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L'Homosexualité dans l'Art
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Ebook548 pages4 hours

L'Homosexualité dans l'Art

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About this ebook

Ce livre n'est pas un panégyrique sur l'homosexualité. C'est une étude scientifique menée par le Professeur James Smalls qui enseigne l'histoire de l'art dans la prestigieuse université de Maryland, Baltimore County. Mettre en évidence la sensibilité particulière des homosexuels dans la créativité, telle est la démarche de l'auteur, en abandonnant les clichés classiques et l'approche sociologique. Cet ouvrage analyse l'acte de création et permet d'appréhender, sans aucune complaisance, l'apport de l'homosexualité dans l'évolution de la perception des émotions. A une époque où les tabous sont tombés, cette démonstration conduit à une relecture et une nouvelle compréhension des chefs-d'œuvre de notre civilisation. Grâce à son iconographie très riche et à l'angle d'analyse choisi, L'Homosexualité dans l'Art est un ouvrage de référence majeur.
LanguageFrançais
Release dateSep 15, 2015
ISBN9781783108176
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    L'Homosexualité dans l'Art - James Smalls

    01. Peinture grecque représentant un couple,

    480 av. J.-C. Musée de Paestum, Italie

    Introduction

    Associer art et homosexualité pourrait sembler étrange mais les deux phénomènes font partie de l’histoire de l’homme depuis la nuit des temps, ou du moins depuis les origines de la civilisation. Rapprocher deux concepts aussi vastes – art et homosexualité – est néanmoins difficile et relève du défi. Les deux catégories soulèvent une multitude de problèmes et posent une série de questions irritantes et jusque-là sans réponse.

    La première question « Qu’est-ce que l’art et quel est son but ? » a préoccupé l’homme pendant des siècles et n’a toujours pas trouvé de réponse définitive. Il existe autant de visions et de définitions de ce qu’est l’art (et de ce qu’il n’est pas) et de sa signification qu’il existe d’individus dans le monde. Dans le cadre de L’Homosexualité dans l’Art, j’utilise le terme « art » dans un sens large en tant que produit de la création humaine et moyen de communication dans le domaine du visuel. Bien que la majorité des images présentées ici aient été produites avec des moyens traditionnels tels que la peinture, la sculpture, le dessin et la photographie, l’art inclut aussi des images et des formes de production associées, par exemple, à la culture populaire, la publicité, les films, les performances, le conceptualisme, l’imagerie numérique… En fin de compte, c’est au lecteur de ce livre de choisir ce qu’il considère ou non comme de l’art.

    Contrairement à l’art, l’autre terme du titre, « homosexualité », peut être défini de manière plus spécifique. L’homosexualité et ses aspects émotionnels ont existé de tout temps et dans toutes les cultures bien avant l’invention du mot. Elle est, et a toujours été, un aspect du domaine très complexe de la sexualité humaine. La manière dont s’expriment visuellement l’amour homosexuel et sa sensibilité est souvent le reflet du statut des homosexuels au sein de leurs cultures particulières. Ces images constituent un indicateur, soit du degré de tolérance de la société, soit des préjugés toujours plus restrictifs engendrés par les traditions et la religion.

    Avant 1869, les mots « homosexualité » et « hétérosexualité » n’existaient pas. Le premier fut inventé et utilisé pour la première fois par l’écrivain et traducteur germano–hongrois Karl Maria Kertbeny (1824–1882). Il inventa également le second terme en 1880. L’intention de Kertbeny, en utilisant le mot « homosexualité », était de réagir à un article du code pénal prussien qui considérait les relations sexuelles entre hommes comme un crime. Kertbeny voulait que l’article soit supprimé, mais en vain. Le code devint partie intégrante de la constitution prussienne en 1871 et fut observé, puis renforcé par les nazis en 1935, et maintenu par la République fédérale jusqu’en 1969. (Haggerty, 451). Kertbeny avait une vision très personnelle de la sexualité humaine.

