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Carnifex: Légendes du Nain Sans Nom
Carnifex: Légendes du Nain Sans Nom
Carnifex: Légendes du Nain Sans Nom
Ebook358 pages11 hours

Carnifex: Légendes du Nain Sans Nom

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About this ebook

« Brut, intense et brutalement tragique. Une narration de grande qualité avec d'excellents personnages et une intrigue implacable. » -- Mitchell Hogan, auteur du livre A Crucible of Souls et lauréat de l'Aurealis Award. 

Depuis plus de mille ans, les nains se sont cachés loin du monde dans leur cité-ravin d'Arx Gravis. 

Gouvernée par un conseil inflexible dont le seul objectif est d'éviter les erreurs du passé, la vertu définissant leur société est que rien ne devrait jamais changer. 

Mais quand une infraction survient au Scriptorium et que le Garde du Ravin Carnifex Thane voit un homunculus fuir la scène de crime, c'est le début d'une série d'événements qui assureront que plus rien ne sera jamais comme avant. 

La tromperie et la mort marchent vers Arx Gravis. 

Les énigmes précédant la naissance de Carnifex se cristallisent en un destin horrible qui approche inexorablement. 

Mais c'est dans le sang que naissent les légendes et la rédemption germe parfois des pêchés les plus graves. 

Car Carnifex est destiné à devenir le Boucher du Ravin, avant même que ce sombre sobriquet soit perdu pour toujours, ainsi que tout ce qui le définissait autrefois. 


Le roman des origines du Nain Sans Nom, attendu depuis longtemps, et premier livre d'une nouvelle série, Légendes du Nain Sans Nom, Carnifex, par D.P. Prior est un nouveau venu qui a toute sa place dans la tradition des romans d'épée et de sorcellerie qui a vu naître R.E. Howard, Michael Moorcock, Fritz Lieber et Lin Carter, et qui est le digne héritier de la fantasy héroïque de David Gemmel. Avec un point de vue étroit, des personnages complexes et une abondance d'horreurs, de bains de sang et la marche impitoyable d'un destin insensible, il porte également les marques particulières des mondes obscurs actuels qui sont familiers aux lecteurs de Joe Abercrombie et George R.R. Martin.

LanguageFrançais
PublisherHomunculus
Release dateNov 4, 2018
ISBN9781386866725
Carnifex: Légendes du Nain Sans Nom

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    Carnifex - D.P. Prior

    CARNIFEX

    LÉGENDES DU NAIN SANS NOM LIVRE 1

    ––––––––

    Depuis plus de mille ans, les nains sont cachés loin du monde dans leur cité-ravin d’Arx Gravis.

    Gouvernée par un conseil inflexible dont le seul objectif est d’éviter les erreurs du passé, la vertu définissant leur société est que rien ne devrait jamais changer.

    Mais quand un cambriolage a lieu au Scriptorium et que le Garde du Ravin Carnifex Thane voit un homunculus fuir la scène de crime, débute alors une série d’événements qui assureront que plus rien ne sera jamais comme avant.

    La tromperie et la mort marchent vers Arx Gravis.

    Les énigmes précédant la naissance de Carnifex se cristallisent en un destin horrible qui approche inexorablement.

    Mais c’est dans le sang que naissent les légendes et la rédemption germe parfois des pêchés les plus graves.

    Car Carnifex est destiné à devenir le Boucher du Ravin, avant même que ce sombre sobriquet soit perdu pour toujours, ainsi que tout ce qui le définissait autrefois.

    Vous pouvez voir une plus grande CARTE D’AETHIR sur Internet.

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    ATTRAPER UN VOLEUR

    ––––––––

    Le visage ensanglanté de Carnifex Thane lui rendait son regard. Le blanc de ses yeux brûlait d’un rouge écarlate. Ses cheveux étaient poisseux de par le sang. Un trou fumant perçait son front, de la fumée s’en élevant dans la brise fraîche du crépuscule. Il essaya de respirer, mais l’air se refusa à lui.

    Il avait l’air aussi mort qu’un nain pouvait l’être, mais ce n’était pas cela qui déchirait ses entrailles avec des griffes de glace, c’était le fourmillement des insectes du destin marchant le long de sa colonne vertébrale. Pendant un bref instant, le voile qui masquait à son esprit les augures du futur s’ouvrit. Il se frappa la poitrine, haleta et les doigts invisibles l’étranglant relâchèrent leur prise.

