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Cette femme Ghassen Bouatlaoui - 2001 - Casablanca

En cette soirée du 25 avril, j’entame mon récit. Celui d’une destinée déchue sur les sables noirs
de la vie. Celui d’un merveilleux conte d’amour et de générosité. J’essaie tant bien que mal de
remplir mes jours avec des choses agréables. Je cherche à fuir les vérités. Dernièrement, je me
suis intéressée à la peinture. Je me noie dans les océans de couleur vive et pastel. Je cherche à
remplir complètement ce blanc vide, je cherche à ne plus laisser d’espace nu. Je ne vis pas
seule. Sous mon toit survivent mes enfants, mes hommes. Trois rescapés de mon odyssée. Trois
victimes de terreur et de dépression. En quatrième année, ils ont connu avec moi les pires
supplices. Vous savez ce qui fait le plus mal dans la torture ? Ce n’est ni les coups, ni les
blessures, mais de savoir qu’après, plus rien n’aura le goût d’avant. Plus rien ne ressemble aux
moments de bonheur passé. Je me lève très tôt le matin pour discuter avec mon Dieu. Certains
appellent cela prière. Je préfère parler de discussion à sens unique. Je n’entends pas plus que
les échos de mes mots. Mais je sais au fond de moi qu’une présence surnaturelle me regarde et
me répond. Pas de paroles certes. Quelques signes me suffisent pour croire... Pour continuer ma
vie. Sans cela je serais perdue. Je prépare mon café et j’ouvre la porte du jardin intérieur pour
laisser venir mes enfants. Je m’installe dans la cour devant ma table de peinture. Le pinceau
récupère de bleu au fond de la palette. J’entame le ciel. Un ciel bleu azur sans nuage. Un ciel
d’ouest. Un ciel comme celui de ma ville natale Sidi Kacem. Sidi Kacem est un saint qui s’est
installé un jour sur la rive droite d’une petite rivière et qui ne l’a plus jamais quittée. Jonché sur
une colline verte, son tombeau attira des femmes seules et d’autres accompagnées d’enfants.
Des femmes répudiées et mal traitées.Sidi Kacem devint très vite le saint patron des femmes.
Leur protecteur et celui qui leur donne la chaleur et la lumière le soir quand il fait froid et noir
dans la riche vallée du Gharb.Cette animation attira très vite les tribus riveraines. Les Chrarda
sont des guerriers du palais. Connus pour la maîtrise de la cavalerie et du baroud, poudre à
canon. Le Makhzen les déplaça depuis leurs terres arides du désert pour mater des révoltes au
nord du pays. Dans un bain de sang, le nord nagea durant des décennies. Avant que la paix ne
revienne et que les Chrarda demeurent sans occupations. Inquiet de leurs activités de plus en
plus mercenaire, le roi leur octroya des terres de blé dans la vallée du Gharb. Les Chrarda
prospérèrent et au fil des ans oublièrent leur nature militaire. Mais par nostalgie, les hommes se
retrouvaient une fois par an, du coté du tombeau de Sidi Kacem pour monter leurs chevaux et
jouer à une guerre factice. C’est le Moussem, festival de cavalerie et de poudre. Ils en profitaient
aussi pour ramener dans les petits douars des filles trouvées autour du marabout. Elles servaient
de femmes à tout faire. Au début du siècle, les colons affluaient. Les terres étaient arrachées
sans vergogne aux indigènes. Un jour, un certain Petit jean décida de prospecter le terrain.
Quelques mètres seulement de forage et voilà que jaillit un liquide noir des entrailles de la terre.
Très vite un village prit forme autour du premier puits de pétrole. Une gare de train s’improvisa et
on découvrit par les vertus de la topographie que la ville pouvait servir de passage facile vers les
quatre directions du pays. Le chemin de fer investit un peu plus d’argent et voilà que Sidi Kacem,
nommée entre temps Petit Jean, devint une halte indispensable pour tous les convois. Fès à
l’époque, était une grande capitale de culture et de commerce. Le sultan y était installé avec sa
cour. Ce roi-là était tellement endetté et affaibli qu’il signa à la hâte un accord qui permit aux
étrangers de prendre le Maroc sous une protection très intéressée. A Fès, la concurrence
économique était rude et les familles cherchaient à trouver de nouveaux débouchés pour
prospérer. Plusieurs d’entre elles décidèrent de tenter la chance dans un nouveau village au
Gharb. Des tailleurs, des marchands de thé et de sucre, des artisans et des vendeurs de tissu en
faisaient partie. Mon père partit à Sidi Kacem dans les premiers convois. Sa famille était très
étendue, mais ne bénéficiait que de très peu de privilèges dans le palais. Lui, il n’avait connu que
misère dans cette ville à tel point qu’il ne regarda même pas derrière lui au soir du voyage. Il
pressa sa femme de réunir tout ce qui pouvait tenir sur trois mules et un âne. Il paya un vigile qui
lui- même, transmit une somme d’argent au représentant officieux des brigands de la route afin
d’assurer un tranquille passage. Le convoi s’arrêta à trois reprises du coté de Meknès. L’année
était dure et meurtrière. Une grande sécheresse rendit les gens fous, les montagnards se
transformaient en criminels dangereux et attaquaient les rares personnes aventuriers hors des
murailles de Fès. Le fusil du gardien retentit à trois reprises mais personnes ne vit les brigands.
Peut être voulait-il seulement prouver au Hadj Mohamed Bennani qu’il avait raison de louer ses
services. Trois jours et deux nuits suffirent pour venir à bout des deux cents kilomètres de
chemin. Les repas se prenaient très tôt le matin et juste avant la tombée de la nuit. Il était hors de
question d’allumer un feu ou de trouver refuge chez les paysans, ils auraient attendu leur
sommeil pour leur couper la gorge et les dépouiller de leurs biens. A l’entrée du village une
grande écurie faisait office d’hôtel. Les chevaux, ânes et mules y étaient admis en priorité. Leurs
maîtres pouvaient partager le gîte et l’eau. Hadj Mohammed se pressa de visiter le village. Il
repéra très vite un terrain à hauteur entre la forêt et le quartier des colons. Il négocia rapidement
le prix avec le propriétaire et loua les services de quatre hommes pour monter une baraque de
fortune en attendant la construction d’une vraie maison. Il installa sa femme en lui interdisant de
mettre le nez dehors et se dirigea vers la mosquée du village. Il y rencontra des visages familiers
: des connaissances fassis. Après la cérémonie d’accueil, ils lui dressèrent en deux mots un état
des lieux : le village est riche et on peut y vendre n’importe quelle marchandise. Ils lui
conseillèrent de trouver un fournisseur sûr à Fès et d’entamer sans attendre un commerce
différent des leurs. Personne ne se chargeait encore de la vente du tissu. Hadj Mohamed
renvoya le vigile à Fès avec un message pour son frère aîné : si cet homme arrive vivant chez
toi, remets- lui deux mules chargées de laine et de voile blanc. En attendant l’arrivée de cette
première commande, Hadj Mohamed s’appliqua à construire sa maison et son magasin. Il
prospéra rapidement, et après une dizaine d’années, il fonda, avec l’aide de ses amis, une
kissariat (une chaîne de magasins voisins où l’on pouvait trouver toutes sortes de marchandises).
La première femme de Hadj lui avait donné deux fils et deux filles. Elle tomba malade et mourut
mystérieusement et en silence. Il était hors de question pour un homme de cette époque de
rester sans épouse. Hadj Mohamed en parla à l’un de ses associés qui lui conseilla une famille
fassie de grande notoriété. Il reprit la route vers Fès et s’adressa directement au notable de la
Zaouïa des Sqallis. Dans cette Zaouïa reposaient en paix les sept fondateurs de la famille tous
connus, pour leurs dons soufis et leur grand savoir religieux. Le grand Mohamed Sqalli, dit le lion,
était surnommé ainsi, car il avait le don de se transformer et laisser les enfants le monter sans
réagir. Un autre, Ahmed dit l’oiseau « Tayaar », pouvait quant à lui déployer des ailes avant le
coucher du soleil pour aller effectuer la prière de la nuit dans la mosquée du prophète à des
milliers de kilomètres de là. Sa femme qui le surprit un jour en train de prendre son envol perdit
de suite la vue et la raison. De cette grande famille est issue ma mère, Lalla Fatima Sqalli. Le
mariage fut célébré le jour même. Le lendemain ma mère et mon père prirent la route avant
l’aube pour rejoindre Sidi Kacem. A son arrivée, Lalla Fatima était âgée seulement de quelque
quatorze années. Sans attendre un instant, elle prit en charge les travaux domestiques et les
besoins des enfants. Je fus son premier bébé. Elle en aurait une vingtaine par la suite. Seuls
quatorze survivront. Les conditions d’accouchement n’étaient pas idéales. Ma mère fit preuve
d’une endurance exemplaire. A l’époque, la vie des femmes avait deux finalités : mettre au
monde des enfants et tenir une maison. Très rares les occasions où elle pouvait sortir ou
fréquenter d’autres femmes. Mon père tenait les rênes dehors, ma mère tenait celles de
l’intérieur. La maison ne manquait de rien. Hadj Mohamed s’était procuré une ferme à proximité
de la ville où il cultivait toutes sortes d’agrumes et de fruits. Je me souviens des jours de récoltes
: la maison était envahie de corbeilles et de sacs. Ma mère s’activait à tout ranger dans des
dépôts aménagés à l’intérieur de la maison. Une fois par an, mon père égorgeait deux vaches
pour faire le Khlii : de la viande séchée dans des récipients de terre cuite remplis de graisse. La
cérémonie durait plusieurs jours et on invitait des familles fassies de la ville à partager ces
réjouissances. Dans cet environnement j’ai connu la vie. Zineb, Zineb. Ces appels retentissent
dans mon esprit. Ma mère qui me cherche pour aider à servir le déjeuner.C’est le printemps à
Sidi Kacem. J’ai atteint mes neuf ans. Nous sommes sortis pour la Nzaha annuelle dans notre
ferme. Entre le moulin à huile et l’écurie, j’étais ravie et passionnée. Je courais dans tous les
sens. Je jouais avec la fille du gardien, Aicha. Un démon casse-cou qui faufilait entre l’arbre et
traversait la rivière en sautant sur les pierres glissantes. J’arrivais difficilement à la suivre. Mais
au bout du compte, elle me réservait toujours une surprise. Dès le premier jour de la Nzaha,
Aicha m’avait montré le nouveau-né de la vache brune, le nid de la poule d’eau avec ses trois
petits poussins effrayés et surtout l’oranger le plus sucré de la ferme. On y faisait une halte
joyeuse pour déguster des dizaines d’oranges au goût de miel. Leur parfum me traverse les
narines aujourd’hui. Sur le tableau où le ciel avait déjà séché, je commence à dessiner les
racines d’un arbre fruitier. Probablement un oranger. Mon père avait insisté pour que j’aille à la
madrasa afin d’apprendre le coran. Les filles ne bénéficiaient pas toutes de ce privilège. Notre
maître étai un vieux Fqih qui, à part les versets saints, ne faisait preuve d’aucune pédagogie.