    Bien que selon lui il n’ait sans doute jamais existé de théorie cohérente sur l’homosexualité, il divisait les homosexuels en catégories spécifiques : les « actifs », les « passifs » et les « platoniques », soit ceux qui aiment la compagnie de leur propre sexe sans vouloir partager de rapports sexuels. La désignation « homosexualité » à cette époque, fut d’abord un synonyme de sympathie et d’activisme politique destiné à changer une loi répressive. Cependant, au fil des années, le mot évolua vers un concept désignant les préférences sexuelles d’un individu. Le mot et son évolution mirent quelque temps à entrer dans les langues et les schémas de pensée européens.

    Dans les années 1880, le terme nouveau de Kertbeny, si facile à retenir, attira l’attention de Richard von Krafft-Ebing, un sexologue notoire qui l’utilisa dans son œuvre extrêmement populaire dans les années 1886–87, Psychopathia sexualis, une imposante encyclopédie des déviances sexuelles. Ce fut grâce à celle-ci et à des œuvres ultérieures de sexologues reconnus de la fin du siècle que le terme « homosexualité » acquit sa connotation médicale et clinique. La sexologie est l’étude du comportement sexuel humain avant la codification entamée par la psychologie moderne et la psychanalyse, née de la pensée et des écrits de Sigmund Freud. (Voir Gregory W. Bredbeck, « Sexology », in Haggerty, 794). Ce n’est que dans les années 1950 que l’« homosexualité » fit son apparition dans l’usage de l’anglais et de l’américain populaires, ceci étant en grande partie dû aux rapports Kinsey parus en 1948. Alfred Kinsey (1894–1956) était un chercheur américain dans le domaine de la sexualité dont les résultats scientifiques remirent en question l’idée prédominante selon laquelle l’homosexualité était une maladie mentale.

    En tant que concept, « homosexualité » englobe une multitude d’idées contradictoires sur les sexes et l’attirance entre personnes de même sexe. Son large éventail de significations possibles est ce qui en fait aujourd’hui un terme tellement irrésistible, puissant et ambigu. Dans son acception moderne, l’« homosexualité est à la fois un état psychologique, un désir érotique et une pratique sexuelle ». (David Halperin, « Homosexuality », in Haggerty, 452). Les trois sens peuvent être, et se voient effectivement, exprimés sous une forme artistique et esthétisée.

    L’homosexualité ou, pour employer un terme plus récent l’« homo-érotisme », peut être comprise comme un élément réel ou potentiel de l’expérience de chacun, quelles que soient ses orientations sexuelles. Homosexuel et homo-érotique se recoupent souvent l’un et l’autre, mais ne sont pas nécessairement identiques. La plupart des images de ce livre relèvent plus de l’homo-érotisme que de l’homosexualité. « Homosexuel » et « homo-érotisme » ne diffèrent que par le sens des racines des termes « sexuel » et « érotique ». Tandis que « sexuel » recouvre l’acte physique, « érotique » est un concept englobant un éventail d’idées et de sentiments exprimant des manques, des besoins et des désirs entre personnes de même sexe.

    L’aboutissement n’en est pas toujours l’acte sexuel. L’homo-érotisme, à la différence de l’homosexualité, rend légitime le désir entre membres du même sexe en plaçant ce sentiment dans un contexte qui lui confère une rationalité, comme le classicisme, les batailles militaires, les activités sportives… Par conséquent, dans de nombreuses situations, l’homo-érotisme est voilé et perçu comme un comportement non transgressif. Si tous les homosexuels ressentent un désir homo-érotique, ceux qui ressentent, et apprécient effectivement, le désir homo-érotique, ne sont pas nécessairement homosexuels. L’homoérotisme peut parfois effrayer certains hétérosexuels au point de faire naître chez eux de virulentes réactions homophobes. L’« homo-érotisme » est aussi associé au concept plus récent d’« homo-social ». L’homo-sociabilité masculine fait référence à tout groupe ou environnement exclusivement masculin et est une façon de construire leur identité et de consolider/renforcer leurs privilèges et pouvoir social en tant qu’hommes, habituellement à travers et au détriment des femmes. (Voir Eve Sedwick, Between Men: English Literature and Male Homosocial Desire, New York, Columbia University Press, 1985). En effet, l’homo-sociabilité féminine existe, mais sa dynamique au sein d’une culture patriarcale est bien différente.

