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Sans Dieu
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Ebook305 pages4 hours

Sans Dieu

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About this ebook

Présentation de l'éditeur 
  
Paul Agnelli, nègre littéraire, a accepté d'écrire l'autobiographie du Diable. Au cours d'entretiens sulfureux, celui-ci lui révèle ses différentes stratégies. Ces informations déstabilisantes arrachent Paul à ses certitudes et l'entraînent dans une quête spirituelle de plus en plus chaotique... 
Liberté de ton, finesse d'analyse et surprises sont au rendez-vous de ce roman philosophique teinté d'humour et de noirceur. 
  
Trois avis de lecteurs 
  
« Vous avez dit pire que ce que Satan lui même a dit... Votre livre ne peut que réjouir le diable lui-même. Offrir une tribune à Satan, pire parler à sa place... Il faut juste parcourir votre livre pour se rendre compte que l'élève a dépassé le maître.... » 

« Je n'arrivais plus à décrocher tellement le livre est bien fait. J'aime beaucoup cette façon d'aborder les choses. J'avais vraiment l'impression que le Diable parlait tellement c'était réaliste dans les faits observés, la façon de penser, les stratégies, etc. » 
  
"J'ai aimé ce livre sous forme de conversation avec le diable. Il est très bien écrit avec humour et divertissant à lire." 
  

LanguageFrançais
Release dateMar 6, 2016
ISBN9781524253684
Sans Dieu
Author

Lucia Canovi

Lucia Canovi est née en 1973. Elle gagne six prix littéraires entre 1987 et 1994. Agrégée de lettres modernes, elle abandonne l'enseignement pour se consacrer à l'écriture. Elle est l'auteur de plusieurs blogs, d'un recueil de citations et de proverbes, et d'un livre-phare : "Marre de la vie ? Tuez la dépression avant qu'elle ne vous tue !" (à paraître sur smashwords) Mariée au meilleur mari de l'univers, Lucia Canovi est la mère d'une petite fille ayant beaucoup de charisme, l'air scrutateur, et pour l'instant quatre dents.

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    5/5
    Absolument génial, une réalité monstrueusement vraie. Aujourd'hui même presque tous les désirs de Satan sont réalisés. Un livre prophétique en quelque sorte.

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Sans Dieu - Lucia Canovi

2. Dans les coulisses

— Je parie que vous êtes du genre à vous fier à des amis qui vous trahissent et que les télévendeurs ont beau jeu à vous fourguer des portes-fenêtres trop grandes pour vos fenêtres et des encyclopédies périmées dont vous n'avez que faire. Je parie que vous avez un emprunt à taux variable sur le dos et que les femmes vous quittent parce que vous leur apportez le petit déjeuner au lit. Lorsqu'une jolie fille passe du temps en votre compagnie, c'est uniquement pour vos oreilles. Attentif, respectueux, compatissant, vous êtes le parfait confident. Les hommes comme vous, on les appelle « de bonnes poires ».

— Je ne crois pas que...

— Ne vous défendez pas, personne ne le saura, nous sommes entre nous. Est-ce que vous n’êtes pas fatigué de ce rôle d’éternel perdant ? Est-ce que vous n’en avez pas assez d’être le dindon de la farce, la dupe des apparences ? Est-ce que vous n’avez pas envie de découvrir enfin ce qui se passe derrière le rideau, dans ces coulisses où vous n’avez jamais mis les pieds, ces coulisses tapissées de mystère et de velours où s'écrit votre destin, ainsi que celui de tant d’autres gogos qui vous ressemblent ? Ne voulez-vous pas entendre ce que chuchotent ceux qui savent, ceux qui peuvent, ceux qui décident ? Ou est-ce que toute curiosité est morte en vous et que vous vous êtes définitivement résigné à votre survie dérisoire de mort-vivant ?

— ...

— Oui, je sais. Vous avez renoncé depuis longtemps ; vous croyez que c’est trop tard pour vous, et que tout ce que vous pouvez attendre de la vie, c’est la continuation de votre petit train-train terne et anonyme. Écrire les livres des autres… Aimer des femmes qui s’en vont toujours… Suer sang et eau devant votre écran pour joindre les deux bouts… Et, au final, quoi ? La vieillesse et la mort, le néant. Un tas d’os pourris au fond d’un cercueil.