L’accueil matinal se résumait en un petit coup sur la tête, peut-être voulait-il secouer des
neurones encore endormis. En tout cas, sa méthode était efficace. Aucun enfant n’osait fermer
les yeux et tous dans une mélodie rythmée par la voix d Fqih récitaient le verset appris la veille.
Le cours se terminait vers dix heures du matin. Après une brève halte à la maison où je dévorais
un bout de pain accompagné d’un verre de thé à la menthe fraîche et pleine de parfum, je
prenais le chemin de la maison de Maalma « la maîtresse ». Ma mère insista à son tour pour que
j’apprenne, comme elle l’avait fait enfant à Fès, la couture traditionnelle et l’art de la cuisine
Fassie. La Maalma, la quarantaine achevée, passa son enfance et sa jeunesse à travailler chez
une grande famille de la ville du sultan. Elle finit par dépasser toutes les autres filles dans les
taches de maison. A tel point que sa maîtresse la promut au rang de deuxième femme pour
accompagner un fils unique dans aventure à Sidi Kacem. Elle était pour beaucoup l’artisane de la
réussite de son mari. Elle lui fournissait tous les produits de son commerce qu’elle confectionnait
inlassablement dans sa chambre : des nattes, des djellabas, des cafta brodés au fil d’or. A la mort
accidentelle de son mari, elle récupéra par forte malice la maison et renvoya la première épouse
chez ses nobles parents dans cette ville lointaine pour laquelle elle ne ressentait plus aucune
nostalgie. Avec moi, elle était dure et méchante. Zineb, ce n’est pas comme ça qu’on tient
l’aiguille.. Zineb tu as taché le tissu.. Zineb concentre toi sur ton travail au lieu de taquiner les
autres filles.. Zineb par- ci.. Zineb par là. Et entre deux remarques elle marquait toujours sur ma
cuisse une pincette tellement acharnée que j’hurlais de douleur. Une fois, ayant un pleuré toute la
journée, j’ai raconté, au soir les faits de la journée à ma mère. Elle me pinça encor plus fort et me
gratifia d’une belle gifle sur la joue. Après cela, je n’osais plus dire quoi que ce soit. Mais à la fin
fond de moimême, une petite flamme de révolte naquit et ne me quitta plus. Je ne contestais pas
la sévérité de ma mère, son amour remplissait mon cœur. Je désapprouvais par contre la
sévérité de la Maalma et sa volonté d’inhumer en moi toute liberté. La pauvre avait subit de
aujourd’hui son attitude d’une part de mon esprit Les colons n’admettaient pire traitements dans
sa jeunesse. Je comprends et je lui suis même redevable. A cette Maalma détestée, rebelle. pas
dans écoles les fils d’indigènes ou bien fallait-il partie d’une élite marocaine très privilégiée et
composée uniquement de fils de caïds et de serviteur du Makhzen. Un mouvement populaire
s’était constitué à Fès et commençait à rayonner sur toutes les villes du pays. Au départ, son
action était orientée vers l’encadrement d’une grande partie de la population à travers l’éducation.
C’est ainsi que fut construite à Sidi Kacem école appelée la Madrasa Hassanya.

Hadj Mohamed décida, aidé par un léger coup de pousse de ma mère, à m’inscrire dans cette
nouvelle école. C’était un vrai acte de courage quand la plupart des autres filles étaient fiancées
à neuf an et mariées à douze. J’ai passé quatre années dans cette école où les premières
prémisses du système éducatif se faisaient sentir. Plusieurs notables érudits de la ville se
relayaient pour donner des cours d’arabe, de littérature traditionnelle et moderne. J’ai découvert
l’épopée d’Antar, l’esclave noir d’Arabie qui sauva sa tribu en combattant comme cent hommes
réunis mais à qui on refusa sa cousine aimée en raison de sa couleur. Les hommes ont toujours
eu le mérite de décevoir ceux par qui le bien arrive. J’ai aussi découvert Aboulkacem Echabbi, le
plus grand poète tunisien. Ses vers retentissent encore dans mon esprit de jeune fille en quête
de liberté : Si un peuple exige la vie Le destin ne peut qu’abdiquer Les chaînes ne peuvent que
se briser. Et la nuit ne peut que faire place au jour. La fête du trône était célébrée en fanfare dans
toutes les villes du Maroc. L’autorité coloniale faisait la sourde oreille pour ne pas s’attirer les
foudres du peuple attaché à ses signes de souveraineté. A ma quatrième et dernière année
d’études dans la Madrasa Hassania, un personnage exceptionnel devait visiter l’école durant ce
jour de fête. Tous les élèves étaient dans leurs plus beaux habits. Après le cérémonial des chants
patriotiques. L’homme, qui était accompagné de plusieurs personnes devenues elles aussi
célèbres par la suite, prit la parole et donna un long discours improvisé. J’écoutais avec béatitude
cette voie douce et roque décrire les soucis de mon peuple, parler de la ségrégation entre les
étrangers et les Marocains dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’économie. Il
expliqua comment il fallait que toutes les personnes agissent dans la mesure du possible pour
libérer la patrie. A la fin de son discours, un silence lourd s’installa sur la grande place de l’école.
L’orateur demanda aux présents si quelqu’un avait une question à poser.
Tous se firent muets. Certains par manque d’habitude, personne ne leur avait donné la possibilité
d’exprimer une opinion auparavant. La plupart avaient peur d’être cueillis à la sortie de l’école par
les sbires du Makhzen. J’ai levé la main pour demander la parole. Au même moment un notre
élève fit de même. Un petit murmure traversa la place. Après un moment de réflexion, l’orateur
me désigna du doigt pour parler .Le murmure s’amplifia et tous regardaient cette jeune fille qui
voulait poser sa question. Je me suis levé doucement, et j’ai regardé l’orateur dans les yeux.