    02. Albrecht Dürer, Autoportrait, 1493.

    Peinture sur bois, 56,5 cm x 44,5 cm.

    Musée du Louvre, Paris

    03. Le Caravage, L’Extase de saint Francis, 1595–1600.

    Huile sur toile, 92,5 x 128 cm.

    Wadsworth Atheneum, Hartford, Connecticut

    Bien que les homosexualités masculine et féminine soient souvent traitées séparément, les deux sont prises en considération dans ce livre. Tout au long de l’œuvre, le terme « homosexualité » fera référence à l’homosexualité masculine à moins que « féminine » ne soit spécifié. Il en est ainsi parce que la plupart des sociétés sont dominées par les hommes et axées sur eux, donnant la primauté à l’activité sexuelle et au développement masculins au détriment des femmes. Comparée à la place occupée par les homosexuels dans l’art, qu’ils soient auteurs ou sujets, la « rareté des œuvres sur et par des femmes homosexuelles reflète la domination masculine dans l’histoire de la culture. » (Saslow, 7). Tous les témoignages artistiques et littéraires que nous possédons ont été l’œuvre d’hommes et s’attachent essentiellement à leurs activités.

    La définition de l’homosexualité est rendue plus compliquée encore par la différence entre les notions moderne et prémoderne du concept. Il existe dans la littérature contemporaine sur l’homosexualité un désaccord profond quant à l’utilisation du terme « homosexuel » dans le cadre de relations entre gens du même sexe au sein des cultures non occidentales, pré-modernes ou anciennes. Le vocable « homosexualité » est relativement jeune. À l’instar du mot « sexualité », il décrit un concept déterminé et culturellement construit, né de la culture occidentale récente. Par conséquent, l’application du concept d’ « homosexualité » à l’histoire est limitée au plaquage des concepts occidentaux et modernes de soi et de l’autre sur un monde ancien et pré-moderne. Dans la plupart des cultures pré-modernes et anciennes, il n’existe pas de mot pour qualifier la condition d’homosexuel ou décrire un acte homosexuel. Toute tentative d’amalgame entre des représentations masculines dans l’art ou les textes antiques avec le statut ou les pratiques homosexuelles d’aujourd’hui serait anachronique. De même, la notion moderne d’« homosexualité » est chargée d’une connotation morale négative qui ternit toute appréciation positive ou agréable de la culture sexuelle, entre hommes ou entre femmes dans les sociétés prémodernes. Cependant, même si les anciens n’avaient pas à l’esprit le concept moderne d’« homosexuel » ou d’« homosexualité », cela ne nie en rien le fait que l’homosexualité et l’homophobie existaient bel et bien.

    Dans l’Occident moderne, l’homosexualité est souvent considérée d’un point de vue binaire : sexualité et sexe. La véritable notion d’homosexualité en Occident implique que les sentiments et leur expression entre personnes de même sexe, à travers les formes sexuelles et érotiques les plus variées, constituent une chose unique, un phénomène intégré appelé homosexualité, distinct et isolé de l’hétérosexualité. Cependant, dans les sociétés anciennes, pré-modernes et non occidentales décrites dans ce livre, l’identité ou la différence de sexe des personnes engagées dans un acte sexuel étaient moins importantes que la mesure dans laquelle ces actes sexuels pouvaient violer ou se conformer aux préceptes de la religion, aux règles de conduite ou à la tradition considérés comme appropriés au sexe, à l’âge ou au statut social d’un individu.

