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La guerre spirituelle
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Ebook566 pages8 hours

La guerre spirituelle

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About this ebook

Les armes et les bombes sont des jouets pour enfants.

Une véritable guerre est lancée, et vous y êtes invité.

C’EST UNE INVITATION que vous pouvez accepter ou décliner. C’est une invitation à mener une guerre à nulle autre pareille ; une guerre où la perte compte comme un gain, le renoncement comme la victoire, et où l’ennemi que vous devez affronter – un ennemi d’une supériorité inimaginable – est vous-même.

Dans La guerre spirituelle, la métaphore de la guerre apparaît rarement. Le livre nous expose plutôt la réalité vivante d’une femme très normale – une épouse et une mère à la carrière exigeante et au style de vie effréné – et ce qui se produit lorsqu’elle reçoit une invitation qu’elle ne peut refuser, bien malgré elle. Et nous rencontrons une autre femme, une femme qui a accepté cette invitation, s’est battue et a gagné. Lors des derniers chapitres de ce livre, nous participons à son eulogie, prononcée par Jed.

La guerre spirituelle livre une accusation accablante et irréfutable de son propre public et de son propre genre, mettant en examen la spiritualité et la religion. Un crime terrible a été commis contre l’humanité, un crime d’oppression et d’assujetissement dépassant de loin 1984 d’Orwell. Nous sommes les victimes de ce crime, mais aussi ses auteurs. Notre motif est la peur, notre pêché l’ignorance, et les chaînes avec lesquelles nous nous asservissons sont nos croyances.

« Croire signifie refuser de savoir ce qui est vrai. »
-Friedrich Nietzsche

La guerre spirituelle est un livre destiné à ceux qui veulent savoir ; à ceux qui veulent échapper à leur asile sombre et expérimenter une spiritualité directe et authentique ; à ceux pour qui il est temps de voir, de penser, de savoir, et, enfin, de laisser tomber leurs jouets.

LanguageFrançais
PublisherBadPress
Release dateMar 20, 2018
ISBN9781547521029
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    La guerre spirituelle - Jed McKenna

    Photo de couverture : Champignon atomique, photographie du département de l’Énergie des États-Unis. XX-33 ROMEO : 11 mégatonnes. Lancé à proximité de l’atoll Bikini le 26 mars 1954.

    ––––––––

    « Me voilà devenu la Mort, le destructeur des mondes. »

    Paroles prononcées par Robert Oppenheimer, rappelant celles prononcées par Krishna le Bienheureux dans la Bhagavad-Gita, en témoignant du premier essai de sa bombe atomique.

    *     *     *

    Ce livre est dédié à

    Ken Kesey

    *     *     *

    Table des matières

    L’Évangile de la Vérité

    Grands moments de l’histoire de l’éveil

    Dans un temps sans temps, dans un espace sans espace

    Toute la vérité

    Un bref récapitulatif

    Un bref aperçu

    Vivre le rêve

    Imago

    Utopie

    Dystopie

    Myopie

    Big Mac Attack

    Cette phrase est fausse

    Tout est vérité

    Au royaume des aveugles

    Destinée manifeste

    Acteur sans rôle

    Ignare lettré

    Dissonance spirituelle

    Le ministère de l’éveil

    Superpouvoirs ordinaires

    Le pouvoir de la prière

    Le meilleur des mondes possibles

    Les trois piliers de l’illusion

    Les gens alternatifs

    Carnavalesque

    Gestation postutérine

    Casus belli

    Vivre libre ou mourir

    Épitaphe pour une amie

    Caquetage de canard

    Dompteur de démon

    Memento mori

    Être, ou ne pas être

    Le tabou suprême

    Ce qui ne pourrait être plus simple

    Épilogue

    Bibliographie

    Je témoigne

    Le nouveau monde

    La porte d’or

    Idiots visionnaires

    Néant éternel – Un fantasme post-apocalyptique

    Wisefool Press

    *     *     *

    L’Évangile de la Vérité

    Chapitre 1

    Regarde ! Moi qui suis ton frère et qui participe à l’affliction, je te parle à toi en ce jour, ton jugement dernier. Je marche devant toi. Je te précède dans ta nuit noire.

    2 Je te parle de paroles d’affliction et d’infortune, car j’ai été rebelle. Mon esprit est celui qui ne cause ni n’est causé, et comme le mien, le tien aussi.

    3 Oh toi la mer, qu’est-ce qui t’a fait souffrir pour ainsi revenir ? Et toi montagne, pour trembler comme un agneau ? Et toi soleil, pour fuir ainsi le ciel ?

    4 Je déclare aux enfants qu’ils peuvent devenir hommes et aux villes qu’elles peuvent produire un homme nouveau, car les villes sont dépourvues d’hommes et les nations ne produisent aucun signe.

    5 Regarde ! Le fils unique d’un fils engendre un fils, et ainsi le vengeur, le tueur du tueur, jaillira des bornes de la ville pour que le destructeur soit détruit et qu’un homme nouveau puisse jaillir, et que l’homme nouveau puisse être toi.

    6 Tes Prophètes t’ont prédit des choses vaines et frivoles, et ils n’ont point découvert ton iniquité pour détourner ta captivité ; mais ils t’ont prédit des charges vaines, et propres à te faire chasser.

    7 Réjouis-toi ! La nuit noire vient, mais le matin viendra aussi. Tu gouverneras le monde entier, même s’il n’y a pas de monde à gouverner. Car ce qui a été donné n’a pas été donné, et ce qui a été pris est pris.

    8 Ta détresse m’est connue : tu connais une grande tristesse et un continuel tourment en ton cœur, tes entrailles bouillonnent, et personne n’est là pour te réconforter. Aucune congrégation ne t’honore, aucun juge ne te juge.

