier, le cas échéant, la
légalité des redevances instituées en contrepartie de l'utilisation du domaine public. Trois
principes directeurs semblent à cet égard inspirer les solutions retenues.
* L'usage du domaine public dans des conditions considérées comme anormales peut
justifier le paiement d'une redevance. Il en va par exemple ainsi lorsque l'utilisateur d'une voie
publique, sans pour autant commettre de faute, provoque des dégradations excédant les
normes habituellement admises: le code de la voirie routière contient des dispositions (art. L
131-8 et L 141-9) prévoyant que toutes les fois qu'une voie départementale ou communale
"entretenue à l'état de viabilité est habituellement ou temporairement soit empruntée par des
véhicules dont la circulation entraîne des détériorations anormales, soit dégradée par des
exploitations de mines, de carrières, de forêts ou de toute autre entreprise, il peut être imposé
aux entrepreneurs ou propriétaires des contributions spéciales, dont la quotité est
proportionnée à la dégradation causée".
* L'usage du domaine public peut être soumis à redevance lorsqu'il donne lieu
simultanément à la fourniture de certains services: dans ce cas, la redevance correspond à la
fois à la contrepartie de l'utilisation du domaine et à celle du service. Ainsi pour les droits de
pilotage dans les ports, d'éclusage sur les canaux, les taxes aéroportuaires ou encore les droits

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d'accès aux musées ou aux objets classés exposés dans les églises (v. à ce sujet CE (S) 4 nov.
1994 Abbé Chalumey, RFDA 1995 p.986 concl. Schwartz).
* L'usage du domaine public peut donner lieu à redevance lorsque l'utilisateur potentiel
dispose d'un choix lui permettant d'obtenir gratuitement des résultats analogues: il n'y a pas
alors d'atteinte excessive à sa liberté. Ainsi, l'existence d'un péage sur les autoroutes n'interdit
pas aux automobilistes d'accéder aux mêmes destinations gratuitement (v. avis du Conseil
d'Etat (section des travaux publics ) du 6 juill. 1993 EDCE 1994 n° 45 p.377 à propos de la
transformation de la RN 10 en autoroute A10 : "la mise en service d'une autoroute à péage ne
doit pas avoir pour effet de priver les usagers de relier gratuitement, par un itinéraire qui
n'est pas nécessairement parallèle, les points desservis par la nouvelle autoroute, à moins
que le relief fasse obstacle au passage de deux voies soumises à des statuts différents"). De
même, le stationnement payant dans certaines zones n'empêche pas totalement le
stationnement gratuit dans d'autres secteurs.
Compte tenu de ces principes, on a pu observer, ces dernières années, une sensible
remise en cause, sur les voies publiques, de la gratuité prônée jusque là par la théorie libérale,
tant en ce qui concerne le stationnement que la circulation.

A - Le stationnement.
Sa subordination à un péage a été admise assez tôt: les voies publiques étant plutôt
considérées comme dédiées principalement à la circulation, le Conseil d'Etat a jugé légal le
principe d'une redevance, "s'agissant d'une occupation excédant l'usage normal de ce
domaine" (CE 18 mai 1928 Laurens, D. 1928 III p.65 concl. Rivet, note Waline: en l'espèce,
la réglementation a cependant été déclarée illégale car elle frappait seulement les automobiles
et instituait donc une inégalité de traitement pour une même nature d'occupation).
Par la suite, la jurisprudence, compte tenu de la quasi-insolubilité du problème du
stationnement, acceptera avec une bienveillance accrue son caractère payant, présenté
notamment comme seul susceptible de libérer des emplacements en accélérant la rotation des
véhicules. La solution a été d'abord admise sur des espaces spécialisés (v. CE 26 fév. 1969
Chabrot et syndicat national des automobilistes, Rec. p. l20: parc de stationnement créé à
Rennes sur le lit couvert de la Vilaine). Puis, après des débats plus animés, elle a pu être
étendue le long des voies publiques elles-mêmes (CE 22 fév. 1974 Idée, Rec. p.141:
stationnement payant à Dijon dans le centre-ville). Le Conseil d'Etat, examinant les
réglementations contestées, prend soin de faire état d'emplacements gratuits ménagés dans le
secteur payant, et de la subsistance de la desserte des immeubles riverains, mais ces
conditions sont devenues rapidement de simples clauses de style.

B - La circulation.
Elle doit rester gratuite sur la voirie ouverte à tous. Ainsi, est illégal un arrêté municipal
subordonnant, lors d'une étape du Tour de France, l'accès à une route départementale, à une
autorisation spéciale délivrée moyennant paiement d'un droit (CE 22 fév. 1991 Cne de
Bagnères de Luchon, Rec. p.63). En revanche, cette condition peut être exigée pour
l'utilisation des autoroutes, et, accessoirement, de certains ouvrages d'art.

a) Les autoroutes.
La loi du 18 avril 1955 sur les autoroutes posait le principe de leur gratuité, en
l'assortissant d'une possibilité d'exception, qui, compte tenu de la formulation employée,
semblait devoir demeurer limitée.
Un décret du 12 mai 1970 a précisé les conditions dans lesquelles l'Etat , s'il choisit de
ne pas construire et exploiter lui-même, en régie, l'autoroute, peut se décharger de cette
mission, d'un coût évidemment élevé, en passant une convention de concession et un cahier

46
des charges approuvés par décret en Conseil d'Etat. Le concessionnaire peut être autorisé "à
percevoir des péages en vue d'assurer le remboursement des avances et dépenses de toutes
natures faites par l'Etat et les collectivités ou établissements publics, l'exploitation et
éventuellement l'entretien et l'extension de l'autoroute, la rémunération et l'amortissement des
capitaux investis par le concessionnaire". Ces dispositions ont été intégralement reprises dans
le Code de la voirie routière (art. L 122-4). Le Conseil d'Etat a jugé qu'elles peuvent aussi
justifier l'établissement d'un péage en vue de rembourser les emprunts contractés pour
indemniser le concessionnaire ayant construit l'ouvrage lorsque le contrat de concession est
annulé (CE 28 juill. 2000, Tête et collectif pour la gratuité contre le racket, Rec. p. 319: à
propos des conséquences de l'annulation de la décision de concéder la construction d'une
partie du boulevard périphérique lyonnais).
Les contentieux portant sur les péages autoroutiers ont été relativement abondants, et
ont donné lieu à quelques décisions de principe.
Ainsi, on a d'abord contesté l'appréciation portée par le gouvernement quant à
l'opportunité même de choisir la concession, en écartant la construction en régie. Le Conseil
d' Etat a jugé que cette question ne saurait être discutée devant le juge de l'excès de pouvoir
(CE (Ass.) 30 juin 1961 Groupement de défense des riverains de la route de l'intérieur, AJDA
1961 p.646 concl. Kahn).
Le Tribunal des Conflits ayant décidé, statuant sur un problème de compétence relatif à
un accident subi par un usager, que les péages "ont le caractère d'une taxe dont le versement
ne fait naître aucun lien contractuel" (T.C. 28 juin 1965 Delle Ruban, D. 1966 p.380 note
Colin), d'aucuns, assimilant taxes et impôts, ont ensuite soutenu que conformément à l'article
34 de la constitution, seule une loi pouvait fixer le péage sur les autoroutes. Le Conseil d'Etat
a rejeté l'argument, au motif que les péages ne sont pas des impôts (CE (Ass) 14 fév. 1975
Epoux Merlin, AJDA 1975 p.229). Dans un autre contexte, il a soumis leurs tarifs à la police
des prix relevant de la compétence du ministre de l'Economie (CE 13 mai 1977 Stés Cofiroute
et autres, Rec. p.219).
Enfin, plus récemment, profitant de l'évolution jurisprudentielle favorable à la
contestation de clauses contractuelles par les tiers au moyen de recours contre les actes
détachables, des usagers ont contesté devant le Conseil d'Etat les éléments pris en compte
dans la fixation du montant des péages. Celui-ci a jugé que les dépenses à rembourser par le
concessionnaire " doivent présenter un lien suffisamment étroit avec la concession en cause et
tendre vers les objectifs dont la réalisation est nécessaire à la bonne exploitation de
celle-ci".
Ainsi, l'intégration des frais de fonctionnement de la gendarmerie en service sur
l'autoroute est illégale, car elle correspond à l'exercice d'une mission générale de surveillance
et de sécurité s'exerçant sur l'ensemble du territoire, et n'est pas propre à l'exploitation de la
concession (CE (Ass.) 30 oct. 1996 Wajs et Monnier, RFDA 1997 p.726 concl. Combrexelle).
En toute hypothèse, même si le péage est un prix, il ne caractérise pas pour autant un
contrat de droit privé: l'autoroute est un ouvrage public, et ses usagers sont soumis au droit
administratif (Cass. 1ère Civ. 8 janv. 2002, Cofiroute, D. 2002.IR. p. 540; Cass. 1ère Civ. 3 juin
2003, Sté AREA: l'usager d'autoroute, abonné ou non, se trouve dans une situation unilatérale
et réglementaire à l'égard de la société chargée de l'exploitation de l'autoroute : la réparation
du dommage causé à un véhicule par la chute d'une barrière de péage sur son pare brise relève
de la juridiction administrative).
Jusqu'à la loi du 13 août 2004 "relative aux libertés et responsabilités locales", le péage
autoroutier n'était possible que sur les ouvrages concédés. Désormais, la nouvelle rédaction de
l'art. L 122-4 du Code de la voirie routière l'autorise également pour ceux construits et
exploités en régie, avec cependant exclusion du coût financier de l'investissement dans le
calcul des tarifs .

47
b) Les autres ouvrages d'art.
La question des péages perçus pour l'utilisation des bacs n'a jamais soulevé de
difficultés quant à leur principe: contrepartie de services publics départementaux, ils étaient
régis par la loi du 10 août 1871 sur les conseils généraux. Le Conseil d'Etat a seulement dû
préciser les limites des possibles discriminations tarifaires selon la provenance des usagers
(CE 10 mai 1974 Denoyez et Chorques, AJDA 1974 p.311 : à propos des tarifs réduits du bac
de l'île de Ré, légaux au bénéfice des îliens, illégaux au bénéfice des habitants du département
de la Charente Maritime). On peut d'ailleurs douter que les bacs fassent partie du domaine
public, même en application de la théorie de l'accessoire (pour un commissaire du
gouvernement, "le bac, c'est la route qui continue") puisque, du fait de leur mobilité, ils ne
sont pas des biens immobiliers.
En revanche, la soumission à péage de certains ponts a suscité davantage de
contestations, compte tenu de la subsistance, jusqu'en 1979, d'une loi du 30 juillet 1880, dont
l'article 1er disposait: "il ne sera plus construit à l'avenir de ponts à péage sur les routes
nationales et départementales". Le législateur avait expressément dérogé à la règle ainsi
posée en autorisant l'institution d'un péage pour le pont de Tancarville, par la loi du 17 mai
1951, mais, par la suite, c'est par de simples actes administratifs que furent établis des péages
sur deux nouveaux ponts, celui de Saint Nazaire -Saint Brévin, franchissant l'estuaire de la
Loire, et celui donnant accès à l'île d'Oléron.
Saisi d'un recours à propos du pont d'Oléron, le Conseil d' Etat ne pouvait que constater
la violation de la loi de 1880, en annulant l'arrêté fixant les tarifs du péage (CE (S) 16 fév.
1979 Comité d'action et de défense des intérêts de l'île d'Oléron et Bourcefranc, Rec. p.64).
C'est pourquoi, afin de désamorcer de futurs contentieux en validant les péages
existants, le Parlement a voté la loi du 12 juillet 1979, susceptible de s'appliquer aux ouvrages
d'art dont l'utilité, les dimensions et le coût justifient que le service rendu aux usagers donne
lieu à redevance, instituée "à titre exceptionnel et temporaire".
Saisi par les adversaires de la loi, le Conseil Constitutionnel a refusé d'admettre
l'existence d'un principe de gratuité des voies publiques à valeur constitutionnelle: la loi de
1880 n'a pas été à l'origine d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, et
la liberté d'aller et venir qui, elle, est constitutionnelle, n'interdit pas pour autant "que
l'utilisation de certains ouvrages donne lieu au versement d'une redevance". Les possibles
différences de tarification, également autorisées par la loi, ont elles aussi été reconnues
conformes à la constitution, puisque le principe d'égalité, on le sait, n'interdit pas que des
situations différentes soient traitées différemment (décision du 12 juill. 1979, AJDA 1979
(sept.) p.46).
Aujourd'hui l'art. L 153 du Code de la voirie routière, qui régit désormais le péage pour
l'utilisation des ouvrages d'art, ne fait plus état de leur caractère exceptionnel et temporaire.
Sa nouvelle rédaction, résultat de la loi précitée du 13 août 2004, semble même encourager
les collectivités publiques à y recourir.

Sous section II: Les utilisations privatives.

Elles se traduisent par l'occupation d'une certaine portion du domaine public par une
personne déterminée, empêchant ou limitant l'utilisation par les autres administrés. C'est
pourquoi elles sont soumises à un régime distinct du précédent, globalement plus restrictif.

1) Les principes généraux applicables aux utilisations privatives.


Pour les présenter schématiquement, on peut considérer qu'elles sont subordonnées à
autorisation, soumises à redevance, et demeurent précaires et révocables.

48
A - La condition relative à l'autorisation.

a) Sa nécessité.
Que l'utilisation soit non conforme à la destination normale de la dépendance (p. ex.
implantation d'une terrasse de café sur un trottoir), ou qu'elle soit conforme et corresponde à
l'usage pour lequel le bien a été conçu (p. ex. occupation d'un caveau dans un cimetière, ou
d'un emplacement sur un marché), I'autorisation de l'occupation privative est une
nécessité absolue. Elle est d'ailleurs confirmée expressément pour le domaine public national,
par l'article 28 du Code du domaine de l'Etat, qui dispose que "nul ne peut, sans autorisation
délivrée par l'autorité compétente, occuper une dépendance du domaine public national ou
l'utiliser dans des limites excédant le droit d'usage qui appartient à tous".
L'autorisation peut être accordée par acte unilatéral ou par contrat. En toute hypothèse,
les actes réglementaires qui organisent son régime ne peuvent prévoir son octroi tacite. Pour
le Conseil d'Etat, en effet, "ainsi que l'a rappelé la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens
dans leurs relations avec les administrations, un régime de décision implicite d'acceptation ne peut être institué
lorsque la protection des libertés ou la sauvegarde des autres principes de valeur constitutionnelle s'y opposent
; qu'en vertu de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, auquel se réfère le Préambule
de la Constitution, la protection du domaine public est un impératif d'ordre constitutionnel ; que le pouvoir
réglementaire ne pouvait donc légalement instaurer un régime d'autorisation tacite d'occupation du domaine
public, qui fait notamment obstacle à ce que soient, le cas échéant, précisées les prescriptions d'implantation et
d'exploitation nécessaires à la circulation publique et à la conservation de la voirie" (CE 21 mars 2003
Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et les réseaux, RJEP 2003 p. 341 concl.
Austry).
Si l'occupation n'entraîne pas de modification de l'état physique de la dépendance (p.
ex. pose d'enseigne surplombant la voie publique, ou installation d'étals mobiles), il y aura,
selon la terminologie habituelle, permis de stationnement.
Si, en revanche, l'occupation implique une atteinte matérielle à la dépendance
(implantation de canalisations, de pylônes, etc.), l'autorisation sera dite permission de voirie
si elle est unilatérale, et concession de voirie si elle est accordée par contrat.

b) Ses critères.
A l'occasion de l'instruction de la demande d'autorisation, l'administration peut tenir
compte de considérations variables selon la dépendance concernée. Schématiquement, on
peut considérer que celles-ci portent d'une part sur la destination de l'occupation, d'autre part
sur les facteurs de sélection des bénéficiaires.

* La destination de l'occupation.
Les occupations privatives peuvent être autorisées même si elles correspondent à une
utilisation de la dépendance domaniale non conforme à sa destination principale. Du moins
doivent-elles être compatibles avec celle-ci, c'est à dire ne pas y porter une atteinte excessive.
Cette solution de principe a été affirmée dans un arrêt du Conseil d'Etat selon lequel les
autorisations "ne peuvent légalement intervenir que si, compte tenu des nécessités de l'intérêt
général, elles se concilient avec les usages conformes à la destination que le public est
normalement en droit d'y exercer, ainsi qu'avec l'obligation qu'a l'administration d'assurer la
conservation de son domaine public" (CE (S) 3 mai 1963 Cne de Saint Brévin les Pins, RDP
1963 p. 1174, note Waline: à propos de l'autorisation d'implanter des bouchots à moules le
long d'une plage).

Souvent, lorsque le bien fait l'objet d'une utilisation collective, l'autorisation


d'occupation privative est accordée en vue d'activités qui constituent le complément utile,

49
voire indispensable de ces utilisations collectives (p. ex. sur les voies publiques: stations
services, terrasses de café, mobilier urbain divers: affichage, abribus, toilettes, etc.).

* Les facteurs de sélection des bénéficiaires.


Mis à part les cimetières, dans lesquels compte tenu des nécessités de l'ordre public et
de traditions profondément ancrées dans notre civilisation l'administration a l'obligation
d'autoriser l'inhumation des défunts remplissant les conditions légales (art. L 2223-3 CGCT;
voir sur la portée de cette obligation et sur sa distinction de celle d'accorder une concession:
CE (S) 5 déc. 1997 Cne de Bachy c/ Mme Saluden-Laniel, AJDA 1998 p.258 concl.
Piveteau), l'occupation privative n'est généralement autorisée que d'une manière sélective,
compte tenu, par exemple, de la nécessité de limiter l'atteinte à l'affectation principale, en
cas d'usage anormal (p. ex. kiosques sur les voies publiques), ou bien à raison du nombre
réduit des emplacements disponibles, en cas d'utilisation conforme (p. ex. emplacements sur
une foire ou un marché). C'est pourquoi le refus de l'autoriser, même s'il restreint la liberté du
commerce et de l'industrie, ne porte pas atteinte à une liberté fondamentale (CE, ord. réf. 16
sept. 2002, EURL la Cour des Miracles, AJDA 2002 p. 833).
A l'occasion de son choix, l'administration ne dispose pas d'un pouvoir totalement
arbitraire même si son appréciation reste largement discrétionnaire. Le juge, en effet, peut
contrôler ses motifs, et, grosso modo, exige qu'ils soient inspirés par la bonne gestion du
domaine public, dans l'intérêt général. Ainsi, en fonction des circonstances, peuvent être
retenues des considérations d'ordre public (v. p. ex. CE 11 mai 1976 Ville de Lyon, Rec.
p.211: est légal le refus opposé à un sex-shop d'installer une paire d'enseignes lumineuses à
proximité immédiate du Mémorial de la Résistance à Lyon), la qualité des prestations
offertes aux usagers (v. p. ex. à propos de l'attribution des emplacements aux attractions
foraines: CE (S) 18 nov. 1966 Froment et dame Clément, RDP 1967 p.987 concl. Galabert:
illégalité de la prise en compte de la profession des ascendants; légalité du choix fondé sur la
nature des attractions, l'attrait qu'elles suscitent auprès du public), l'intérêt financier (v. CE 2
mai 1969 Sté d'affichage Giraudy, AJDA 1970 p.110, note de Laubadère: concession par la
Ville de Toulouse de l'affichage publicitaire fondée "sur des motifs d'ordre esthétique ou
financier"; CE 23 juin 1986 Thomas, RFDA 1987 p.198 concl. Stirn: légalité de la résiliation
anticipée d'un contrat d'occupation du domaine public pour y installer un nouvel occupant
acceptant le paiement d'une redevance plus élevée).
L'administration peut même subordonner l'octroi de l'autorisation à des obligations de
service public, si l'activité lui semble particulièrement importante pour l'intérêt général. Cette
possibilité a été ouverte par une jurisprudence du Conseil d'Etat (CE 5 mai 1944 Cie maritime
de l'Afrique Orientale, S. 1945 III p.15 concl. Chenot: légalité des obligations de service
public en matière de remorquage, imposées aux bénéficiaires de concessions d'occupation des
ports à Madagascar), qui étend aux occupations privatives la solution déjà inaugurée pour les
utilisations collectives par l'arrêt de 1932 Sté des autobus antibois précité.
Jusqu'à ces derniers temps, sauf pour les contrats de mobilier urbain, qualifiés de
marchés publics, et soumis de ce fait aux procédures de passation prévues par le Code (v.
p. ex. CAA Paris 26 mars 2002, Sté J. Cl. Decaux, CMP mai 2002 p. 4 concl. contraires
Haïm) le contrôle opéré sur le choix des bénéficiaires d'autorisations conditionnant l'exercice,
sur le domaine public, d'une activité économique, ne portait pas sur le respect des règles de
la concurrence entre les divers candidats. Le Conseil d'Etat jugeait, par exemple, que
l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la concurrence ne s'appliquait pas à un décret se
bornant "à autoriser un opérateur à occuper et à exploiter le domaine public pour y exercer
une activité privée" (CE 13 juin 1997 Sté des transports pétroliers par pipe-line et autres,
AJDA 1997 p.794 concl. Bergeal).

50
Avec l'extension progressive – et irrésistible – du droit de la concurrence aux activités
administratives, cette solution ne pouvait qu'être remise en cause. Déjà, le Conseil de la
Concurrence, statuant sur les conditions dans lesquelles Aéroport de Paris autorise les
entreprises de location de véhicules à occuper son domaine public, avait jugé que ces
décisions étaient prises "en vue d'exercer une activité de production, de distribution ou de
services" relevant de l'ordonnance de 1986 (2 déc. 1998, AJDA 1999 p.532 note Richer). Le
Conseil d'Etat a donc finalement opéré un revirement, en statuant sur la même affaire (CE (S)
26 mars 1999 Sté EDA, AJDA 1999 p.427 concl. Stahl, note Bazex). Son commissaire du
gouvernement l'invitait "à admettre une certaine invocation des règles de la concurrence
posées par l'ordonnance de 1986 dès lors qu'est en cause l'occupation du domaine public à
des fins d'exploitation commerciales". Suivant ces conclusions, la Haute Juridiction a jugé
que lorsque le domaine public est le siège d'activités économiques, la légalité des
autorisations d'occupation est subordonnée au respect de la liberté du commerce et de
l'industrie et de l'ordonnance de 1986. L’administration ne doit donc pas, en sélectionnant les
bénéficiaires, fausser le jeu de la concurrence en favorisant abusivement certains d’entre eux.
Ainsi, par exemple, en ce qui concerne l’occupation du domaine public par les opérateurs de
télécommunications, un refus ne peut légalement être opposé à un nouvel intervenant au motif
que les autorisations sont réservées à France Télécom du fait de son statut d’opérateur public
(TA Paris 10 janv. 2000 Colt Télécom. France, D. 2000 IR p.97).
En outre, l’autorisation peut conditionner l’exercice d’une activité de service public
déléguée par la personne publique. Elle doit alors suivre la procédure spécifique prévue par la
loi du 29 janvier 1993 dite "anticorruption" (v. pour le sous-traité d'exploitation d'une plage,
impliquant entretien et surveillance de la salubrité et de la sécurité : CE 21 juin 2000 SARL
Plage "chez Joseph", RFDA 2000 p.797 concl. Bergeal).

c) Ses modalités.

* L'autorité compétente.
Elle doit d'abord être un représentant de la personne publique (propriétaire ou disposant
du bien). Une personne privée ne peut en principe autoriser l'occupation privative du domaine
public, à moins qu'elle n'en ait reçu mandat (v. p. ex. CE 8 janv. 1960, Lafon, AJDA 1960
p.183: autorisation d'occuper une vitrine de la gare Saint Lazare donnée par une société
concessionnaire de la publicité pour la SNCF). L'hypothèse est relativement fréquente, elle
implique que l'autorisation soit donnée par contrat, les personnes privées ne disposant pas,
normalement, du pouvoir de prendre des actes unilatéraux: il existe ainsi de nombreux
sous-concessionnaires d'occupation du domaine public, souvent sur agrément préalable de
la personne propriétaire.
Lorsque l'occupation n'emporte pas modification de l'assiette du domaine public (il
s'agit alors d'un permis de stationnement), l'autorisation est considérée comme se rattachant à
la police de l'ordre public et relève donc de l'autorité de police générale (CE 14 mars 1972
Elkoubi, Rec. p.436).
Dans le cas contraire (permission ou concession de voirie), l'autorisation relève de
l'autorité chargée de la conservation du domaine public.
Souvent, c'est la même autorité qui cumule les deux compétences, mais parfois, il y a
lieu de dissocier, notamment en matière de voirie. Ainsi, comme on l'a déjà vu, le maire,
autorité de police municipale sur l'ensemble du territoire communal (et, donc, compétent pour
accorder tous les permis de stationnement), n'a la police de la conservation que sur les voies
communales, et ne peut donc légalement réglementer l'affichage sur toutes les palissades de
chantiers dans sa commune, puisque celles-ci, "fixées par des poteaux enfoncés et scellés
dans le sol de la voie publique ", en modifient l'assiette, et exigent donc des permissions de

51
voirie dont l'octroi, pour les routes nationales, relève des autorités de l'Etat (CE (S) 29 avr.
1966 Sté d'affichage Giraudy, Rec. p.421).
De même, dans les communautés urbaines, la gestion du domaine routier est transférée
au président de la communauté, alors que les pouvoirs de police générale demeurent confiés
aux maires des communes adhérentes (sur un exemple de répartition, voir CE 11 mai 1976
Ville de Lyon, précité: compétence du maire de Lyon, la réglementation des enseignes,
soumise à permis de stationnement, relevant de la police de l'ordre public).
A Paris, la réglementation des petits métiers traditionnels s'exerçant sur la voie publique
relève du maire, et non du préfet de police (v. pour la création d'un "carré aux artistes" à
Montmartre : CE 11 fév. 1998 Ville de Paris c/ assoc. de défense des artistes-peintres sur la
place du Tertre, AJDA 1998 p.523 concl. Bachelier, et pour les sujétions imposées aux
bouquinistes : CE 6 nov. 1998 Assoc. Amicale des bouquinistes des quais de Paris, D. 1999
IR p.6).
L'illégalité pour incompétence de la décision de passer un contrat d'occupation du
domaine public autorise le juge à enjoindre à l'administration de demander au juge du contrat
sa résolution (CE (S) 26 mars 1999 Sté Hertz France et autres, RFDA 1999 p.977 note
Pouyaud).

* L'acte d'autorisation.
Selon le cas, il peut être unilatéral ou contractuel. S'il est unilatéral, il est soumis au
régime normal de contrôle des actes administratifs. Le refus d'autorisation doit être motivé,
conformément à la loi du 11 juillet 1979, mais n'a pas à être précédé d'une procédure
contradictoire (CE 16 juin 1995 Achache, Rec. p.627).
Si l'autorisation est donnée par contrat, son régime sera toujours administratif si au
moins l'une des parties est une personne publique (le plus souvent la collectivité propriétaire
du bien concerné). Si, par le jeu des sous-concessions, toutes les parties sont des personnes
privées, au moins l'une de celles-ci doit en principe avoir la qualité de concessionnaire de
service public (TC 10 juill. 1956 Sté des steeple-chase de France, Rec. p.487; CE 11 déc.
2000, Mme Agofroy et autres, RFDA 2001 p. 1277 concl. Autry : conventions d'occupation
d'un ancien entrepôt de la Ville de Paris conclues entre des artisans et une société chargée
d'activités d'animation socio-culturelle). Le Tribunal des Conflits semble cependant s'en tenir
parfois à la stricte application de l'article L 84 du Code du Domaine, qui soumet au droit
administratif les contrats d'occupation passés par les concessionnaires sans autre précision
(TC 23 fév. 1981 Sté Socamex c/ Sté des autoroutes du sud de la France, Rec. p.501: contrat
entre une société d'économie mixte et une société exploitant un restaurant d'autoroute),
Compte tenu des effets produits par ces contrats sur les tiers, le recours pour excès de
pouvoir est assez largement admis à leur propos, notamment par le biais commode de la
notion d'acte détachable. Ainsi peuvent être contestés la décision de consentir une concession
d'endigage (CE (Ass.) 30 mars 1973 Min. de l'aménagement du territoire c/ Schwetzoff, Rev.
Adm. 1973 p.511 concl. Guillaume: origine de l'affaire du port de Bormes les Mimosas), ou le
refus de faire respecter les obligations des occupants contractuels (CE (S) 3 mai 1963 Min.
des travaux publics c/ commune de Saint Brévin, précité). En revanche, les candidats évincés
ne peuvent utiliser la procédure du référé précontractuel de l'article L 551-1 du Code de
justice administrative que si la concession domaniale implique aussi une délégation de service
public (CE 12 mars 1999 Ville de Paris c/ Sté Stella Maillot- Orée du Bois, AJDA 1999 p.439
: inapplicabilité de l'article L 22 à l'attribution de la concession du restaurant "l'Orée du Bois"
qui, même s'il contribue à l'accueil des touristes et au rayonnement de la capitale, n'assure pas
un service public).

B - La redevance.

52
a) Son principe. Aujourd'hui le patrimoine des personnes publiques est considéré
comme une richesse à exploiter dans les conditions économiques optimales, même si naguère
l'administration a jugé utile d'accorder gratuitement les autorisations d'occupation du domaine
public. Cette pratique ne peut être invoquée comme précédent pour contester l'exigence d'une
redevance: le principe de gratuité, selon le Conseil d'Etat "est inapplicable aux autorisations
d'occupation privative du domaine public" (CE 11 fév. 1998 Ville de Paris c/ Assoc. pour la
défense des artistes peintres sur la place du tertre, précité).
Ainsi, si traditionnellement, les grands services publics assurés sous forme de monopole
bénéficiaient, lorsqu'ils occupaient privativement le domaine public, d'un régime de gratuité,
actuellement, leur ouverture progressive à la concurrence conduit à les traiter comme des
entreprises ordinaires. En matière de télécommunications, l'article R 20.52 du code des P et T déterminait
le montant maximum (réévalué annuellement en fonction de l'évolution de l'indice du coût de la construction)
des redevances dues par les exploitants, variable selon les lieux occupés et les installations concernées : à titre
d'exemple de 20 000 F le kilomètre linéaire pour les lignes utilisant le sous-sol d'une autoroute située en zone de
montagne à 150 F pour celles placées sous les autres voies). Toutefois le Conseil d'Etat a jugé illégale cette
tarification, au motif que " l'administration, (…) n'apporte aucun élément permettant au juge d'exercer son
contrôle sur les bases de calcul retenues et de vérifier ainsi que les montants fixés correspondent à la valeur
locative du domaine et à l'avantage que l'occupant en retire ; qu'en outre, en l'absence de toute justification
apportée par l'administration, l'écart entre le montant de la redevance due pour les autoroutes et le montant de
la redevance due pour les routes nationales, départementales et communales ne peut être regardé comme
respectant le principe d'égalité"(CE 21 mars 2003 précité).
Les mêmes principes ont été retenus en matière de distribution d'électricité : ainsi, selon l'art. R 2333-
105 du CGCT, "La redevance due chaque année à une commune pour l'occupation du domaine public
communal par les ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d'énergie électrique est fixée par
le conseil municipal dans la limite des plafonds suivants :
PR = 153 Euros pour les communes dont la population est inférieure ou égale à 2 000 habitants ;
PR = (0,183 P - 213) Euros pour les communes dont la population est supérieure à 2 000 habitants et
inférieure ou égale à 5 000 habitants ;
PR = (0,381 P - 1 204) Euros pour les communes dont la population est supérieure à 5 000 habitants
et inférieure ou égale à 20 000 habitants ;
PR = (0,534 P - 4 253) Euros pour les communes dont la population est supérieure à 20 000 habitants
et inférieure ou égale à 100 000 habitants ;
PR = (0,686 P - 19 498) Euros pour les communes dont la population est supérieure à
100 000 habitants,
où P représente la population sans double compte de la commune telle qu'elle résulte du dernier recensement
publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).
Les plafonds de redevances mentionnés au présent article évoluent au 1er janvier de chaque année,
proportionnellement à l'évolution de l'index ingénierie, défini au Journal officiel du 1er mars 1974 et publié au
Bulletin officiel du ministère de l'équipement, des transports et du logement, mesurée au cours des douze mois
précédant la publication de l'index connu au 1er janvier".
De même, depuis le décret du 31 mai 1997, les sociétés concessionnaires d'autoroutes doivent acquitter
une redevance pour occupation du domaine public, qui a pu légalement être instituée par décret car elle n'est pas
un impôt (CE 28 juill. 1999 Sté Cofiroute, RFDA 1999 p.1115).

b) Son montant. Le plus souvent, il est fonction de l'importance de la parcelle occupée,


de l'activité du bénéficiaire et des profits qu'il peut en attendre :pour le Conseil d'Etat en effet,
:"la redevance imposée à un occupant du domaine public doit être calculée non seulement en fonction de la
valeur locative d'une propriété privée comparable à la dépendance du domaine public pour laquelle la
permission est délivrée mais aussi, comme l'a d'ailleurs rappelé l'article R. 56 du code du domaine de l'Etat, en
fonction de l'avantage spécifique procuré par cette jouissance privative du domaine public"(CE 21 mars 2003,
Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et les réseaux, précité).
Ainsi, lorsque l'autorisation conditionne l'exercice d'une activité économique, ce sont
généralement le chiffre d'affaires et le bénéfice réalisés qui sont pris en compte (v. pour la
concession d'un port de plaisance : CE 7 mai 1980, SA Les marines de Cogolin, Rec. p.
215).). Le Conseil d'Etat peut censurer les redevances dont les bases de calcul méconnaissent

53
le principe d'égalité (21 mars 2003 précité: la redevance due par les exploitants de
télécommunications pour l'occupation des autoroutes était plus de 60 fois plus élevée que
pour les routes). Sur le choix du montant, il opère en principe un contrôle minimum (CE 28
juill. 1999, Sté Cofiroute, précité " il ne ressort pas des pièces du dossier que, dans le choix et
dans la pondération des critères retenus pour le calcul de la redevance contestée ni dans la
détermination du taux de redevance, les auteurs du décret attaqué aient commis une erreur
manifeste d'appréciation").
c) Sa nature juridique est relativement floue. Sans doute considère-t-on que la
redevance perçue en contrepartie d'autorisations contractuelles, correspondant à une
prestation administrative, relève exclusivement du contentieux administratif, conformément à
l'article L 84 du Code du Domaine. En revanche, l'incertitude subsiste encore sur les droits
perçus sur autorisation unilatérale. Longtemps, on les a rangés dans la catégorie des taxes
assimilées aux contributions indirectes, classement entraînant un partage complexe de leur
contentieux entre les juridictions administratives, compétentes pour connaître par recours
pour excès de pouvoir de la légalité des actes fixant leurs tarifs, et les juridictions judiciaires,
compétentes pour connaître, par voie d'exception, de la même question, et également, des
actions en décharge, réduction, remboursement et opposition aux états exécutoires ( sur les
inconvénients de ce partage, voir les conclusions de M. Fouquet sur CE 22 déc. 1989
Chambre de commerce et d'industrie du Var, RFDA 1990 p.649).
Actuellement, la jurisprudence tend à les classer globalement dans les contributions
caractéristiques d'une "opération de puissance publique", relevant de ce fait du contentieux
administratif (voir notamment les conclusions précitées, suivies implicitement sur ce point par
le Conseil d'Etat: le contentieux de l'action en décharge des redevances perçues au titre de
l'autorisation d'occuper des dépendances du domaine public maritime est administratif; voir
ég. TC 20 oct. 1997 SA Papeteries Etienne c/ Voies navigables de France, RFDA 1998 p.452:
à propos de taxes de prise d'eau sur le domaine public fluvial, directement liées à l'occupation
du domaine public; TC 26 mai 2003 : "La taxe prévue par l'article 124 de la loi de finances du 29
décembre 1990 sur les titulaires d'ouvrages de prise d'eau, rejet d'eau ou autres ouvrages hydrauliques destinés
à prélever ou à évacuer des volumes d'eau sur le domaine fluvial, qui ne peut être rangée ni parmi les
contributions indirectes, ni parmi les impôts directs et ne constitue pas davantage une redevance pour service
rendu, est directement liée à l'occupation de ce dernier et son contentieux relève, à ce titre, de la juridiction
administrative"). Cette solution connaît cependant des exceptions. En effet, alors que pour les
communes, les produits des permis de stationnement et des droits de voirie sont rangés dans
les recettes non fiscales (article L 2331 -4 CGCT), les droits de place dans les foires et
marchés, classés dans les recettes fiscales, sont assimilés à des contributions indirectes, dont
la contestation relève du contentieux judiciaire (CE 26 mars 1990 SA Comptoir lyonnais des
viandes, Rec. p.634).