    C’était la fenêtre, lui renvoyant le reflet de son image, et le trou était dans le verre, pas dans sa tête. Mais connaître un fait et regarder une illusion étaient deux choses différentes. Quelqu’un avait assurément marché sur sa tombe, avait tapé du pied dessus, y avait fait des claquettes.

    Carnifex se força à détourner le regard de la scène de crime, levant les yeux vers les cieux rayés de rouge au-delà des niveaux supérieurs des passerelles. Le scalpe d’un des soleils plongeait derrière le bord du ravin qui accueillait la cité, son orbe jumeau déjà hors de vue. La tête monstrueuse de Raphoé, la plus grande des trois lunes d’Aethir, atteignait déjà la ligne d’horizon, un énorme visage argenté venu regarder les nains de haut, pour assister au spectacle du plus rare des rares incidents. Car l’alarme avait été déclenchée. Le Scriptorium avait été cambriolé. Et la cité-ravin d’Arx Gravis avait été sortie de sa longue vie d’inaction.

    La dernière lumière des soleils jumeaux avait l’aspect du sang dans l’eau, diluée par le fort clair de lune. Alors qu’elle se dissolvait pour devenir argentée, Carnifex regarda à nouveau vers la fenêtre. Le sombre présage avait disparu. Son reflet était maintenant comme un fantôme sur le verre, terne sans les touches de rouge.

    À travers le trou, assez grand pour y passer un doigt, il avait une vue claire des étagères qui allaient du sol au plafond et conservaient les Annales d’Arx Gravis, des volumes à reliure de cuir et au dos gravé d’or, toute l’histoire des nains disaient-ils. Il ne savait pas vraiment. Il n’était pas adepte des livres.

    L’un d’eux manquait. Au milieu de la troisième rangée en partant du bas, un espace de sept centimètres criait au voleur.

    En reculant d’un pas, il bénéficiait d’une vue plus large à travers le verre. Un nain portant un haubert en cotte de mailles et une cape rouge de la Garde du Ravin, tout comme Carnifex, était allongé sur le dos, une cavité à la poitrine pareille au trou fumant dans la fenêtre. Quoi que ce fût qui l’avait causée avait percé le fer aussi facilement que le verre, laissant un éclat rouge dans son sillon.

    Meurtre en plus de vol.

    D’aussi longtemps que Carnifex se souvenait, personne n’était mort à Arx Gravis, à part de causes naturelles ou de trop grand enthousiasme dans les cercles de combat. Et rien n’avait jamais été volé. À quoi bon ? Tout le monde avait la même chose, le tout distribué de manière juste par le Conseil des Douze. Personne ne se prélassait dans les richesses, mais personne ne manquait de ce dont il avait besoin. Et un volume des Annales, il fallait être un expert pour lire toutes ces balivernes ampoulées et il n’y avait pratiquement pas de marché pour ça.

    Le bruit de bottes sur la passerelle lui donna un coup de sang, Carnifex se retourna et vit une poignée de Gardes du Ravin le rattraper, haletant suite à la course. Il avait descendu trois niveaux de la ville, quand le cri avait retenti. Trois cents marches qui s’enroulaient autour de l’Aorte, la grande tour s’élevant depuis la base du ravin.

    – Il y a quelque chose, Monsieur ? demanda Kaldwyn Gray en arrivant juste avant le reste.

    Carnifex l’avait pris comme partenaire d’entraînement ces dernières semaines, l’avait fait dompter le fer aux baraques. Kal s’était plaint de douleurs au dos, mais les poids morts et les flexions sur jambes avaient rempli ses poumons et lui avaient donné plus d’énergie que le reste de la troupe en avait.

    La voix de Carnifex chevrota quand il répondit. « Mort » fut tout ce qu’il parvint à dire, en faisant un signe de la tête vers la fenêtre.

    Il retira son casque et frotta ses cheveux trempés de sueur alors que Kal jetait un coup d’œil à travers la fenêtre. La hache posée sur son épaule semblait trop lourde pour être baissée, encore moins manipulée. Quelques instants auparavant, elle avait été aussi légère qu’une plume. Il replaça son casque sur sa tête et passa ses doigts dans sa barbe, comme s’il pouvait trouver une solution dans ses poils.

