Qui parlera du loup ?: La Nature et le symbolisme maçonnique
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Ne participe-t-elle pas, par ses valeurs et son symbolisme, à une vision dualiste du monde qui suppose que l'homme est extérieur à elle et qu'il en dispose à son gré ? Or cette vision dualiste héritée du judéo-christianisme et des Lumières est la source des idéologies politiques et de concepts philosophiques qui justifient le saccage de la planète.
Face à la catastrophe qui s'annonce, climatique et sociale, la Franc-Maçonnerie ne devrait-elle pas repenser certaines de ses valeurs et son symbolisme ?
La Franc-maçonnerie dispose des outils pour le faire. En parlant parfois "au nom du loup" dans le temple, elle participerait au réenchantement du monde.
Daniel Menschaert
Daniel Menschaert est diplômé en Anthropologie de l'Université Libre de Bruxelles. Il a mené une carrière d'enseignant en Sciences Humaines, puis de fonctionnaire au Ministère de la Culture. Il a terminé sa carrière en tant que diplomate. Tout au long de sa vie, il ne cessa de s'intéresser à l'Anthropologie. Il fut initié en 1982 dans une loge maçonnique de "L'Ordre Maçonnique mixte International le Droit Humain".
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Book preview
Qui parlera du loup ? - Daniel Menschaert
À Francis Tondeur, notre premier «Architecte»
Si, à notre époque, dans les « pays développés » - laissons, pour un instant cette expression sans commentaires -, l’humanité était en mesure de se mettre d’accord sur une seule proposition exprimant son état d’esprit, elle répéterait probablement le bon mot attribué à la marquise de Pompadour : « Après nous le déluge »¹.
1 Peter Slotherdijk, Après nous le déluge, Payot
Table des matières
Qui parlera au nom du loup ?
Les origines du mal
De l’anthropocentrisme à l’anthropomorphisme
Réenchanter le monde
La Franc-maçonnerie à l’heure de l’anthropocène
La Franc-maçonnerie actrice du réenchantement du monde
Retour aux sources
Bibliographie
Remerciements
Qui parlera au nom du loup ?
Chez les indiens Iroquois, le chef demandait avant de commencer chacune des réunions du Conseil de la tribu : « qui parlera au nom du loup ? » C’était une manière de rappeler qu’aucune décision ne pouvait être prise sans tenir compte des besoins nécessaires à la survie de toutes les espèces, animales et végétales avec lesquelles les indiens partageaient un territoire. Il fallait donc que quelqu’un s’exprime au nom de la nature. La question est révélatrice d’une conscience aigüe de l’interdépendance de toutes les espèces dans un écosystème donné.
Ce titre prend volontairement le contre-pied de la diabolisation du monde sauvage, et surtout du loup. Ce « prédateur » représente le mal dans les contes et légendes. Il fut longtemps le responsable désigné de tous les malheurs advenus au village, de toute mort inattendue dans la forêt avoisinant un hameau. Si ce n’était lui, ce devait être un loup garou c’est-à-dire un homme transformé en loup par Satan. Aujourd’hui encore dans les campagnes et les montagnes sa présence est crainte et dénoncée dès qu’un agneau est égorgé. Qui plaide sa cause alors qu’en général le loup ne s’attaque qu’aux animaux les plus faibles et que, sur son territoire, il œuvre au maintien d’un équilibre naturel. La vindicte populaire est généralement absurde car elle conduit à tuer indistinctement des individus d’une meute. Le loup symbolise la relation difficile de la nature domestiquée avec ce qui reste de nature sauvage, là où les deux s’entremêlent, où les limites sont floues. La haine et la peur qu’il suscite, la démesure des actes de vengeance qui conduit à tuer de nombreux loups innocents pour l’acte d’un seul, révèlent l’incapacité des hommes d’aujourd’hui d’imaginer des protocoles de négociation avec le monde sauvage quand ils partagent un territoire avec lui. Ce refus s’explique aussi par le fait que l’Homme ne supporte, ni la moindre concurrence dans l’appropriation d’un espace, ni le constat de l’existence évidente chez ces prédateurs d’une intelligence stratégique qui parfois se révèle supérieure à la sienne, lorsque ces animaux déjouent tous les stratagèmes mis en place pour les éloigner. Rien n’est plus faux que ce que sous-entend l’expression l’homme est un loup pour l’homme, s’agissant des loups bien sûr. En ce qui concerne l’homme, c’est tout autre chose. Il est devenu inconcevable pour l’Homme de se considérer lui-même comme une proie potentielle. Mais d’où l’homme tient-il une légitimité qui l’autoriserait à considérer qu’il est bénéficiaire de tout ce qui vit, qu’il est le dernier maillon de la chaîne alimentaire, ce qui lui donnerait un droit absolu de vie et de mort sur un territoire, interdisant de facto à tout autre espèce le droit de remettre en cause cette suprématie ? La réponse à cette question se trouve-t-elle dans la source culturelle, religieuse et philosophique de la société occidentale ?