C - La précarité des autorisations.


Elle découle de l'inaliénabilité du domaine public, et implique que, puisque
l'administration doit toujours, lorsqu'elle le souhaite, avoir la disposition de ses dépendances
domaniales, non seulement les autorisations peuvent ne pas être renouvelées lorsque arrive
leur terme, mais encore elles peuvent être retirées avant expiration de leur durée normale.
C'est pourquoi le bail commercial est, comme on l'a vu, exclu sur le domaine public. De
même, on s'interroge encore aujourd'hui sur la possibilité d'y reconnaître le fonds de
commerce (v. O de David Beauregard: Fonds de commerce et domaine public, AJDA 2002 p.
790).
Si elles ont été accordées par contrat, leur résiliation prématurée est possible,
conformément au principe de mutabilité des contrats administratifs, dans l'intérêt
général, ou à titre de sanction (voir p. ex. CE 8 nov. 1972 SNCF, Rec. p.711: est légale la

54
résiliation d'un contrat entre un syndicat de taxis et la SNCF pour l'installation d'un poste
téléphonique sur le domaine public du chemin de fer, "intervenue en considération tant de
l'intérêt du domaine que de l'intérêt des usagers des taxis"). De ce fait, les stipulations d'un
bail sur le domaine public interdisant la résiliation avant un certain délai sont "incompatibles
avec les principes de la domanialité publique" (CE 6 mai 1985 Sté Eurolat Crédit foncier de
France, Rec. p.141).
Si elles résultent d'un acte unilatéral, les autorisations entachées de précarité ne
créent pas de droits acquis. Elles peuvent donc être abrogées dans l'intérêt général (il s'agit
alors d'une mesure de police n'imposant pas le respect des droits de la défense: CE 9 nov.
1994 Tigrini, Rec. p.1139).
Même les autorisations constitutives de droits réels accordées dans le cadre de la loi du
25 juillet 1994 (intégrée dans le Code du Domaine de l'Etat, articles L 34-1 à 9) peuvent être
retirées avant le terme prévu (art. L 34-3), indépendamment de tout manquement du
bénéficiaire à ses obligations.
Les seules restrictions à la précarité des occupations concernent les concessions dans
les cimetières, qui, pour le Conseil d'Etat, "n'ont pas le caractère précaire et révocable qui
s'attache, en général, aux occupations du domaine public" (CE (Ass.) 21 oct. 1955 Delle
Méline, Rec. p.491). D'aucuns en ont déduit que le droit du titulaire d'une concession
funéraire est "un droit réel immobilier de jouissance et d'usage aussi voisin que possible de la
propriété privée" (concl. Chardeau sur TC 25 nov. 1963 Cne de Saint Just-Chaleyssin, Rec.
p.793, arrêt qualifiant de voie de fait la violation du "respect dû aux sépultures"). Cette
analyse a été confirmée par la jurisprudence, qui qualifie d'emprise irrégulière l'atteinte aux
droits des concessionnaires (TC 4 juill. 1983 François c/ Cne de Lusigny, JCP 1985 II 20331
concl. Labetoulle).
Il n'en reste pas moins que malgré leur protection, les concessions dans les cimetières,
même lorsqu'elles sont dites "à perpétuité" peuvent être retirées, ou bien parce qu'elles ont été
laissées à l'abandon durant plus de 30 ans (art. L 2223-17 CGCT), ou bien par suite de la
désaffectation du cimetière (la concession doit être reportée dans le nouveau cimetière).

2) Les rapports entre administration et bénéficiaire.


Ils sont régis par des principes tentant de concilier deux inspirations contradictoires : la
prééminence nécessaire des intérêts collectifs sur ceux de l'utilisateur privatif (A), et la
nécessité de reconnaître à celui-ci un minimum de garanties (B).

A - La prééminence des intérêts collectifs.


On retrouve là encore l'idée de la primauté de l'ordre public et de la gestion du domaine
public, qui imposent au bénéficiaire de supporter toutes les contraintes liées à l'intérêt général.
Ainsi, les pouvoirs de gestion de la dépendance autorisent l'administration à imposer à
l'occupant privatif certaines obligations (a). Celui-ci doit en outre accepter certains aléas (b).

a) L 'occupation privative est sujette à réglementation.


On sait que l'octroi de l'autorisation peut être subordonné à certaines conditions. En
outre, des sujétions supplémentaires peuvent être imposées par la suite. L'autorité gestionnaire
se voit en effet reconnaître de larges pouvoirs d'intervention, empiétant parfois sur les
compétences d'autres autorités. Ainsi, le Conseil d' Etat a admis que la police de la gestion
des voies publiques parisiennes, donnée à l'époque au préfet de la Seine, l'autorisait à imposer
aux titulaires d'autorisations d'occupation de kiosques à journaux des mesures de police
administrative générale, relevant normalement de la compétence du préfet de police (CE (S)
20 déc. 1957 Sté nationale d'éditions cinématographiques, S. 1958 p.73 concl. Guldner, JCP
1959 II 10913 note Mimin: légalité de l'interdiction d'exposer et de vendre le magazine

55
"Paris-Hollywood" – publiant des photos "de charme" – dans les kiosques, contestée pour
incompétence, violation des libertés de la presse et du commerce et de l'industrie, alors que
pour le Conseil d'Etat, "il appartient à l'autorité chargée de la gestion du domaine public de
fixer, tant dans l'intérêt dudit domaine et de son affectation que dans l'intérêt général les
conditions auxquelles elle entend subordonner les permissions d'occupation"; v. ég. CE 6
nov. 1998 Assoc. amicale des bouquinistes des quais de Paris, précité : légalité d'une
réglementation du maire de Paris subordonnant l'autorisation des bouquinistes sur les quais à
des critères multiples : compétence professionnelle, esthétique des installations, etc.). La loi
du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a sensiblement étendu les pouvoirs de
police du maire de Paris.

b) L 'occupation privative est soumise à aléas.


C'est encore une conséquence de l'affectation du domaine public à l'utilité générale, qui
implique que les titulaires d'autorisations subissent les aléas imposés par l'utilisation optimale,
et par l'entretien et la conservation de la dépendance qu'ils occupent.
Sans doute le principal aléa tient-il à la durée même de l'occupation puisque, comme on
l'a vu, il peut même y être mis fin avant le terme prévu. De plus, en cours d'occupation, le
bénéficiaire de l'autorisation doit en principe subir sans indemnité les inconvénients des
travaux effectués dans l'intérêt de la dépendance qu'il occupe. Ainsi, par exemple,
l'exploitant d'une station-service établie sur une voie publique ne peut être indemnisé des
pertes d'exploitation subies à l'occasion de travaux de réfection de la chaussée (CE 14 nov.
1957 Delle Boulay, Rec. p.607). De même, la SNCF, dont les supports de ligne électrique
sont ancrés dans un pont routier, doit supporter la charge de leur déplacement lors des travaux
de reconstruction du pont (CAA Paris 7 nov. 1989 Ville de Paris c/ SNCF, Rec. p.340).

B - Les garanties du bénéficiaire de l'autorisation.


Elles sont, certes, inspirées par des considérations de justice et d'équité, mais également
par le souci de la bonne gestion du domaine public, qui, pour assurer le sérieux de ses
occupants et la qualité des prestations qu'ils peuvent le cas échéant y offrir, impose que leur
soient reconnus certains droits. Cet impératif tend à prévaloir, et entraîne, progressivement,
une évolution des solutions traditionnelles, initialement très défavorables aux occupants.
Ceux-ci, actuellement, peuvent, d'une part contester la régularité de leur éviction (a), d'autre
part obtenir certaines compensations financières (b).

a) Le contrôle juridictionnel de la régularité de l'éviction.


* Si celle-ci a lieu à l'expiration du délai normalement prévu, il semble qu'il soit
difficile de contester la décision de ne pas la renouveler, même en invoquant un détournement
de pouvoir: ainsi, la recherche d'un but financier peut justifier le refus de renouveler une
autorisation, s'il permet d'obtenir une redevance d'un montant supérieur à celui de la
précédente (CE 18 mars 1963 Cellier, AJDA 1963 p.474 note Dufau).
* Si l'éviction a lieu prématurément, avant le terme normal, elle doit, si elle constitue
une sanction, respecter les règles de légalité externe habituelles, motivation et procédure
contradictoire: c'est un retrait d'autorisation d'occupation du domaine public (kiosque à
journaux) qui est à l'origine de l'arrêt dame veuve Trompier-Gravier (CE (S) 5 mai 1944, D.
1945 p.110 concl. Chenot), connu pour avoir inauguré le principe général des droits de la
défense. Elle doit, sur le plan de la légalité interne, être justifiée par un comportement fautif,
c'est-à-dire un manquement du bénéficiaire à ses obligations (v. p. ex. CE 28 nov. 1979,
Maingaud, Rec. P. 811 : carence dans l’exploitation et le balisage d’établissements de pêche
par leurs concessionnaires ; CE 2 fév. 1979, Ville de Chalons sur Marne c/ GIE Publicitor,
Rec. P. 732 : sous-location d’emplacements publicitaires).

56
Si la mesure est justifiée par l'intérêt général, le contrôle du juge laisse à
l'administration une grande latitude dans le choix de ses motifs, qui peuvent ainsi, par
exemple, être d'ordre esthétique (CE 13 juill. 1951 Sté la nouvelle jetée-promenade de Nice,
Rec. p.404: retrait de l'autorisation de construire une jetée-promenade sur le site de la Baie
des Anges), ou d'ordre financier (CE 23 juin 1986 Thomas, Rec. p.167: dénonciation du
contrat d'occupation de la boutique de vente du Muséum d'histoire naturelle pour obtenir un
loyer plus avantageux).
Si l'illégalité de l'éviction est constatée, la mesure est annulée, que l'autorisation ait été
donnée par acte unilatéral ou par contrat. Le Conseil d'Etat, en effet, afin d'unifier les droits
des occupants privatifs, a admis, par dérogation à la solution habituellement appliquée dans le
contentieux des contrats administratifs, la possibilité d'annuler la résiliation irrégulière d'un
contrat d'occupation du domaine public (CE (S) 13 juill. 1968 Sté des Ets Serfati, AJDA 1968
p.582 concl. Bertrand). Cette solution demeure cependant très largement théorique: il est
symptomatique que l'arrêt précité, tout en admettant le principe, ait refusé d'en faire
application, la jurisprudence ultérieure ne semblant pas offrir d'exemples d'annulation
d'évictions irrégulières. Il est vrai que souvent, la résiliation irrégulière met fin à uns contrat
lui-même irrégulier auquel l'annulation redonnerait sa force obligatoire (voir not. à propos
d'un bail emphytéotique irrégulier irrégulièrement résilié :CAA Lyon 25 mai 1999, SA
Domaine et Golf du Lavandou, RFDA 2000 p. 1219).

b) Les garanties financières du bénéficiaire.


Outre le cas d'éviction illégale, qui constituerait une faute, elles sont reconnues dans
deux types de circonstances.

Le cas d'atteinte temporaire au droit d'occupation causée par des travaux


publics.
Parfois, comme on l'a vu, l'exécution de travaux régulièrement entrepris par les
collectivités publiques sur leur domaine public peut entraîner des conséquences
dommageables sur la situation des titulaires d'autorisations: gênes diverses, obligation de
procéder à de nouveaux aménagements, etc.
On sait que lorsque les travaux ont lieu dans l'intérêt de la dépendance occupée, ces
sujétions, quels qu'en soient les inconvénients, n'ouvrent en principe pas droit à
indemnisation, le bénéficiaire étant censé accepter les risques directement liés à la gestion du
domaine qu'il utilise. Toutefois, en réalité, les solutions adoptées s'avèrent plus nuancées et
d'une grande complexité. Elles semblent s'inspirer d'une formule jurisprudentielle devenue
traditionnelle, selon laquelle "la précarité des autorisations délivrées sur le domaine public
n'existe que dans l'intérêt même du domaine sur lequel elles ont été accordées" (CE 13 mars
1903 Compagnie d'Orléans, Rec. p.243).
* Ainsi, en premier lieu, le bénéficiaire de l'autorisation a droit à indemnisation lorsque
les travaux portant atteinte à son droit d'occupation sont effectués dans l'intérêt d'une autre
dépendance: par exemple, un exploitant de bateau-lavoir, occupant le domaine public fluvial,
est indemnisé si son installation doit être déplacée par suite de travaux sur la voie publique
longeant le cours d'eau (CE 18 mars 1959 dame Hoppé, Rec. p.184). La principale question
suscitant quelques difficultés porte alors sur la détermination de l'intérêt en vue duquel les
travaux sont réalisés. A cet égard, les travaux de construction d'égouts en sous-sol des voies
publiques donnent lieu à des solutions fluctuantes, l'opération étant présentée tantôt comme
exécutée dans l'intérêt non de la voirie, mais de l'hygiène publique (CE 22 déc. 1967 Sté des
Ets Sainrapt et Brice, Rec. p.956), tantôt comme un "travail normal de viabilité" (CE 10 fév.
1971 District urbain de Clermont de l'Oise, Rec. p.119).

57
* En second lieu, le droit à indemnité peut également être reconnu à l'occasion de
certains travaux effectués dans l'intérêt même de la dépendance occupée. Cette possibilité est
ouverte dans deux hypothèses.

1 - D'une part lorsque les travaux, bien que profitant incontestablement à la dépendance,
atteignent une certaine importance. La jurisprudence, à cet égard, a connu une évolution
sensible, aboutissant à une restriction progressive du droit à indemnisation. Initialement, on
admettait celui-ci lorsque l'importance des travaux permettait de considérer qu'ils sortaient
des prévisions du bénéficiaire. Puis le Conseil d'Etat a abandonné ce critère (CE (Ass.) 8 déc.
1944 Sté l'énergie industrielle, D. 1945 p.238 note P.L.: les frais engendrés par le
déplacement des lignes électriques imposé par l'élargissement de la RN 7 doivent être
supportés par le concessionnaire, "quelle que fût leur importance").
Le droit à indemnité était cependant ouvert lorsque les travaux aboutissaient à la
création d'un ouvrage nouveau (v. p.ex. pour une application significative, CE 18 nov. 1959
Secrétaire d'Etat aux travaux publics c/ GDF et EDF, Rec. p.1143: refus d'indemnité pour le
déplacement de lignes et canalisations, à l'occasion de l'élargissement d'un boulevard; octroi
d'une indemnité pour des opérations analogues nécessitées par l'ouverture de deux tronçons de
voies nouvelles et la reconstruction d'un pont à un emplacement différent).
L'évolution jurisprudentielle conduira finalement à dénier tout droit à indemnisation,
même en cas de construction d'ouvrages nouveaux, lorsque les travaux "constituent une
opération d'aménagement conforme à la destination" du domaine occupé (CE (S) 6 fév. 1981
Ministre de l'équipement c/ Cie française de raffinage, Rec. p.62). Ainsi, la construction d'une
nouvelle écluse et d'un bassin d'accès sur le canal de Tancarville, à distance des installations
précédentes, obligeait les compagnies pétrolières titulaires d'autorisations d'occupation des
dépendances du canal à déplacer sans indemnité leurs canalisations, s'agissant d' "une
opération conforme à la destination du canal". La même solution a été adoptée à propos de la
construction, à Saint-Denis, d'un tramway en site propre sur la voirie communale : les
concessionnaires d'occupation du sous-sol ont du supporter sans indemnité les travaux,
s'agissant d'un "aménagement réalisé dans l'intérêt de la voirie et conforme à la destination
du domaine public routier" (CE 23 fév. 2000 Sté de distribution de chaleur de Saint-Denis,
Rec. p. 79).
En revanche, la construction, à Charenton, à partir d'anciennes rues, "sur une emprise
plus importante et en partie différente, d'une voie autoroutière et d'une voie locale nouvelle"
ne constitue pas une opération d'aménagement conforme à la destination des voies, et ouvre
donc droit à indemnisation du concessionnaire contraint de déplacer ses installations (CE 9
mars 1983 Gaz de France, Rec. p.103).

2 - D'autre part, les travaux qui, en application des critères évoqués précédemment, ne
devraient pas ouvrir droit à indemnité le peuvent, lorsqu'ils sont réalisés dans des conditions
anormales engendrant des dommages. Ainsi, pour la destruction d'un câble souterrain à la
suite d'un coup de pioche donné sans précaution lors de travaux de voirie (CE 3 juil. 1957
Ville de Toulouse, Rec. p.436), ou, pour les frais supplémentaires entraînés par le retard pris
dans la reconstruction d'un pont vétuste, qui obligera à déplacer des canalisations de gaz
successivement sur une passerelle provisoire, puis sur l'ancien pont, pour permettre l'entretien
de la passerelle, puis à nouveau sur celle-ci, avant leur transfert définitif sur le nouveau pont
(CE 13 juil. 1962 Gaz de France, Rec. p.507).

! Le cas d'expiration de l'autorisation.


Deux hypothèses peuvent être envisagées.

58
Le refus de renouveler l'autorisation arrivée à son terme n'ouvre jamais droit à
réparation (sauf clause contraire), même lorsque la raison qui le justifie est sans rapport avec
l'intérêt du domaine occupé (CE (Ass.) 29 mars 1968 Ville de Bordeaux c/ Sté Menneret,
AJDA 1968 p.348 concl. Théry: refus de renouvellement d'une permission de voirie, accordée
sur le domaine public portuaire, opposé pour les besoins de la construction d'un pont, donc du
domaine public routier).
En revanche, lorsque l'expiration de l'autorisation est prématurée, le droit à
indemnité est reconnu, mais dans des conditions différentes selon le caractère unilatéral ou
contractuel de l'autorisation.
- L'occupant contractuel bénéficie d'un régime plus favorable, sa situation étant
réputée moins précaire du fait du contrat. Il a en principe droit à réparation des pertes que lui
cause la résiliation anticipée. Il existe, dans la ligne de cette solution générale, des textes
particuliers régissant certains occupants, tels les titulaires de baux emphythéotiques (loi du 25
juillet 1994), ou les locataires d'emplacements dans les marchés d'intérêt national (décret 10
juillet 1968).
On affirme couramment que l'indemnisation de l'occupant contractuel serait exclue
lorsque la résiliation de l'autorisation résulterait d'une mesure générale de désaffectation de la
dépendance. Mais le seul arrêt sur lequel serait fondée cette exception est déjà ancien, et
rédigé en termes peu significatifs (CE 4 janv. 1954 Leroy, Rec. p.211: l'occupant d'un marché
dont la concession a été résiliée par suite de la désaffectation du bien "ne justifie d'aucune
circonstance qui pût, en l'espèce, ouvrir à son profit un droit à indemnité").
- L'occupant sur autorisation unilatérale a longtemps été placé dans une situation
très défavorable, puisque son éviction était exclusive de toute réparation dès lors qu'elle avait
pour motif l'intérêt général (CE (S) 6 mai 1932 demoiselle Taillandier, Rec. p.467: retrait
d'autorisation d'une baraque implantée sur le domaine public militaire à Marseille).
Aujourd'hui, sa situation, bien que toujours précaire, s'est améliorée. En effet, il sera
indemnisé s'il est évincé pour des raisons tenant à un intérêt autre que celui de la dépendance
occupée (CE (Ass.) 29 mars 1968 Sté Menneret, précité: le permissionnaire évincé occupait le
domaine public portuaire, il a droit à indemnité, l'abrogation anticipée de l'autorisation ayant
pour raison la construction du pont Saint Jean à Bordeaux).
Ainsi a été opérée une certaine unification de la situation des occupants privatifs du
domaine public, avec le souci manifeste d'assurer la qualité des activités qui s'y exercent en
incitant à la réalisation d'investissements importants, moyennant des garanties sérieuses.

DEUXIEME PARTIE: LES TRAVAUX PUBLICS.

Assez curieusement, et peu logiquement, le travail public a d'abord été caractérisé par
un régime juridique particulier, dérogatoire du droit commun. Celui-ci découlait de la loi du
28 pluviôse an VIII sur les Conseils de préfecture.
A une époque où le contentieux administratif relevait du ministre-juge, cette loi confiait
aux Conseils de préfecture, ancêtres des Tribunaux administratifs, la résolution des litiges se
rattachant à l'activité des entrepreneurs de travaux publics (l'article 4 mentionnait les
contrats passés entre ceux-ci et l'administration, et les dommages qu'ils causaient aux
particuliers).
Faute de définition de la notion, ce sont les Conseils de préfecture qui, pour délimiter le
champ de leur compétence devront, sous le contrôle du Conseil d'Etat et du Tribunal des
Conflits, en préciser progressivement les contours.
Les litiges, jugés par des organismes collégiaux qui constituaient les embryons de notre
actuelle juridiction administrative, ont donné lieu à des solutions originales, qui conserveront

59
ce caractère même lorsque le juge se verra confier l'ensemble du contentieux de
l'administration.
Ainsi, aujourd'hui, le droit des travaux publics diffère encore du droit commun de
l'action administrative sur un certain nombre de points.
La réalisation des travaux publics a lieu grâce à des modalités juridiques
particulières: elle peut justifier la mise en œuvre de privilèges spéciaux, et, surtout, elle se
concrétise par des actes juridiques à statut spécifique, les marchés et concessions de travaux
publics, dont le régime se distingue à la fois de celui des autres contrats de l'administration et
de celui des contrats privés de travaux.
La responsabilité à raison des travaux publics est mise en œuvre selon un régime
juridique spécial combinant faute, présomption de faute ou absence de faute, selon la qualité
des victimes, avec des solutions longtemps globalement plus favorables à celles-ci que ne
l'était le droit commun de la responsabilité administrative.
La procédure contentieuse relative aux travaux publics est marquée par ses origines
et déroge au droit commun sur un certain nombre de points. Ainsi, on peut d'ores et déjà
indiquer qu'elle fait exception à la règle dite de la décision préalable, qu'elle peut n'opposer,
devant le juge administratif, que des personnes privées, et que devant les tribunaux
administratifs, elle est dispensée du ministère d'avocat, même en plein contentieux.
Compte tenu de ces particularités, il importe de définir le champ d'application du régime
juridique des travaux publics (titre I), avant d'étudier celui-ci (titre II).

Titre I: Les matières relevant du régime juridique des travaux publics.

Les conditions dans lesquelles a été établi le contentieux des travaux publics ont conduit
à en concevoir extensivement le champ d'application. Cette démarche a permis d'étendre la
compétence des Conseils de préfecture, en limitant celle du ministre-juge, dans un souci de
déconcentration et aussi d'émancipation de la justice administrative. En outre, jusqu'en 1953,
elle a permis de désencombrer le Conseil d'Etat, juge de droit commun du contentieux
administratif.
Le droit des travaux publics s'applique donc aujourd'hui à des domaines dépassant
largement le cadre initialement prévu par les auteurs de la loi du 28 pluviôse an VIII, et par
les premières applications auxquelles elle a donné lieu. Il est traditionnel de présenter la
notion de travaux publics et le régime qui s'y attache comme ayant un caractère attractif.
Ainsi, par exemple, à la suite d’un dommage de travaux public, les parties concernées ne
peuvent s’accorder pour saisir le juge judiciaire : la compétence des juridictions
administratives est d’ordre public, et il est impossible d’y déroger conventionnellement (Cass.
1ère Civ. 26 juin 2001, EDF, D. 2001, IR p. 2177).
Sur le plan économique, compte tenu de l'importance prise par les activités
d'aménagement des espaces publics, les opérations soumises au régime des travaux publics se
sont multipliées, justifiant souvent au sein du gouvernement la création d'un ministère
spécialisé.
Actuellement, le champ d'application du régime juridique des travaux publics est
délimité à l'aide de deux notions: le travail public (chapitre I), et l'ouvrage public (chapitre II).

Chapitre I: Le travail public.

C'est évidemment la notion-clé, compte tenu des termes mêmes de la loi du 28 pluviôse
an VIII.

60
Comme pour toutes les grandes notions de base du droit administratif, il n'en existe pas
de définition législative ou réglementaire générale. Seules quelques lois particulières ont
expressément qualifié de travaux publics (parfois pour rectifier une qualification
jurisprudentielle jugée inadéquate) certaines opérations. Il existe ainsi des travaux publics par
détermination de la loi, par exemple la loi du 16 juin 1966 dispose dans son art. 1er :"Les
travaux de détection, d'enlèvement, de neutralisation, de stockage et de destruction des
explosifs et pièges de guerre ont le caractère de travaux publics".
Pour le reste, c'est au juge qu'il revient, à l'occasion des litiges dont il est saisi, de
délimiter les contours de la notion de travail public. A cette fin, il combine, selon une
méthode classique, conditions obligatoire et alternative.

Section I: La condition nécessaire: un travail sur un immeuble.

Le terme travail est pris ici au sens d'opération matérielle (I). Cette opération doit être
en relation avec un immeuble (II).

1) Une opération matérielle.


Il en existe évidemment une multitude de possibilités : construction (v. p. ex. CE 5 nov.
1975 Pélissier, Rec. p.537: route), destruction (v. p. ex. CE 2 fév. 1973 Drilleau, Rec. p.93:
démolition d'un immeuble), opérations diverses, telles les exhumations dans les cimetières
(CE 7 nov. 1930 Sté d'entreprise générale, Rec. p.915), les captages de sources (CE (S) 26
mars 1976 Colboc, Rec. p.183), les travaux d'entretien des immeubles publics (v. p. ex. CE 23
mars 1966 Sté Otis-Pifre, Rec. p.231: maintenance d'un ascenseur ; TC 9 juin 1999 Cne de
Villeneuve d'Asq, RFDA 1999 p.1111 : entretien et réparation du chauffage d'un groupe
scolaire). La notion d'entretien étant susceptible d'englober des opérations d'ampleur très
variable, il semble cependant que la jurisprudence retienne un seuil d'importance en deçà
duquel l'entretien n'est plus un travail public. Ainsi, si incontestablement la collecte des
ordures ménagères, rattachée à l'entretien de la voie publique, entre bien dans la catégorie (CE
(S) 23 déc. 1970 Cne de Bessèges, Rec. p.790), le balayage, le nettoyage des vitres d'un
immeuble, opérations qui n'ont "rien de commun avec le maintien en état des lieux, n'ajoutent
rien à leurs conditions d'usage ni à leur substance" (Civ. 9 janv. 1958, AJDA 1958 p.186) en
sont exclus: il s'agit de "petit entretien".
En toute hypothèse, lorsque certaines activités de l'administration combinent des
opérations intellectuelles, ou juridiques, et des mesures d'exécution matérielles, seules ces
dernières peuvent être des travaux publics. Il en va ainsi, par exemple, pour le remembrement
foncier, qui permet de procéder, dans l'intérêt général, à des transferts forcés de propriété: les
actes qui arrêtent les périmètres concernés sont soumis au régime contentieux de droit
commun (CE (S) l9 nov. 1965 Cts Delattre-Floury, JCP 1966 II 1697, concl. Rigaud; v. ég.
CE (S) 11 janv. 1957 Sté le Palace, RPDA 1957 n•47 p.30), alors que les opérations
concrètes, telles les mesures par géomètres-experts (CE 27 fév. 1974 Minet, CJEG 1975
p.l60), ou les creusements de fossés et abattages d'arbres (TC 7 mars 1994 Préfet de la
Charente-Maritime, Rec. p.591) relèvent du régime des travaux publics.
Cela dit, l'application de la condition relative à l'existence d'une opération matérielle
n'impose pas que celle-ci ait eu effectivement lieu. On étend en effet le régime des travaux
publics au cas de défaut d'exécution de l'opération, notamment en matière de responsabilité.
Ainsi, lorsqu'un contrat porte sur l'exécution d'une opération matérielle de travaux
publics, la renonciation à la réaliser est soumise au contentieux des travaux publics (CE 17
nov. 1948 Cayré, Rec. p.431). Il en va de même lorsqu'un dommage résulte de l'absence ou de

61
l'insuffisance de travaux publics d'entretien d'un bien (cette hypothèse dite de "défaut
d'entretien normal" sera abordée plus longuement par la suite).

2) Un immeuble.
L'opération matérielle doit avoir lieu sur un immeuble. Le critère du caractère
immobilier, on le sait, réside dans l'absence de mobilité, la fixation durable au sol.
Ainsi, une tribune reposant uniquement sur deux chevalets, sans aucune autre attache
avec le sol, ne donne pas lieu à travaux publics (CE 11 juin 1931 Cne de Fouques, Rec.
p.621), non plus qu'un hangar à avions, "essentiellement mobile et fixé au sol par de simples
piquets" (CE (Ass.) 17 juin 1938 Le Tournir, Rec. p.554).
Le lien avec le sol n'exclut cependant pas une certaine mobilité: ainsi, une cible
flottante ancrée au fond de la mer territoriale par une chaîne relève du régime des travaux
publics (CE 4 déc. 1970 Min. de la Défense c/ Starr, Rec. p.734).
L'immeuble peut être bâti (p. ex. une église: v. CE 10 juin 1921 Cne de Monségur, S.
1921 III p.49 concl. Corneille, note Hauriou), ou non bâti: ainsi, l'entretien et la surveillance
des arbres appartenant aux personnes publiques sont des travaux publics (v. CE 30 juin 1976
Carrier, Rec. p.341: campeur blessé par la chute d'un pin apparemment "jeune et sain" ; TC 5
juil. 1999 Cne de Stetten, RFDA 2000 p.453 : élagage d'un arbre classé monument naturel en
raison de l'intérêt général présenté par sa conservation).
L'opération peut porter sur des immeubles par nature ou par destination. En effet,
faisant application de la théorie de l'accessoire, la jurisprudence étend le caractère immobilier
à certaines dépendances normalement mobilières lorsqu'elles apparaissent comme le
complément indispensable d'un immeuble. Par exemple, est un travail public la construction
d'un orgue spécialement étudié pour être installé dans un studio de l'ORTF: "constituant avec
ledit studio un élément d'un ensemble qui présente une unité, l'orgue dont il s'agit doit être
regardé comme un immeuble par destination" (CE 10 fév. 1978 Sté Muller, RDP 1979 p.543
note Waline ; v. ég. à propos de l'orgue de la cathédrale de Strasbourg : CE 14 juin 1999
Conseil de fabrique de la cathédrale de Strasbourg, JCP 1999 II 10209 concl. Combrexelle).
Cela dit, si l'opération doit avoir lieu sur un immeuble, celui-ci n'est pas toujours
directement l'objet des travaux, qui peuvent porter seulement sur des objets se trouvant dans
ou sur l'immeuble. Ainsi, on a vu que le ramassage des ordures ménagères est un travail
public (CE 23 déc. 1970 Cne de Bessèges, précité). De même pour l'exhumation des corps des
héros de la grande guerre en vue de leur rassemblement (CE 7 nov. 1930 Sté d'entreprise
générale, précité).

Section II: L'intervention d'une personne publique.

A l'origine, ce critère se présentait sous une forme unique. Puis, il a connu une
évolution analogue à celle du critère de la domanialité publique. En effet, en 1955, le Tribunal
des Conflits en a admis une variante.
Aujourd'hui, il est donc mis en œuvre d'une manière alternative. Lorsqu'un travail
immobilier est effectué, il est travail public si, en outre, il répond à l'une des deux conditions
suivantes:

1) Il est effectué pour le compte d'une personne publique dans un but d'utilité générale.
C'est la définition classique, initiale, du travail public, telle qu'elle a été notamment
formulée par le Conseil d 'Etat dans l'arrêt du 10 juin 1921 Cne de Monségur, précité: statuant
sur l'action en indemnité des parents d'un enfant blessé par la chute du bénitier d'une église, il

62
a décidé que "les travaux effectués dans une église, pour le compte d'une personne publique,
dans un but d'utilité générale, conservent le caractère de travaux publics".
Cette formule implique la réunion de trois éléments.

A - Un but d'utilité générale.


La notion est assez floue. On est, évidemment, tenté de l'assimiler à celle de service
public. En réalité, elle s'avère plus large, et recouvre l'ensemble des missions des personnes
publiques, même celles auxquelles est refusée la qualification de service public. On illustre en
général cette conception extensive à l'aide de deux exemples classiques. Ainsi, dans l'affaire
Commune de Monségur précitée, l'entretien de l'église ne constituait plus un service public
depuis la loi de 1905 établissant la séparation entre les Eglises et l'Etat, mais demeurait une
activité d'utilité générale. De même, dans un arrêt relatif aux concessions d'énergie
hydraulique, le Conseil d' Etat a qualifié les travaux de publics, alors qu'il était admis que les
concessions en question n'étaient pas de service public (CE 22 juin 1928 Epoux de Sigalas, S.
1928 III p.113 note Hauriou).
La jurisprudence a cependant posé une limite à sa tendance extensive: en principe,
lorsqu'une collectivité publique agit dans l'intérêt pécuniaire de la gestion de son patrimoine,
elle est réputée se comporter comme un simple particulier, et le juge estime que son action ne
présente pas l'utilité générale exigée. Il en va souvent ainsi pour les opérations réalisées dans
le cadre de la gestion du domaine privé, notamment pour l'exploitation des forêts. Ainsi, la
construction d'une route vouée exclusivement à l'exploitation forestière n'est pas un travail
public (TC 10 juin 1963 Sté Lombardi, Rec. p.786).
On peut douter que cette solution traditionnelle, découlant d'une idéologie libérale
semblant exclure le but financier de la recherche de l'intérêt général (v. CE (Ass.) 1er avril
1938 Sté l'alcool dénaturé de Coubert, Rec. p.337), soit encore défendable aujourd'hui, alors
qu'il est admis que la valorisation de leur patrimoine fait partie des missions normales des
personnes publiques. Le Conseil d'Etat, en tous cas, n'hésite pas à en réduire la portée en
considérant que le caractère patrimonial d'une opération se double d'une utilité générale lui
donnant le caractère d'un travail public (v. CE 5 nov. 1975 Pélissier, Rec. p.537: à propos
d'une route "qui est destinée non seulement à permettre l'exploitation d'une forêt communale,
mais aussi à desservir, dans l'intérêt général, une partie importante du territoire non forestier
de la commune"). Il n'en reste pas moins que malgré la loi du 4 décembre 1985 relative à la
gestion, la valorisation, la protection de la forêt française, qui dispose que "la mise en valeur
et la protection de la forêt française sont reconnues d'intérêt général", le Tribunal des
Conflits maintient sa solution initiale, en recourant, parfois, à des nuances assez subtiles (v.
TC 5 juill. 1999 Mme Menu et autres, RFDA 2000 p.453 : l'entretien d'une route
d'exploitation forestière n'est pas un travail public, car si elle est ouverte à la circulation du
public, elle n'est pas affectée à la circulation générale).

B - La personne publique.
Jusque dans les années 1850, les juridictions administratives éprouvaient certaines
réticences à admettre que toutes les personnes publiques pouvaient être soumises au régime
des travaux publics. Leurs réserves se manifestaient notamment vis à vis des communes et des
établissements publics. Aujourd'hui, la question ne soulève plus de difficultés: le travail
public peut être réalisé au profit de toutes les collectivités publiques (Etat, collectivités
territoriales, établissements publics, même industriels et commerciaux). Cependant,
l'évolution progressive du statut de certaines personnes publiques contraintes d'ouvrir le
secteur dont elles étaient chargées à la concurrence (p. ex. EDF-GDF ou La Poste) affectera
sans doute à l'avenir le régime de leurs travaux, qui pourraient être réintégrés dans le droit
commun.