    Tout le long de la passerelle, et au-dessus et en-dessous, des pierres de lumière ambrées s’allumèrent, comme elles le faisaient toujours à la tombée de la nuit. Des nuages glissaient sur la face argentée de Raphoé, qui s’était levée rapidement pour couvrir la bouche du ravin. Le clair de lune imbibait la ville de vagues argentées qui donnaient une impression d’eau, comme si Arx Gravis avait plongé sous les vagues comme la ville mythique d’Arnoch, la ville des Seigneurs Nains.

    Kal se détourna de la fenêtre, le visage pâle. Les cinq nains derrière lui le virent et se mirent à marmonner entre eux. Carnifex les fit se taire d’un seul regard.

    – Les ordres, Monsieur ? demanda Kal.

    – Je...

    Carnifex pataugeait, cherchant une pensée cohérente dans l’atmosphère pesante.

    Rien de tel ne s’était jamais produit. Rien ne se produisait jamais. C’était pourquoi la Garde du Ravin était une cible de rigolade pour les berserkers de la ville inférieure. Les quelques fois où ils s’étaient aventurés dans les cercles de combat, ils avaient été sévèrement battus par les nains sauvages.

    – Eh bien, mon gars, commença-t-il pour gagner du temps. Je pense... Je veux dire, et si...

    Mince, il commençait à parler comme le Conseiller Moary. Quand Carnifex avait monté la garde au Débat du Commerce Externe le mois dernier, il s’était presque endormi à son poste, tellement le vieux schnoque tergiversant avait radoté.

    Les yeux écarquillés de Kal l’imploraient de répondre, ou peut-être une permission de retourner, de ne rien faire, de faire comme si ce n’était pas réel.

    Un grincement venu d’en bas coupa l’air. Quelqu’un cria.

    Carnifex regarda en bas, mais son champ de vision était bloqué par un arc-boutant reliant l’Aorte à la lointaine paroi du ravin. Il fila vers la passerelle la plus proche qui émanait de la tour comme le rayon d’une roue. Elle était légèrement arquée, mais avant même qu’il n’arrive au sommet, il pouvait facilement voir le chahut quinze mètres plus bas.

    Une foule s’était rassemblée autour d’une femme allongée sur une des places circulaires où des passerelles se croisaient. Un filet de fumée s’élevait de l’avant de sa blouse. Déjà, des Capes Rouges sortaient en masse des portes de pierre insérées dans les parois du ravin. Des marchands restaient bouche bée devant leurs étals et les gens faisant leurs courses du soir restaient plantés là, les yeux écarquillés, comme si ce qu’ils venaient de voir ne pouvait pas s’être produit.

    Un léger mouvement attira son attention : un enfant, peut-être, en noir de la tête aux pieds, slalomant dans la foule.

    Carnifex appela :

    – Halte !

    Et il fit signe à la Garde du Ravin se rassemblant plus bas.

    Avant qu’ils ne le repèrent, la forme noire sauta de la passerelle... et disparut. Il n’y avait aucun corps plongeant vers les canaux venant du Sanguis Terrae, le lac au pied du ravin.

    – Hein ?! s’exclama Kal en respirant dans l’oreille de Carnifex.

    Le reste de la troupe suivait comme des chiots obéissants.

    Plus bas, quelqu’un criait des ordres. Il reconnut une voix et parcourut rapidement les passerelles du regard jusqu’à trouver Thumil, si sérieux avec sa cape rouge et son casque doré. Ainsi, le Maréchal avait ressenti le besoin de venir en personne. Ça devait être sérieux.

    – En bas, dit Carnifex. Et vite.

    Il ouvrit le chemin en retournant vers l’Aorte et descendit l’escalier en spirale. Thumil vint à sa rencontre en bas et ne perdit pas de temps pour donner des ordres à Kal et aux autres.

    – Évacuez les gens des passerelles, tout le monde à l’intérieur, dit-il avant de se tourner vers Carnifex. Tu as vu quelque chose ?

    L’ami turbulent n’était plus là, celui qui avait aligné les verres la veille, chantant des chants paillards jusqu’au matin. C’était Thumil tout craché : le meilleur ami qu’un nain pouvait espérer, mais hautement responsable quand il s’agissait du travail.

    – Un mort au Scriptorium, Maréchal, répondit Carnifex qui se sentait toujours mal à l’aise quand il utilisait le titre de son ami. Un tir à travers la fenêtre, je dirais, mais une sacrée arbalète. Ça a transpercé la cotte de mailles et laissé un trou fumant.