    9 Tu aimes le mal plus que le bien, le mensonge plus que la parole de justice. Tu aimes toutes les paroles de destruction. Aussi la vérité te détruira pour toujours ; te saisira et t’arrachera de ta tente, et te déracinera de la terre des vivants.

    10 Regarde ! Je suis ton ami et j’en ai après toi, et je tirerai mon épée de son fourreau, et je retrancherai du milieu de toi le juste et le méchant. Et la nation gémira et la ville fermera ses portes contre toi et te laissera abandonné dans une contrée sauvage.

    11 Voilà ! Tes jours de saleté sont comptés et tes jours de controverse sont comptés et tes jours dans la ville inassiégée sont comptés. Des douleurs de la misère je te délivrerai, aux chagrins de l’enfer tu es promis. Meurs, et je serai généreux avec toi.

    Chapitre 2

    En vérité ! Tu ne prêteras pas attention aux tromperies du Trompeur Intrinsèque et tu le lapideras avec des pierres jusqu’à la mort, car lui et toi sont un et qu’un soit tué, les deux seront tués. N’aie point de complaisance pour lui, ne l’écoute point, que ton œil ne l’épargne point, ne lui fais point de grâce, et ne le cache point. Mais tu ne manqueras point de le faire mourir ; ta main sera la première sur lui pour le mettre à mort. N’épargne pas ton épée, car il a péché contre toi et t’a piétiné.

    2 Regarde ! Tes pas ne laisseront aucune marque et ton souffle ne créera aucune vague. Ce que ta main a souillé restera pur et ce qui sera retranché par ton épée restera entier, car le vent qui emporte la nuit ne laisse aucune marque sur le jour.

    3 Je t’appelle hors de la ville de ton refuge, je t’appelle pour être meurtrier et être mis à mort. Je pousse les pauvres à la poussière et pousse les princes à la poussière car dans la poussière et le fumier doit cette bataille être livrée. Mais fais confiance à la vérité, car le sage a dit que la vérité est justesse et que les mensonges du trompeur sont péchés.

    4 Car regarde ! Le péché te séduira, et la paresse fait tomber dans un profond sommeil. Vers le pain et l’eau et la chair tu seras tenté, mais tu ne trouveras aucune faveur, et il adviendra que le sacré deviendra impie, et que le favori deviendra infavori, et que le familier deviendra inconnu.

    5 Car les tromperies du serpent t’ont ruiné et tes voies sont les voies de la chair pourrie et de la ville déchue et du roi banni.

    6 Et cela arrivera, quand je te dirai, pourquoi gémis-tu ? alors tu répondras, parce qu’il arrive une nouvelle : tous les cœurs s’alarmeront, toutes les mains deviendront faibles, tous les genoux se fondront en eau ; voici, elle arrive, elle est là !

    7 Ne laisse aucun homme te tromper avec des paroles vaines ; car à cause de ces choses viennent les tromperies de la bête sur les fils de l’ombre. N’aie pas peur de la peur ou de la désolation de l’inique car le fruit de la vérité consiste en toute sorte de bonté et de justice. Réveille-toi, toi qui dors, relève-toi d’entre les morts.

    Chapitre 3

    Et vois, et regarde, même dans la mort, la vérité est ton pays, ta nation, ton droit de sang, même si elle t’est étrange et inconnue.

    2 Et là tu te souviendras de tes voies, et de toutes tes actions, par lesquelles tu t’es souillé ; et tu te déplairas en toi-même de tous tes maux et transgressions que tu auras commis.

    3 Réveille-toi, oh captif exil ! Trouve ta force et secoue ta poussière. Où est la furie des oppressés ? N’es-tu pas celui qui a blessé le dragon ? Désolation et destruction et flamme et épée sont ton chemin et ta voie.

    4 Et donc, toi fils d’homme, prophétise, et frappe d’une main contre l’autre, et que ton épée soit redoublée pour la troisième fois, l’épée des tués ; Ah ! elle est faite pour briller et réservée pour tuer. Pose la pointe de ton épée contre ses portes et que ses ruines soient multipliées.

    5 Car l’Adversaire a étendu sa main sur toi et t’a affligé, et maintenant tu dois te lever dans ta colère avec épée et avec feu. Ouvre ton armurerie et amène les armes de ton indignation. Viens contre l’Intrinsèque des confins de la terre, ouvre ses granges, foule-le comme des javelles ; détruis-le à la façon de l’interdit, et qu’il n’en reste rien.

    6 Et le vengeur du sang mettra à mort le meurtrier ; quand il le rencontrera, il le tuera. Ainsi la bête mourra et le meurtrier sera racheté. Ainsi le meurtrier sera mis à mort et tu deviendras le vengeur du sang. Ainsi l’agneau dévorera le lion, et la bête fumera sur l’autel pour une offrande faite par le feu.

    7 Toi qui attises un feu, marche dans la lumière du feu que tu as attisé. Et les cieux s’évanouiront comme une fumée, la terre deviendra souillure et s’éloignera de toi.

    8 Et maintenant que tu as connu la lumière, comment retournes-tu encore à ces faibles et misérables éléments, auxquels tu veux encore t’asservir comme auparavant ? Tiens-toi donc ferme, et ne te soumets plus au joug de la servitude. Sois tel que moi ; car je suis comme tu es.

    9 Tu es déjà rassasié, tu es déjà enrichi. Maintenant tu vas régner comme un Roi sur toute la terre inhabitée, car nous sommes des fous pour la vérité, mais des sages en vérité.