— C’est le destin commun. Inutile d’y penser.

— Mais maintenant, grâce à moi, avec moi, le cul-de-sac qui vous servait de vis-à-vis jusqu’à ce jour s’ouvre enfin. Le mur d’ignorance où se cognait votre regard va s’effondrer en révélant le plus immense des panoramas ; les œillères que votre léthargie d’esclave vous avait mises devant les yeux vont tomber comme des feuilles mortes. Vous allez explorer le revers de l’envers, la vérité du mensonge, les secrets du théâtre dont vous avez été jusque-là le spectateur crédule ! Alors, savourez votre chance, et troquez cette mine morose contre l’enthousiasme le plus débridé. Vous n’avez jamais eu une opportunité aussi extraordinaire ; un Nouveau Monde s’ouvre à vous !

— Vous vous méprenez. Je ne suis pas morose. Juste un peu enrhumé. Les sinus bouchés me donnent toujours cet air-là. En fait je suis très heureux, très content de travailler avec vous. Non, franchement, c'est vrai : ça ne me dérange pas du tout. Et maintenant, si vous êtes d'accord, on pourrait peut-être entrer dans le vif du sujet. Parlez-moi de votre enfance. Je suis sûr que vous avez des tas d'histoires passionnantes à raconter sur cette période de votre existence. Les lecteurs aiment beaucoup ce genre d'anecdote. Je vous écoute.

— Je n'ai pas eu d'enfance.

— Vous voulez dire qu’elle était tellement horrible qu’elle ne mérite pas ce nom ?… Ce qui expliquerait votre parcours…

— Pas du tout. Je n’ai pas eu d’enfance parce que je n’ai pas eu d’enfance. Le chef suprême m’a créé directement à l’âge adulte.

— Quel chef suprême ?

— « Quel chef suprême ? » Comme s'il y en avait plusieurs ! Je vous parle de Dieu. Je ne suis pas ce qu’Il a fait de pire. Et s’il en était resté là, le monde ne s’en serait pas porté plus mal. Quand on a donné la vie à un chef-d’œuvre, éprouve-t-on le besoin de tout gâcher en l’éclaboussant de boue ?

— Vous me posez la question ?

— Oui. Lorsqu’il eut terminé la Joconde, Léonard de Vinci s’est-il dit : « Tiens, et si je lui barbouillais le visage de crotte ? »

— Pas que je sache.

— Non, bien sûr que non ! Mais au lieu de se contenter de parachever la création par la plus merveilleuse des créatures, Dieu a fait suivre le meilleur par le pire. À mon humble avis, il n'a pas su s’arrêter à temps. C’est ainsi qu’il a donné la vie à cet immonde tas de boue puant qui ne mérite même pas le crachat dont je l’ai généreusement gratifié.

— Excusez-moi, mais de quelle merveilleuse créature parlez-vous ? Et ce tas de boue ? Je n’ai pas bien saisi.

— Le chef-d’œuvre de la création, c’est moi bien sûr. Qui d’autre ? Moi, le capitaine des anges ; moi, la plus belle et resplendissante des créatures. Et le tas de boue, c’est Adam. Mais dites-moi, vous avez bien un minimum de culture religieuse, tout de même ?

— Mes années de catéchismes sont bien loin, mais de toute façon, les lecteurs ne seront pas forcément au courant ; il vaut mieux être trop explicite que pas assez. Faites comme si je ne connaissais rien à rien.

— Ce qui est le cas, visiblement… Mais passons. Lorsque Dieu eut donné le souffle à cet infect bouseux, il demanda aux anges de se prosterner devant cette… chose. Peut-on imaginer ordre plus injuste ? Est-ce que l’esprit doit se soumettre à la lourde matière ? Est-ce que la flamme, la flamme pure et subtile, doit vénérer la fange ? J’ai refusé. N’importe qui à ma place en aurait fait autant – n’importe qui ayant un minimum de dignité, bien sûr.