63
C - L'action pour le compte de la personne publique.
L'expression est riche de sens possibles. La jurisprudence l'entend largement, en ne
prenant pas en compte les conditions de réalisation de l'opération, mais ses objectifs, ses
résultats.
Ainsi, le travail public peut être réalisé par la personne publique elle-même, en régie, ou
bien (cas le plus fréquent) par une personne privée (notamment une entreprise spécialisée). Il
en est ainsi même si l'opération a été réalisée sans l'accord de la personne publique (v. CE 18
fév. 1983 Cne de Coubon, Rec. p.76: amélioration, dans l'intérêt général, de la viabilité d'un
chemin rural faisant partie du domaine privé communal ; TC 18 déc. 2000, MACIF, D. 2001,
IR p. 354 :aménagement par le syndicat des copropriétaires d’un centre commercial, sans
mandat de la commune, d’un giratoire qui sera par la suite incorporé à la voirie).
L'essentiel réside dans les effets de l'opération pour la collectivité publique: elle doit en
tirer bénéfice, soit qu'elle soit propriétaire du bien en cause, soit qu'elle le devienne.
C'est pourquoi lorsque les travaux sont effectués par des personnes privées concessionnaires,
ils sont travaux publics s'ils portent sur des biens dits "de retour", qui reviendront au
concédant à l'expiration de la concession. C'était le cas, par exemple, pour les travaux de la
SNCF à l'époque (antérieure à 1983) où elle était société de droit privé (TC 17 fév. 1972
SNCF c/ Entreprise Solon et Barrault, RDP 1972 p.465 concl. Braibant). En revanche, une
société privée concessionnaire d'une opération d'aménagement urbain n'effectue pas des
travaux publics lorsqu'elle construit un centre commercial dont les cases seront revendues à
des particuliers (CE (S) 20 mars 1981 Sté entreprise Auclair, Rec. p.154). De même, les
travaux de la SNCF et Réseau Ferré de France pour rétablir les canaux d'irrigation
appartenant à des associations syndicales de propriétaires, déviés par suite de la construction
du TGV Méditerranée sont effectués pour le compte de personnes privées et ne sont donc pas
des travaux publics (TC 4 mars 2002, SCI du Canal du Béal c/ SNCF et RFF, DA mai 2002,
n° 82).
On aurait pu penser que dans la ligne de ces solutions, la jurisprudence qualifierait
également de travaux publics les opérations entreprises sur le domaine public par les titulaires
de baux emphytéotiques, puisque, comme on l'a vu précédemment (v. 1ère partie), les ouvrages
réalisés dans le cadre de ces contrats doivent, à l'expiration du bail, devenir la propriété du
bailleur. Le Conseil d'Etat a cependant décidé du contraire, en considérant que même si les
ouvrages correspondent aux besoins de la personne publique, qui en deviendra propriétaire,
celle-ci ne joue, ni pendant leur réalisation, ni avant le terme fixé, le rôle de maître d'ouvrage
(CE (S) 23 fév. 1994 SA Sofap-Marignan-immobilier, Rec. p.94: à propos de la construction,
par une société privée, de bâtiments destinés notamment à l'extension de l'Hôtel de Ville de
Lille). Cette solution surprenante semble ne pas remettre pour autant en cause le critère
habituel de l'action pour le compte d'une personne publique: il est probable qu'elle restera
circonscrite au domaine des baux emphytéotiques, que le Conseil d'Etat souhaite sans doute
soumettre à un régime plus souple que celui des travaux publics.
Les exemples qui viennent d'être rapportés montrent que les termes "pour le compte"
sont source d'ambiguïté. En effet, dès les premières utilisations de ce critère, on a constaté
qu'il était mal adapté à la qualification de certains travaux, réalisés à l'initiative des personnes
publiques, et sous leur contrôle, dans un but d'intérêt général, mais sur des biens
appartenant à des personnes privées. Ces interventions aboutissaient souvent à préserver,
voire à valoriser la propriété privée, et il était difficile, de ce fait, de soutenir qu'elles étaient
effectuées pour le compte d'une personne publique, alors même que leur similitude avec les
travaux publics classiques rendait opportune leur soumission au même régime.
Longtemps, le Conseil d'Etat, lorsque les circonstances s'y prêtaient, a soumis ces
travaux à un régime administratif en les rattachant à la police administrative. Ce n'est

64
qu'implicitement qu'il en résultait l'application des règles des travaux publics. Ainsi, par
exemple, statuant sur des opérations de consolidation d'un immeuble vétuste, il a jugé que le
maire peut intervenir sur la propriété privée en cas de danger "grave et imminent pour la
sécurité publique", et que les travaux sont "d'intérêt collectif" et "doivent être exécutés par la
commune à ses frais" (CE (Ass.) 24 janv. 1936 Mure, Rec. p.105).
Finalement, en 1949, le Conseil d'Etat franchira le pas, en admettant que l'expression
"pour le compte de" peut se rattacher non seulement à la gestion du patrimoine, mais
également à une mission traditionnelle de la puissance publique, la police administrative.
Saisi, cette fois encore, d'un litige portant sur des travaux effectués sur un immeuble
menaçant ruine, il a constaté qu'ils n'avaient "eu pour objet que de parer aux dangers graves
et imminents résultant pour la sécurité et la salubrité publique" d'un risque d'éboulement sur
une propriété privée, et en a conclu que "dès lors, l'exécution de ces travaux entrepris pour le
compte de la commune et dans un but d'utilité générale", était un travail public (CE 29 avril
1949 Cts Dastrevigne, Rec. p.185).
I1 reste que dans d'autres domaines, difficilement rattachables à la police, sinon tout à
fait artificiellement, tels le logement social, le reboisement etc., les opérations ne pouvaient
être considérées comme réalisées "pour le compte" de la personne publique qu'au prix d'une
conception très extensive de la formule.
C'est pourquoi en 1955, le Tribunal des Conflits a inauguré un nouveau critère, utilisé
comme alternative du précédent.

2) Le travail est effectué par une personne publique, dans le cadre d'une mission de
service public.
Ce critère a été utilisé pour la première fois à propos d'une opération de reconstruction
d'immeubles détruits lors de la dernière guerre, dans un arrêt du Tribunal des Conflits (TC 28
mars 1955 Association syndicale de reconstruction de Toulon c/ Effimieff, Rec. p.617). Il
admet expressément que des travaux effectués sur des immeubles privés, au bénéfice de
leurs propriétaires, peuvent être des travaux publics, lorsque sont réunies deux
conditions cumulatives:
- ils sont réalisés par une personne publique
- ils sont réalisés dans le cadre d'une mission de service public.

A - La mission de service public.


Jusqu'à présent, ce sont surtout des activités administratives de service public qui
semblent avoir donné lieu à l'application de ce critère. Pour les travaux effectués dans le cadre
des services publics industriels et commerciaux, c'est l’action pour le compte d'une
personne publique dans un but d'utilité générale qui est généralement invoquée (v. cependant
pour une application de la jurisprudence Effimieff à un SPIC : TC 23 oct. 2000, Sté Solyclaf
c/EDF-GDF, RFDA 2001 p. 514).
Ainsi, outre les opérations de reconstruction régies par la loi du 16 juin 1948 (TC 1955
Effimieff précité; TC 22 fév. 1960 Borel, Rec. p.858), ont été également considérés comme
travaux publics les opérations de construction de logements sociaux (CE (S) 10 mars 1978
OPHLM de Nancy, AJDA 1978 p.401 concl. Labetoulle), de débroussaillement et de
reboisement (CE (S) 20 avril 1956 Ministre de l'Agriculture c/ Cts Grimouard, Rec. p.168), de
consolidation des édifices privés menaçant ruine (CE (Ass.) 12 avril 1957 Mimouni, D. 1957
p.413 concl. Tricot), de construction de locaux dans le cadre d'une opération de
décentralisation industrielle (CE 3 déc. 1970 Cne d'Aunay sur Odon, Rec. p.972) ou de
promotion du développement économique et de l'emploi (TC 17 nov. 2003, Préfet du Nord,
AJDA 2004 p. 558); de viabilisation d'un terrain en vue du développement d'une activité
économique et de la création d'emplois (Cass. 1ère Civ. 25 fév. 2003, Asselin, D. 2003 IR p.

65
806; d'irrigation (TC 28 sept. 1998 Ribeiro c/ Assoc. syndicale autorisée pour le
développement de l'irrigation des coteaux du Vaucluse, D. 1998 IR p.258), etc.

B - La participation de la personne publique.


Elle doit exécuter elle-même les travaux, ou, au moins, les diriger, en être maître
d'œuvre. Une simple surveillance, ou une participation financière ne suffisent pas (v. p. ex.
TC 28 avril 1980 Prunet, Rec. p.507: ne sont pas des travaux publics les opérations effectuées
par le propriétaire privé d'un immeuble classé monument historique, agissant selon les
prescriptions et sous la surveillance de l'architecte en chef des monuments historiques).
A plus forte raison, si les travaux sont réalisés par une personne privée, même agissant
dans le cadre d'un service public, ils ne peuvent être qualifiés de travaux publics, du moins
dans le cadre de l'application de ce critère. Il aurait été envisageable de l'admettre, en se
fondant sur le seul critère matériel, comme on le fait par exemple pour le contentieux des
actes unilatéraux de certaines personnes privées. Mais la jurisprudence refuse d'adopter une
conception trop extensive du travail public, en maintenant, en présence d'une opération de
service public, l'exigence du critère organique réducteur: la réalisation par une personne
publique.
Cette démarche n'est pas sans susciter certaines difficultés, puisqu'elle entraîne une
dissociation du contentieux d'opérations présentant des caractères identiques, selon la
personne qui les assure.
Ainsi, pour la reconstruction après les destructions de la guerre, les travaux sont des
travaux publics s'ils sont effectués par des associations syndicales de reconstruction,
établissements publics (TC 1955 Effimieff, précité; CE (S) 6 nov. 1970 Lafragette, Rec.
p.656), mais des travaux privés s'ils sont effectués par des sociétés coopératives de
reconstruction, personnes privées (CE 18 mai 1960 Epoux Grenet, Rec. p.340).
De même, la construction de logements sociaux connaît le même partage: travail
public lorsqu'elle est assurée par des offices publics d'HLM, établissements publics (CE (S)
10 mars 1978 OPHLM de Nancy, précité), elle est travail privé lorsqu'elle est réalisée par une
société coopérative d'HLM (CE (S) 7 nov. 1958 Entrepr. Eugène Revert, RDP 1959 p.596
concl. Heumann).
Il reste que le juge, lorsqu'il le souhaite, peut pallier cet inconvénient en utilisant le
critère de l'action pour le compte d'une personne publique: ainsi certains travaux de
reconstruction d'immeubles peuvent-ils être qualifiés de publics bien que réalisés par des
sociétés coopératives de reconstruction (v. CE 21 juill. 1970 Sté travaux hydrauliques et
entreprises générales, Rec. p. 509: à propos de malfaçons dans des conduits de cheminées).
En définitive, les deux critères, qui impliquent l'intervention d'une personne publique et
un but d'utilité générale, se complètent et se combinent avec une grande commodité pour le
juge qui peut, selon les circonstances, étendre ou restreindre à son gré l'application du régime
des travaux publics. La jurisprudence Effimieff ne marque pas une rupture, c'est plutôt un
aménagement du critère traditionnel, dans la ligne de la tendance générale de la jurisprudence
des années 1955-1956, portée à privilégier la notion de service public comme critère du
régime administratif.

Chapitre II : L 'ouvrage public.

La notion n'est mentionnée qu'incidemment par la loi du 28 pluviôse an VIII, origine du


régime des travaux publics, qui s'y réfère à propos de l'indemnisation des expropriations.
Pourtant, aujourd'hui, elle constitue un élément clé dans la définition du champ d'application
de la matière, bien que, longtemps, le juge ait privilégié l'utilisation des termes "travail
public", même pour désigner des objets et non des opérations (v. p. ex. pour un hangar à

66
avions: CE (Ass.) 17 juin 1938 Le Tournir, précité; pour un barrage: TC 21 mars 1966 Préfet
du Haut-Rhin c/ Cne de Soultz, Rec. p.82).
Il semble que ce soit Hauriou qui, le premier, ait proposé de dissocier, en adoptant une
qualification différente, l'opération et son résultat. Dans son Précis de droit administratif
(1927), il suggérait de distinguer "dans la matière des travaux publics, deux éléments,
l'opération de travaux publics avec ses diverses procédures, et le résultat de cette opération,
qui est l'ouvrage public". Pour lui, les deux notions feraient "partie d'une même matière, les
travaux publics, et cette matière donnerait lieu à un contentieux global".
Peu à peu, le juge s'est rangé à cette opinion: les biens relevant du régime des travaux
publics ne sont en général plus qualifiés de travaux publics, mais d'ouvrages publics.
La notion d'ouvrage public va donc prolonger celle de travail public (Sect. I). Mais, en
même temps, elle va s'en distinguer, pour devenir autonome (Sect. II).

Section I: La notion d'ouvrage public, prolongement de celle de travail public.

Son utilité est concrète: c'est une notion fonctionnelle, permettant d'étendre l'application
du régime des travaux publics à des situations jugées analogues alors qu'elles ne
correspondent pas strictement aux termes de la loi du 28 pluviôse an VIII, essentiellement
dans le contentieux de la responsabilité. Il en va notamment ainsi dans trois types de cas.
1) Le recours à la notion d'ouvrage public permet d'intégrer au régime de responsabilité
des travaux publics les dommages ne résultant pas d'une exécution défectueuse de
l'opération, mais découlant de la seule présence de l'objet qui en résulte (dommages dits
permanents: v. p. ex. CE (S) 10 mars 1978 OPHLM de Nancy, précité, qui, à propos des
dommages subis par le voisin d'une HLM, distingue ceux résultant de la réalisation du
bâtiment et ceux liés à sa présence).
2) Le recours à la notion d'ouvrage public permet d'intégrer au régime de responsabilité
des travaux publics certains dommages résultant de l'absence d'une opération matérielle de
travaux publics.
Initialement, on considérait que l'administration avait seulement une obligation
d'entretien du domaine public, et qu'elle n'engageait sa responsabilité qu'en cas de
manquement à cette obligation. Aujourd'hui, on admet qu'elle doit maintenir en état
d'entretien normal tous les ouvrages publics, même s'ils font partie du domaine privé, et
que sa carence engage sa responsabilité. Cette démarche revient à étendre le régime des
travaux publics à des hypothèses (dites de défaut d'entretien normal) où n'est en cause aucune
opération matérielle tangible (v. p. ex. CE (S) 4 déc. 1970 Ministre de la Défense c/ Starr,
précité: la collision d'un yacht avec une cible flottante de l'armée de l'air est due à la
défaillance du système de signalisation, qui témoigne d'un défaut d'entretien normal de cet
ouvrage public).
3) Le recours à la notion d'ouvrage public permet d'intégrer au régime des travaux
publics les dommages résultant de certains biens mobiliers.
Le juge tend en effet à appréhender globalement certains ensembles de biens mobiliers
et immobiliers, qui, pour lui, constituent un ouvrage public unique. Par ce biais, des meubles
peuvent donc être soumis au régime général de l'ouvrage public, donc du travail public.
Ainsi, par exemple, pour les bacs, dont seules les cales de passage présentent un
caractère immobilier, mais qui, pour le juge, constituaient dans leur ensemble des ouvrages
publics (CE (S) 19 juin 1936 Sté des bacs à vapeur de Seine Inférieure, précité, à propos du
bac de Quillebeuf) avant que l'application de la loi du 31 décembre 1957 n'entraîne leur
requalification comme véhicule (TC 15 oct. 1973 Barbou, AJDA 1974 p.94 concl. Braibant).
De même, pour un automoteur ravitailleur du port du Havre, "élément compris dans les
installations tant fixes que mobiles dont l'ensemble constitue l'ouvrage public exploité par le

67
port autonome du Havre" (CE 19 nov. 1954 Blassiaux, Rec. p.608). De même encore pour les
installations et matériels d'un aéroport (CE 19 nov. 1954 Cie Air Maroc, Rec. p.610: ceux-ci
font partie "des éléments immobiliers et mobiliers dont l'ensemble constitue l'aéroport de
Lyon Bron, qui est un ouvrage public").
Cela dit, bien que prolongeant le travail public-opération, l'ouvrage public n'en est pas
moins distinct.

Section II: L'ouvrage public, concept juridique autonome.

Nous indiquerons les éléments essentiels qui, actuellement, caractérisent la notion, puis
nous évoquerons ses relations avec certaines notions voisines.

1) La définition courante de la notion d'ouvrage public.


Compte tenu des conditions dans lesquelles elle est employée par la jurisprudence, la
notion d'ouvrage public ne peut être définie qu'en termes assez vagues. Il s'agit d'une
construction à dominante immobilière, affectée à une fonction d'intérêt général, et
appartenant en principe à une personne publique. Cette définition fait intervenir quatre
éléments.

A - Une construction.
L'ouvrage public présente toujours un caractère artificiel, implique, en somme, une
intervention humaine, même limitée. Ainsi, les couloirs aériens d'accès à un aéroport ne
sont pas des ouvrages publics (CE 2 déc. 1987 Cies Air Inter et autres, RDP 1988 p.277
concl. Massot: avions endommagés lors de collisions avec des oiseaux au décollage de
Marseille-Marignane), non plus que les plages non aménagées (CE 5 avril 1974 Allieu, Rec.
p.216).
Des difficultés sont apparues à propos des pistes de ski, généralement tracées au prix de
certaines modifications du terrain et de l'environnement. Le Tribunal administratif de Pau,
sans doute sensible à ce caractère artificiel, les avait qualifiées d'ouvrages publics (TA Pau 19
déc. 1979 Cts Batistella, Rec. p.635), mais le Conseil d'Etat, probablement soucieux de limiter
le contentieux administratif des accidents de ski aux cas les plus graves, a jugé, au contraire,
qu'une piste de ski ne constitue pas "par elle-même un ouvrage public" (CE (S) 12 déc. 1986
Rebora, CJEG 1987 p.601 concl. Bonichot: skieur se plaignant d'avoir dérapé sur une plaque
rocheuse située sous la neige d'une piste). En revanche, les installations annexes (balises,
filets de protection, etc.) constituent, eux, des ouvrages publics (CE 13 fév. 1987 Viéville c/
Cne de Saint Martin de Belleville, AJDA 1987 p.487, note Moreau: l'entraîneur de l'équipe
espagnole dévalant la pente avait heurté le dispositif de protection).

B - Une construction immobilière ou à dominante immobilière.


L'ouvrage public doit être fixé au sol. Ainsi, un plongeoir flottant librement (CE 12
oct. 1973 Cne de Saint Brévin les Pins, Rec. p.567), ou des poteaux de saut en hauteur
simplement posés (CE 23 juin 1971 Cne de Saint Germain-Langot, Rec. p.468) ne peuvent
être des ouvrages publics, à la différence d'une cible flottante, fixée au fond de la mer par une
chaîne ( CE 4 déc. 1970 Ministre de la Défense, précité), ou d'abris de marchés ancrés au sol
(TC 12 janv. 1987 Mme Derouet, Rec. p. 441). Il en va de même pour un banc posé dans la
cour d'un collège, qui, faute de fixation au sol, "ne peut être regardé comme élément de
l'ouvrage public constitué par l'établissement scolaire" (CE 26 sept. 2001, Département du
Bas-Rhin, RFDA 2001 p. 1318: élève blessé à l'œil par une latte soulevée par un de ses
camarades).

68
Il est vrai que cette exigence peut s'appliquer avec une grande souplesse, grâce aux
multiples ressources de la jurisprudence sur les ensembles auxquels peuvent être
rattachés certains éléments mobiliers. Ainsi, pour un ascenseur (CE 23 mars 1966 Sté Otis
Pifre, Rec. p.231: usagers d'un ascenseur chutant dans le vide alors que la cabine n'était pas à
l'étage), un distributeur automatique de confiseries dans une piscine (TA Versailles 16 oct.
1980 Cts Barrault, Rec. p.918: enfant tué par sa chute), une cage de buts de football non fixée,
mais "élément" d'un stade constituant un ouvrage public (CE 15 fév. 1989 Dechaume, RFDA
1990 p.231 concl. Stirn: gardien de but blessé par la chute de la cage à laquelle il s'était
suspendu).

C - L'affectation à une fonction d'intérêt général.


Selon les termes du commissaire du gouvernement Labetoulle (concl. sur CE (s) 10
mars 1978 OPHLM de Nancy, précité), il faut que l'ouvrage "réponde, par son usage, aux
besoins du public ou à ceux d'un service public ou encore à un but d'intérêt général". La
portée générale de la formule laisse le champ libre à des appréciations extensives classant
comme ouvrages publics non seulement les biens du domaine public affectés à l'usage du
public ou à un service public, mais aussi les biens du domaine privé, tels les chemins ruraux.
En outre, certains ouvrages présentant apparemment un intérêt purement privé peuvent, eux
aussi, se voir reconnaître une utilité collective leur conférant la qualité d'ouvrages publics (v.
p. ex. CE 25 juin 1971 Ville d'Angoulême, Rec. p.481: système d'évacuation des eaux d'une
propriété privée, "réalisé dans un but d'utilité générale"; CE 10 nov. 1993 Cne de Mirebeau
sur Bèze, Rec. p.314: réseau de télévision câblée installé dans un lotissement "pour concilier
la sauvegarde du site avec la liberté de réception des faisceaux hertziens nationaux par les
habitants").
Ce n'est que lorsqu'il semble ne présenter vraiment aucune utilité pour la collectivité
que l'ouvrage ne peut être considéré comme public. Il en va ainsi par exemple pour un
blockhaus construit par l'occupant allemand sur la côte atlantique, qui n'est plus "affecté au
service de la défense nationale" (CE 1er oct. 1971 Sté nouvelle foncière du Cap Ferret, Rec.
p.576). En revanche, même désaffectés, des branchements particuliers de gaz ou d'électricité
demeurent des ouvrages publics (v. CA Dijon 5 déc. 1984 et CA Chambéry 25 fév. 1985,
AJDA 1985 p.623 note Sachs).

D - L'appartenance à une personne publique.


Cette caractéristique est parfois invoquée par la jurisprudence pour refuser la
qualification d'ouvrage public à des installations présentant une utilité pour la collectivité (v.
p. ex. CE 27 mai 1964 Chervet, AJDA 1964 p.620: l'arche mobile d'un pont appartenant à un
particulier, même construite par l'administration et dans un but d'intérêt général, n'est pas un
ouvrage public; voir ég. Cass. Civ. 1ère 25 mai 1982 Sté Jean Claude Decaux Paris, JCP 1982
IV p.275: les caissons publicitaires implantés sur les voies publiques, restant la propriété des
sociétés qui les exploitent, ne sont pas des ouvrages publics).
Ainsi, les récentes transformations opérées dans l'organisation des anciens services
publics de réseaux affectent-elles leurs installations : devenues la propriété de personnes
privées, celles-ci perdent leur qualité d'ouvrages publics. Le Conseil d'Etat l'a déjà décidé à
propos des ouvrages immobiliers appartenant à France Télécom, désormais privatisée, quelle
que soit leur date de construction (CE (avis) 11 juill. 2001, Adélée, AJDA 2002 p. 266 note
Dufau ). La même solution devrait s'appliquer après la transformation d'EDF et GDF
d'établissements publics en sociétés de droit privé, prévue par la loi du 9 août 2004. (v. not.
l'éditorial de Chr. Lavialle: Une privatisation peut en cacher une autre , AJDA 2004 p. 1729)
Toutefois, il appartiendra à la jurisprudence de préciser l'impact réel de ces
changements, qui peut s'avérer limité : il n'est pas rare en effet que certaines

69
installations appartenant à des personnes privées soient reconnues comme ouvrages
publics. Il en va ainsi, d’abord, en application de la théorie de l’accessoire pour les
immeubles incorporés à un ouvrage public, tel par exemple la voie publique ou ses
dépendances (CE 11 juill. 2001, Adélée, précité, à propos des ouvrages de France Télécom.).
Cette solution s’applique également dans des circonstances diverses impliquant des personnes
publiques, soit que celles-ci deviennent à terme propriétaires du bien, soit qu'elles prennent en
charge son entretien. Ainsi, les branchements particuliers reliant les lignes électriques ou les
canalisations principales aux compteurs des abonnés sont des ouvrages publics, même s'ils
sont propriété privée (CE (S) 22 janv. 1960 Gladieu, RDP 1960 p.686 concl. Fournier). De
même pour les voies privées affectées à la circulation du public et entretenues par une ville
(CE 30 nov. 1979 Ville de Joeuf, Rec. p.909), ou pour un terre-plein appartenant à une société
d'aménagement, aménagé en parc de stationnement entretenu et surveillé par une ville (CE 19
oct. 1979 Sté Difamelec au Roy de la télévision, Rec. p.909).

2) La distinction de l'ouvrage public et des notions voisines.


On a pu observer que les éléments caractérisant l'ouvrage public (immeuble, intérêt
général, personne publique...) sont communs à d'autres notions déjà évoquées, celles de
domaine public et de travail public. Il existe en effet entre les trois notions d'assez
nombreux recoupements, sans, pour autant, qu'elles se superposent totalement, comme
on va le rappeler très succinctement.

A - Ouvrage public et domaine public.


En général, un ouvrage public fait partie du domaine public. Mais la notion d'ouvrage
public est à la fois plus large et plus étroite que celle de domaine public.
* Certains biens appartenant au domaine public ne sont pas des ouvrages publics.
C'est le cas, par exemple, pour les dépendances du domaine public naturel tels les rivages de
la mer, puisque l'ouvrage public suppose une intervention humaine.
* Certains ouvrages publics ne font pas partie du domaine public, ou bien parce
qu'ils sont classés dans le domaine privé (c'est le cas, par exemple, des chemins ruraux), ou
bien parce qu'ils appartiennent à des personnes insusceptibles d'avoir un domaine public,
notamment les personnes privées (CE 19 oct. 1979, Sté Difamelec au Roy de la télévision,
précité).
B - Ouvrage public et travail public.
Les deux notions, elles aussi, se recoupent, tout en demeurant distinctes. Il existe entre
elles une liaison de principe, puisque l'ouvrage public est le plus souvent le résultat d'un
travail public, alors que les travaux publics ont généralement lieu sur des ouvrages publics.
Mais une dissociation est également possible.
*Il peut y avoir travail public sans création d'un ouvrage public. C'est le cas,
notamment, lorsque, en application de la jurisprudence Effimieff, des travaux publics sont
effectués sur une propriété privée (v. p. ex. CE 12 avril 1957, Mimouni, précité: travaux sur
immeuble menaçant ruine).
* Les ouvrages publics ne donnent pas toujours lieu à travaux publics. En premier
lieu, leur existence peut résulter de travaux purement privés: c'est par la suite, après
acquisition par une personne publique, qu'ils deviendront ouvrages publics (v. TC 10 fév.
1949 Roubaud, Rec. p.591: canalisations et bassins réalisés par un lotisseur privé, qui
deviennent ouvrages publics après leur rachat par un département).
En second lieu, des travaux peuvent avoir lieu sur un ouvrage public sans être pour
autant travaux publics. Cette hypothèse est surtout illustrée par les travaux des
permissionnaires de voirie, titulaires d'une autorisation d'occupation privative du domaine

70
public emportant modification de l'état physique de la dépendance occupée. Initialement, la
jurisprudence distinguait selon le but de l'opération. Si elle était effectuée dans l'intérêt du
permissionnaire (aménagement en vue de permettre son activité), il s'agissait de travaux
privés; si elle était effectuée dans l'intérêt de la dépendance domaniale (notamment en vue de
sa remise en état), il s'agissait de travaux publics.
Cette solution aboutissait à des différences de traitement injustifiées entre les victimes
de dommages. C'est pourquoi elle a finalement été abandonnée, au profit d'une unification en
faveur du caractère privé des travaux du permissionnaire (v. CE (S) l l mai 1962 dame veuve
Ymain, D. 1962 p.556 concl. Combarnous: "les travaux par lesquels un particulier assure la
remise en état d'une portion de la voie publique en exécution d'une permission de voirie ne
présentent pas par eux-même le caractère de travaux publics").
Il est malgré tout possible que le permissionnaire de voirie exécute des travaux publics
lorsque, en contrepartie de l'autorisation accordée, l'administration le charge de certaines
opérations d'intérêt général (v. CE 13 nov. 1958 Zagouatti, AJDA 1958 p.123 concl. Bernard:
en contrepartie de l'autorisation de dévier un ruisseau, un permissionnaire avait dû construire
un canal d'écoulement des eaux, dont l'entretien est un travail public).

Titre II: Le régime juridique des travaux publics.

C'est l'ensemble des règles applicables aux travaux publics et aux ouvrages publics. A
tous points de vue, il s'avère largement exorbitant du droit commun.

Sous-titre I: La réalisation des travaux publics.

Elle a lieu après qu'une décision d'effectuer l'opération ait été prise par les autorités
compétentes. Celles-ci sont en principe libres d'en apprécier l'opportunité, qu'il s'agisse,
par exemple, de permettre la fourniture de certaines prestations aux administrés (v. CE 29
nov. 1963 Lachat, AJDA 1964 p.167: les communes n'ont pas l'obligation de procéder à des
opérations d'adduction d'eau), voire même de protéger les propriétés privées contre l'action
naturelle des eaux (selon une formule jurisprudentielle consacrée, "en l'absence de
dispositions législatives ou réglementaires les y contraignant, l'Etat et les communes n'ont
pas l'obligation d'assurer la protection des propriétés riveraines des cours d'eau navigables
et non navigables contre l'action naturelle des eaux": CE l9 oct. 1988 Ministre du
redéploiement industriel et min. de l'environnement c/ Veillard, Rec. p.347; sur l'application
du même principe aux rivages de la mer, v. CE (Ass.) 17 mai 1946 Cne du Vieux-Boucau,
Rec. p.135).
Cela dit, certaines opérations sont pratiquement imposées aux personnes publiques,
notamment aux communes, puisque les dépenses qu'elles entraînent sont qualifiées
d'obligatoires par le Code Général des Collectivités territoriales (art. L 2321-2) et peuvent
donner lieu à inscription d'office à leur budget (p. ex. la clôture et l'entretien des cimetières).
De plus, leur carence à réaliser certains travaux est susceptible, si elle est à l'origine de
dommages, d'engager leur responsabilité à des titres divers, si bien qu'en définitive, la marge
d'appréciation des autorités compétentes s'avère parfois limitée.
Selon les travaux projetés, des procédures adéquates doivent être respectées. Ainsi,
le plus souvent, l'opération est subordonnée à un permis de construire, formalité s'imposant
non seulement aux particuliers, mais également aux administrations. De même, les contraintes
de la protection de l'environnement peuvent imposer, si l'ampleur du projet le justifie, la
réalisation préalable d'une étude d'impact. Ces questions, relevant de disciplines faisant
l'objet d'autres enseignements (droit de l'environnement, droit de l'urbanisme) ne seront pas
abordées ici.

71
Une fois la décision prise, le travail, lors de sa réalisation, bénéficiera, quelles qu'en
soient les modalités, d'avantages particuliers témoignant de son statut juridique privilégié,
compte tenu de l'intérêt général réputé s'y rattacher.

Chapitre I: Les avantages liés à la réalisation des travaux publics.

Ils présentent un caractère exorbitant par rapport au droit commun des activités
administratives. On en recense habituellement quatre.

Section I: La servitude d'occupation temporaire.

C'est une sujétion portant sur les propriétés privées voisines des lieux où est réalisé un
travail public. Elle s'exerce au profit de tout exécutant, personne publique ou privée, et
impose au fonds qui en est grevé de supporter temporairement, moyennant indemnité,
l'installation de matériels destinés à une opération de travail public, voire même l'extraction
des matériaux qu'elle nécessite (d'où sa dénomination courante de "servitude d'occupation
temporaire et d'extraction de matériaux").
Ses origines sont lointaines. Elle semble remonter à un arrêt du Conseil du Roi du 7
septembre 1755 autorisant les entrepreneurs de travaux publics à "prendre la pierre, le sable,
le grès et autres matériaux pour l'exécution des ouvrages dont ils sont adjudicataires, dans
tous les lieux qui leur seront indiqués par les devis et adjudications desdits ouvrages".
Confirmée par la loi des 19 et 22 juillet 1791, elle est actuellement régie par la loi du 29
décembre 1892.

1) Conditions.

A - Un travail public.
C'est la condition essentielle (la loi du 29 déc. 1892 est d'ailleurs intitulée "sur les
dommages causés à la propriété privée par l'exécution des travaux publics"). L'usage de la
servitude à toute autre fin est donc illégal. Ainsi, elle ne peut servir à l'extraction de matériaux
en vue de leur revente, ou à occuper immédiatement un immeuble en cours d'expropriation
(CE 4 avr. 1973 SCI Rollino, Rec. p.277).

B - Une propriété privée non bâtie et non enclose.


Aux termes de l'article 2 de la loi de 1892, "aucune occupation temporaire de terrain ne
peut être autorisée à l'intérieur des propriétés attenantes aux habitations et closes par des
murs ou par des clôtures équivalentes, suivant les usages du pays". En pratique, cette
formulation apparemment simple n'est pas sans susciter de nombreux problèmes
d'interprétation, notamment sur le sens des termes "attenantes" (p. ex. des propriétés ne sont
pas attenantes si elles sont séparées par un chemin ou par une falaise à pic, même franchie par
un escalier), "habitations" (p. ex. une habitation peut être inhabitée), "closes" (p. ex. il peut
exister quelques brèches dans le dispositif de clôture), et "clôture" (p. ex. une clôture ne doit
pas nécessairement être artificielle: elle peut être naturelle, l'essentiel étant qu'elle s'oppose à
l'accès).

C - Une durée variable, mais ne pouvant dépasser cinq ans.


Au delà, la gêne apportée à la propriété privée justifie plutôt une expropriation pure et
simple (art. 9 loi 1892).
Ainsi, la limitation de durée interdit l'édification sur le terrain occupé d'un ouvrage
public permanent, puisque celui-ci entraînerait une dépossession de fait (v. p. ex. CE 14 mai

72
1975 Cts Chodron de Courcel, Rec. p.304: illégalité de l'aménagement d'un carrefour sur un
terrain faisant l'objet d'une simple occupation temporaire). Cela dit, il semble qu'en présence
d'opérations de grande ampleur, le juge témoigne une certaine bienveillance à l'égard de
l'administration en admettant l'utilisation de la servitude pour la réalisation d'ouvrages
susceptibles de demeurer permanents (v. CE (S) 18 déc. 1981 Min. des relations extérieures c/
Pelaz et autres, AJDA 1982 p.264 concl. Labetoulle: légalité de l'autorisation d'occupation
temporaire de parcelles en vue de construire une galerie de reconnaissance de 4 km destinée à
préparer le creusement d'un anneau souterrain de 10 km de diamètre accueillant un
accélérateur de particules du CERN: bien que cet ouvrage soit susceptible d'être incorporé
dans les installations de desserte du futur tunnel, il ne présente pas, par lui-même "quelle que
soit son importance, le caractère d'un ouvrage permanent").
Sous ces réserves, l'occupation temporaire peut avoir lieu quel qu'en soit l'objet, pourvu
qu'il soit lié au travail public (extraction, construction d'abris de chantier, de voie d'accès, de
passerelles provisoires, etc.).

2) Procédure.
Elle impose une autorisation préalable, par arrêté préfectoral comprenant en annexe
un plan parcellaire indiquant avec précision les terrains à occuper. Cet acte est soumis à un
régime autonome, qui le dispense de toutes les autorisations requises au titre des
réglementations administratives (notamment celles relatives à la protection de
l'environnement: voir CE (S) 18 déc. 1981, précité), mais ne l'affranchit pas pour autant, à ce
qu'il semble, du respect de leurs règles de fond (v. CE 23 sept. 1983 Carrier, Rec. p.900:
"l'autorisation donnée à l'administration d'occuper temporairement une propriété privée
intervient sur la base d'une législation différente de celle qui régit la protection de
l'environnement et l'exploitation des carrières, et ne dispense pas le bénéficiaire de se
conformer à ces dernières législations").
Une fois l'autorisation donnée, une tentative d'accord amiable sur l'indemnisation doit
avoir lieu. A défaut, un état des lieux est établi, au besoin par intervention d'un expert désigné
par le président du Tribunal administratif statuant en référé.
Faute de respecter cette procédure, l'administration commet une voie de fait. Si,
tout en respectant la procédure, elle agit irrégulièrement, il y a emprise irrégulière (TC 6 nov.
1967 Dougy, Rec. p.656: occupation et extraction irrégulière de matériaux pour l'autoroute
Paris- Lyon).