    – Jarfy ? demanda Thumil.

    – Je crois bien.

    Carnifex n’était pas très doué avec les noms. Thumil connaissait tous les noms de tous les hommes sous ses ordres, mais aussi les noms de leurs femmes et de leurs enfants.

    Le maréchal secoua la tête.

    – Merde, murmura-t-il.

    C’était inscrit dans ses yeux : la tâche de l’annoncer aux proches du défunt.

    – Un livre a été pris, je crois, dit Carnifex. Une des Annales. L’intrus a sauté de la passerelle.

    Thumil traversa la place jusqu’au bord et regarda par-dessus.

    – Il n’est pas tombé, ajouta Carnifex.

    Thumil se tordit le cou pour regarder la face brillante de Raphoé. Il retournait dans sa tête tout ce qu’il avait appris jusqu’à présent, Carnifex le savait, mais il donnait tout de même l’impression de conférer avec la lune. Ses yeux brillèrent froidement, puis il regarda à nouveau en bas.

    Carnifex suivit son regard. Il y avait de nombreux hommes de la Garde du Ravin recouvrant les passerelles inférieures comme des taches de sang avec leurs capes rouges. Ici et là, des Capes Noires slalomaient entre eux : la Kryptie, la cohorte spéciale du Conseil. Les choses étaient bien plus sérieuses qu’il ne pensait.

    – Un intrus, tu dis ?

    Carnifex savait où il voulait en venir. Cela impliquait une incursion de l’extérieur. Personne n’entrait dans la cité-ravin, tout comme personne n’en partait. Les nains étaient restés ancrés à Arx Gravis depuis l’époque de Maldark le Déchu, plus de mille ans auparavant.

    – Quel nain gagnerait à voler ? demanda-t-il.

    Oh, les gens trichaient et jouaient, ils se faisaient un peu d’argent sur le côté, mais il n’y avait aucun besoin brûlant d’en avoir plus. Ils faisaient généralement de telles choses pour passer le temps, pour contrer l’ennui. Après tout, les nains étaient une race fermée sur elle-même. Leur exil du monde d’en haut ne leur était imposé que par eux-mêmes.

    Thumil hocha la tête tout en caressant sa barbe hirsute.

    – Et pourquoi les Annales ?

    Seuls les intellectuels étudiaient les anciennes histoires, des gens comme Barbedure, l’enseignant perpétuellement saoul et touche-à-tout. Le langage utilisé par les nains d’antan était bien trop complexe pour la plupart des gens.

    Carnifex haussa les épaules.

    Thumil leva les yeux vers les hauteurs. Il y avait plusieurs niveaux au-dessus d’eux, s’élevant jusqu’au bord du gouffre qui engloutissait la ville. Des passerelles reliaient les espaces entre les flèches et les minarets encerclant l’Aorte dans un éventail d’architecture variée, un autre symptôme de bien trop de temps et bien trop peu de choses à faire.

    Ils savaient tous les deux que les niveaux supérieurs étaient les plus lourdement gardés. Au moment où des intrus atteindraient la passerelle la plus élevée, ils seraient encerclés par des gardes en cape caméléon, se détachant des murs. L’intrus devait être invisible pour entrer par le haut.

    Carnifex réprima un frisson tout en regardant à nouveau vers le bas, il observait le clair de lune jouer sur la surface du Sanguis Terrae dans les boyaux du ravin. On disait qu’un portail se trouvait sous ses eaux fantomatiques, une porte vers le monde souterrain de Géhénna, le seul autre moyen d’entrer ou de sortir d’Arx Gravis.

    Thumil le vit regarder et fronça les sourcils.

    – Homunculus ?

    Personne n’avait vu de gnomes des profondeurs depuis bien longtemps. Droom, le père de Carnifex, en avait rencontré un dans les mines de nombreuses années auparavant. Il avait dit que la créature avait prophétisé qu’il aurait deux fils, lui avait dit comment les appeler. Le contre-maître avait accusé Droom de boire pendant le travail, mais quand Yyalla était tombée enceinte, Droom avait fait comme on lui avait demandé et appela son premier-né Lucius. Quand Yyalla était morte en donnant naissance à leur deuxième enfant, Droom avait une nouvelle fois honoré la prophétie du gnome des profondeurs et avait baptisé Carnifex ainsi. Il était superstitieux et une part de lui avait toujours cru à l’autre chose que le homunculus lui avait dit : que par ses fils, les nains se retrouveraient. Par ses fils, l’ère des légendes renaîtrait.