    10 En vérité ! En vérité, je te dis : vraiment, vraiment, vraiment ;

    11 La vie n’est qu’un rêve charmant.

    *     *     *

    En vérité, l’éveil total ne m’a permis de rien réaliser.

    Bouddha

    Grands moments de l’histoire de l’éveil

    Lorsque nous nous rappelons que nous sommes tous fous, les mystères disparaissent et la vie s’explique d’elle-même.

    Mark Twain

    ––––––––

    Combien de livres spirituels s’ouvrent sur une scène de poursuite ? Et combien commencent par le mec éveillé écrivant le livre se faisant poursuivre par des flics ?

    Je retournais ces questions dans ma tête en regardant d’autres voitures de police rejoindre la course-poursuite. Derrière moi, quelques véhicules de patrouille parcouraient lentement les rues sombres du quartier, inspectant les maisons et petits jardins à l’aide de leurs projecteurs.

    C’était la saison morte, et je séjournais dans un lieu de villégiature de la Nouvelle-Angleterre. La ville comportait deux hôtels et leurs marinas, des restaurants, des bars, des piscines, des parcours de golf et tout le toutim. Quelques pistes de skis étaient ouvertes à une trentaine de kilomètres de là, mais n’attiraient pas les foules en hiver. Cela dit, nous étions presque en avril, la météo était plus clémente et elles étaient fermées pour la saison. La ville comportait pas mal de bars et les flics locaux s’occupaient en grande partie de gérer les incidents liés à l’alcool et aux chauffeurs ivres.

    J’étais suffisamment près de leur poste avancé pour entendre environ la moitié de la conversation des flics au sujet de tout ce drame, qui avait commencé presqu’une heure plus tôt. Je pouvais parfois entendre ce qu’ils racontaient dans leurs radios, mais pas les réponses brouillées. Cette ambiance de fausse urgence semblait les dérouter. Les urgences en tout genre devaient être une nouveauté par ici. Je doutais qu’un seul des flics locaux ait dégainé son arme en service. Ils servaient plutôt de corps de sécurité pour les hôtels et les centaines de maisons et domaines de vacance disséminés sur les collines entourant le lac.

    Ils ne trouveraient rien sur moi ; pas de montre, pas de portefeuille, pas d’argent. J’étais simplement sorti me promener et n’avais rien dans mes poches. Ne verrouillant pas ma maison de location, je n’avais pas emporté la clé.

    J’aime louer des maisons dans des stations touristiques en saison morte. Cet arrangement offre le meilleur de tout : prix bas et peu de gens. Ce n’est pas la saison du jet-ski ou de la voile, mais le divertissement ne m’intéresse pas plus que ça. Je suis toujours bien tombé en optant pour les stations de ski en été et les stations balnéaires en hiver, et c’était ce que je faisais ici. Depuis trois mois, je louais une superbe maison qui m’aurait coûté huit fois plus en saison. Quelques voisins, trafic léger, peu d’enfants et de chiens, le plein de calme et d’intimité. Dans la ville endormie située à quelques minutes à pied, quelques bons restaurants étaient ouverts sans être bondés. Une ville universitaire de taille moyenne se trouvait à une heure de route, au cas où j’avais besoin de quelque chose d’introuvable dans cette petite ville. Ma location expirait dans deux jours, après quoi je rassemblerais toutes mes affaires dans un sac à dos et une housse à vêtements pour poursuivre ma route. Une jeune fille venait nettoyer deux fois par semaine, donc je ne devais même pas m’inquiéter de ça.

    Donc tout était pour le mieux, aucune raison de me plaindre. Ma destination suivante dépendrait d’un simple coup de tête. Je détenais un passeport et une invitation très intéressante pour le Mexique, mais je pouvais me rendre n’importe où dans le monde et y rester quelques mois. Je n’avais pas encore décidé où.

    Et voici où je me trouvais à présent, assis dans le noir, adossé à un arbre sur la colline du parc de la ville, observant les flics s’affairer nerveusement. Ils étaient rassemblés dans le parking où toute cette histoire avait commencé, étudiant des plans, tentant de déterminer qui ils pourchassaient et pourquoi. Ils n’avaient de réponse à aucune de ces questions.

    C’était un jeudi soir. Un vendredi, plutôt, puisqu’il devait être à peu près une heure du matin. J’étais sorti me promener tard, comme de nombreuses autres promenades lors de nombreuses autres nuits. En général, je descendais vers la marina, longeais une plage de sable, puis sautais par-dessus une barrière pour déambuler dans la ville endormie, faisant du lèche-vitrine dans les rues désertes, puis dans les quartiers résidentiels, en évitant les maisons où des chiens aboyaient et des détecteurs de mouvement s’allumaient. Ensuite, je redescendais jusqu’au sentier en bord de lac, qui me ramenait à mon quartier et à la maison que je louais. Tout près se trouvait un bar populaire, puis une section de route en bord de lac avec des débarcadères et abris à bateaux, et enfin le parking et un petit champ.

    Alors que je traversais le champ, je tombai sur deux jeunes gens, debout sur la passerelle qui reliait le parking au sentier longeant le lac. Ils étaient en train de fumer un joint et se redressèrent légèrement à mon approche. Je fis un signe de la main en passant. « Je ne fais que passer, les gars », leur dis-je, et ils se détendirent. Puis ils se crispèrent à nouveau. Je me retournai pour voir pourquoi. Deux véhicules de patrouille étaient apparus à une cinquantaine de mètres de là, se dirigeant dans notre direction.

    « Merde ! Bazarde-le », s’exclama un des défoncés.