3) Contrepartie: l'indemnité.
Son versement incombe au bénéficiaire de l'autorisation, collectivité publique ou
entrepreneur. Elle doit couvrir la totalité du préjudice subi (prix des matériaux extraits,
réparations des dégradations, dépréciations, etc.). Elle a pour créancier les victimes de
l'occupation: propriétaire, locataire, fermier, usufruitier, etc. Son contentieux est administratif
si l'occupation a été autorisée par arrêté préfectoral, même si elle a donné lieu à des
conventions de droit privé entre le propriétaire et le bénéficiaire (TC 5 juill. 1999 Sté des
autoroutes Paris-Rhin-Rhône, AJDA 2000 p.154 concl. Sainte-Rose).
De la servitude d'occupation temporaire, d'application générale, peuvent être
rapprochées les sujétions résultant de réglementations particulières (p. ex. loi du 27 sept. 1941
complétée par la loi du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive: servitude en vue
de fouilles archéologiques, loi du 4 août 1962: servitude de passage des canalisations d'eaux
potables ou usées, etc.).

Section II: Le concours bénévole à la réalisation du travail public.

73
Il a lieu par un procédé juridique empirique et hybride: l'offre de concours. C'est la
jurisprudence qui, peu à peu, a défini cette notion et le régime juridique qui s'y applique.
L'essentiel des règles applicables remonte à la fin du XIXème siècle: le procédé, quoique non
dénué d'intérêt, puisqu'il permet de procurer à l'administration les moyens d'assurer certaines
opérations de travail public, est relativement peu usité.
Il s'agit d'un contrat par lequel une personne apporte à la collectivité publique une
contribution, le plus souvent en argent, pour permettre l'exécution d'un travail public.

1) Conditions.

A - Un apport.
Il peut être en argent (cas le plus fréquent), mais également en nature, en travail, etc. Il
doit, en tous cas, être gratuit, ou, du moins, non compensé par une prestation directe de la
collectivité bénéficiaire: il se présente, en somme, comme une libéralité, ce qui n'exclut pas,
cependant, son caractère intéressé.

B - Un intérêt.
Celui-ci peut être matériel: par exemple un particulier cède des canalisations à un
département en échange de leur entretien et de leur exploitation(v. CE 8 nov. 1957 Roubaud,
Rec. p.593).
Il peut également être moral: par exemple un particulier verse une participation
financière en vue de travaux permettant de réaffecter une église au culte (v. CE 21 juin 1957
Cne de Saint Martial le Mont, Rec. p.408).

C - La contribution à un travail public.


Elle conditionne le caractère administratif du contrat (v. p. ex. TC 27 juin 1955 Cts
Breuilh, Rec. p.626: refus -surprenant- d'admettre l'existence d'un travail public, et, donc,
d'une offre de concours alors qu'un particulier a donné un puits permettant l'aménagement
d'un réseau de distribution d'eau, en échange de la fourniture d'une certaine quantité d'eau
d'irrigation).

D - L'acceptation par une personne publique.


Si la qualité de l'offrant est indifférente, le bénéficiaire de l'offre doit toujours être une
personne publique (ou, au moins, son concessionnaire), qui, puisqu'il s'agit d'un contrat, doit
donner son accord exprès. Ainsi, l'autorisation accordée à la suite d'une demande
d'occupation du domaine public proposant de réaliser un ouvrage ouvert au public ne peut être
regardée comme l'acceptation tacite d'une offre de concours (CE 27 fév. 1995 Secrétaire d'
Etat à la mer c/ Torre, Rec. p.109).
La personne publique n'a pas l'obligation d'accepter l'offre, sauf si elle vise à
maintenir l'affectation d'un édifice cultuel. Selon le Conseil d'Etat, en effet, "si les
collectivités administratives sont libres, en principe, d'opposer un refus aux offres de
concours qui leur sont faites pour l'exécution d'un travail public, (...) un tel refus (...)
s'appliquant à une offre de concours faite par les fidèles en vue de maintenir pratiquement
l'affectation légale de l'édifice au culte, et, à la fois indispensable et suffisante pour atteindre
ce but, va directement à l'encontre de cette affectation, et, dès lors, est contraire à la loi" (CE
(Ass.) 26 oct. 1945 Chanoine Vaucanu, Rec. p.212).

2) Le régime juridique de l'offre de concours.


Tant que l'offre n'a pas été acceptée, elle peut être modifiée ou retirée. Après
acceptation par la personne publique, le contrat est réputé conclu. La situation juridique ainsi

74
créée est donc irréversible (v. CE 12 déc. 1986 Ferry c/ Cne de Grez-sur-Loing, AJDA 1987
p.283 note Pretot: refus de reconnaître la caducité d'une offre de concours proposant le don de
terrains permettant l'extension d'un cimetière en échange d'une concession perpétuelle dans
celui-ci après que la commune ait retiré cette concession). L'offrant a l'obligation de respecter
ses engagements (CE 15 fév. 1989 Mme Cudel-Oury, RDP 1989 p.1795). Au besoin, la
personne publique bénéficiaire peut demander au juge du contrat de lui enjoindre d'exécuter
(CAA Paris, 5 juin 2001, Cne de Saint-Nom-La-Bretèche, RFDA 2001 p. 1357: promesse non
tenue de céder gratuitement des terrains pour la réalisation d'équipements collectifs). En
revanche, l'administration, elle, peut renoncer aux travaux faisant l'objet de l'offre (v. CE 17
juin 1960 Langellier-Bellevue, Rec. p.405: "s'agissant d'une offre de concours,
l'administration restait libre de décider de l'opportunité qu'il y avait pour elle de donner ou
non suite aux projets de travaux envisagés dans la convention"). Sa renonciation n'engage pas
sa responsabilité, et l'oblige juste à restituer l'apport.
Cette inégalité de situation des parties, plus sensible encore que dans le droit commun
des contrats administratifs, conduit souvent la doctrine à qualifier curieusement l'offre de
concours de "contrat unilatéral".

Section III: La possibilité pour la collectivité publique de récupérer les plus-values


provoquées par la réalisation du travail public.

Certains travaux publics, aboutissant à des aménagements, des embellissements,


procurent incontestablement des avantages aux propriétés privées, qu'ils améliorent,
directement ou par l'intermédiaire de leur environnement. On a donc estimé que des raisons
aussi bien morales que financières justifiaient la possibilité de demander aux propriétaires
concernés une participation correspondant à la plus-value engendrée par ces travaux financés
par la collectivité. En somme, puisque, comme on le verra, la dépréciation d'une propriété à la
suite de travaux publics donne lieu à réparation, il a semblé souhaitable, dans le cas inverse,
d'obtenir au profit de la collectivité le remboursement d'au moins une partie des frais engagés.
Les deux techniques de récupération utilisées s'avèrent cependant assez largement
rudimentaires, et, finalement, génératrices d'inégalités de traitement.

A - La récupération directe.
Elle s'avère purement théorique, malgré les textes qui la prévoient. Cette solution
avait été inaugurée par la loi du 16 septembre 1807 relative au dessèchement des marais, qui
mettait en place un système de récupération d'une lourdeur telle qu'il ne donna lieu qu'à une
seule application (dont les frais de procédure dépassèrent d'ailleurs la somme ainsi récupérée).
Par la suite, un décret-loi du 8 août 1935 a prévu la possibilité de récupération au delà de 15%
de plus-value. Puis, l'ordonnance du 23 octobre 1958, abrogeant les dispositions de la loi de
1807, a introduit dans le code de l'expropriation un article L 16.4 posant lui aussi le principe
de la récupération, mais renvoyant sa mise en œuvre à des décrets d'application non encore
publiés à ce jour.

B - La récupération par compensation.


Elle ne peut s'appliquer que lorsque le propriétaire bénéficiaire de la plus-value
dispose d'une créance sur l'administration à raison de l'exécution du travail public. C'est
le cas, essentiellement, lorsque l'opération, dont le résultat sera profitable à la propriété, a
causé à celle-ci des dommages lors de sa réalisation. L'évaluation de la réparation aura lieu
déduction faite de la plus-value apportée par les travaux.
Cette technique peut être source d'inégalités, puisque seules les victimes de dommages
causés par les travaux se voient imposer, indirectement, une contribution correspondant à la

75
plus-value qu'ils entraînent. C'est pourquoi le juge, en principe, ne déduit que les plus-values
directes et spéciales: celles bénéficiant à l'ensemble des propriétés d'un secteur ne doivent pas
être prises en compte (CE 8 déc. 1971 Germain, Rec. p.752). En réalité, elles le sont toujours,
au moins implicitement.
Compte tenu du caractère peu satisfaisant de ces solutions, on tend plutôt aujourd'hui à
privilégier d'autres formules permettant d'associer les propriétaires intéressés au financement
des travaux publics susceptibles de valoriser leur biens en leur imposant diverses
participations obligatoires, prévues par des textes spéciaux (p. ex. art.l75 et suivants du code
rural pour les travaux de défense contre les torrents ou d'assèchement des marais).

Section IV: La règle de l'intangibilité de l'ouvrage public.

Longtemps considérée comme immuable, elle consacrait apparemment le caractère


irréversible des résultats de l'opération de travail public, résumé dans la fameuse formule,
présentée sous forme d'adage, dont la paternité est généralement attribuée à Hauriou:
"ouvrage public, même mal planté, ne se détruit pas".
Sans doute l'administration, elle-même, pouvait-elle toujours prendre l'initiative de
supprimer un ouvrage public devenu inutile, ou présentant des inconvénients excessifs:
l'ouvrage public n'est pas indestructible. Mais l'application de la règle d'intangibilité
interdisait au juge d'ordonner la destruction, voire même la modification d'un ouvrage
public, même construit illégalement.
Cette interdiction s'imposait d'abord au juge judiciaire, souvent amené à constater que
l'implantation irrégulière d'un ouvrage public portait atteinte à la propriété privée et
constituait une emprise ou une voie de fait. Ainsi, pour le Tribunal des Conflits "il
n'appartient en aucun cas à l'autorité judiciaire de prescrire aucune mesure de nature à
porter atteinte, sous quelque forme que ce soit, à l'intégrité ou au fonctionnement d'un
ouvrage public" (TC 22 fév. 1960 Borel, Rev. Adm. 1960 p.133; v. ég. Civ. 1ère 17 fév. 1993
SCI de construction c/ Ville de Pantin, D. 1993 I.R p.66, qui réaffirme ce principe, applicable
même en cas de voie de fait ou d'emprise irrégulière).
Le juge administratif, lui aussi, s'imposait les mêmes restrictions, même si l'ouvrage
public, par son mauvais fonctionnement, mettait en danger les propriétés voisines (v. p. ex.
CE (S) 11 mai 1979 Ripert, AJDA 1980 p.106 concl. Théry).
Cela dit, ces solutions, qui, comme l'observait M. Chapus dans son manuel,
consacraient "la capitulation du droit devant le fait accompli", ont progressivement fait l'objet
d'une évolution jurisprudentielle qui, sans remettre ouvertement en cause l'existence même du
principe d'intangibilité, en a réduit sensiblement la portée, jusqu'à ce qu'un revirement
spectaculaire soit consacré par le Conseil d'Etat.
Ainsi, déjà en 1991, celui-ci, revenant sur son refus traditionnel, avait pour la première
fois accepté de connaître d'un recours en annulation contre le refus de supprimer un
ouvrage public, en recherchant s'il n'était pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation (CE
(S) 19 avril 1991 Epoux Denard et Martin, RFDA 1992 p.59 concl. Toutée, note Maublanc:
refus d'un maire de supprimer une buse d'écoulement des eaux pluviales).
De même, en 1994, la Cour de Cassation, statuant en sa formation la plus solennelle,
contrairement aux conclusions de son avocat général, avait refusé d'admettre qu'en raison de
l'intangibilité d'un ouvrage public qui y avait été construit, des terrains privés aient pu faire
l'objet d'une expropriation de fait (Cass. Ass. plén. 6 janv. 1994 Cts Baudon de Mony c/ EDF,
D. 1994 p.153 concl. Jeol: barrage EDF construit sur des terrains redevenus privés par suite
de l'annulation judiciaire de leur vente).
Ces signes avant coureurs ont été confirmés par la jurisprudence issue de la réforme de
la procédure administrative contentieuse : selon les art. L 911-1 à 3 du Code de justice

76
administrative, le juge, à la demande du justiciable, peut enjoindre à l'administration
d'exécuter les mesures qu'implique nécessairement sa décision, au besoin en assortissant
cette injonction d'une astreinte (art. L 8-3). Compte tenu de la portée générale de ces
dispositions, on voyait mal comment elles ne finiraient pas par s'appliquer aussi lorsqu'un
ouvrage public aurait été déclaré "mal planté". La CAA de Marseille avait été la première
juridiction à les utiliser pour enjoindre de déposer une ligne électrique illégalement construite
(5 mars 2002, Mme Gasiglia, AJDA 2002 p. 473). Dans l'attente de la décision du Conseil
d'Etat, saisi en cassation, le Tribunal des Conflits, sous couvert de règlement d'une simple
question de compétence, semblait lui aussi avoir ouvert aux juges du fond la possibilité de
s'affranchir de la règle traditionnelle en jugeant que "les conclusions dirigées contre le refus de
supprimer ou de déplacer un ouvrage public, et le cas échéant à ce qu'il soit ordonné ce déplacement ou cette
suppression, relèvent par nature de la compétence du juge administratif; qu'ainsi, l'autorité judiciaire ne
saurait, sans s'immiscer dans les opérations administratives et empiéter ainsi sur la compétence du juge
administratif, prescrire aucune mesure de nature à porter atteinte, sous quelque forme que ce soit, à l'intégrité
ou au fonctionnement d'un ouvrage public; qu'il n'en va autrement que dans l'hypothèse où la réalisation de
l'ouvrage procède d'un acte qui est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose
l'autorité administrative, et qu'aucune procédure de régularisation appropriée n'a été engagée" (TC 6 mai
2002, Binet c/ EDF, JCP 2002.II.10 170 concl. Duplat).
Finalement, le Conseil d'Etat, dans un arrêt de Section du 29 janvier 2003, Syndicat
départemental de l'électricité et du gaz des Alpes Maritimes et Commune de Clans (RFDA
2003 p. 477 concl. Maugüé, note Lavialle), a confirmé la solution de la CAA de Marseille au
motif que " lorsque le juge administratif est saisi d'une demande d'exécution d'une décision juridictionnelle
dont il résulte qu'un ouvrage public a été implanté de façon irrégulière il lui appartient, pour déterminer, en
fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'exécution de cette décision
implique qu'il ordonne la démolition de cet ouvrage, de rechercher, d'abord, si, eu égard notamment aux motifs
de la décision, une régularisation appropriée est possible ; que, dans la négative, il lui revient ensuite de
prendre en considération, d'une part, les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers
intérêts publics ou privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de
l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant
ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général".
L'ouvrage public illégalement construit ne doit donc pas être systématiquement
supprimé. Du moins ne bénéficie-t-il plus d'une protection de principe, ni par le juge
administratif, ni par le juge judiciaire (Cass. 3ème Civ. 30 avril 2003, à paraître au Bulletin :
la construction par une commune d'un bâtiment de captage d'une source sur une propriété
privée constituant une voie de fait, la démolition de cet ouvrage public pouvait être ordonnée;
CE 9 juin 2004, Commune de Peille, JCP 2004.IV. 2953 : eu égard à la faible longueur d'une
ligne électrique implantée illégalement et à l'existence de possibilités techniques alternatives,
il n'y a pas d'inconvénient excessif pour l'intérêt général à demander sa dépose, compte tenu
de l'atteinte qu'elle porte à un paysage; v. ég. S. Brondel: Le principe d'intangibilité des
ouvrages publics: réflexions sur une évolution jurisprudentielle, AJDA 2003 p. 761).

Chapitre II: Les modalités de réalisation des travaux publics.

Pour assurer l'exécution des travaux publics, l'administration peut utiliser divers
procédés.
Si elle dispose des moyens matériels et humains adéquats, elle peut réaliser elle-même
l'opération. Ce mode d'exécution, dit en régie, demeure malgré tout relativement
exceptionnel (par exemple travaux urgents tels salage ou sablage des voies publiques en
hiver, travaux non acceptés par les entreprises ou pour lesquels le prix demandé est trop
élevé, etc.).
L'essentiel des travaux publics est réalisé par des professionnels spécialisés
auxquels l'administration recourt par contrat. Toutefois ce type de relations ne peut être

77
établi sur des bases librement choisies par la personne publique: pour le Conseil d'Etat en
effet, la réalisation, par contrat avec un professionnel spécialisé, d'un travail public, implique
pour les partenaires des droits et des obligations spécifiques excluant le recours aux
techniques contractuelles du droit privé. Ainsi, il avait jugé que l'utilisation de la vente
d'immeuble en l'état futur d'achèvement prévue à l'article 1601-3 du code civil pour la
construction sur le terrain d'une collectivité publique et sous sa direction d'un ouvrage public
seulement destiné à satisfaire ses besoins propres était illégale car elle se substituait à un
marché public de travaux: (CE (S) 8 fév. l991 Région Midi-Pyrénées, RFDA 1992 p.48 concl.
Pochard: contrat de VEFA passé avec une société de promotion immobilière pour la
construction d'un hôtel de région; v. a contrario CAA Bordeaux, 19 mars 2002, Communauté
urbaine de Bordeaux, CMP juill. 2002 p. 13 note Llorens : légalité de la VEFA utilisée dans
d'autres conditions).
Les contraintes du financement des équipements publics s'accommodent cependant mal d'un tel
encadrement, et depuis quelques années, les collectivités publiques s'efforcaient d'obtenir son
assouplissement. Ainsi, après que les lois des 29 août et 9 septembre 2002 aient ouvert de nouvelles possibilités
à l'Etat en matière de construction de commissariats de police et de prisons, la loi du 2 juillet 2003 "habilitant le
gouvernement à simplifier le droit" a autorisé le gouvernement à " créer de nouvelles formes de contrats conclus
par des personnes publiques ou des personnes privées chargées d'une mission de service public pour la
conception, la réalisation, la transformation, l'exploitation et le financement d'équipements publics, ou la
gestion et le financement de services, ou une combinaison de ces différentes missions (…) étendre et adapter les
dispositions prévues au I de l'article 3 de la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de
programmation pour la sécurité intérieure, aux articles L. 34-3-1 et L. 34-7-1 du code du domaine de l'Etat et
aux articles L. 1311-2 et L. 1311-4-1 du code général des collectivités territoriales à d'autres besoins ainsi qu'à
d'autres personnes publiques" .
Saisi de ces dispositions, le Conseil Constitutionnel les a validées aux motifs qu'"aucune règle ni aucun
principe de valeur constitutionnelle n'impose de confier à des personnes distinctes la conception, la réalisation,
la transformation, l'exploitation et le financement d'équipements publics, ou la gestion et le financement de
services ; qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n'interdit non plus qu'en cas d'allotissement,
les offres portant simultanément sur plusieurs lots fassent l'objet d'un jugement commun en vue de déterminer
l'offre la plus satisfaisante du point de vue de son équilibre global ; que le recours au crédit-bail ou à l'option
d'achat anticipé pour préfinancer un ouvrage public ne se heurte, dans son principe, à aucun impératif
constitutionnel". Il a cependant posé une importante réserve d'interprétation, en considérant que
"toutefois, la généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique ou de la
domanialité publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes
à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers
publics ; que, dans ces conditions, les ordonnances prises sur le fondement de l'article 6 de la loi déférée
devront réserver de semblables dérogations à des situations répondant à des motifs d'intérêt général tels que
l'urgence qui s'attache, en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable,
ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un
équipement ou d'un service déterminé" (Décis. du 26 juin 2003, AJDA 2003 p. 1391 note Schoettl).
Dans le cadre de l'habilitation donnée au gouvernement, l'ordonnance du 17 juin 2004 a
créé les "contrats de partenariat", "contrats administratifs par lesquels l'Etat ou un
établissement public de l'Etat confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la
durée d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une
mission globale relative au financement d'investissements immatériels, d'ouvrages ou
d'équipements nécessaires au service public, à la construction ou transformation des
ouvrages ou équipements, ainsi qu'à leur entretien, leur maintenance, leur exploitation ou
leur gestion, et, le cas échéant, à d'autres prestations de services concourant à l'exercice, par
la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée" (art. 1er).
Malgré l'apparente originalité de ce nouveau procédé inspiré, sous la pression des
lobbies économiques, de la technique britannique des "private finance initiatives", il n'est pas
sûr que le juge lui applique des solutions distinctes de celles régissant les deux grandes
formes classiques d'utilisation de la technique contractuelle en matière de travaux publics, la
concession de travaux publics et le marché de travaux publics. Celles-ci relèvent du régime

78
général des contrats administratifs, déjà étudié en DEUG, mais sont aussi soumises à des
règles spécifiques que nous allons évoquer rapidement.

Section I: La concession de travaux publics.

C'est une technique éprouvée, puisque l'Ancien Régime l'avait déjà pratiquée pour la
construction d'ouvrages à péage tels les ponts ou les canaux. Elle consiste en un contrat passé
entre une personne publique (concédant) et une personne publique ou privée
(concessionnaire), chargée de réaliser un travail public aboutissant à un ouvrage public,
moyennant rémunération par perception d'un prix sur les usagers de cet ouvrage.
C'est la rémunération du concessionnaire par l'exploitation directe de l'ouvrage
qui constitue l'élément déterminant dans la qualification du contrat. Elle permet de le
distinguer de procédés apparemment voisins dans lesquels le cocontractant construit l'ouvrage
et assure son exploitation, mais moyennant paiement d'un prix versé par l'administration,
technique dénommée "marché d'entreprise de travaux publics" (v. CE (S) 26 nov. 1971 Sté
industrielle municipale et agricole de fertilisants humiques, RDP 1972 p.239 concl. Gentot:
contrat de construction et d'exploitation, à Toulon, d'une usine de traitement des ordures
ménagères, moyennant versements mensuels de la ville), ou, plus récemment, "contrat de
partenariat" (ordonnance du 17 juin 2004).
Permettant aux personnes publiques d'assumer leurs responsabilités dans la réalisation
de grandes opérations d'équipement d'intérêt général sans avoir à en supporter la charge
technique, et, surtout, financière, la concession de travaux publics a connu un développement
spectaculaire: elle a permis, par exemple, la construction du réseau ferré, des réseaux
d'adduction d'eau, de gaz et d'électricité, mais également d'autoroutes, de tunnels, de ponts, de
ports, d'aéroports, de parcs de stationnement, de plages artificielles, du Stade de France, etc.
Les ouvrages ainsi exploités donnant lieu à des prestations considérées comme des
services publics, nombre de concessions de travaux publics peuvent donc s'analyser
également comme des concessions de services publics. Cette dualité est parfois expressément
consacrée par la jurisprudence (ainsi, pour le Conseil d'Etat, les concessions d'autoroutes sont
des "concessions de travaux et de services publics" (CE (Ass.) 14 fév. 1975 Epoux Merlin,
Rec. p.109) ). De ce fait, les concessions de travaux publics sont régies par la théorie générale
des contrats administratifs, et plus spécialement des concessions, sur laquelle il n'est pas utile
de revenir. On se bornera à évoquer brièvement trois sources de difficultés, auxquelles des
solutions nouvelles ont été récemment apportées.

1) La passation du contrat.
Elle est soumise, bien évidemment, aux règles de compétence et de procédure régissant
la personne publique concédante.
Jusqu'à ces derniers temps, les solutions traditionnelles consacrées par la jurisprudence
ont laissé aux personnes publiques une totale liberté dans le choix de leurs concessionnaires
sous réserve, toutefois, si une procédure de sélection a été mise en place, d'en respecter les
règles (v. p. ex. TA Paris 2 juill. 1996 Serfati et autres, RFDA 1996 p. l, 121 concl. Couzinet:
annulation de la décision de passer la convention de concession du Stade de France, le cahier
des charges négocié avec le lauréat du concours méconnaissant le règlement de la
consultation, en violation du principe d'égal accès des candidats à l'octroi de la concession).
La latitude laissée à l'administration était justifiée théoriquement par le caractère
personnel des relations entre les cocontractants (l'"intuitu personae"). Mais elle a été à
l'origine de nombreux débordements: favoritisme et corruption ne peuvent que s'accommoder
du secret et de la liberté des négociations. C'est pourquoi aujourd'hui, la passation des contrats

79
de concession, tout en préservant en principe l'autonomie du concédant dans le choix du
concessionnaire, est assez étroitement encadrée.
Les principales contraintes découlent du droit communautaire, et en particulier de
diverses directives dont les dernières datent du 31 mars 2004, qui tendent à unifier, par
touches successives, le régime applicable à l'ensemble des contrats publics, en soumettant leur
passation à une obligation générale de publicité et de mise en concurrence dans le respect de
l'égalité des candidats, lorsque leur montant atteint un certain seuil (6 242 000 euros
hors-taxes pour les marchés publics de travaux).
Confrontée à des règles remettant en cause les subtiles et classiques distinctions
établies, au sein des contrats administratifs, par la jurisprudence, la France a tardé à
transposer ces directives dans son droit interne. Le Conseil d'Etat a jugé que même en
l'absence de mesures de transposition, l'administration avait l'obligation d'écarter l'application
des règles nationales contraires à leurs objectifs et, donc, ne pouvait accorder une concession
de travail public sans mesures de publicité préalables (CE (Ass.) 6 fév. 1998 Tête, RFDA
1998 p.407 concl. Savoie: annulation de la décision de concéder la construction du boulevard
périphérique nord de Lyon, dit T.E.O.).
Finalement, divers textes de droit interne, notamment les lois des 3 janvier 1991 et 11
décembre 1992, et les décrets des 31 mars 1992 et 3 août 1993 ont transposé les directives, en
restant parfois en retrait par rapport à leurs dispositions extensives. D'où de possibles
contestations, compte tenu de la prééminence des normes communautaires (v. pour un
exemple: CE (Ass.) 20 fév. 1998 Ville de Vaucresson et autres, RFDA 1998 p.421 concl.
Bergeal: compatibilité avec les objectifs des directives d'un décret établissant un régime
transitoire dispensant certains contrats de l'obligation de publicité préalable, sur la base
duquel a été adopté un avenant à une concession d'autoroute prévoyant la construction de 1'A
86 dans la région parisienne).

2) La durée du contrat.
Elle n'est généralement pas imposée par les textes et varie selon les opérations. Pour
éviter la passation de contrats dont la longue durée donnerait à leur titulaire une rente de
situation excessive, la loi du 29 janvier 1993 régissant les délégations de service public
prévoit que "lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de
délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de
l'investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d'amortissement
des installations mises en œuvre" (art. 40).

3) La rémunération perçue sur l'usager.


Le Tribunal des Conflits, statuant à propos des péages d'autoroutes, les avait
initialement qualifiés de taxes (TC 28 juin 1965 Delle Ruban, Rec. p.816). Cette analyse lui
avait permis d'exclure l'existence de relations contractuelles entre l'exploitant et l'usager. Mais
elle a été infirmée par le Conseil d' Etat qui, avec constance, considère les péages comme des
redevances pour services rendus (CE (Ass.) 14 fév. 1975 Epoux Merlin, précité; CE 13 mai
1977 Sté Cofiroute, Rec. p.219).
La caractéristique essentielle de la redevance étant sa correspondance avec l'avantage
tiré, par l'usager, de l'utilisation de l'ouvrage, la jurisprudence exige une certaine
équivalence entre la redevance et le coût du service. Toutefois, le contrôle opéré par le juge
est restreint et se limite à censurer les disproportions manifestes (v. p. ex. CE 2 nov. 1987
Mansier, Rec. p.341: les redevances dues par Air France à Aéroport de Paris pour l'utilisation
de l'aérogare "Charles de Gaulle 2" ne sont pas disproportionnées par rapport au coût réel des
services mis à sa disposition).

80
Du moins une redevance ne peut-elle pas en principe permettre de financer un autre
ouvrage que celui pour lequel elle a été instituée. Ainsi, il a fallu une loi, et non un simple
acte administratif, pour permettre de financer une partie des travaux du Pont de Normandie
par le produit des redevances perçues sur les usagers du Pont de Tancarville.
De même, divers textes, tant de droit interne que de droit communautaire, posent des
règles destinées à éviter des transferts de charges du contribuable à l'usager. La loi du 29
janvier 1993 (art. 40) prévoit ainsi que les conventions de délégation de service public ne
peuvent contenir des clauses par lesquelles le délégataire prend à sa charge l'exécution de
services ou de paiements étrangers à l'objet de la délégation , et, plus clairement encore, une
directive du Conseil du 25 octobre 1993 relative aux péages et droits d'usage perçus pour
l'utilisation de certaines infrastructures dispose que "les taux des péages sont liés aux coûts de
construction, d'exploitation et de développement du réseau d'infrastructure concerné". Ainsi,
le Conseil d'Etat a-t-il jugé illégale l'intégration dans le montant des péages autoroutiers des
charges de fonctionnement de la gendarmerie en service sur le réseau, ces dépenses
correspondant à des missions de surveillance et de sécurité étrangères à l'exploitation, puisque
incombant par nature à l' Etat (CE (Ass.) 30 oct. 1996 Wajs et Monnier, RFDA 1997 p.726
concl. Combrexelle).

Section II: Le marché de travaux publics.

C'est un contrat par lequel une personne publique charge, directement ou indirectement,
une ou des personnes d'effectuer un travail public moyennant le versement d'un prix.
Soumis à la théorie générale des contrats administratifs, même lorsqu'il est conclu par
une assemblée parlementaire (CE (Ass.) 5 mars 1999 Président de l’Assemblée nationale,
RFDA 1999 p.679), le marché de travaux publics mérite lui aussi quelques explications
complémentaires.

1) Critères du marché de travaux publics.


Tous les contrats passés pour l'exécution d'un travail public ne sont pas des marchés de
travaux publics: l'opération et le contrat sont qualifiés en fonction de critères différents. Pour
ce dernier, la jurisprudence prend en compte, cumulativement, trois éléments.

A - La présence d'une personne publique.


C'est la condition habituelle de tout contrat administratif. L'application de ce critère dit
organique aux contrats passés pour la réalisation de travaux publics s'est avérée assez
délicate: même prise en charge par des personnes privées, une opération peut être travail
public si elle est réalisée pour le compte d'une personne publique, et il est rare que celle-ci,
même si elle n'intervient pas directement au contrat, n'entretienne pas des relations avec les
exécutants.
C'est pourquoi la matière des contrats passés pour l'exécution de travaux publics a été la
première à donner lieu à des exceptions à l'application du critère organique, et en constitue
encore aujourd'hui le terrain d'élection.
Déjà, en 1961, le Conseil d'Etat avait admis que deux personnes privées passent un
marché de travaux publics, lorsque l'une d'entre elles agissait au nom d'une commune en
vertu d'un contrat de mandat (CE (S) 21 juin 1961 Leduc, Rec. p.365: reconstruction d'une
église par une société coopérative de reconstruction). Du moins la représentation de la
personne publique par une personne privée était-elle subordonnée à l'existence d'un mandat.
Ainsi, le Conseil d'Etat refusait-il d'admettre que le contrat passé pour la construction d'une
autoroute entre une entreprise de travaux publics et la société d'économie mixte

81
concessionnaire soit un marché de travaux publics, faute de mandat (CE 20 déc. 1961 Sté de
l'autoroute Estérel-Côte d'azur, JCP 1962 12.732, note Alexandre).
Le Tribunal des Conflits franchira une étape supplémentaire, statuant lui aussi à propos
de la construction des autoroutes, en se fondant sur l'interprétation de la loi du 18 avril 1955
qui les régissait. Pour lui, cette mission appartient par nature à l'Etat, si bien qu'en signant les
contrats avec les entrepreneurs, les sociétés privées concessionnaires ne peuvent agir que pour
son compte (TC 8 juill. 1963 Entreprise Peyrot, D. 1963 p.534 concl. Lasry, note Josse). Tout
en confirmant l'exigence du critère organique, cette solution admet donc son aménagement,
lorsque peut être reconnue l'existence d'une sorte de mandat implicite, une des personnes
privées signataires du contrat agissant pour le compte d'une personne publique.
Par analogie, le Conseil d'Etat adoptera une démarche identique à propos des travaux de
percement du tunnel sous le Mont Blanc (CE 24 avril 1968 Sté concessionnaire pour la
construction et l'exploitation du tunnel sous le Mont Blanc, AJDA 1968 p.478).
Cependant, longtemps, on a pu penser que la solution demeurerait d'application limitée
aux travaux routiers, puisque le Tribunal des Conflits et le Conseil d'Etat répugnaient
manifestement à l'étendre aux contrats passés pour d'autres types de travaux publics par des
concessionnaires, ceux-ci étant toujours réputés agir pour leur propre compte.
Ainsi, les contrats passés entre la SNCF, alors société de droit privé, et les entrepreneurs
chargés des travaux sur ses lignes électriques ont-ils été considérés comme privés, bien que
portant sur la réalisation de travaux publics (TC 7 janv. 1972 SNCF c/ Entreprise Solon et
Barrault, RDP 1972 p.474 concl. Braibant). Dans ses conclusions, le commissaire du
gouvernement, concédant qu'il n'y avait aucune justification logique à traiter différemment la
SNCF et les sociétés d'autoroutes, estimait cependant que la jurisprudence Peyrot ne devait
pas être étendue. Pour lui, en effet, "la règle selon laquelle les contrats passés par les personnes privées,
même chargées d'un service public, sont des contrats privés, est l'une des plus solides de notre système de
répartition des compétences: il ne paraît pas souhaitable de la grignoter en multipliant les exceptions".
Dans la ligne de cette jurisprudence restrictive, le Tribunal des Conflits refusera
également de qualifier de marchés de travaux publics les contrats passés par la Société
d'aménagement de la Villette (SEMVI), considérée comme agissant pour son propre compte
"bien que ces contrats aient pour objet la réalisation de travaux publics" (TC 25 juin 1973
Préfet de Paris, JCP 1974 II 17.769 concl. Blondeau).
Les réserves jurisprudentielles s'effaceront cependant à propos des contrats passés par
les sociétés d'aménagement urbain, personnes privées, avec les entreprises chargées des
travaux, effectués avec des financements publics, sous le contrôle des personnes publiques, et
souvent en vue de réaliser des ouvrages revenant à celles-ci. Le Conseil d'Etat a ainsi qualifié
de marché de travaux publics les contrats conclus pour la réalisation de voies publiques (CE
(S) 30 mai 1975 Sté d'équipement de la région montpelliéraine, Rec. p.326). Le Tribunal des
Conflits a adopté la même solution pour la construction d'un réseau d'assainissement (TC 7
juil. 1975 Cne d'Agde, Rec. p.797). Le juge, dans ces cas, a été sensible à la destination des
biens concernés, qui devaient être remis en propriété aux collectivités publiques. En revanche,
si les travaux n'aboutissent pas à la construction d'ouvrages (par exemple démolition: v. CE 7
juil. 1976 Sté d'aménagement de la région de Rouen, Rec. p.805), ou aboutissent à la
construction de locaux commerciaux ou d'habitation cédés à des particuliers, la société
d'aménagement est réputée agir pour son propre compte (CE (S) 20 mars 1981 Sté entreprise
Auclair, Rec. p.153; TC 8 nov. 1982 Commissaire de la République de la région Midi -
Pyrénées, AJDA 1983 p. 200). Le Tribunal des conflits avait même jugé, dans la ligne de sa
jurisprudence du 5 juillet 1999Cne de Sauve c/ Sté Gestetner (RFDA 1999 p. 1163 concl.
Scwartz) que la soumission des contrats relatifs à ces travaux au Code des marchés publics ne
leur conférait pas pour autant un caractère administratif (TC 17 déc. 2001, Sté Lyon Parc

82
Auto, inédit). Toutefois, l'art. 1er de la loi du 11 déc. 2001 (dite MURCEF) a expressément
fait de tous les marchés passés en application du CMP des contrats administratifs.

