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Vivre la diversité. Pour en finir avec le clivage Eux / Nous: Pour en finir avec le clivage Eux / Nous
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Vivre la diversité. Pour en finir avec le clivage Eux / Nous: Pour en finir avec le clivage Eux / Nous

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About this ebook

Vivre la diversité est un guide incontournable pour quiconque veut comprendre la diversité et les questions raciales afin de lutter contre les préjugés. Shakil Choudhury y évoque des expériences concrètes et propose des outils pratiques, une feuille de route pour réconcilier les différences, renforcer l’équité et l’inclusion dans nos sociétés. Ancré dans la psychologie, la justice sociale et la méditation, Vivre la diversité constitue pour les organismes et les entreprises une référence pour le vivre ensemble.

Point de vue de l'auteur

Alors que l’ère d’Obama semblait sonner la fin du contexte post-11 septembre, la montée du nationalisme blanc et de la politique trumpiste dans les pays occidentaux replongeait à nouveau le monde dans la division. Le clivage « eux » et « nous » est à son point le plus extrême, du jamais vu depuis l’époque du mouvement pour les droits civiques il y a un demi-siècle. Que des individus et des organismes aient pu trouver, grâce à Vivre la diversité, des repères utiles pour naviguer à travers ce moment critique de l’histoire m’honore et m’émeut.
LanguageFrançais
Release dateJan 28, 2019
ISBN9782897125936
Vivre la diversité. Pour en finir avec le clivage Eux / Nous: Pour en finir avec le clivage Eux / Nous
Author

Shakil Choudhury

Shakil Choudhury est éducateur et conseiller en diversité et inclusion. Il accompagne de nombreux organismes et collabore à établir un dialogue interculturel au sein de communautés en conflit à travers le monde. Lui ont été attribués de nombreux prix et distinctions pour sont travail d’excellence. Il vit à Toronto.

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    Vivre la diversité. Pour en finir avec le clivage Eux / Nous - Yara El-Ghadban

    guident

    PRÉFACE

    Vivre la diversité tel que présenté dans cet ouvrage aborde le débat sur le racisme systémique et la discrimination sous un angle plutôt pratique, scientifique et sensible. C’est un modèle intimement lié à mon histoire personnelle et professionnelle. Il découle de 20 ans d’engagement dans les enjeux de la diversité et de l’inclusion, d’une crise d’épuisement émotionnel survenue dans la trentaine et d’une enfance passée à faire semblant d’être blanc.

    Dans les Amériques, en Europe et en Asie du Sud, j’ai eu le privilège d’enseigner et de collaborer avec des milliers de personnes et de nombreux organismes qui m’ont beaucoup appris. Ces expériences m’ont amené à me questionner sur les notions de race, d’ethnicité et de culture. J’ai été impliqué dans des projets qui ont majestueusement réussi alors que d’autres ont fabuleusement échoué, sans compter tous ceux qui ont abouti quelque part entre les deux.

    L’encadré Cinq voies vers une meilleure cohésion raciale, ethnique et culturelle (p. 8) propose une feuille de route de base pour mieux comprendre ma démarche – le multiculturalisme, la communication interculturelle, la diversité et ses avantages pour le milieu des affaires, l’intelligence culturelle, l’antiracisme. J’y résume également ce qui me semble être les faiblesses et les forces de chaque approche. Ce sont, selon moi, autant de stratégies pour créer un environnement plus juste et équitable où les individus et les groupes se sentiraient inclus et valorisés. Au cœur de ce livre, le désir d’élargir l’horizon du « nous » tout en réduisant les sentiments qui divisent et nous éloignent des autres.

    Parmi les cinq voies présentées, l’antiracisme est sans doute la plus complexe et la plus controversée, car elle soulève des questions de justice. Elle relève aussi de mon propre parcours.

    Cinq voies vers une meilleure cohésion raciale, ethnique et culturelle

    Multiculturalisme : Le partage de pratiques culturelles : cuisines, fêtes, danses, chants, arts... Bien qu’il soit facile et agréable de s’y engager, cette approche tend néanmoins vers un certain « laissez-faire » en ce qui concerne le changement social.