    Les deux flics étaient à présent sortis de leurs voitures et trottinaient vers nous, les faisceaux de leurs lampes balayant les alentours. Pris d’un éclair d’inspiration qui est la marque de fabrique du maître éveillé, je poussai un cri perçant digne d’une fille et m’enfuis.

    Ce n’était pas planifié, ça me paraissait juste marrant. J’imaginais vraiment qu’ils me rattraperaient en moins de cinquante foulées et que ça en finirait là. J’imaginais pouvoir savourer le goût de la liberté trente secondes de plus avant qu’un poulet essoufflé et pas du tout amusé me fasse mordre la poussière. J’étais juste sorti me balader, je n’avais pas de casier judiciaire, et il n’y avait rien dans mes poches ou dans mon corps ; ils se contenteraient de me traiter de connard et me laisseraient m’en aller. Je doute d’avoir eu les pensées aussi claires, mais c’était ce que j’imaginais. Mais les choses ne se passèrent pas comme ça. Personne ne me pourchassa. Du moins, pas encore.

    Je grimpai les marches du parc mémorial au pas de course. Un peu déçu de voir que personne ne me pourchassait, je jetai un coup d’œil en arrière pour voir ce qui se passait plus bas. Une troisième voiture de police était arrivée. Ils avaient coincé les ados et leur parlaient avec animation, pointant du doigt l’escalier que je venais d’emprunter et la zone d’où j’étais en train de les observer. Peut-être étaient-ils toujours intéressés par la poursuite ! Je décidai que c’était effectivement le cas lorsque deux d’entre eux retraversèrent la passerelle en direction des marches, balayant leurs lampes-torches pour fouiller les lieux. Il était temps de décamper.

    Je rejoignis la route et me mis à courir vers ma maison. Mais en chemin, je décidai de faire le malin et de rigoler un peu. Curieux de savoir jusqu’où ils iraient pour me retrouver, je fis demi-tour derrière une haie, dans une allée de garage en retrait. Un monospace était garé dans l’allée, donc j’utilisai le pare-chocs et un muret de pierre pour atteindre le toit plat du garage. Je le traversai, fis le mur par-dessus un grillage d’un mètre vingt et grimpai sur la terrasse latérale d’une autre maison. Tout le quartier était nivelé à partir du lac, deux rangées de maisons, une rue étroite, puis deux autres rangées de maisons et ainsi de suite. Les garages et abris de jardin étaient bas et plats, et les arbres rares afin d’offrir une vue dégagée sur le lac. Les bâtiments et barrières en bois étaient tous peints en blanc et brillaient au clair de lune. Me retrouvant une rue et trois rangées de maisons au-dessus du lac, je m’arrêtai pour voir ce qui se passait. À ce stade, je pensais que les flics seraient sur mes traces, et que le jeu, si c’en était un, serait terminé. Je serais bien incapable de leur expliquer mes singeries puériles. Ils me menaceraient sans doute avec une évaluation psychiatrique, me donneraient un avertissement sévère, et nous continuerions tous nos vies. Cependant, les flics étaient toujours près du lac, à fouiller les buissons et hangars à bateaux avec leurs lampes-torches. Ils n’étaient nulle part.

    La partie est finie, pensai-je, un peu déçu. Je n’avais pas vraiment cherché à m’en sortir impunément et ignorais quoi faire de cette liberté. Je pouvais rejoindre la maison de location en trois minutes. Mais à la place, je fis demi-tour, en direction de la ville, et suivis une grand-rue descendant jusqu’à la rive du lac. Soudain, au détour d’un virage menant à un point de vue, des phares m’aveuglèrent et une voix amplifiée aboya un ordre incompréhensible, bien que je pense qu’elle m’ait suggéré de ne pas bouger.

    Et donc, je m’enfuis. Que voulez-vous que je vous dise ? Les phares m’avaient surpris, je pensais que toute cette mascarade était terminée, et franchement, je m’ennuyais un peu dernièrement. En recourant à mon seul superpouvoir, la pesanteur, je filai vers le bas de la rue, entrai dans une petite allée de garage, traversai un jardin, sautai par-dessus un mur de soutènement, longeai un grillage, traversai une terrasse, la rue, puis, pour faire le malin, remontai la colline, longeai une autre rue, les haies de plusieurs maisons, remontai une allée, contournai une maison, escaladai une barrière basse, traversai un jardin abandonné, une autre rue, avant de m’appuyer sur la balançoire à pneu d’un gosse pour haleter comme un chien pendant quelques minutes.

    Techniquement, je n’avais toujours rien fait de mal. Aucun officier de police ne m’avait ordonné de m’arrêter. La voiture aux phares avait certainement hurlé quelque chose, du moins je le pensais, mais je ne pouvais voir si c’étaient des flics ou pas en raison des phares aveuglants. Je doutais que quiconque soit impressionné par mes justifications à Mayberry-on-the-Lake, mais ça m’amusait de penser que j’étais la victime dans tout ça, un homme innocent, accusé à tort, poussé à mordre la poussière, harcelé sans pitié par M. Poulet.

    Tout ceci mène quelque part, par ailleurs.

    Je pouvais entendre l’agitation ; des voix, des voitures, les parasites intermittents de radios, mais je n’avais pas la moindre idée de ce qui se passait. J’étais très surpris qu’une voiture ait été stationnée, tapie pour m’attendre. J’avais pensé que la course-poursuite était terminée, et eux avaient installé une souricière. Je me demandais combien de flics étaient impliqués. J’aurais été surpris que la ville dispose de plus de six voitures de police, et que plus d’une ou deux patrouillent les rues un jeudi soir. Étais-je simplement tombé sur la seule à l’affût du coureur mystère, ou y en avait-il d’autres ? J’étais suffisamment proche de la maison de location pour traverser quelques rues et jardins et me faire couler un bain en moins de cinq minutes, mais je trouvais que la fin laissait un peu à désirer.