B - L'exécution d'un travail public.


Elle est entendue au sens large, et dépasse donc la seule réalisation concrète des
travaux. Est ainsi qualifiée toute opération entretenant un lien avec eux: le travail public est
souvent caractérisé par son effet attractif. Ainsi, s'y rattachent les activités de conception des
architectes, des bureaux d'études, mais aussi de transport des matériaux destinés aux travaux
(CE 28 mai 1935 Quignard, Rec. p.627; la simple fourniture de matériaux, en revanche, n'est
pas un travail public: CE 31 juill. 1912 Sté des granits porphyroïdes des Vosges, GAJA).
Lorsque le contrat prévoit des opérations complexes comprenant notamment un travail
public, celui-ci, s'il revêt une certaine importance, emporte la qualification. Par exemple, a été
considéré comme marché de travaux publics un contrat passé entre l'administration
pénitentiaire et un entrepreneur s'engageant, en échange de l'utilisation du travail des
prisonniers, à entretenir ceux-ci et leur prison (CE 7 janv. 1927 Sultana, Rec. p.9).
Certains contrats impliquent l'exécution permanente, sur une longue période, d’
opérations de travail public. Le Conseil d'Etat, statuant à propos de l'enlèvement des ordures
ménagères, les a qualifiés de marchés d'entreprise de travaux publics (M.E.T.P. pour les
initiés) (CE 11 déc. 1963 Ville de Colombes, Rec. p.611). Cette dénomination hermétique a
été surtout utilisée pour désigner des contrats confiant au cocontractant la construction et
l'exploitation d'un ouvrage, ou, si celui-ci existe déjà, son exploitation et son entretien
moyennant rémunération par la personne publique (v. p.ex. CE (S) 26 nov. 1971 Sté
industrielle municipale et agricole de fertilisants humiques, RDP 1972 p.239 concl. Gentot: à
propos de la construction et de l'exploitation d'une usine de traitement "zymothermique" des
ordures ménagères; v. ég. CE 26 juill. 1986 Sté lyonnaise des eaux et de l'éclairage, RFDA
1986 p.235 concl. Dandelot: à propos de la réalisation et de l'exploitation d'équipements
permettant la réalimentation d'un site aquifère).
Le procédé a été fréquemment utilisé, ces dernières années, par les collectivités
publiques confrontées à l'obligation de réaliser rapidement de gros investissements,
notamment dans des secteurs où une rémunération sur l'usager n'est pas envisageable. Ainsi,
la région Ile de France y a largement recouru, en particulier pour la construction, la
rénovation et l'entretien des lycées dont elle a la charge.
Par leur durée et les importants investissements qu'ils impliquent souvent, ces contrats
se rapprochent des concessions, auxquelles d'aucuns ont proposé de les assimiler. Le Conseil
d'Etat, cependant, les considère aujourd'hui encore comme des marchés, relevant du Code
des Marchés publics notamment quant à leur passation: la rémunération du cocontractant est
en effet versée directement par la personne publique, et la Haute Juridiction s'en tient avec
constance à cet élément distinctif du marché et de la concession (v. not. Avis de la section
des finances, 18 juin 1991, à propos des METP passés par la région Ile de France, CJEG 1992
p.517 note Richer). En outre, le Conseil d'Etat a enlevé pratiquement tout intérêt à leur
utilisation en décidant que puisqu'ils sont soumis au code des marchés publics, l'article 350,
qui interdit les paiements différés, leur est applicable, et qu'ils ne peuvent, de ce fait, être
autorisés que par arrêté interministériel (CE 8 fév. 1999 Préfet des Bouches du Rhône c/ Cne
de la Ciotat, AJDA 1999 p.364 concl. Bergeal). L'éphémère Code des marchés publics
résultant du décret du 7 mars 2001 confirmait les préventions à l’égard de cette technique
séduisante mais d’application souvent inconsidérée, en interdisant les paiements différés (art.
94), et en obligeant à réaliser les constructions par lots séparés. Toutefois, le nouveau Code
(décret du 7 janvier 2004) le rétablit (art. 10).
Les contrats de partenariat créés par l'ordonnance du 17 juin 2004 devraient faire l'objet
de la même analyse.

83
C - La rémunération du cocontractant par la personne publique.
Le mode de règlement du marché de travaux publics peut être prévu selon des modalités
variables. Du moins le paiement du prix a-t-il lieu par la personne publique, ou, en tous cas,
autrement que par perception d'une redevance sur les usagers. Le Conseil d'Etat a refusé
d'admettre que la loi du 29 janvier 1993, dite loi Sapin, dont les articles 38 et suivants
soumettent à un régime spécifique les "délégations de service public des personnes morales
de droit public" a créé une tierce catégorie de contrats remettant en cause sa dichotomie
classique marché / concession. Ainsi, saisi d'un déféré préfectoral portant sur un contrat de
collecte et d'évacuation des ordures ménagères et de gestion d'une décharge communale,
volontairement passé en méconnaissance des règles du Code des marchés au motif qu'il
s'agissait d'une délégation de service public relevant de la loi de 1993, il a jugé que celle-ci ne
peut avoir "pour effet de faire échapper au respect des règles régissant les marchés publics
tout ou partie des contrats dans lesquels la rémunération du cocontractant de
l'administration n'est pas substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation" (CE 15
avril 1996 Préfet des Bouches du Rhône, RFDA 1996 p.715 concl. Chantepy, note Terneyre).
Compte tenu des critiques de la doctrine (v. p. ex. la note Terneyre précitée) et des
dispositions communautaires, il n'est pas sûr que cette solution ne finisse pas par être remise
en cause. Du moins pour l'instant tout contrat autre qu'une concession (ou un affermage) est-il
nécessairement un marché.

2) Le régime juridique du marché de travaux publics.


Il est en grande partie le même que celui de l'ensemble des contrats administratifs régis
par le décret du 7 janvier 2004 portant Code des marchés publics. Les principes généraux
définissant les droits et obligations des parties sont en outre énoncés dans un document
spécifique, le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de
travaux, publié par un décret du 21 janvier 1976. Compte tenu de la portée de ce document, le
Conseil d'Etat a jugé que son interprétation relève du contrôle de cassation (CE (S) 27 mars
1998 Sté d'assurances la Nantaise et l'Angevine réunies, RFDA 1998 p.638). Globalement, les
solutions adoptées constituent surtout une adaptation à la matière de la théorie générale des
contrats administratifs. C'est pourquoi il est superflu de revenir sur des questions déjà étudiées
en DEUG: la passation des marchés de travaux publics est soumise aux procédures régies par
le code des marchés publics et les directives communautaires, qui imposent un recours
croissant aux procédures de mise en concurrence, leur exécution permet à l'administration de
mettre en œuvre ses traditionnels pouvoirs de contrôle, de modification unilatérale et de
sanction.
On sait que selon une formule consacrée "le juge administratif, saisi de contestations
relatives aux marchés administratifs, n'a pas le pouvoir de prononcer, à la demande du
titulaire du marché, l'annulation des décisions prises par l'administration à l'encontre de son
co-contractant " (CE 4 déc. 2002, Sté Eurovia Méditerranée : rejet d'une demande de référé
suspension contre le refus d'agréer un sous-traitant). Les droits et garanties du cocontractant
sont donc essentiellement pécuniaires. Ce caractère se conjugue avec les aléas techniques et
économiques propres à la matière pour produire un contentieux abondant. Ainsi, la
sous-traitance, réglée par les art. 112 à 117 du CMP est largement utilisée dans les marchés
de travaux publics, et de nombreux litiges portent sur le droit au paiement direct du
sous-traitant par le maître de l'ouvrage reconnu par la loi précitée (v. p. ex. CE 14 nov. 1984
OPHLM de Paris c/ Entreprise Olino, Rec. p.670: le droit au paiement direct est subordonné à
l'agrément préalable du sous-traitant par le maître de l'ouvrage).
De même, est souvent soumise au juge l'appréciation des circonstances susceptibles de
justifier le paiement de prestations non prévues initialement: travaux supplémentaires

84
effectués spontanément (v. p. ex. CE (S) 17 oct. 1975 Cne de Canari, AJDA 1975 p.580: ne sont payés
que les travaux indispensables à la bonne exécution des ouvrages compris dans les prévisions du marché; CE 14
juin 2002, Ville d'Angers, BJCP 2003, n. 27 p. 110 concl. Prada-Bordenave: en cas de marché à prix forfaitaire,
"les dispositions de l'article 15.3 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés
publics de travaux, qui prévoient l'indemnisation des travaux supplémentaires réalisés au-delà de la masse
initiale des travaux et sur ordre de service du maître d'ouvrage, pour des montants(…) excédant le vingtième de
la masse initiale, ne font pas obstacle à l'indemnisation de travaux supplémentaires réalisés sans ordre de
service du maître d'ouvrage, mais indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art, quel
qu'en soit le montant"); travaux imposés par la survenance de sujétions imprévues ou de cas
de force majeure (v. p. ex. CE 13 mai 1987 Sté Citra-France et autres, Rec. p.821: pluies exceptionnelles en
septembre-octobre sur la région parisienne constituant des sujétions imprévues dans l'exécution des marchés de
construction de l'autoroute A8).
La complexité des questions soulevées par ce contentieux est encore accrue par
l'imbrication des rapports juridiques résultant de l'application éventuelle des dispositions
permettant au titulaire du marché de céder ou de nantir sa créance sur le maître de
l'ouvrage (article 106 à 110 du Code des marchés publics et loi du 2 janvier 1981, dite loi
Dailly, sur la cession de créance professionnelle), (pour des exemples de quelques difficultés
soulevées par ce dispositif, voir par exemple: CAA Bordeaux 1er juin 1993 Ville de Toulouse
et Sté bordelaise de CIC, Rec. p.449: sur les droits d'un établissement de crédit cessionnaire
d'un sous-traitant vis à vis d'un maître d'ouvrage alléguant de malfaçons dans l'exécution des
travaux).
Du moins les solutions apportées à ce contentieux abondant et souvent compliqué
découlent-elles des principes généraux régissant les contrats administratifs, c'est pourquoi,
pour éviter des répétitions fastidieuses, elles ne seront pas évoquées ici. En revanche, le
régime juridique applicable aux marchés de travaux publics présente au moins sur deux plans
une originalité justifiant quelques explications: une fois terminée l'opération faisant l'objet du
contrat, le maître de l'ouvrage met en œuvre une procédure de réception (A) et dispose de
certaines garanties (B).

A - La réception des travaux.


C'est l'opération au cours de laquelle l'administration, après avoir vérifié la manière
dont les travaux ont été exécutés, déclare les accepter.
Elle peut avoir lieu selon des modalités différentes.

a) Si le contrat l'a expressément prévu, elle peut se décomposer en deux phases, la


réception provisoire et la réception définitive.
La réception provisoire a lieu lorsque l'achèvement des travaux a été notifié par
l'entrepreneur. Elle est en principe contradictoire et fait l'objet d'un procès-verbal signalant les
malfaçons constatées. Elle marque le point de départ d'un délai de garantie contractuelle fixé
par le contrat (en principe 1 an ou 6 mois pour les travaux d'entretien ou de terrassement) au
cours duquel l'entrepreneur, qui demeure propriétaire des ouvrages concernés et en assure les
risques, a l'obligation de réparer les malfaçons signalées par le maître de l'ouvrage, soit
qu'elles aient été répertoriées sur le procès-verbal de réception provisoire, soit qu'elles soient
apparues ultérieurement.
La réception définitive a lieu à l'expiration du délai de garantie. Elle constate que
l'entrepreneur s'est acquitté de ses obligations, et entraîne transfert de propriété des ouvrages à
l'administration, et règlement du solde des sommes encore dues. Si elle est faite sans réserves,
elle met fin aux rapports contractuels nés du marché (CE (S) 4 juill. 1980 Sté Forrer,
AJDA 1981 p.318, note Moderne). Ainsi, sauf clause contractuelle contraire, l'entrepreneur ne
peut être ultérieurement appelé en garantie par le maître d'ouvrage pour des dommages dont
un tiers lui demande réparation, alors même que ces dommages n'étaient ni apparents ni

85
connus à la date de la réception à moins que celle-ci n'ait été acquise qu'à la suite de
manœuvres frauduleuses ou dolosives (CE (S) 15 juill. 2004, Syndicat intercommunal
d'alimentation en eau des communes de La Seyne et de la région est de Toulon, AJDA 2004
p. 1701). Si la réception est faite avec réserves, la responsabilité contractuelle de
l'entrepreneur est engagée tant que les malfaçons mentionnées au procès-verbal n'ont pas été
supprimées.
La réception prend généralement la forme d'un acte exprès établi contradictoirement,
mais elle peut aussi être purement implicite, lorsque l'administration prend possession des
ouvrages sans avoir signalé de malfaçons (CE 7 fév. 1990, Entreprise Sorel-Chamoux c/ Ville
de Grenoble, RDP 1991 p. 307: réception implicite d'un boulodrome par l'organisation de
compétitions; CE 8 nov. 2000, Régie immobilière de la Ville de Paris: la prise de possession
du palais omnisports de Paris Bercy pour la tenue de compétitions ne vaut pas réception
implicite puisque deux lots avaient refusés). Elle peut également être prononcée par le juge
administratif à la demande de l'entrepreneur, lorsque l'administration refuse sans raison
valable d'y procéder.

b) Si le contrat l'a prévu, ou à défaut de stipulation expresse, la réception a lieu par


un acte unique.
C'est le système organisé par le cahier des clauses administratives générales de 1976.
Après vérification des travaux et procès-verbal contradictoire, le maître de l'ouvrage procède
à la réception. L'acte ne peut être tacite lorsque des réserves sont formulées: l'entrepreneur
serait alors dégagé de toute responsabilité contractuelle.
La réception unique marque le point de départ d'un délai d'un an (6 mois pour les
travaux d'entretien ou de terrassement) au cours duquel l'entrepreneur est tenu d'une garantie
de parfait achèvement, qui l'oblige à exécuter les travaux de réparation mentionnés dans les
réserves émises par le maître de l'ouvrage dans le procès-verbal de réception.
Le Conseil d'Etat a jugé qu'au cours de ce délai, la garantie contractuelle se superpose à
la garantie décennale (CE (S) 9 juin 1989 SIVOM de la région havraise c/ Jalicon et autres,
AJDA 1989 p.484) ou à la garantie biennale (CE 14 mai 1990 Sté CGEE Alsthom, Rec.
p.124).

B - Les garanties extracontractuelles.


Elles pèsent sur tous les participants à l'opération de construction, notamment sur les
concepteurs, les constructeurs et les fournisseurs de matériaux, en application de solutions
largement inspirées du droit civil. En toute hypothèse, pour le Conseil d'Etat, "seules les
personnes ayant passé avec le maître de l'ouvrage un contrat de louage d'ouvrage peuvent
être condamnées envers le maître de l'ouvrage à réparer les conséquences dommageables
d'un vice de cet ouvrage imputable à sa conception ou à son exécution" (CE 30 juin 1999 Cne
de Voreppe, RFDA 1999 p.878). Selon les travaux en cause, la responsabilité peut être
décennale ou seulement biennale.

a) La garantie décennale.
Prévue à l'origine par les articles 1792 et 2270 du Code Civil, elle n'était pas appliquée
par le Conseil d'Etat, qui semblait initialement s'opposer à la réception de cette solution du
droit commun dans le droit des travaux publics qu'il élaborait progressivement (v. p. ex. CE
30 oct. 1834 Desgrandchamps, Rec. p.695: l'utilisation de pierres de mauvaise qualité,
sensibles au gel, dans la construction d'une église, ne donne pas lieu à l'application de cette
garantie). Mais ce refus fera assez vite l'objet d'un revirement (v. p. ex. CE 21 juill. 1853
Héritiers Bouillaut, Rec. p.752: les malfaçons dans la construction d'un pont engagent la
responsabilité de la veuve de l'entrepreneur sur le fondement des articles 1792 et 2270 du

86
Code Napoléon, puisque "le principe de la garantie décennale pouvait être appliqué en
l'espèce").
Aujourd'hui, la rédaction des articles 1792 et 2270 résulte de la loi du 4 janvier 1978
relative à la responsabilité et à l'assurance dans le domaine de la construction, qui en
précise le champ d'application.
Cela dit, ces dispositions ne sont pas intégrées directement dans le droit des marchés de
travaux publics. En effet, le Conseil d'Etat, soucieux de marquer la différence avec le droit
commun, prend toujours soin, dans tous ses arrêts, d'indiquer qu'il applique "des principes
dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du Code Civil", et non les articles eux-mêmes.
En réalité, ces précautions de langage ont une valeur purement symbolique: la
jurisprudence administrative aligne ses solutions sur celles du Code Civil, et, notamment, a
intégré les modifications apportées aux articles 1792 et 2270 par la réforme de 1978 (sur
l'ambiguïté de cette démarche, v. la note de B. Plessix sous CE 22 juin 2001, JCP 2002.II. 10
165).
Les questions soulevées par la mise en œuvre de la responsabilité décennale sont
complexes et donnent lieu à un contentieux assez étoffé, dont l'analyse exigerait des
développements techniques et fastidieux (les manuels y font généralement une référence
sinon exhaustive, du moins détaillée). Ici, on se bornera à indiquer les grandes lignes des
principes appliqués par le juge.

1) Débiteurs de la garantie.
Ils doivent participer à une opération de construction (et non à un travail de simple
entretien, p. ex. la réfection des peintures: CE 18 juin 1997 OPHLM du Havre, D. 1998
Somm. p.232). Sous cette condition, peuvent être mis en cause les architectes, entrepreneurs,
bureaux d'études, contrôleurs techniques, et même, les fournisseurs de matériaux préfabriqués
(v. p. ex. CE 20 déc. 1989 Cne de la Bresse, Rec. p.789: une société fournissant des éléments
préfabriqués destinés à la construction de 500 "clubs de jeunes" remis par l'Etat à des
communes a la qualité de constructeur au sens des principes dont s'inspirent les articles 1792
et 2270 du Code Civil).
Le large éventail des personnes susceptibles de faire l'objet d'une action en
responsabilité décennale n'est pas sans soulever de délicats problèmes préalables de
compétence contentieuse: si elles ont en commun la participation à un travail public, leur
intervention n'a pas nécessairement lieu dans le cadre de relations juridiques de droit public.
Ainsi, un entrepreneur sous-traitant est lié à l'entrepreneur principal par un contrat de droit
privé. S'il est mis en cause par le maître de l'ouvrage, on voit mal pourquoi, en tant que
personne privée, sa responsabilité quasi délictuelle pourrait être appréciée par le juge
administratif: l'action en garantie décennale dirigée contre lui relève des tribunaux
judiciaires (TC 10 juill. 1990 Sté d'économie mixte d'aménagement et de rénovation de
Levallois-Perret, Rec. p.398).
De même, puisque le professionnel mis en cause par le maître de l'ouvrage peut appeler
en garantie un autre professionnel qu'il estime responsable, on peut s'interroger sur la
juridiction compétente pour statuer sur cet appel en garantie. Le Conseil d'Etat considère qu'il
relève des juridictions administratives lorsque chacun des participants concernés est lié au
maître de l'ouvrage par un contrat de droit public (v. CE (S) 20 janv. 1995 Charvier et autres,
Rec. p.37: compétence administrative pour connaître de l'appel en garantie des architectes
d'une piscine "caneton" contre le bureau d'études responsable de la préparation du projet de
construction en série de ces installations). Le Tribunal des Conflits, lui, semble cependant
subordonner la compétence administrative à une condition moins restrictive, puisque pour
lui "le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant les participants à
l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les

87
parties en cause sont unies par un contrat de droit privé" (TC 24 nov. 1997 Sté de Castro c/
Bourcy et autres, D. 1998 Somm. p.363 note Terneyre).

2) Délai de garantie.
Il est de 10 ans à compter de la date de prise d'effet de la réception. Mais les modalités
de son décompte peuvent varier, puisqu'il a une double fonction. C'est d'abord un délai
d'épreuve, et, à ce titre, il court sans interruption depuis la réception.
C'est également un délai de recours contentieux, qui, lui, peut être interrompu, par
exemple lorsque l'entrepreneur reconnaît sa responsabilité dans les désordres survenus, et
prend l'engagement d'y remédier. Alors, commencera à courir un nouveau délai de 10 ans.
Ainsi, à la limite, le délai du recours contentieux pourrait atteindre pratiquement 20 ans.
Toutefois, seuls les désordres apparus au cours des 10 ans du délai d'épreuve peuvent faire
l'objet des actions en responsabilité (CE 9 juin 1971 Cne de Saint Pierre Canivet, AJDA 1971
p.554 note Moderne).

3) Objet de la garantie.
Elle porte sur les vices de conception ou de construction graves. Ceux-ci recouvrent
d'abord les malfaçons compromettant la solidité de l'ouvrage (initialement, la
jurisprudence, conformément au texte initial du Code Civil, exigeait qu'ils risquent de
provoquer la ruine de l'immeuble). Ils consistent surtout, aujourd'hui, en désordres divers
rendant l'ouvrage impropre à sa destination. Ainsi pour des infiltrations dans des locaux
scolaires, ou dans des logements sociaux (CE 4 juill. 1975 Cie d'assurances La Protectrice,
Rec. p.402: "ces malfaçons étaient, en raison du risque d'incendie qu'elles comportaient, de
nature à compromettre tant la destination que la conservation de l'immeuble à usage
d'habitation").
La référence à la destination de l'ouvrage permet de faire entrer dans le champ de la
garantie décennale des équipements intérieurs n'en relevant normalement pas, par exemple les
revêtements de sol (v. p. ex. CE 4 déc. 1987 Centre hospitalier de Voiron, RDP 1988 p.1442:
revêtement plastique du sol d'un hôpital présentant des plis et des cloques dangereux pour les
pensionnaires âgés ou handicapés). L'appréciation portée à cet égard par le juge du fond ne
peut être discutée en cassation (CE 10 juin 1994 SA les grands travaux de Franche Comté,
Rec. p.316: vices affectant les escaliers d'HLM).
En outre, les vices incriminés doivent être apparus postérieurement à la réception
des travaux (d'où, parfois, l'utilisation à leur propos des termes "vices cachés"). Ceux
apparents à cette date relèvent de la garantie de parfait achèvement (CE 24 oct. 1980 Favre et
autres, Rec. p.794), à moins que l'ampleur et la gravité de leurs conséquences ne se révèlent
qu'ultérieurement (CE 10 juin 1994 précité).

4) Fondement de la garantie.
C'est une responsabilité de plein droit: le maître de l'ouvrage n'a pas à établir la faute
des constructeurs, et ceux-ci ne peuvent s'exonérer en prouvant qu'ils n'ont pas commis de
faute. Seule la faute du maître de l'ouvrage et la force majeure peuvent les décharger de leur
obligation de garantie (v. CE (Ass.) 2 fév. 1973 Trannoy, Rec. p.94 concl. Rougevin-Baville:
architectes et entrepreneurs condamnés alors que les désordres résultent de procédés et de
matériaux conformes aux normes techniques de l'époque).

b) La garantie biennale.
Elle part, elle aussi, de la date de la réception, et couvre les vices survenant sur les
éléments d'équipement des bâtiments autres que ceux couverts par la garantie décennale (jadis

88
appelés "menus ouvrages") (v. p. ex. CE 14 mai 1990 Sté Alsthom, Rec. p.124: équipement
électrique).

c) La prescription trentenaire.
Elle se substitue à la garantie décennale à l'égard des constructeurs se livrant à des
manœuvres de fraude ou de dol. La responsabilité ainsi mise en œuvre redevient
contractuelle, et impose au constructeur de réparer tous les désordres, quelle que soit leur
gravité. Son principe, appliqué de longue date par le juge judiciaire (v. p. ex. Cass. 3ème Civ
27 juin 2001, D. 2001 IR p. 2239), a été admis par le Conseil d'Etat en 1974 (CE (S) 24 mai
1974 Sté Paul Millet, Rec. p.310 concl. Vught: fautes dans la reconstruction d'un grenier à
foin d'une importance telle qu'elles constituent un dol ou une fraude; v. ég. CE 3 avril 1991
Sté SMAC Aciéroïd, Rec. p. 118: entreprise chargée de l'étanchéité de la toiture d'un
restaurant universitaire ne mettant en place que la moitié des protections prévues, et réclamant
le paiement de la totalité).
Le juge du fond, s'il applique ce régime sévère, apprécie souverainement l'existence
d'une intention dolosive dans le comportement des constructeurs (CE 12 mars 1999 Cne de
Lansargues, RFDA 1999 p.682), mais doit, pour ne pas encourir la cassation, montrer le
caractère intentionnel et la gravité des conséquences du comportement incriminé (CE 16 mars
1998 Ruggiu, RFDA 1998 p.638).

Sous titre II: Le contentieux des dommages de travaux publics.

On n'abordera sous cette rubrique que le contentieux extra-contractuel. Celui-ci est


soumis à un régime particulier progressivement établi par les juridictions administratives,
compétentes pour en connaître sur le fondement assez vague de la loi du 28 pluviôse an VIII.
Ainsi, sa procédure déroge sur certains points à la procédure administrative
contentieuse de droit commun: devant les tribunaux administratifs, les requêtes sont
dispensées du ministère d'avocat. En outre, les recours ne sont pas subordonnés au respect de
la règle de la décision préalable, et, de ce fait, même en cas de décision expresse, ne sont pas
enfermés, à la différence des recours de droit commun, dans le délai de 2 mois (CE (S) 22 oct.
1976 Cie française Thomson Houston, AJDA 1976 p.587).
Sur le fond, on pourra constater que le juge applique un régime de responsabilité
globalement plutôt favorable aux victimes, en exigeant rarement de celles-ci la preuve d'une
faute de la personne mise en cause.
Nous verrons d'abord le champ d'application de la responsabilité (chapitre I), puis ses
fondements (chapitre II), puis ses modalités (chapitre III).

Chapitre I . Le champ d'application de la responsabilité pour dommages de travaux


publics.

Il est défini à l'aide de certains principes généraux, assortis, comme c'est souvent le cas
en droit administratif, d'assez nombreuses exceptions.

Section I : Les principes généraux.

Ils sont apparemment simples: il y a normalement application du régime de


responsabilité pour dommages de travaux publics lorsqu'un dommage peut être imputé
aux conditions de réalisation d'un travail public, ou à la présence, l'insuffisance, voire
l'absence d'un ouvrage public. Cette hypothèse est entendue extensivement compte tenu du
caractère attractif de la notion : ainsi, se rattache au dommage causé par un travail public le

89
litige relatif à l'exécution d'une transaction ayant pour objet la réparation du préjudice visuel
causé à une SCI par une ligne EDF à très haute tension (Cass. 1ère Civ. 26 juin 2001, EDF c/
SCI le Magnolia, RJEP (ex. GJEG) 2002 p. 180).

La mise en œuvre de ces principes n'est cependant pas sans susciter des difficultés: il
arrive en effet que des dommages puissent être imputés à des causes multiples, et il convient
alors de déterminer dans quels cas ils peuvent être réputés relever du régime des dommages
de travaux publics.
Deux types de questions sont ainsi couramment soulevées.

1) La question des relations entre les régimes de responsabilité pour dommages de


travaux publics et pour mauvais fonctionnement d'un service public.
Puisque les services publics utilisent, pour leur fonctionnement, de nombreux ouvrages
publics, souvent, les dommages résultant d'un travail public ou d'un ouvrage public
peuvent être également rattachés à une activité de service public, donc, à la
responsabilité de droit commun. Selon l'orientation choisie, le sort fait à la victime pourra
varier, puisque, comme on l'a dit (et comme on le verra plus en détail ultérieurement), le
régime de responsabilité pour dommages de travaux publics lui est globalement plus
favorable.
Ainsi, par exemple, les victimes d'un accident survenu à un passage à niveau pourraient
envisager de mettre en cause soit l'inadaptation ou le mauvais entretien de l'ouvrage, soit le
fonctionnement défectueux du service assuré par la SNCF.
Confronté à de telles alternatives, le juge administratif, longtemps, a fait prévaloir les
solutions les moins favorables aux victimes, en optant pour la mise en cause du service
public. Même si un ouvrage public était en cause, il rattachait le dommage à un "fait
d'exploitation" du service.
Progressivement, toutefois, il a limité le recours à la théorie du fait d'exploitation. Un
premier revirement a été opéré en 1931, lorsque le Conseil d'Etat, statuant sur une collision
entre une péniche et un remorqueur de Ponts et Chaussées dans le port de Rouen, causée par
des ordres erronés donnés par les officiers du port, a renoncé à imputer l'accident à une faute
du service public portuaire, pour juger qu'il se rattachait au fonctionnement de l'ouvrage
public (CE (S) 27 nov. 1931 Lemaire, S. 1932 III p.41 concl. Ettori, note Bonnard).
Du moins, cette extension demeurait-elle limitée aux seuls services publics
administratifs. La théorie du fait d'exploitation continuait à s'appliquer pleinement pour les
services publics industriels et commerciaux, avec, comme corollaire, la compétence
judiciaire, même si était en cause un travail ou un ouvrage public. Ainsi, par exemple, pour
les dommages causés à un camion par le fonctionnement défectueux d'un passage à niveau
(CE (S) 21 mai 1954 SNCF, Rec. p.293 concl. Letourneur: "il n'appartient qu'aux tribunaux
de l'ordre judiciaire de connaître du litige soulevé par le sieur Menant, et qui concerne la
réparation du dommage que lui aurait causé un fait d'exploitation de la SNCF").
Un nouveau revirement, en 1958, a abouti à l'état actuel du droit. Un employé d'une
entreprise de battage avait été électrocuté par suite du rétablissement intempestif du courant
alors qu'il effectuait un branchement sur une ligne. Le Conseil d'Etat, négligeant le caractère
industriel et commercial du service assuré par EDF, a renoncé à faire application de la théorie
du fait d'exploitation, pour se référer à un régime de responsabilité à raison d'un ouvrage
public. Cependant, il a limité cette solution à l'action des victimes tiers par rapport au
service (CE (S) 25 avril 1958 Dame veuve Barbaza, JCP 1958 10810 note Blaevoet: "le
concessionnaire d'un ouvrage public de distribution d'électricité a, même en l'absence de
toute faute relevée à sa charge, l'obligation de réparer les dommages causés aux tiers par

90
ledit ouvrage (...) l'action ouverte à ces derniers (...) relève, en vertu de la loi du 28 pluviôse
an VIII, de la juridiction administrative").
Les usagers du service public industriel et commercial, eux, restent soumis au régime
de la responsabilité du droit privé: pour eux, subsiste la théorie du fait d'exploitation, en
raison de "la nature juridique des liens existant entre les services publics industriels et
commerciaux et leurs usagers, lesquels sont des liens de droit privé" (CE (S) 13 janv. 1961
Département du Bas-Rhin, AJDA 1961 p.235 concl. Fournier: à propos des dégâts causés par
une fuite d'eau dans un immeuble; TC 20 janv. 2003, Fernandes, RFDA 2003 p. 1019 : il en
va ainsi même si "la cause des dommages réside dans un vice de conception, l'exécution de
travaux publics ou l'entretien d'ouvrages publics").
Mis à part cette exception, l'ouvrage ou le travail public l'a progressivement emporté sur
le service public. On caractérise habituellement cette prééminence en prêtant à la notion de
travail public un "effet attractif".

2) La question du lien de causalité entre dommage et travail ou ouvrage public.


Elle n'est pas propre au contentieux des dommages de travaux publics: le juge, pour
accepter le principe de la responsabilité, doit admettre l'existence d'un lien de causalité
immédiate entre le dommage et l'opération ou l'ouvrage en cause.
Entre des démarches extrêmes d'application difficilement envisageable, qui pourraient
le conduire soit à considérer que tout fait sans lequel le dommage ne se serait pas produit doit
en être considéré comme la cause (théorie de l'équivalence des conditions), soit que seul le
dernier des faits ayant rendu le dommage possible en est la cause (théorie de la proximité de
la cause), le juge opte pour une solution moyenne lui laissant un large pouvoir d'appréciation:
seul un fait qui devait raisonnablement entraîner un dommage peut en être considéré comme
la cause.
La formulation de cette théorie dite de la causalité adéquate a notamment eu lieu dans
les conclusions d'un commissaire du gouvernement sur une affaire de dommages de travaux
publics: un camion avait été accidenté par suite de l'effondrement de la chaussée; après
vérification sommaire, le chauffeur avait poursuivi sa route, et le moteur du véhicule avait
explosé un peu plus tard, l'accident ayant entraîné une fuite non décelée du liquide de
refroidissement. Après avoir exposé que le lien de causalité ne peut être admis que si le
dommage apparaît objectivement comme la conséquence du fait incriminé, le commissaire du
gouvernement, suivi par le Conseil d'Etat, a refusé d'imputer à la défaillance de la chaussée la
destruction du moteur (CE (S) 14 oct. 1966 Marais, D. 1966 p.636 concl. Galmot).
C'est en vertu du même pouvoir d'appréciation que le Conseil d'Etat a refusé d'admettre
un lien de causalité entre un travail public effectué par EDF et la mort du cheval de course
"Pamplemousse B2" effrayé par le bruit d'un marteau-piqueur du chantier (CE 28 oct. 1970
Entreprise Chabas, Rec. p.623).
Compte tenu de la souplesse offerte par cette démarche, il peut y avoir lien de causalité
entre travail public ou ouvrage public et dommage même si celui-ci a eu lieu par
l'intermédiaire de tiers. Ainsi, est soumise au régime des dommages de travaux publics la
réparation du préjudice subi par des exploitants de salles de cinéma dont les moquettes et les
fauteuils ont été souillés par des spectateurs ayant traversé auparavant une place publique
fraîchement goudronnée et non protégée (CE (S) 7 mars 1969 Ets Lassailly et Bichebois, RDP
1969 p.957 concl. Guillaume).

Section II : Les exceptions aux principes généraux.

91
Il existe des cas dans lesquels un travail ou un ouvrage public est en cause, mais où, à
titre dérogatoire, malgré le caractère dit attractif de la notion de travail public, on n'applique
pas le régime de responsabilité de la loi du 28 pluviôse an VIII.

1) Le cas des dommages causés aux usagers utilisant les services publics dans le cadre
d'un contrat de droit privé

Dans ce cas, les relations contractuelles de droit privé créent un bloc de compétence
judiciaire entraînant un régime de responsabilité de droit commun. Il en va ainsi, par exemple,
pour les dommages causés par les ouvrages publics des offices publics d'HLM aux locataires,
puisque ceux-ci sont titulaires de baux de droit privé (TC 24 mai 2004, Garcia c/ OPHLM de
l'Aude, JCP 2004 .II. 10120 concl. Duplat : locataire blessé par un lampadaire défectueux).
Ce principe s'applique pour l'essentiel à l'égard des usagers des services publics
industriels et commerciaux. On sait que le juge, dans ce cas, privilégie le fait d'exploitation.
Cette démarche peut susciter deux types de difficultés, quant à la qualification du service en
cause d'une part, et quant à la qualification de la victime par rapport au service d'autre part.

A –Qualification du service
Si les grands services publics classiques tels les transports ou l'énergie électrique ne
soulèvent plus de problèmes de qualification, le doute subsiste pour certains services, lorsque
leurs usagers subissent des dommages du fait d'un ouvrage public. Le juge, alors, procède en
appliquant en principe l'habituel critère du faisceau d'indices. Sa démarche est parfois
purement implicite (v. p. ex. CE (S) 26 janv. 1968 Dame Maron, AJDA 1968 p.293 concl.
Bertrand: blessée en chutant dans l'escalier d'accès au théâtre antique de Vienne lors d'un
spectacle folklorique, une spectatrice se voit appliquer le régime de responsabilité pour
dommages de travaux publics, preuve que le Conseil d'Etat la considère comme usager d'un
service public administratif).
Parfois aussi, le juge procède à une qualification expresse, qui peut le conduire,
d'ailleurs, à des conclusions surprenantes. Ainsi, pour attribuer aux juridictions
administratives l'action de voyageurs victimes d'une chute dans un escalier roulant de
l'aéroport d'Orly, le Tribunal des Conflits n'hésite pas à qualifier cet escalier roulant de
service public administratif (TC 13 déc. 1976 Epoux Zaoui, AJDA 1977 p.438, note Dufau; v.
ég. TC 15 mars 1999 Mme Pristupa c/ Aéroport de Paris, AJDA 1999 p.632 : les installations
d'embarquement, ouvrages publics, relèvent de services publics administratifs).