    Pour cette raison, les discours sur la pédérastie (du mot grec « amour des garçons ») et la sodomie (sexe anal) liées à la classe, l’âge et le statut social étaient plus importants que le fait que les partenaires soient du même sexe. Les inquiétudes quant à la moralité de l’homosexualité, ou inversion sexuelle, sont typiques d’approches modernes plutôt que pré-modernes. Ce que nous qualifions de comportement homosexuel ne faisait pas, en Grèce par exemple, l’objet d’une désapprobation. Pourtant il existait des règles sociales strictes qui régissaient ce comportement. Dans l’Athènes antique, une relation homosexuelle entre un adolescent et un homme mûr était généralement vue comme une phase positive du développement éducatif et social d’un jeune homme.

    04. Thomas Eakins, Les Lutteurs, 1899.

    Huile sur toile. Musée d’Art de Philadelphie

    En effet, de telles relations furent célébrées dans les nombreux dialogues de Platon, sur les fresques murales et dans la poésie lyrique. À un certain point de son évolution, cependant, on attendait du jeune garçon qu’il se marie et élève des enfants. Ce que l’on désapprouvait dans ce type de rapports sexuels entre générations était la passivité et la soumission avide à la copulation anale. Il faut néanmoins souligner que pour les Grecs anciens, ni la morale, ni la religion ou la société ne servaient de fondements pour la censure des relations érotiques entre hommes se conformant aux arrangements hiérarchiques établis entre un homme adulte et un adolescent.

    L’homosexualité dans l’art du monde non occidental s’est manifestée de la même manière que dans les anciennes civilisations occidentales. Cependant, c’est par le biais de l’expansion coloniale et des conquêtes entamées au XVIe siècle que les Occidentaux ont établi des contacts avec des peuples et des cultures jusque-là inconnus, aux Amériques, en Afrique, en Asie et dans le monde arabe. Les valeurs morales de l’ouest furent rapidement imposées aux populations conquises. Des cultures qui avaient célébré l’homosexualité furent bientôt obligées non seulement d’abandonner cette idée, mais aussi de la percevoir comme mauvaise et moralement répréhensible. (Voir Saslow, 109–111).

    Le développement historique et social complexe de l’homosexualité dans le monde occidental indique qu’il s’agit de bien plus que d’une simple préférence sexuelle ou érotique consciente entre gens de même sexe. Elle s’est transformée en un nouveau système sexuel agissant comme un moyen de définir l’orientation et l’identité sexuelles d’un individu. L’homosexualité est devenue un moyen d’identification. En tant que tel, il a « introduit un élément nouveau dans l’organisation sociale, dans la différence humaine, dans la production sociale du désir et finalement dans la construction sociale du soi. » (David Halperin, « Homosexuality », in Haggerty, 454–55).

    Un aspect significatif de l’histoire de l’homosexualité est celui de la langue et de sa désignation. Le passage de l’emploi du mot « homosexuel » au mot « gay » est la meilleure preuve de l’importance des dimensions politiques de l’individualité et de l’identité en tant que composantes essentielles dans la vision des homosexuels sur eux-mêmes.

    Dans les années 60 et 70, en Amérique, le mot « gay » a remplacé « homosexuel » comme terme de choix car beaucoup d’activistes gays trouvaient le terme « homosexuel » trop clinique et trop lié à une pathologie médicale. Au moment des émeutes de Stonewall de 1969, « gay » était le terme dominant pour l’expression de l’identité sexuelle des activistes homosexuels plus jeunes et plus engagés politiquement. Par rapport à « homosexuel », « gay » était censé exprimer la conscience politique grandissante du mouvement de libération gay. Les deux termes, « gay » comme « homosexuel », peuvent qualifier hommes et femmes. Cependant, certaines femmes ont contesté l’exclusion implicite de la catégorie « gay » et ont préféré la désignation « lesbienne ». Ce marchandage au sujet des noms et des désignations est significatif dans l’histoire de l’homosexualité. Le débat des « gays » contre les « lesbiennes » révèle que la relation entre l’identité homosexuelle et l’identité sexuelle a toujours été controversée. Dans ce livre, j’évite d’employer le mot « gay » avant 1969 et la prise de conscience accrue traduite par ces termes.