    Le jardin où j’étais en train de jouer au ninja était doté d’une jolie cabane dans un arbre. Je testai l’échelle de planches clouées et grimpai jusqu’à la plateforme la plus basse, où je me tapis. Entendant le gravier crisser, je vis une voiture de patrouille, phares éteints, rouler au ralenti, vitres baissées, écoutant et observant. J’eus l’idée de faire diversion en jetant-quelque-chose-dans-l’autre-direction-pour-embrouiller-mes-poursuivants, mais je ne m’y laisserais pas prendre et je pensais qu’eux non plus. Cela dit, le flic n’utilisait même pas son projecteur, se contentant d’avancer au ralenti et de tendre l’oreille.

    Grâce à mes nombreuses promenades nocturnes, je connaissais bien les environs. Je savais quelles maisons avaient des détecteurs de mouvements et lesquelles avaient de belles vues. Je n’étais qu’à quelques centaines de mètres d’une grande maison offrant les meilleures vues sur le quartier, le lac et la ville de sa terrasse principale. Je sautai de l’arbre, traversai le jardin au pas de course, puis empruntai la rue principale qui venait du centre et se ramifiait dans toutes les rues du quartier, jusqu’à atteindre la maison avec vue. À la porte arrière proche de l’allée de garage, j’escaladai un escalier métallique hélicoïdal jusqu’à la terrasse et m’accroupis derrière la rambarde pour voir ce qu’il y avait à voir.

    Je pus voir une voiture de police avancer dans la rue sans un bruit, et une autre garée à l’endroit où le sentier en bord de lac s’éloignait des maisons de vacances et longeait les domaines plus chics, bloquant cette issue. Près du parking où les flics s’étaient initialement regroupés, je pus voir des reflets lumineux et métalliques au travers des arbres, mais rien de spécifique. C’est à ce moment que la pensée que je ne savais pas du tout ce que j’étais en train de faire me frappa, assez tardivement. Je m’allongeai dans une chaise longue en teck, confortable même sans coussin, et réfléchis à l’absurdité de ma situation. J’en ris, observai les étoiles et laissai un profond sentiment de contentement me submerger. « C’est ma vie, pensai-je. Je parle et j’écris sur l’éveil spirituel, je voyage et je vis dans des endroits intéressants, je fuis les flics et j’entre par effraction sur des terrasses pour observer des millions d’étoiles. C’est ma vie et elle est loufoque et charmante, et c’est la meilleure vie que quiconque puisse avoir. »

    Je restai là pendant quinze minutes, somnolant peut-être à moitié ; contenté, amusé. Cette nuit m’avait bien fait marrer, une note finale agréable puisque je quitterais bientôt la région. Je décidai de rentrer à la maison, de prendre une douche et d’aller me coucher. Je me relevai et m’étirai, agréablement rafraîchi et impatient de rentrer me réchauffer, quand un projecteur m’éclaira, puis vacilla un peu avant de se verrouiller sur moi.

    « Imbéciles, pensa mon esprit somnolent, ne savent-ils pas qu’on a fini de jouer ? Je veux juste rentrer chez moi, maintenant. C’est fini. Merci pour la rigolade, les gars. »

    Mais apparemment, ils l’ignoraient. Ils pensaient apparemment que nous jouions toujours et ne semblaient pas vraiment trouver le jeu très amusant. En réalité, ils semblaient assez sérieux. Des ordres et des jurons fusèrent. Mon état délicat d’harmonie intérieure fut perturbé et la poursuite fut poursuivie.

    Je m’élançai sur la terrasse qui contournait la maison, traversai un petit jardin, crapahutai par-dessus un mur de soutènement menant à la rue la plus élevée. Dans la rue, je m’arrêtai et tendis l’oreille. Pour me suivre, la voiture de police devait soit faire demi-tour, soit emprunter un itinéraire plus long jusqu’au virage en épingle à cheveux, et monter dans la rue où je me trouvais. Quoi qu’il en soit, ils allaient venir vers moi, donc je rebroussai chemin, retraversai la terrasse et redescendis l’escalier en colimaçon où j’étais très exposé. Ma veste était beige clair et brillait presque au clair de lune, donc je l’ôtai et la fourrai dans une haie longeant la rue, où je pourrais venir la rechercher le jour suivant, si celui-ci se levait.

    Je pouvais à présent entendre du bavardage radio, et voir et entendre d’autres voitures s’approcher de la zone. Je me rendis compte que les radios appartenaient aux patrouilleurs à pied. Je scrutai l’obscurité et pus voir des faisceaux de torches, trop proches à mon goût.

    Je courus dans la rue en longeant les haies et allées de garage. M’enfuir en courant ne m’amusait pas trop et n’était pas un plan raisonnable, donc je m’arrêtai et considérai mes choix. J’étais à présent coupé de ma maison, donc le plan du bain et du lit n’était plus une option. Je pouvais simplement cesser de jouer ; m’asseoir, les attendre et espérer rentrer dans mon lit douillet avant le lever du soleil. Je restai planté là pour passer en revue mes options dans ma tête, attendant que la justesse se fasse connaître. Quand un des flics en patrouille apparut au tournant à une vingtaine de mètres de moi, la justesse se fit connaître.