Monsieur, dites-nous exactement ce nous devons faire dès aujourd’hui. Je pense que les femmes
peuvent avoir un rôle important dans cette lutte. A ma grande surprise il ne réagit pas tout de
suite. Il s’adressa à une personne voisine, cherchant probablement conseil. Peut être n’avait-il
pas ce jour- la une réponse toute faite , ou ne voulait-il pas choquer la présence en demandant à
ce que les femmes, dont le rôle social était cloîtré à l’intérieur des foyers, puissent poser des
questions que très peu d’hommes osaient traiter. Je donne la parole à ce jeune homme avant de
répondre à votre question. Allez-y mon fils. Un jeune adolescent maigre se leva pour parler. Nous
avons entendu parler des maquisards dans les montagnes du nord et des vallées du Sud. Est-ce
que vous êtes derrière ces actions ? Apparemment surpris par la pertinence des questions, il
s’adressa d’abords au jeune homme : Nous désapprouvons toutes les actions violentes. Et nous
estimons que la voie politique reste ouverte pour atteindre tous nos objectifs. Ceci dit , nous
désapprouvons la violences des deux côtés et nous comprenons que notre population réagisse
violemment quand elle est atteinte dans sa fierté En ce qui concerne la question de cette jeune
demoiselle, nous vous invitons à tous vous inspirer des actions menées dans d’autres pays
arabes et musulmans en matière de participation des femmes dans la vie active. La femme y est
présente dans les domaines de l’éducation et de la santé et joué un rôle capital dans la
préparation des générations futures. De retour à la maison, le bruit de la journée avait atteint ma
mère qui me reçut à la porte le visage blême. Qu’est-ce qui t’a pris de parles en présence de tous
les hommes ? Ton père va te tuer à son retour. Je me suis réfugiée dans la terrasse pour
contempler le magnifique coucher de soleil sur la forêt de Sidi Kacem. Au loin, le marabout blanc
brillait sous les dernières lumières du jour. Les muezzins appelaient les fidèles à la prière du
Moghreb. Mon père ne tarda pas à pousser la porte de la maison. Dès qu’il finit de s’installer
dans son appartement, il m’appela d’une voix ferme. Le chemin me paraissait trop long. Mes pas
étaient lourds et j’ai failli regretter mon audace. J’ai reçu un Mkhazeni pour la première fois dans
le magasin aujourd’hui. Il me demanda si tu étais bien ma fille, et si j’avais des difficultés à te
tenir à l’intérieur de la maison. Je lui ai répondu que tu avais hérité de ton grand père maternel la
force de rendre aveugle ceux qui osent te faire du mal. Et qu’en raison de la nécessité de garder
mes yeux intacts pour mesurer les morceaux de tissus dans le magasin, je ne pouvais
m’adresser à toi qu’avec des mots gentils. Il m’a cru ce bougre de campagnard et avant de
repartir la peur dans les yeux, je lui fis porter quelques cadeaux pour sa femme et la femme du
caïd. Dis-moi, tu as quinze ans aujourd’hui et il va falloir te trouver un mari. Tu ne manques pas
de beauté et les prétendants affluent à mon magasin. Que veux-tu faire après avoir terminé tes
cours ? Je ne pris aucun moment de réflexion : j’ai entendu dire qu’ils prennent des enseignantes
d’arabe dans l’école des filles. Je peux essayer. Un long silence se fit dans la chambre. Mon père
me demanda de préparer la table pour le dîner. Au retour dans la cuisine, ma mère me regarda
avec un petit sourire : aucun de tes frères n’ose parler comme tu le fais avec ton père. Je ne
comprends pas ce qui arrive au Hadj avec toi. Au début de la nouvelle année, j’étais acceptée
comme enseignante stagiaire à l’école normale des filles de Sidi Kacem.

Sur le chemin de l’école, un jeune homme assis sur un pallier de maison, guettait chacun de mes
passages. J’ai vite reconnu le jeune qui posa la question durant ce fameux jour de l’année
dernière. Il ne me fallait pas longtemps pour me renseigner auprès d’une amie à moi qui était
aussi l’amie de sa sœur. Ah ! Mustapha ? Quelle chance ! Me dit-elle. C’est le fils du Cherif. Sa
maman est fassie mais son père ne l’est pas. Il est descendant d’un saint enterré au sud de
Marrakech, Sidi Ali Ben Bouatel Chbani Idrissi. L’arbre n’était pas encore achevé sur mon
tableau. Je me lève pour préparer le déjeuner. Moncef rentre de sa ballade matinale. Je prends
un thé à la menthe et retourne à la peinture le verre fumant à la main. Ce saint est venu d’Arabie
avec sa tribu. Ils ont traversé les déserts d’Afrique du Nord grâce à une tactique très
rudimentaire. Ils se sont séparés en groupes de dix personnes. Chaque groupe prit un chameau,
des vivres et de l’eau. Les départs des groupes furent décalés de telle sorte à avoir des relais sur
toute la route. Les groupes se suivaient à une distance d’une journée de marche. En cas de
problème, le groupe resté derrière pouvait rejoindre celui du devant et lui porter son aide. cela, la
moitié de la tribu succomba aux attaques des brigands et du vent. Arrivés au sud du Maroc, Sidi
Ali Ben Bouatel, se distingua auprès des tribus locales par sa connaissances du Coran et du
Hadith. Les Chrarda en firent leur prêcheur et imam du vendredi. Et quand le sultan fit appel à
eux, ils demandèrent au Cherif et à sa famille de les accompagner pour leur apporter la chance
vouée aux saints. Sur la route du nord, le saint mourut à quelques dizaines de kilomètres de
Marrakech. Il fut inhumé à proximité d’une source d’eau peuplée de petites tortues qui héritèrent
de pouvoirs surnaturels, tels que la guérison des lépreux et des stériles. Même si la famille du
saint demeura sur place, le chef des Chrarda exigea qu’un des fils de Sidi Ali continue le chemin.
Après la fin de l’épopée guerrière des Chrarda au nord, ils continuèrent à considérer l’héritier du
saint comme guide spirituel. Ils appelaient sa famille les Chorfas. Beaucoup plus tard, Mohamed,
un petit fils du saint, accompagna le contingent des Chrarda appelé par l’armée française pour
combattre dans ses rangs.
Il ne le fit jamais pour une raison très simple dont voici les faits tels qu’ils m’ont été racontés. Le
contingent s’installa non loin de Kénitra. La capitale du Gharb. Mohamed passait ses journées à
errer dans les rangs. Son rôle se résumait à apporter la Baraka aux troupes. Lors d’une
promenade matinale, Mohamed découvrit un sac rempli de pièces en or et billets de banque. Il
prit soin de le cacher avant de retourner au campement. Vers la mi-journée un Baraah, messager
crieur, annonçait la perte de la paie du mois. Mohamed récupéra le sac et se rendit au bureau du
capitaine qui ne crut pas ses yeux en récupérant le valeureux sac. Mon brave tu es un homme
honnête. Demande ce que tu veux et tu l’auras. Je veux une carte blanche. Je ne veux plus être
dérangé par les Mkhazeni à chaque coin de rue. Malgré la nature bizarre de la demande, le
capitaine rédigea un document qu’il soumit au colonel pour signature. Il remit le papier à
Mohamed et le gratifiât d’un dixième de la valeur du butin. Mohamed revint à Sidi Kacem sous
bonne escorte et acheta un terrain ou il construisit une belle maison à trois niveaux. Un ami lui
conseilla d’invertir dans le transport public. Il ne tarda pas à acheter un des premiers autobus
pour relier Sidi Kacem à la ville sainte de Moulay Driss Zerhoun. On raconte que ce bus était
tellement mal équipé qu’il ne disposait pas de freins. Et à chaque descente les passagers criaient
et invoquaient la Baraka. Personne ne fut jamais blessé dans ce bus. Le fils de Mohamed,
Mustapha, était né d’une famille très connue dans la ville non seulement de par la fortune mais
aussi de par sa folie…. Pendant les années de sécheresse, le père courait pieds nus dans toutes
les rues en compagnie de tous les enfants qu’il pouvait réunir. Je me rappelle de ce mi-saint, mi-
fou qui devenait très doux dès la tombée de la première goutte de pluie. J’ai rencontré Mustapha
dans le dispensaire de santé. Je me sentais mal ce jourlà. Mustapha était de garde à l’infirmerie.
Il ne cessa de me dévisager à tel point qu’il ne regardait même pas le tensiomètre pour mesurer
mon pouls. Le lendemain, sa mère nous rendit visite pour demander ma main. Mon père refusa
catégoriquement cette idée. Un de ses amis ne portait pas le père de Mustapha dans son cœur.
Tu ne vas tout de même pas confier ta chaire au fils de ce fou furieux, ce coureur de pluie et de
femmes, lui disait-il. Mustapha insista de plus belle et pendant plusieurs semaines, le va et vient
ne cessait pas dans notre maison. Mon père se résigna enfin et notre mariage eut lieu très
rapidement. J’étais heureuse de pouvoir quitter la demeure de mon père pour vivre vraiment la
liberté. Mustapha était très compréhensif et moderne, il m’emmena partout où je ne pouvais pas
mettre le pied avant. Il me fit découvrir Casablanca et Rabat. Nous sommes partis voir les
derniers films au cinéma, la foire commerciale, les spectacles de musique. Enfin, je suis sortie
réellement à la société et je pouvais voir dans cette nouvelle situation toute la richesse dont ne
jouissait pas les femmes à l’époque.
Mon travail à l’école me laissait assez de temps pour m’occuper de moi, une petite maison dans
la médina de Sidi Kacem que nous avons transformée en nid de bonheur. Mustapha était un bon
vivant. Il était drôle et sociable; il participait à toutes les manifestations de la ville. Un jour, il me
proposa de l’accompagner à une réunion politique. On m’installa au milieu de quelques femmes à
l’écart de la table centrale. Nous devions rester là à écouter les hommes parler. Je me contentais
de faire des gestes de la tête pour signifier à Mustapha qu’il fallait quitter le lieu. De quel droit
vous invitez des femmes en spectatrices, laissez- les au moins faire des choses utiles chez elle.