    Communication interculturelle : Se familiariser avec les différents styles de communication, normes et coutumes dans un but précis. Par exemple, les Mexicains tiennent à établir de bonnes relations avant de négocier des ententes ou de discuter d’affaires. C’est par respect de l’autre que les Asiatiques évitent le regard de leur interlocuteur. Les musulmans ne tendent pas la main au sexe opposé. Ces astuces sont parfois utiles pour comprendre certaines pratiques au sein de groupes ethnoculturels. Cependant, elles sont souvent fondées sur des généralisations rigides qui renforcent les stéréotypes.

    La diversité et ses avantages pour le milieu des affaires : Dans le cadre d’une organisation, cette approche se focalise sur les résultats et les retombées positives d’un effectif diversifié et inclusif. C’est une stratégie qui présente la diversité comme un investissement rentable, encourageant ainsi les décideurs d’y adhérer, mais elle camoufle les enjeux de la discrimination et du racisme qu’on préfère éviter.

    L’intelligence culturelle : Plus récente, cette approche combine la communication interculturelle et les stratégies d’intelligence émotionnelle. Bien qu’elle soit encore en émergence, cette approche semble bien fonctionner au sein d’équipes internationales collaborant à travers les frontières. Or, cette approche risque aussi d’attiser les stéréotypes nationaux et locaux, car elle met à l’écart le rôle du pouvoir systémique et ses biais.

    L’antiracisme : Dans cette perspective, le racisme et la discrimination sont systémiques. Pour assurer l’inclusion, il faut d’abord comprendre les dynamiques de pouvoir et de privilège entre Blancs, peuples autochtones et racisés. Découlant des principes de la lutte contre l’oppression, cette approche examine de manière critique les rapports entre groupes dominants et dominés. La redistribution du pouvoir est un levier au changement social. Or, l’antiracisme et, plus globalement, les luttes contre l’oppression tendent à créer des blocages, avec des stratégies dures au ton accusateur qui infligent la honte.

    D’autres approches, telles que la communication interculturelle et la compétence culturelle, existent bien sûr. Pour certains, elles constituent même des stratégies distinctes. Tout en étant d’accord, je dirais qu’elles transforment, développent et combinent de part et d’autre des aspects des cinq voies présentées ici. Pour la simplicité, ce sont ces dernières que j’ai choisies pour points de départ.

    Mon mémoire de maîtrise qui portait sur la pensée antiraciste a orienté ma carrière et ma démarche. Or, l’approche antiraciste n’est plus aussi centrale dans ma vie et dans mon travail. Vivre la diversité doit en grande partie sa forme actuelle à ce virage.

    L’antiracisme est une théorie politique fondée sur la prémisse suivante : il serait possible d’éliminer le racisme si l’on confrontait le pouvoir et ses abus aux niveaux individuel et institutionnel. Pour que le changement soit significatif, il faut qu’il soit systémique. Selon cette théorie, dans une société raciste, il ne suffit pas d’être non-raciste. Une transformation réelle ne peut survenir sans une remise en question active de la discrimination sous toutes ses formes. Il faut être antiraciste.

    Je me suis longuement appuyé sur cette vision du monde. Elle m’a aidé à mieux comprendre ma vie comme personne racisée élevée au Canada, aux prises avec des sentiments d’infériorité. J’étais un enfant populaire et doué. Malgré cela, je faisais tout pour cacher mes origines sud-asiatiques. Cette honte, je l’apprendrai plus tard, est assez commune parmi les membres de groupes minoritaires. J’étais si assoiffé d’appartenir à la majorité blanche que j’évitais les autres enfants bruns. Il m’arrivait fréquemment de me comporter comme si j’étais blanc et je le croyais vraiment. Quand on me prenait pour un Italien ou un Espagnol, une fierté perverse me comblait.

    Je n’avais pas les mots pour dire, encore moins décrire, cette impression de ne pas être à la hauteur.

    Note sur la terminologie

    Blanc renvoie aux personnes dont les racines ethniques sont associées au contexte européen.