    Il ne m’avait pas vu, donc je reculai sur la pointe des pieds dans une allée et grimpai l’escalier latéral d’un garage d’une voiture, jusqu’à un toit plat recouvert de goudron et de graviers fins. Un muret de trente centimètres entourait le périmètre, donc je pus m’étaler à plat-ventre pour observer l’activité en contrebas. Le flic apparut, agitant sa lampe-torche de gauche à droite, éclairant les allées, sous les buissons et dans les arbres. La radio émettait des paroles à peine audibles mais je pus distinguer le mot « comté » et m’inquiétai. Il me vint à l’esprit qu’ils réveillaient des poulets locaux et appelaient les flics du comté à cause de moi. Ça me semblait un peu exagéré, mais on ne m’avait pas consulté.

    J’aimais bien mon petit perchoir de garage, mais étant clairement exposé du dessus et de l’arrière, je ne pouvais pas rester. Quand le flic m’eut dépassé, je redescendis et le suivis. Ça me semblait être une bonne idée jusqu’à ce que, ne réalisant pas qu’il s’était arrêté, je m’approchai trop près et fis crisser les graviers. Il tourna sa lampe-torche dans ma direction, aboya un ordre et une fois de plus, je déguerpis. Je traversai une haie, longeai une maison puis le mur de soutènement entre deux maisons. Le poulet m’éclaira de son faisceau à dix mètres de là, donc je plongeai dans la rue suivante et en sortis au sommet d’un toboggan en bois de soixante mètres de long, qui permettait de glisser jusqu’au lac quand il était gelé et était pourvu d’un escalier parallèle pour pouvoir remonter. Me demandant quelle voie emprunter, je trouvai l’inspiration sur l’autocollant de pare-chocs d’une voiture proche. « Que ferait Jésus ? » demandait-il, et la réponse me frappa en un éclair. Il saisirait le couvercle d’une poubelle proche et descendrait le toboggan en bois jusqu’au lac et puis la liberté. Cela dit, Jésus aurait probablement une bien meilleure couverture médicale que la mienne.

    À la place, je retournai vers la colline et le parc pour observer les évènements et décider quoi faire. J’y arrivai sans encombre et m’installai au pied d’un arbre surplombant la scène, pour reprendre mon souffle.

    Vous pensez sans doute qu’un maître éveillé est censé être l’incarnation de l’aplomb et de la sérénité, un être d’assurance exquise et d’élégance subtile, rayonnant d’amour et de compassion, respirant le calme et l’imperturbabilité, un être transcendant qui vit sans être touché par les défis mesquins et vexations du quotidien. C’était également ce que je pensais en m’adossant contre l’arbre tout en contemplant l’absurdité de ma situation.

    « Eh bien, ça ne me semble pas très éveillé », marmonnai-je.

    ~~~~~~~~~~~~~

    Quand j’ignore quoi faire, je ne fais rien, et c’est donc ce que je fis. Je restai assis là sans bouger, ne faisant aucun effort particulier pour me cacher ou continuer le jeu.

    Toute cette aventure avait commencé environ une heure plus tôt. Quatre véhicules de police étaient stationnés dans le parking ; d’autres allaient et venaient. Le canton était à présent sur place, et je les avais entendu parler d’appeler les forces de l’état, mais ils hésitaient apparemment à faire toute une histoire de cette situation sans savoir après qui ils en avaient et pourquoi.

    J’étais curieux et un peu attristé de voir que les flics ne s’amusaient pas. Je suis conscient d’être ridiculement ignorant en ce qui concerne les gens, mais je ne comprenais pas pourquoi ils semblaient si bouleversés. C’était une nuit magnifique ; étoilée, clair de lune, une petite brise rafraîchissante soufflant dans l’air. Ils étaient là à faire des trucs de flics ; traquant des rues sombres avec des lampes-torches et des armes, cherchant un mystérieux malfaiteur, jouant avec des cartes et des micros, organisant leurs quadrillages. Une véritable chasse à l’homme. Un changement agréable du train-train des bagarreurs de bars et conducteurs ivres. J’avais du mal à comprendre ce qui les dérangeait dans toute cette histoire, mais comme je l’ai dit, je ne comprends pas vraiment les gens. Et ils ne semblaient pas amusés.

    Après quelques minutes d’observation et de réflexion, je réalisai que j’en avais assez et interrogeai silencieusement l’univers pour savoir ce que je devais faire. La réponse fusa clairement et immédiatement. J’entendis le flic haut-gradé du comté décider qu’il était temps d’amener les chiens. Un des hommes s’éloigna pour transmettre l’ordre radio. J’avais obtenu ma réponse. Je n’avais aucun intérêt à aggraver les choses, donc je me relevai, m’époussetai, et descendis la colline pour me présenter.

    « Salut les gars, dis-je en interrompant leur rassemblement tactique, je pense être celui que vous cherchez. »

    Soudain, des armes. Beaucoup d’armes.

    Je reçus l’ordre de poser mes mains sur le capot du véhicule de police le plus proche. Un flic de la quarantaine en surpoids avec des galons de sergent apparut à ma droite, leva son flingue à trente centimètres de ma tête et déclara avec une sincérité troublante : « Tu peux me croire, enfoiré. Si tu bouges d’un putain de centimètre, je ferai sauter ta putain de cervelle. »

    On ne reçoit pas tous les jours des invitations pareilles.

    Et le plus drôle, c’est que je n’ai pas bougé. En fait, c’est la partie que je trouve la plus intéressante et la plus digne d’être racontée dans toute cette histoire. L’envie irrépressible de bouger était certes présente. Je ne parvins pas à étouffer l’éclat de rire qui jaillit de ma gorge, mais je parvins à réprimer le mouvement. Je n’éclatai pas de rire à cause du flic ou du mélodrame ou de l’absurdité, j’éclatai de rire parce que c’était, contre toute attente mais très clairement, la sortie. Pas d’esbroufe, pas de soucis, moins d’efforts qu’il n’en faut pour appuyer sur un interrupteur. Il m’aurait suffi de tourner la tête et de hurler Bouh ! et une fin délicieusement amusante et indolore aurait instantanément été livrée.