Mais c’est pour un premier pas pour qu’elles comprennent la politique, me dit-il . Elles ne
comprennent peut être pas grand-chose à vos termes compliqués, mais elles savent au moins
gérer des familles. Je ne veux plus assister à ces réunions discriminatoires lui criais-je de touts
mes forces. C’était notre première dispute. Certainement pas la dernière, mais je savais que
j’allais gagner. Une semaine plus tard j’étais assise à la table de réunion au milieu de tous les
hommes. Au début, certaines personnes ne voulaient pas en entendre parler. Mon mari me céda
sa place au beau milieu de la réunion. Je veux me faire représenter par ma femme, leur déclara
t-il. Au fur et à mesure de mes participation aux réunions, je me rendais compte à quel point on
perdait le temps. Nous discutions des théories et des proses. Aucune action précise. Aucun
engagement pragmatique. Des discours et des discours qui ne servent à rien. Je croyais que
nous allions débattre de la création d’une maison pour orphelins et non pas des orientations
politiques du Maghreb qui n’est pas encore constitué. Dès qu’une question précise se posait, tout
le monde prenait la tangente. Un jour, j’ai erré durant une heure dans les rues de la ville et j’ai
réuni tous les petits mendiants en leur proposant un bon repas. Au siège du parti, les membres
étaient pris de panique. Trente enfants attendaient dans la salle de réunion. Je leur déclarais
fièrement : Messieurs, voici l’ordre du jour. Ces enfants doivent manger maintenant ! Ce geste
était, bien sûr, très mal pris par le comité du parti qui me convoqua pour des explications. Je suis
arrivée avec une dizaine de femmes abandonnées par leur maris. Ce fut la rupture. Ce parti est
trop lent, les gens y adhèrent pour consolider leurs fortunes. Personne ne s’occupe des vrais
problèmes. Mustapha courut m’annoncer la bonne nouvelle. A Rabat, des jeunes militants ont
créé un nouveau parti politique, avec du sang neuf et des idées très proches des soucis du
peuple. Le bureau du nouveau parti se constitua dès le lendemain à Sidi Kacem. Notre couple en
faisait bien évidemment partie. J’avais eu, entre temps, mon fils aîné Moncef. Le fruit de notre
amour, le martyre de notre souffrance. Notre action au sein du nouveau parti étai beaucoup plus
direct, beaucoup plus proche de nos gens dans la ville, les faubourgs et les campagnes. Je
m’occupais des actions pour la libération de la femme et la modernisation de la famille.
Tout était à refaire. A commencer par les mentalités. Les esprits tordus nous mettaient des bâtons
dans les roues par tous les moyens. Ils n’hésitaient pas à nous qualifier de traînées, de
débauchées en invoquant des prétextes pseudoreligieux. Plus belle était notre résistance. J’avais
une cause. J’y tenais plus qu’à moimême. Je voulais que toutes les femmes soient lettrées et
capables d’inculquer à leurs enfants les principes de la liberté et de démocratie. Mais notre pays
n’état pas encore prêt. Pire, il l’intérieur et des rapaces à l’extérieur. était menacé par des
corbeaux à

Après l’indépendance, le Maroc connut quelques années d’euphorie vite éteinte pour laisser
place à de sombres réalités. Le pays était extrêmement pauvre et manquait de ressources pour
tous les projets de développement. Un système de délation et de corruption prit place dans le
cœur même de l’Etat. Les démocrates étaient pointées des doigts comme des malfrats. Des
anarchistes qui en veulent aux racines du pays. Notre nouveau parti participa à un gouvernement
éclair où il donna les prémisses de quelques idées. Mais très vite le pays sombra dans une chute
libre des droits communs. Le régime durcit sa pression. Nous étions presque perçus comme des
traîtres. Nos réunions étaient quotidiennes. Et il était tout à fait normal qu’elles terminent à des
heures très tardives. Mes enfants dînaient en compagnie des membres du bureau. La discussion
tournait autour d’un seul sujet. La position de notre parti envers ces élections. Devionsnous jouer
le jeu et accepter de participer à un scrutin tronqué par l’argent et les magouilles ou faire la
chaise vide et laisser la ville entre les mains des féodaux pro- pouvoir. Et si tu participais à ces
élections me proposa Mustapha. Je n’arrivais pas à le croire. Tu es sérieux, aucune femme au
Maroc n’a jamais gagné des élections communales. Il faut bien que ça arrive un jour, me dit-il.
Ainsi, je fus inscrite sur la liste des candidats. Une femme sonna à ma porte très tôt le matin, elle
portait une grande caisse remplie de poules. J’ai entendu dire qu’une femme serait dans le
conseil communal, je n’ai pas d’argent mais ces poules seront certainement pour vous soutenir.
J’ai refusé l’offre prétextant que le bureau du parti serait trop petit pour accueillir ces locatrices et
que si elle voulait bien les garder chez elle, elle nous rendrait un fier service. Il était hors de
question de la décevoir. Elle voulait donner à notre action ce qu’elle avait de plus précieux.
Durant cette campagne électorale, j’ai fait le tour des petits villages de Sidi Kacem, j’ai pu me
rendre compte d’une misère indescriptible. Des milliers de personnes survivait au quotidien. Nous
organisions de réunion dans chaque Douar, petit hameau de pauvreté et d’inquiétude. Les
habitants se regroupaient pour écouter cette femme qui osait parler à la place du makhzen.

Au douar de Oulad Issa, notre voiture équipée d’un haut- parleur émettait une forte musique. Les
enfants étaient comme d’habitude les premiers à courir vers nous attendant certainement d’ètre
gratifiés de cadeaux sucrés. Les hommes suivaient à pas soutenus. Les femmes, elles restaient
à l’intérieur des cabanes ou, pour les plus âgées, s’approchait à pas hésitants. Je laissais aux
hommes qui m’accompagna le soin de discuter avec leurs pairs et me dirigeait vers les femmes.
Je m’appelle Zineb, je suis institutrice à Sidi Kacem, comme vous j’ai des enfants, six. Je compte
me présenter aux prochaines élections et je compte sur votre aide pour pouvoir réussir. Mes
interlocutrices étaient ébahies, médusées, elles découvraient la femme qui peut prendre la parole
pour faire une déclaration publique. Ma réputation m’avait précédée. Très vite les hommes nous
entouraient pour se rendre compte eux aussi du phénomène. Un vieillard se démarqua du
groupe. Nous sommes une tribu très pauvre, nous ne faisons pas de politique. Quand l’année est
mauvaise, le caïd nous distribue du blé américain, du sucre te du thé. Il peut nous demandé de
monter sur la lune, nous le ferrons sans hésiter. Notre ventre nous guide, pas notre tète. La
réflexion de notre homme le plus intelligent se résume à compter le nombre de mouton à vendre
le jour de l’aïd pour pouvoir payer les vêtements des enfants et de bois pour l’hiver. Nous ne
voulons pas perdre notre pain. Tout ce que nous souhaitons c’est continuer à vivre de la même
façon. Mes temps sont dures et nous ne sommes pas surs de trouver au près de vous une
meilleure vie. Le blocage était très net. J’avais affaire avec des gens qui ne rigolaient pas de leur
survie. Et je n’avais rien de concret à leur présenter. A part des sermons classiques et les
promesses dont nul ne voulait. J’avais besoin de trouver rapidement une réponse convaincante,
mais je n’avais aucune espèce d’idée sur ce qui pouvait retourner la situation en ma faveur.
J’avais l’impression que le temps était à l’arrêt, je m’élevais au dessus de cette foule et pendant
un laps d’éternité mon esprit voguait dans l’abîme de l’inconnu. Je me demandais pour quoi je
devais porter ce fardeau. Pour quoi je devais me battre ici alors que d’autres femmes jouissaient
de la tranquillité de leurs foyers sans se soucier de l’avenir socioculturel du pays. Et dans mon
survol je l’aperçu. Mina, timide et belle. Je la reconnu très vite cette jolie petite gamine qui
fréquente ma classe tous les jours et qui habitait le Douar. Ce laps me donna assez pour
préparer ma défense, trouver mon alibi, contre attaquer. Je m’avançais vers elle et elle courut
vers moi. Elle s’agrippa avec force te me donna un grand bisou sur la joue. Vous saviez, dis-je en
m’adressant au vieillard, quand pour la première fois Mina est venu à l’école, tout le monde me
disait qu’elle allait avoir beaucoup de difficulté à terminer l’année. Malgré cela nous avons
travaillé toutes les deux très dur pour’ rattraper son retard et aujourd’hui elle va passer en
sixième. Quand Mina sera grande, quand tous vos enfants seront grands. Ils regarderont vers
d’autres pays. Ils iront dans d’autres pays, ils se poseront des questions sur ce que leurs parents
leur ont offert. Vous ne pouvez pas les offrir beaucoup plus que ce que vous avez de plus
valable. Vous ne leur offrez pas ce que le bon dieu vous a donné : la liberté de choisir, la liberté
d’agir, la liberté d’évoluer. Si vous n’avez pas évolué à ce jour. C’est bien par ce que d’autres
personnes jouissent des moyens qui auraient permis votre propre avancement. Je ne vous
demande pas de faire la révolution, je vous demande juste à nous aider à trouver la voie du
changement, tous ensemble nous allons prendre nos ressources en main et nous allons essayer
de faire un monde meilleur pour Mina et ses frères. Je sus par la suite que le vieillard était le chef
de tribu et que Mina était sa fille. La providence m’avait tendu la main se jour –la. La tension se
dissipa très vite et on nous demanda d’entrer dans une des rares maisons construites en briques
rouges. Les femmes me conduisirent vers une cour arrière qui servait de cuisine et la je senti
dans leur regard un air de famille, comme si en m’introduisant dans ce lieu vital, elle m’avait
intégré dans la famille et dans la tribut. Elles découpaient de grand morceau de pastèques en
mon honneur. Et même sin les mouches étaient nombreux à nous partager se délicieux dessert,
mes ami du parti n’eurent aucun mal à l’engloutir. Nous avons constitué par la suite une
discussion plus concrète à propos de la campagne électorale .un puit jamais foré. Une route
goudronnée restée à l’état de piste. Un local qui devait abriter le générateur électrique, qui même
si payé à trois reprise un conseil communal, n’a jamais réussi à trouver le chemin du douar. Nous
avons prit note de tout cela et avant de partir vers la ville, avons promis de trouver le moyen
d’introduire l’électricité même si notre parti, pour une raison ou une autre n’étai pas élu. En fait
j’avais plus envie de donner à Mina de faire ses devoirs Sous une bonne lumière que de gagner
ces malheureuses élections. Sur le chemin du retour, une bande de jeune nous attaqua au lance-
pierre. Driss, le chauffeur, attrapa un garnement chez qui on découvrit un petit arsenal constitué
de bille de métal incrusté de clous rouillés. A cinq mètre l’impact peut ètre mortel s’il touche la
tète, me déclara t-il. En nous suppliant de ne pas lui faire du mal, le gamin avoua qu’un homme
de la ville à payer pour nous nuire. Avant de courir dans le vent, qu’il avait juste l’intention de
nous faire peur. Nous n’oserons jamais faire du mal à Lalla Zineb. Je bénéficiais d’une excellente
image auprès des jeunes, ils avaient tous échos de mes aventures contre-courant. Les opprimés
gardent leur cœur de bon coté, même s’ils vendent leurs corps pour des raisons de survie. Je
suis par la suite que l’homme en question appartenait à un parti concurrent qui flirtait avec le
pouvoir. A l’approche de la date du scrutin nous devions organiser une grande rencontre
populaire en invitant quelques personnalités de notre parti. L’originalité de la campagne se Sidi
Kacem nous aida à faire venir le secrétaire général du parti. Non seulement une femme était en
question, mais cela se passait dans le fief du patron des ténèbres de l’Etat. Ce fut un grand jour
où une foule immense et non contenue, put rencontrer un grand personnage du Maroc moderne.