— Vous dites que vous êtes esprit, flamme… Quelle est exactement votre substance ? Je pose la question parce que les lecteurs se la poseront certainement.

— Si vous observez une allumette enflammée, vous verrez que près du bâtonnet il y a une zone bleuâtre, et sous cette zone on ne distingue rien. Je suis constitué de ce feu subtil, si subtil qu’il en est invisible.

— C’est très intéressant. Mais… pourtant… je vous vois.

— Les aristocrates de l’ancien régime qui se vantaient de leur sang bleu étaient aussi culs-terreux que leurs paysans. Mon origine à moi est, elle, authentiquement noble.

— Je comprends.

— Lorsque j’eus refusé de m’humilier devant cette motte de boue que Dieu me préférait, Il me maudit et me priva de ma beauté ! Dieu m’a défiguré ! Ce n'est pas juste !

— Vous trouvez ? Je ne dis pas ça pour vous faire plaisir, mais vous n’êtes pas si mal. Vous avez même un certain charme ténébreux et romantique qui doit plaire aux femmes…

— Arrêtez de m’interrompre, c’est agaçant. Je peux prendre n’importe quelle apparence aux yeux des hommes, mais le déguisement monstrueux que Dieu m’a imposé lorsqu’il m’a chassé de Sa miséricorde est vraiment horrible à voir, croyez-moi. Si je me montrais à vous sous cet aspect-là, vous feriez certainement une crise cardiaque.

— Ah… Je suis désolé.

— Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est, pour quelqu’un d’aussi beau que moi, de paraître aussi laid que je le semble maintenant.

— Je compatis, vraiment.

— Vous, les êtres humains, vous n’avez jamais eu le moindre atome de beauté : vous ne pouvez pas comprendre.

— Oui, d’accord, OK. Mais on ne mettra pas ce genre de considération dans le livre, ça risquerait de démoraliser les lecteurs.

— C’est vous le nègre : c’est vous qui voyez…

— Je préfère ghost writer, si ça ne vous dérange pas.

— Les Français ne parleront bientôt plus qu’avec deux cents mots d’anglais, c’est pathétique.

— Écoutez… Je suis vraiment désolé de vous interrompre encore, mais il faut tout de même que les choses soient claires. Je suis votre nègre, c’est entendu, mais je ne suis pas votre paillasson. Adressez-vous à moi avec un minimum de respect si vous voulez vraiment que j’écrive votre bouquin…

— Tiens, tiens… Continuez, je vous écoute.

— Je… Non, je n’ai rien d’autre à ajouter.

— Je suis sûr que si.

— Eh bien… J’accepte de faire comme si je croyais que vous êtes vraiment le diable parce que pour moi, l'auteur est roi – dans la mesure du raisonnable –, mais je suis athée depuis mes dix-sept ans, et cette comédie me met assez mal à l’aise.

— C’est bien… Vous crachez le morceau. Je ne vous provoquais que pour vous amener à vider votre sac.

— C’était une stratégie ?

— Oui… Je préfère jouer cartes sur table. Vous ne croyez pas en Dieu : c’est très bien ; je vous en félicite. Vous ne croyez pas au Diable non plus : c’est tout à fait logique.

— Et vous comprenez bien que je crois encore moins, si c’est possible, à un Diable qui parle comme Monsieur Tout-le-Monde et qui ressemble à Monsieur Tout-le-Monde.

— Même si vous disiez tout à l’heure que j’ai un certain charme romantique…

— Enfin, vous voyez ce que je veux dire.

— Très bien. C’est parfait, vraiment. Vous pensez donc que je suis un être humain qui se fait passer pour le Diable ?

— C’est cela.

— Et dans quel but ?

— Je ne sais pas… Par esprit de mystification, sans doute. Vous avez un côté excentrique, un côté joueur.

— Je vous propose donc de continuer dans cet esprit-là. La mystification m’amuse, vous l’avez compris... Je suis effectivement un original qui aime à se faire passer pour ce qu’il n’est pas. Soyez assez complaisant pour faire semblant de croire à ma petite comédie…

— Vous y tenez ?

— S’il vous plaît. Vous savez que je sais que vous n’y croyez pas : tout est clair maintenant. Il n’y a plus d’ambiguïté ni de malaise.