    Était-ce la raison d’être de ce soir ? Était-il temps ? Je pus voir la perfection de ma situation. Je pus observer l’impulsion d’accepter l’invitation généreuse du flic s’élever des profondeurs et approcher tant de la surface que sa première manifestation, l’éclat de rire, s’en libéra, mais qu’ensuite, étrangement, inexplicablement, un agent ou mécanisme d’intervention interrompit le mouvement imminent de tourner la tête que je pouvais déjà sentir dans mes épaules. Je me contentai donc de dire—

    « No problemo. »

    Alors, combien de livres spirituels commencent comme ça ?

    *     *     *

    Dans un temps sans temps, dans un espace sans espace

    L’univers me paraît alors infiniment étrange, étrange et étranger. À ce moment, je le contemple, avec un mélange d’angoisse et d’euphorie ; à l’écart de l’univers, comme placé à une certaine distance, hors de lui ; je regarde et je vois des images, des êtres qui se meuvent, dans un temps sans temps, dans un espace sans espace, émettant des sons qui sont une sorte de langage que je ne comprends plus, que je n’enregistre plus.

    Eugène Ionesco

    ––––––––

    Le reste de la nuit et le lendemain matin furent assez décevants mais pas trop désagréables. Personne ne semblait me porter rancune et personne ne me traita comme le jeune fou imbécile que j’avais été. Le sergent n’était pas ravi, en particulier parce qu’il avait dû sortir le procureur municipal de son lit pour discuter de quoi ils allaient m’accuser. Le truc, c’était que, à la grande surprise de tous, je n’avais rien fait d’illégal. Mais cela importait peu ; ils n’allaient pas non plus me relâcher sans m’accuser de quelque chose. Je voyais bien qu’ils avaient du mal à imaginer une accusation, donc je les assurai que je quitterais bientôt la région et ne reviendrais pas me présenter au tribunal. Ce qui sembla les détendre un peu.

    Je passai quand même quatre heures au commissariat en attendant qu’ils terminent leur constat. Tout se passa sans trop de cérémonie ; ils m’enlevèrent les menottes, me fouillèrent de la tête aux pieds et me demandèrent quelques informations. Pas de prise d’empreintes ou de photos. N’ayant pas mon portefeuille sur moi, je ne pus prouver mon identité, ce qui ne les enchanta pas des masses.

    — Ramenez-moi chez moi et j’irai chercher mon portefeuille, suggérai-je. Je suppose que je vais devoir payer une amende, donc j’aurai besoin de mes cartes de crédit.

    — On n’accepte pas les cartes de crédit, maugréa le sergent.

    —Alors vous devrez me conduire jusqu’au distributeur de Lakeview, dis-je.

    Puis, pour éviter qu’ils ne profitent de ma magnanimité, j’ajoutai :

    — Mais ma limite de retrait quotidien est de cent dollars. Si c’est plus que ça, je serai votre invité pendant un petit temps.

    Ce petit bobard fit son effet et l’amende s’avéra être cent dollars. Allez savoir.

    — Vous n’avez pas une accusation fourre-tout qui convient à toutes les occasions ? demandai-je. Trouble de la paix, interférer avec des actes officiels, trouble de l’ordre public, un truc dans le genre ?

    Ce qui entraîna d’autres grommellements. Quelle que soit l’accusation finale, nous savions tous que ce n’était qu’une formalité ; ils devaient m’accuser de quelque chose et je devais leur payer quelque chose, et ça devait être fait de telle façon à ce que je sois libéré le jour-même et basta ; pas de comparution à la cour, pas d’avocat, pas d’examen.

    Ce qui me convenait très bien. Je commençais à piquer du nez.

    Ils demandèrent à un grand et jeune flic appelé Ben de me ramener chez moi, puis à un distributeur et de revenir. Je roulai à l’avant, sans être restreint. Il m’attendit dans la voiture tandis que je courais à l’intérieur chercher mon portefeuille. C’était un gamin poli, un genre d’ex-linebacker de lycée, qui était ravi de rejouer scène par scène la poursuite de la soirée.

    — J’ai failli vous choper près de la piste de luge, déclara-t-il fièrement en parlant du toboggan.

    — Oh, c’était vous ? Je me suis échappé de justesse. Qu’est-ce que vous avez crié ? Je n’ai pas entendu.

    — Ouais, répond-il en riant jovialement. J’ai commencé à crier « Plus un geste ! », mais ça ressemblait trop à un truc de télé ringard donc j’ai fini par crier « Stop ! » au milieu mais je crois que ça a dû donner un truc genre « Plusop ! »

    — Ouais, c’est à ça que ça ressemblait. Plusop !

    — Vous vous êtes planqué où ? Je pensais que je vous avais.

    Il était temps de mentir. Tout le monde dans le commissariat s’était amusé à raconter avec excitation la chasse et leur rôle. Dans une ville pareille, l’aventure de ce soir serait relatée et répétée pendant des années à venir ; les pistolets avaient été dégainés, le comté avait été impliqué, des chiens et des hélicoptères avaient pratiquement été appelés à la rescousse, et des injonctions mortelles avaient été prononcées. Il s’avérait que le fugueur n’était même pas un criminel, mais personne ne le savait au moment où la scène se déroulait. J’aurais pu être un véritable desperado.

    — Vous étiez juste derrière moi, lui dis-je.

    En vérité, je m’étais tapi derrière une haie, l’avais regardé me dépasser d’un pas lourd et étais reparti par où j’étais venu.