B – Qualification de la victime
Après que la jurisprudence ait longtemps considéré que seule l'existence d'un contrat
passé en bonne et due forme permet de qualifier l'usager d'un service industriel et commercial,
aujourd'hui, la notion est conçue d'une manière plus extensive.
Elle s'étend ainsi à la victime n'utilisant pas encore le service, mais présumée vouloir
l'utiliser, au candidat à l'usage, en somme (v. TC 17 oct. 1966 Dame veuve Canasse, JCP
1966 14899 concl. Dutheillet de Lamothe: personne tombée d'un quai de gare de
marchandises alors qu'elle avait probablement l'intention d'effectuer une expédition).
De même, elle s'applique à la victime utilisant effectivement le service, mais sans titre,
frauduleusement (v. TC 5 déc. 1983 Niddam c/ SNCF, Rec. p.541: voyageur sans billet
tentant d'échapper aux contrôleurs en franchissant l'enceinte d'une gare en viaduc, demandant
réparation à la SNCF pour les dommages résultant de sa chute dans le vide), ou dans des
conditions anormales (v. TC 7 déc. 1998 Cts Jauzy c/ SATA, D 1999 IR p.59 : l'action de la
famille d'un skieur tué en chutant d'une barre rocheuse située hors d'une piste met en cause le
service industriel et commercial des remontées mécaniques, d'où la compétence judiciaire).

92
En revanche, le propriétaire d'un locataire(TC 2 mars 1987 Cie la Lutèce c/ EDF, CJEG
1987 p.685, note Sablière: maison incendiée par court-circuit), ou le préposé d'un usager (TC
10 fév. 1984 CPAM de Valenciennes c/ SNCF, CJEG 1984 p.339, note Delpirou: salarié
d'ELF électrocuté dans une gare de marchandises, alors que, monté sur un wagon-citerne de
son entreprise, il réparait une fuite) ne sont pas des usagers. Il en va de même pour les
abonnés à la distribution du gaz lorsque les dommages subis ne sont pas survenus directement
à l'occasion de la fourniture de ce fluide (TC 1er juill. 2002, Melle L. c/ GDF, AJDA 2002 p.
689 : compétence administrative pour connaître du dommage subi par une abonnée intoxiquée
à la suite de la défaillance d'un joint sur une canalisation, car "les travaux effectués par Gaz
de France, qui avaient pour objet de raccorder la colonne de gaz de l’immeuble habité par
Mlle L. à la canalisation provenant du poste de détente installé dans l’immeuble voisin,
avaient le caractère de travaux publics (…) le dommage qu’a subi Mlle L., qui a été
intoxiquée par du monoxyde de carbone provenant de la combustion du joint, n’est pas
survenu à l’occasion de la fourniture de gaz ; que, dès lors, les dommages dont Mlle L.
demande réparation résultent uniquement de l’exécution de travaux publics à l’égard
desquels elle avait la qualité de tiers").

2) Cas où le dommage constitue une emprise irrégulière ou une voie de fait.


On fait alors prévaloir le principe en vertu duquel le juge judiciaire est le gardien
traditionnel du droit de propriété et des libertés fondamentales.
Ainsi en est-il pour l'indemnisation des dommages causés par un usage irrégulier de la
servitude d'occupation temporaire (v. supra), ou encore de ceux causés par des travaux
publics autorisés par un propriétaire privé sur son bien, mais réalisés dans des conditions non
conformes à l'autorisation (TC 21 juin 2004, SCI Camaret c/ SIVOM de la région d'Issoire,
AJDA 2004 p. 1722: canalisation s'écartant du tracé initial).
Il en va de même lorsque l'intervention de l'administration, même si en apparence elle
constitue un travail public, peut plutôt s'analyser comme un acte manifestement insusceptible
de se rattacher à un pouvoir de l'administration et portant atteinte à une liberté fondamentale
ou au droit de propriété, éléments caractérisant la voie de fait (v. p. ex. TC 4 juill. 1934 Curé
de Réalmont, Rec. p.1247: "l'enlèvement de la grille entourant l'église et l'installation d'un
urinoir public dans les dépendances de cet édifice consacré au culte constituent une voie de
fait et non l'exécution régulière d'un travail public"; v. ég. Cass. 1ère Civ. 5 mai 1998 Cne de
Vendres c/ Boisset, JCP 1998 IV 1244: l'interruption de l'alimentation en eau d'un terrain de
camping raccordé illégalement au réseau constitue une exécution forcée illégale, et donc une
voie de fait).

3) Les dommages causés par un véhicule.


Depuis la loi du 31 décembre 1957 confiant, en termes très généraux, au juge judiciaire
le contentieux de tous les dommages causés par un véhicule quelconque, la notion de véhicule
est plus attractive encore que celle de travaux publics.
Cela dit, l'application de cette règle suscite quelques difficultés. Certaines tiennent à la
définition de la notion de véhicule, qui, en principe, ne s'applique qu'aux engins disposant
d'une mobilité propre, donc dotés d'un moteur. Ainsi, un cheval n'est pas un véhicule (CE
16 oct. 1987 de Viguerie, Rec. p.637), non plus qu'un conteneur à ordures ménagères (CE 7
juin 1999 OPHLM d'Arcueil-Gentilly, JCP 1999 IV p.1956), à la différence d'un bac
néo-calédonien, mu par des passeurs la nuit, mais par un moteur le jour (TC 15 oct. 1973
Barbou, Rec. p.848).
L'analyse de la jurisprudence révèle, toutefois, un certain empirisme du juge qui,
parfois, qualifie de véhicule des engins inertes, telle une charrette à bras poussée par un
cantonnier municipal (CE 25 juin 1986 Curtol, Rec. p.177).

93
La principale source de difficultés réside l'établissement d'un lien de causalité
entre le dommage et le véhicule, puisque l'action en justice peut incriminer des éléments
extérieurs à celui-ci. C'est le cas par exemple lorsque sont en cause l'organisation d'un
chantier (v. p. ex. TC 2 déc. 1991 Préfet de la Haute-Loire, Rec. p.481: le juge administratif
est compétent pour apprécier la responsabilité du service de l'Equipement, dont les agents ont
commis des fautes dans l'organisation et la surveillance d'une opération de goudronnage et
provoqué ainsi la collision mortelle de deux véhicules), l'entretien de la voie (TC 17 déc.
2001, Sté des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, RFDA 2002 p. 430: détérioration des glissières
de sécurité d'une autoroute par un véhicule dont le conducteur prétend avoir dérapé sur une
nappe de liquide déversé sur la chaussée), ou bien encore l'appréciation d'obligations
résultant d'un contrat administratif. Le Conseil d'Etat a ainsi jugé que la loi du 31 décembre
1957 "ne déroge aux principes résultant des lois des 16 - 24 août 1790 et 28 pluviôse an VIII
qu'en ce qui concerne les actions en responsabilité extra-contractuelle" (CE (S) 11 janv.
1978 Cie Union et le Phénix espagnol, Rec. p.6 concl. Genevois: compétence administrative
pour apprécier la responsabilité résultant de l'accident survenu au bac "l'Alouette", en
Guyane: bien qu'il s'agisse d'un véhicule, l'action tendait à rechercher qui en était gardien en
application d'un marché de travaux publics).
D'autre part, des dommages peuvent être provoqués de manière purement indirecte
par des véhicules, sans contact avec les biens ou les personnes qui les subissent. Les
solutions alors s'avèrent souvent empiriques et d'une subtilité déconcertante. C'est en principe
la manière dont a été utilisé le véhicule qui doit être à l'origine du dommage pour justifier la
compétence judiciaire. Celle-ci s'applique, par exemple, au cas où un chasse-neige à turbine,
projetant la neige sur un toit, a provoqué son écroulement (TC 20 nov. 1961 Dame
Kouyoumdjian, AJDA 1962 p.230, note de Laubadère), ou au recours d'arboriculteurs dont
les vergers ont été dégradés par les poussières soulevées par les engins d'un chantier
d'autoroute (CE 25 juin 1975 Sté l'Entreprise industrielle, Rec. p.386).
Mais le Conseil d'Etat peut aussi considérer que les poussières soulevées par des
camions proviennent d'un chemin, ouvrage public, dont la mise en cause justifie la
compétence administrative (CE 8 mars 1985 Richard, JCP 1986 20572, note Davignon).
En toute hypothèse, l'application de la loi du 31 décembre 1957 en matière de
dommages de travaux publics n'est pas sans compliquer l'indemnisation des victimes de
certains chantiers importants causant des dommages multiples: ceux dont l'origine est
attribuée aux véhicules relèvent d'une action judiciaire, les autres du contentieux administratif
(v. CE 25 juin 1975 précité, et CE 16 nov. 1992 SA entreprise Razel Frères, Rec. p.407: les
propriétaires d'une maison endommagée par les travaux de construction de l'autoroute A10
doivent s'adresser au juge judiciaire pour les désordres provoqués par le tassement du sol par
suite du passage des véhicules du chantier, et au juge administratif pour ceux provoqués par
les tirs de mines, le juge établissant à la moitié la part respective de chacune des deux sources
de dommages).

4) Les dommages causés à la suite d'actes réprimés par le juge pénal.


Il n'est pas rare que les dommages causés par un travail public ou un ouvrage public
présentent un caractère corporel susceptible d'entraîner une incrimination pénale (homicide,
blessures, etc.).
Dans le système de responsabilité de droit commun, la victime peut, si elle le souhaite,
joindre son action civile à l'action pénale en se portant partie civile, procédure lui permettant
notamment de profiter de l'instruction pour faire constater la responsabilité des personnes
incriminées.
En matière de dommages de travaux publics, le Tribunal des Conflits, pressé de choisir
entre deux principes contradictoires, la plénitude de juridiction du juge pénal et le caractère

94
attractif de la notion de travail public, a longtemps fait prévaloir le second, en optant en
faveur de la compétence administrative exclusive. La victime devait donc s'adresser au juge
administratif pour obtenir réparation, même si, par ailleurs, le juge répressif était saisi de
poursuites à raison des mêmes faits (v. TC 17 juin 1948 Breteau, Rec. p.516: personne blessée
dans le cadre d'un travail public à la suite d'infractions au code de la route).
La chambre criminelle de la Cour de Cassation, lorsqu'elle en avait l'occasion, ne
manquait pas de remettre en cause cette jurisprudence peu favorable aux victimes (v. p. ex.
Crim. 6 mars 1956 EDF c/ Darmendrail, AJDA 1957 p.378, note Dufau). Aussi, finalement, le
Tribunal des Conflits a opéré un revirement dans un arrêt (rendu après partage, et
intervention du Garde des Sceaux) de 1960 (TC 13 juin 1960 Douïeb c/ Stokos, D. 1960
p.577 concl. contraires Chardeau, note Josse). Désormais, la victime dispose d'une option,
et peut, au choix, ou saisir de son action en réparation les juridictions administratives,
conformément à la loi du 28 pluviôse an VIII, ou joindre son action civile à l'action publique
devant le juge répressif. Il semble que cette seconde possibilité soit assez rarement utilisée:
elle permet, certes, une instruction plus complète du dossier et un jugement généralement plus
rapide, mais elle implique aussi renonciation à l'application du régime, souvent plus
avantageux pour les victimes, de responsabilité pour dommages de travaux publics (v. cep.
Crim. 13 mars 1968 Hervé, D. 1968 p.506, note critique Drago). En outre, la chambre
criminelle de la Cour de Cassation l'exclut lorsque la faute, bien que pénale, est non
détachable du service (v. Crim 30 sept. 1998 Cts Antunes, AJDA 1999 p.259, note Petit). Il
sera intéressant d'observer les effets de la mise en œuvre de la récente responsabilité pénale
des personnes morales de droit public (à l'exclusion de l'Etat) sur cette solution.

5) Le cas de faute personnelle d'un agent public.


Il révèle, selon la formule consacrée, "l'homme avec ses faiblesses, ses passions, ses
imprudences", lorsque la faute est détachable du service. La victime peut alors opter pour la
mise en cause personnelle de l'auteur du dommage devant le juge judiciaire, même si
l'opération au cours de laquelle le comportement incriminé a eu lieu est un travail public. Ce
choix ne semble pas être le plus avantageux, c'est pourquoi il est rarissime (v. cep. TC 27 juin
1955 dame Gasquet, Rec. p.623: voisine du Préfet de la Guyane reprochant à celui-ci d'avoir
fait déposer sur sa propriété un tuyau pour déverser des eaux usées, des détritus et "une cuve à
excréments", comportement révélateur de "malignité et intention de nuire à l'intéressée" qui
serait une faute personnelle).

Chapitre II: Les conditions de mise en jeu de la responsabilité pour dommages de


travaux publics.

Elles sont régies par des principes résultant d'une longue tradition, issue de l'application
de la loi du 28 pluviôse an VIII, globalement plus favorable aux victimes que le régime de
responsabilité de droit commun.
Toutefois, les règles régissant la réparation ne sont pas uniformes: elles varient selon la
situation des victimes, et la distinction ainsi opérée (section I) suscite, on s'en doute, certaines
difficultés (section II).

Section I: Le fondement variable de la responsabilité selon la qualité de la victime.

Selon le lien entretenu par la victime avec le travail ou l'ouvrage incriminé, et,
corrélativement, l'intérêt présenté pour elle par celui-ci, la jurisprudence en est venue à
distinguer trois catégories, régies chacune par des règles de réparation différentes. Ainsi, un
dommage de travaux public peut être, selon le cas, causé à:

95
un participant: présumé tirer de l'opération un intérêt fort, donc soumis au régime de
responsabilité le moins favorable
un usager: réputé tirer de l'usage d'un ouvrage un intérêt, mais également avoir droit à
une prestation satisfaisante, donc soumis à un régime de responsabilité hybride
un tiers: censé ne retirer aucun avantage de l'opération ou de l'ouvrage, et soumis de ce
fait au régime le plus favorable.

1) Le cas du dommage causé à un participant à un travail public.


Le participant est celui qui est considéré comme associé d'une manière suffisamment
étroite à l'exécution des travaux, quel que soit le stade (conception, réalisation, transport de
matériaux) ou le niveau hiérarchique (employeur, salarié) auquel il intervient (v. p. ex. CE 16
déc. 1970 Teppe, Rec. p.774: architecte passant à travers une cloison en visitant un chantier;
CE 16 fév. 1966 dame veuve Loor, Rec. p.l17: entrepreneur de démolition tué en chutant dans
la cavité produite par la rupture d'une canalisation; CE 24 avril 1981 Sté des autoroutes du
Nord et de l'Est de la France, Rec. p.953: transporteur d'enrobé dont le camion s'est renversé
sur la bande d'arrêt d'urgence d'une autoroute en construction).
Une simple association indirecte n'est en principe pas considérée comme suffisante pour
conférer la qualité de participant (v. p. ex. pour l'employé de la cantine d'un chantier: CE 8
fév. 1961 Santoro, Rec. p.99).
A l'égard du participant, la responsabilité de la personne mise en cause est
subordonnée à la preuve d'une faute. Ce régime sévère pour la victime s'applique même si
l'ouvrage est dangereux (v. CE 6 juin 1962 SNCF, Rec. p.317: "nonobstant le caractère
dangereux des installations qui sont à l'origine de l'accident dont EDF a été condamné à
réparer les conséquences, cet établissement public ne pouvait être déclaré responsable à
l'égard du sieur M. qui, lors de l'accident, participait à des travaux d'entretien desdites
installations, que si l'accident résultait d'une faute imputable au dit établissement public").
On justifie habituellement le caractère plus défavorable du traitement réservé au
participant par les risques professionnels qu'il est censé assumer, et par l'intérêt
pécuniaire qu'il tire en principe de l'opération. C'est pourquoi l'application de cette
solution à des participants purement bénévoles peut s'avérer inéquitable. Aussi, pour l'éviter,
le Conseil d'Etat, parfois, ne place pas l'affaire sur le terrain des travaux publics, mais qualifie
les victimes de collaborateurs bénévoles de services publics, bénéficiant d'un régime de
responsabilité sans faute (CE (Ass.) 27 nov. 1970 Cts Appert-Collin, Rec. p.709; CE 14 déc.
1988 Cne de Catillon-Fumechon, Rec. p.660: maire et conseiller municipal accidentés en
effectuant bénévolement des travaux sur des terrains de football).

2) Le cas du dommage causé à l'usager.


La victime usager est celle qui subit le dommage à l'occasion de l'utilisation de
l'ouvrage public.
Le régime de réparation qui lui est applicable trouve sa justification théorique dans un
raisonnement se présentant, grosso modo, sous la forme du syllogisme suivant: les personnes
chargées de la gestion d'un ouvrage public doivent le maintenir dans un état tel qu'il ne
constitue pas un danger pour ses utilisateurs, donc la survenance d'un dommage fait présumer
qu'elles se sont mal acquittées de cette obligation, et elles doivent de ce fait pouvoir être
mises en cause.
Bien que d'aucuns aient présenté ce système de responsabilité comme fondé sur le
risque (v. Odent: Cours de contentieux administratif p.1474), on considère généralement
aujourd'hui qu'il s'agit d'une responsabilité pour faute, fondée sur une présomption dite
de défaut d'entretien normal. La même solution est retenue lorsque le dommage causé à
l'usager ne résulte pas de l'état d'entretien de l'ouvrage, mais de sa conception même, qui

96
s'avère inadaptée: le vice d'aménagement, ou le vice de conception est assimilé au défaut
d'entretien normal (v. p. ex. CE 9 nov. 1977 Secrétaire d' Etat aux Universités, AJDA 1978
p.172: incendie dans une chambre de cité universitaire imputable à un vice de conception de
cet ouvrage; CE 11 juin 1982 Min. des transports c/ Sté British Railways Board, Rec. p.232:
profil d'un quai du port de Calais inadapté à l'accostage des ferries à coque verticale; CAA
Lyon 8 oct. 2002Commune d'Ambilly, AJDA 2003 p. 511: des ralentisseurs surélevés mis en
place aux abords d'un passage pour piétons et correctement signalés ne sont affectés ni d'un
vice de conception ni d'un défaut d'entretien normal).
La victime doit seulement prouver l'existence d'un lien de cause à effet entre l'ouvrage
public et le dommage qu'elle a subi. La faute de la personne mise en cause est présumée, mais
cette présomption n'est pas irréfragable: elle peut être détruite par la preuve de l'entretien
normal, ou de l'absence de défaut de conception.
Par rapport au système de droit commun de responsabilité pour faute des services
publics, la charge de la preuve est donc inversée: elle ne repose plus sur la victime, mais sur
l'administration, qui doit, pour s'exonérer, prouver qu'elle n'a pas commis de faute.
L'entretien normal fait l'objet d'un examen au cas par cas en fonction des circonstances
propres à chaque espèce. Le Conseil d'Etat a estimé, contrairement à ce que lui proposait son
commissaire du gouvernement, que l'appréciation portée à cette occasion par le juge du fond
est souveraine, et ne relève pas du contrôle de cassation (CE (S) 26 juin 1992 Cne de
Bethoncourt c/ Barbier, Rec. p.268 concl. Le Chatelier). Il en va de même pour l'appréciation
du lien de causalité entre le défaut d'entretien normal et le dommage (CE 17 mai 2000
département de la Dordogne, D. 2000 IR p.179 : déformations en creux et en bosses sur 25 m
dans un virage jugées à l'origine de la mort d'un motard).
Compte tenu des solutions adoptées par la jurisprudence, I'entretien normal exige
d'abord que l'on maintienne en bon état de fonctionnement les ouvrages publics, en
évitant leur ruine (v. p. ex. CE 17 avril 1970 Cne de Montville, Rec. p.262: urinoir
s'écroulant sur son utilisateur), ou, s'ils se détériorent, que l'on procède, dans les meilleurs
délais, à la réparation des désordres susceptibles d'affecter la sécurité de leurs usagers
(ainsi, par exemple, traditionnellement, la présence, sur une chaussée, de saillies ou de "nids
de poule" de plus de 5 cm constitue un défaut d'entretien normal).
L'entretien normal consiste ensuite, en présence d'ouvrages présentant des
dangers connus, à prendre toutes mesures préventives destinées à assurer la sécurité des
usagers: les arbres bordant les voies publiques peuvent vieillir et tomber, donc il convient de
les inspecter régulièrement et efficacement (v. CE 14 mars 1969 Ville de Paris, Rec. p. 976: la
Ville ne prouve pas l'entretien normal d'un arbre, récemment inspecté, mais qui présentait des
lésions visibles, quoique couvertes de feuillage, dont la chute a tué un automobiliste). Ils
peuvent aussi, même en bonne santé, présenter des dangers qu'il convient de pallier par les
mesures adéquates (v. p. ex. CAA de Paris 22 mars 1994 Navutu, Rec. p.1225: laisser
subsister des noix de coco sèches au sommet des cocotiers d'une promenade publique
particulièrement fréquentée est un défaut d'entretien normal). De même, la traversée d'une
autoroute par des animaux sauvages constitue un risque auquel les exploitants doivent
remédier, du moins dans les secteurs où elle peut être raisonnablement attendue (v. CE (S) 19
mars 1976 Sté des autoroutes Paris-Lyon, Rec. p.172: "eu égard aux conditions de circulation
sur les autoroutes, l'absence de tout aménagement particulier destiné à empêcher l'accès des
grands animaux sauvages sur ces voies publiques ne constitue un défaut d'entretien normal
que soit à proximité des massifs forestiers qui abritent du gros gibier, soit dans les zones où
le passage des grands animaux est habituel").
L'entretien normal consiste, enfin, lorsqu'il n'est pas possible de remédier
immédiatement aux dangers présentés par l'ouvrage public, à les signaler aux usagers
afin qu'ils adoptent le comportement adéquat (v. p. ex. CE 21 nov. 1958 Cne de Houilles,

97
Rec. p.579: présence sur une place publique d'une excavation d'un mètre de profondeur non
signalée la nuit). Encore faut-il, cependant, que le danger soit assez grave et anormal: ainsi,
en hiver, les risques de chutes dues au verglas sont de ceux contre lesquels les usagers des
voies publiques doivent seuls se prémunir, sans pouvoir incriminer l'absence de signalisation
(CE 11 janv. 1978 Couffignac, RDP 1978 p. 558: verglas à Brive la Gaillarde).
Compte tenu de ces exigences, la preuve de l'entretien normal ou de la conception
satisfaisante de l'ouvrage public est assez difficilement admise par le juge, et le contentieux
des dommages de travaux publics est riche de décisions condamnant l'administration à raison
de portes vitrées blessant des élèves dans les écoles, de piscines aux conduits d'évacuation
non protégés, d'escaliers non éclairés, de feux de signalisation mal réglés ou déréglés, de
plantations dangereuses pour les enfants dans les jardins publics, etc.
Le régime de responsabilité plutôt favorable aux usagers a même, au moins un
temps, été encore amélioré au profit d'une catégorie particulière de victimes, placées en
marge du régime normal: les usagers d'un ouvrage exceptionnellement dangereux.
La solution a été inaugurée en 1973 par le Conseil d'Etat, statuant sur les accidents subis
par les usagers d'une route, la RN 1 de la Réunion, sur son tronçon situé entre Saint Denis et
La Possession. Malgré tous les efforts prodigués par l'administration, qui prouvait ainsi qu'elle
entretenait normalement l'ouvrage, l'instabilité de la falaise entraînait continuellement des
éboulements, souvent fatals aux usagers de la voie, alors qu'aucun itinéraire de remplacement
n'était possible. Le Conseil d'Etat, prenant acte des risques résultant de l'ouvrage, a appliqué
aux victimes une responsabilité sans faute (CE (Ass.) 6 juil. 1973 Ministre de l'équipement c/
Dalleau, D. 1973 p.740, note critique Moderne).
Toutefois, cette exception au régime général semble devoir rester isolée: le Conseil
d'Etat, invité à l'étendre à d'autres voies sujettes à éboulement (v. p. ex. CE (S) 5 juin 1992
époux Cala, Rec. p.224: route de montagne dans l'arrière-pays niçois), ne l'a pas admis. Il a
même jugé que la route à l'origine de sa jurisprudence Dalleau est redevenue un ouvrage
ordinaire soumis aux règles normales de responsabilité, après réalisation de travaux de grande
ampleur (mise à quatre voies) (CE 3 nov. 1982 Min. des travaux publics c/ Payet, Rec. p.367).
La qualification d'ouvrage dangereux relevant de son contrôle de cassation (CE 1992 époux
Cala précité), il s'attache manifestement à restreindre le recours à cette notion.

3) Le cas du dommage causé aux tiers.


Les tiers constituent une catégorie résiduelle: ce sont les victimes qui ne sont ni
participants, ni usagers. Ils sont réputés subir le dommage alors qu'ils ne tirent aucun avantage
de l'ouvrage ou du travail en cause. C'est pourquoi ils bénéficient de la situation la plus
favorable, puisqu'ils peuvent obtenir réparation sans faute, ni prouvée ni même
présumée, sur le fondement du risque, ou de la rupture de l'égalité devant les charges
publiques.
Toutefois, bien que reposant sur le même fondement, le régime applicable ne sera pas le
même selon l'origine du dommage subi par la victime tiers: la jurisprudence distingue à cet
égard deux types de cas: le dommage dit accidentel, et le dommage dit permanent.

A - Le dommage accidentel.
Il est dû au mauvais fonctionnement, ou au mauvais entretien de l'ouvrage public, ou à
l'exécution défectueuse du travail public, à la suite d'un concours de circonstances impliquant,
parfois, des fautes. Par exemple, c'est l'empoisonnement d'une génisse par des branches d'if
déposées dans son pré après l'élagage des arbres d'un cimetière (CE 18 avril 1958 Ministre
des anciens combattants c/ dame Baligne, AJDA 1956 p.332 concl. Lasry), la dégradation
d'une habitation voisine d'un chantier d'autoroute (CE 16 nov. 1992 SA entreprise Razel
frères, précité), l'électrocution d'une téléphoniste après qu'un tir de mines dans le cadre d'un

98
travail public ait rompu un câble électrique, entraînant la mise sous tension de la console sur
laquelle elle opérait (CE (S) 7 nov. 1952 Grau, Rec. p.503), etc.
Pour ce type de dommage, dès lors que les conditions habituelles relatives aux
caractères du préjudice sont remplies, l'indemnisation est automatique, sur le
fondement du risque.

B - Le dommage permanent.
Il résulte de la présence même de l'ouvrage public, ou de la réalisation du travail public,
dont il est, en somme, la conséquence normale, qui peut affecter indistinctement personnes,
biens, activités.
A l'égard des personnes, certains ouvrages ou travaux publics peuvent engendrer
diverses nuisances (v. p. ex. pour une centrale nucléaire CE 2 oct. 1987 EDF c/ Spire, Rec.
p.302; pour une décharge d'ordures CE 3 juill. 1970 Cne de Dourgne, Rec. p.464).
En ce qui concerne les biens, les dommages permanents peuvent varier selon les
ouvrages en cause. Par exemple, le Conseil d'Etat considère comme tels les dégâts causés aux
propriétés riveraines par les lapins qui prolifèrent dans les remblai des lignes de chemin de fer
gérées désormais par Réseau ferré de France (CE (avis) 26 fév. 2003, Courson, n° 251172). Il
en va de même pour la dépréciation liée à l'existence de troubles de jouissance (v. p. ex. CE
22 juill. 1977 Syndicat pour l'usine d'incinération des ordures ménagères de la région
caennaise, D. A. 1977 n•320: "la présence et le fonctionnement de cette usine, en raison du
volume et de l'aspect de cet établissement, ainsi que de sa destination (...) affectent gravement
le voisinage du pavillon, et déprécient sa valeur") .
Sur les activités, ouvrages et travaux peuvent entraîner des conséquences variables,
allant de la simple réduction à une interruption totale. Ainsi, la construction d'un barrage peut
réduire le débit d'un torrent et, par là même, le caractère touristique d'un site exploité par un
commerçant (CE 28 juin 1972 Sté des gorges du Pont du Diable, Rec. p.492).
Pour ce type de dommage, la réparation, bien que fondée sur un régime de
responsabilité sans faute, n'est pas automatique. Elle est en effet subordonnée à une
condition relative au préjudice subi, qui doit être anormal et spécial, c'est à dire dépasser
en gravité les inconvénients à attendre, normalement, d'un ouvrage ou d'un travail public. On
applique là les principes généraux régissant la responsabilité pour rupture de l'égalité
devant les charges publiques.
Cette condition a été posée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu sur recours d'un
riverain d'une place publique se plaignant des feuilles de platanes obstruant ses gouttières (CE
(S) 24 juill. 1931 Cne de Vic Fezensac, D. 1931 p. 51, note Josse: l'inconvénient dénoncé ne
constitue pas une sujétion anormale).
Ainsi, appliquant ces principes, le juge considère que les riverains d'une centrale
nucléaire ne subissent pas de préjudice anormal et spécial du fait de la vue, de l'éclairage, et
des panaches de vapeur de l'installation, alors que les nuisances sonores, elles, ouvrent droit à
réparation (CE 20 oct. 1987 EDF c/ Spire précité). De même, une coopérative viticole qui, par
suite de la construction d'une autoroute, voit son terroir de production réduit de moins de 5%
ne subit pas un préjudice anormal et spécial (CE 11 juill. 1983 Sté coop. agricole de
vinification de Luc sur Orbieu, Rec. p.307), alors que présente ces caractères le préjudice subi
par le propriétaire d'une villa contre laquelle est implantée une cabine téléphonique (CE 3
mars 1978 Secrétaire d'Etat aux PTT, D.A. 1978 n• 101), ou celui des voisins d’une salle des
fêtes municipale utilisée intensivement (CAA Lyon, 16 mars 2000, Cne de Saint-Laurent-du
Pont, AJDA 2000 p. 962).
La question des dommages permanents subis par les tiers a été souvent posée à propos
des préjudices causés par les changements apportés aux voies publiques, susceptibles

99
d'entraîner des inconvénients tels les pertes de clientèle, les restrictions d'accès, allongements
de parcours, etc.
La position de principe appliquée par la jurisprudence est apparemment restrictive,
puisque, pour le Conseil d'Etat, "les modifications apportées à la circulation générale et
résultant des changements effectués dans l'assiette ou la direction des voies publiques ne sont
pas de nature à donner droit au versement d'une indemnité" (CE (S) 2 juin 1972 Sté des
vedettes de la Côte d'Emeraude, RDP 1973 p.497, note Waline: perte de clientèle d'un service
de vedettes traversant la Rance après la construction d'une route sur le faîte de l'usine
marémotrice).
Cependant, lorsque les modifications créent un préjudice considéré comme anormal et
spécial, notamment s'il porte atteinte à un droit, elles donnent lieu à réparation (v. p. ex. CE
30 juin 1976 SARL Martinet Frères, RDP 1977 p.526: perte d'une aisance de voirie par
transformation d'une route en autoroute; CE 21 juill. 1989 Epoux Trommer-Hofman, RDP
1990 p.1174: aménagement d'un canal allongeant de 5 km la distance entre une propriété et
un bourg, CE 16 oct. 1992 SA Garage de Garches, Rec. p.1281: transformation d'une rue en
voie piétonne affectant un garage-station-service).

Section II : Les difficultés de la distinction entre tiers et usager.

Simple en apparence, la distinction s'avère complexe à mettre en œuvre dans certaines


situations.

1) Le problème de l'usager anormal.


L'usager anormal est celui qui n'a pas l'autorisation d'utiliser l'ouvrage public (cas, par
exemple, de l'usager frauduleux), ou qui l'utilise dans des conditions non conformes à son
affectation.
A l'origine, la jurisprudence, en cas de dommage, le considérait comme tiers. Cette
solution, justifiée par l'idée qu'il était, compte tenu des conditions dans lesquelles il utilisait
l'ouvrage, censé ne pas bien en connaître les dangers, aboutissait à des conséquences plutôt
choquantes: l'usager normal était défavorisé par rapport à l'usager frauduleux (v. p. ex. CE 2
nov. 1959 Cne de Montaigut en Combrailles, AJDA 1960 p.26 concl. Fournier: enfant blessé
en tombant d'un portique sur un terrain de sport où il avait pénétré par effraction).
C'est pourquoi le Conseil d'Etat opérera un revirement en 1964 (v. CE (S) 30 oct. 1964
Min. des travaux publics, Rec. p.506 concl. Fournier). Un médecin appelé pour donner des
soins à un noyé engage son véhicule sans autorisation sur un chemin de halage et est victime
d'un accident causé par des rails formant une saillie. Même s'il était en situation irrégulière,
"cette circonstance n'était pas de nature à lui faire perdre la qualité d'usager de l'ouvrage
public sur lequel il circulait". Ici, l'administration prouve l'entretien normal, donc il n'a pas
droit à réparation.

2) Le problème du dommage causé par un ouvrage public à l'occasion de l'usage d'un


autre ouvrage public.
Parfois, la survenance d'un dommage peut être imputée à deux ouvrages publics.
Il en va ainsi, en premier lieu, lorsqu'un même ouvrage assure une double fonction.
C'est le cas, devenu classique, de la plaque de béton constituant à la fois l'assise d'une voie
publique et la voûte d'un canal. Le Conseil d'Etat, devant statuer sur l'accident causé à un
camion, par suite de son effondrement, a reconnu à la victime une double qualité,
considérant "que l'accident survenu dans ces conditions engageait envers la victime d'une
part la responsabilité de la commune (...), à raison d'un défaut d'entretien normal d'une voie
publique (...), d'autre part la responsabilité d'EDF à raison de la relation de cause à effet

100
existant entre l'accident (...) et un fait inhérent à un ouvrage public affecté à son exploitation"
(CE (S) 14 fév. 1958 Cne de Nay, AJDA 1958 p.64 concl. Long).
Il en va de même, en second lieu, dans l'hypothèse (la plus fréquente) où un ouvrage
public non utilisé par la victime a provoqué le dommage à l'occasion de l'utilisation par
celle-ci d'un autre ouvrage public, distinct.
Là, la jurisprudence s'efforce de faire prévaloir une seule qualité, en optant, selon le cas,
pour celle de tiers ou d'usager.

A - La qualité d'usager est privilégiée lorsque l'ouvrage, cause directe du dommage, vis
à vis duquel la victime devrait être normalement tiers, est incorporé à celui à l'égard duquel
elle est usager (v. p. ex. CE 12 janv. 1962 EDF c/ Cts Allamargot, Rec. p.29: un cycliste
victime d'une chute provoquée par le comblement défectueux d'une tranchée creusée pour la
pose d'un câble EDF sous la voie publique est usager de l'ensemble).
B - La qualité de tiers est privilégiée lorsque l'ouvrage en cause est distinct de celui dont
la victime est usager (v. CE (S) 12 oct. 1962 dame Sidore Trotta, Rec. p.537 concl. Gand:
piéton circulant sur un trottoir blessé, en passant sous une échelle, par un isolateur électrique
échappant à un employé d'EDF maladroit - ou facétieux -: "la ligne aérienne en réparation,
bien que surplombant le domaine public, n'était pas incorporée à la partie de ce domaine
aménagée en vue de la circulation (...) par suite, la dame Sidore, qui marchait sur la voie
publique, avait la qualité de tiers et non celle d'usager vis à vis de ladite ligne"; v. ég. CE (S)
26 mars 1965 Sté des eaux de Marseille, AJDA 1965 p.226: l'automobiliste accidenté en
dérapant sur une plaque de glace créée par le débordement d'une rigole d'irrigation sur la
chaussée est tiers par rapport à la rigole; CE 16 déc. 1977 Cne de St Georges de Reinins, RDP
1978 p.561: l'automobiliste accidenté à cause des fumées provenant d'une décharge publique
municipale voisine de la route est tiers par rapport à la décharge; CE 19 mai 2000, Région
Languedoc-Roussillon, Rec. p. 184 : lycéen blessé sur un trottoir par l'effondrement d'une
balustrade non incorporée à cet ouvrage).
Il convient toutefois d'observer que le juge applique ces principes directeurs avec
une certaine souplesse, et qu'il lui arrive ainsi, alors que sont en cause deux ouvrages
physiquement distincts, de faire prévaloir la qualité d'usager, s'il estime que les circonstances
le justifient (CE (S) 26 juin 1992 Cne de Béthoncourt, Rec. p.269 concl. Le Chatelier: un
pêcheur dont la canne est entrée en contact avec une ligne à haute tension lors d'un concours
de pêche organisé sur un étang est électrocuté en tant qu'usager de l'étang " alors même que la
ligne à haute tension n'était pas incorporée à l'ouvrage public constitué par l'étang").