    On désigne comme racisés, non blancs, personnes de couleur, celles et ceux qui appartiennent aux minorités visibles. Pour la convivialité, je me sers de ces termes de façon interchangeable bien que le terme racisé soit privilégié aujourd’hui.

    Autochtone ou indigène renvoie aux peuples des Premières Nations, métis, inuits ou amérindiens. Étant les premiers habitants des Amériques, les peuples autochtones sont portés par une histoire unique, marquée par le droit à l’auto-détermination et les droits issus des traités. Les communautés autochtones sont donc distinctes des autres groupes issus de minorités racisées.

    C’est seulement à la mi-vingtaine, grâce aux approches critiques de l’antiracisme et de la lutte contre l’oppression que j’ai pu donner du sens à mon expérience. Je me suis abreuvé d’innombrables rapports gouvernementaux, commissions et études qui démontraient clairement, données à l’appui, le traitement discriminatoire dont sont victimes les peuples autochtones et racisés par rapport à leurs compatriotes blancs (voir l’encadré ci-dessus). En Amérique du Nord, ces données touchent autant à l’accès à l’emploi qu’au salaire, aux soins de santé, à l’éducation et à l’équité au sein du système de justice.

    Il existait même un terme pour ces sentiments de honte et de rejet culturel qui me tourmentaient, enfant : le racisme intériorisé. L’abondance et la limpidité de l’information m’ont à la fois accablé et enhardi.

    Ce que j’ai appris m’a choqué et m’a transformé. Pourquoi personne ne m’avait parlé de discrimination systémique ? La théorie résonnait avec mon vécu. Tout à coup, je comprenais ce que je vivais, je le maîtrisais intimement. Je me sentais puissant. J’avais trouvé, à mon insu, ma voie et ma vocation, mon identité d’éducateur et de militant antiraciste. En assumant pleinement cette posture, je me suis laissé entraîner dans tous ses pièges : le pouvoir et l’autorité qu’elle octroie, et la ferveur des nouveaux convertis qu’elle animait en moi.

    À 30 ans, j’avais déjà accompli beaucoup de choses : gérer des projets communautaires dans la forêt tropicale costaricaine, coordonner une initiative d’histoire orale entre des jeunes leaders du Pakistan et du Canada, mettre sur pied des ateliers de littératie économique et politique au sein de communautés défavorisées à Toronto, ma ville. J’ai été professeur fondateur d’une école alternative et j’avais investi d’innombrables heures de bénévolat au sein d’organismes communautaires partout dans la ville et ses périphéries. Mon travail et mon engagement comme éducateur antiraciste m’ont mérité la reconnaissance, dont un prix provincial pour ma contribution au développement d’un curriculum non biaisé.

    Or, les conséquences d’en savoir autant sur l’antiracisme et ses processus n’étaient pas toujours positives. Je voyais la discrimination, le racisme et l’oppression partout. Ce réflexe a envahi toute ma vision de la vie (dire qu’elle me paraissait sombre est un euphémisme). Nous habitions une planète morne en chute libre. Sauver le monde était une tâche imposée, ingrate et interminable. J’étais de plus en plus outré par la nonchalance et la complaisance d’une bonne partie de la société face à l’obligation d’agir dont je ne pouvais me défaire. Je priorisais mon travail et les besoins d’étrangers avant ceux de mes proches. Ils se demandaient pourquoi j’étais si absent et si fatigué. Je manifestais, sans le savoir, les premiers symptômes d’un épuisement personnel.

    Par ailleurs, la communauté de justice sociale que j’admirais tant n’échappait pas aux dynamiques de pouvoir, à la toxicité et à l’égoïsme. Malgré leurs valeurs, au sein de nombreux organismes progressistes les relations n’étaient pas toujours saines. Du coup, nos dénonciations et critiques des grandes corporations et des organismes conventionnels me semblaient vides. Si nos relations étaient toutes aussi brisées, quel espoir de voir nos idéaux se réaliser et s’enraciner dans la société ?