    — Je pensais que c’en était fini de moi, mais j’ai couru comme un dératé et je me suis caché dans la cabane dans un arbre d’un gamin jusqu’à ce que les choses se tassent.

    Il en fut ravi. Voilà une histoire qu’il pouvait raconter.

    ~~~~~~~~~~~~~

    — Le sergent a dégainé et a menacé de te faire sauter la cervelle si tu bougeais d’un centimètre ? demande Lisa, en reposant les pages qu’elle vient de lire.

    Un mois après ces évènements trépidants, nous sommes assis à mon bureau à côté de la piscine, dans une petite propriété au Mexique où nous vivons tous les deux.

    — Ouais, pourquoi ? C’est bizarre ?

    Je lève les yeux de mon ordinateur, admire le lac et les montagnes et me frotte les yeux.

    — Je ne sais pas..., répond-elle. Ça semble juste un peu dramatique.

    — Il a dû passer une main sous son bide et le soulever pour pouvoir dégainer son arme de l’autre. Crois-moi, ça n’avait rien de très dramatique.

    — Tu avais la trouille ?

    — De quoi ?

    — Oh, je ne sais pas... de te faire dégommer la cervelle, par exemple ?

    Je hausse les épaules.

    — C’est un des trucs les moins effrayants auquel je puisse penser.

    — Mon Dieu, quel homme étrange !

    Je hausse à nouveau les épaules.

    ~~~~~~~~~~~~~

    Durant les quelques mois tranquilles passés dans cette ville balnéaire de Nouvelle-Angleterre, l’idée qu’il pourrait y avoir matière à un troisième livre a commencé à se former dans mon esprit. L’idée qu’il restait des choses importantes à dire, et des choses qui avaient été dites mais pas approfondies à fond. Après avoir terminé le premier livre, L’éveil spirituel : La chose la plus dingue, je m’étais senti soulagé de m’être sorti tout ça de la tête et d’en avoir terminé. Mais ça n’avait pas duré longtemps. Le second livre, L’éveil spirituellement incorrect, avait fait sentir sa présence dans mon esprit, et donc nous l’avions également tiré de là. À nouveau, j’avais éprouvé le sentiment d’avoir crevé l’abcès et que l’écriture ne serait plus nécessaire ; signifiant, dans les faits, que j’en avais terminé de l’enseignement, de la correspondance, de l’écriture et de toutes ces choses spirituelles. Mais durant les quelques mois ayant précédé mon aventure avec les flics, ce sentiment s’est fait sentir à nouveau. Je ne l’ai pas cultivé, mais j’ai compris dès ses premières vibrations qu’il persisterait et qu’un troisième livre se devait d’être écrit. Je n’ai rien fait pour l’encourager. Je l’ai laissé mijoter dans ma tête jusqu’à ce qu’il prenne vie ou meure de sa propre main.

    Mon argument contre ce troisième livre était que j’avais quitté le mode enseignant et la mentalité spirituelle, avec joie. Je ne communiquais plus avec quiconque sur ces sujets et ils n’étaient plus vivants dans mon esprit. Je les avais sortis de ma tête et de mon environnement, et rien ne suggérait un retour dans le monde de la spiritualité humaine. D’où sortirait donc un troisième livre ?

    De surcroît, ma propre connexion à l’expérience humaine pré-éveil était dorénavant si ténue que je doutais qu’un troisième livre soit possible. Le gouffre entre les paradigmes s’était trop élargi. J’avais désormais du mal à me souvenir de la vie de l’autre côté. Mon expérience était si éloignée de ce que la majorité des gens appellent réalité qu’il n’y avait pratiquement aucun chevauchement. Je considère les humains comme les humains considèrent les chimpanzés ; ayant le même retard évolutif. Mes souvenirs de mon propre être pré-éveillé étaient à présent aussi vagues et impersonnels que mes souvenirs d’école primaire. J’ai mentionné cette érosion graduelle de mon personnage dans l’état de rêve dans les deux livres. Je faisais alors un effort pour maintenir cette connexion, mais après le second livre, je m’en étais détaché et désormais, il avait pratiquement disparu.

    Un des arguments en faveur d’un troisième livre était qu’il pouvait me fournir un cadre au sein duquel je pouvais fonctionner ; un contexte dans lequel j’avais quelque chose à faire et une raison de le faire. Tout contexte est bien évidemment artificiel, mais je m’en souciais peu. J’aime être en vie, mais c’est plus marrant quand il y a un jeu à jouer. Écrire pour le compte d’un public me permettrait de continuer à jouer le jeu.

    Aussi conclus-je le marché habituel avec l’univers : Si tu veux qu’un livre soit écrit, alors expose-le devant mes yeux et je l’écrirai. Je ne le pourchasserai pas et ne me battrai pas pour identifier la thématique à aborder. Ce serait artificiel et égoïque. J’en serais incapable et ça ne marcherait pas. Je savais que l’univers ne me demanderait pas une telle chose, mais je voulais d’un accord clair entre nous : Si tu veux un troisième livre, je l’écrirai, mais je ne le ferai que si tu l’orchestres. Tends-le-moi sur un plateau d’argent.

    Ce mode de communication avec l’univers n’est pas nouveau pour moi. Nous nous comprenons relativement bien l’un l’autre. Je sais comment lui parler et je sais comment comprendre ce qu’il me dit. Schémas, signes, variations subtiles de justesse et d’injustesse, de flux et d’obstacles ; voilà comment ça fonctionne. Je donne l’impression que l’univers et moi sommes deux entités séparées, mais en réalité, c’est de l’absence de cette distinction artificielle dont je veux parler. C’est une des choses que nous approfondirons dans ce livre. C’est la

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