Au retour du cortège vers Rabat les voitures furent arrêtées par les jets de pierres. Une bande de
voyous arrachaient l’appareil photo du journaliste de Moharir, l’organe de presse du parti, lu par
des dizaines de milliers de militants tous les jours partout dans le pays. Les évènements de cette
journée étaient quand même relatés et gardés dans les anales de ce prestigieux journal. Ma
photo était affichée dans toutes les rues de la ville. Votez Zineb, la couleur du changement. A
mon passage, les gens faisaient signe vers moi pour me montrer tel un nouvel objet bizarre. Je
me déplaçais à pied vers l’école. Une femme m’arrêta pour me saluer par la. Une autre me glissa
une lettre de doléances. Je distribuais les sourires à, tout le monde et passais rapidement mon
chemin. Dans la classe, les petites avaient changées d’attitude. Comme si elles étaient toutes
fières d’être la. Cette affiche a bouleversé ma vie. Elle m’a fait sortir d’un anonymat partiel à une
notoriété totale Imprimé à Rabat, elle nous a été envoyée par les soins du parti. Les militants se
sont mobilisés pour la placarder partout dès le premier soir de la campagne. Le lendemain la
moitié des affiches, en tout cas celles collées dans les artères principales étaient déchirées. Un
de mes fils est revenu scandalisé m’annoncer la nouvelle. Ils ont saboté ton affiche maman. A
chaque fois que l’on verra une affiche à moitié déchiré sur le mur, nous nous rappelons que notre
but est très dur à atteindre. Dès le lendemain nous avons changé notre stratégie. Nous avons
demandé à des propriétaires de maisons de nous aider à accrocher les affiches sur leurs
fenêtres. C’était un cours encore plus dur pour nos détracteurs. Les gens étaient unanimes et
tous ont protégé ma photo dans leurs foyers Le miracle ne pouvait ne pouvait se produire sans
un sérieux coup de pouce de la providence. Et ce coup de pousse se matérialisa en la personne
du pacha de la ville. Cette position est suprême dans une petite localité telle que Sidi Kacem. Le
pacha avait le plein pouvoir de l’Etat pour organiser l’élection et décider des résultats. Un mois
avant les élections, My Ahmed, un pacha originaire de ksiba dans le moyenAtlas, fut nommé
chez nous. Ce personnage m’a marqué par sa simplicité et son honnêteté. Dans les pires des
régimes, on pouvait rencontrer des âmes pures. Une image forte marqua mon souvenir de cet
homme. Sa femme venait d’accoucher, j’ai décidé de lui rendre visite pour la félicité. Arrivée à la
maison, j’étais grandement surprise par la simplicité des meubles. Ses quatre enfants par terre
autour d’un tagine. La mère m’avoua qu’elle a eu des difficultés à payer l’hôpital car son mari
était en mission. Un pacha normal ne vit jamais de ce genre de situations. Il est servi
gratuitement par tous. My Mohamed faisait l’exception. Il allait permettre l’organisation d’élections
transparentes. Enfin arriva le jour des élections. Une longue journée qui s’annonçait très chaude
et température et évènements.
Tout était exceptionnel. Mes enfants étaient rassemblés à la maison. Je leur avait interdit de sortir
de sortir de peur qu’on prenne à eux. Quand à moi je sillonnais avec une petite équipe le bureau
de votes. La loi nous autorisait à vérifier les dépassements. 9 hures du matin. A l’entrée d’un
bureau un homme distribuait à la vue de tous des billets de banques à qui lui apportait les
bulletins de vote de ces concurrents. Parmi les quels je figurait bien entendu. 11h30, les habitants
de tout un quartier sont empêchés de voter par une coupure d’électricité préméditée et un risque
d’incendie. 16h, la voiture transportait des responsables administratifs d’un bureau de vote, tous
censé habiter la ville, est tombée en panne à 120 km de Sidi Kacem, le jour même des élections !
Tous les prétextes étaient bons donner un air de ridicule à ce scrutin. L’objectif tacite était de
nous dégoûter. Mais nous avons garder la pression jusqu’au bout. A la femme des bureaux de
vote, une rumeur circulait déjà. Les partis du Makhzen avaient gagné dans la plupart des
circonscriptions. Ceux-ci furent transformés en cabaret ou en danseuses venues de nulle part
pour fêter la victoire des hommes et l’ombre. Encore une preuve que ces élections étaient
organisées dans des conditions très démocratiques. Chez nous, l’ambiance était terne. Je
discutais calmement avec mon mari et les membres du bureau politique. 20h00, il ne sera
finalement connu vers minuit d’un coup de téléphone de Rabat. Le miracle s’était produit. L’Ittihad
avait raflé la majorité à Sidi Kacem. Mieux encore, notre ville était une exception sur tout le
territoire national. Aucune autre ville n’avait réussit une majorité pareille, même pas la capitale.
Dès le lendemain, la maison fut assaillie par des dizaines de personnes, de la famille, des
militants, des amis, des sympathisants, des inconnus. J’étais prise par l’organisation de l’accueil
de toutes ces personnes. Je ne m’étais pas encore rendu compte de l’ampleur de l’évènement.