    Une situation en particulier m’avait complètement désarçonné à la suite des attaques terroristes du 11 septembre aux États-Unis. Un groupe de mes camarades militants se sont mis à se chamailler et à s’envoyer des pointes durant une réunion sur l’ampleur de la tragédie et la meilleure façon d’agir. Plusieurs visions du monde – pacifiste, antiraciste, syndicaliste, féministe, antimondialiste, anti-pauvreté – se confrontaient dans la salle. L’ambiance, conflictuelle, surpolitisée et terriblement hostile, a vite dégénéré, alors que nous étions supposément motivés par le même idéal d’un monde socialement juste. Une frontière s’est dressée entre « nous » et « eux » dans la salle, mais nous ne la voyions pas. En moi, bouillonnaient la colère et la frustration. C’est donc elle, ma communauté ? Ces personnes qui m’inspiraient et dont la reconnaissance me tenait tant à cœur ? Si nous-mêmes étions incapables de résister à la division, qui le serait ? Ça suffit !

    Déjà surmené, je me suis retiré au lieu de m’engager dans la discussion.

    Entretemps, ma vie et mes relations personnelles se détérioraient. Je manquais à mes obligations envers mes proches. Le ressentiment face au monde extérieur et ses exigences me poussait à douter de tout ce que je faisais et de ce qui me motivait. Usé, corps et âme, j’ai abandonné l’engagement et l’organisation communautaire.

    En rétrospective, cette crise m’a sauvé. J’ai dû me prendre en main pour redécouvrir qui j’étais. Grâce à mon milieu social privilégié et à mes réseaux, j’ai pu trouver le soutien dont j’avais besoin auprès d’amis, mentors, guides, thérapeutes et collègues. J’ai déterré les comportements autodestructeurs qui minaient mes relations interpersonnelles et mon rapport à moi-même, pris conscience de vieilles blessures. J’ai retrouvé ma voie, plus confiant dans la direction que je devais prendre.

    Les liens entre mes choix, actions et réactions et le déséquilibre dans ma vie m’ont paru soudain plus clairs. J’ai saisi enfin cette leçon que l’on doit à bien des sages, dont Épictète et le Dalaï-Lama : nous contrôlons rarement les circonstances, mais nous sommes libres de choisir comment y faire face.

    Le défi était grand : débusquer la part inconsciente qui influençait ma parole et mes actes, et ses pièges. Éveillé par ces forces qui m’habitent, j’ai développé au cours des années des réflexes plus sains quant à mes choix et à la façon de gérer mes angoisses, surtout, face à des situations stressantes et chargées. Je me sentais plus vaste, plus en contrôle. La peur d’être entraîné par les vagues de l’existence ne me hantait plus autant. J’ai tiré de cette expérience une leçon fondamentale pour toute personne qui voudrait changer l’état des choses : pour créer un monde meilleur, il faut d’abord veiller sur son propre univers intérieur, soigner les échardes que l’on porte en soi.

    Mon chemin vers la guérison a été une éducation. Je comprends mieux mes émotions et ce qui sous-tend certaines décisions et attitudes. La conscience de soi, la capacité de gérer ses angoisses et émotions m’ont paru si essentielles que je me suis demandé pourquoi l’éducation émotionnelle n’était pas mieux intégrée à l’action sociale et dans la société.

    J’ai pris une certaine distance de mes racines idéologiques antiracistes afin de m’ouvrir à d’autres perspectives. Les stratégies d’intelligence émotionnelle, la psychologie sociale, les neurosciences cognitives, l’attention aux biais implicites et la compassion enrichissaient mes recherches et ma démarche. Cette quête a donné jour à Vivre la diversité, un cadre de référence pratique, scientifique et sensible pour aborder les enjeux de la différence raciale.

    Comme nous le verrons dans l’ouvrage, les difficultés associées à la diversité ne relèvent pas de la connaissance. Les bonnes idées pour assurer un vivre-ensemble, où chacun se sent valorisé, ne manquent pas. Les blocages se situent au niveau des sentiments, de l’inconscient. Face à une personne racisée ou différente, c’est le soi émotif et inconscient qui réagit en premier. Or, ce sont les approches cognitives ou fondées sur la rationalité qui dominent aujourd’hui. On ne peut se fier seulement à la raison pour défaire des nœuds à caractère émotif. Aussi bien lancer un extincteur à une personne qui se noie ! Ce n’est tout simplement pas le bon outil.