— Vous savez, si le contrat n’était pas si...

— Vous avez besoin d’argent, je m’en doute. Mais le livre que nous allons faire représentera, je l’espère, plus qu’un gagne-pain pour vous.

— Ma conscience professionnelle…

— Est irréprochable. C’est pour cela que je vous ai choisi. Vous avez aussi du cœur. C'est vous, n'est-ce pas, qui avez sauvé ces enfants d'un incendie, il y a deux ans ? Ce qui vous a valu quelques brûlures. Les pompiers sont arrivés juste après. Vous ne les connaissiez pas, ces mômes. Et pourtant vous avez défié le feu. Ayant une excellente mémoire, j'ai reconnu votre nom. Vous êtes un héros, mon cher. Ce qui ne vous empêche pas d'être d'une humilité qui frise le complexe d'infériorité, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Le bon côté, c'est que cette humilité exagérée fait de vous un perfectionniste. J'ai parcouru vos précédents ouvrages : quel style ! Vous ne les avez pas signés, mais ils n'en sont pas moins signés. Je n'ai jamais rien lu d'aussi fluide, audacieux et percutant... vous avez une plume d'aigle ! mon livre est entre de bonnes mains.

— Un incendie s'est déclenché dans l'appartement de mon voisin, j'ai aidé le père a faire sortir ses enfants, c'est tout. Le journaliste devait manquer de fait-divers pour sa rubrique... Mais vous avez raison sur un point : vous pouvez me faire confiance.

— Et maintenant, revenons à l'essentiel... c'est-à-dire à moi. Pas moi l'être humain, trop humain ; moi, l'esprit du Mal, le maître des Ténèbres, le grand Satan.

— Je vous écoute.

— Mes stratagèmes sont toujours extraordinairement efficaces. Et toujours, comme les mâchoires des pièges à loups, doubles. Vous voulez un exemple ? Il y a le piège du communisme et, en face, le piège du capitalisme. Il y a le traquenard de la distraction, de la fuite hors de soi et, juste en face, la chausse-trappe de l’introspection ruminante. En face de Charybde, je mets toujours Scylla. Qui s’extrait d’un de mes guets-apens tombe immédiatement dans l'embuscade symétrique que je lui ai préparée. Tout est savamment agencé pour qu’on ne trouve jamais l’issue de secours. C’est comme un immense hôtel labyrinthique où les chambres ont toutes les tailles et tous les styles. Si le client en a assez d’une chambre, on le conduit dans une autre. C’est une autre décoration, une autre vue… Et ainsi, il ne se rend pas compte qu’il ne quitte jamais le bâtiment ! Il croit voyager parce qu’il passe de la chambre douze à la chambre deux cent cinq, mais ses pérégrinations ne dépassent jamais les murs de l'hôtel.

— Fascinant.

— Et quand vient l’heure de payer la note, il s’aperçoit qu’il n’a pas assez d’argent… Mais ça, c’est une autre histoire.

— Justement, j’aimerais bien savoir : qu’est-ce qui arrive exactement à ceux qui vous suivent, c’est-à-dire, si j’ai bien compris, à 99% de l’humanité ?

— Il leur arrive… ce qu’il doit leur arriver. S’ils ne sont pas contents de leur sort, qu’ils s’en prennent à eux-mêmes. Ou à Dieu : après tout, c’est lui le chef.

— Vous n’avez pas répondu à ma question. Qu’est-ce qui leur arrive ? Et… qu’est-ce qui va m’arriver, à moi ?

— Tout dépend… de votre bonne volonté. Je peux beaucoup pour vous, beaucoup. Maintenant si vous vous contentez de vivoter dans l’ombre, bien sûr, je ne pourrai pas vous aider.

— Je n’en demande pas tant. Vous disiez qu’à l’heure des comptes, ceux qui habitent votre hôtel n’auraient pas de quoi payer. Qu’est-ce que cela signifie ?

— Cela signifie que je suis très généreux… Mais que je sais aussi compter. Ceux qui auront profité de moi s’en repentiront. Oui… Les ingrats payeront…

— Je ne vous suis plus du tout. Que faites-vous pour les gens ? Et comment se montrent-ils ingrats à votre égard ?