    Les mineurs rapportaient encore en voir occasionnellement. Mais un homunculus dans la cité, cambriolant le Scriptorium ? Cela n’avait aucun sens.

    – Nous devrions descendre.

    – Tu penses vraiment que ça fera une différence ?

    Thumil avait raison. Les niveaux inférieurs regorgeaient de soldats. Carnifex était sur le point de demander « Alors quoi ? » quand quelque chose fit se dresser ses cheveux sur sa nuque. En se retournant, du noir planait dans sa vision périphérique.

    – Il n’est pas tombé, dit-il en courant déjà vers l’Aorte, parce qu’il a rebroussé chemin.

    – Quoi ?

    Thumil haletait en essayant de garder le rythme. Ils allaient devoir parler de la boisson et peut-être même d’un régime avec les poids.

    – Il est passé sous la passerelle. Il a dû s’accrocher aux supports comme les gibunes de la ville inférieure.

    Les niveaux inférieurs étaient infestés de ces bestioles, des primates carnivores avec un penchant pour les enfants nains. Pas étonnant que la majorité des gens y habitant étaient des berserkers. Ces dérangés mangeaient sûrement des gibunes au petit-déjeuner.

    – Il remonte, continua Carnifex.

    Le nain retraça ses pas jusqu’à la fenêtre du Scriptorium, mais si l’intrus était revenu par-là, il avait été rapide. À part le corps livide de Jarfy, il n’y avait que des livres à l’intérieur, et aucun signe de mouvement sur aucune des passerelles attenantes.

    Il était sur le point de se retourner quand son regard tomba sur les étagères face à la fenêtre. Là où il y avait eu un espace avant, se tenait maintenant une pleine rangée des Annales.

    Thumil arriva en haletant et soufflant, courbé en deux et cherchant à reprendre son souffle.

    – Il est à nouveau là, dit Carnifex. Le livre est...

    Une silhouette vêtue de noir émergea d’une fenêtre plus haut. L’individu s’arrêta sur le rebord, comme choqué de les voir en bas. Sous la capuche de sa cape, des yeux onyx brillèrent sur un visage gris, buriné et avec la texture du granite. Il était petit, arrivant à peine à la poitrine d’un nain, et souple comme un chat. Il leva une main tenant une fine baguette de métal.

    Carnifex poussa Thumil contre le mur alors qu’un éclair filait du bâton en craquant et fit exploser un morceau de la passerelle. Il revint en roulant et lança sa hache. Au même moment, le homunculus sauta du rebord de la fenêtre. La hache frappa la pierre avec fracas et arracha un morceau du montant de la fenêtre. Alors qu’elle tombait, le homunculus tombait également, mais alors, un disque de métal se matérialisa sous ses pieds. Quand la hache tomba avec bruit sur la passerelle, Carnifex courait déjà vers le bord. Le disque accéléra et le nain se lança vers l’objet, attrapant le bord du bout des doigts.

    – Carn ! cria Thumil.

    Mais Carnifex ne pouvait pas le voir. Il ne pouvait détourner son attention, concentré pour rester accroché alors que le disque glissait entre deux passerelles parallèles avant de plonger.

    Une botte s’abattit sur ses doigts et le homunculus visa par-dessus le bord avec sa baguette. Carnifex lâcha le bord avec sa main libre et se balança sur le côté pour éviter un autre éclair. En revenant, il bondit et arracha la baguette de la main de la créature. Le homunculus leva son pied pour écraser, mais Carnifex fit glisser ses doigts le long du bord et la créature manqua. Le homonculus tenta d’écraser à nouveau, mais une fois de plus, Carnifex esquiva.

    Des cris s’élevèrent des Capes Rouges rassemblés sur la passerelle. Un carreau d’arbalète lui frôla l’oreille. Un autre frappa le disque et retomba.

    Ils tombaient, tombaient, en spirale, se balançant et penchant à chaque fois que le homunculus essayait d’écraser les doigts de Carnifex.