Chapitre III: Les modalités de mise en jeu de la responsabilité.

L'action a lieu devant les juridictions administratives. Elle peut mettre en cause
plusieurs personnes, selon l'appréciation de la victime. La charge finale de la réparation sera
déterminée par des règles complexes.

Section I: Les personnes mises en cause.

La loi du 28 pluviôse an VIIII, qui permettait la mise en cause des entrepreneurs devant
les Conseils de préfectures, a été à l'origine de solutions originales étendant la responsabilité
des personnes privées devant les juridictions administratives. Si bien qu'actuellement la
victime dispose d'un choix relativement étendu et peut agir contre la personne dont il lui
paraît plus aisé d'obtenir réparation.

1) La mise en cause des personnes publiques.

101
En règle générale, la victime peut toujours diriger son action contre le maître de
l'ouvrage (le plus souvent, la personne publique propriétaire, ou celle utilisatrice, ou celle
responsable des travaux), même si le dommage ne lui est pas directement imputable.
Parfois, seul le maître de l'ouvrage peut être mis en cause: c'est essentiellement le cas
pour les dommages permanents résultant de la présence de l'ouvrage (v. CE 25 janv. 1980 SA
Minoterie Grésillon, Rec. p.921; CE (avis) 26 fév. 2003, M. Courson, AJDA 2003 p. 519::
Réseau Ferré de France, maître de l'ouvrage, et non la SNCF, chargée de l'entretien des voies,
est responsable des dégâts causés par les lapins proliférant dans le sous-sol des remblais du
chemin de fer).
Parfois, au contraire, la mise en cause du maître de l'ouvrage est impossible. Il en va
ainsi, essentiellement, en cas de dommage causé par un ouvrage ou des travaux dépendant
d'une concession, de travaux publics ou de service public. Au maître de l'ouvrage doit alors
être substitué le concessionnaire, même si le dommage est permanent (v. p. ex. CE (S) 18
mai 1979 Assoc. urbanisme judaïque Saint-Seurin, RDP 1979 p.1480 concl. Latournerie:
riverains du théâtre de l'Alhambra à Bordeaux se plaignant de nuisances sonores). Afin de
préserver les droits des victimes, le maître de l'ouvrage peut cependant être mis en cause en
cas d'insolvabilité du concessionnaire (CE 11 déc. 2000, Mme Agofroy et autres, RFDA 2001
p. 245 : la Ville de Paris, propriétaire d’un entrepôt concédé à une société chargée de le sous-
louer à des artistes, engage sa responsabilité à titre subsidiaire à l’égard des voisins et
occupants victimes de son incendie).
Le Conseil d' Etat a également jugé impossible la mise en cause du maître de l'ouvrage
lorsque le dommage constitue un accident du travail résultant exclusivement d'une faute de
l'employeur, pour des raisons que leur complexité interdit d'exposer dans le cadre limité de ce
cours (v. CE 4 oct. 1967 SEITA, AJDA 1968 p.51 concl. Dutheillet de Lamothe).

2) La mise en cause des personnes privées.


La victime peut agir, séparément ou solidairement, contre toutes les personnes qu'elle
juge responsables de son dommage: l'entrepreneur, le sous-traitant, l'architecte (CE (S) 11 oct.
1968 Allard, AJDA 1969 p.212, note Moderne), et même les ouvriers (TC 28 fév. 1977
Guiguen, D. 1977 p.295, note Moulin).
Compte tenu des fondements de la responsabilité, il n'est même pas nécessaire que les
victimes usagers ou tiers prouvent la faute des personnes privées ainsi mises en cause. Il peut
en résulter des conséquences choquantes, des personnes ne tirant qu'un faible intérêt de
l'opération risquant parfois de lourdes condamnations. C'est pourquoi la jurisprudence s'est
employée à atténuer les effets de ses solutions, notamment lorsque les travaux à l'origine du
dommage sont effectués bénévolement: le Conseil d'Etat considère que ceux qui les exécutent
n'ont pas, faute d'intérêt direct ou indirect, la qualité d'entrepreneur, et que les victimes ne
peuvent s'adresser qu'au maître de l'ouvrage (CE (S) 21 janv. 1971 Assoc. Jeunesse et
reconstruction, AJDA 1971 p.310 concl. Labetoulle: fermière tuée par un éboulement
provoqué par des jeunes travaillant sur un chantier de construction de pare-avalanches
organisé par une association de bénévoles).

Section II: La charge finale de la réparation.

Les personnes mises en cause peuvent opposer à la victime certains cas d'exonération,
ou incriminer d'autres personnes.

1) Les cas d'exonération.


Dès lors qu'un lien de causalité a été établi entre l'ouvrage ou le travail public et le
dommage, le fait d'un tiers n'est en principe pas exonératoire (v. p. ex. CE (S) 26 avril

102
1968 Ville de Cannes, Rec. p.268: personne blessée à la suite de la rupture d'un portillon mal
fixé sur un palier; CE (Ass.) 9 janv. 1976 dame veuve Berkowitz, Rec. p.1 concl. Théry:
automobiliste tué en heurtant une balise déposée sur la chaussée par des tiers). En revanche,
peuvent être invoqués les autres cas d'exonération habituels.

A - La force majeure.
Elle est constituée par un événement extérieur, imprévisible et irrésistible. Compte
tenu du caractère cumulatif de ces trois conditions, elle est rarement admise (v. p. ex. CE
(Ass.) 28 mai 1971 Déptmt du Var, CJEG 1971 p.235 concl. Théry: des poches d'eau formées
dans la montagne ne sont pas extérieures par rapport à l'ouvrage public que constituait -avant
son effondrement - le barrage de Malpasset; CE 19 oct. 1983 Lahoutte et autres, Rec. p. 418:
la sécheresse de l'été 1976 provoquant la baisse du niveau de la Dives ne constitue pas une
force majeure excusant l'empoisonnement du bétail par l'eau de mer remontant le cours de ce
fleuve par suite de l'ouverture intempestive de vannes).
Lorsqu'elle est admise (v. p. ex. CE 26 juin 1963 Calkus, Rec. p.401: pluies d'un niveau
exceptionnel à Paris), il ne lui est souvent imputé qu'une part de responsabilité dans le
dommage, l'ouvrage ou le travail mis en cause ayant contribué à aggraver ses effets nuisibles
(v. CE 12 mars 1975 Cne de Boisssy le Cutte, Rec. p.1303: un orage très violent constitue une
force majeure, mais ses conséquences ont été aggravées par le mauvais état du réseau
d'évacuation ; v. ég. CAA Nantes 5 nov. 1998 Mutuelles du Mans, AJDA 1999 p.274 : la
tempête qui, en 1987, a détruit le hall d'exposition du marché aux bestiaux de Carentan
constituait une force majeure, dont l'effet a été aggravé par des carence dans l'exécution et la
surveillance des travaux).

B - La faute de la victime.
Elle est appréciée en fonction des circonstances, et sa qualification relève du contrôle
de cassation (v. CE 17 juin 1998 Epoux Pham c/ Cne de Morlaix, D. 1998 I.R. p.203: un
enfant de 8 ans tombant d'un toboggan après l'avoir escaladé à contresens sous les yeux de ses
frère et sœur de 14 et 15 ans chargés de le surveiller ne commet pas de faute exonérant la
ville, maître de l'ouvrage).
Lorsqu'elle est admise, selon le cas, elle exonère totalement le maître de l'ouvrage de sa
responsabilité (v. p. ex. CE 21 fév. 1975 David, Rec. p. 1302: plaisancier électrocuté en
manœuvrant une remorque chargée d'un voilier mâté sous une ligne à haute tension), ou est
seulement considérée comme ayant contribué partiellement au dommage (souvent pour
moitié) (v. p. ex. CE 26 juin 1992 précité: faute du pêcheur électrocuté lors d'un concours de
pêche; CE 9 janv. 1976 Berkowitz précité: défaut de maîtrise du conducteur heurtant une
balise déposée sur la chaussée).

2) Les actions permettant à la personne mise en cause par la victime d'obtenir une
répartition définitive de la charge de la réparation.
Si la personne mise en cause estime que le préjudice ne lui est pas imputable, ou qu'il ne
lui est imputable qu'en partie, elle dispose de deux possibilités.

A - A titre préventif, elle peut, lors de la même instance, former un appel en garantie
contre les personnes qu'elle estime responsables. Le juge appréciera, et répartira
éventuellement la charge de la réparation entre les divers coauteurs du dommage, ou
désignera un auteur unique. Cette procédure équivaudra à l'assignation, par la victime, de
toutes les personnes appelées en garantie.

103
B - Postérieurement à sa condamnation à la suite de l'instance engagée contre elle, elle
peut se retourner contre les personnes responsables par voie d'action récursoire.

Indépendamment des problèmes de fond, ces actions créent souvent de délicats


problèmes de compétence contentieuse, dont la solution s'avère généralement très
complexe. On se bornera à indiquer, ici, que toutes les actions en garantie ou récursoires
intentées sur la base des rapports contractuels liant les diverses personnes mises en
cause sont de la compétence judiciaire (avec application corrélative du droit privé) si les
rapports juridiques naissant du contrat sont de droit privé (v. TC 17 janv. 1972 SNCF c/
Entreprise Solon et Barrault, RDP 1972 p.465 concl. Braibant: contrat d'un service industriel
et commercial avec une entreprise; TC 5 mars 1962 Marcadet, Rec. p.1148: contrat de travail;
CE 1er oct. 1969 Min. de l'équipement, Rec. p.412: contrat d'assurance).
On mentionnera simplement pour mémoire, faute de temps, les embarrassantes
questions soulevées par les actions récursoires des caisses de sécurité sociale contre les tiers
responsables (v. p. ex. CE (S) 15 juill. 1959 EDF c/ veuve Cornut, Rec. p.471), et des
assureurs, subrogés à la fois dans les droits de leurs assurés et dans ceux des victimes qu'ils
indemnisent (v. CE (S) 12 nov. 1997 CRAMAIF, RFDA 1998 p. 204 : en cas d’accident
causé par des bovins divaguant sur une autoroute, l’assureur agit sur le fondement de la faute
au nom de l’agriculteur assuré et sur celui du défaut d’entretien normal au nom des victimes).

TROISIEME PARTIE : L'EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE


PUBLIQUE.

Le droit de propriété n'est pas sans limites. Déjà, sous l'Ancien Régime, le souverain
pouvait déposséder ses sujets en reprenant leurs terres, puisqu'il était réputé propriétaire de
l'ensemble du territoire (domaine éminent), dont il leur concédait l'utilisation (domaine utile).
A la Révolution, la Déclaration de 1789 proclame le droit de propriété "inviolable et
sacré", mais en prévoyant également, dans le même article, que l'on peut en être privé
"lorsque la nécessité publique légalement constatée l'exige évidemment, et sous la condition
d'une juste et préalable indemnité" (article 17).
En 1804, le Code Civil, dans son article 545, reprend les mêmes principes: "nul ne peut
être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une
juste et préalable indemnité".
Les traits essentiels du régime de l'expropriation se trouvent dans ces formules déjà
anciennes: on peut être dépossédé de sa propriété sur un bien, moyennant indemnisation, et à
condition que cette opération présente une utilité publique. Les textes ultérieurs ne feront
qu'établir les modalités d'application de ces principes.
La loi du 8 mars 1810 fait participer l'autorité judiciaire à la procédure, à la fois pour
le transfert de propriété et l'indemnisation, amorçant sa vocation traditionnelle de gardienne
du droit de propriété.
Les expropriations tendant à se multiplier dans le cadre des grandes opérations
d'équipement, les lois des 7 juillet 1833 et 3 mai 1841 confient l'indemnisation des expropriés
à des jurys de propriétaires. Ceux-ci s'avéreront d'une générosité considérée comme
excessive, et seront remplacés, en 1835, par des commissions arbitrales d'évaluation
comprenant pour moitié des fonctionnaires et pour moitié des propriétaires.
Puis, viendra l'ordonnance du 23 octobre 1958, qui, malgré des modifications de détail,
et de multiples projets de réforme globale, tous avortés, constitue aujourd'hui encore la source
principale du droit de l'expropriation, rassemblé, par le décret du 28 mars 1977, dans le code
de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

104
Au régime ainsi établi se superposent des procédures spécifiques, telle celle prévue par
les articles L 561-1 à 5 du Code de l'environnement pour les biens exposés à certains risques
naturels prévisibles, alimentée par un Fonds de prévention des risques naturels majeurs.
Nous n'étudierons ici que le régime de droit commun, en abordant successivement la
notion d'expropriation (Titre I), puis sa procédure (Titre II).

Titre I: La notion d'expropriation pour cause d'utilité publique.

C'est une procédure par laquelle l'Etat impose à un propriétaire la cession à une
personne désirant réaliser un projet d'utilité publique, d'un droit, le plus souvent immobilier,
moyennant indemnisation.

1) L'objet de l'expropriation: un droit immobilier.


Le plus souvent, ce droit porte sur un immeuble, bâti ou non, c'est à dire sur un bien
corporel.
Mais il peut également s'agir de droits réels: le code de l'expropriation (art. L 11-1 et R
11-31) permet l'expropriation de droits réels immobiliers: usufruit, droits d'usage et
d'habitation, et, surtout, servitudes. Dans ce dernier cas, l'expropriation aboutit à l'extinction
de la servitude, procédure commode permettant d'éviter, pour supprimer la servitude grevant
un bien public (par définition du domaine privé), l'expropriation du fonds dominant (de
l'immeuble au profit duquel existait la servitude).
Exceptionnellement, peuvent être expropriés certains biens meubles, en application de
textes spéciaux (décret-loi du 30 octobre 1935 pour les inventions intéressant la défense
nationale, loi du 1er décembre 1989 pour les biens culturels maritimes).

2) Les personnes intervenant dans la procédure d'expropriation.


On peut en distinguer quatre catégories.

A - L'exproprié.
Il s'agit le plus souvent d'une personne privée. Mais les personnes publiques, elles aussi,
peuvent être expropriées, du moins lorsque leurs biens font partie du domaine privé.

B - Le responsable de la procédure.
Seul l'Etat peut mener la procédure d'expropriation, en prenant la décision qui la
déclenche (l'ouverture d'une "enquête préalable"), puis, par la suite, tous les actes décisifs,
notamment la "déclaration d'utilité publique" de l'opération. Diverses autorités peuvent
intervenir selon le cas, mais, généralement, ce sont les préfets qui jouent le rôle clé dans
l'expropriation.

C - L'initiateur de la procédure.
On l'appelle couramment l'expropriant. Il est à l'origine de l'expropriation, même s'il ne
fait que la demander à l'Etat, et participe à ses diverses phases.
Le plus souvent, l'expropriant est une personne publique, Etat, collectivité
territoriale ou établissement public. Pour les collectivités territoriales le Conseil d'Etat
initialement, exigeait que l'opération projetée se rattache strictement aux missions que leur
confie la loi: ainsi, il refusait l'utilité publique d'un projet de construction d'une perception par
une commune, la perception des impôts relevant de l'Etat (CE (S) 4 juin 1954, Cne de
Thérouanne, Rec. p. 339). Aujourd'hui, il considère l'opération comme d'utilité publique "dès
lors qu'elle a pour objet direct de répondre aux besoins de la population de la commune
expropriante" (CE (S) 1er avril 1977 dame Grignard, Rec. p.174 : construction d’un bureau

105
de poste en vue de le louer à l’Etat). Les collectivités locales peuvent même demander
l'expropriation de terrains situés hors de leurs limites géographiques.
Les établissements publics, administratifs ou industriels et commerciaux, peuvent
exproprier exclusivement pour des opérations entrant dans le champ de leur spécialité. Ainsi,
une caisse des écoles, dont la mission est "d'encourager et faciliter la fréquentation des
écoles par des récompenses aux élèves assidus et par des secours aux élèves indigents" ne
peut exproprier pour créer une salle de bal (CE 15 mai 1959 veuve Duchemin, Rec. p. 311).
En principe, les personnes privées ne peuvent avoir la qualité d'expropriant, et,
donc, prendre l'initiative de la procédure. Toutefois, exceptionnellement, elles peuvent
demander l'expropriation lorsqu'elles sont réputées agir dans l'intérêt général. Certains
cas sont prévus par des textes particuliers, généralement au profit de concessionnaires, de
travaux publics, de mines, de chutes d'eau, de transport et de distribution d'énergie électrique,
de programmes d'équipement, de rénovation urbaine, etc. Les propriétaires de sources
thermales, les exploitants de stockages souterrains d'hydrocarbures ou de gaz naturel peuvent
également utiliser la procédure.

D - Le bénéficiaire.
Le plus souvent, c'est l'expropriant lui-même. Mais l'expropriant peut utiliser la
procédure au bénéfice d'une personne qui ne peut elle-même la mettre en œuvre, en lui cédant
le bien exproprié en fin d'opération. Ainsi, des personnes privées non expropriantes
peuvent être bénéficiaires de l'expropriation. Le cas est expressément prévu par l'article L
21-1 du code, qui établit une longue liste de bénéficiaires potentiels, notamment en vue de la
création de zones d'habitations, de la lutte contre la pollution des eaux, de la protection des
monuments historiques, etc.

3) Le but d'utilité publique de l'expropriation.


L'article 17 de la Déclaration de 1789 exigeait la "nécessité publique". Les formules
actuelles de l'article 545 du Code Civil et du Code de l'expropriation se réfèrent seulement à
l'"utilité publique". Celle-ci est conçue d'une manière assez extensive.
A l'origine, on n'admettait l'expropriation qu'en vue de l'extension du domaine public ou
de la réalisation de travaux publics (grands travaux d'infrastructure routière ou ferroviaire au
XIXème siècle). Aujourd'hui, les textes spéciaux se multiplient dans des matières telles
l'urbanisme, l'aménagement du territoire, l'hygiène, la santé, le logement, etc.
En outre, la jurisprudence, appelée à statuer en cas de contestation de l'utilité publique
de l'opération, a, elle aussi, évolué en faveur de l'extension de la notion d'utilité publique.
Celle-ci s'entend d'abord, de toute évidence, au bénéfice direct de la collectivité
nationale, en matière de transports (métro, autoroutes, TGV), d'énergie (centrales nucléaires),
de défense nationale (extension d'un camp militaire), mais également au profit d'intérêts
extérieurs (organisations internationales, voire même Etats étrangers: v. p. ex. CE 3 fév. 1971
Association pour la sauvegarde des sites corses, CJEG 1971 p.158 concl. Bertrand: utilité
publique d'une ligne électrique implantée sur le littoral corse pour relier la Sardaigne à la
péninsule italienne).
S'il n'y a pas utilité publique à exproprier en faveur d'intérêts exclusivement privés, il
est par contre fréquent que la recherche d'un intérêt privé rejoigne l'intérêt général,
compte tenu de l'importance économique de l'opération concernée, et de son impact sur la
prospérité générale et le niveau de l'emploi (v. p. ex. CE (S) 20 juill. 1971 Ville de Sochaux,
Rec. p.561: expropriation permettant d'améliorer la desserte des usines Peugeot; CE 23 mars
1992 Martin et autres, AJDA 1992 p.376: création d'Eurodisney ; CE 2 juill. 1999 Cne de
Volvic, RFDA 1999 p.1117 : extension d'une zone d'activité pour les besoins de la Sté des

106
eaux de Volvic "eu égard à son rôle prépondérant dans l'économie locale"). Il y a aujourd'hui
imbrication croissante entre intérêts publics et privés.

4) L'indemnisation
Sa nécessité découle de multiples sources, et notamment du Protocole n° 1 additionnel à
la Convention EDH, qui, pour la Cour EDH, ne justifie une absence d'indemnisation que
"dans des circonstances exceptionnelles" (CEDH 23 nov. 2000, ex-roi de Grèce et autres c/
Grèce). Ainsi, comme on le verra, actuellement, les justiciables n'hésitent plus à contester sur
ce fondement les indemnités d'expropriation allouées par nos juridictions nationales lorsqu'ils
les jugent insuffisantes.

Titre II: La procédure d'expropriation.

Bien que simplifiée en 1958, elle demeure encore complexe, puisqu'elle est divisée en
deux phases. Il n'est pas impossible qu'elle soit prochainement remise en cause sous
l'influence de la Convention européenne des droits de l'homme (v. R. Hostiou : Le droit
français de l'expropriation et la Convention européenne des droits de l'homme, AJDA 2000
p.290).

La première phase est confiée à l'administration, sous le contrôle du juge administratif.


C'est la phase dite administrative. Elle découle de l'application normale des règles de
compétence, puisque la procédure d'expropriation est menée par l'Etat.
La seconde est confiée au juge judiciaire. Elle comprend la décision de transfert de
propriété et l'indemnisation de l'exproprié. Il en est ainsi depuis la loi du 8 mars 1810, sur
l'initiative de Napoléon, prescrivant dans sa "note dictée à Schœnbrunn" qu' "aucun citoyen
ne peut être exproprié que par un acte judiciaire". Cette mesure, prise pour rassurer les
administrés à une époque où les juridictions administratives, appliquant la théorie du
"ministre-juge", suscitaient la défiance, a été à l'origine du principe selon lequel le juge
judiciaire est le gardien traditionnel du droit de propriété.
La combinaison des deux phases n'est pas sans susciter des inconvénients (durée,
complexité, cloisonnement), et, de longue date, d'aucuns ont préconisé une unification. Mais
celle-ci a toujours été repoussée.

Chapitre I: la phase administrative.

C'est une phase préparatoire, qui vise à permettre, avant l'expropriation proprement dite,
une étude contradictoire du projet, en ce qui concerne tant son utilité publique que la
délimitation des biens concernés.
Elle comprend un certain nombre d'étapes aboutissant à des actes administratifs.
D'abord, la constitution, par l'expropriant, d'un dossier d'expropriation contenant la
demande et tous les éléments utiles à l'étude du projet, suivie de sa transmission à l'autorité de
l'Etat compétente pour mettre en œuvre la procédure (généralement le préfet).
Puis, l'adoption, par cette autorité, de deux actes, la déclaration d'utilité publique et
l'arrêté de cessibilité. Chacun de ces deux actes est précédé d'une enquête, appelée, pour le
premier, "enquête préalable", et pour le second "enquête parcellaire".

Section I: La constitution du dossier d'expropriation.

Elle est effectuée par l'expropriant. Celui-ci, après avoir pris la décision d'exproprier,
doit transmettre au préfet un certain nombre de documents. Ceux-ci serviront de base à

107
l'instruction du dossier, et notamment à l'enquête préalable. Ils doivent donc permettre de
juger utilement de l'intérêt et du coût de l'opération projetée.
Les pièces à fournir varient selon la nature de l'opération en cause. Elles sont
actuellement déterminées par l'article R 11-3 du Code, qui distingue trois types de cas.

A- Le cas d'expropriation en vue d'opérations ou d'acquisitions prévues par des


plans d'occupations des sols ou les documents d'urbanisme en tenant lieu. Ces documents
ayant déjà fait l'objet d'études, d'enquêtes et de publicité, le dossier peut être sommairement
composé. Il suffit qu'il comprenne une notice explicative, et l'indication d'un ordre de
grandeur des dépenses.

B - Le cas d'expropriation en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages. Là,


l'exigence de précision est la plus grande, et le dossier doit comprendre, outre la notice
explicative et l'indication de l'appréciation sommaire des dépenses, le plan de situation, le
plan général des travaux, et les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants,
ainsi qu'une étude d'impact, ou, si le projet porte sur de grandes infrastructures en matière de
transports, une "évaluation" indiquant toutes ses incidences.

C - Le cas d'expropriation en vue de la réalisation d'opérations importantes pour


lesquelles il est nécessaire de procéder à des acquisitions avant l'établissement définitif
du projet. Il s'agit de programmes de grande envergure dont le détail est défini
progressivement alors qu'il est nécessaire d'acquérir rapidement les terrains où ils auront lieu
(p. ex. création de villes nouvelles, de lotissements, de zones industrielles). Faute de pouvoir
fournir des précisions suffisantes, on n'exige plus, dans le dossier, de documents relatifs aux
travaux.
Finalement, on peut considérer que parmi les éléments du dossier, trois documents
revêtent une importance capitale:
a) La notice explicative. Jadis très souvent sommaire, elle doit aujourd'hui (art. R
11-3 du Code) faire ressortir l'objet de l'opération et les raisons pour lesquelles, notamment du
point de vue de l'insertion dans l'environnement, parmi les partis envisagés, le projet a été
retenu. Il s'agit donc d'un document déterminant pour l'information de tous les intéressés,
qualifié de ce fait de "pièce essentielle du dossier" (directive du Premier ministre du 16 mai
1976 et circulaire du ministre de l'Intérieur du 26 mars 1993).
La jurisprudence tend cependant à se satisfaire d'indications relativement succinctes.
Ainsi, en matière d'autoroutes, s'il semble normal qu'une barrière de péage, élément d'un
échangeur répertorié ne soit pas indiquée sur les documents fournis (CE 21 mars 1994
Armand, Rec. p.985), on peut davantage s'étonner que les aires de service ne soient pas
considérées comme entrant dans les "ouvrages les plus importants" devant être mentionnés
(CE 9 oct. 1996 Cne de Vraignes les Hormoy et autres, Rec. p.95O).
b) L'étude d'impact. Elle est actuellement prévue par les art. L 122-1 à 3 du Code de
l'environnement. A ces dispositions générales se superposent celles régissant des domaines
spécifiques, par exemple l'eau et les milieux aquatiques (art. L 210 à 218 du Code). Lorsque
le montant d'une opération susceptible d'affecter de manière significative l'environnement
dépasse les 1,9M d'€, le dossier doit comprendre une étude d'impact indiquant notamment
l'état initial du site, l'incidence du projet sur cet état, et les mesures envisagées pour limiter
ses conséquences dommageables (le détail de ces questions est étudié dans le cadre d'un cours
spécifique de droit de l'environnement).
Le juge administratif, après s'être souvent satisfait de documents assez sommaires et
d'une objectivité discutable, semble aujourd'hui plus exigeant (v. p. ex. CE 11 déc. 1996

108
Assoc. de défense de l'environnement orangeois, Rec. p.485: étude d'impact d'une déviation
routière ne mentionnant pas les conséquences du projet sur l'écoulement des eaux ; v. ég. CE
14 nov. 1997 Groupement des riverains, agriculteurs, propriétaires et particuliers, CJEG 1998
p.206 note Martin : annulation de la DUP d'une ligne à très haute tension pour insuffisance de
l'étude d'impact). La même tendance se dessine pour l'"évaluation" devant accompagner les
grands projets d'infrastructures de transports (v. CE 4 déc. 1995 District urbain de
l'agglomération rennaise, Rec. p. 844: insuffisance de l'évaluation de la rentabilité du projet
de VAL rennais ; v. ég. CE (Ass.) 23 oct. 1998 Collectif alternative pyrénéenne à l'axe
européen et autres, JCP 1999 IV p.354 : annulation de la DUP du réaménagement de la RN
134 en vue de faciliter l'accès au tunnel du Somport).

c) L'appréciation sommaire des dépenses. Elle joue un rôle essentiel dans


l'estimation de l'utilité publique du projet. Donc, elle doit être sérieuse, malgré son caractère
sommaire, et se rapprocher raisonnablement des dépenses réelles à envisager. Ainsi, par
exemple, ne remplit pas cette exigence l'évaluation du coût d'un immeuble au quart de la
réalité (CAA Paris 3 nov. 1994 Mme Cavard-Soreau, Rec. p. 985), ou celle du coût d'un
terrain à 2,3 M de F. alors que le service des Domaines, onze ans plus tôt, l'avait estimé à 3,1
M de F.(CE 2 oct. 1996 Min. de l'Intérieur, Rec. p.950).

Section II: L'appréciation de l'utilité publique.

Elle appartient aux organes de l'Etat, au terme d'une procédure contradictoire


commençant par une enquête effectuée auprès des intéressés.

1) L'enquête préalable.
Elle est obligatoire (art. L 11-1 Code), sauf pour certaines opérations, notamment (art. L
11-3) celles, secrètes, intéressant la défense nationale.
C'est le préfet qui apprécie l'opportunité de l'ouvrir, sous le contrôle minimum du juge.
Depuis la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, elle ne pouvait être ouverte, lorsque les travaux prévus
atteignaient une certaine importance, qu'après une concertation préalable entre les services de l'Etat et ceux des autres personnes
publiques intéressées. L'ordonnance du 19 septembre 2003 prise en application de la loi habilitant le gouvernement à simplifier le
droit a toutefois supprimé cette obligation.
Dès son ouverture, les propriétaires qui le souhaitent peuvent vendre leur bien à
l'amiable. En cas d'accord sur le principe d'une vente, mais de désaccord sur le prix, le juge
judiciaire rend une "ordonnance de donné acte" de la cession amiable (il interviendra
ultérieurement pour fixer l'indemnité).
Depuis 1985, selon le contenu du projet, l'enquête peut relever de deux régimes
distincts.
* D'une part un régime de droit commun, correspondant aux projets courants, relevant
du décret du 14 mai 1976 (désormais art. R 11-4 à R 11-14 du Code), avec durée minimale de
15 jours, et désignation d'un commissaire - enquêteur, ou pour les opérations importantes,
d'une commission d'enquête, par le préfet.
* D'autre part un régime spécifique aux opérations susceptibles de porter atteinte à
l'environnement, prévu par l'art. L 123-1 du Code de l'environnement (la liste en a été
initialement fixée par un décret du 23 avril 1985 : elle comprend une quarantaine de cas). La
procédure d'enquête est plus complète, avec durée minimum d'un mois, et désignation du ou
des enquêteur(s) par le Président du Tribunal administratif.
S'ils varient dans leurs modalités, les deux régimes sont soumis aux mêmes principes:
l'enquête doit être précédée d'une large information du public. A cet effet, l'arrêté la déclarant
ouverte doit comprendre toutes indications sur son déroulement (dates, lieux, heures,
possibilité d'inscription des avis sur les registres, de rencontre avec les commissaires

109
enquêteurs, etc.). Il fait l'objet d'une publicité multiforme huit jours au moins avant le début
de l'enquête.
Selon l'ampleur du projet, celle-ci a lieu à la préfecture, ou, plus couramment, à la
mairie de la commune intéressée, avec possibilité de dossiers d'enquête subsidiaires lorsqu'un
projet intéresse plusieurs communes. Les registres d'enquête sont composés de feuillets non
mobiles, cotés et paraphés pour éviter les fraudes. Toute personne s'estimant intéressée par
le projet peut y inscrire ses observations, ou les présenter verbalement au commissaire
enquêteur.
Les commissaires enquêteurs sont choisis sur des listes départementales établies par une
commission présidée par le Président du Tribunal administratif dans des conditions fixées par
le décret du 20 juillet 1998. Il s'agit généralement de retraités auxquels leur ancienne activité
professionnelle est censée donner des compétences dans les domaines concernés par le projet
(écologie, architecture, etc.) (v. l'article R 11-5 du Code). Afin d'être en mesure de porter une
appréciation impartiale sur l'opération, ils ne doivent pas y être intéressés, directement ou
indirectement (v. p. ex. CE 15 janv. 1996 Dufray, Rec. p.949: conseiller général membre
d'une commission d'enquête sur un projet de route départementale). Ils touchent une
indemnité dont le montant est fixé par le Président du Tribunal administratif " sur la base du
nombre d’heures que le commissaire enquêteur déclare avoir consacrées à l’enquête, en
tenant compte des difficultés de l’enquête ainsi que de la nature et de la qualité du travail
fourni par celui-ci " (arrêté du 8 juillet 2003).
Après avoir recueilli les opinions, le commissaire ou la commission les analyse et donne
un avis dans les six mois suivant l'ouverture de l'enquête. Celui-ci est purement personnel, et
ne doit pas nécessairement aller dans le sens de la majorité des observations formulées (on
constate que souvent seuls les adversaires d'un projet se mobilisent pour s'exprimer lors de
l'enquête).
L'avis se prononce sur l'utilité publique du projet en fonction des critères généraux
dégagés par la jurisprudence. Il peut suggérer certaines modifications. Selon son sens,
favorable ou défavorable, la suite de la procédure variera.
A cette procédure peut se superposer, pour les très gros travaux "présentant un fort
enjeu socio-économique ou ayant un impact significatif sur l'environnement", celle dite du
"débat-public", instituée par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection
de l'environnement, sensiblement modifiée par la loi du 27 février 2002 relative à la
démocratie de proximité. Elle fait intervenir une "commission nationale du débat public" de
21 membres, désormais autorité administrative indépendante, composée d'élus, de
magistrats et de personnalités qualifiées en matière d'environnement, qui organise un débat
public et en dresse un bilan, mis à la disposition du commissaire-enquêteur ou de la
commission d'enquête.
Les opérations relevant de ce processus avaient été initialement définies restrictivement
par le décret du 10 mai 1996 (y figuraient, par exemple, les créations de voies de
communication pour un coût supérieur à 600 millions d'euros ou d'une longueur supérieure à
80 km). En outre, les projets ne pouvaient plus faire l'objet d'un débat public au-delà d'un
certain stade de leur avancement (publication officielle de leurs principales caractéristiques :
CE 8 oct. 2001, Union française contre les nuisances des aéronefs et autres, RFDA 2001 p.
1320: extension de l'aéroport de Lyon-Satolas). De ce fait, l'ancienne commission n'avait été
saisie que de six dossiers depuis sa création, alors qu'environ 15 000 enquêtes publiques sont
habituellement réalisées chaque année.
La nouvelle loi et son décret d'application du 22 octobre 2002 ont donné à cette autorité
une importance nouvelle, notamment en abaissant sensiblement les seuils techniques ou
financiers au delà desquels un débat est obligatoire (p. ex. pour les voies de communication,
coût de plus 150 millions d'euros ou longueur de plus de 20 Km). Ainsi, en 2003, sept débats

110
ont-ils été organisés (v. le premier rapport de la Commission, publié en 2004 à la
Documentation française). Toutefois, le Conseil d'Etat, maintenant sa jurisprudence antérieure
(CE 14 juin 2002, Assoc. pour garantir l'intégrité rurale restante, D. 2002 p. 698), à jugé que
si sa décision sur l'ouverture d'un débat public est susceptible de recours pour excès de
pouvoir, les mesures qu'elle prend pour déterminer les modalités du déroulement du débat ne
le sont pas (CE 5 avril 2004, Association citoyenne intercommunale des populations
concernées par le projet d'aéroport de Notre Dame des Landes et autres, AJDA 2004 p. 2100,
note Delaunay).

2) la déclaration d'utilité publique.


C'est l'acte essentiel de la phase administrative. Au vu des résultats de l'enquête,
l'autorité représentant l'Etat décide de l'utilité publique du projet, en principe dans l'année
suivant la clôture de l'enquête (art. L 11-5 I du Code).Même si une directive communautaire
du 27 juin 1985 exige que l'auteur de la décision porte à la connaissance du public une
information supplémentaire expliquant les motifs et les considérations qui l'ont fondée, il n'en
résulte pas pour autant une obligation formelle de motivation (CE 2 juin 2003, UFC Que
choisir de Côte d'Or, AJDA 2003 p. 1978). En revanche, depuis la loi du 27 février 2002
relative à la démocratie de proximité, les projets de travaux susceptibles d'affecter
l'environnement autres que ceux de l'Etat doivent donner lieu, préalablement à l'adoption de la
déclaration d'utilité publique, à une "déclaration de projet" par laquelle la collectivité
bénéficiaire de l'opération se prononce sur son intérêt général au vu des résultats de l'enquête
(art. L 11-1-1 nouveau du Code de l'expropriation).