    En rassemblant cœur et esprit, la pensée et les émotions, Vivre la diversité cherche à provoquer, sans jugement, une remise en question. Si nous voulons éradiquer le racisme et la discrimination systémiques, nous nous devons de prêter attention à nous-mêmes. Reconnaître la nécessité de changer, en acceptant nos failles et nos biais.

    Les principes articulés dans Vivre la diversité se sont avérés plus pertinents pour les individus et les organismes avec lesquels je travaille, et plus faciles à intégrer sur le plan intime. Privilégier la relation à l’idéologie politique : c’est le fondement de liens harmonieux entre groupes par-delà la différence raciale. Ces enseignements, partagés avec d’innombrables personnes, éveillent la curiosité envers soi-même et les autres. Une curiosité qui permet de dompter les dynamiques qui divisent et d’imaginer un « nous » plus vaste. Vivre la diversité évoque sans détour la problématique du racisme et de la discrimination. Il demeure pourtant un livre animé par l’espoir. Pour se confronter à ces enjeux difficiles, il faut se nourrir d’optimisme. Citons les mots d’Elie Wiesel, survivant de la Shoah : « L’espoir, comme la paix, n’est pas un don de Dieu, mais un don que l’on fait les uns aux autres. »

    1

    LES POINTS CARDINAUX DE

    VIVRE LA DIVERSITÉ

    CE QU’ON DIT N’EST PAS CE QU’ON FAIT

    Une étudiante à l’université patiente dans une salle d’attente avec deux autres étudiants, l’un est blanc et l’autre noir. Ce dernier se rend compte tout à coup qu’il n’a pas son cellulaire. Il se lève pour le chercher dans l’autre local et se bute par erreur contre la jambe de son collègue blanc. Pas un mot n’est dit, mais une fois l’étudiant noir au loin, le jeune homme blanc marmonne : « espèce de nègre épais ».

    Nina¹ est venue pour participer à un projet de recherche. Elle ne le sait pas encore, mais l’expérience a déjà commencé, là, dans la salle d’attente. L’incident fait partie d’une étude canadoétatsunienne menée par l’Université York, l’Université de la Colombie-Britannique et l’Université Yale². Les étudiants blancs et noirs sont des comédiens. L’objet de l’expérience ? La réaction de Nina. Trois groupes sont exposés à la scène : les « spectateurs » l’ont vue sur vidéo ; les « lecteurs » en ont seulement lu une description ; les « participants » l’ont vécue directement avec les comédiens.

    Invités à s’imaginer dans une situation similaire, les groupes de lecteurs et de spectateurs ont indiqué, sans surprise, qu’ils en seraient outrés. Et s’ils devaient choisir un partenaire de travail par la suite, 80 % des spectateurs sélectionneraient l’étudiant noir. Dans la même veine, 75 % des lecteurs ont privilégié l’étudiant noir comme partenaire.

    Ces résultats n’ont rien d’étonnant, puisque le sondage a été réalisé dans un contexte universitaire à Toronto, l’une des villes les plus multiethniques du monde.

    Qu’en est-il par contre des participants ? Quelle a été la réaction de Nina et d’autres du même groupe ? Combien ont-ils été à se prononcer ou à agir contre le commentaire raciste ?

    On se serait attendu à un résultat plus faible. Réagir en temps réel, après tout, est plus difficile que dans une situation imaginée. Si l’on disait qu’aux alentours de 50 % des participants s’exprimeraient contre l’insulte raciste, serait-ce trop optimiste ? Quelqu’un de plus conservateur se contenterait d’une estimation de 30 %, soit trois étudiants sur dix interviendraient. Le sceptique dans la foule n’irait pas plus loin qu’une personne sur dix.

    Les résultats réels ? Selon Kerry Kawakami, cosignataire de l’étude, parmi les personnes qui ont vécu directement l’expérience, pas une seule n’a réagi³. De plus, durant l’entretien qui a suivi, aucune n’a signalé un malaise par rapport au commentaire. Plus troublant encore, la majorité a choisi l’étudiant blanc comme éventuel partenaire de travail.