    Ils planaient au-dessus la ville inférieure, au-dessus des eaux scintillantes d’un canal. Les lanternes accrochées aux barges n’étaient que des lueurs ambrées et floues. Quelque part, une gibune cria, puis, la peur au ventre, Carnifex vit où ils se dirigeaient : droit vers la surface du Sanguis Terrae éclairée par la lune.

    Alors qu’ils filaient au-dessus de la rive, il lâcha prise. Le sol chancela vers lui. Il tomba avec force et une douleur se répandit dans sa cheville. Grognant, il se leva prudemment, sautillant sur sa bonne jambe alors que le disque argenté transportait le homunculus sous la surface du lac.

    Carnifex jura, et s’assit pour s’occuper de sa cheville douloureuse. Même sans la blessure, il n’aurait rien pu faire d’autre. Rien que de regarder l’eau lui retournait les entrailles. C’était certes un entraînement obligatoire, passé de mère à enfant dans la cité, mais Carnifex ne savait pas nager. Sa mère n’avait pas été là pour lui apprendre.

    Les Capes Noires descendirent comme des araignées sur des cordes en toile. Thumil était avec eux, descendant en rappel avec la grâce d’un sac de charbon dans un puits de mine.

    Les forces spéciales avancèrent vers Carnifex, les capes battant comme des ailes de chauves-souris dans le vent créant des vagues sur le lac. Des bandes de scarolite protégeaient leur poitrine, noires avec des taches vertes, comme de la malachite. Six d’entre eux vinrent vers lui dans une formation en tenaille, comme s’il avait fait quelque chose de mal. Le septième se détacha du reste et se tint, ruminant, au bord de l’eau. Peut-être envisageait-il de sauter et de poursuivre le homunculus.

    Carnifex se releva et testa prudemment sa jambe. Au moins, la cheville n’était pas foulée. Au bout de quelques pas prudents, elle pouvait supporter son poids. Encore quelques-uns et ce n’était plus qu’une faible douleur.

    Thumil se fraya un chemin à travers le cordon de Capes Noires.

    – Il est entré dans le lac ?

    Carnifex ravala la bile dans sa gorge et hocha la tête.

    – Je l’aurais bien poursuivi, mon gars, dit-il en ne se souciant plus des titres, mais...

    – C’est une bonne chose que vous n’en ayez rien fait, dit le Cape Noire au bord du lac en pivotant pour le regarder. Vous connaissez les règles.

    Carnifex les connaissait, mais il plissa tout de même les yeux en hochant la tête. Krypte ou non, il n’aimait pas le ton de cet enfoiré. Il lui fallut faire des efforts pour ne pas l’assommer.

    – Ouais, mon gars, je sais.

    Thumil posa une main sur l’épaule de Carnifex.

    – Viens mon ami. Allons nous laver avant de faire notre rapport.

    Le maréchal avança vers les Capes Noires avec une confiance découlant de son rang. À la grande surprise de Carnifex, ils s’écartèrent. Il serra les poings et suivit, bien plus prudent. Il avait entendu des choses concernant la Kryptie. Entendu qu’il ne fallait pas s’en faire des ennemis.

    Thumil le mena le long d’un canal et se dirigea vers les échelles de fer qui reliaient la ville inférieure aux niveaux supérieurs. Carnifex y alla en premier, voulant mettre une certaine distance entre lui et les Capes Noires, parce que s’il ne le faisait pas, ils pourraient bien essayer quelque chose, et il serait bien tenté d’essayer aussi quelque chose.

    Il posa sa main sur le premier barreau et la retira en vitesse. Elle était couverte d’une substance brune et visqueuse. Il était naturel de renifler, mais il aurait préféré ne pas l’avoir fait. Ça puait comme un scrotum ulcéré, ou pire, comme une pinte de mélange spécial Ventre de Fer.

    Thumil gloussa et prit l’échelle à côté.

    – Les gibunes ont aussi leurs besoins, comme nous tous, Fexy.

    Carnifex grogna et regarda autour de lui, cherchant quelque chose où essuyer sa main.

    – Très drôle, Thumil. Vraiment très drôle.

    Comme il ne trouva rien de mieux, il s’accroupit pour frotter sa main contre les pavés.

    Thumil était déjà à mi-chemin vers le niveau suivant. Il se courba en arrière, se tenant d’une main à l’échelle, et se mit à chanter le même chant paillard avec lequel il avait offensé tout le monde la nuit précédente au bar.