— Ce que je fais ? Ce que je fais ?! Mais je leur apporte des distractions d’une qualité exceptionnelle, je les divertis de tous leurs soucis, je les enivre de plaisir ! Ce n’est pas rien, cela !

— Enfin… Votre but n’est pas complètement altruiste. Vous les divertissez, oui, mais pour les détourner de la vérité. C’est ce que vous avez dit.

— Ah parce que vous croyez peut-être qu’ils la cherchent, la vérité ? Ils s’en fichent, de la vérité !

— Expliquez-moi quand même comment les gens font preuve d’ingratitude envers vous.

— Je ne prétends pas qu’ils manquent tous de reconnaissance... La plupart sont des disciples assez fidèles. Mais… certains d’entre eux… Non, ce n’est pas la peine que j’en parle, ça n’a aucun intérêt pour mon autobiographie.

— Au contraire ! Pour que les lecteurs s’identifient à vous, pour qu’ils voient en vous un être noble et diffamé, il est bon qu’ils mesurent par eux-mêmes l’ingratitude dont vous êtes la victime.

— Oui, il y a des ingrats. Des qui oublient tout ce que j’ai fait pour eux, des qui font marche arrière, des qui se réfugient dans le giron de Dieu en pleurant comme des morveux… Sale race !

— Hum.

— Ces petits hypocrites me suivent pendant des années, et puis un jour, sans crier gare, plus personne ! Il a suffi qu’ils aient le mal de mer ou qu’ils soient coincés dans une crevasse en attendant les secours… Parfois même, il a suffi qu’ils se promènent sur Internet. Tous les prétextes sont bons pour se défiler.

3. Mourir pour Pinocchio

— Souvent, je mets face à face pour un combat sanglant deux peuples qui n’ont aucune raison de se détester. Aucune raison… sauf moi ! L’Histoire regorge des conflits de ce genre. C’est ainsi qu’en Russie, les partisans du signe de croix avec deux doigts ont massacré les adeptes du signe de croix avec trois doigts, qui ont refusé de baisser l'annulaire jusqu’à la mort : l’erreur combat le mensonge, le n’importe quoi du fanatisme affronte le fanatisme du n’importe quoi, et peu importe lequel des deux camps triomphe, car le grand vainqueur, c’est moi, encore moi, et toujours moi !

— Mais je suppose que pour eux, je veux dire pour ceux qui refusaient de renoncer à leur signe de croix, cela signifiait au contraire beaucoup.

— Bien sûr, et c’est ça qui est drôle. Ils se focalisent sur des détails qui n’ont jamais eu la moindre signification, ou plutôt qui ont toujours eu la même signification…

— C’est-à-dire ? Quelle est la signification du signe de croix avec trois doigts ?

— La même qu’un panneau publicitaire.

— Hein ? Je ne comprends pas très bien...

— Quelle est la signification profonde d’un panneau publicitaire, de n’importe quel panneau publicitaire ? Il suffit d’en observer un pour le découvrir. Sa signification, c’est tout simplement ce qu’il fait, c’est-à-dire remplacer la réalité par une image virtuelle. Crispés sur leurs traditions séculaires, les rétrogrades affrontent les modernes en un combat sanglant, toujours recommencé… Et comme la vérité n’est ni chez les anciens ni chez les modernes, peu importe qui gagne : c’est moi qui gagne.

— Quel rapport avec la publicité ?

–Pour que l’illusion triomphe, il faut qu’elle cache la réalité. Pour que le mensonge règne, il faut que la vérité soit jetée aux oubliettes. Deux doigts, ou trois doigts ? Lorsque les gens ignorent tout de l’essentiel, on peut les conduire à mourir ou tuer pour encore moins que ça.

— Excusez-moi… Je suis peut-être bouché… mais je n’ai toujours pas saisi le rapport avec la publicité.