    05. Gustave Klimt, Les Amies (détail), 1916–17.

    Huile sur toile, détruite lors d’un incendie en 1945

    Tout au long des années 70 et 80, l’usage du mot « gay » s’est répandu. Presque toutes les organisations politiques et sociales, impliquées dans le mouvement de libération gay, utilisaient le mot « gay » ou l’une de ses variantes dans le nom de leur mouvement. Au cours des dernières années, quelques membres de la communauté gay ont rejeté la désignation « gay » en faveur de « queer » – un terme d’identification qui englobe toute personne ou catégorie non hétérosexuelle. (Pour une histoire du changement de désignation de « homosexuel » à « queer », voir Haggerty, pp. 362–63 ; pour un aperçu du mot « queer », voir Daniel F. Pigg, « Queer », in Haggerty, 723–24). Le mot « queer » avait déjà existé et été utilisé comme un terme d’ostracisme et de « pathologisation » des homosexuels depuis les années 1910. C’est au cours des années 90 que « queer » s’est vu approprié par des hommes souhaitant se dissocier et se désolidariser d’une culture gay qui était arrivée à un statu quo et était devenue accommodante.

    Maintenant que le lecteur s’est familiarisé avec certaines définitions, termes et concepts associés à l’homosexualité, quelques questions importantes et épineuses spécifiquement liées à l’homosexualité dans l’art demeurent encore. Par exemple, sur quoi nous basons-nous pour déterminer si une œuvre traite de l’homosexualité ? Une image représentant deux hommes nus ou deux femmes nues dans une grande promiscuité revêt-elle forcément un caractère homosexuel ? Est-il nécessaire que des œuvres d’art traitent ouvertement et explicitement de thèmes homosexuels pour traiter de l’homosexualité ? Est-ce le thème ou est-ce l’orientation ou l’identité sexuelle de l’artiste qui est nécessaire à la compréhension de son art ? Quel est le rôle du spectateur dans le processus de détermination du caractère homosexuel d’une œuvre ? Quels sont la signification et le « message » sous-jacents de l’homosexualité dans l’art à travers les cultures et les siècles ? L’homosexualité confère-t-elle aux artistes une vision du monde différente, une sensibilité propre peut-être ?

    Bien que ces questions soient importantes, il ne serait pas sage de leur trouver une réponse unique et définitive, car l’homosexualité en tant que désignation et concept est bien trop multiple, complexe et variée pour être réduite à une seule réponse. L’homosexualité « abolit toutes les frontières et est intégrée dans un éventail d’objets visuels et matériels qui symbolisent et communiquent des sentiments et des valeurs. » (Saslow, 2). L’homosexualité est un concept changeant qui évoque des sentiments et des émotions. Son sens varie en fonction des personnes, de l’époque et de la culture. Il est clair que l’homosexualité ne peut et ne doit pas être réduite ou limitée au seul comportement sexuel. Bien que ce livre montre de nombreuses images d’hommes et de femmes engagés dans des actes sexuels explicites, il ne s’agit pas simplement d’un recueil d’images illustrant les pratiques sexuelles.

    En fait, la complexité de l’homosexualité en tant que terme et concept révèle qu’il s’agit de bien plus que de sexe. L’Homosexualité dans l’Art va au-delà des images de sexe. Il s’articule simultanément autour d’une multitude de sentiments, de besoins et de désirs émotionnels et psychologiques entre personnes de même sexe. L’historien de l’art, James Saslow a remarqué que l’« homosexualité » est aussi ambiguë et flexible que le terme « amour ». (Saslow, 7). Les images de ce livre donnent à voir quelques-unes des manières dont ces actes, ces sentiments, ces besoins, ces désirs se manifestent visuellement.

    En raison de l’ampleur des cultures et de l’éventail artistique présenté ici, de la complexité culturelle et sociale associées à l’homosexualité comme désignation et concept, L’Homosexualité dans l’Art se contente de donner un large aperçu de l’homosexualité dans la culture visuelle et une vision impressionniste des images à travers les siècles et les régions du monde. Il n’est pas conçu comme un texte ou une iconographie exhaustive sur le sujet. Néanmoins, même un traitement superficiel devrait intéresser quiconque chercherait à explorer les mondes compliqués et intriqués de la sexualité et de la créativité humaines.