La presse avait commenté le résultat en tirant : une femme marocaine est élue pour la première
fois dans l’histoire politique du pays. Ce n’est que plusieurs jours plus tard que j’ai commencé à
assimiler les faits. La passation avec l’ancien bureau du conseil communal s’est déroulée
brièvement. Il restait quand même beaucoup de questions à élucider à propos des finances de
l’ancien exercice. Le lendemain, le nouveau bureau se réunit pour dire ses membres dans leur
poste respectif. Je fus nommée vice président de la commune de Sidi Kacem. Je ne sais pas si
peut trouver un comparatif pour mieux expliquer cette situation. L’image la plus proche à mon
esprit est empruntée au combat antiraciste des noires américains au début du siècle. Le fait que
la petite ville de Sidi Kacem. Fief du général et capital du néo-féodalisme marocain, soit
représentée par un conseil municipal de gauche dans les années de plomb et qu’une femme
gagne cette position pour la première fois dans le pays, pouvant être assimilé au fait qu’un noir
américain puisse devenir un jour maire d’une ville peuplée de membres fervents de la droite
sudiste américaine dans les années vingt. C’était tout simplement un miracle ou plutôt une erreur
d’appréciation de la part du pouvoir. Ils auraient du augmenter la dose de fraude, ou tout
simplement jeter tous les bulletins de vote au feu déclaré les résultats qu’ils veulent. Cela ne sait
pas passer. Le pacha paya de sa peau un lourd tribut. Il fut dégradé et nommé dans un poste
inférieure. On ne reconnaît que certains voyageurs transitant par la ville pour joindre une autre
ville du Maroc demandaient à marquer petite pause dans un café de la ville pour pouvoir discuter
avec la population. Ils voulaient tous savoir par quel élixir magique, le makhzen avait oublié ici ce
qui faisait d’habitude partout dans le pays. Ils s’arrêtaient pour respirer un petit air de liberté et de
révolution. Ceux qui passaient par Sidi Kacem durant cette période sentait un air différent dans la
ville. Un air de propreté d’esprit, d’absence de fraude. Nous n’avions pas une baguette de fée
pour changer immédiatement la ville en paradis. Ce n’était pas notre objectif de toutes les
manières. Mais nous avons réussi à faire une chose que peu de gens osent faire : dire non aux
faits accomplis, aux habitudes de soumission, aux stéréotypes, aux hésitations du passé, à tout
ce tralala pour dire : on est aujourd’hui, maintenant et on souhaite prendre en main notre présent
et l’avenir de nos enfants. On souhaite leur offrir le souvenir d’une ville aux mains propres. Dans
l’autre camp, celui des pachas, des commissaires et des généraux, l’atmosphère était tendue et
cela se sentait bien. Les interpellations de militants se multipliaient. Ils étaient souvent arrêtés le
soir. Leur tètes couvertes de sac à blé et jetés dans des fermes secrètes ou ils subissaient des
tortures bestiales juste par ce qu’ils appartenaient à un parti majoritaire élu par la population de la
ville. Un jour, je fus moi-même conduite à la préfecture en début de soirée. Tous les militants
étaient ameutés, un avocat de Sidi Kacem téléphona à tous ces confrères du parti Kenitra et
Rabat. Très vite la nouvelle s’était répandue. Ils m’ont placé dans un bureau vide mais
confortable. Rares étaient les occasions ou les femmes étaient impliquées dans les affaires
publiques. Certaines ont marqué l’histoire du Maroc en donnant leur vie dans cette lutte pour la
démocratie. Le Makhzen prenait des pincettes avec moi. Au bout de quelques heures, le pacha et
le commissaire sont venus me voir. Madame Bennani, vous nous mettez dans une situation très
inconfortable. Nous avons beaucoup de respect pour vous et nous ne voulons pas utiliser les
moyens obscurs contre votre personne Ceci m’enchante Messieurs. Mais je souhaite subir ces
moyens si mes concitoyens les subissent. Ca serait une grande fierté pour moi. Il y avait une
intervention claire d’instance supérieurs à Rabat pour accélérer ma liberté ce soir-la. Quelques
journalistes avaient probablement commencé à téléphoner au ministère de l’intérieur. Je
connaissais parfaitement l’ampleur de ce que pouvait commettre le régime. On le vivait tous les
jours et surtout toutes les nuits. Je savais que ma famille et moi étions tout le temps sur
surveillance. Lors d’une manifestation sociale, le général apparut en public, c’était la première
fois que je le voyais après les élections. J’avais du mal à tendre la main pour le saluer quand il se
présenta à mon niveau. Je la retirai immédiatement en esquivant son regard pressant. Alors c’est
bien vous notre dame de fer. Je suis fière de savoir qu’une femme de ma ville est devenue la
première femme élue du Maroc. Seulement vous auriez mieux fait de choisir un autre parti ; de
toutes les manières il est toujours temps de le changer. D’un regard acerbe, je lui lançais mes
mots tels des crachats. Vous saviez Monsieur, appartenir à ce parti est pour moi comme respirer
de l’air et boire de l’eau. Je sus par ouïe –dire par la suite qu’il avait empêché ses hommes, ceux
de la police sécrète, de me nuire. Pas jusqu’au bout certes, mais sa patiente à durer un laps de
temps. Peut-être était-il top occupé alors par Tazmamert. Ses hommes étaient quand à eux
omniprésent, ils siègent même dans les réunions du conseil municipal. Pour échapper à leurs
allégations et calomnies, tous nous nos projets étaient liés à la fête du Trône. Tel ou tel projet
devait être inauguré ce jour –la, sinon il serait retardé voire annulé. Une fois ce principe assimilé,
nous avons pu réaliser quelques grands travaux dans la ville, empêchant ainsi l’argent municipal
d’être dilapidé. Ce fut une année incroyable. J’avais l’impression que les évènements se
bousculaient trop rapidement. J’étais entièrement prise par mes nouvelles activités, prise n’est
pas le juste mot, je dirai plutôt submergée. Tout était à faire ou à refaire. Je n’avais plus de temps
pour ma maison. Réveillée à six heures, je préparait les enfants pour l’école, mettait en marche le
déjeuner et rédigeait un rapport d’activité pour le bureau politique. J’étais le coordinateur régional
entre le parti et les différentes antennes dans les alentours de Sidi Kacem. A 08h00, j’étais à
l’école. Le cours durait jusqu’ à dix heure et demi. Une voiture m’attendait à la sortie pour
m’emmener au bureau de l’Etat civil. Parmi mes taches municipales, je devais signé tous les
documents délivras par cette administration. A midi, je faisait un saut rapide à la maison pour
servir le déjeuné, je repartais à l’école pour la séance de l’après-midi. A 16h00, je prenais le
chemin de la campagne pour vérifier les travaux sur un nouveau dispensaire de santé. Vers
18heures, je rendais à ma mère pour prendre des forces, et je repartais de là pour présider la
réunion du bureau local du parti. A 20 heures, je rentrais à la maison pour servir le dîner et
recevoir encore quelques personnes pour démêler des problèmes de nature diverse : une dispute
éclatée entre deux militants, une entrée va de la force politiqua au travail de l’inspecteur
communal du bâtiment. Un soir j’ai reçu une délégation des élèves vivaient dans le pensionnat de
la ville. A plusieurs reprises, j’avait eu vent de leur réclamation à propos des conditions de vie
insalubres : des dortoirs sales. Une nourriture que les chiens refuseraient de manger. J’avais
toujours essayé de les calmer en trouvant des solutions de rechanges. Mais ce soir ils étaient
vraiment mécontents. Dans le plat de lentilles qui leur a été servi en guise de dîner, de large
dépouille de laves flottaient en toute liberté. Cette fois-ci s’en trop ! Me disaient-ils. Nous n’avons
jamais vu la couleur de la viande. Ce type de type détourne l’argent de nos repas vers d’autres
destinations et nous sert une nourriture infecte. Regarder par vous-même, J’étais dégoûtée par
l’attitude de cette personne et je leur ai demandé de prendre quelques places et de
m’accompagner. A minuit nous nous rendîmes à la demeure du nouveau pacha de la ville,
représentant de l’autorité. Lui même était surpris par la grosse taille des bestioles. Et malgré son
air insatisfait par la visite nocturne, il promis de convoquer la personne en question dans son
bureau. Je servi un repas tardif aux élèves chez moi à la maison. Ils étaient tous contents de
déguster une harira marocaine préparée en bonne te due forme. Que lendemain, j’ai rappelé le
pacha qui avait oublié sa promesse. Il était résolument d’un autre type. Avec mon équipe de la
commission des affaires sociales et de l’hygiène, nous nous sommes déplacée en visite inopinée
à l’internat. Des plats sales étaient entassés dans des éviers dégoûtants. Le magasin était
entièrement vide hormis quelques sacs de farines et deux ou trois bouteilles d’huile. Le budget du
mois était pourtant bien arrivé et le stock aurait du être entièrement fourni. Brahim, le
responsable, était un gros lardon qui collabore étroitement avec les autorités sur les dossiers
sécrètes des élèves à tète brûlées, politiquement parlant. Il bénéficiait en contre parti d’une
tranquillité limpide. Il pouvait servir des cailloux sans que personnes ne puissent lui en vouloir.
J’ai décidé de ne pas ménager mes mots. C’est honteux de faire ça à des enfants qui peuvent
mourir d’intoxication. Il fallait une insouciance méprisable. A votre place, j’aurais des remords à
manger normalement alors que ces jeunes gens grèves de faim à côtoyer. Vous trouver que c’est
saint de servir des bouts de lézards et de mouches. N’avezvous jamais déjeuné dans la cantine,
eh bien aujourd’hui, vous nous invitez à manger et vous vous installé avec nous ! Dès qu’il
affichait son refus, je montais le ton. Je suis prête à vous dénoncer dans la presse publié à Rabat
si vous n’accepter pas. Il s’excusa très vite. L’autoritaire n’allait pas le couvrir si le scandale
prenait cette ampleur. Comme par miracle, le miracle fut succulent pour tous les élèves. On aurait
cru que la femme de Brahim avait elle-même pris les commandes de la cuisine. Avant de partir, je
le remerciais pour son invitation, j’ai bien apprécié le repas d’aujourd’hui. J’espère que vous alliez
maintenir ce même niveau tous les jours désormais. Et si vous manquez de ressources, venez
me voir à la commune, nous vous donnerons de l’argent pour aider à bien tenir votre centre.
Confus en remerciements, Brahim promis, sous l’œil inquiet, plein de doute mais tout de même
un peu rassuré des élèves, de maintenir ce cap.
Le bonheur n’était malheureusement pas au rendez-vous tous les jours. Beaucoup de femmes
vivant dans les douars éloignés, mourait en couche faute d’ambulance, et quand bien même elles
arriveraient à temps, l’hôpital était dramatiquement souséquipé pour les sauver. La vie est
vraiment injuste. Je saurais à mes dépends ultérieurement. Les conditions des femmes n’avaient
pas évolué depuis l’installation du marabout dans cette contrée. Certaines tribus leur refusaient
même le droit d’héritage. Bien que la misère fut générale, celle des femmes me touchait
particulièrement. Elles signifiaient souvent la faim pour les enfants. La faim est une sensation
psychologique. Ceux qui l’on connu peuvent confirmer. Quand on a faim une fois dans sa vie par
manque de moyens, on est marqué par une trace indélébile de tristesse et de déchéance. Le
paradoxe était incompréhensible lors des fêtes nationales. Le Makhzen dépensait des sommes
vertigineuses. Des centaines de moutons étaient égorgés et présentés dans les banquets
féodaux. La population s’attroupait pour manger et danser au rythme des Chikhates. Vulgaires
étaient leurs attitudes. Je ne retrouvais plus personnes. Tout le monde semblait apprécier la fête.
Le lendemain, ils se réveillaient encore dans le même lit, dans la même rue, dans la même ville.