— Si je laissais les gens en paix, il y en aurait beaucoup, beaucoup trop, qui découvriraient la vérité. Pour que ça n’arrive pas, je dois les occuper. La place de la vérité ne doit pas rester vide : sur son trône vacant, je mets… quelque chose. Peu importe quoi. À la place du roi absent, j’installe n’importe quelle créature bouffonne, et je leur laisse le soin de lui trouver un manteau royal, une couronne, et cetera. Comme il y a en eux – comme en tout être humain – le besoin d’adorer, ils mettent toute leur imagination et leur énergie à idéaliser cette marionnette, jusqu’à ce qu’ils soient profondément convaincus que leur Pinocchio est le Seigneur des Mondes. Comme ça ils ont l’impression que tout est à sa place, que la vérité règne dans leur tête, et qu’ils ont compris ce qu’il y a à comprendre… pauvres fous.

— Vous voulez dire que... que voulez-vous dire ?

— Vous réécouterez l'enregistrement en vous concentrant. Vous avez lu le contrat : le livre doit être bon à tirer dans neuf mois. Le temps est compté. Parlons maintenant de ce que j’appelle « le truc du miroir ». Très efficace. Il s’agit de faire passer une image quelconque, enfin pas tant que ça, car il faut réfléchir à ce qu’elle implique avant de la choisir, pour un miroir. Par exemple, la photo d’un chimpanzé. Je la tends au gogo, il la regarde, et je lui explique avec moult preuves scientifiques qu’il s’agit d’un miroir jusqu’à ce qu’il s’y reconnaisse.

— Les gens ne sont pas si bêtes…

— Ah oui ? Et à votre avis, l’ancêtre de l’homme, c’est qui ?

— C’est… C’est…

— C’est un singe.

— Non, non. Nous avons un ancêtre commun avec les singes, c’est tout.

— Différence infinitésimale. Réfléchissez-y : il n’y a que les singes qui aient des ancêtres communs avec les singes.

— Tout de même…

— Mais on peut utiliser d’autres images pour le truc du miroir. Par exemple, dans un tout autre genre, on peut tendre à l’imbécile le portrait de Napoléon. On lui explique que c’est lui dans le miroir, et en général, il y croit sans attendre parce que ça le flatte.

— Quel intérêt ?

— Le rendre fou, bien sûr. Les hôpitaux psychiatriques sont pleins de Napoléons. Enfin, étaient. La mode a changé. Maintenant, ils débordent de Mahdis.

— Là encore, je ne vois pas…

— Parce que vous ne croyez pas à la réincarnation. Vous n’avez jamais eu une impression de déjà vu ?

— Si, mais…

— C’est une réminiscence de vie antérieure. Les Napoléons sont d’abord des réincarnations de Napoléon. Puis, avec le temps, ils deviennent Napoléon lui-même. C’est à ce stade-là qu’on les conduit à l’hôpital. C’est ce qui est arrivé à Nerval, à Nietzsche, et tant d’autres moins connus qu’eux. Mais je travaille aussi avec le portrait de Cléopâtre, de Victor Hugo… et même avec d’autres moins attrayants : l’image d’une prostituée, d’un mendiant, d’un voleur… Il n’y a pas de limite.

— Tout de même, il y a quelque chose qui cloche dans ce que vous dites. La réincarnation est un gentil délire New Age, tandis que l’évolution est une réalité. On le sait depuis Darwin : l’être humain est le produit de l’évolution.

— Vous m’amusez beaucoup. Et si je vous disais que la théorie de l’évolution est mon chef-d’œuvre, ou plutôt, l’un de mes innombrables chefs-d'œuvre ? Et si je vous disais que cette théorie « scientifique » est un délire d'identification au même titre que la folie des Napoléons ?

— Vous plaisantez.

— Pas du tout. Mais pour l’instant, je préfère que l’on continue à parler de mon miroir magique…

— Enfin tout de même, la théorie de l’évolution…

— N’en parlons plus pour l’instant, voulez-vous ? Je veux vous raconter une de mes applications les plus sophistiquées du miroir. C’est quelque chose de beaucoup moins connu que l’évolution. C’est même tout ce qu’il y a de confidentiel. Ouvrez grand vos oreilles : vous allez entendre une révélation inédite. Un scoop, si vous préférez le franglais.

— Je vous écoute.

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