    06. George Platt Lynes, Nicholas Magallanas et

    Francisco Moncion dans des poses d’après le ballet Orphée, 1948

    1. Peinture d’Euaion, Eraste et jeune musicien,

    vers 460 av. J.-C. Assiette à figures rouges. Musée du Louvre, Paris

    Chapitre 1. L’Homosexualité dans

    l’Antiquité en Occident

    (de la Grèce antique à l’Empire romain)

    Les premiers Grecs étaient une bande de tribus rurales dispersées qui finirent par s’installer dans de petites enclaves connues sous le nom de cités-États. La pratique déclarée de l’homosexualité était déjà répandue dans les cités-États grecques dès le début du VIe siècle avant Jésus-Christ et devint partie intégrante des traditions de la Grèce archaïque et classique. L’homosexualité masculine, ou plutôt la pédérastie, était liée à l’entraînement militaire et à l’initiation des jeunes garçons à la citoyenneté. La plupart de nos informations sur l’homosexualité en Grèce proviennent de l’art, de la littérature et de la mythologie dans la cité-État athénienne. Pourquoi les Athéniens du IVe siècle avant Jésus-Christ acceptèrent-ils l’homosexualité et se conformèrent-ils si volontiers à des coutumes homo-érotiques ? C’est là une question difficile à laquelle il n’est pas aisé de répondre. Bien que chaque cité-État imposât des lois distinctes et pratiquât des mœurs différentes, Sparte, Thèbes, la Crète, Corinthe et d’autres apportent aussi dans les arts plastiques et la littérature la preuve d’un intérêt pour l’homosexualité et ses pratiques. Le premier témoignage de relations homo-érotiques dans la Grèce antique provient d’un fragment écrit par l’historien Ephoros de Kymè (v. 405–330 av. J.-C.), qui raconte l’histoire d’un ancien rituel qui avait lieu dans la Crète dorienne au VIIe siècle avant Jésus-Christ, dans lequel des hommes mûrs initiaient de jeunes garçons aux activités masculines comme la chasse, les banquets et, probablement aussi les relations sexuelles. (Lambert, in Haggerty, 80).

    On peut voir à quel point dans l’Antiquité l’homosexualité fut un aspect important de la culture grecque dans ses mythes, ses rites et rituels, ses légendes, son art et sa littérature, et dans les mœurs de toute la société. Les principales sources artistiques et littéraires sur l’homosexualité en Grèce se trouvent dans la poésie de la fin de l’époque archaïque et le début de la poésie classique, les comédies d’Aristophane et les pièces d’autres auteurs tels qu’Euripide, Eschyle et Sophocle, les dialogues de Platon et les scènes peintes sur les vases grecs. (Dover, 9). C’est surtout dans les écrits de Platon (v. 429–347 av. J.-C.) que le thème de l’amour homosexuel fut débattu le plus vigoureusement. Dans ses dialogues, Platon s’intéressa à l’homosexualité masculine qu’il considérait comme un objectif spirituel plus élevé que le contact hétérosexuel et la procréation. Les trois célèbres dialogues de Platon – Lysis, Phèdre et Le Banquet – rapportent des conversations imaginaires et quelquefois ironiques sur la sexualité masculine et les relations érotiques. (Jordan, in Haggerty, 695). Nombre de passages de ces dialogues décrivent l’amour entre hommes comme paiderastia (pédérastie) – c’est-à-dire l’amour érotique actif d’un adulte pour un adolescent beau et passif [le mot paiderastia est dérivé de pais (jeune garçon) et eran (aimer)]. Dans le Lysis et dans Le Banquet, Socrate (l’un des protagonistes des dialogues) recherche activement la beauté des jeunes adolescents. Pour Socrate, l’(homo)éros était la recherche de buts nobles dans la pensée et l’action. On ne sait pas exactement comment la pratique de la pédérastie s’est développée dans la Grèce antique, mais la mythologie qui a survécu depuis l’Antiquité suggère que le roi de Crète Minos l’introduisit pour éviter la surpopulation de son île.