Un laps de joie offert par le Makhzen pour acheter un silence annuel. Cet argent aurait pu sauver
Hlima, Saadia, Fatma et toutes les autres. L’argent. Ce terrible objet que j’ai tant méprisé.
J’entretenais avec lui un rapport d’indifférence totale. Nous étions mon mari et moi salariés de
l’Etat. A une époque cela étai considéré comme une vraie chance. Nous faisions partie d’une
classe moyenne très minoritaire et vraiment très moyenne. Notre maison était ouverte à tous. Un
repas chaud pouvait être servi à n’importe quel moment et à n’importe qui. Je me rappelle quand
j’étais petite et durant, le mois sécrète de Ramadan, mon grand père paternel, qui vivait seul
avec sa femme, cuisinait une énorme marmite de Harira qu’il déposait à la porte de sa demeure.
Au crépuscule, il distribuait lui-même le délicieux potage aux démunis qui fréquentaient
assidûment son rendez-vous. Il gardait un seul bol pour rompre le jeune, lui et sa femme.
Mustapha était aussi généreux. Bien que sans fortune, il n’hésitait pas à partager tout ce qu’il
possédait. Une fois bus rempli de touristes français tombait en panne en face de la gare
ferroviaire qu’il dirigeait. A une époque où l’assistance routière était inexistante, le mécanicien
local prédit une pleine journée de travail pour que le moteur fonctionne à nouveau. Ce soir-là,
nous avions abrités plus d’une trentaine de personnes à la maison. La terrasse ressemblait à un
dortoir collectif tapissé de sacs de couchage. Nous avions discuté de la jeune démocratie dans la
ville. Tous étaient ravis de passer la nuit dans ma demeure. Première femme élue au maroc.
Plusieurs moi après leur départ, je continuais à recevoir des cartes de remerciements venant de
la France. Assoiffés de la modernité, nous voulions, mon mari et moi équipé notre maison des
dernières trouvailles. Ainsi nous étions parmi les premiers à installer la radio, la télévision, le
téléphone fixe à la maison. Le bureau politique se réunissait souvent à coté de cet outil magique
posé dans ma chambre à coucher. Les vacances étaient parmi les activités modernes que nous
préférions le plus. A partir du mois de juin, la chaleur devenait trop insupportable dans la ville.
Accentuée par la forte population émanant de la raffinerie de pétrole. Dès la fin de l’année
scolaire, je m’arrangeais d’emmener mes les enfants dans une ville côtière. De toutes les villes,
Tanger était ma préférée. Nous avons réussit avec quelques économies à acquérir une petite
maison secondaire située dans l’ancienne médina. Le départ était devenu est vrai rituel. Je
préparais pendant une semaine des provisions pour les trois mois d’été. Je faisais en sorte qu’on
puisse rester sur la plage le maximum de temps possible sans dépenser des sommes
faramineuses, alors que d’autres personnes occupantes des positions similaires, se payaient des
meilleures vacances grâce à une seule autorisation de construction frauduleuse. La veille du
départ, j’arrangeais mes valises les enfants. Nous prenons toujours le train de nuit. Un train qui
reliait Fès à Tanger et qui ne s’arrêtait à Sidi Kacem que vers trois heures du matin. Les enfants
étaient tous à moitié endormis sur le quai. Nous avions point de trois minutes pour embarquer.
Après une courte nuit de sommeil sur des banquettes étroites, Tanger nous accueilli à bras
grands ouverts. La gare située à l’entrée du port connaissait une activité soutenue, des milliers
de personnes y transitaient tous les jours, rencontrant au passage des vendeurs ambulants, des
pickpockets, des cireurs de chaussures des douaniers, des policiers, des artistes du jour, d’autres
de la nuit. Un mélange de cultures, d’habits d’odeurs, de sensation qui donnait à cette ville son
cachet mystérieux et captivant. Notre maison était d’un style colonial espagnol datant du début
du siècle. Elle se trouvait au cœur même de médina et donnait sur une ruelle très étroite qui
menait vers la fameuse rue des marchands d’or, Syaghine et ensuite vers la place du grand
Socco. Un magnifique marché. Des centaines d’odeurs envoûtantes, d’épices d’Orient, de fruit et
légumes frais, de fromage blanc vendu par des femmes descendues tout droit d’une autre
planète, habillées en tenu du Rif et coiffés de chapeaux en paille. Je faisais mes courses avec un
plaisir enfantin. Je discutais un peu avec ces Tangéroises. Ce sont des femmes exceptionnelles.
La proximité de l’Europe leur a probablement procuré cette force de caractère. En tout cas, elles
étaient beaucoup plus débrouillardes que leurs hommes qui passaient leurs journées à jouer aux
cartes dans les cafés du marché, enveloppés dans un brouillard de kif. Souvent, la fermeture du
marché le soir, je les voyais soutenir leur mari pour rentrer à la maison. Allez Ahmed ! Réveilles-
toi tu vas faire peur aux enfants dans cet état. Les femmes d’ici faisaient la vie, les hommes d’ici
faisaient le vide. Entre la vie et le vide couraient des garnements de tout âge, d’une ruelle à
l’autre, d’un Souk à l’autre et d’une maison à l’autre.
A Tanger, chaque jour était digne d’un grand film de cinéma. Les histoires les plus
rocambolesques se produisent ici. Ma voisine, une femme de policier, me racontait les détails des
folies de Tanger. Les histoires étaient de toutes les couleurs : choquante, attrayante,
émotionnelles et horribles. J’écoutais tout cela avec envoûtement. Moi petite fille d’un petit village
du Gharb. J’avais l’impression d’avoir fait le tour du monde à chaque retour de vacances. Je ne
savais pas que mon histoire était elle aussi digne d’être contés à Tanger. Sidi Kacem organisait
son Moussem annuel en septembre. La rentrée était annoncée à coup de baroud. J’avais
l’habitude de mettre une tenue déguisée pour circuler en ville ; une djellaba et un foulard épais
me rendaient méconnaissable, me permettant de connaître des réalités sans avoir le masque
officiel de responsable municipal. De cette manière, j’ai pu démasquer des employés de la
municipalité qui terrorisaient les marchands ambulants. La fraude était monnaie courante,
encourager par une philosophie machiavélique du Makzen. Etre employé dans une structure
étatique, même la plus banale, signifie automatiquement l’autorisation de faire une razzia sur tout
ce tombe sous la main. Dans une petite ville agricole comme Sidi Kacem, cela se traduit à tous
les niveaux. Du pacha au plus petit Mokaddem, tous recevaient gratuitement des légumes, de la
viande, les meilleurs fruits. Les bidonvilles n’échappaient pas au trafic. Une femme de mènage
m’a rapporté que pour construire sa cabane en zinc, elle a du débourser une vraie petite fortune.
Dans une réunion officiel avec l’autorité, le pacha de la ville nous a lancé : comment vous pouvez
prétendre au pouvoir si vous ne vous faites pas respecter par la population, le respect s’exprime
par des gestes quotidiens. J’étais amener à représenter la ville dans les colloques nationaux. Des
rencontres ou toutes les villes du Maroc étaient présentes pour discuter du concept municipal.
L’Etat se faisait représenter par de grands officiels. C’était pour nous une excellente occasion de
jeter la lumière sur la réussite de notre petite expérience. Je souhaitais toujours marquer mes
participations de déclarations qui pouvaient aider les femmes marocaines à avoir plus de droits.
Au cours d’une de ces rencontres, et face au premier ministre et ministre de la justice. Je pris la
parole pour demander les droits des femmes divorcés en citant l’exemple du pays voisin qui
protégeait les femmes contre la répudiation arbitraire et qui, au cas où celle-ci se produirait.
Protège leurs droits financiers. Je demandais aussi l’équité des droits homme et femme. Le
premier ministre prit la parole pour me répondre que ce que nous demandons était trop osé. Il dit
un texto : quand le gouvernement sera entre vos mains, vous pouvez faire ce que vous voulez.
Pour le moment il n’en est pas question. A l’occasion d’une entrevue avec le secrétaire général
du parti socialiste à Rabat. Un grand personnage qui me voyait beaucoup de sympathie et
d’estime. J’ai
eu l’occasion de rencontrer un journaliste américain qui préparait un sujet sur la démocratie au
maroc. Si Abderrahim me présentait comme première femme élue au Maroc dans une ville pro
pouvoir. Le journaliste me dit : vous savez chez nous, nous avons une candidate pour la
présidentielle de l’Etat. Pensez-vous peut bien mener une aussi grande responsabilité politique ?
Vous savez monsieur, lui dis- je, le plus important c’est d’avoir une assise populaire. Le peuple ne
donne pas sa confiance à n’importe qui. Avec sa la question devient secondaire. La volonté du
peuple guide le responsable vers des choix judicieux issu d’un désir collégial. Monsieur
Abderrahim commenta : Ecoutez-la mon ami, elle vous parle de notre démocratie. Mon tableau
est presque terminé. Un magnifique ciel bleu. Des couleurs du jour, une joie se dégage de cette
toile. Une joie indescriptible. Un hymne à la vie. La vie est si belle quand elle remercie la sincérité
et l’honnêteté. La vie est si belle quand elle rend le fruit de travail à une personne qui en fait son
credo. Mais notre vie refuse d’être qualifiée de la sorte. Elle a voulu me faire subir les pires
épreuves afin, j’en suis certaine d’enrayer en moi cet amour pour la beauté des mains ensoleillés.