    Pardon ? Oui – vous avez bien lu. La vaste majorité, plus de 70 %, préférerait collaborer avec l’étudiant blanc, même après avoir été témoin de l’incident.

    Ajoutons une couche : aucun des étudiants participants n’était noir. Certains étaient des Blancs, d’autres des personnes racisées ou d’appartenances ethnoculturelles diverses. Tous étaient jeunes, diplômés et habitaient une ville profondément multiraciale. Bref, un ensemble diversifié d’étudiants universitaires – s’il y avait un groupe bien placé pour sympathiser avec ses pairs et intervenir dans une telle situation, ce serait bien celui-ci.

    L’étude, concluent les chercheurs, démontre notre incapacité de prédire correctement nos sentiments – donc nos réactions – face à des situations imprévisibles, surtout lorsqu’elles soulèvent des questions de préjugés et de discrimination. L’étude examinait les émotions et les comportements face à la différence raciale.

    Alors pourquoi les émotions sont-elles si importantes ? Cela m’amène à dresser un premier constat sur les enjeux de la diversité et de l’inclusion. Nos sentiments affectent directement nos actes.

    Nos émotions nous contrôlent tout en restant invisibles. Elles orientent de manière significative nos choix et nos comportements, consciemment ou pas. Nous nous fions, soutiennent certains scientifiques, plus sur nos émotions que sur notre rationalité pour cheminer dans le monde⁵. Par ailleurs, la souffrance sociale (par exemple, le sentiment d’exclusion) et la souffrance physique (un coup de poing) partagent les mêmes aires neuronales. C’est pourquoi une expression agressive ou le rejet font autant mal⁶.

    Afin de confronter la discrimination et le racisme, il nous faut mieux associer ce que l’on ressent à ce qu’on pense, faire les liens entre choix et comportements. Développer la littératie émotionnelle est le premier point cardinal de Vivre la diversité.

    CELUI QUI HÉSITE

    Content de dénicher une belle paire de lunettes dans un magasin de bonne qualité, un conseiller constate que sa prescription n’est plus à jour. La propriétaire du magasin recommande un optométriste du quartier, dont elle donne la carte d’affaires. Chez lui, le conseiller scrute la modeste carte. Le nom inscrit : Abdeiso Kiyanfar. Il hésite ; pas trop certain, tout à coup, de cette recommandation. Surgit l’image d’un vieil homme « étranger » aux compétences suspectes dans un bureau poussiéreux et désorganisé. Le conseiller dépose la carte. La journée s’écoule avant qu’il ne reconnaisse son attitude injuste envers l’optométriste. Ce dernier avait été recommandé après tout ! Écartant son hésitation, le conseiller appelle pour demander un rendez-vous.

    Cette anecdote sur l’hésitation – une forme de préjugé non dit – est inspirée d’une vraie histoire aux détours intéressants.

    Premièrement, le conseiller est un doyen des enjeux de la diversité et des luttes antiracistes. Deuxièmement, il est d’ethnicité sud-asiatique – autrement dit, c’est un homme brun. Troisième fait intéressant, ce monsieur, c’est moi.

    Je partage cette histoire afin d’illustrer notre vulnérabilité aux préjugés, au racisme et aux biais. On peut en tirer aussi de précieuses leçons sur la discrimination et l’inclusion. Si la « modeste » carte portait le nom Adam Wright ou Ellen Goldstein, je n’aurais sans doute pas hésité. D’ailleurs, une recommandation ne serait pas nécessaire si cette figure inconnue avait le « bon » nom. L’enjeu ici, c’est mon hésitation – ce bref moment d’inaction.

    Imaginez un peu si j’avais été un cadre au département de ressources humaines évaluant un CV, dont le nom non blanc suscite des réactions négatives. Ou encore, si j’avais été le propriétaire d’un bloc-appartements, refroidi par ces noms aux sonorités étranges. Nous sommes tous des menaces à l’équité si des réticences et des préférences inconscientes guident nos décisions.

    Selon le projet Implicit, une collaboration entre l’Université Harvard, l’Université de la Virginie et l’Université de Washington, cette hésitation – le réflexe de

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