    Carnifex leva un sourcil. C’était une rare interlude dans la journée du maréchal qui s’arrêterait sans aucun doute au moment où il arriverait aux baraques afin de planifier ce qu’ils allaient dire au Conseil. Parce que ces vieux schnoques allaient vouloir les entendre à ce sujet, il aurait pu parier sa foutue hache là-dessus.

    D’ailleurs...

    – On a le temps de retourner au Scriptorium ?

    Il devait récupérer sa hache.

    – Pourquoi ? demanda Thumil. Tu veux lire quelque chose ? Pas sûr qu’ils aient ce que tu cherches. Et en plus, ça te rendra aveugle. Tu ferais mieux de rendre à nouveau visite à cette minette de la Brasserie de Rud Carey, celle qui t’a refilé la vérole.

    – C’était pas la vérole. C’était une réaction à la Ventre de Fer, punaise.

    – Ah, oui ? demanda Thumil en se repositionnant sur l’échelle. C’est ce qu’ils disent tous.

    Carnifex commença à monter la même échelle que le maréchal, mais prenant tout de même garde là où il mettait ses mains.

    – Et Thumil, tu te souviens ce que j’ai dit qu’il se passerait si tu m’appelais encore Fexy ?

    LE CONSEIL DES DOUZE

    ––––––––

    Les convocations arrivèrent bien plus vite qu’ils avaient pensé. Les Capes Noires grouillaient autour et dans le Scriptorium. L’un d’eux, un bon à rien maigrichon dans toute autre tenue et tout autre rôle, s’appuyait sur le manche de la hache de Carnifex comme si elle lui appartenait.

    – Baldar Kloon.

    Thumil le salua d’un hochement de tête sec, ce qui était sa façon de vous faire savoir que vous étiez une vermine ou une raclure.

    Carnifex ne pouvait dire si c’était l’un ou l’autre. Il savait juste que Kloon avait l’air d’un enfoiré qui tendrait une main pour vous saluer et vous poignarderait avec l’autre. Il aurait dit la même chose des Capes Noires en général, de ce qu’il avait vu et entendu, mais ce ne serait pas juste. Même dans la Kryptie, il devait bien avoir une once de décence, si on y regardait d’assez près.

    Thumil arracha la hache à Kloon et lui tapota l’épaule.

    – Brave gars. Merci.

    Le visage de Kloon se tordit dans un grognement. Il était assez vieux pour être le père de Carnifex, mais n’arrivait pas à la cheville d’un nain comme Droom, il était squelettique et pâle, comme s’il avait passé sa vie à fumer du somnificus. Thumil était plus âgé qu’eux deux et il appelait presque tout le monde « fiston ». Par contre, « brave gars », c’était presque une insulte.

    Kloon ouvrit la bouche pour répliquer, mais Thumil se détourna de lui et redonna sa hache à Carnifex.

    L’éclair de haine dans les yeux de Kloon ne passa pas inaperçu.

    Carnifex se pencha vers lui et afficha un large sourire.

    – Grand merci, mon gars.

    Au moins cette fois, le regard poignardant était pour lui. Il hocha la tête pour faire savoir à Kloon qu’il avait vu et accueillait le défi. Menacez-le, et il retiendra votre visage et surveillera ses arrières. Mais menacez Thumil, menacez un pote, et il vous explosera la tête.

    – Bien, dit Thumil, on va se rafraîchir, boire une pinte vite fait et on ira faire notre rapport.

    – Non, dit Kloon.

    Il y avait un grincement dans sa voix qui était absolument déplacé, comme s’il était un enfant rancunier se réjouissant de ce qu’il allait dire ensuite.

    – Le Dodécagone, maintenant. Vous avez été convoqués.

    – Ah ouais ? demanda Thumil.

    Il redressa les épaules, semblant soudain impérial avec sa cape rouge et son casque doré. C’était un art, la façon dont il enclenchait l’autorité en un rien de temps. C’était quelque chose que Carnifex avait essayé d’imiter, mais ça résultait toujours en intimidation.

    – Ouais, répondit Kloon en affichant un sourire serré.

    Les Capes Noires se rapprochèrent, venant de tous les côtés de la passerelle, une bonne douzaine.

    Carnifex regarda Thumil à la recherche de tout signe indiquant qu’ils résisteraient. Il resserra sa prise sur sa hache.

    – Je croyais que le Conseil était déjà au lit, dit Thumil. Ah,

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