Mon destin est tracé début bien longtemps, je le sais. L’étau se resserrait encore une fois autour
de nous. A Sidi Kacem plus particulièrement. On aurait dit que l’Etat voulait se venger d’un
moment d’oubli qui a permis notre ville d’être l’unique localité où le parti à gagné à la majorité
absolue. La nouvelle tombait sur moi comme un éclair mortel. Mon fils aîné a été cagoulée et
entraîné dans une voiture de police. Il était juste sorti acheter des olives. On l’a cueilli dans notre
ruelle, dans notre quartier, au milieu de nos voisins. Je ne croyais pas que le Makhzen allait se
venger ainsi. L’humiliation devait être calmée. Quelques amis qui travaillaient dans la police mais
qui sympathisaient avec nous m’ont prévenue que quelque chose allait se produire. Ils avaient
reçu l’ordre clair de faire nettoyer devant ma porte. Nous avons passé plus d’une semaine sans
nouvelles de Moncef. J’ai utilisé tous les canaux en ma connaissance pour avoir une information
sur son sort. Le soir, je pleurais en me disant qu’il était mort et jeté aux animaux quelque part
dans la forêt de Ain Boudra. Au bout de sept jours d’attente, j’ai appris qu’il était emprisonné à
Sidi Slimane, dans une prison agricole. L’endroit le plus sordide que l’on puisse imaginé. Des
cabanes infestées de poux et les conditions d’hygiène étaient très décisoires. Il devait être
présenté au tribunal pour être jugé de crime d’opinion. On lui reprochait la distribution de tracts et
incitant à la grève pour réclamer plus de démocratie et d’équité. A la vue de mon fils, j’ai compris
que quelque chose regard vague vacillait entre la présence et le juge. avait changé en lui. Un
Quand il me regarda, il esquiva très rapidement. La séance avait commencé depuis peu la salle
fut envahi par une vague d’avocats envoyés par le parti pour me soutenir. J’étais heureuse de
constater que cette grande famille allait faire le nécessaire pour sauver mon fils. Le procès dura
trois jours. J’avais droit à une visite quotidienne dans une cellule annexe au tribunal. J’en profitais
pour emmener la nourriture et de l’eau. Il était très courageux et me demandait de ne pas
abdiquer de garder la tète haute quoi qu’il arrive. Il savait qu’il courait une lourde peine mais ne
semblait pas avoir peur. Grâce à la présence massive d’avocat de haut calibre, la sentence fut
sévère qu’on le craignait. Elle était quand même suffisante pour briser la vie de mon fils. Quand
vous savez qu’aucun emploi n’accepte une personne ayant passé plus se six mois en prisons.
Les six mois passèrent très lentement. Notre vie sociale s’était arrêtée. Et malgré les preuves de
sympathie de la population, quelque chose se brisait jamais entre moi et cette ville. Moncef était
emprisonné à Kenitra, comme mon frère auparavant, je faisais le même trajet en train pour lui
rendre visite. Chaque visite était un calvaire. Une fouille minutieuse des provisions. Je voyais
s’éteindre en lui la flamme de la vie au fur et à mesure que le temps passait. Au bout de quelques
mois, il commença un délire insoutenable. Je compris qu’il subissait la torture. Je voyais sur ses
vêtements des marques de d’écorchures. Ses bouts de doigts étaient bleus. L’électricité les
rendait ainsi. Son regard était de plus en plus vide ou plutôt de plus en plus rempli d’un noir
obscur. Les avocats demandèrent un nouveau procès. Ils eurent gain de cause au bout de
quelques tentatives. La cour cette fois-ci allait siéger à Rabat la capitale. Le tribunal finit par
prononcer l’acquittement de Moncef. Cela signifie qu’il était innocent. Aucune preuve tangible n’a
été présentée par la police pour affirmer sa culpabilité. Une joie immense nous envahi. Je
pensais qu’il y avait fini son calvaire. Il n’en était qu’au début. Un mois après son retour, Moncef
ne dormait plus de la nuit. Il développait des réactions nerveuses et ne supportait aucune forme
de présence autour de lui. Des proches me conseillaient de l’emmener voir un psychologue. Il
était normal qu’après toutes ces épreuves, il soit un peu secoué. Le premier psychologue
n’apporta aucune amélioration hormis le sommeil qui fut corrigé à coup de médicaments. Un soir
Moncef cassa les meubles de sa chambre. Il devenait trop dangereux pour nous. Aidé par
quelques voisins, mon le prit par force pour lui injecter un calmant. On l’amena à l’hôpital Rhazi
de Salé. Il y fut interné pendant deux mois. Pendant cette période je gelais toutes mes activités
politiques. Je me consacrait uniquement au sauvetage de ce qui pouvait être sauver dans ma
famille. Ils ont réussit à me briser. Ils se sont de la manière la plus abjecte. Petit à petit, ils ont
miné mon intérieur et ma maison s’effondra comme un château de cartes. Alors que tout mon
temps passait dans la suivi de mon fils, j’ai négligé un notre de mes enfants qui vivait dans le
désarroi et la peur de constater ce qui nous arrivait sans pouvoir réagir. L’argent me fit défaut. Il
en fallait pour payer les médicaments et les traitements. Il en fallait beaucoup tous les jours. J’ai
du vendre les quelques biens à ma disposition. Et puis quand il fallait se résigner à une triste
réalité. Si ne t’aides pas toi-même personne ne t’aidera. A revoir le film de cette période, j’ai
l’impression que ma petite famille était atteinte d’un mal terrible. Chacun de nous a pris un
chemin qui l’a éloigné de Sidi Kacem. Certains se sont éloignés géographiquement et d’autre
physiquement. Aucun de mes enfants n’en sorti idem de notre chute. Chacun à garder en lui des
traces en délébiles. Nous étions une famille normale. Dans une société qui à travers les
différences et qui ne compati guère aux souffrances des autres, notre situation était devenu
invivable. J’ai eu quand même la force de participer, malgré tout, encor une fois à des élections
législatives. Les résultats furent purement et simplement tronquer par les autorités. Alors que les
résultats préliminaires de la ville ont annoncé ma victoire, la télévision déclara froidement ma
défaite. J’ai décidé de quitter Sidi Kacem. J’ai laissé derrière moi, maison, histoire et famille pour
m’installer à Rabat. Là j’étais à coter des hôpitaux pour soigner mes blessures et celle de ma
petite famille. Je n’étais pas à la fin de mes souffrances. Moncef sortit un jour sans revenir, il erra
pendant deux années, seul, déchiré, dans les rues du maroc. J’ai soulevé toutes les montagnes
du pays à sa recherche, en vain. J’ai longtemps cru qu’il était mort. J’ai longtemps prié le bon
dieu pour me ramener sa dépouille. Heureusement mon frère le retrouve à Kenitra. Il stationnait
devant sa maison quand un clochard est passé de son coté en lui lançant un sourire. Il prit un
moment avant de lui reconnaître quelque chose sous sa barbe de six cent jours. Il l’appela par
son prénom, le clochard se retourna. Il me téléphona tout de suite pour m’annoncer la nouvelle.
Le soir même Moncef est revenu à la maison. Il est devenu silencieux durant quelques années
par suite. Un matin, il reprit conscience de lui même, il se réveilla d’un sommeil de plusieurs
années. Il me dit maman j’ai vieilli. Nous avons vécu, dans l’oubli absolu de notre petite maison
de Rabat durant plus dizaine d’années. Nous avons pris de l’âge et les problèmes étaient
désormais gravés en nous. Longtemps après un jeune homme se présenta à moi. Il est venu de
Sidi Kacem. il a cherché mon adresse et après multiples tentatives, il sonna à ma porte. Madame
Benani, les jeunes de notre ville ont entendu parlé de vous mais ne vous connaisse pas. Nous
avons pensé à organiser une rencontre en votre hommage. Nous voulons juste vous témoigner
un peu de reconnaissance pour tout ce que vous aviez fait pour notre ville. Vous savez la ville set
tombée entre les mains de féodaux qui l’on dépouillés du peu qu’elle possédait. Aujourd’hui nous
voulons relater votre histoire pour pousser les jeunes à bouger dans le bon sens. J’ai accepté
l’invitation.
Quelques semaines plus tard, je suis allée à Sidi Kacem. Dans la voiture qui m’y emmenait, je
lisais l’éditorial de l’Ittihad Ichtiraki (journal du parti socialiste marocain) ; il était intitulé « Cette
femme » et rédigé par un grand homme de la littérature marocaine. Après avoir relater mon
combat contre le général et ses hommes, il se demandait pour quoi je me suis éclipsée de la
scène politique. Je n’ai jamais donné de réponse st je ne souhaite pas le faire. J’ai offert mon
tableau à ma petite fille, elle en prendre soin et la gardera avec passion. J’ai passé des vacances
avec elle à Tanger. Très tôt le matin, elle prenait ma main et me guidait de ses petits pas titubant
sur une plage déserte chère à mon cœur, ma mère, mon mari et les symboles de la démocratie
et de la lutte pour la liberté dans ce pays. Je continue à sonder mon intérieur pour composer des
poésies. Un jour peut-être quelques enfants de Sidi Kacem les fredonneront sur le chemin de
l’école...

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