A - L'autorité compétente.
Elle diffère selon les circonstances. En principe, c'est un arrêté préfectoral (ou – plus
rarement – ministériel) qui prononce la déclaration d'utilité publique (art. L 11-2 et R 11-1 et
R 11-2 du Code). Mais un décret en Conseil d'Etat demeure exigé dans certains cas
particuliers (art. R 11-2) pour les travaux de grande ampleur tels création d'autoroutes et de
routes express, de lignes de chemin de fer d'intérêt national de plus de 20km, de canaux à
grand gabarit de plus de 5km, de centrales nucléaires, etc.
B - Effets.
C'est une déclaration d'intentions, mais elle n'est pas dépourvue d'effets: elle autorise
l'expropriation, et en fixe les limites.
L'administration est libre de revenir sur sa décision : elle peut ne pas réaliser les travaux
prévus (CE 29 oct. 2003, Comité de défense des riverains du tronc commun A4-A86, AJDA
2004 p. 818 note Car) et ne pas exproprier. La déclaration fixe le délai dans lequel
l'expropriation doit avoir lieu (art. L 11-5 II). Celui-ci est en principe de 5 ans, mais peut être
prorogé. Cela dit, après écoulement d'un an, tout propriétaire concerné peut mettre en
demeure l'administration de l'exproprier. Si celle-ci ne répond pas dans les deux ans, le juge
judiciaire prononce le transfert de propriété et indemnise. La prolongation excessive des
délais d'exécution entraîne en effet de graves inconvénients pour les futurs expropriés, qui ne
disposent plus que d'un droit de propriété amputé: ils ne peuvent notamment apporter
d'améliorations à leurs biens, puisque celles-ci ne seront pas prises en compte dans le calcul
de l'indemnité (art. L 13-14).
Les caractéristiques essentielles des opérations autorisées par la déclaration d’utilité
publique ne peuvent être modifiées dans un acte ultérieur (CE 2 juill. 2001, Cne de La
Courneuve, RFDA 2001 p. 1236 note Hostiou : passage de deux fois deux voies à deux fois
trois voies de l’autoroute A 86; CE 3 juill. 2002, Cne de Terrasson et autres, AJDA 2002 p.
751 concl. Chauvaux: tracé d'une portion de l'autoroute Bordeaux – Clermont-Ferrand passé

111
subrepticement de deux tunnels longs et deux petits viaducs à deux tunnels courts et deux
viaducs plus longs et plus élevés).

Section III: La détermination des biens à exproprier.

Elle a lieu par un acte, l'arrêté de cessibilité, précédé lui aussi d'une enquête, l'enquête
parcellaire. Cette étape permet de déterminer contradictoirement les parcelles à
exproprier, de rechercher leurs propriétaires et les titulaires de droits réels (servitudes p.
ex.).
Parfois, le projet peut s'avérer d'une grande simplicité, et la liste des parcelles à
exproprier peut être facilement déterminée. I1 est donc possible de procéder à l'enquête
parcellaire simultanément à l'enquête préalable, et la déclaration d'utilité publique tient lieu
également d'arrêté de cessibilité (art. L 11-8).
Si ce n'est pas le cas, la nouvelle phase suit une procédure assez analogue à celle de la
précédente. L'enquête est ouverte par arrêté du préfet du département où sont situés les biens
à exproprier, sur présentation, par l'expropriant, d'un dossier comprenant un plan parcellaire
des terrains et bâtiments et une liste des propriétaires concernés. Ceux-ci sont avertis par
notification individuelle.
L'enquête, qui dure au moins 15 jours ou un mois selon le cas, peut être menée par les
mêmes commissaires-enquêteurs que l'enquête préalable. Les propriétaires concernés
peuvent, sans contester l'opération, faire valoir qu'elle ne nécessite pas l'expropriation de leurs
biens. Dans les six mois suivant l'ouverture de l'enquête, les commissaires-enquêteurs rendent
un avis. Ils peuvent ainsi proposer une modification des parcelles à exproprier, en impliquant
de nouveaux propriétaires qui se verront notifier ces propositions, et disposeront de 8 jours
pour formuler leurs observations. Au terme de cette consultation complémentaire, l'enquête
sera définitivement close.
L'arrêté de cessibilité sera alors pris par le préfet, et déterminera les parcelles à
exproprier. Toutefois, il ne transfère pas pour autant la propriété. I1 doit en effet être transmis
dans les six mois au greffe de la juridiction judiciaire compétente, qui interviendra lors de la
seconde phase de la procédure.

Section IV: Le contentieux de la phase administrative.

I1 relève du juge administratif en cas de demande d'annulation, mais en cas de demande


d'indemnité, le problème de compétence est plus complexe.

1) Le contentieux de l'excès de pouvoir.


Certains actes, considérés comme préparatoires, sont exclus du recours direct, et
peuvent seulement être contestés par voie d'exception à l'occasion d'un recours contre des
actes ultérieurs : c'est le cas pour les arrêtés ouvrant les enquêtes préalables et parcellaires, ou
pour la "déclaration de projet" instituée par la loi du 27 février 2002. En général, sont
attaqués les actes constituant l'aboutissement de chacune des étapes: la déclaration d'utilité
publique et l'arrêté de cessibilité.

A - Le recours en annulation contre la DUP.


I1 peut, bien sûr, être fondé sur des moyens de légalité externe (publicité de la
procédure, déroulement de l'enquête, formalités multiples, etc.): compte tenu de la complexité
des règles applicables, il est relativement aisé de déceler des irrégularités. Cela dit, celles-ci
ne sont pas toujours substantielles, et même si elles entraînent une annulation, elles peuvent
ne donner qu'une satisfaction symbolique aux requérants, puisqu'elles n'impliquent pas la

112
condamnation du projet au fond. L'administration, si elle tient à réaliser l'opération, peut donc
prendre un nouvel acte en rectifiant ses erreurs antérieures.
Il est donc plus efficace de pouvoir contester la légalité interne de la DUP, et
notamment l'utilité publique, qui, par définition, peut seule la justifier. C'est cette question qui
va être maintenant examinée, car elle a donné lieu à une intéressante évolution de la
jurisprudence.
Celle-ci a toujours censuré les DUP lorsqu'elles apparaissaient entachées de
détournement de pouvoir, par recherche d'un intérêt purement privé (v. p. ex. CE 4 mars
1964 dame veuve Borderie, Rec. p.157: création d'un centre équestre dans l'intérêt exclusif
d'un cercle hippique), ou par recherche d'un intérêt collectif, mais illégitime (v. p. ex. CE 6
janvier 1967 Boucher, AJDA 1967 p.292: expropriation d'un château pour empêcher sa vente
à un étranger à la région).
Mais mis à part ces cas flagrants, le contrôle sur l'utilité publique du projet demeurait
réduit, le juge se bornant à apprécier celle-ci de manière abstraite, sans se prononcer sur
son contexte, en se retranchant derrière son refus de principe de contrôler l'opportunité des
actes administratifs. Significative de cette démarche était par exemple la rédaction d'un arrêt
rendu sur la création d'un aérodrome à Laigle: pour le Conseil d'Etat, elle "constitue en elle-
même une opération pouvant être déclarée d'utilité publique; il n'appartient pas au juge
administratif d'en apprécier l'opportunité (...); dès lors, les circonstances alléguées par les
requérants que l'opération ne serait pas suffisamment justifiée par les besoins de la
population (...) et excéderait les possibilités financières de la commune ne sauraient être
utilement invoquées devant le juge de l'excès de pouvoir" (CE 13 mai 1964 Malby, AJDA
1965 p.35).
Ainsi, excepté le cas où l'opération envisagée n'apparaissait pas comme d'utilité
publique (v. p. ex. CE 28 oct. 1964, dame Hue, AJDA 1965 p.301: la création d'un bowling
n'est pas d'utilité publique), le juge ne contrôlait pas l'adaptation du projet, et refusait
notamment de rechercher si ses inconvénients probables n'étaient pas supérieurs aux
avantages annoncés.
Un revirement, amorcé à la fin des années 1960, aura lieu dans un arrêt (déjà étudié en
DEUG) relatif à la création de la ville nouvelle de Lille-Est (CE (Ass.) 28 mai 1971 Min. de
l'équipement et du logement c/ Féd. de défense des personnes concernées par le projet
actuellement dénommé "ville nouvelle Est", Rec. p.410 concl. Braibant).
Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement dénonçait les insuffisances du
contrôle opéré jusque là, en estimant impossible "de s'en tenir à la question de savoir si
l'opération présente par elle-même une utilité publique", et suggérait de "mettre en balance
ses inconvénients avec ses avantages, son coût avec son rendement, ou, comme diraient les
économistes, sa désutilité avec son utilité". Conscient que cette démarche frôlait le contrôle
de l'opportunité, M. Braibant estimait cependant qu'elle n'était pas plus osée que celle adoptée
dans le contentieux de la légalité des mesures de police.
Conformément aux conclusions, le Conseil d'Etat, dans l'arrêt, a posé comme principe
qu' "une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la
propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social qu'elle
comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente".
Désormais, donc, l'utilité publique est appréciée non plus abstraitement, mais
concrètement, cas par cas, le juge faisant, en somme le "bilan coût-avantage" du projet. Dans
le cas pour lequel il avait été saisi, le Conseil d'Etat a jugé que les inconvénients engendrés
par le projet (88 logements neufs, type "castors", détruits) n'étaient pas excessifs compte tenu
de l'ampleur du projet (construction de 25 000 logements, d'un campus pour 30 à 35 000
étudiants, etc.).

113
Cette évolution jurisprudentielle, accueillie avec satisfaction par la doctrine, a donné
lieu à un certain nombre d'annulations de projets non dénués d'intérêt public, mais dont les
inconvénients étaient disproportionnés aux avantages (v. p. ex. CE (Ass.) 20 oct. 1972 Sté
civile Ste Marie de l'Assomption, Rec. p.657 concl. Morisot: bretelle d'autoroute nuisant à
l'exploitation d'un hôpital; CE 18 mai 1977 Comité d'entreprise de la BNP, Rec. p.228:
expropriation d'une colonie de vacances pour installer une mairie; CE 20 fév. 1987 Ville de
Lozanne, RFDA 1987 p.533, note Pacteau: construction d'HLM sur des terrains devant
permettre l'extension d'un hôtel et la création d'emplois nouveaux; CE 11 mars 1996 Min. de
l'équipement c/ Rossi, Rec. p.72: création d'une rocade de contournement de Bastia
engendrant des dangers et des nuisances excessives; CE 22 oct. 2003, Assoc. SOS-rivières et
autres, AJDA 2004 p. 1193 note Hostiou: inconvénients de la création de plans d'eau
excessifs pour l'environnement eu égard à leurs avantages touristiques, etc.).
On n'a cependant pas manqué d'observer que puisque le principe du contrôle repose
sur la balance entre avantages et inconvénients, plus l'opération est d'envergure, plus
son intérêt pour la collectivité est présumé grand, et, donc, plus il est difficile d'obtenir
une annulation en se fondant sur ses aspects négatifs. Ainsi, saisi de recours contre
l'extension du camp militaire du Larzac, la création de lignes de TGV, de centrales nucléaires
ou d'autoroutes, le Conseil d'Etat, bien que reprenant la formule inaugurée en 1971, devenue
une sorte de stéréotype, juge généralement positif le bilan des opérations contestées (v. p. ex.
à propos de l'autoroute A14 entre Orgeval et Nanterre: CE (Ass.) 3 mars 1993 Cne de St
Germain en Laye et autres, CJEG n• 490 p. 360 concl. Sanson ; à propos de l'autoroute A 20
CE (Ass.) 13 nov. 1998 Assoc. de défense des intérêts des riverains du projet d'autoroute A 20
Brive – Montauban, JCP 1999 IV p.353).
Cette tendance semble d'autant plus préjudiciable à la protection de l'environnement que
le Conseil d'Etat, jusqu'à présent, reste insensible à l'invitation de certains de ses
commissaires du gouvernement, et refuse d'opérer un contrôle, même minimum, sur le choix
du site retenu pour réaliser l'opération (v. pour le tracé d'une ligne TGV : CE 3 déc. 1990
Ville d'Amiens et autres, Rec. p.345 ; et pour celui d'une autoroute : CE (Ass.) 28 mars 1997
de Malafosse et Féd. des comités de défense contre le tracé "est" de l'autoroute A 28, RFDA
1997 p.754 concl. Delarue).
Toutefois, depuis quelque temps, l'a priori favorable dont bénéficient les projets de
grande envergure apparaît plus fragile. Ainsi, en 1997, a été annulée, pour bilan négatif, la
déclaration d'utilité publique d'une autoroute de 35 km dont la construction était projetée en
Haute-Savoie (CE (Ass.) 28 mars 1997 Association contre le projet de l'autoroute
transchablaisienne et autres, RFDA 1997 p.740 concl. Denis-Linton, note Rouvillois). De
même, "en dépit de l'intérêt qui s'attache à la réalisation du projet de l'autoroute A 16, les
conditions dans lesquelles cet ouvrage se raccordera à l'autoroute A1, les importantes
nuisances qu'il est susceptible de provoquer" sont des inconvénients excessifs entraînant
l'illégalité de la DUP (CE 21 juin 1999 Cne de la Courneuve, RFDA 1999 p.895).
En toute hypothèse, aujourd'hui, même présentant une utilité publique, une opération ne
peut légalement donner lieu à expropriation que si la collectivité ne dispose pas elle-même
des parcelles lui permettant de la réaliser dans des conditions équivalentes (v. CE 3 avril 1987
cts Métayer et Lacour, CJEG 1987 p.790 concl. Vigouroux) : l'expropriation, en somme, doit
être nécessaire.
On notera, pour conclure sur cette question donnant lieu à un abondant contentieux, que
dans le cadre de son contrôle de cassation le Conseil d'Etat rattache à la qualification
juridique des faits, relevant de sa compétence, l'appréciation de l'utilité publique de
l'opération, et de l'intérêt qu'elle présente pour le commissaire enquêteur, mais laisse à
l'appréciation souveraine des juges du fond la recherche d'un éventuel détournement de
pouvoir (CE (S) 3 juill. 1998 Mme Salva-Coudert, RFDA 1999 p.112 concl. Hubert).

114
B - Le recours contre l'arrêté de cessibilité.
Comme tout acte faisant grief, il peut être attaqué par toute personne intéressée, pour les
vices qui lui sont propres, mais également pour illégalité de la déclaration d'utilité publique.
Celle-ci, bien qu'étant un acte non réglementaire (CE (Ass.) 10 mai 1968 Cne de Broves,
Rec. p.279 concl. Dutheillet de Lamothe) peut en effet faire l'objet d'une exception
d'illégalité lors du recours contre l'arrêté de cessibilité, les deux actes présentant une
continuité juridique directe, dans le cadre d'une opération complexe (v. CE (S) 26 janv. 1977
Mme Manrot le Goarnic, AJDA 1977 p.513). Pour le Conseil d'Etat, cette faculté offre une
possibilité claire, concrète et effective de contester l'ensemble de la procédure administrative
préalable de l'expropriation, et permet de pallier l'absence de notification individuelle de la
DUP et l'expiration du délai de recours contre cet acte. Il n'y a donc pas déséquilibre entre les
prérogatives de l'administration et la protection du droit de propriété (CE 9 fév. 2000
Chevalier, D. 2000 IR p.75).

C - Effets d'une annulation contentieuse.


Le recours pour excès de pouvoir n'étant pas suspensif, l'acte attaqué continue de
produire ses effets. Dès avant l’adoption de l’importante réforme du contentieux étendant
sensiblement les pouvoirs du juge administratif des référés, il était toutefois possible de
demander le sursis à exécution. Celui-ci étant accordé de manière restrictive, et la procédure
administrative contentieuse étant généralement très longue, il était fréquent que la poursuite
du processus d'expropriation aboutisse à la mise en œuvre de la phase judiciaire avant
que le juge administratif n'ait statué.
Le nouveau régime de suspension des actes administratifs établi par la loi du 30 juin
2000, intégrée dans le Code de justice administrative, n’apporte pas de changements
substantiels. Les conditions de droit commun posées par l’art. L 521-1 (urgence et invocation
d’un moyen propre à créer un doute sur la légalité de l’acte) sont, comme c’était déjà le cas
auparavant, allégées dans certaines hypothèses : lorsque l'étude d'impact obligatoire fait
défaut au dossier (art. L 554-11 CJA : le juge doit alors accorder la suspension), en l’absence
d’enquête ou lorsque l'avis du commissaire enquêteur a été défavorable (art. L 554-12 CJA :
le juge ne doit alors exiger que la condition relative au sérieux d'un moyen invoqué).
Après les premières années d'application de la réforme il apparaît que si les juridictions
administratives considèrent bien que le début des travaux crée l'urgence susceptible de
justifier la suspension (v. CE 3 mai 2004, département de la Dordogne, AJDA 2004 p. 1374
concl. Chauvaux: à propos d'aménagements routiers), elles apprécient avec circonspection les
moyens d'illégalité invoqués par les opposants (v. p. ex. CE 14 mars 2001, Cne de Goutrens,
RFDA 2001 p. 832 concl. Chauvaux: l’argument relatif à l’absence d’étude d’impact n’oblige
le juge à prononcer la suspension que s’il n’est pas manifestement mal fondé).
Il est donc possible que, comme auparavant, un acte de la phase administrative soit
annulé après mise en œuvre de la phase judiciaire.

Plusieurs hypothèses peuvent alors être envisagées.


* Si l'acte attaqué est annulé avant que le juge judiciaire n'ait rendu l'ordonnance
d'expropriation prononçant le transfert de propriété, celle-ci ne peut plus être prise (cette
hypothèse implique que l'administration ait tardé à appliquer la procédure).
* Si l'acte attaqué est annulé après le prononcé de l'ordonnance, mais avant que celle-ci
ne soit définitive, la Cour de Cassation, saisie d'un recours, pourra annuler l'ordonnance
d'expropriation (lorsqu'elle est saisie dans de telles conditions, elle attend, pour statuer, la
décision du juge administratif, afin d'éviter de fâcheuses contrariétés de jugement).

115
* Si l'acte attaqué est annulé après que l'ordonnance soit devenue définitive, jusqu'en
1995, se posaient d'inextricables problèmes contentieux. La loi du 2 février 1995 a apporté
une amélioration souhaitée de longue date (intégrée au Code en un article L 12-5 al.2):
l'exproprié peut faire constater par le juge de l'expropriation que l'ordonnance portant
transfert de propriété est dépourvue de base légale. Il doit donc, moyennant
remboursement des indemnités versées, obtenir la restitution de son bien. La Cour de
cassation ayant jugé que celle-ci est cependant exclue si elle doit porter atteinte à
l'intangibilité d'un ouvrage public (Cass. 3ème Civ. 4 avril 2002, Bergerioux c/ Cne d'Issy-les-
Moulineaux, JCP 2002.IV. p. 1009 : groupe d'immeubles réhabilités et transformés en
logements sociaux), il sera intéressant d'observer l'impact sur cette jurisprudence du récent
revirement opéré par le Conseil d'Etat.

2) Le recours en indemnité.
Il est possible lorsque le comportement de l'administration a été à l'origine d'un
préjudice, causé soit à l'expropriant (v. p. ex. CE (S) 14 juin 1963 Ville de Carpentras, Rec.
p.373: responsabilité de l'Etat à l'égard d'une commune du fait de l'annulation d'une DUP
illégale ; CE 6 oct. 2000, Cne de Meylan, Rec. p. 416 : responsabilité de l’Etat vis-à-vis de la
commune condamnée à verser 12 M. de F d'indemnité à un propriétaire pour emprise
irrégulière à la suite d'annulations successives d'ordonnances d'expropriation par la Cour de
Cassation, alors que le préfet aurait dû s’assurer du respect des formalités légales), soit, cas le
plus fréquent, à l'exproprié. Si celui-ci subit un dommage résultant du comportement non
fautif de l'administration, il peut être indemnisé sans faute, pour rupture de l'égalité devant les
charges publiques, lorsque son préjudice est considéré comme anormalement grave et spécial.
C'est le cas, par exemple, lorsque l'administration, tout en restant dans les délais, tarde à
prononcer l'expropriation (v. CE 6 oct. 1982 Ville de Toulouse, Rec. p.747: menace
d'expropriation empêchant la cession d'un garage pendant 7 ans), ou y renonce purement et
simplement (CE (S) 23 déc. 1970 EDF c/ Farsat, AJDA 1971 p.96 concl. Kahn: hôtelier
empêché d'exécuter certains travaux, et devant ensuite y procéder à un coût plus élevé, après
renonciation d'EDF à l'exproprier). La Cour EDH a jugé que lorsqu'une expropriation a lieu
pour constituer une réserve foncière destinée à des opérations d'intérêt général et qu'après
plusieurs années, celles-ci n'ont toujours pas été réalisées alors que la valeur des biens
exproprié a sensiblement augmenté, "l'article 1 du Protocole n° 1 oblige (…) les Etats
contractants à prémunir les individus contre le risque d'un usage de la technique des réserves
foncières autorisant ce qui pourrait être perçu comme une forme de spéculation foncière à
leur détriment" et, donc, à verser aux anciens propriétaires une indemnité supplémentaire
correspondant à la plus-value acquise par le bien dont ils ont été dépossédés (CEDH 2 juill.
2002 et 27 mai 2003 Motais de Narbonne c/ France : terrains expropriés à la Réunion au
bénéfice de l'habitat "très social" et demeurés inutilisés durant dix neuf ans ouvrant droit à un
complément d' indemnité de 3 286 765,70 €).
Si l'administration a pris possession du terrain, il y a emprise, voire voie de fait, et la
compétence pour indemniser reviendra au juge judiciaire.

Chapitre II: La phase judiciaire.

Depuis 1958, elle est confiée à une juridiction judiciaire spécialisée, qui, pour le
Conseil Constitutionnel (décision du 9 fév. 1965, D. 1967 p.405, note Hamon), constitue un
"ordre de juridiction" au sens de l'article 34 de la Constitution: le juge de l'expropriation.
Par dérogation au principe de la collégialité, il s'agit d'un juge unique. Il en existe au
moins un dans chaque département, au siège du TGI du chef-lieu. Il est désigné pour 3 ans,

116
renouvelables, par le Président de la Cour d'Appel. Ainsi, sa spécialisation et la durée de ses
fonctions lui permettent d'acquérir une bonne connaissance du marché de l'immobilier.
Il est assisté d'un commissaire du gouvernement. Cette fonction est assurée par le
directeur départemental des domaines (art. R 13-7 du Code), dont la situation est ambiguë,
puisqu'il peut également être partie à l'instance en faisant appel de la décision d'indemnisation
Le Conseil d'Etat n'avait pas jugé sa double qualité contraire à l'exigence d'impartialité posée
dans l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme (CE 27 avril 1994
Brotherson, Rec. p.194), mais cette appréciation a finalement été contredite par la Cour EDH
(CEDH 24 avril 2003 Yvon c/ France, D 2003 p. 2456 note Hostiou: le fait que le
commissaire du gouvernement bénéficie d’un accès privilégié aux fichiers immobiliers sur
lesquels les mutations immobilières sont répertoriées et qu’il peut exercer une influence
déterminante sur l’appréciation portée par le juge de l’expropriation sur le montant de
l’indemnité due à la personne expropriée, crée une atteinte au principe de l’égalité des armes).
Tirant la conclusion de cette condamnation, la Cour de Cassation a décidé qu' "alors qu’il
résulte des dispositions des articles R 13-32, R 13-35, R 13-36 et R 13-47 du Code de l’expropriation relatives
au rôle tenu par le commissaire du gouvernement dans la procédure de fixation des indemnités d’expropriation
et des articles 2198 du Code civil, 38-1 et 39 du décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955, que celui-ci expert et
partie à cette procédure, occupe une position dominante et bénéficie, par rapport à l’exproprié, d’avantages
dans l’accès aux informations pertinentes publiées au fichier immobilier", l'application de ces "dispositions
génératrices d’un déséquilibre incompatible avec le principe d’égalité des armes" est contraire à l’article 6-1 de
la convention européenne des droits de l’homme (Cass. 3ème Civ. 2 juill. 2003, D 2003 IR p. 1879). Dans une
étude sur "l'égalité dans la procédure d'expropriation", le rapport de la Cour pour 2003 a jugé nécessaire une
modification des textes "afin de remédier à certains facteurs d'inégalité dénoncés par la CEDH et par la Cour
de cassation et de parvenir ainsi à un meilleur équilibre entre l'intérêt général et les impératifs de la sauvegarde
des droits fondamentaux des expropriés").
L'appel est possible devant une chambre spécialisée de chaque Cour d'Appel, dont le
président et les assesseurs doivent avoir la qualité de juges de l'expropriation. Le recours en
cassation relève de la 3ème chambre civile, elle aussi spécialisée.
L'intervention du juge judiciaire se décompose en deux grandes étapes, le transfert de
propriété et l'indemnisation.

Section I: Le transfert de propriété.

Il est prononcé par le juge de l'expropriation, qui doit être obligatoirement saisi par le
préfet dans les six mois suivant l'arrêté de cessibilité.
Le juge dispose de pouvoirs limités, et ne peut contrôler la légalité de la procédure
administrative. Il doit juste vérifier que toutes les formalités ont bien été respectées. Pour ce
faire, il doit viser, dans l'ordre de la procédure, toutes les pièces du dossier. Si les formalités
ont été accomplies, il prend une ordonnance d'expropriation. Celle-ci doit préciser l'identité
des expropriés (p. ex. les héritiers, en cas de succession, Cass. 3ème civ. 21 mars 2000
Labonne, D. 2000 IR p.116). Elle entraîne de multiples effets:
* à l'égard de l'expropriant: elle lui transfère la propriété du bien, sans pour autant
l'autoriser à en prendre possession avant l'indemnisation
* à l'égard des titulaires de servitudes: elle éteint les droits réels grevant l'immeuble
* à l'égard des locataires: elle entraîne la résolution des baux
* à l'égard des titulaires de sûretés: elle purge les privilèges et hypothèques (reportées
sur la somme constituant l'indemnisation)
* à l'égard de tous: elle marque le point de départ du droit à indemnité.
Elle ne peut être attaquée que par pourvoi en cassation, dans les 15 jours suivant la
notification, et seulement pour incompétence, vice de forme ou excès de pouvoir (si la DUP a
été annulée). Les modalités assez expéditives de sa procédure d'adoption n'ont pas été jugées

117
contraires à l'art. 6-1 de la Convention EDH, puisqu'elle peut faire l'objet d'un contrôle
ultérieur (Cass. 3ème Civ. 12 déc. 2001, Hain c/ DDE de la Haute-Saône, JCP 2002. II. 10 126
note Bernard).

Section II: L'indemnisation.

1) Sa procédure.
Elle est prononcée par jugement du juge de l'expropriation, à la suite d'un processus
complexe comprenant plusieurs étapes:
* d'abord la notification, aux personnes concernées, des offres de l'expropriant, afin
d'obtenir, si possible, un accord amiable. Avant même la DUP, de telles offres peuvent être
faites. Après l'arrêté de cessibilité, les expropriés peuvent même mettre en demeure
l'expropriant de les faire.
* Ensuite la réponse de l'exproprié, dans les 15 jours. Faute d'accord amiable, le plus
diligent saisi le juge de l'expropriation.
* Enfin, le jugement sur l'indemnisation. Depuis 1958, le juge a l'obligation de se rendre
sur place (il prend une "ordonnance de transport sur les lieux"), afin de recueillir les éléments
d'information adéquats. Il ne peut désigner un expert (v. p. ex. Cass. 3e civ., 12 mai 2004).
Il rendra son jugement motivé en audience publique après audition des parties. En
principe, conformément au Code de l'expropriation, le Directeur des Domaines intervient pour
proposer une estimation en tant que commissaire du gouvernement, mais suite à la
condamnation du dispositif par la Cour européenne des droits de l'homme, depuis son arrêt
précité du 2 juillet 2003, la Cour de Cassation casse toutes les décisions se référant à son
intervention pour fixer l'indemnité. L'appel est possible dans les 15 jours, le recours en
cassation dans les deux mois.

2) Ses règles de fond.


Elles doivent permettre que l'exproprié soit indemnisé justement, mais pas
excessivement. Selon l'article L 13-13 du Code, "les indemnités allouées doivent couvrir
l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation".
Sont, de ce fait, exclus les préjudices indirects résultant des troubles de voisinage.
Ceux-ci peuvent cependant être indemnisés par le juge administratif s'ils constituent des
dommages de travaux publics résultant de la présence d'un ouvrage public (v. sur la difficulté
d'analyser certains dommages TC 25 mai 1998 Lefèvre c/ département du Bas Rhin, JCP
1998 IV p.1784: les dangers créés par le franchissement d'une voie nouvelle sont directement
liés à la division d'une exploitation agricole suite à une expropriation, d'où la compétence
judiciaire pour en connaître ; v. ég. Cass. Civ 3ème 17 mars 1999 SA la Bruyère c/ Sté des
autoroutes du Nord et de l'Est de la France, JCP 1999 II 10167 note Bernard : la marge
d'inconstructibilité au bord d'une autoroute n'est pas un dommage résultant de l'ouvrage
public, mais est une conséquence directe de l'expropriation; Cass. Civ. 3ème 12 fév. 2003, Sté
Flamme environnement : le temps de parcours supplémentaire des camions de l'exploitant
d'une activité industrielle de tri et de conditionnement de déchets est un préjudice directement
lié à l'expropriation qui a abouti à l'enclavement de ses terrains et non à la nature et à la
configuration de l'ouvrage public réalisé : il doit être indemnisé).
De même, le préjudice moral (perte d'un bien de famille, de divers agréments non
évaluables en argent) n'est pas indemnisé.

A- La consistance (volume, quantité...) des biens à évaluer est appréciée à la date de


l'ordonnance d'expropriation, sauf lorsqu'il apparaît que des travaux supplémentaires ont été

118
effectués dans le but de majorer l'indemnité (ils sont ainsi présumés s'ils sont postérieurs au
début de l'enquête préalable).

B - La valeur des biens est appréciée selon des principes complexes, dont on
n'indiquera que quelques lignes directrices.

En principe, elle est estimée à la date de la décision de première instance (art. L 13-
15 Code). Mais, pour éviter d'inclure dans l'indemnité les plus-values parfois provoquées par
la perspective de certains travaux, on prend en compte l'usage effectif du bien un an avant
l'ouverture de l'enquête préalable, en le réévaluant au jour du jugement, à l'aide de coefficients
(v. pour une illustration des difficultés d'évaluation : Cass. Civ. 3ième 14 avril 1999 Helly et
autres, JCP 1999 II 10091 concl. Weber, à propos de l'expropriation des terrains de surface
dans le sous-sol desquels a été découverte la "grotte Chauvet", qui leur a donné une plus-
value à prendre en compte dans l'indemnisation).
Le juge, en outre, n'est pas libre de fixer l'indemnité comme il l'entend. Ainsi, il est en
principe tenu de l'inscrire dans une fourchette se situant entre l'offre de l'expropriant et les
exigences de l'exproprié. De plus, si l'immeuble a fait l'objet d'une vente moins de 5 ans
auparavant, l'indemnité ne doit pas dépasser la valeur déclarée à l'époque (art. L13-17 du
Code : cette disposition est destinée à sanctionner la fraude sur les droits de mutation, mais
elle a été critiquée, car elle peut aussi trouver application, hors de toute fraude, lorsque les
prix du marché immobilier sont en forte hausse).
Il doit également, afin d'éviter les inégalités et l'encombrement des prétoires, tenir
compte des indemnités versées à l'amiable aux autres expropriés, selon des règles complexes
prévues aux art. L 13-16 et L 13-17 du Code de l’expropriation (v. p. ex. Cass. 3ème Civ, 10
janv.2001, Mascart c/ Communauté de communes de la vallée de l’Escaut, JCP 2001.IV. p.
461). Cette contrainte a été contestée pour violation de l'art. 6-1 de la Convention EDH en ce
qu'elle limiterait le pouvoir d'appréciation du juge, mais la Cour de Cassation a estimé que
celui-ci n'est pas lié par les prix fixés à l'amiable et conserve son pouvoir souverain
d'appréciation (3ème Civ. 25 sept. 2002, AJDA 2002 p. 945).
Sous ces réserves, l'indemnisation doit être totale, et peut ainsi comprendre une
indemnité de remploi, destinée à couvrir les frais de remplacement du bien (celle-ci permet
parfois de tourner l'interdiction de réparer le préjudice moral), et des indemnités accessoires
(de déménagement par exemple). Il faut observer que désormais, le domaine de
l'expropriation donne lieu lui aussi à des recours devant la Cour EDH, qui n'hésite pas à
remettre en cause l'estimation des indemnités opérée par les juges nationaux lorsqu'elle lui
semble inférieure à ce qu'impliquerait l'art. 1er du protocole n° 1 garantissant à toute personne
le respect de ses biens (CEDH 11 avril 2002, Lallement c/ France, AJDA 2002 p. 686 note
Hostiou : insuffisante indemnisation d'un agriculteur dont l'expropriation de 60% des terres
affectées à l'élevage entraîne la perte de son outil de travail).
L'indemnisation doit être préalable à l'entrée en possession du bien par l'expropriant.
Cette condition essentielle connaît cependant deux exceptions.

Section III: Les procédures exceptionnelles.

Elles permettent d'écourter la phase judiciaire en autorisant l'expropriant à prendre


possession plus rapidement d'un bien exproprié.

1) L'urgence.

119
Déclarée dans la DUP, elle permet d'entrer en possession du bien après l'ordonnance
d'expropriation, mais avant l'indemnisation définitive, par exception à la règle de
l'indemnisation préalable, moyennant le versement d'indemnités provisionnelles.

2) L'extrême urgence.
Après la DUP, un décret pris sur avis conforme du Conseil d'Etat peut autoriser la prise
de possession immédiate, avant l'expropriation.
Cette possibilité est ouverte pour les travaux intéressant la défense nationale, et pour
toutes les opérations mentionnées aux articles L 15-6 à L 15-9 du Code. On l'a utilisée, par
exemple, pour les travaux nécessaires aux jeux olympiques d'Albertville, en 1992, et pour la
construction du Stade de France avant la Coupe du Monde de Football de 1998.
Elle entraîne le versement d'indemnités provisionnelles égales à l'évaluation des
domaines, dans les 15 jours, et oblige à poursuivre la procédure d'expropriation dans le mois
qui suit la prise de possession. La brutalité de la dépossession peut donner lieu à réparation.
* * * *
Pour conclure sur l’expropriation, on indiquera qu’au cas où les terrains expropriés
n’auraient pas reçu la destination prévue lors de la phase administrative, il existe une
possibilité de rétrocession sur demande de l’exproprié. La procédure est prévue par
l’article L 12-6 du Code. Elle relève exclusivement du juge judiciaire, les juridictions
administratives ayant seulement une compétence résiduelle pour interpréter le cas échéant la
déclaration d’utilité publique (CE 16 juin 2000, Cne d’Auribeau-sur-Siagne, Rec. p. 232,
confirmé par TC 23 fév. 2004, D. 2004 p. 675 "à l'exception des questions préjudicielles touchant à
l'interprétation ou à la validité des décisions administratives relatives à l'affectation des biens expropriés, les
tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour connaître des litiges relatifs aux demandes de rétrocession
formées en application de l'article 54 de l'ordonnance du 23 octobre 1958, devenu l'article L. 12-6 du code de
l'expropriation pour cause d'utilité publique, y compris pour apprécier si les biens expropriés ont effectivement
reçu une affectation conforme à celle définie dans l'acte déclaratif d'utilité publique").

15 septembre 2004.

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