Dans mon livre précédent « Errances initiatiques entre Anthropologie et Franc-Maçonnerie » j’essayais de savoir comment les événements de la vie, les études nous façonnent et constituent en fait nos premières expériences initiatiques. Je voulais répondre à une double question « Qui suis-je ? » et « Qu’est-ce qu’un être humain ? » par le biais du regard anthropologique et du regard maçonnique. Mon vœu était, et est encore, que cela conduise à retrouver une « humanité foncière » qui relie les hommes à l’ensemble du Vivant.
J’interpelais en particulier les maçons à propos des responsabilités qu’ils devraient prendre, selon moi, dans un monde qui change dramatiquement. J’amorçais ainsi une réflexion sur la conception de l’humanisme. À la suite de la publication de ce livre, je fus à de nombreuses reprises invité dans des ateliers maçonniques pour débattre de ces questions. Les débats qui suivirent ces présentations enrichirent ma réflexion et m’incitèrent à l’approfondir à propos notamment de la participation de la Franc-maçonnerie au débat sur la vision dualiste du monde, vision qui sépare l’homme de la nature et qui est héritée d’une tradition judéo-chrétienne, consolidée et rationalisée par les Lumières. Il fallait que j’aille plus loin dans la réflexion sur cet héritage judéo-chrétien et en même temps rationaliste de la Franc-maçonnerie. En étudiant plus profondément le symbolisme maçonnique et ses interprétations j’ai dû me rendre à l’évidence que, contrairement à mes premières impressions, la vraie nature, pas celle des champs et de nos jardins, n’y a guère de place. La nature n’y est pas célébrée pour elle-même mais toujours en relation avec l’homme et ses œuvres. Une conception de la Raison, parfois trop scientiste et souvent ignorante d’autres visions du monde, laissant peu de place à l’instinct, aux émotions et aux sens, est l’épine dorsale de cette vision restreinte de la nature. Notre civilisation n’est d’ailleurs pas si rationnelle que cela pas plus que ne le sont des hommes dont l’intelligence, la puissance, les droits et le pouvoir sont surévalués. L’Histoire de notre propre continent nous offre assez de contre-exemples. J’en suis donc arrivé à conclure que la tradition maçonnique s’inscrivait totalement dans la vision anthropocentrique et anthropomorphique du monde.
Or, je pense que pour sauver l’humanité il faut sortir de cet anthropocentrisme et tisser d’autres liens avec le reste du vivant en reconnaissant à ce dernier des capacités de communication et de pensée qui lui donnerait accès à l’Humanité, un privilège réservé jusqu’à ce jour aux seuls Hommes. Il s’agit donc de renverser la logique de « l’hégémonie culturelle » qui nous conditionne depuis des siècles et à laquelle participe la Franc-maçonnerie. Car c’est bien autour de l’hégémonie culturelle qu’aura lieu la « mère de toutes les batailles » pour sauver l’humanité. Je ne fais guère confiance aux partis politiques pour mener cette bataille. La politique telle que nous la connaissons se résume à la propension à ne gérer qu’en fonction de l’humeur du moment des électeurs. Le « la » de la gestion de la société est le discours sur la modernité, sans alternative possible, tenu par les forces économiques et financières qui dominent le monde. Faire de la politique c’est donc désormais gérer « ici et