    La société athénienne voyait dans la paiderastia le principal mode de socialisation et d’éducation des jeunes hommes libres pour les initier à la virilité et à la citoyenneté. En tant qu’institution, elle fut le complément, et non le rival, du mariage hétérosexuel. Bien que de nos jours le terme de « pédéraste » soit péjoratif, dans la Grèce antique, il n’avait pas une connotation aussi négative et était employé dans le contexte de la relation érastes-érômenos. Dans cette relation, un homme mûr (l’érastes ou « celui qui aime » [« l’inspirateur » à Sparte]), généralement barbu et de rang social élevé, était censé rechercher activement puis conquérir un jeune garçon (l’érômenos, ou « objet d’amour » [« l’auditeur » à Sparte] et éveiller en lui la compréhension et le respect des vertus masculines de courage et d’honneur. De tels attributs étaient, bien sûr, non seulement utiles à la stabilité sociale en Grèce, mais apportaient également la garantie d’actes de bravoure et de loyauté lorsqu’ils étaient nécessaires pour défendre la cité-État sur le champ de bataille.

    C’est dans Le Banquet de Platon que l’amour homosexuel est exprimé et longuement loué entre un vieil amant barbu (éraste) et un jeune garçon imberbe aimé (érômène : entre la puberté et l’âge de dix-sept ans). Le Banquet fait partie de ce que l’on appelle la « littérature de banquet », ou ensemble de discussions informelles sur des sujets variés, comprenant les mérites philosophiques et moraux de l’amour et les charmes des jeunes hommes et des garçons. Beaucoup de scènes peintes sur des vases illustrent ce qui se passait dans ces banquets ou symposia, dans lesquels de jeunes garçons servaient souvent à boire aux convives. Le Banquet de Platon décrit les règles strictes de la séduction et de l’amour qui régissent la relation entre l’éraste et l’érômène. Il y a de nombreux tabous. Par exemple, un jeune garçon ne pouvait en aucun cas jouer le rôle de l’agresseur, du poursuivant, ou de celui qui pénètre. La séduction ou l’activité sexuelle entre deux garçons ou deux hommes de même âge ou de même rang social étaient également déconseillées. On attendait qu’elles soient intergénérationnelles et que les classes y soient respectées.

    La majorité des premiers témoignages visuels sur les mœurs et coutumes de la séduction homosexuelle et des pratiques sexuelles dans la Grèce antique nous viennent des scènes peintes sur les vases. Les vases grecs, que l’on utilisait pour porter l’eau, conserver le vin et l’huile d’olive et servir les aliments et la boisson, étaient produits en grande quantité par des artisans locaux et exportés dans toute la région méditerranéenne. Beaucoup étaient vendus à une clientèle de classe moyenne – et supérieure – et portaient souvent des scènes peintes à la main représentant des dieux, des mythes, des faits héroïques ou des images de la vie quotidienne. On voit sur de nombreux vases, datant des VIe et Ve siècles avant Jésus-Christ, des hommes mûrs conversant avec de plus jeunes, leur offrant des cadeaux, touchant leurs parties génitales ou les étreignant. On trouve aussi couramment représentés des portraits d’hommes se consacrant à l’athlétisme, des scènes de séduction ou des illustrations de l’acte sexuel. Souvent, un éraste faisait faire un vase spécialement pour son érômène, afin de le lui offrir en même temps que d’autres cadeaux, tels qu’un lièvre, un jeune coq ou un cerf. Ces présents étaient la norme et ils étaient associés à la chasse, ce qui soulignait la fonction de rite de passage du rapport pédérastique. Parfois y figuraient de brèves inscriptions, ou bien le mot kalos (beau) apparaissait précédé du nom du jeune garçon ou

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